3. Inventer un nouveau modèle de croissance

En ce qui concerne la relance de l'économie, le gouvernement a annoncé la suppression, à compter du 2 juillet, de nombreuses barrières à l'entrée de 136 professions : boulangers, buralistes, agents d'assurance, agents immobiliers, dockers, électriciens, kinésithérapeutes, psychologues, bateaux-taxis, coiffeurs, etc. Ces barrières prenaient des formes diverses : limitation du nombre de l'implantation des prestataires, fixation de prix minimums, licence administrative obligatoire. La libéralisation des conditions d'exercice de certains métiers (avocats, notaires, experts-comptables, ingénieurs civils, architectes et pharmaciens), jusque-là réglementées, demeure soumise à l'adoption d'un décret d'application.

Une relance de l'activité est indispensable en vue de revenir à l'excédent budgétaire. Là encore, les chiffres tendent à indiquer qu'une reprise demeure pour l'instant hypothétique : la contraction du PIB est estimée à 7 % fin 2010 alors que le principal indice de la Bourse d'Athènes, l'ASE, a perdu près de 25 % en un an. La production industrielle a chuté, quant à elle, de 11 % au mois d'avril, après une baisse de 8 % en mars.

Le gouvernement milite par ailleurs pour la promotion d'un nouveau modèle de croissance, reposant sur l'écologie et censé attirer les investisseurs. Il s'est ainsi fixé, à l'horizon 2020, un objectif de 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie et de 40 % dans la consommation d'électricité. D'autres secteurs méritent par ailleurs d'être soutenus, qu'il s'agisse du tourisme où la montée en gamme annoncée tarde à se concrétiser, de l'industrie de la défense ou de celle de la recherche, la Grèce disposant de nombreux ingénieurs.

Par delà, c'est l'ensemble du tissu économique qu'il convient de revoir, la Grèce étant caractérisée par la surreprésentation des petites entreprises (930 000 sur 960 000), composées en moyenne de quatre salariés, et l'absence de dynamique industrielle. Comme le Portugal, la Grèce devra, dans les prochains mois, réorienter sa stratégie économique en s'orientant davantage vers les secteurs tournés vers l'exportation et tenter de s'affranchir d'un modèle de croissance complètement dépendant de la demande interne.

4. L'absence de consensus politique et la montée de la contestation sociale
a) L'impossible unité nationale

L'Union européenne, comme le FMI, souhaite que les mesures adoptées recueillent la plus grande adhésion, en vue d'éviter toute remise en cause, en cas d'alternance politique. Cet appel à l'unité nationale ne semble toutefois pas susciter de réaction positive, alors que le gouvernement semble affaibli politiquement.

L'opposition se montre, en effet, extrêmement réservée sur le programme budgétaire à moyen terme du Premier ministre. La principale formation politique Nouvelle Démocratie juge inefficace les mesures adoptées jusqu'alors, souhaitant, avant tout, la mise en place d'un programme destiné à relancer l'économie. Seul le programme de privatisations pourrait recueillir un vote favorable. Ces objections doivent néanmoins être nuancées, Nouvelle Démocratie souhaitant ramener le déficit en dessous de 1 % du PIB dès 2013. M. Samaras plaide par ailleurs pour une action rapide en matière de privatisations et de lutte contre la fraude fiscale. Son programme repose sur quatre propositions : consolidation des finances publiques, renforcement de la compétitivité, renégociation du mémorandum pour apaiser les tensions sociales et mise en oeuvre d'une véritable solidarité communautaire.

Au sein même de la formation majoritaire, le parti socialiste grec (PASOK), des dissensions apparaissent sur l'ampleur des réformes à mener, soixante-dix députés ayant pris publiquement position contre la politique économique gouvernementale, certains appelant de leurs voeux une restructuration de la dette en 2013 et l'organisation d'élections anticipées. Le PASOK se trouve de fait dans une situation complexe, contraint d'appliquer un programme d'austérité qui ne constituait pas le fondement de son discours de campagne, perdant par là même tout légitimité dans l'opinion publique.

Ce risque d'implosion de la majorité n'est pas sans susciter d'interrogations, alors même que les mesures d'austérité annoncées par le gouvernement et le programme de privatisation n'ont pas encore été soumises au Parlement. Des négociations entre le gouvernement et les responsables des partis sont en cours, en vue de trouver une solution politique à cette impasse.

L'hypothèse d'un referendum est également envisagée pour tenter de dépasser cette crise politique en gestation. Cette option, qui ne recueille pas l'adhésion de l'ensemble des membres du gouvernement, demeure néanmoins assez floue tant il paraît impossible, dans le contexte actuel, que la population vote en faveur d'un raidissement de la politique de rigueur. Par ailleurs, l'article 44-2 de la Constitution grecque interdit formellement le recours à un référendum pour des questions budgétaires.

Dans un pays où le vote est théoriquement obligatoire, l'abstention massive observée au second tour des élections locales du 14 novembre dernier - 50 % des inscrits - est assez révélatrice de cette défiance à l'égard du monde politique 13 ( * ) . La situation économique ne profite pas, pour autant, à Nouvelle démocratie qui voit certes son écart se réduire avec le PASOK, en termes d'intensions de vote, mais n'engrange pas réellement de nouveaux soutiens. Les deux principaux partis qui incarnaient jusqu'ici la vie politique du pays ne représentent plus environ que 40 % du corps électoral contre 80 % auparavant et sont largement concurrencés par des formations plus radicales, le populiste LAOS et le parti communiste KKE. Les prochaines élections législatives sont prévues en 2013. Le parti de gauche Syriza milite, à cet égard, pour la convocation d'élections anticipées.

b) Une dégradation notable du climat social

Le climat social est marqué par une détérioration de la confiance à l'égard du gouvernement. Le sentiment d'inquiétude induit par l'augmentation concomitante du coût de la vie et du chômage, notamment chez les jeunes, est en constante progression. Plus d'un jeune Grec sur trois affirme, par ailleurs, vouloir quitter le pays.

L'annonce d'un deuxième plan d'austérité a eu un rôle de déclencheur, l'opinion publique estimant qu'une seconde vague de mesures soulignait l'échec patent du gouvernement et sa conduite à vue. Si l'année dernière, les protestations étaient relativement modérées à l'égard de la cure d'austérité imposée par le gouvernement, le mécontentement tend à croître au regard de l'absence de résultats tangibles et au recours annoncé à une nouvelle aide européenne. Ces mouvements traduisent, par ailleurs, dans la population une absence de visibilité en ce qui concerne l'avenir, doublée pour partie d'un sentiment d'injustice face à des réformes (évasion fiscale, inégalités en matière de réductions salariales) qui s'avèrent pour partie incomplètes. L'antiparlementarisme qui tend à se faire jour dans le pays se nourrit, entre autres, de l'absence de révision en profondeur des conditions d'exercice du mandat parlementaire et des facilités offertes dans le cadre de celui. A titre d'exemple, un parlementaire peut ainsi recruter un assistant qui bénéficiera de seize mois et demi de salaire par an et se verra ensuite intégré à la fonction publique parlementaire.

Le programme de privatisations entrepris par le gouvernement est, à cet égard, devenu un sujet de conflit entre gouvernement et syndicats, ceux-ci s'affranchissant de plus en plus de la tutelle historique du PASOK. Le succès des manifestations du 5 juin - plus de 100 000 personnes dans les rues d'Athènes - constitue, à cet égard, un signe tangible de la montée en puissance de cette opposition frontale à la politique gouvernementale. Le mouvement des « indignés » grecs, réunis sur la place Syntagma depuis le 25 mai, vient, à cet égard, souligner un durcissement de la contestation à l'égard de la politique gouvernementale. Des incidents, par ailleurs sans gravité, visant ministres et députés, toutes tendances confondues, tendent à se multiplier à Athènes mais aussi dans le reste du pays.

L'opinion publique récuse, de fait, au personnel politique la capacité de sortir le pays d'une crise dont elle l'estime responsable. Un sondage paru dans le journal To Vima le 29 mai dernier est, à cet égard, assez révélateur : 80 % des Grecs approuvent la vente de biens publics mais 47 % de la population ne juge pas le gouvernement apte à mener un tel programme.

Au-delà, il convient de souligner la perception négative par l'opinion publique de l'attitude d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne. L'Allemagne cristallise à cet égard la rancoeur, sa position étant assimilée à une forme de mépris, ravivant, de façon certes exagérée, le souvenir de la seconde guerre mondiale. Cette défiance vient compléter le rejet des mesures imposées par l'Union européenne et le FMI, assimilé à une perte d'indépendance du pays.

Une idée reçue ? La Grèce et le temps de travail

Allemagne

Espagne

France

Grèce

Italie

Portugal

Temps de travail annuel (en heures)

1 390

1 654

1 554

2 119

1 773

1 719

Age moyen de départ en retraite

62,2

62,3

60

61,5

60

62,6

Source : Natixis

*

* *

L'octroi d'une nouvelle aide européenne à la Grèce, portant le montant de l'intervention à plus des trois quarts du produit intérieur brut local, permettrait de repousser à 2014 l'épreuve des marchés pour Athènes. Cette période de trois ans s'avère cruciale pour évaluer l'impact des mesures adoptées par le gouvernement afin de réduire la dépense publique mais aussi de relancer l'économie. Au regard des risques induits par toute forme de restructuration, elle apparaît comme la seule solution à peu près viable. L'invention d'un nouveau modèle de croissance demeure néanmoins indispensable en vue de gommer les effets logiquement récessifs de la cure d'austérité imposée au pays. Elle est également essentielle pour dépasser les difficultés sociales et politiques que la Grèce peut rencontrer. Celles-ci peuvent apparaître inquiétantes à terme puisqu'elles révèlent une réelle crise de légitimité des structures démocratiques grecques, mais aussi une défiance certaine à l'égard de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'Union européenne, le deuxième acte de la crise grecque est un test de grande ampleur. Jusqu'à présent, il ne semble déboucher que sur une forme de cacophonie, la Banque centrale contredisant la Commission, elle-même remise en cause par les déclarations de l'eurogroupe ou de tel ou tel État membre. Une telle situation n'est pas sans incidence sur les marchés financiers. L'Union européenne avait démontré, au printemps 2010, une réelle capacité de réaction en combinant aide financière et renforcement de la gouvernance économique. Il lui appartient désormais de passer à une seconde étape et de faire montre de maturité politique en parlant d'une seule voix. Ce faisant, elle devrait atténuer la fébrilité observée sur les places financières et gagner en cohérence. Elle rendrait par ailleurs plus lisible son action en faveur de la zone euro, alors même que celle-ci peine à susciter l'adhésion des opinions publiques.


* 13 Le PASOK a néanmoins réussi à conserver ses positions lors des dernières élections locales, remportant même un succès électoral en s'imposant dans huit régions sur treize et 73 municipalités sur 325. Les villes d'Athènes et de Thessalonique dirigées par Nouvelle démocratie depuis vingt ans ont ainsi basculé à gauche. On relèvera cependant que les deux nouveaux maires sont issus de la société civile et se démarquent, dans une certaine mesure, du PASOK.

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