CONCLUSION

En résumé , ambitionnant de couvrir l'ensemble du système du médicament , les soixante-cinq propositions de la mission commune d'information s'articulent donc autour des quatre axes suivants :

1. Un cadre déontologique renforcé et un fonctionnement institutionnel plus efficace

La mission considère comme une priorité d'affermir les fondements juridiques et déontologiques de l'action des instances intervenant dans le domaine du médicament.

Les responsabilités des agences sanitaires doivent être clarifiées . La sécurité sanitaire est, en effet, une compétence régalienne. Sans remettre en cause l'architecture mise en place après l'affaire du sang contaminé, on ne peut plus accepter qu'un ministre ne soit pas mis au courant d'un problème sanitaire grave. L'opinion publique ne le comprend pas, et en cas de crise tient d'ailleurs le ministre pour comptable des décisions du directeur général de l'Afssaps. Mais il appartient à celui-ci d'informer son autorité supérieure, c'est-à-dire le ministre lui-même, pour que dernier puisse exercer ses responsabilités. Garantir que les décideurs publics assumeront leurs responsabilités passe aussi par un décloisonnement du système des agences. Si la commission de la transparence, qui relève de la HAS, estime qu'un médicament a été mis sur le marché à tort et qu'une décision prise par le directeur général de l'Afssaps est infondée, elle doit également pouvoir en informer l'autorité supérieure, c'est-à-dire le ministre lui-même.

Au sein des agences, d'autres clarifications sont à opérer ou à consolider : en excluant les représentants de l'industrie pharmaceutique de toutes les commissions et groupes de travail de l'Afssaps et de la HAS, qui seraient désormais consultés par écrit ou par oral en tant que de besoin ; en exigeant que le directeur général de l'Afssaps et le président de la HAS (de même dans autres instances sanitaires) n'aient pas de liens d'intérêts avec cette industrie depuis au moins trois à cinq ans, ou encore en nommant le directeur général de l'Afssaps après publication d'une fiche de poste et appel à candidatures (proposition n° 4 ). Un dispositif de registre public inspiré du Sunshine Act devrait, par ailleurs, être mis en place (proposition n° 6 ).

Concernant le fonctionnement institutionnel , l'amélioration du fonctionnement interne des commissions et des groupes de travail passe par des règles nouvelles, comme la limitation du nombre de membres des commissions et le nombre de mandats des présidents, l'identification nominative des experts, l'élaboration de fiches de suivi de leurs avis aux différentes étapes auxquels ils ont participé (proposition n° 8)... Afin de garantir l'application effective du principe de transparence , le contrôle de l'expertise de santé publique serait confié à l'Autorité de la déontologie de la vie publique prévue dans le projet de loi relatif à la prévention des conflits d'intérêts (proposition n° 1) et, auprès de chaque instance, une cellule de veille déontologique d'expertise sanitaire serait chargée du contrôle des déclarations publiques d'intérêts et de la gestion des conflits d'intérêts dans les réunions (proposition n° 2) . Il est essentiel que cette transparence des procédures (auditions publiques, verbatim, publication d'avis motivés) soit mise en oeuvre par les agences sanitaires pour éviter toute accusation de parti pris ou d'influence et ne pas étouffer les avis minoritaires (proposition n° 7).

La plus grande lumière sur le processus de décision doit s'accompagner de celle sur la position des experts. Le soupçon qui pèse sur eux doit pouvoir être levé. Il n'y a en ce domaine qu'une seule possibilité : l'application uniforme de règles claires relatives aux liens d'intérêts et compréhensibles par tous. Au-delà, le désistement des experts ayant des conflits d'intérêts doit être systématique, sous peine d'invalidation des décisions prises en leur présence ( proposition n° 10 ).

Pour que ces contraintes soient pleinement assumées, il faut refonder l'expertise publique. La mission propose donc la création d'un corps d'Etat d'experts de santé publique commun à toutes les agences de santé, choisis sur une liste de professionnels de santé, sans liens d'intérêts avec l'industrie, formés spécifiquement et dotés d'un statut valorisant ( proposition n° 9 ) ; ces experts internes ne seraient pas que des PU-PH mais également choisis parmi d'autres professionnels de santé et d'autres disciplines. En tant que de besoin, ils bénéficieraient de l'intervention d'experts externes (proposition n° 11).

Par ailleurs, un fonds destiné à financer les missions incombant à la puissance publique (agences sanitaires, formation et information médicales, développement professionnel continu) serait créé, alimenté par une taxe unique assise sur le chiffre d'affaires en remplacement de la quinzaine de prélèvements actuellement à la charge des industries pharmaceutiques ( proposition n° 12).

2. Une procédure d'autorisation rénovée et un suivi de pharmacovigilance proactif, tout en prenant en compte la dimension européenne

La mission commune d'information estime que ce serait une erreur de penser que la manière dont nos concitoyens appréhendent le médicament n'a pas été profondément bouleversée par la succession des affaires de santé publique, dont le Mediator n'est que l'un des derniers exemples. Le niveau d'exigence doit donc augmenter, au moment de la mise sur le marché du médicament et pendant toute sa durée d'utilisation.

La mission souhaite donc un circuit administratif du médicament plus cohérent et plus efficace.

Dès la « naissance » du médicament, la mission préconise de renforcer les contrôles concernant la phase pré-AMM par diverses mesures : créer un registre public d'essais pré cliniques et cliniques (proposition n° 13 ) ; mieux encadrer les essais par la mise en place de référentiels méthodologiques ou encore obtenir l'approbation initiale des essais par les comités de protection de la personne (CPP) avec interdiction pour un promoteur de présider un comité et distribution aléatoire entre eux des protocoles de recherche ( proposition n° 14).

Au stade de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) qui deviendrait l'« autorisation d'usage » (AU), d'autres garanties seraient posées. En particulier, les essais comparatifs seraient rendus obligatoires pour les demandes d'AMM ( proposition n° 19). L'obligation de réévaluation quinquennale des médicaments serait rétablie et le statut des autorisations temporaires d'utilisation (ATU) modifié ( propositions n os 20 et 21 ).

Pour le suivi post-AMM, une durée maximale serait fixée pour la remise des résultats des études demandées et des sanctions financières appliquées en cas de non-réalisation ( proposition n° 23 ). Au sein de l'Afssaps, une unité nationale de pharmacologie clinique pourrait procéder à des essais aux différentes étapes ( proposition n° 24 ).

Il conviendrait aussi de renforcer le suivi de pharmacovigilance exercé par le réseau national et l'Afssaps. La mission préconise en particulier l'accroissement des moyens humains et financiers des CRPV ( proposition n° 28) et l'attribution à la CNPV d'une compétence renforcée pour la suspension ou le retrait d'un médicament ( proposition n° 32 ). Par ailleurs, pour que la CNPV puisse fonctionner, il faudrait rendre plus aisés les signalements de pharmacovigilance, tant pour les professionnels de santé que pour les patients (proposition n os 29 et 30 ). L'ensemble des bases de données doit pouvoir être plus accessible et croisé ( propositions n os 34 et 38). L'Afssaps doit systématiser son information auprès des professionnels de santé quand un risque nouveau apparaît ( proposition n° 35) et il est, par ailleurs, souhaitable de réfléchir à une procédure protégeant les lanceurs d'alerte qui offre des garanties sans pour autant entraîner des dérives ( proposition n° 39 ).

Mieux appréhender la sécurité du médicament suppose aussi de mieux connaître son usage réel , et donc les prescriptions qui sont faites par les médecins dans le cadre de l'AMM mais aussi hors AMM. Sur la base d'une meilleure connaissance des prescriptions, la mission considère qu'il appartiendra désormais à l'Afssaps d'être proactive en s'autosaisissant des AMM des médicaments dont l'utilisation ne correspond pas à l'autorisation, et en faisant directement des études, ou en les demandant au laboratoire ( proposition n° 36).

De surcroît, au niveau européen , les évolutions récentes requérant une vigilance accrue, la mission considère que le Gouvernement doit agir plus fermement. Il faut donc améliorer le fonctionnement de l'Agence européenne du médicament (au plan des conflits d'intérêts notamment) ou encore associer à l'élaboration des standards internationaux, régissant l'évaluation et l'obtention de l'AMM des nouveaux médicaments, les associations de patients et les professionnels de santé ( propositions n os 40 à 45).

3. Une politique de prix et de remboursement des médicaments orientée sur les besoins de santé

Deux axes majeurs de changement sont exposés dans le cadre de cette orientation :

- le remboursement , c'est-à-dire la prise en charge collective, doit privilégier les « bons médicaments » c'est-à-dire ceux qui représentent un réel progrès thérapeutique ( proposition n° 26) ;

- le prix des médicaments , notamment des génériques ( proposition n° 48 ), doit être mieux régulé pour une meilleure allocation des ressources collectives.

Ainsi, la mission propose de rendre opposables les avis de la commission de la transparence de la HAS, dénommée à l'avenir « commission d'évaluation du progrès thérapeutique » ( proposition n° 25 ). Ceux -ci seraient opposables tant vis-à-vis du Ceps, afin de permettre une meilleure prise en compte de l'analyse de cette commission dans la fixation du prix du médicament, que vis-à-vis du ministère de la santé, en liant le niveau de remboursement des médicaments au niveau de progrès thérapeutique, sauf exception. La compétence d'inscription d'un médicament sur la liste des spécialités remboursables serait ainsi transférée du ministère de la santé à la nouvelle commission (proposition n° 27 ).

Par ailleurs, une réforme des mécanismes de fixation du prix du médicament doit être engagée. La régulation des prix sera toujours effectuée par le Comité économique des produits de santé (Ceps), mais cet organisme intègrerait les missions d'évaluation médico-économique aujourd'hui dévolues à la Haute Autorité de santé, et sa composition évoluerait vers le paritarisme, puisqu'y siégeraient pour moitié des représentants des régimes d'assurance maladie obligatoires et complémentaires (proposition n° 46).

Les mécanismes de fixation des prix relèvent de conventions entre le Ceps et les différents laboratoires, complexes et peu lisibles, et surtout n'ont pas atteint leurs objectifs de modération des prix. Il est donc proposé de les remplacer par des procédures de baisses de prix sur certains médicaments. Parmi les instruments dont doit se doter l'Etat figure le non-remboursement, dans la liste des médicaments sous surveillance, de ceux n'apportant pas d'amélioration du service médical rendu ( propositions n os 47 à 50 ).

4. Une information et une formation médicales de qualité pour une plus large culture du médicament

La France est dans une situation de surconsommation médicamenteuse. Les propositions de la mission ont donc pour objectif le meilleur usage possible du médicament au service de notre sécurité sanitaire dont les deux piliers sont l'information et la formation médicales.

Constatant que l'industrie ne fait pas de l'information médicale mais de la promotion de médicaments et que la charte de la visite médicale, de ce point de vue, s'est révélée inefficace, la mission suggère donc de transformer la profession de visiteur médical : la carte professionnelle ne serait, à l'avenir, plus délivrée, les visiteurs médicaux actuels pourraient continuer à exercer leur profession mais l'Etat réinvestirait ce secteur, via la HAS, en prenant en charge à la fois leur formation et leur gestion ( proposition n° 51).

Parallèlement, la mission réaffirme son opposition totale à la publicité directe au public pour les médicaments et souhaite renforcer les contrôles, notamment en transférant de l'Afssaps à la HAS la commission de la publicité et en donnant à la HAS la mission de recueillir et d'alerter sur les cas de publicité directe aux patients ( proposition n° 54).

Elle préconise aussi de mettre en place davantage de moyens pour les médecins de s'informer de manière indépendante: mise à disposition par la HAS d'un répertoire officiel et complet des médicaments, en ligne et sous une version papier gratuite (proposition n° 55), renforcement de l'utilisation de logiciels d'aide à la prescription certifiés ( proposition n° 61), mise en ligne des bases de données de pharmacovigilance ( proposition n° 34).

Sur la formation initiale , l'enseignement doit être revu à la hausse . La mission estime nécessaire d'améliorer en profondeur le contenu et l'environnement des enseignements au cours des études médicales, pharmaceutiques ou paramédicales afin de mieux former aux problématiques de iatrogénie médicamenteuse et de pharmacovigilance. Il convient en particulier d'augmenter le volume horaire de pharmacologie obligatoire, par classes pharmacologiques et thérapeutiques ; de mettre en place un enseignement spécifique de la pharmacovigilance, qui traite des questions de iatrogénie médicamenteuse ; d'interdire « l'accès » de l'industrie pharmaceutique aux étudiants en formation ; ou encore de rendre obligatoire dans le cursus des études médicales une familiarisation avec les alternatives au médicament ( proposition n° 56 ).

S'agissant du développement professionnel continu, l'amélioration du développement professionnel continu passe par une clarification nette du rôle de chacun. Le DPC est une compétence des pouvoirs publics qui ont le devoir de la financer. Le fonds public susmentionné devra y être dédié en partie . Par ailleurs, il faut améliorer son contenu en soumettant les différentes offres de formation à une certification par la HAS ( proposition n° 58 ). Mais la loi dite « anti-cadeaux » doit aussi être renforcée, en interdisant notamment les hospitalités lors de manifestations de promotion ou lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique ( proposition n° 59).

Enfin, pour une large diffusion d'une culture du médicament , élément qui mérite d'être davantage pris en compte par les autorités sanitaires notamment du fait de son rôle dans la prescription, la mission propose de déclarer la lutte contre les accidents médicamenteux graves, grande cause nationale en 2012 ( proposition n° 64) , ce qui serait l'occasion de développer l'éducation thérapeutique (proposition n° 62) et de sensibiliser plus largement à la iatrogénie médicamenteuse (proposition n° 65) avec des moyens à la hauteur des enjeux (mise en place d'un plan national pluriannuel, publication annuelle d'un bilan, campagne d'information par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé).

La mission commune d'information espère que le présent rapport éclairera l'examen par le Parlement du projet de loi, annoncé pour l'automne 2011.

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