N° 666

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux (1),

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur.

Tome II : Auditions et annexe

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. François Patriat, président ; MM. Gérard Bailly, Raymond Couderc, Jean-Luc Fichet, Didier Guillaume et Mme Jacqueline Gourault , vice-présidents ; Mmes Michèle André, Marie-France Beaufils, Catherine Deroche, MM. Adrien Gouteyron et Jacques Mézard, secrétaires ; M. Dominique de Legge, rapporteur ; MM. Michel Bécot, Pierre-Yves Collombat, Mme Christiane Demontès, MM. Éric Doligé, Alain Houpert, Mme Valérie Létard, MM. Roland du Luart, Rachel Mazuir, Gérard Miquel, Georges Patient, Charles Revet, Alex Türk, Bernard Vera et Jean-Pierre Vial.

Mercredi 9 février 2011

M. Claudy Lebreton,
président de l'assemblée des départements de France (ADF)

____

M. François Patriat , président . - Nous inaugurons avec vous une mission qui devrait durer quatre mois, où nous chercherons à mesurer les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales, avec le souci d'améliorer les politiques publiques, d'aller vers une action publique plus efficace et moins coûteuse, mais aussi de faire remonter les difficultés rencontrées du fait de la RGPP. Mes questions seront volontairement larges, et simples : avez-vous été associés à la mise en place de la nouvelle organisation des services déconcentrés de l'Etat ? Quels vous paraissent être les premiers résultats de la RGPP ?

M. Claudy Lebreton, président de l'assemblée des départements de France (ADF). - Avons-nous été associés ? Jamais ! Je ne l'ai pas été comme président du Conseil général des Côtes d'Armor. Cela ne m'a pas empêché d'en parler avec le préfet de mon département, un homme courtois, républicain, qui m'a fait part de ses propres interrogations sur le processus. Je n'ai pas non plus été associé comme président de l'ADF et ce n'est pas faute de l'avoir demandé, à plusieurs reprises, par les voies les plus officielles. Mais tout s'est passé comme si l'Etat devait se réformer sans que les collectivités territoriales ne soient concernées -je l'avais déjà signalé devant le comité Balladur.

Cette réforme de l'Etat, pourtant, nous, nous l'attendions depuis longtemps. De fait, les lois de décentralisation ont bouleversé l'organisation territoriale de la République, des compétences toujours plus nombreuses ont été confiées aux collectivités territoriales, à quoi se sont ajoutés les transferts vers l'échelon européen -et l'Etat devait redéfinir ses fonctions, ses missions, ses propres compétences, pour tenir compte de ces bouleversements.

Or, ce que je continue de déplorer, pour la déconcentration des services de l'Etat, c'est l'insuffisante territorialisation de la décision publique : le préfet doit encore trop souvent en référer à Paris avant de pouvoir prendre une décision. Ce défaut menace du reste nos propres administrations locales, dès lors qu'elles sont devenues plus importantes.

Quant à la RGPP proprement dite, nous commençons tout juste à la vivre, à en ressentir les effets.

M. François Patriat , président . - Quels sont-ils, ces effets, comment les choses sont-elles ressenties ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - On a le sentiment que l'Etat réorganise ses services déconcentrés à partir d'un pôle fort, la région ; c'était le voeu du comité Balladur de privilégier le niveau régional. Mais, au vu des transferts de compétences, la réalité est différente et la question de savoir si la région l'emporterait sur le département ne se pose plus. Comment un président de Conseil général vit-il cette primauté du préfet de région ? Constatez-vous, en particulier, des retards dans les décisions, du fait qu'elles doivent être prises, désormais, à la préfecture de région ? Qu'est-ce qui a changé pour le quotidien de nos concitoyens, en particulier pour leurs démarches administratives, la délivrance des documents administratifs, mais aussi pour le contrôle de légalité ? Diriez-vous que la performance de l'Etat s'améliore ?

M. Claudy Lebreton. - Lorsque la RGPP a été annoncée, j'ai dit par plaisanterie à mon préfet qu'il lui faudrait désormais apprendre à redevenir sous-préfet...de région.

La réforme de l'Etat est souhaitable, elle intervient dans un contexte où la relation entre l'Etat et les collectivités locales a changé en profondeur. Je me souviens qu'en 1977, lorsque je suis devenu maire, les élus se levaient en réunion pour s'adresser au préfet, en ôtant leur casquette ! Aujourd'hui, je n'ai plus aucun complexe face au représentant de l'Etat, le pouvoir politique territorial est parfaitement assumé et le préfet est devenu un partenaire.

L'échelon régional est-il pertinent pour la réorganisation des services de l'Etat ? La réponse a un préalable : il faut d'abord définir les fonctions de l'Etat au XXIème siècle, compte tenu des transferts de compétence effectués depuis trente ans. Ensuite, je crois que la réponse n'est pas d'abord institutionnelle, mais qu'elle doit s'adapter au caractère divers du territoire national : les territoires ruraux et les territoires urbains n'ont pas les mêmes besoins, n'exigent pas que « la maison des services publics de proximité » - la préfecture - soit partout identique.

La question posée porte donc sur le champ même des compétences de cette maison des services publics de proximité : ne faut-il pas y mettre tous les services publics, y compris les services financiers et l'Education nationale ? Elle porte également sur la territorialisation de la décision : quelles sont les décisions qui ne peuvent pas être prises en proximité, et qui doivent « remonter » à Paris ? Quelles sont celles qui, à l'inverse, peuvent parfaitement être prises localement ?

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication changent la donne : la proximité n'est pas seulement géographique, l'important est d'abord l'efficacité de la décision, qui dépend de l'articulation entre les différents échelons.

M. François Patriat , président . - Concrètement, combien les départements ont-ils perdu de postes de TOS, combien ont-ils dû en créer ? Quelles conséquences la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat a-t-elle eue sur la gestion des routes ? Sur l'ingénierie publique ?

M. Claudy Lebreton. - Les départements ont dû créer des postes de TOS, parce que l'Etat en avait laissé vacants. Cependant, comme à l'équipement, les agents n'ont pas fait leur deuil de la culture de l'Etat. Nous constatons qu'ils rencontrent des problèmes pour le déroulement de leur carrière, du fait notamment de la distinction entre l'employeur et l'autorité qui a recruté. Aujourd'hui, la question se pose de mutualiser la gestion de ces postes et de permettre une mobilité entre plusieurs collectivités, plusieurs échelons territoriaux : les déroulements de carrière y gagneront.

Sur l'ingénierie publique, voyez le rapport Daudigny. Sachant que l'Etat se retirait, les départements se sont organisés, en développant des services d'ingénierie publique, là où le recours aux cabinets privés ne suffisait pas. Le Département est attendu sur ce terrain par les communes et groupements de communes, le mouvement est ancien : la Haute-Garonne dispose d'une agence technique depuis plus de vingt ans.

M. François Patriat , président . - Est-ce une source d'économies ?

M. Claudy Lebreton. - Il n'y a qu'à faire un tour dans les DDE pour constater combien le nombre de postes a fondu ! Un responsable de Leader France, une organisation non gouvernementale qui soutient la mise en oeuvre de la procédure européenne Leader dans les territoires ruraux, m'indiquait récemment que les dossiers européens décourageaient par leur complexité, au point que notre territoire consomme à peine 4 % des crédits auxquels il peut prétendre : nous payons les manques de l'ingénierie publique.

M. Jean-Luc Fichet . - Diriez-vous que l'ingénierie publique doive être surtout départementale ? Intercommunale ? Quel est l'échelon territorial pertinent ?

M. Claudy Lebreton. - Le département est un espace à taille humaine, mais cela ne fait pas de moi un « départementaliste » : je suis avant tout un décentralisateur, un girondin. Attention aux fausses oppositions : nous nous affaiblirions à opposer les départements et les régions ! Ce qui compte avant tout, c'est de prendre en compte les spécificités des territoires. Dès lors, peut-il y avoir une réponse unique ? Je crois plutôt qu'elle variera avec les territoires, avec leur taille et la part qu'y prennent les agglomérations : mieux vaut diversifier les réponses et faire jouer aussi une saine confrontation entre le public et le privé.

Pour de nombreux maires, le Département est un gage d'objectivité. Les maires ruraux rencontrent des difficultés dans l'élaboration de leur PLU ; leur interlocuteur est alors généralement un cabinet privé, qui fait le travail de l'Etat en essayant de dissuader les maires d'opter pour telle ou telle solution qui leur paraît peu conforme, alors qu'elle a le soutien de la population locale. Ce n'est pas très sain : si les élus avaient pour interlocuteurs des représentants de l'Etat, ils pourraient plus facilement demander au service public d'arbitrer dans leur sens.

Mme Michèle André . - En préparant mon rapport spécial à la loi de finances pour 2011 consacré à l'administration générale et territoriale de l'Etat, j'ai constaté que la réduction des effectifs et la dématérialisation des procédures pouvaient fragiliser le contrôle de légalité, qui n'est du reste plus guère appliqué qu'en matière d'urbanisme et de marchés publics. N'est-ce pas aussi votre impression ? Avez-vous entendu dire que des décisions publiques en seraient plus fragiles juridiquement, au risque de voir les chambres régionales des comptes ou la justice administrative les contester ? Je me souviens qu'au lendemain de la tempête Xynthia, des agents de préfecture s'étaient précipités aux archives pour vérifier que les autorisations délivrées n'étaient pas entachées d'irrégularités...

M. Raymond Couderc . - Je remarque que l'ingénierie concerne également les SPM et les sociétés d'économie mixte, et que le transfert des TOS est bien antérieur à la RGPP.

Nous aimerions vous entendre sur les compétences propres des départements, c'est-à-dire d'abord l'action sociale : qu'est-ce que la RGPP a changé dans votre action quotidienne ? L'Etat en est-il devenu plus contrôleur ? Plus accompagnateur ?

M. Gérard Bailly . - Les préfets de département et les conseils généraux travaillent en bonne intelligence, mais je m'inquiète de voir, dans certains domaines, le préfet de région et surtout des directions régionales coiffer l'action du préfet de département, au point qu'il n'est plus décisionnaire. Je pense en particulier aux questions dont s'occupent les DRAC et les DRIRE. Qu'en pensez-vous ?

M. Claudy Lebreton. - Je crois qu'il faut s'inscrire dans un rapport de forces intelligent. Depuis 1997 que je préside le Conseil général des Côtes d'Armor, j'ai vu passer de nombreux préfets, je ne me suis pas entendu avec un seul, parce qu'il paraissait ignorer que les lois de décentralisation avaient été prises. Avec tous les autres, j'ai constaté une volonté de négociation. De fait, le préfet ne peut se passer des élus locaux pour mettre en place les politiques publiques étatiques, et il ne peut rien faire contre l'avis du maire, sauf si celui-ci se place en dehors de la légalité.

Le contrôle de légalité a été jugé nécessaire en 1982, parce que nous étions dans l'idée qu'il fallait placer les collectivités locales dans une sorte de liberté surveillée, faute d'expérience. Nous n'en sommes plus là ! Aujourd'hui, certaines collectivités ont des services juridiques aussi compétents, sinon plus compétents que ceux de l'Etat ! Je crois que, dans une République moderne, le contrôle de légalité peut être aléatoire et ciblé, plutôt que systématique.

Les agents de la fonction publique d'Etat sont nombreux à rejoindre les collectivités locales, on le voit depuis longtemps dans les DDASS, qui sont réduites à la portion congrue, mais le mouvement touche aussi les sous-préfets. L'Etat a besoin des collectivités locales, voyez les politiques de l'emploi, les politiques sociales, les politiques du logement. Nous sommes dans un rapport de force intelligent.

Enfin, la question des directions régionales qui en viennent à « chapeauter » les préfets de département est directement liée à celle de la territorialisation de l'action publique. On peut imaginer une organisation où davantage de pouvoir réglementaire serait délégué à l'échelon local, de grandes démocraties fonctionnent de la sorte.

Quant au fait que, sur certaines matières, le préfet de région soit désormais compétent et non plus le préfet de département, je n'y vois aucun inconvénient : je m'adapte, en appelant directement le préfet de région.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Avez-vous le sentiment que le préfet de département parfois « s'abrite » derrière le fait que la décision relève de l'échelon régional, pour reporter la décision ?

M. Claudy Lebreton. - Les routes nationales relèvent désormais du préfet de région, c'est lui que j'appelle en cas de problème. Ce qui me gêne plus, c'est quand des décisions sont renvoyées à l'administration centrale, et reportées de beaucoup. Cela existe encore, même si c'est moins fréquent.

Avec la départementalisation, les TOS sont désormais beaucoup plus nombreux à être sur le terrain. C'est pourquoi l'essentiel me paraît bien dans la territorialisation de l'action et de la décision, gage d'efficacité. La question se pose évidemment pour les administrations territoriales elles-mêmes, qui prennent de l'importance : certaines régions emploient des milliers de fonctionnaires et si en Bretagne on fusionnait région et départements, nous nous retrouverions avec 30 000 agents ! Ce ne serait plus une administration de proximité.

M. François Patriat , président . - Après deux ans d'application, comment la RGPP est-elle vécue ?

M. Claudy Lebreton. - Il est trop tôt pour le dire, même si l'on sent ici ou là quelques dysfonctionnements. La nouvelle organisation de l'Etat affaiblit-elle le département, et le Conseil général ? La réponse, j'espère vous l'avoir démontré, dépend beaucoup des départements eux-mêmes. Comment l'Etat doit-il organiser sa présence dans mon département ? Il faut y réfléchir ensemble, dans le sens que je vous ai dit, d'une maison des services publics de proximité, efficaces.

M. François Patriat , président . - Merci pour toutes ces précisions.

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