C. QUELLE INTERVENTION SUR LA DETTE GRECQUE ?

Régulièrement avancée par certains, l'hypothèse d'une sortie de la zone euro apparaît plus que délicate à mettre en oeuvre - elle supposerait une révision des traités - et pourrait s'avérer être une contrainte supplémentaire pour Athènes. Assimilée à une véritable dévaluation, elle pose notamment la question du remboursement des dettes, toutes libellées en euro. Il existe, par ailleurs, un consensus politique sur le maintien de la Grèce au sein de la zone euro, allant jusqu'au parti communiste. Une éventuelle solution au problème grec tient de fait plus à une intervention sur le stock de dettes existant ou à un complément à l'aide déjà octroyée au printemps 2010. Elle induit, dans les deux cas, une participation du secteur privé.

1. Organiser le défaut ?
a) Le risque d'une restructuration dure

Selon certains investisseurs, la Grèce ne pourrait s'affranchir de ses difficultés actuelles qu'en réduisant de 30 à 50 % sa dette négociable. Athènes pourrait donc imposer à ses créanciers une telle décote, soit le non-remboursement d'une partie des montants dus.

Le think tank Bruegel estime ainsi que les détenteurs de dette grecque devraient accepter une décote de 30 % de leurs titres dans le cadre d'un plan permettant à la Grèce de retrouver sa solvabilité en vingt ans. A défaut, les décotes devraient être plus importantes à l'avenir.

Une restructuration de la dette grecque ne constitue pas, pour autant, selon la Commission, une solution viable. Une telle opération conduirait, en effet, à fermer l'accès de la Grèce aux marchés durant une longue période, aucun investisseur ne prenant le risque d'octroyer de nouveaux prêts.

Un défaut de remboursement, même circonscrit à un tiers des emprunts souscrits, aurait, en outre, une incidence directe sur le système bancaire grec et, par conséquent, sur les ménages. Les banques grecques détiennent, en effet, environ 48 milliards d'euros d'obligations publiques. L'effacement d'une partie de la dette conduirait donc à un fort resserrement du crédit et à un gel des dépôts. Elle contribuerait au ralentissement économique, déjà observé cette année. Le risque d'un effondrement du système bancaire local conduirait l'État grec à recapitaliser le secteur bancaire avec les sommes récupérées dans le cadre de la restructuration. Les compagnies d'assurance et les fonds de pension grecs qui constituent les deuxièmes plus gros créanciers de l'État seraient également fragilisés par une telle mesure.

Il convient, par ailleurs, de noter que dans le cadre de l'actuelle facilité européenne de stabilité financière, au titre de laquelle est versée l'aide européenne à la Grèce, les gouvernements de la zone euro ne sont pas considérés comme des créanciers prioritaires. Ils peuvent donc encourir des pertes, si la Grèce venait à faire défaut avant l'instauration du mécanisme européen de stabilité financière qui devrait succéder au dispositif actuel en juin 2013. La facilité n'inclut pas, non plus de clause juridique qui permette une renégociation impliquant le secteur privé. Seul le mécanisme européen de stabilité financière devrait permettre une telle coordination des efforts entre créanciers privés et créanciers publics, en cas d'insolvabilité du pays concerné. Ces pertes auraient, en outre, des conséquences indéniables au plan politique, le contribuable européen étant moins enclin à continuer à aider la Grèce.

Cette idée est néanmoins défendue par les Pays-Bas. Les réserves françaises sur une éventuelle restructuration s'expliquent notamment par l'exposition de leurs établissements financiers à la dette grecque 2 ( * ) .

Exposition des banques française à la dette souveraine
(en millions d'euros au 31 décembre 2010)

Espagne

Grèce

Irlande

Italie

Portugal

BNP Paribas

2 903

5 018

433

22 079

1 733

Dexia

1 455

3 462

0

15 831

1 927

Société générale

2 200

2 900

200

4 500

400

BPCE

70

1 236

311

3 174

204

Crédit agricole

2 241

655

11

10 115

2060

Total

8 869

13 271

1 055

55 699

5 324

Il convient de noter, par ailleurs, que l'Eurosystème - les banques centrales de la zone euro - est exposé à hauteur de 135 milliards d'euros à la dette grecque. 45 milliards d'euros de titres ont ainsi été achetés via le Programme pour le marché des titres ( Securities market programme - SMP), 80 milliards ont été versés via les opérations de refinancement des banques à la BCE, et 10 milliards d'investissement ont été réalisés par les banques nationales sur leurs réserves.

b) Le « reprofilage »

L'hypothèse d'un « reprofilage » semble être une solution plus acceptable pour l'Union européenne en dépit des tiraillements observés entre quelques États membres à ce sujet. Cette restructuration douce lierait allongement des maturités des obligations d'État grecques et baisse du niveau des taux d'intérêt. De prime abord hostile au projet, l'Allemagne exige désormais qu'il englobe crédits publics et privés accordés à la Grèce.

Ce « reprofilage » n'est pas exclu par la Commission qui le subordonne néanmoins à une conservation, par les créanciers privés, de leurs titres souverains grecs.

Le « reprofilage » pourrait ainsi prendre la forme d'un échange d'obligations grecques à 65 - 75 % de leur valeur nominale et la mise en place concomitante de « Brady bonds » européens, reprenant ainsi le système mis en place par Nicholas Brady, le secrétaire d'État au Trésor américain en 1982 face à la crise mexicaine qui affectait directement les banques de son pays. Les créanciers accepteraient que les nouvelles obligations aient une durée de paiement plus longue et des taux d'intérêt inférieurs à ceux du marché, en contrepartie d'un gage de confiance. La Grèce, comme le Mexique l'avait fait à l'égard des États-Unis, s'engagerait à cet effet à acheter des bons du Trésor allemands ou français, disposant de la note AAA, qui sont déposés en gage sur un compte de la Banque centrale européenne et qui, en cas de défaut, seraient versés comme compensation aux créanciers de l'État grec.

La Banque centrale européenne (BCE) est plus réservée sur ce « reprofilage », estimant qu'il aurait un impact négatif sur les banques du pays qui seraient toujours confrontées à des problèmes de refinancement sur les marchés. Dans ce cadre, comme dans celui d'une restructuration dure, la BCE envisage de cesser de fournir les banques grecques en liquidités 3 ( * ) . Ainsi, elle ne prendrait plus en garantie les titres de dette grecque en contrepartie des prêts accordés aux banques. La BCE estime que toute restructuration, dure comme douce, constitue un événement de crédit pour les agences de notation et les marchés et donc un précédent potentiellement rééditable en Irlande ou au Portugal.

Il convient, par ailleurs, de ne pas mésestimer les risques que le « reprofilage » fait peser sur les banques. Les établissements financiers grecs ont, à l'instar de leurs confrères européens, logé la dette du pays dans leur portefeuille bancaire. Les titres y sont valorisés à leur prix d'acquisition. En application des règles comptables, les banques devront remplacer les anciens titres par les nouveaux, à leur nouveau prix d'acquisition. De fait, un « reprofilage » ne peut être envisagé qu'à la condition que des mesures soit adoptées en faveur du système bancaire européen, de façon à ce qu'il puisse résister au choc, en assouplissant, par exemple, les ratios de capitaux propres.

La France a manifesté dans un premier temps son hostilité à la restructuration comme au « reprofilage ». Elle est désormais moins hostile à une telle option si elle traduisait une inclinaison volontaire des créanciers privés. Le « reprofilage » n'est, en tout état de cause, envisagé par ses promoteurs qu'après une application du programme de réduction du déficit public annoncé par le gouvernement grec.

c) Le rééchelonnement

Cette solution repose exclusivement sur un allongement de la maturité des titres de la dette grecque, sans baisse des taux d'intérêts. Cette solution n'est pas non plus sans poser de difficultés, notamment d'ordre juridique, et pourrait également être assimilée à un défaut.

De la sorte, selon les chiffres de la banque d'ING, une extension de maturité de trois ans permettrait à la Grèce d'économiser de 20 à 30 milliards d'euros chaque année, voire 10 milliards supplémentaires si le paiement des coupons s'avérait également différé.

Les détenteurs des obligations arrivant à échéance en 2012 seraient bien évidemment les plus affectés, alors que ceux possédant des obligations arrivant à échéance en 2015, 2019 et 2020 enregistreraient des gains, certes faibles.

Impact d'un rééchelonnement à trois ans
(en % de la valeur nominale)

03/
2012

05/
2013

08/
2014

08/
2015

07/
2016

07/
2017

07/
2018

07/
2019

06/
2020

03/
2026

09/
2040

- 27,1

- 11,7

- 1,8

+ 0,3

- 12,4

- 10,5

- 8

+ 0,8

+ 0,3

- 2,2

- 2,1

Là encore, la Banque centrale européenne est peu favorable à une telle option, soulignant qu'elle risquait de fragiliser l'ensemble des marchés de la zone euro, au détriment, notamment de l'Irlande ou du Portugal.

Il convient, par ailleurs, d'insister sur le fait qu'un rééchelonnement comme le « reprofilage » ne résout pas la question du stock et ne permet que de gagner du temps.


* 2 La note de la dette à long terme du groupe Crédit Agricole a été abaissée de AA - à A + par l'agence Standard & Poor's le 20 mai dernier en raison de sa trop forte exposition à la dette grecque, au travers, notamment, de sa filiale Emporiki. La note de dette à court terme a été également dégradée, à A-1 contre A-1+ auparavant . L'agence Moody's a, par ailleurs, annoncé le 15 juin avoir placé sous surveillance avec implication négative la Société générale, le Crédit agricole et BNP Paribas, en raison de leur exposition à la dette grecque. En ce qui concerne la Société générale, sa participation majoritaire au sein du capital de la banque grecque Geniki justifie cette dégradation. Moody's observe en outre que les principales banques du groupe Dexia pourraient également être déclassées.

* 3 Il convient néanmoins de rappeler que la Banque centrale européenne n'a pas acquis d'obligations grecques depuis près de deux mois, favorisant une envolée des taux. Le rendement des obligations grecques à deux ans a ainsi augmenté de 1000 points de base depuis la fin mars atteignant près de 28 %. Elle n'a pas non plus acquis dans le même laps de temps d'obligations irlandaises ou portugaises .

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