7. Les espèces invasives

L'introduction d'espèces invasives, dites lesseptiennes, en Méditerranée a coïncidé avec l'ouverture du canal de Suez en 1869, mais l'accélération de leur nombre et leur extension progressive de la rive Sud à la rive Nord du Bassin est imputable à plusieurs autres facteurs :

- la mise en service du barrage d'Assouan en 1971 a divisé par douze le débit du Nil à son embouchure ; ceci a fortement contribué à freiner l'action des « bouchons nilotiques » d'apports en eau douce qui avaient longtemps limité l'extension d'espèces marines venues de la mer Rouge ;

- l'accroissement du trafic maritime sur une trentaine d'années et des déballastages ;

- et le réchauffement climatique déjà acquis (entre 2° et 2,6° pour les eaux de surface sur la période 1982-2003, probablement moins pour les eaux plus profondes) qui a permis la migration de certaines de ces espèces invasives, mais qui a aussi favorisé le recul de certaines espèces autochtones.

On recense aujourd'hui 925 espèces exogènes en Méditerranée dont une étude menée par le Plan Bleu estime que 56 % sont pérennes.

Parmi ces espèces, dont la plus connue est la Caulerpa, algue qui a été déversée en mer depuis le Musée océanographique de Monaco, on dénombre 127 poissons dont 73 ont une existence pérenne, 322 mollusques et crustacés et 80 vers marins.

En moyenne, sur l'ensemble du Bassin, 47 % de ces espèces proviennent directement du Canal de Suez, 28 % de la navigation et 10 % de l'aquaculture.

En 15 ans, le taux d'enregistrement de ces espèces invasives a crû de 350 % (de 10 à 35/an).

Ces espèces sont non seulement nuisibles aux espèces autochtones avec lesquelles elles entrent en concurrence en menaçant leurs niches écologiques mais peuvent l'être également pour l'homme.

Par exemple :

- les phytotoxines émergentes dont le cas a été évoqué ci-dessus ;

- un poisson toxique de la zone indo-pacifique, découvert en 2003, a conquis le bassin oriental jusqu'au Nord de la mer Egée ; entre 2005 et 2008, treize personnes ont été intoxiquées en Israël pour en avoir consommé.

Le CIESM mène actuellement un programme de surveillance de la progression de ces espèces et du recul des espèces autochtones.

8. Les pollutions liées au trafic maritime

La nature des pollutions engendrées par le trafic maritime est multiple.

Même si votre rapporteur a concentré ses travaux sur la plus importante d'entre elles, celle liée aux hydrocarbures, on se gardera d'oublier que la contamination de la mer par les navires peut concerner :

- les produits chimiques liquides ou en colis (qui sont traités par les annexes II et III de la Convention MARPOL) ;

- les eaux usées (annexe IV de la Convention MARPOL) ;

- les déchets solides (annexe V de la Convention MARPOL) ;

- la pollution de l'atmosphère (annexe VI de la Convention MARPOL) ;

- et, les eaux de ballast qui sont visées par une convention spécifique de l'OMI, datant de 2004 mais qui n'est pas entrée en vigueur.

Les pollutions par les hydrocarbures résultent, elles-mêmes, de plusieurs causes :

- les accidents mettant en cause des pétroliers ou le pétrole contenu dans les cuves des autres navires - on rappellera ce qui a été dit précédemment sur le gigantisme des portes-conteneurs et des navires de croisières qui comporte des risques proportionnels à l'importance de la contenance de leurs cuves (plus de 20 000 m 3 quelquefois),

- les incidents liés aux manoeuvres portuaires,

- et la pollution chronique provenant de rejets volontaires mais aussi de fausses manoeuvres.

Le constat que l'on peut faire est que ces trois catégories de contamination par les hydrocarbures sont présentes en Méditerranée, en dépit d'un encadrement juridique renforcé et d'une progression des moyens techniques dévolus à leur contrôle.

a) Les données disponibles sur la pollution par les hydrocarbures

Les accidents en mer

Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que la Méditerranée n'avait pas de culture d'accidents pétroliers en mer.

C'est compréhensible si l'on considère qu'elle n'a connu qu'un seul accident pétrolier majeur, le naufrage du pétrolier Haven, au large de Gênes.

La cargaison de ce navire était importante (141 000 tonnes, soit la moitié de celle de l'Amoco Cadiz), mais, constituée d'huiles lourdes, elle n'est pas remontée des fonds.

Les incidents portuaires

Une partie de la pollution résulte d'incidents de chargement/déchargement des pétroliers dans les ports mais, sur longue période, ils sont en diminution, en dépit de la croissance du trafic pétrolier .

La pollution chronique

Elle concerne les rejets opérationnels illicites 45 ( * ) qui proviennent de différentes origines :

- les eaux de cale : les milliers de mètres de tuyauterie, les milliers de connexions qui assurent la propulsion des grands navires fuient et ces fuites dérivent dans les cales.

Ces eaux de cale dont le volume peut dépasser 20 m 3 par jour sont polluées par les hydrocarbures. La plupart des navires de plus de 400 tonneaux sont dotés de caisse à résidus d'hydrocarbures d'une dimension adaptée à l'exploitation du bâtiment. Ces navires sont également tenus d'avoir un séparateur qui filtre les hydrocarbures contenus dans les eaux de cale avant de les transférer dans ces caisses à résidus ;

- les boues résiduelles : les grands navires brûlent un fioul lourd de qualité médiocre qui, pour 1 à 2 %, se transforme en boues qui doivent être évacuées avec les huiles de graissage vers des caisses à boues ;

- les résidus d'hydrocarbures provenant de la cargaison : lorsque des navires citernes transportent des hydrocarbures, il se forme des résidus de cargaison qui obligent à laver la cuve s'il y a changement du type de cargaison pétrolière.

Antérieurement, ces résidus étaient transférés dans les ballasts et déversés en mer, ce qu'on a appelé le dégazage.

La situation sur ce point s'est améliorée :

- du fait de l'implantation de ballasts séparés ;

- et grâce à la mise en oeuvre d'une technique de nettoyage des cuves au port par de la vapeur à haute pression, lors des changements de cargaisons.

En principe, l'ensemble de ces résidus doit être évacué dans les ports et traité dans les installations ad hoc .

Or, soit par manque de temps, le coût d'immobilisation d'un navire est élevé, insuffisance d'équipement portuaire ou choix délibéré, une partie de ces résidus est déversée en mer.

La quantification de ces rejets illicites en mer est, par nature, difficile à évaluer. L'estimation en varie de 100 000 (PAM) à 200 000 tonnes par an (FIPOL).

Les données de l'observation satellitaire permettent d'en visualiser l'importance :

Localisation et densité des rejets illicites d'hydrocarbures en Méditerranée en 2004

Source : Commission européenne/Centre Commun de Recherche http://serac.jrc.it/index.php?option=com_content&task=view&id=42&Itemid=89

b) Des moyens de lutte qui se renforcent

Qu'il s'agisse de la prévention des accidents majeurs, de la lutte contre leurs effets ou de la lutte contre les pollutions chroniques, on peut observer depuis une trentaine d'années un étoffement des dispositifs juridiques et techniques.

(1) Les dispositifs juridiques

Dans ce domaine, il existe une constante : aussi bien l'élaboration de normes de droit plus efficaces que leur mise oeuvre se sont déployées par paliers successifs, en réponse aux fortunes de mer intervenues depuis l'accident du Torrey Canyon en 1967.

Le droit applicable

Il n'entre pas dans la mission de votre rapporteur de faire un état complet d'un droit multiforme et complexe ; il se bornera donc à exposer rapidement l'essentiel des textes qui, peu à peu, ont encadré le trafic maritime en relevant que ces avancées progressives se sont imposées sur un fond juridique très marqué par la liberté de navigation dans les eaux internationales 46 ( * ) .

La convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay 1982)

Ce texte confie notamment à l'Etat victime de faits de pollution, commis dans la limite de sa zone économique exclusive (ZEE), la possibilité de diligenter des poursuites.

Mais il laisse à l'Etat du pavillon celle de demander, dans les six mois, la suspension des poursuites, s'il en engage lui-même. Ceci sous réserve :

- de la gravité des dommages causés à l'Etat côtier ;

- des manquements de l'Etat du pavillon à son obligation d'assurer l'application des normes internationales à la suite d'infractions causés par ses navires.

En outre, la convention élargit le champ des recherches en responsabilité consécutivement à un dommage ; celui-ci n'est plus limité au seul capitaine mais s'étend à l'armateur.

La convention internationale pour la prévention de la pollution par les hydrocarbures par les navires de l'OMI (MARPOL)

L'annexe I de cette convention dispose des règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures.

Cette annexe, qui est régulièrement actualisée, a introduit des exigences particulières sur le transport d'hydrocarbures :

- obligation de tenue d'un registre sur les hydrocarbures ;

- restriction de transfert des eaux de ballast dans les citernes à combustibles,

- interdiction de rejets d'eaux usées comportant plus de 15 ppm 47 ( * ) d'hydrocarbures ;

- obligation d'avoir des installations de réception portuaires des effluents des caisses à résidus ou à boues ;

- obligation depuis 1992 de construire des pétroliers à double coque ;

- et, exigence concernant les enquêtes et les inspections.

La convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les gens de mer (2006)

Cette convention regroupe 65 textes antérieurs de l'OIT et concerne 1,2 million de marins dans le monde. Elle contient des dispositions propres à améliorer la sécurité et à prévenir les accidents. Et, en particulier :

- la nécessité d'effectifs suffisants (en quantité et en compétences) pour faire face à toutes les situations ;

- et l'obligation pour l'équipage de pratiquer une langue commune.

Le protocole de la Convention de Barcelone concernant la coopération dans la lutte contre la pollution de la mer par les hydrocarbures et autres substances dangereuses (1976 - révisé en 2002)

La Convention de Barcelone a été le premier accord de protection des mers régionales (on en compte maintenant 14 gérés par le Programme des Nations Unies pour l'environnement).

Dans sa version initiale (1976), elle prévoyait l'établissement :

- d'un plan d'urgence,

- d'un système de surveillance des polluants,

- d'un échange d'information avec une obligation de notification des faits de pollution.

La version de 2002 reprend ces dispositions conventionnelles et les complète par :

- la mise en place de plans d'urgence à bord des navires,

- l'identification de zones refuges pour les navires désemparés,

- l'installation d'équipements portuaires de nettoyage des soutes,

- l'évaluation des risques environnementaux liés au trafic maritime (mais comme il n'y a pas d'obligation d'information sur ce point, le REMPEC passe par la Lloyd's),

- la mise en place d'accords sous-régionaux de coopération (accords généraux comme la convention de 1990 complétée en 2000 pour les produits chimiques) qui prévoient l'institution du plan commun de lutte (accord RAMOGE (Malte, France, Italie), accord de 1993 (Chypre, Israël, Egypte) accord technique France/Espagne qui a été « raccroché » à RAMOGE, accord des pays du Maghreb, pas encore en vigueur).

Etat d'adoption de plans d'urgence national et plans d'urgence sous-régionaux, 2009

Les directives de l'Union européenne

L'Union européenne n'a acquis une compétence en matière de sécurité maritime environnementale qu'à compter de l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht.

Depuis, elle s'est efforcée de définir des normes communes qui appliquent et, dans certains cas, renforcent les règles de l'OMI.

Dès 1995, la Directive 95/21 a renforcé le contrôle de l'Etat du port en introduisant, en particulier, le bannissement des escales européennes des navires non-conformes aux standards des règles OMI. Mais ce sont surtout deux textes, la Directive 2009/116 et la Directive 2009/123, qui font converger le droit applicable de l'Union tant en matière de prévention que de poursuites en cas de pollution maritime.

Le renforcement du contrôle de l'Etat du port (directive 2009/16)

Ce texte renforce les dispositions du mémorandum de Paris de 1982, adopté à la suite du naufrage de l'Amoco Cadiz.

Si le premier échelon de contrôle de la navigabilité des navires relève de l'armateur et de l'Etat du pavillon qui délivre les certificats statutaires, le contrôle de l'Etat du port constitue une seconde ligne de défense .

Le nouveau régime de contrôle institué par la Directive d'avril 2009 est entré en vigueur au 1 er janvier 2011.

Il définit trois profils de risques (haut, moyen, faible) présentés par les navires en fonction de paramètres liés au type du navire, à son âge, à son pavillon et à l'historique éventuel des incidents qu'il a enregistrés.

En fonction de ces risques, il prévoit des inspections régulières, à des intervalles entre six mois et trois ans.

De plus, il définit un régime d'inspection prioritaire quand le navire a été signalé par le système MARPOL et d'inspections imprévues (en cas d'incident ou de plainte d'un marin).

L'inspection doit être renforcée dans le cas de navires à profil de risque élevé, âgé de plus de 12 ans, ou ayant déjà fait l'objet d'un refus d'accès.

Enfin, il établit un régime de bannissement provisoire progressif (3 mois, un an, deux ans) puis définitif des eaux européennes.

La sélection des navires à inspecter est fournie par le système commun « Thétis » qui repose sur les données d'escale des ports européens.

L'obligation d'imposer des sanctions pénales en cas de rejets illicites et l'extension du champ de la responsabilité

La directive 2009/123 modifiant la directive 2005/35 relative à la pollution par les navires et à l'introduction de sanctions pénales :

- pénalise les rejets de substances polluantes visées par la Convention MARPOL ;

- fait obligation aux Etats membres d'établir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ;

- et introduit une responsabilité pénale des personnes morales dont la définition large permet d'évoquer non seulement la responsabilité de l'armateur, mais aussi celle des affréteurs.

La mise en oeuvre des outils juridiques

Au total, le socle de normes édictées pour prévenir les faits de pollution par les hydrocarbures (règles sur la construction des navires, contrôle de l'Etat du port) et les réprimer constitue un dispositif, qui, en théorie pourrait être efficace.

Le problème est, qu'en Méditerranée, seule la France et, à un moindre degré, l'Espagne (depuis le traumatisme du Prestige) se sont dotées d'instruments complets de mise en oeuvre de ces dispositions.

En France, l'organisation de la répression des rejets illicites d'hydrocarbures et de la lute contre les conséquences d'accidents en mer, repose sur trois piliers.

Une autorité unique, le préfet maritime, chargé de prendre toute mesure conservatoire :

- pour dérouter et immobiliser le temps de l'enquête les bateaux soupçonnés de rejets illicites ;

- pour enclencher la procédure de « mise en demeure » qui lui permet de se substituer au commandant d'un navire présentant des dangers pour la côte. Cette procédure est appliquée environ une quinzaine de fois par an en Méditerranée. La Préfecture maritime de Toulon peut disposer, en vue de cette mission, d'un remorqueur lourd « Abeille-Flandres », basé à Marseille ;

- et pour organiser les secours en cas d'accident.

Une surveillance principalement prise en charge par les douanes

En l'attente de la constitution de la fonction « garde-côte » qui permettra d'unifier les missions de surveillance 48 ( * ) dans la ZPE (zone de protection de l'environnement créée en 2004 en Méditerranée), l'essentiel de la détection des pollutions par les hydrocarbures repose sur le dispositif des douanes .

En Méditerranée, ce dispositif regroupe :

- trois avions VIGILANT de surveillance générale ;

- deux hélicoptères C135 de surveillance du trafic ;

- et un avion POLMAR de repérage de la pollution qui accomplit 600 heures de mission par an.

Grâce à des moyens techniques appropriés (cf. infra), la surveillance peut s'effectuer de nuit.

Le quota général d'heures de vol semble assez faible (11 500 h de vol par an 49 ( * ) pour l'Atlantique et la Méditerranée), soit annuellement 164 heures de vol par pilote.

Ce dispositif va être renforcé d'ici 2015 grâce à la substitution à la flotte actuelle de huit avions polyvalents qui, en pleine charge, permettront de multiplier par 4 les surfaces surveillées.

La mise en oeuvre de l'organisation des poursuites

La poursuite et la répression des rejets illicites d'hydrocarbures sont codifiées aux articles L.218-10 à L.218-24 du code de l'environnement.

La sanction de ces délits est très lourde (jusqu'à 1 million d'euros pour un rejet illicite simple) et elle peut atteindre 10 ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende.

Par ailleurs, l'administration de la preuve est libre aux termes de l'article 427 du code de procédure pénale. Dans ce domaine, elle repose sur les « codes d'apparence » des accords de Bonn, qui permettent de qualifier l'infraction sur la base d'une photographie aérienne faisant apparaître des traces d'hydrocarbure 50 ( * ) .

Mais, surtout, depuis 2002 trois juridictions spécialisées ont été créées : Brest, Le Havre et Marseille.

Actuellement, la Chancellerie :

- assure un rapprochement avec les autres services français de lutte antipollution (en particulier avec les douanes en vue de l'élaboration d'un guide de méthodologie pour assurer la mise en oeuvre des poursuites dans de bonnes conditions) ;

- et, s'efforce de constituer un réseau de procureurs avec 14 pays méditerranéens dont l'objectif est de faire converger les incriminations mais surtout les pratiques (par exemple, en vue d'établir un procès-verbal de constatation unique, ce qui est important, car les juridictions françaises ont admis récemment des éléments de preuve provenant d'une observation effectuée par un avion espagnol).

(2) Les améliorations technologiques

La surveillance aérienne

De jour comme de nuit, les détections effectuées par les avions POLMAR reposent sur un faisceau de technologies :

- un radar SLAR qui repère les rejets - quelle que soit leur origine - dans un rayon de 35 km de par et d'autre de l'axe de navigation,

- un scanner infrarouge (ultraviolet de jour) qui permet de qualifier la nature du rejet,

- et une caméra puissante qui identifie le navire délictueux.

L'ensemble de ces photos constitue un faisceau d'indices qui peut être complété, le cas échéant, par les transpondeurs AIS donnant la position du navire et permet de qualifier l'illégalité du rejet.

L'observation satellitaire

La détection des pollutions

Actuellement, l'Agence européenne de sécurité maritime gère, en temps réel, un système d'observation satellitaire qui délivre, trente minutes après le passage du satellite sur zone, des photos aux autorités nationales chargée de lutte contre la pollution. Mais l'efficacité de ce système n'est pas assurée (par exemple, en 2009, 50 clichés, 40 exploitables et une seule détection de fait de pollution).

De facto , ce dispositif de surveillance satellitaire est très insuffisant.

D'une part, les conditions de la détection des nappes et des bateaux sont différentes :

- pour détecter les nappes, il ne faut pas de mer « d'huile » et une résolution de 300 à 500 km suffit ;

- pour détecter les bateaux (et avoir quelques données sur leurs caps), il faut une mer plate et une résolution de 50 m.

Par ailleurs, il faut rappeler :

- qu'un satellite ne fonctionne que 10 mn sur une orbite d'1 heure 40 ;

- qu'en mode général, un satellite ne « revisite » une zone que tous les 4 à 5 jours et qu'une demande de recherche de navires prend 6 à 8 heures pour réorienter l'antenne (si le satellite n'est pas dédié à d'autres usages).

La détection satellitaire est donc, en l'état, très aléatoire.

Pour avoir une couverture complète des océans, il serait nécessaire de coupler :

- une constellation de 4 satellites (BFR - basse fréquence de résolution) qui ont une fauchée plus large. (Pour la Méditerranée, cela permettrait deux passages par jour et de détecter 90 % des bateaux de plus de 40 m (pour un coût de 600 millions d'euros et 200 millions d'euros pour les lancements) ;

- une constellation de 6 satellites détectant les signaux AIS 51 ( * ) des navires (couverture mondiale, temps de revisite : 1 h 30).

La surveillance des dérives de nappes

Couplés avec les données de l'océanographie spatiale, les systèmes satellitaires peuvent fournir des prévisions de dérives assez précises, comme dans le cas de l'incident du Golfe du Mexique :

Le marquage des hydrocarbures

L'identification des hydrocarbures de la traînée des navires polluants pourrait être un élément complémentaire de preuve (en particulier, pour les nappes orphelines).

Mais il suppose le déploiement d'un dispositif lourd de prélèvements et d'analyses.

Aussi, dans ce domaine, votre rapporteur se bornera-t-il à évoquer les pistes actuellement à l'étude :

- les marqueurs allogènes qui ont le défaut d'être toxiques ;

- les marqueurs ADN :

par ADN de synthèse qui fonctionne en laboratoire mais dont la survie en mer n'est pas assurée ;

par les bactéries qui présentent le défaut d'encrasser les filtres.

Les installations de sécurité passive

La sécurité passive a pour but de répondre à certaines situations en cas d'accident et, en particulier, d'identifier rapidement les circuits de pompage des cuves en cas de naufrage.

Ce sont des dispositifs de vidage d'urgence des cuves et réservoirs, installés directement à bord des navires. Ils assurent, en permanence, une accessibilité à toutes les cuves. Concrètement, il s'agit d'équiper chaque cuve ou soute à combustibles des navires de deux circuits de sécurité. Ces circuits sont immédiatement accessibles sur le pont du navire, avec une signalétique appropriée, pour les identifier rapidement au cas où le navire serait coulé en grande profondeur.

Actuellement, ces systèmes équipent ou sont en voie d'installation sur 35 navires.

Une étude effectuée par le Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) montre que, si ces systèmes avaient été installés sur des bateaux ayant fait naufrage dans les années antérieures, il en aurait résulté un gain de temps et donc une forte diminution des pollutions engendrées par ces fortunes de mer.

Source : Cedre

c) des résultats en progression mais encore insuffisants

Une diminution des rapports de pollution dans la Zone de protection écologique française (ZPE)

La mise en place du dispositif français (législation répressive, juridiction spécialisée, systémisation des actions de surveillance des douanes) a abouti à une diminution de 70 % des rapports de pollution 52 ( * ) (POLREP).

Au total (Atlantique et Méditerranée) sur la période 2000-2009, 45 rejets illicites ont été contrôlés par les douanes et 31 capitaines ont fait l'objet de condamnations à des peines d'amende.

En Méditerranée, sur une période plus récente, on a enregistré :

- en 2008, 179 POLREP, et 2 procès-verbaux,

- en 2009, 134 POLREP et 2 procès-verbaux.

Sur la même période, 148 procès-verbaux ont été dressés en Atlantique. Les douanes estiment que cela est imputable à la croissance dans l'espace maritime méditerranéen d'un trafic d'huiles végétales (olive, palme) dont les rejets ne sont pas illicites et dont il est malaisé, en l'état actuel des techniques, de différencier les effluents de rinçage des cuves de celles des hydrocarbures.

On notera qu'il existe deux zones sensibles, l'ouest corse - le cabotage des navires italiens est peu surveillé par les autorités italiennes - et l'axe Gênes-Barcelone :

Un dispositif dont la réalisation reste incomplète

L'amélioration de la situation dans la ZPE française ne doit pas masquer une réalité : le dispositif juridique robuste construit peu à peu pour lutter contre les rejets illicites ne vaut que s'il est mis en oeuvre par les Etats riverains qui s'y sont engagés ; ce qui est loin d'être le cas.

Et, on a pu constater, à la suite du durcissement de ce dispositif, un déport des rejets illicites vers le sud du bassin dont les réseaux de surveillance sont moins actifs.

Ces différences d'application de normes internationales, pourtant librement acceptées, visent assez largement les Etats du Sud (absence d'installations portuaires d'élimination des résidus d'eaux usées de cales et de boues, certificats de navigation délivrés « très librement », etc.).

Mais on peut aussi l'observer au Nord :

- dans certains Etats européens, l'application de la Directive 2009/123 établit des peines qui ne sont pas proportionnelles à la gravité des dommages causés par les pollutions aux hydrocarbures ;

- d'autres Etats européens n'ont pas mis en application les dispositions du protocole de la Convention de Barcelone, prévoyant d'informer les parties en cas de pollution dans les eaux situées sous leur juridiction.

C'est le cas de l'Italie qui, en 2010, n'a pas prévenu la France d'un incident pétrolier intervenu dans le port de Gênes et, à la suite duquel une nappe de 200 tonnes a été portée par le courant ligure vers les côtes françaises.

Il est vrai qu'en fonction d'un droit moins unifié que le nôtre, l'autorité responsable était la capitainerie du port de Gênes...

A côté de ces manquements à l'application du droit, un autre problème émerge : la lenteur relative des fusions des systèmes d'information.

Si, grâce au réseau Thétis, celle-ci est effective dans l'espace européen pour l'exercice du contrôle de l'Etat du port, il n'en est pas de même de la surveillance de la navigation en mer.

En l'état, plusieurs systèmes coexistent : le déploiement des radars côtiers de la marine nationale (mais dont la portée est réduite à 20 millesnautiques), le VTS pour les approches des ports, l'AIS (automatic identification system) dont les balises donnent des informations toutes les 12 secondes mais ne portent que jusqu'à 50 nautiques, et le système LRIT géré par l'OMI, qui repose sur un déploiement satellitaire et donne l'identification et la position des navires sur tous les océans, mais seulement toutes les six heures).

La DCSN (ex Direction des constructions navales) travaille en collaboration avec l'Union européenne pour constituer un logiciel fusionnant l'ensemble de ces données et intégrant des capacités de discrimination pour identifier les comportements à risque.

*

* *

Au total, cet aperçu de l'état de la contamination de la Méditerranée permet d'avancer les constats suivants :

1. les champs de contamination de cette pollution sont inégalement explorés :

- le littoral l'est beaucoup plus que la côte et la côte plus que les grands fonds,

- le Nord plus que le Sud,

- les molécules polluantes les plus connues plus que les molécules émergentes.

2. la contamination des milieux est très réelle mais contrastée :

- au Nord, l'ombre portée des polluants persistants interdits depuis une ou plusieurs décennies est indéniable, même si on commence à observer les effets de ces interdictions ;

- au Sud, compte tenu de la faiblesse relative des réseaux d'assainissements, les pollutions organiques sont marquées, de même que les pollutions chroniques imputables à l'industrie et à un usage généreux des pesticides ;

3. L'implication des autorités est différente au Nord et au Sud, compte tenu de l'état de développement et des priorités affichées. Ceci aussi bien en matière de surveillance que d'effort de recherche.

4. En matière de recherche sur la pollution, la terre commande la mer . Dans les pays de l'Union européenne, l'effort de recherche sur les polluants demeure massivement concentré sur les eaux continentales.

Cette situation implique que l'on analyse assez précisément les structures de gouvernance de la lutte antipollution mises en place depuis une trentaine d'années.


* 45 Ces rejets ne reposent pas toujours sur une intention délictuelle ; ils peuvent résulter de manoeuvres non maîtrisées, d'un mauvais fonctionnement des équipements concernés, ou même d'un simple lavage de pont.

* 46 Au fond, à part la traite (Traité de Vienne) et la piraterie, l'usage de la haute mer est resté entièrement libre jusqu'à la seconde guerre mondiale.

* 47 Ppm : partie par million.

* 48 Qui sont beaucoup plus larges que l'action de détection des rejets illicites (lutte contre la drogue, lutte contre l'immigration illégale, contrôle du trafic, etc.).

* 49 Coût de l'heure de vol : ? 2 100 €.

* 50 Plus précisément, « la première trace d'hydrocarbure devient visible lorsque la teneur en hydrocarbure dans l'eau atteint 60 ppm ». Rappelons que les déversements sont interdits au-dessus de 15 ppm.

* 51 Le système AIS ne permet de détecter les transpondeurs que jusqu'à 50 nautiques des côtes.

* 52 Ces rapports de pollution ne s'identifient pas nécessairement à des rejets illicites ; le seul lavage d'un port peut aboutir à rejeter 20 litres d'huile dans la mer qui produisent une trainée de plusieurs kilomètres.

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