c) La condamnation de telles structures par des instances officielles

Les centres d'injection supervisés font, comme on l'a constaté, l'objet d'appréciations contrastées quant à leur efficacité et leur nécessité. Pour tenir compte de toutes les données du débat, il convient de rappeler qu'ils ont aussi été condamnés par des instances officielles, sur divers plans.

? Le refus ferme de l'Académie nationale de médecine

La question des centres d'injection supervisés a été examinée par l'Académie nationale de médecine qui a fait part de sa position sur le sujet en adoptant un communiqué pour le moins explicite et adopté à une très large majorité (soixante-dix-neuf votants : soixante et un pour, douze contre et six abstentions).

Rappelons-en les termes : jugeant « qu'une démarche médicale ne peut consister à favoriser l'administration de la drogue qui a généré l'addiction », l'académie a estimé qu'on ne pouvait « demander à des médecins de superviser ou même de se livrer à de telles «intoxications médicalement assistées», ce d'autant plus que les «drogues de la rue» peuvent correspondre à des mélanges de toxicité potentiellement mortels ». Elle a en outre souligné « les moyens matériels inévitablement importants que mobiliserait cette initiative », dont elle a jugé qu'ils « seraient bien mieux utilisés pour renforcer les actions de prévention et d'aide au sevrage ». Sa conclusion a été claire : « dans ces conditions et dans l'état actuel des connaissances, l'Académie nationale de médecine ne peut que marquer son opposition à un tel projet » (261 ( * )) .

Ainsi que l'a rapporté à la mission d'information le professeur Claude Joly, Président de l'Académie (262 ( * )) , le débat a été très long dans cette instance d'expertise indépendante. Il a en particulier porté sur le fait de savoir si des centres d'injection supervisés permettraient d'approcher une population très précaire et de l'orienter ainsi ultérieurement vers le système de soins. La réponse a été, comme l'a souligné le professeur Claude Joly, « sans équivoque ». Lorsqu'on sait la qualité des membres de l'Académie nationale de médecine, on ne peut balayer cette prise de position d'un revers de la main. Elle paraît tout aussi légitime et digne d'intérêt que les résultats auxquels est parvenue l'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. Car après tout, des médecins pourraient avoir à superviser les injections qui seraient pratiquées dans des salles de consommation de drogues ; leur parole sur ce sujet ne peut donc pas être ignorée.

? Les critiques de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie

M. Étienne Apaire, président, a pour sa part relevé des éléments que vos rapporteurs doivent prendre en compte. L'expertise collective menée par l'INSERM a, comme il l'a souligné, consisté en une expertise « littéraire » (263 ( * )) . Il s'agit d'une synthèse de la littérature scientifique sur la question de la réduction des risques, selon une méthodologie qu'il ne s'agit pas de contester ici. Mais on doit rendre compte du questionnement de M. Étienne Apaire qui se demandait si les articles recensés l'avaient été « par des experts proches des structures en question ou par des personnes ayant bénéficié d'un certain recul leur conférant peut-être un peu plus d'objectivité ». Vos rapporteurs ne peuvent évidemment trancher sur ce point. Le simple fait que l'interrogation existe ne peut cependant être ignoré et doit être rapproché des remarques émises par M. Cédric Grouchka, membre du collège de la Haute Autorité de santé.

? La condamnation par l'Organe international de contrôle des stupéfiants

Au-delà du débat national que nous connaissons sur les centres d'injection supervisés, ceux-ci ont fait l'objet d'une prise de position sévère, au plan international, par l'Organe international de contrôle des stupéfiants dans son rapport pour l'année 2009.

Rappelons que l'Organe international de contrôle des stupéfiants est une instance indépendante, chargée de surveiller l'application des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues. Il doit en particulier veiller à ce que soient disponibles en quantités suffisantes les stupéfiants requis à des fins médicales et scientifiques et empêcher leur détournement vers des circuits illicites. Pour ce faire, il identifie les lacunes susceptibles d'exister dans les systèmes de contrôle national et international et peut émettre des recommandations à l'égard des États parties aux traités internationaux sur les stupéfiants.

Son rapport pour l'année 2009 a été particulièrement explicite à l'égard des États sur le territoire desquels existaient des salles de consommation de drogues. Ainsi, s'agissant de l'Australie, il a demandé au Gouvernement « de fermer la «salle d'injection de drogues» de Sydney » (264 ( * )) . Concernant le Luxembourg, il a rappelé avoir adressé une lettre au Gouvernement pour lui recommander de faire « immédiatement le nécessaire pour fermer » la salle de consommation de drogues qu'il avait visitée en 2006.

D'une manière plus générale, l'organe international a jugé que la création et le fonctionnement de salles d'injection de drogues étaient « contraire [s] aux traités internationaux relatifs au contrôle des drogues ». En effet, en application de l'article 4 de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le protocole de 1972, les États parties doivent prendre « les mesures législatives et réglementaires qui pourront être nécessaires [...] pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l'exportation, l'importation, la distribution, le commerce, l'emploi et la détention des stupéfiants ».

L'organe international en a tiré les conséquences dans sa recommandation n° 32, qui constitue une condamnation très explicite des centres d'injections supervisés : « L'Organe note avec préoccupation que, dans un petit nombre de pays, des «salles de consommation de drogues» et des «salles d'injection» où l'on peut consommer impunément des drogues acquises sur le marché illicite fonctionnent encore. L'Organe engage les gouvernements à faire fermer ces salles et autres lieux similaires et à faire en sorte que les toxicomanes puissent accéder à des services sanitaires et sociaux, y compris aux services de traitement de la toxicomanie, conformément aux dispositions des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues » (265 ( * )) .

Certains pourraient certes être tentés d'engager un débat sur le caractère contraignant ou pas des recommandations de l'Organe international de contrôle des stupéfiants. Cela ne relèverait que de la posture : la doctrine internationale actuelle ne considère à l'évidence pas les centres d'injection supervisés comme poursuivant des fins médicales et scientifiques. La bonne foi qui doit guider la France dans l'exécution de ses obligations internationales commande de s'en tenir à cette interprétation.


* (261) Communiqué du 11 janvier 2011 de l'Académie nationale de médecine à propos d'un projet de création en France de « salles d'injection pour toxicomanes ».

* (262) Audition du 2 février 2011.

* (263) Audition du 19 janvier 2011.

* (264) Organe international de contrôle des stupéfiants, Rapport 2009, p. 39.

* (265) Ibid. , p. 140.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page