Mercredi 2 mars 2011

M. Eric Jalon,
directeur général des collectivités locales,
ministère de l'intérieur, de l'outre-mer,
des collectivités territoriales et de l'immigration

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M. François Patriat , président . - L'objectif de cette mission est de mesurer l'impact de la RGPP sur les collectivités locales. Son périmètre est assez large : il va de la réorganisation des services de l'Éducation nationale et de la gendarmerie aux réformes de la carte sanitaire et de la carte judiciaire parce que toutes ont une incidence sur les collectivités. En tant que directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, pouvez-vous dresser un bilan de la première vague de la RGPP ? De fait, le ministre Baroin nous en a fait un tableau idyllique il y a peu en nous expliquant que le Gouvernement s'apprêtait à lancer la deuxième vague de la RGPP. Quelles sont les futures évolutions ? Quelle place pour les sous-préfectures demain ? Comment le nouveau train de suppression de postes affectera-il les préfectures ? Bref, pouvez-vous nous faire partager vos réflexions, vos espoirs et vos déceptions, en évitant un langage convenu qui ne servirait pas les objectifs de cette mission ?

M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales . - A titre préliminaire, rappelons ce que vous pouvez attendre de mon intervention. Seuls les secrétaires généraux des ministères de l'Intérieur et du Développement durable pourront vous renseigner sur la réorganisation du réseau des préfectures et des sous-préfectures et du réseau des services de l'équipement, et ses conséquences sur la présence territoriale de l'État. La direction générale des collectivités locales, elle, sert d'interface entre les administrations et les collectivités territoriales et assure son métier de contrôle de légalité. A ce titre, en bonne intelligence avec le secrétaire général du ministère, nous donnons des orientations aux préfectures en nous assurant qu'elles ont les moyens d'y faire face. Deuxième remarque introductive, l'axe des relations entre l'État et les collectivités territoriales, sans avoir été oublié, n'a pas été labellisé « RGPP ». Le rapport du sénateur Lambert, alors estampillé « RGPP », esquissait trois directions, dont les normes et les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Si vous le souhaitez, nous pourrons y revenir car ces chantiers continuent d'exister.

Je centrerai mon propos sur le contrôle de légalité. Le conseil de modernisation des politiques publiques est l'instance de décision la plus élevée de la RGPP. Lors de sa réunion du 12 décembre 2007, soit l'une des premières, il a décidé de rénover le contrôle de légalité. Premier objectif, la réduction du nombre d'actes soumis au contrôle de légalité. Pour ce faire, l'ordonnance du 17 novembre 2009, entrée en vigueur le 1 er janvier dernier, a allégé les obligations de transmission dans deux domaines : la fonction publique territoriale, pour les actes de gestion de portée technique tels que les actes de sortie contrainte du service, et la voirie routière, notamment pour les délimitations des routes communales et départementales et les redevances perçues pour leur occupation. Deuxième objectif, le recentrage du contrôle sur les actes présentant des enjeux majeurs. Dès janvier 2006, soit avant la RGPP, le ministre de l'Intérieur et le ministre des Collectivités territoriales demandaient aux préfets, par une circulaire, de définir des priorités et des plans de contrôle de légalité. Ensuite, des circulaires ont mis l'accent sur des zones à risque devant faire l'objet d'un contrôle plus approfondi. Pour exemple, une circulaire sur l'urbanisme en novembre 2009, longuement évoquée dans le cadre de la mission sénatoriale d'information sur Xynthia, qui soulignait l'impérieuse nécessité de la sécurité des personnes et des biens, et une circulaire interministérielle de septembre 2010 sur la commande publique, après un travail de préparation minutieux avec les services de Bercy. Troisième objectif, la centralisation du contrôle en préfecture qui est en vigueur depuis le 1 er janvier 2010 dans plus de 80 préfectures. L'expertise est désormais concentrée en préfecture, quoique des pôles thématiques aient été parfois conservés en sous-préfecture.

Le dernier rapport triennal sur le bilan du contrôle de légalité remis au Parlement, montre une réduction des actes transmis de plus d'un tiers, soit 37,3 % entre 2004 et 2010, si l'on exclut le pic cyclique lié au renouvellement des conseils municipaux et communautaires en 2008. C'est la conséquence des mesures législatives prises successivement dans la loi Murcef de du 11 décembre 2001, de la loi relative aux libertés et responsabilité locales du 13 août 2004 et de la loi de simplification du droit de 20 décembre 2007. Nous avons, sans doute, atteint un palier car le Parlement a réduit en 2009 la portée de l'habilitation législative que le Gouvernement lui avait demandé pour réduire le champ des actes soumis à transmission. On note également un renforcement des capacités d'expertise avec la centralisation en préfecture et la montée du pôle inter-administratif de contrôle de légalité à Lyon dont la compétence est désormais nationale, hors Île-de-France. Celui-ci a pris l'engagement de répondre aux questions adressées par les préfectures dans les dix jours ; dans les faits, la moyenne était en 2010 de 12 jours, ce qui reste compatible avec les délais relatifs au contrôle de légalité. Renforcement également de la notion d'actes prioritaires avec la préparation d'une circulaire sur la fonction publique territoriale. Nous avons également adressé des circulaires de méthodologie ; en décembre dernier, nous avons rappelé la liste des actes soumis à obligation de transmission afin d'éviter des envois inutiles et un tri fastidieux en préfecture. Nous nous apprêtons également à aider les préfets à mieux définir les actes prioritaires en proposant un socle minimal commun. Dernière tendance qui se dégage du rapport, faire du préfet, conformément à sa mission constitutionnelle, le responsable du contrôle de légalité. A nous de lui donner les moyens et les analyses juridiques nécessaires via les circulaires et le pôle de Lyon. A lui de définir sa stratégie locale avec l'ensemble des services déconcentrés. La directive nationale d'orientation 2010-2015 des préfectures a rappelé les trois niveaux de contrôle et les conditions d'élaboration d'une stratégie locale, dont l'identification des actes prioritaires par le préfet au sein d'un plan de contrôle partagé avec les services de l'État et la définition des méthodes de contrôle par sondage sur la base de critères préalablement définis. Ainsi, la préfecture d'Ille-et-Vilaine, dans son plan, a retenu pour thèmes la fonction publique territoriale et les actes concernant les agents non titulaires ; l'intercommunalité et les actes sur les décisions des organes délibérants ; la commande publique et un regard local porté sur les marchés de maîtrise d'oeuvre, les conventions de mandat et les délégations de service public ; et, enfin, l'urbanisme avec une adaptation du contrôle aux enjeux locaux et aux risques, qu'ils soient naturels ou industriels. Cela dit, aucun type d'actes ne peut être exclu a priori du contrôle, puisque celui-ci relève de la mission constitutionnelle des préfets.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Monsieur Jalon, le contrôle de légalité n'est pas la seule mission de votre direction... Vous avez cité l'exemple de mon département l'Ille-et-Vilaine. Les quelque 350 maires, à qui j'ai adressé un questionnaire sur le contrôle de légalité, se disent plutôt satisfaits ; les difficultés semblent surtout liées à des problèmes de personnalité. A propos du recentrage sur les actes prioritaires, vous avez évoqué de la tempête Xynthia ; je pense, dans mon département, à la sécurité de la côte et de la Baie du Mont-Saint-Michel. Ensuite, peut-être y verrez-vous le tropisme d'un élu d'une commune modeste de 1 500 habitants, nous attendons de l'État non seulement du contrôle, mais aussi de l'accompagnement et du conseil, notamment en matière d'ingénierie. Avez-vous le sentiment que les préfectures auront les moyens d'assurer leur mission de contrôle de légalité et d'accompagnement des collectivités face à de tels enjeux ? Ensuite, le point d'entrée de la RGPP, dans la ligne du rapport Balladur, est la région. Pour autant, la loi privilégie communes, intercommunalités et départements, pour les transferts de compétences. Comment concilier ces deux réalités ? Enfin, on s'inquiète beaucoup de ce que l'État occupe de plus en plus une position de « sachant », d'autorité supérieure face à des collectivités livrées à elles-mêmes. Qu'en pensez-vous ?

M. Eric Jalon . - Le contrôle de légalité s'exercera-t-il dans des conditions satisfaisantes ? Continuera-t-on de le concilier avec la fonction plus traditionnelle de conseil ? Le tassement du contrôle de légalité dans les deux dernières années est incontestable : entre 2009 et 2010, le nombre de lettres d'observation est passé de 46 498 à 40 453 et le nombre de déférés de 1 034 à 964. Est-ce la conséquence du recentrage du contrôle de légalité ? Nous le souhaitons. Faut-il y voir l'effet d'une démobilisation ? Je ne le crois pas. Est-ce lié à la réorganisation induite par la RGPP ? Nous ne le savons pas encore. En l'espèce, ces chiffres ne me paraissent pas inquiétants.

J'en viens à la fonction de conseil. L'un des enjeux de la centralisation du contrôle de légalité en préfecture est de faire monter en première ligne les autres services de l'État, notamment les sous-préfectures, dans l'assistance aux collectivités. Tout cela est conditionné à la réalité de la gestion des ressources humaines et des redéploiements d'effectifs entre préfecture et sous-préfecture. Or l'on ne peut attendre du contrôle de légalité et du conseil, une activité intellectuelle par excellence, les mêmes gains de productivité que pour la délivrance des titres avec le système d'immatriculation des véhicules ou les nouvelles modalités de délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports. Nous observons cette diminution de l'intervention des préfets avec vigilance, mais sans inquiétude.

Quant à la cohérence de la réforme territoriale, je ne partage pas votre postulat de départ. La réorganisation des services de l'État ne fait pas de la région le point d'entrée. Certes, le niveau régional conserve une structure homothétique, similaire au niveau central. Certes, de nombreux ministères ont ramené leurs fonctions au niveau régional. Le ministère du Développement durable et de l'équipement a ainsi dû muscler son expertise régionale pour mettre en oeuvre les deux lois Grenelle. Pour autant, l'État départemental ne s'est pas disloqué ; il s'est réorganisé en une structure simple et lisible. Lors de la réunion des préfets de départements au ministère, la semaine dernière, sur la préparation des schémas départementaux de coopération intercommunale, je n'ai pas eu le sentiment que les préfets ont déserté le terrain !

Enfin, votre dernière question sur la relation entre un État « sachant » et les collectivités m'embarrasse. Les petites communes qui n'ont pas l'expertise des grandes communes, en raison de leurs moyens plus modestes, doivent pouvoir demander conseil à l'État, tout en cherchant à développer leurs capacités en mutualisant leurs forces. Il ne me semble pas qu'il existe un complexe de supériorité chez les représentants de l'État...

M. Dominique de Legge . - La fonction de conseil s'estompant, la relation avec les services de l'État est fondée sur la seule autorité. C'est un sentiment partagé. Les communes redoutent que la RGPP n'aboutisse à un désengagement de l'État dans ses relations avec les collectivités locales, particulièrement dans les domaines de l'ingénierie et de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.

M. François Patriat , président . - Les collectivités ont-elles été associées à la RGPP ? Les a-t-on préparées à la nouvelle donne ?

M. Eric Jalon . - C'était l'intention de l'État ! Le Premier ministre a publié deux circulaires en mars et en juillet 2008 rappelant que les préfets devaient mener la réforme en association avec les personnels, les administrés et les élus dans le cadre d'une concertation la plus large possible. Les difficultés sont souvent dues à des interférences. Pour les services de l'équipement, par exemple, la simultanéité de la RGPP avec l'achèvement du transfert des personnels dans le cadre de la loi du 13 août 2004. La diminution du nombre de lettres d'observation et de référés montre que le contrôle de légalité est loin d'être tatillon et formaliste. Nous allons maintenant tenter de comprendre les variations département par département. Je n'exclus pas qu'elles soient la conséquence de la réduction des effectifs. D'où notre vigilance, mais exempte de toute inquiétude.

M. Gérard Miquel . - Sénateur du Lot, j'ai initié avec le préfet une des premières opérations de restructuration des services de l'État ; nous avions alors rencontré beaucoup de difficultés avec les syndicats de la fonction publique d'État. Pour autant, dans la région Midi-Pyrénées plus vaste que la Belgique, je m'interroge sur l'opportunité de centraliser les services de l'État à Toulouse. Les agents de la DRIRE connaîtront moins bien le terrain ; cela n'entraînera-t-il pas des retards ? La centralisation n'est pas toujours gage d'efficacité, d'autant que les frais générés par les déplacements de ces agents désormais installés à Toulouse ne seront pas négligeables.

En revanche, je ne me battrai pas pour que l'on conserve un service d'ingénierie. Aux collectivités d'assumer la compétence voirie si elles l'ont prise. Mais les services de l'État doivent être réactifs et facilitateurs. Or cela ne semble plus être le cas : les préfets ont perdu la main pour réunir autour de la table tous les acteurs d'un dossier. Au vrai, la situation diffère selon les régions, certaines d'entre elles comprennent seulement deux départements.

M. Eric Jalon . - J'ai servi dans deux régions de taille significative : les Pays-de-la-Loire et l'Aquitaine. La DRIRE était déjà un service de niveau régional, doté d'antennes locales. Pour obtenir une certification technique sur le circuit des 24 heures du Mans, nous avions dû faire venir des agents de Nantes... Même chose en Aquitaine à l'époque de la mise en place de l'Itinéraire à Grand gabarit pour l'A380 et des périmètres Natura 2000 ; l'organisation des services de l'État était déjà régionale. Certes, il y a eu des évolutions -c'est une lapalissade de le dire- ; on ne pourra juger de leurs résultats qu'avec le recul. Votre mission fera oeuvre utile en attirant l'attention sur les erreurs de calage du dispositif.

M. Michel Bécot . - Les élus de terrain n'ont pas toujours la formation nécessaire pour appliquer les dispositions réglementaires en matière d'urbanisme -je pense, notamment, aux permis de construire. L'État a-t-il mis les moyens nécessaires ? En outre, je déplore la perte de savoir de la DDE en matière de voirie. Jamais un cabinet privé ne nous apportera la même expertise.

M. Eric Jalon . - Oui, il faut maintenir cette compétence et cette connaissance du terrain, que ne peuvent pas avoir les cabinets privés, et éviter que ne se creusent un écart entre élus et techniciens, entre élus et fonctionnaires. D'où le droit à la formation des élus locaux, conforté dans le « projet de loi n° 61 » relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, et l'attention portée à l'agrément des organismes de formation.

M. Gérard Bailly . - Lors de la réforme des collectivités territoriales, ont été fixés des seuils pour les intercommunalités. Or les élus ne gèrent bien que les territoires qu'ils connaissent bien. Avec la RGPP et de vastes intercommunalités, les élus ne savent plus vers quel service de l'État se tourner pour résoudre leurs difficultés et appellent souvent à l'aide les parlementaires...

M. Eric Jalon . - J'ai assisté à la totalité des débats parlementaires sur la réforme des collectivités territoriales. Fin août, à l'invitation du rapporteur Courtois, je me suis rendu à une réunion de maires de Saône-et-Loire. Elle était apolitique, le président du conseil général y participait. J'ai alors pris conscience des différences entre les communes du Mâconnais et celles des contreforts du Morvan qui peinent à atteindre les seuils. Par parenthèse, lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a quinze mois, mon premier réflexe a été d'afficher une carte de France en relief ! L'intercommunalité doit être d'une taille significative pour rendre possible des économies d'échelle, sans être trop vaste. Sinon, les agents de l'intercommunalité passeront plus de temps dans leur véhicule que sur le terrain ! D'après les études, au-delà d'une certaine taille, l'intégration stagne et baisse. Je défends donc le maintien des seuils, avec la possibilité de dérogations. Big n'est pas forcément beautiful !

M. François Patriat , président . - La RGPP a-t-elle amélioré le service rendu?

M. Eric Jalon . - Le service ne sera plus le même. Il a évolué au gré de la modification des missions de l'État et des collectivités territoriales. RGPP et réforme des collectivités territoriales sont liées : les communes doivent prendre en main leurs compétences via l'intercommunalité. M. Miquel a parlé d'or ! Habitude avait été prise que les services déconcentrés de l'État fassent le travail à la place de la commune en matière d'ingénierie. Et les agents de la DDE passaient parfois plus de temps au service des communes qu'à l'accomplissement des missions de l'État : quel paradoxe ! L'État n'a pas les moyens de poursuivre cette politique, qui est, de surcroît, contraire au droit européen de la concurrence. En outre, la situation n'était pas satisfaisante pour les communes : elles doivent exercer les compétences qui leur sont dévolues par les lois de décentralisation. Cette solution est préférable pour tous. Va-t-on perdre en efficacité du service ? Je suis persuadé du contraire !

M. François Patriat , président . - Le tableau est bien idyllique... Cependant, lorsque j'interroge mon préfet sur la mise au point des plans de prévention des risques inondation, qui bloque toute construction, il me répond qu'il ne peut plus faire face, faute de moyens humains ...

M. Eric Jalon . - Je ne suis pas préfet de la région Bourgogne et encore moins le pilote des réseaux concernés. Cette situation n'est-elle pas liée à des turbulences en période de transition ? Les PPRI relèvent des actions prioritaires de l'État.

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