b) Les blessures du passé : l'exemple emblématique du verdict GOTOVINA.

Vos rapporteurs se sont rendus à Zagreb un mois après le verdict du Tribunal pénal international dans l'affaire GOTOVINA : ils ont pu mesurer que les blessures du passé n'étaient pas toutes cicatrisées, 15 ans après la fin de la guerre.

Le tribunal a en effet condamné en première instance, en avril 2011, les généraux GOTOVINA et MARKAC à respectivement 24 et 18 ans de détention criminelle pour avoir participé activement à une « entreprise criminelle commune » (le troisième prévenu, le général CERMAK, étant quant à lui acquitté).

A Zagreb, ce verdict a été accueilli avec émotion, indignation et consternation en raison non seulement de la personnalité -toujours respectée par la population- du général GOTOVINA mais aussi de la notion dégagée par le Tribunal d' « entreprise criminelle commune » planifiée par les hautes autorités croates de l'époque pour chasser les populations civiles serbes de l'enclave de la Krajina. Ce jugement a été perçu comme allant au-delà d'une punition des responsabilités individuelles et remettant en cause l'ensemble de la politique croate de l'époque et, au-delà de l'ancien Président TUDJMAN, la légitimité de l'opération « Tempête », qui reste, vu de Zagreb, une « guerre juste » de reconquête des territoires croates occupés par les Serbes.

Signe des tensions provoquées par ce verdict, lors de la présentation devant le Conseil de sécurité des Nations Unies de son rapport, le 6 juin dernier, le procureur du TPIY M. BRAMMETZ a regretté que les plus hauts responsables de l'État croate n'aient pas commenté avec « objectivité » l'issue du procès. Le représentant permanent croate a quant à lui indiqué dans son intervention devant le Conseil de sécurité que la Croatie était en total désaccord avec certaines qualifications historiques et politiques du jugement, mais qu'elle respectait toutefois le verdict.

VERDICT DU TPIY DANS LE PROCÈS GOTOVINA

La Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a déclaré [le 15 avril] deux généraux croates, Ante GOTOVINA et Mladen MARKAÈ, coupables de crimes contre l'humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre, perpétrés par les forces croates au cours de l'Opération Tempête, une campagne militaire menée entre juillet et septembre 1995. Ivan ÈERMAK a été acquitté de tous ces chefs d'accusation.

Ante GOTOVINA, lieutenant général dans l'armée croate et commandant du district militaire de Split durant la période couverte par l'acte d'accusation, et Mladen MARKAÈ, Ministre adjoint de l'intérieur chargé des questions relatives à la police spéciale, ont tous deux été reconnus coupables de persécutions, expulsion, pillage, destruction sans motif, meurtre, assassinat, actes inhumains et traitements cruels . Ils ont été condamnés, respectivement, à 24 ans et 18 ans d'emprisonnement. Ils ont été acquittés du chef d'actes inhumains (transfert forcé). Ivan ÈERMAK, qui commandait la garnison de Knin, a été acquitté de tous les chefs d'accusation.

(...) La Chambre a conclu que les forces de l'armée croate et de la police spéciale avaient commis un très grand nombre de crimes à l'encontre de la population serbe au cours de l'Opération Tempête .

Ces crimes ont été commis dans le cadre d'une entreprise criminelle commune dont l'objectif était de chasser définitivement la population serbe de la région de la Krajina , par la force ou la menace du recours à la force, et impliquait des expulsions, des transferts forcés, des persécutions ayant pris la forme de mesures restrictives et discriminatoires, d'attaques illégales contre des civils et des objectifs civils, d'expulsions et de transferts forcés. La Chambre de première instance a conclu que cette entreprise criminelle commune avait vu le jour à la fin du mois de juillet 1995 au plus tard, à Brioni, où le Président croate Franjo TUÐMAN avait rencontré de hauts responsables militaires afin d'évoquer l'opération militaire lancée quelques jours plus tard, le 4 août.

La Chambre a conclu que Franjo TUÐMAN était un membre clé de l'entreprise criminelle commune et qu'il voulait repeupler la Krajina avec des Croates. (...) La Chambre a conclu qu'Ante GOTOVINA avait participé à la réunion de Brioni et avait contribué à la planification et à la préparation de l'Opération Tempête. Par son comportement, y compris par les ordres qu'il a donnés d'attaquer illégalement des civils et des objectifs civils en bombardant Benkovac, Knin et Obrovac les 4 et 5 août 1995, Ante GOTOVINA a participé de manière importante à l'entreprise criminelle commune. (...) Mladen MARKAÈ a également participé à la réunion de Brioni, contribuant ainsi à la planification et à la préparation de l'Opération Tempête et (...) ordonné aux forces de la police spéciale de bombarder Graèac les 4 et 5 août 1995, ce qui constituait une attaque illégale contre des civils et des objectifs civils, et ce qui a entraîné le déplacement forcé de personnes. Il s'agissait là d'une contribution importante apportée à l'entreprise criminelle commune.

Source : Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, dossier de presse relatif au verdict du procès GOTOVINA.

Le verdict, qui était très attendu en Croatie, a été particulièrement commenté . Des manifestations de protestation contre le jugement ont eu lieu dans l'ensemble du pays, mais se sont déroulées dans le calme. Plus d'un mois après, vos rapporteurs ont encore pu constater, en plein centre de Zagreb, la présence d'affiches représentant le général GOTOVINA, qui reste pour beaucoup un héros national de la libération de la Croatie.

Les réactions officielles bien que plutôt mesurées, ont forcément tenu compte de l'émotion populaire, les dirigeants s'efforçant à la fois de comprendre l'émotion des citoyens croates et d'atténuer l'onde de choc, dans un contexte où la Croatie est sous observation vigilante de la part des États membres sur ces sujets.

ALLOCUTIONS TÉLÉVISÉES DU PRÉSIDENT ET DU PREMIER MINISTRE (TRADUCTION)

Mme Jadranka KOSOR, Première ministre :

« Dans la vie des individus comme des peuples, il y a des moments difficiles à accepter. (...) Notre position sur le caractère de l'opération « Tempête » est très clair. C'était une opération militaire et de police légitime visant à libérer les territoires nationaux de l'occupation.

« Je suis consciente qu'en ce moment, toutes nos réactions sont suivies et évaluées de près, et que la moindre de nos réactions le seront également dans les heures qui suivent. Je veux cependant dire ce que je crois que chaque citoyen ressent. (...) Avant tout, je voudrais remercier tous les combattants croates. Je suis persuadée que nous continuerons de même et que dans cette situation, nous montrerons notre unité et notre foi dans l'avenir de la Croatie. »

M. Ivo JOSIPOVIC, Président de la République :

« La condamnation des généraux GOTOVINA et MARKAC avec sa sentence et les motifs invoqués, en particulier la thèse de l'existence d'une entreprise criminelle commune impliquant les plus hauts dirigeants politiques et militaire de Croatie, est un acte juridique et politique grave qui moi aussi m'a choqué.

« Les généraux, qui durant la guerre ont apporté une contribution considérable à la défense de la Croatie sont condamnés par le TPIY pour des infractions graves et de nombreux citoyens acceptent mal ce jugement, déçus de la décision du tribunal.

« (...) Je suis persuadé qu'il n'y a pas eu d'entreprise criminelle commune en Croatie. En particulier, cette thèse de l'entreprise criminelle commune n'implique pas que tous les membres de l'armée et de la police croates ont participé à une entreprise criminelle et qu'ils sont tous des criminels. La Croatie respecte ses héros et continuera à respecter tous les héros qui ont sauvegardé notre indépendance et notre liberté.

« (...) Pour nous, indépendamment du jugement, la guerre patriotique restera une guerre juste et défensive dans laquelle nous avons sauvé notre liberté et notre démocratie de l'agression et de la politique criminelle de Slobodan MILOSEVIC. »

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