CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SRC ET DE SÉNATEURS DU GROUPE SOCIALISTE

(M. Serge Blisko, coprésident, Mme Catherine Lemorton, M. Jean-Marie Le Guen, M. Daniel Vaillant, Mme Michèle Delaunay, députés, et
Mme Virginie Klès, Mme Nicole Bonnefoy, sénatrices)

Les députés du groupe SRC et des sénatrices du groupe socialiste ayant participé à cette mission ont souhaité apporter une contribution au rapport afin de préciser leur position.

Un champ d'investigation trop restrictif

La mission d'information qui s'est constituée en décembre 2010 a circonscrit son champ d'analyse à la consommation de produits illicites stupéfiants, en précisant que ce champ impliquait de traiter les questions de l'offre, de la lutte contre les trafics, du régime juridique de la consommation, de la prise en charge des toxicomanes.

On peut regretter ce choix restrictif dans la mesure où, comme l'atteste le rapport dans la partie consacrée aux pratiques, on assiste à une augmentation de la polytoxicomanie, et en particulier dans les soirées de jeunes avec une consommation importante d'alcool en association avec d'autres produits, licites ou illicites.

La distinction entre produits licites et illicites en matière de toxicomanie revient donc sur le devant de la scène avec ce rapport, alors que bien des études ont montré que cette distinction ne permettait pas de construire une véritable politique de lutte contre toutes les addictions.

Serait-ce parce que l'objectif politique de la majorité au travers de cette mission était de clore le débat qui est à l'origine de sa création, à savoir les salles de consommation à moindres risques ?

Si une partie des constats (positifs et négatifs) issus des travaux de la mission concernant les produits, les pratiques et les politiques menées dans ce champ peuvent être partagés, cependant les conclusions qui en sont tirées pour les politiques à venir sont plus contestables et parfois même inacceptables.

La réduction des risques doit être un des objectifs prioritaires et non l'éradication utopique de la consommation de drogues.

La politique de réduction des risques est le résultat d'une véritable prise de conscience de la nécessité de traiter la consommation de drogue comme un problème de santé publique ; cela a représenté un bouleversement culturel. Ce changement est venu de la volonté des pouvoirs publics de prendre des mesures devant l'ampleur des problèmes de santé entraînés par la consommation de drogues, en termes de diffusion de maladies infectieuses et surtout devant les ravages causés par le SIDA dans la population toxicomane.

Les faits marquants de ces changements étaient le décret de 1987 pris par Michèle Barzach, autorisant la vente libre de seringues dans les pharmacies, suivi des programmes d'échange de seringues en 1990, puis les traitements de substitution aux opiacés, avec la méthadone et le Subutex en 1995.

Cette politique de réduction des risques est désormais inscrite depuis 2004 dans le code de la santé publique et définie par l'article L. 3121-4.

Considérer que tout traitement doit être uniquement orienté vers un objectif de sevrage ou d'abstinence s'est avéré être une erreur, que la réduction des risques est venue en quelque sorte corriger, sans remettre en cause bien sûr la lutte contre le trafic, ni la nécessité de prévenir l'usage de drogues.

Le rapport en fait part dans ses constats, mais il minimise à quel point la politique de réduction des risques a été un bouleversement majeur. Ainsi à la fin de la partie qui est consacrée à ce sujet, il ne parle que « d'avancées encourageantes »... qu'il convient « d'ajuster ».

Ces propos ne sont pas étonnants puisque l'objectif affiché est de parvenir à une société sans drogues, utopie pourtant dangereuse, qui exclut de fait une partie de la population toxicomane dont on sait qu'elle ne parviendra jamais à l'abstinence.

Près de 150 000 personnes prennent actuellement en France des traitements de substitution. Ces traitements ont permis de « resocialiser » une partie de cette population, en lui permettant de sortir de la rue, de reprendre une vie sociale, de construire une famille, de ne plus être exposée aux maladies infectieuses.

Sortir de l'addiction restera malheureusement un but inatteignable pour certains ; il faut donc définir des objectifs divers et définir ce que l'on peut considérer comme une réussite ou du moins une amélioration dans ce domaine.

La population toxicomane a une espérance de vie de 40-45 ans. Une partie ne sortira pas de la dépendance ; le devoir de l'État doit être de leur porter secours, car certains vivront avec toute leur vie. L'objectif en ce qui les concerne doit donc être de leur permettre de réintégrer le droit commun.

Il est nécessaire aujourd'hui de consolider une véritable politique de santé publique dotée de réels moyens avec une prévention digne de ce nom. Il faut donc sortir du débat stérile entre ce qui, de la répression ou de la prévention, doit l'emporter, et ne plus considérer la santé publique comme accessoire en matière de lutte contre les toxicomanies.

Concernant le public des jeunes, les messages des campagnes de communication de l'INPES ne sont pas efficaces. Il faut donc remettre à plat les outils de prévention et mettre les moyens sur ceux qui apparaissent les mieux adaptés.

Dans le rapport figure une partie intitulée « prévenir dès le plus jeune âge ». Elle rappelle le constat, largement admis depuis longtemps, selon lequel il faut intervenir le plus tôt possible auprès des enfants et qu'il ne s'agit pas de banaliser ni de dramatiser les problèmes liés à la drogue mais de prévenir par l'information.

La prévention doit porter aussi sur la place et la perception du médicament dans notre société et lutter contre sa banalisation comme un objet de « consommation courante ».

Or dans ce même chapitre, apparaît une proposition inacceptable selon laquelle il faudrait « mettre en place des programmes spécifiques et pérennes au plus tard à l'école primaire et jusqu'au lycée pour détecter les facteurs de risque chez l'enfant ». Nous ne pouvons tolérer de tels propos selon lesquels des comportements d'enfants en bas âge pourraient être des signes de délinquance à venir et justifier un fichage de ces enfants.

Une offre de soins organisée mais fragile

La mission a pu constater que si l'offre de soins est assez bien organisée dans notre pays, elle est totalement inégale suivant les territoires.

La spécialité d'addictologie reste à conforter, aux côtés d'une ouverture plus grande de la psychiatrie publique.

En revanche, le rapport montre bien que la prévention apparait désuète, inadaptée, trop tardive, et n'est pas bien traitée dans les établissements scolaires.

La prévention en matière de toxicomanie doit être menée par des acteurs de santé publique, des professionnels formés et adaptés aux enfants.

Il faut intégrer ce volet aux actions d'éducation à la santé menées dans les établissements scolaires. L'école ne peut pas tout, mais elle se révèle le lieu adapté pour mener une prévention efficace ; il faut simplement lui en donner les acteurs et les moyens.

Il ne peut pas y avoir de politique sanitaire sans prise en compte du volet social. De ce point de vue, les communautés thérapeutiques, comme le centre Pierre Nicole à Paris ou comme celles qui existent en Italie, pourraient être plus développées. Les groupes de parole des Narcotiques anonymes doivent être encouragés.

S'agissant des publics incarcérés, les informations confuses issues des auditions de la mission sur les pratiques en matière de drogues dans ce milieu sont révélatrices des difficultés pour les pouvoirs publics à appréhender le problème. Il convient de mener dans ce milieu plus d'actions de réduction des risques.

La nécessité de mieux prévenir mais aussi de mettre en place des expérimentations de salles de consommation à moindres risques

L'objectif d'une société sans drogues est irréaliste et dangereux car il revient à faire de la répression l'alfa et l'oméga de toute politique publique. Cela a pour conséquence d'éloigner les usagers de drogues du système de santé et de les condamner à la marginalisation, qui est pourtant une source d'insécurité pour eux-mêmes et pour les autres. Nous ne pouvons accepter cet objectif qui est une régression.

Nous pensons qu'il est nécessaire de multiplier les possibilités diverses de soins et d'accompagnement des personnes pour mener une réelle politique de santé publique.

Ainsi, contrairement au rapport qui présente les salles de consommation à moindres risques comme une option hasardeuse, nous souhaitons que les villes comme Paris, Toulouse et Marseille puissent mener à bien des expérimentations de salles d'injection contrôlées médicalement avec des professionnels de santé et des travailleurs sociaux.

Il en existe une cinquantaine à l'étranger ; les membres de la mission sont allés en visiter. En particulier, lors de la visite à Genève, on a pu constater que des Français venaient dans ce lieu.

Nous ne pouvons que souscrire à ces structures qui s'inscrivent dans la droite ligne de la politique de réduction des risques et ouvrent la perspective, pour ce public très précarisé et marginalisé, d'une porte d'entrée adaptée au système de soins.

La partie du rapport concernant la dépénalisation fait largement l'impasse sur la question essentielle de la crédibilité d'une loi répressive, car lorsque celle-ci est inégalement appliquée, la justice en ressort décrédibilisée. Le rapport Henrion abordait déjà ce problème concernant la loi de 1970.

Sur le sujet, ce rapport, loin de clore le débat, ne fait que le traiter partiellement, comme pour la question des salles de consommation à moindres risques.

Il n'est pas ici question de refaire le travail de la mission, mais il nous a paru essentiel de préciser ces remarques et de regretter que ce long travail n'ait pas permis de déboucher sur des propositions adaptées à la nécessité de traiter ce problème essentiel de lutte contre les addictions avec des moyens et une politique de santé publique digne d'une société moderne du 21 e siècle.

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