CHAPITRE III : UNE GOUVERNANCE DE LUTTE ANTIPOLLUTION ENCORE TROP DISPERSÉE

La géographie semi-fermée du bassin méditerranéen, le faible brassage de ses eaux, leur renouvellement en un siècle, rendent ses milieux marins plus vulnérables aux pollutions chroniques que ceux de l'océan.

Les courants qui déplacent les pollutions autour du bassin devraient commander, encore plus qu'en Atlantique, une forme de solidarité entre les Etats riverains.

Dans cet esprit, des politiques de coopération ont été mises en oeuvre.

Mais un des paradoxes de cette gouvernance commune est, qu'au fil des temps, les échelons de coopération se sont amoncelés sans que cette profusion d'interventions renforce de façon décisive les réponses communes à la progression de la pollution dans le bassin.

A. LE RÔLE PRÉDOMINANT DES ETATS

La mer demeure principalement gouvernée par ses Etats riverains, comme l'est son droit, essentiellement conventionnel, dont l'application dépend de ces Etats.

L'importance de la souveraineté des Etats est d'autant plus forte dans le domaine de l'environnement que la majeure partie de la pollution de la mer est d'origine tellurique et que la plus grande partie de cette contamination affecte le littoral et la zone située à l'intérieur de la limite des 12 milles nautiques, fixée pour la définition des eaux territoriales.

Le niveau de pollution du bassin dépend donc, en première instance, des politiques menées en interne par les Etats.

Mais il est aussi pendant à l'implication de ces Etats dans les politiques d'ensemble qui sont conduites sur cet espace.

Dans ces deux cas, on a observé que ni les degrés de priorité, ni les efforts de mise en oeuvre d'un droit répressif, ni même le fait de remplir les obligations d'accords internationaux n'étaient les mêmes, entre la rive Nord et les rives Sud et Est, mais aussi parmi les Etats riverains de ce dernier ensemble.

Cet état de fait introduit des facteurs d'incertitudes et des zones de faiblesse dans la gouvernance commune de la lutte anti-pollution.

B. LES ÉBAUCHES DE GOUVERNANCE COMMUNE DE LA LUTTE ANTI-POLLUTION

1. La gouvernance politique
a) Le dispositif de la convention de Barcelone et le plan d'action méditerranéen (PAM)

Les obligations des parties

Conclue en 1976 et modifiée en 1995, la convention de Barcelone regroupe 21 Etats riverains, plus l'Union européenne qui y a adhéré en 2004.

Les parties signataires de la convention prennent, individuellement ou conjointement, toutes les mesures nécessaires pour protéger et améliorer le milieu marin dans la zone de la mer Méditerranée en vue de contribuer à son développement durable, et pour prévenir, réduire et combattre, et dans toute la mesure du possible, éliminer la pollution dans cette zone.

Quatre formes de pollution demandent une attention particulière des parties signataires :

- la pollution due aux opérations d'immersion effectuées par les navires et les aéronefs ;

- la pollution par les navires ;

- la pollution résultant de l'exploration et de l'exploitation du plateau continental, du fond de la mer et de son sous-sol ;

- la pollution d'origine tellurique.

La convention prévoit un mécanisme de coopération et d'information entre les parties en cas de situation critique génératrice de pollution dans la zone de la mer Méditerranée, en vue de réduire ou d'éliminer les dommages qui en résultent.

Les parties s'efforcent également d'instituer un système de surveillance continue de la pollution.

La convention initiale a été complétée par plusieurs protocoles :

- protocole relatif à la prévention de la pollution par les opérations d'immersion effectuées par les navires et aéronefs ;

- protocole relatif à la coopération contre la pollution pour les hydrocarbures et autres substances nuisibles en cas de situation critique ;

- protocole relatif à la protection de la mer contre la pollution d'origine tellurique. Ce protocole, qui énumère les substances dont le rejet est interdit ou soumis à autorisation, prévoit, en outre, une coopération dans le domaine de la recherche ;

- protocole relatif aux aires marines protégées ;

- protocole relatif à la coopération en matière de prévention de la pollution, et, en cas de situation critique, de lutte contre la pollution ;

- protocole relatif à la protection contre la pollution résultant de l'exploration et de l'exploitation du plateau continental et des fonds marins ;

- protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières (GIZC).

Le plan d'action Méditerranée

Le plan d'action Méditerranée (PAM) a pour objet de soutenir les objectifs poursuivis par les parties contractantes à la convention de Barcelone dont la réunion constitue l'organe décisionnel.

Une unité de coordination basée à Athènes en assure le secrétariat.

Cette unité gère, en outre, deux programmes :

- le programme « MEDPOL » (lutte contre la pollution en Méditerranée), dont l'objet principal est d'encourager et de regrouper les efforts menés par les Etats pour la surveillance de la pollution ;

- et le programme « sites historiques côtiers ».

Elle contrôle aussi la gestion de plusieurs centres régionaux :

- le Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine (REMPEC) qui est basé à Malte ;

- le Plan Bleu, basé à Sophia Antipolis, qui est dédié à l'observation d'ensemble des paramètres qui commandent la durabilité de développement et qui s'efforce, dans une approche prospective, de développer les échanges d'informations entre Etats ;

- le Centre d'activité, situé à Split, qui produit des études sur la gestion intégrée des zones côtières ;

- le Centre d'activité pour les aires spécialement protégées, installé à Turin, qui aide les Etats contractants à mettre en oeuvre le Protocole relatif aux aires protégées ;

- et le Centre d'activité pour une production propre, à Barcelone, dont le rôle est de promouvoir la prévention de la pollution dans le secteur industriel.

Un bilan en demi-teinte et une inquiétude

Après plus d'une trentaine d'années d'existence, on peut s'interroger sur le bilan de la Convention de Barcelone qui a, pourtant, peu à peu déployé un dispositif conventionnel imposant.

Au total, les progrès enregistrés sont inégaux :

- très lents en ce qui concerne l'évaluation de la pollution du bassin par le Medpol qui a mis une trentaine d'années à produire des informations pas toujours fiables, faute de coopération des Etats membres ;

- difficile à évaluer pour ce qui concerne la mise en oeuvre d'aires marines protégées. Dans ce domaine, il existe un contraste entre les intentions proclamées de création de parcs, leur réalisation et l'efficacité de ces zones -on dénombre ainsi de nombreux « parcs de papier » aux obligations très tenues et à la surveillance inexistante ;

- réels en ce qui concerne les travaux d'étude menés dans le cadre du « Plan bleu » qui ont permis d'avoir un aperçu des grandes lignes d'évolution économique et démographique des Etats riverains et de mettre en évidence les interrelations entre celles-ci et la pollution ;

- encourageants si l'on considère l'action du REMPEC 53 ( * ) , chargée de la lutte contre la pollution maritime.

Votre rapporteur n'impute aucunement aux responsables du PAM les insuffisances des progrès de la lutte antipollution en Méditerranée . Mais les difficultés rencontrées par le PAM proviennent du fait que l'efficacité de son action repose uniquement sur le bon vouloir des Etats signataires qui ne se sentent pas toujours liés par les conventions internationales qu'ils ont signées et ratifiées.

Qu'il s'agisse de la création d'aires marines protégées, de la création de zones de protection environnementales, de la mise en place des structures de gestion intégrée des zones côtières, du bon fonctionnement des stations d'épuration, de l'installation d'équipements portuaires de traitement des résidus, ou du rapprochement des procédures et des sanctions en cas de pollution marine constatée, l'action des Etats ne suit pas toujours les progrès du droit .

Par voie de conséquence, la gouvernance juridique de la surveillance de la lutte contre la pollution sur l'ensemble du bassin reste embryonnaire et dispersée.

Parallèlement, on peut concevoir quelque inquiétude sur l'avenir du PAM . Le contexte budgétaire actuel des principaux pays contributeurs (ceux de la rive Nord), porte à une restriction des moyens financiers de cette structure, alors même que les protocoles qu'elle est chargée de faire respecter se multiplient.

Mais l'avenir de la structure ne peut être examiné que dans le cadre d'une réorganisation de la gouvernance politique de la lutte contre les pollutions sur l'ensemble du bassin, ce qui conduit à évoquer les modes de l'intervention de l'Union européenne (qui est également membre du PAM) dans ce domaine.

b) L'intervention de l'Union européenne

On doit rappeler ici que le principal acquis de l'Union européenne en matière de protection de l'environnement ne s'applique pas uniquement à la Méditerranée, ni même spécifiquement au milieu marin.

La construction progressive d'un droit convergent de l'environnement reposant principalement sur des directives et dont l'application insuffisante ou la méconnaissance peut être sanctionnée par la Cour de Justice de l'Union a marqué un progrès majeur dans ce domaine.

L'espace méditerranéen en a bénéficié comme les autres aires géographiques européennes.

Mais, l'Union européenne dispose d'instruments d'actions diversifiés, qui peuvent être utilisés plus directement pour résoudre les problèmes environnementaux propres au bassin :

• L'Agence européenne de l'environnement (AEE)

Cette agence, installée à Copenhague, est une instance d'étude et de mise en commun de l'information environnementale européenne.

• L'Agence européenne de sécurité maritime (AESM)

Créée à la suite des naufrages de l' « Erika » (1999) et du « Prestige » (2002), elle est active dans plusieurs domaines :

- la définition du nouveau régime de contrôle de l'Etat du port (cf. supra) et la promotion d'activités de formation des inspecteurs portuaires de certains pays ;

- l'application de la directive de 1999 sur le classement des sociétés de classification auxquelles recourent les Etats du pavillon ;

- la mise en oeuvre d'un réseau des navires, d'équipements et de ressources destinés à faire face aux pollutions accidentelles par les hydrocarbures (6 de ces navires peuvent être utilisés en Méditerranée) ;

- la gestion du système « Cleanseanet » (2007) qui diffuse des images satellitaires des rejets illicites d'hydrocarbures ;

- la gestion du réseau « Safeseanet » (2008) qui permet de localiser les navires grâce au système AIS (qui exclut jusqu'ici la haute mer) et fournit les historiques d'accidents enregistrés par les navires. L'agence relaie auprès de tous les Etats membres les données du système satellitaire (LRIT) géré par l'OMI (qui donne une position des navires, y compris en haute mer toutes les six heures).

• Les facilités d'investissement du voisinage

Dans ce cadre, le programme MEDA (destiné aux pays méditerranéens), qui s'applique à tous les aspects du développement et donc à l'environnement est conçu pour amplifier les effets de levier d'autres aides (Banque européenne d'environnement, Banque mondiale, Agence française de développement, Konzern für Wirtschaft allemand).

Cette aide est délivrée sous forme de dons qui permettent de financer l'assistance technique ou des bonifications d'intérêts.

• La Banque européenne d'investissement (BEI)

Depuis la création de la facilité euro-méditerranéenne d'investissement (FEMIP) en 2002, la BEI a financé de nombreux projets dans les domaines de l'investissement (assainissement des eaux domestiques et industrielles, dépollution de sites industriels, équipements de traitement des déchets).

Entre 2003 et 2009, sur 10 milliards d'euros de financement sur la zone, la Banque a apporté un concours de 1,5 milliard d'euros aux projets d'amélioration de l'environnement.

Elle prête à hauteur de 50 % du montant des investissements concernés et uniquement au-dessus de 25 millions d'euros 54 ( * ) .

Actuellement, l'institution est associée au programme « Horizon 2020 » qui vise à réduire le nombre de « produits chauds » de pollution en Méditerranée.

Dans ce cadre, 78 projets nationaux ont été identifiés dont 29 (pour un montant finançable de 1,9 milliards d'euros) n'avaient pas de financement assuré.

La répartition de ces projets en volume financier est la suivante :

- 53 % concernent les eaux industrielles ;

- 30 % les eaux domestiques ;

- 11 % les déchets ;

- et 6 % des projets intégrant ces 3 dossiers.

In fine, 9 projets ont été sélectionnés et divisés en deux phases (en fonction de leur degré de maturation).

La première vague concerne 5 projets à achever vers 2013-2014 avec un soutien de la BEI d'environ 235 millions d'euros :

- la réhabilitation industrielle d'un site en Israël ;

- la gestion des déchets en Jordanie ;

- l'assainissement des eaux usées au Liban ;

- la gestion des déchets à Tanger ;

- la dépollution industrielle du lac de Bizerte.

L'appréciation que l'on peut porter sur cette action est positive mais appelle les observations suivantes :

- assez logiquement, la BEI ne finance que des dossiers très achevés techniquement. Cela aboutit à privilégier les pays les plus structurés sur ce point qui ne sont pas toujours ceux où les problèmes de pollution sont les plus aigus. Par exemple, sur les projets de la « vague 1 » de l'action « Horizon 2020 », Israël s'est vu attribuer 40 % de l'enveloppe, alors que son niveau de développement économique et scientifique ne justifie pas un tel degré de priorité de la lutte antipollution, par rapport à d'autres pays.

- par ailleurs, si l'utilisation des fonds de la facilité de voisinage permet de subventionner une partie de l'assistance technique pour monter les projets, l'intervention de la banque ne déborde pas sur le fonctionnement dans la durée des installations qu'elle contribue à financer.

A titre d'illustration en matière d'assainissement, dans la logique libérale de l'institution, la gestion de l'équipement doit être confiée à des opérateurs qui feraient inclure le coût de l'assainissement dans le prix de l'eau. Ce schéma théorique correspond assez peu aux réalités de terrain de gouvernements qui subventionnent très fortement les usages domestiques et industriels de l'eau. Il ne serait pas inutile d'essayer de mettre en oeuvre un support financier d'intervention permettant d'assurer le bon fonctionnement dans la durée de ces investissements.

Enfin, la BEI réfléchit conjointement avec la Banque mondiale à des structures de financement d'équipements diminuant les effets du changement climatique sur lesquels les retours d'investissement peuvent être très longs (30 ans ou plus).

• La coopération bilatérale avancée

L'Union européenne a conclu avec certaine pays de la rive Sud des accords de coopération bilatérale avancée :

- pour l'Egypte, sur la période 2011-2013, 180 milliards d'euros sont consacrés au développement durable et à la protection de l'environnement,

- pour le Maroc, sur la même période, le chiffre correspondant est de 90 millions d'euros,

- la Tunisie a reçu 112 millions d'euros pour ce type d'action sur la période 2007-2011, aucun fonds destiné à l'environnent n'est prévu sur la période 2011-2013.

c) L'Union pour la Méditerranée (UPM)

Les évènements de l'hiver dernier ont à nouveau mis en évidence le besoin d'une structure forte et efficace de rapprochement entre les deux rives du bassin méditerranéen.

Il n'apparaît pas nécessaire à votre rapporteur de gloser à l'excès sur les vicissitudes de l'effort méritoire entamé en 1995 à Barcelone et qui s'est conclu au sommet de Paris de 2008 par la création de l'Union pour la Méditerranée (UPM).

Sauf à estimer, et c'est le cas, qu'il peut s'agir d'un instrument utile de promotion de la protection des milieux naturels en Méditerranée. C'est au demeurant, un des objectifs de l'UPM.

Avec le recul de plus de 50 années de construction européenne laborieuse, une première réflexion s'impose.

La réussite de l'UPM n'était pas inscrite dans son pacte fondateur : on imagine aisément quel aurait pu être le rythme de progression des Communautés européennes puis de l'Union européenne, s'il avait fallu appliquer la règle de l'unanimité à plus de 40 Etats dans un contexte où un des Etats membres aurait occupé un territoire, en complète opposition avec une dizaine d'Etats et sans l'accord des 30 autres membres.

Actuellement, l'UPM est encalminée.

Sur le plan politique, il n'y a pas eu de réunion des chefs d'Etat en 2010 et même les réunions interministérielles techniques comme celle sur l'eau (avril 201) achoppent - malgré un accord sur le fond - sur la mention de l'occupation de la Cisjordanie et Gaza que les pays arabes souhaitent voir figurer dans chaque accord.

Un lien subsiste auprès du Secrétariat général de Barcelone, la réunion mensuelle des ambassadeurs des pays membres qui traite de problèmes politiques et techniques.

Sous l'unique angle de l'étude qui lui a été confiée, votre rapporteur souhaite apporter les éléments d'observation suivants sur cette situation :

- initialement, la « plus value » de l'UPM était d'apporter un cadre de cohérence politique au codéveloppement entre l'Union européenne et les Etats riverains non membres. Le portage politique commun de projets de développement ayant vocation à en accélerer la mise en oeuvre. Or, c'est justement sur un problème d'ordre politique pendant, pour le moins, depuis près de 45 ans et dont on ne perçoit pas à court terme les possibilités de solution, que l'UPM bloque ;

- certains des pays de la rive Sud qui bénéficient d'une collaboration bilatérale renforcée de l'Union n'ont objectivement pas intérêt, tout au moins à moyen terme, à la réussite de l'UPM, ce qui leur ferait encourir le risque que les fonds qui leur sont dédiés soient fondus dans un ensemble plus vaste ;

- par ailleurs, certaines des personnes entendues se sont fait l'écho d'une réticence des pays de la rive Sud face à un certain « impérialisme » normatif et financier de la Commission européenne sur des priorités environnementales qui ne sont pas tout à fait les leurs ;

- enfin, l'application de la règle de l'unanimité à des projets de développement complexes et à géométrie variable ralentit considérablement la mise en oeuvre de ceux-ci.

Il apparaît donc assez clairement qu'une des conditions de relance et de progression de l'UPM dans le domaine de la protection de l'environnement est la déconnexion entre son cadre politique et ses instruments techniques.

Votre rapporteur fera des propositions sur ce point.


* 53 Entité qui dépend non pas directement du PNUE mais de l'OMI.

* 54 Pour les projets de moindre envergure, la banque passe des conventions de prêt avec des banques locales.

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