MERCREDI 13 AVRIL 2011

Présidence de M. Serge Blisko, député, coprésident et de
M. François Pillet, sénateur, coprésident

Audition de M. Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique, et de M. Fabrice Besacier, chef de la section « Stupéfiants » du laboratoire de police scientifique de Lyon

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Messieurs, chacun connaît la réputation nationale et internationale de l'Institut national de police scientifique, qui réalise les analyses scientifiques que lui demandent les autorités judiciaires et les services de police et de gendarmerie. Cet institut est à la croisée des chemins pour détecter la présence de stupéfiants et assurer une mission de veille vis-à-vis des molécules nouvelles. Pouvez-vous nous tracer les grandes lignes de votre action et nous indiquer les principaux enseignements que vous tirez de votre travail ?

M. Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique . - Mesdames et messieurs les parlementaires, M. Fabrice Besacier et moi-même sommes heureux de pouvoir vous parler aujourd'hui du travail qu'accomplissent les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique qui luttent contre les stupéfiants, en particulier celui de Lyon qui est à la pointe de ce combat depuis plus de vingt-cinq ans.

L'institut est un établissement public de l'État, qui regroupe l'ensemble des laboratoires de culture « policière » : les deux de Paris, dont l'un, le laboratoire de toxicologie, s'occupe de stupéfiants ; celui de Toulouse ; celui de Lille ; celui de Marseille et celui de Lyon, le plus investi et le plus réputé en matière de stupéfiants.

Nous intervenons en tant qu'experts judiciaires, l'institut, en tant que personne morale, étant inscrit sur la liste des experts agréés par la Cour de cassation. Outre ce « label » judiciaire, l'institut bénéficie d'un label qualitatif, nombre de ses activités, dont celles de M. Fabrice Besacier, étant accréditées par le Comité français d'accréditation. L'année dernière, tous laboratoires confondus, les sept cents membres du personnel ont traité à peu près 188 500 dossiers. Le rythme de travail est donc sans commune mesure avec celui des laboratoires de police scientifique qui apparaissent dans certaines séries télévisées, où dix individus travaillent sur le même dossier pendant quinze jours !

L'essentiel de notre activité, soit 90 %, passe aujourd'hui par la biologie génétique. Mais certaines branches très régaliennes nécessitent une observation, un suivi et un investissement complets - je pense en particulier à la balistique et aux stupéfiants, sources de nuisances pour la santé, mais aussi de déstabilisation et donc d'insécurité.

Cinq laboratoires sont concernés par les stupéfiants.

Ce sont trente-quatre personnes qui participent à la lutte contre le trafic de stupéfiants, seize d'entre elles étant habilitées à intervenir en justice au nom de l'institut. Et, à côté de cette lutte contre les trafics, qui passe par l'analyse de stupéfiants et l'aide aux services d'investigation, il y a la lutte contre l'usage de stupéfiants, qui concerne les consommateurs : c'est la partie « toxicologie » de notre activité.

Initialement, il y a cent ans, les analyses toxicologiques étaient réalisées post mortem : on procédait à une analyse des viscères et du sang lors des autopsies. Elles se sont transformées progressivement avec les exigences de la sécurité routière. Aujourd'hui, les sections « toxicologie » de nos laboratoires analysent majoritairement le sang prélevé sur des automobilistes pour la recherche d'alcool, et maintenant, surtout, de stupéfiants.

Contre le trafic de stupéfiants, l'an dernier, mille sept cents dossiers ont été traités, pour cinq mille scellés, ce qui représente une quantité énorme. Un scellé peut contenir un sachet de 50 grammes de substance illicite, mais c'est rare. Par exemple, l'an dernier, le laboratoire de Paris a travaillé sur une affaire concernant 70 kilogrammes de cocaïne, en pains de 500 grammes, et analysé cent quarante scellés ; ses travaux ont porté aussi bien sur les stupéfiants que sur les empreintes papillaires ou les traces génétiques.

Que font les laboratoires en matière de drogue ? Ils répondent aux premières questions qualitatives et quantitatives, pour savoir quel est le produit concerné. Les tests de réactifs réalisés dans les services opérationnels n'ont pas une valeur totalement probante. Il faut donc confirmer la nature exacte du produit qu'ont saisi les forces de l'ordre, puis déterminer la teneur du principe actif présent dans ce produit. Il est très important pour les enquêteurs ou les magistrats de savoir si la personne qu'ils ont en face d'eux possédait de la cocaïne avec un dosage de rue à 34 %, ou un dosage plus proche de celui que l'on trouve dans les aéroports, à 65 % : cela marque le « niveau » du trafic. Il faut enfin savoir si la prise que nous avons entre les mains s'intègre dans une enquête plus large, en faisant des rapprochements entre différentes saisies de drogues. Pour y parvenir, plusieurs outils ont été développés : un outil qui est présent dans les cinq laboratoires, et un outil qui est spécialement développé à Lyon.

L'outil présent dans les cinq laboratoires est un logiciel dénommé STUPS (Système de traitement uniformisé des produits stupéfiants), dont la version informatique a été renouvelée cette année. Il est alimenté par les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique, ainsi que par l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Il est consultable par l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et par la brigade des stupéfiants de Paris. Il permet de décrire tout ce qui est d'ordre procédurier : référence du service enquêteur et du magistrat chargé de l'affaire, éléments de procédure, lieu où la marchandise a été saisie, etc. Il donne des compositions chimiques de base : de quel produit s'agit-il ? Quelle est sa teneur en principe actif ? Quels sont les produits de coupage ? Il donne aussi des descriptifs visuels, en particulier pour les pains de cannabis ou les cachets de drogue de synthèse. Ce dernier élément permet d'établir des liens. En effet, le toxicomane est un « client » fidèle : quand il a trouvé un produit qui lui plaît, il a tendance à rechercher le même, et sous la même présentation.

Ce logiciel est alimenté à partir des produits que nous recevons nous-mêmes pour des analyses complètes ou, lorsqu'il y a des prises importantes, à partir des échantillons supplémentaires qui sont envoyés à nos laboratoires, même dans les cas où les analyses initiales ne nous ont pas été confiées. Nos laboratoires publics ne sont pas implantés sur tout le territoire. Les officiers de police judiciaire sont tentés de faire appel à nous, car nos prestations sont gratuites, contrairement aux laboratoires du secteur privé. Mais il se peut que des enquêteurs, dans des endroits où nous n'avons pas d'implantation proche, par exemple le grand Ouest ou le grand Est, s'adressent à un laboratoire privé qui leur fournira une réponse plus rapide. Ensuite, ils nous envoient leurs échantillons pour alimenter le logiciel STUPS.

Un travail encore plus fin est accompli par le laboratoire de police scientifique de Lyon qui est, depuis très longtemps, la « flèche » en matière d'analyse de stupéfiants. Le premier texte faisant référence à une spécialisation du laboratoire de police scientifique de Lyon remonte à 1986. Il portait sur la création d'un fichier national des drogues saisies. Ce fut la première version du fichier STUPS ; nous en sommes maintenant à la seconde version. Le laboratoire de Lyon est en outre réputé sur le plan international pour son savoir-faire dans le domaine du « profilage » des drogues, à partir d'une méthode développée par M. Fabrice Besacier que je suis très fier de compter parmi mes collaborateurs.

Cette méthode est partie du triste point de vue qu'une drogue n'est jamais un produit sain ou naturel. On peut peut-être encore trouver dans les montagnes des Andes ou en Afrique des herbes pures à mâcher, mais dès lors que la drogue arrive sous nos latitudes, elle a été transformée, notamment par l'adjonction de diluants, pour aboutir au produit à commercialiser. Or ces multiples composantes laissent des traces, mêmes infimes, et la juxtaposition de ces traces infimes permet de dresser, à partir d'un calcul mathématique, le « code génétique » initial d'un lot de drogue. Ce code ne changera pas même si la drogue, par la suite, est à nouveau coupée.

Une telle méthode est très intéressante. En effet, pour des services d'enquête dont la finalité est de démanteler des structures, elle permet de faire des liens entre une prise de drogue à un bout de la France, et la même drogue retrouvée à l'autre bout. On peut ainsi prouver que ces prises proviennent du même lot. Cette méthode a été développée pour la cocaïne. Elle est maintenant développée pour l'héroïne, et l'on projette de l'étendre aux drogues de synthèse. On fait même des recherches sur des molécules de cannabis. Cette méthode est surtout utile aux enquêteurs ayant un large champ d'investigation.

Ces travaux sont réalisés dans la section dirigée par M. Fabrice Besacier. Lorsque nous recevons des saisies de cocaïne ou d'héroïne, que nous les analysons et que nous trouvons des liens entre elles, il arrive régulièrement que même les enquêteurs n'aient pas soupçonné l'existence de tels liens. Notre travail consiste à les retrouver et, lorsque les procédures ne sont pas closes, à fournir aux enquêteurs des éléments leur permettant d'ouvrir le champ de leur investigation et, ainsi, d'approfondir la connaissance du réseau à démanteler.

Pour ce travail, M. Fabrice Besacier a conçu le logiciel OTARIES (Outil de traitement automatisé pour le rapprochement inter-échantillons de stupéfiants). Ce logiciel dispose d'une finalité et d'une finesse dans les approches chimiques dont ne disposait pas le logiciel STUPS. Il ne peut pas intéresser tous les services d'enquête. C'est pour cela que l'on n'envisage pas d'étendre OTARIES à tous les laboratoires, mais seulement au laboratoire de Paris qui pourra ainsi travailler en réseau avec celui de Lyon. Reste que c'est un outil primordial pour la traçabilité de la drogue, la connaissance des réseaux et l'établissement de liens entre les lots saisis.

OTARIES a permis jusqu'à présent d'identifier trois cents lots « initiaux » de cocaïne et cent lots d'héroïne, qui avaient fait l'objet de plusieurs démultiplications dans le pays. C'est à cela que correspond le graphique du dossier que je vous ai remis et qui a pu vous apparaître quelque peu abscons. Il retrace les liens établis entre des prises de drogue en région Rhône-Alpes, lesquels ont permis de découvrir que le travail réalisé d'un côté par des policiers et de l'autre par des gendarmes concernait les mêmes lots de cocaïne, ce que les enquêteurs eux-mêmes ne soupçonnaient pas.

Le deuxième angle sous lequel travaillent les laboratoires de l'institut est celui de la toxicologie appliquée à la sécurité routière et à la recherche de stupéfiants. En l'occurrence, nous accompagnons la montée en puissance de la politique de sécurité routière. Nous sommes passés de la recherche d'alcool, où il y a néanmoins encore de la demande, à la recherche de stupéfiants. L'an dernier, 5 500 dossiers de nature criminalistique ont été traités par les sections de toxicologie ; plus de 3 000 concernaient des détections de stupéfiants. La recherche de stupéfiants chez les automobilistes est donc devenue l'activité majoritaire, au sein de l'activité toxicologique, à côté de la recherche d'alcool et des analyses post mortem.

Dans 68 % des cas dont nous avons été saisis, nous avons effectivement trouvé de la drogue, lorsqu'il y avait suspicion à partir des tests initiaux ou des comportements. Dans 90 % des cas, il s'agissait de cannabis.

Lorsque nous sommes saisis, nous avons une vision claire de ce qui se passe. Mais nous ne faisons pas les prises de sang. Nos laboratoires s'inscrivent non pas dans une démarche médicale, mais dans une démarche criminalistique. En cas de suspicion de consommation de stupéfiants, l'automobiliste est conduit dans un hôpital qui procède à la prise de sang et effectue l'analyse pour établir le dosage. Certes, l'hôpital fait payer ses prestations, alors que nos prestations sur réquisition sont gratuites. Mais il est plus simple de s'adresser à l'hôpital. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas une vision exhaustive du phénomène. Quoi qu'il en soit, nous constatons, lorsque nous sommes saisis, que le cannabis est la drogue la plus souvent consommée par les automobilistes qui font l'objet de contrôles et de détections positives.

Telle est, globalement brossée, l'activité des laboratoires de l'institut s'agissant de la drogue.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Les laboratoires de l'institut ont donc un rôle d'observateur, un peu différent de celui des personnes que nous avons entendues jusqu'à présent, qu'il s'agisse de représentants de la police, de la justice, de médecins, ou d'associations. Néanmoins, nous leur avons tous posé la même question : avez-vous remarqué, depuis les débuts de votre activité, une évolution dans l'offre de produits stupéfiants en France ?

On nous a dit que le taux de tétrahydrocannabinol (THC) du cannabis n'était plus du tout le même que dans le passé et que, sous ce nom, se cachaient des substances diverses, dont l'action est d'ailleurs de plus en plus nocive. Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ?

M. Frédéric Dupuch . - Il est très difficile pour nous d'apprécier l'évolution quantitative des produits. Nous agissons sur saisine et nous ne pouvons donc nous prononcer qu'à partir de ce qui nous est envoyé. Prétendre à une connaissance exhaustive de ce qui se passe signifierait que nous recevions tout, ce qui n'est pas le cas.

Si l'on examine aujourd'hui les résultats de l'année 2010 à partir du logiciel STUPS, on trouve dans les produits saisis 40 % de cocaïne, 33 % de cannabis et 16 % d'héroïne. Mais ces résultats dépendent des services enquêteurs qui ont saisi les prises et les ont envoyées aux laboratoires. Je ne pense pas que l'on puisse en déduire une approche quantitative de la majorité des produits qui circulent.

En matière de sécurité routière, nous trouvons en majorité du cannabis. Et lorsque nous analysons les prises, nous nous apercevons que le taux de THC est aujourd'hui de 11 %, ce qui traduit une croissance lente de la teneur en principe actif.

Selon les études documentaires de M. Fabrice Besacier, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le taux de THC du cannabis était de 5 %. Ce taux a relativement peu bougé jusqu'à la fin des années 1990. Il a maintenant doublé. À quoi cela est-il dû ? Au recours à des organismes génétiquement modifiés, à des systèmes de pousses bien alimentées et à un éclairage plus fort. Vous avez entendu parler, il y a un mois, d'une affaire en Seine-Saint-Denis : tout un équipement avait été mis au point, notamment avec de la lumière forcée, pour faire pousser du cannabis. M. Fabrice Besacier, qui a été saisi de prises de différentes feuilles, a vu que le THC de certains plants atteignait 14 %.

La teneur en principe actif des autres produits que nous appréhendons est relativement stable. La pureté moyenne de la cocaïne aux frontières, que nous étudions à partir de Roissy, est de 64 %. Elle est de 34 % pour les prises réalisées sur la voie publique. Le taux de pureté de l'héroïne ne change pas : il est de 13 %. Le cannabis, en revanche, est de plus en plus pur.

Venons-en aux médicaments. C'est un domaine dans lequel nous travaillons main dans la main avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, précisément pour jouer un rôle d'alerte. Vous savez que ne peut être poursuivi pour trafic de drogue que quelqu'un qui vend de la drogue, concept qui obéit à une définition juridique. Les drogues médicamenteuses sont listées dans un texte réglementaire, mis à jour par le ministère de la santé. Si un produit s'en rapproche, mais qu'il ne correspond pas à la définition, il n'est pas considéré comme une drogue illicite et ne peut donc, en tant que tel, donner lieu à des poursuites, alors même qu'il est toujours possible d'incriminer les trafiquants pour des infractions de nature fiscale ou douanière.

Lorsque nous recevons des produits dont les analyses chimiques permettent de dire qu'ils sont proches de tel médicament considéré comme une drogue, mais qui n'en sont pas tout à fait une parce qu'une branche de la molécule a été modifiée lors de la conception chimique, nous faisons remonter cette information à l'observatoire, et celui-ci soumet la question au ministère de la santé pour que la liste des substances illicites soit réévaluée. Tout un réseau européen travaille sur ce sujet afin d'alimenter réciproquement les pays et se tenir à jour.

Un exemple récent est fourni par la méphédrone, un médicament qui est désormais considéré comme une drogue. Un léger déplacement d'une des branches chimiques de la molécule initiale avait permis de ne rien changer aux effets psychotropes de cette drogue. Mais ce n'était plus tout à fait la même molécule. Les douanes ont saisi des quantités énormes de ce nouveau produit, appelé M-4. Elles l'ont bloqué sous couvert d'une infraction douanière, mais on ne pouvait pas poursuivre les trafiquants pour trafic de drogue. La liste des stupéfiants a donc été modifiée et, maintenant, le M-4 est considéré lui aussi comme une drogue.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Le Subutex ne figure pas dans le tableau des stupéfiants. Il fait pourtant lui aussi l'objet d'un trafic. Peut-il être intégré à d'autres substances ? Avez-vous à faire des analyses sur ce produit ?

Par ailleurs, vous avez dit que sur 5 500 dossiers de toxicologie, 3 000 portaient sur la détection de stupéfiants. Intervenez-vous à la suite d'accidents ou de contrôles inopinés ? On a encore du mal à apprécier la responsabilité du cannabis, par rapport à celle de l'alcool, dans les accidents routiers. Avez-vous analysé ce produit ?

M. Frédéric Dupuch . - Il y a encore dix-huit mois, avant la distribution des kits salivaires, les contrôles « d'initiative » par les forces de l'ordre, hors accident, pour rechercher des stupéfiants, étaient rarissimes. Il faut dire que conduire quelqu'un à l'hôpital pour de telles recherches et risquer de lui faire perdre quatre heures pour rien n'était pas de nature à améliorer les relations entre la police, la gendarmerie et la population. Les saisines qui aboutissaient étaient toutes « post accident » et, dans 60 % à 70 % des cas, on constatait la présence effective de drogue, très majoritairement de cannabis.

Il en va différemment aujourd'hui, puisque des opérations routières sont menées hors contexte d'accident. Nous y sommes d'ailleurs souvent associés. Les laboratoires sont prévenus d'avance par les parquets et ils mettent en place des dispositifs pour pouvoir procéder aux analyses pendant le week-end.

M. Fabrice Besacier, chef de la section « Stupéfiants » du laboratoire de police scientifique de Lyon . - Nous sommes parfois destinataires de saisies de Subutex, principalement sous forme de poudre. À ce moment-là, les services de police pensent avoir affaire à une drogue, éventuellement à de la cocaïne ; il faut dire que les tests colorimétriques ont tendance à réagir comme s'il s'agissait de cocaïne. Ils nous demandent donc de confirmer qu'il s'agit d'un produit stupéfiant. Le Subutex est toujours vendu sous forme de comprimés. Lorsqu'il est sous forme de poudre, nous pouvons en conclure qu'il s'agit d'un trafic. À chaque fois, nous avons confirmé qu'il s'agissait bien de Subutex. Mais cela représente un très petit nombre de cas par rapport aux autres produits plus « classiques ». Il nous est donc difficile de considérer qu'il y a un trafic important de Subutex.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - J'aimerais revenir sur les médicaments inscrits au tableau des stupéfiants. Avez-vous la possibilité de les rechercher ? Est-ce que ce sont ceux-là que vous testez ?

M. Frédéric Dupuch . - Nous testons tout ce qui nous est envoyé. C'est seulement au moment de l'analyse que nous rendons compte si la substance correspond à la définition d'un produit figurant sur la liste des stupéfiants. Mais l'enquêteur, sur le terrain, est encore moins bien placé que nous pour savoir si le comprimé qui a été trouvé figure ou non sur cette liste.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Dans vos 3 000 analyses menées en matière de sécurité routière, le cannabis était-il consommé seul ou associé à d'autres drogues ? Dans la seconde hypothèse, dans quelles proportions ?

M. Frédéric Dupuch . - Nous ne disposons pas de ces informations.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Que recherchez-vous ? Le cannabis ? L'héroïne ?

M. Frédéric Dupuch . - Nous recherchons les quatre composantes.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Vous n'en connaissez pas les proportions ?

M. Frédéric Dupuch . - Non, mais je peux vous dire que sur l'ensemble des produits que nous avons découverts, il y avait 80 % de cannabis et 20 % d'autres produits. Est-ce que ces 20 % sont cumulatifs ou concernent des dossiers distincts ? Je ne le sais pas.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - L'analyse statistique n'a-t-elle pas été menée ?

M. Frédéric Dupuch . - Non, mais on va sans doute la faire.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Les normes actuelles de détection du cannabis vous semblent-elles satisfaisantes ? Observe-t-on une élévation des taux ?

M. Frédéric Dupuch . - Le cannabis, comme toutes les drogues, est détectable par les laboratoires, même à dose infinitésimale. Aujourd'hui, le taux moyen de THC est de 11 %.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - J'aimerais également savoir comment vous pouvez préciser la date de consommation.

M. Fabrice Besacier . - Dans 80 % des prélèvements réalisés dans le cadre d'opérations de sécurité routière qui nous sont envoyés, nous trouvons du cannabis. Il est très rare que celui-ci soit associé à d'autres drogues. Parfois, il est associé à de l'alcool.

Il convient ensuite de distinguer l'herbe de cannabis de la résine de cannabis. Le taux moyen de 11 % de THC concerne la résine de cannabis, produit qui se présente sous forme de plaquette, comme une plaquette de chocolat. Son dosage est relativement stable ; depuis dix ou quinze ans, on observe que son taux de THC a tendance à augmenter.

L'herbe de cannabis est plus difficile à analyser. Dans l'affaire de Seine-Saint-Denis, les plants en étaient à différentes étapes. Ceux qui nous ont été envoyés étaient très petits, au début de la pousse. Ceux qui étaient à maturité avaient déjà été récoltés. Or le taux de THC d'un petit plant est très faible, autour de 0,5 %, alors que celui du « produit fini » peut atteindre 14 %. Il est donc difficile d'établir une statistique sur l'herbe de cannabis, puisque le taux de THC dépend du prélèvement sur lequel la mesure a été faite.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Vous avez parlé de l'incidence de la lumière sur les plants de cannabis. N'a-t-on pas plutôt recours à des modifications génétiques pour augmenter la teneur en THC ?

M. Fabrice Besacier . - On a tendance à acheter des graines génétiquement modifiées, de manière à obtenir des taux assez élevés de THC. Ensuite, on essaie d'optimiser ce taux par des conditions de culture favorables : lumière, humidité, etc. Dans certaines régions, mieux vaut faire de la culture en intérieur.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Sur vos 3 000 prélèvements positifs, combien se rapportent à la criminalité hors sécurité routière ?

M. Frédéric Dupuch . - Ces 3 000 prélèvements concernent uniquement la sécurité routière. Ils font l'objet d'analyses toxicologiques, à la suite d'opérations de contrôle ou d'opérations « post accident ».

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Intervenez-vous en matière de criminalité ?

M. Frédéric Dupuch . - Il ne faut pas oublier que les laboratoires interviennent dans une démarche d'expertise et répondent à une question précise qui leur est posée, par exemple : quelle est la teneur de drogue dans l'échantillon qu'on vous transmet ? À la différence de ce que l'on voit dans les séries télévisées et conformément au droit français, experts et enquêteurs ne sont pas les mêmes personnes. Il en va de leur indépendance. Les laboratoires peuvent même ne pas savoir si l'échantillon a été prélevé à la suite d'un meurtre ou d'une affaire de contravention.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez posé une question sur l'ancienneté de la consommation. Les experts ont tendance à dire que le sang, c'est la « mémoire courte », et les cheveux, la « mémoire longue ». Cela signifie que lorsque l'on trouve de l'alcool ou de la drogue dans le sang, c'est que leur consommation remonte à peu de temps. Lorsqu'on en trouve dans les cheveux, on peut remonter parfois des mois en arrière.

M. Georges Mothron, député . - Vous avez parlé de la traçabilité des lots. Avez-vous les moyens, par vos analyses, de remonter jusqu'au lieu de culture ? Pouvez-vous affirmer que tel lot de cannabis provient de telle province marocaine ? Il est important de connaître l'origine d'une drogue pour pouvoir faire de la prévention.

M. Fabrice Besacier . - La question de la détermination de l'origine d'une drogue - cannabis, cocaïne ou héroïne - revient assez souvent. Le problème est que, pour déterminer une origine, il faut disposer d'échantillons de référence venant des lieux de production. Si l'on nous fournit des échantillons marocains de différentes régions, nous pouvons les utiliser comme base de référence et, après comparaison, dire que telle saisie est, par exemple, plutôt d'origine marocaine. Mais actuellement, nous ne disposons pas de cette base de données de référence. Voilà pourquoi mon travail consiste essentiellement à faire des rapprochements sur des saisies faites en France, de manière à reconstituer les réseaux de distribution.

M. Daniel Vaillant, député . - On sait que la conduite sous emprise d'alcool est une conduite à risque. On sait déterminer le taux d'alcool d'un conducteur à l'instant t, et apprécier le risque en conséquence. Mais qu'en est-il avec le cannabis ? Peut-on établir la dangerosité du comportement d'un conducteur en fonction de sa prise de cannabis et du moment où il a pris cette substance ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous informer de l'évolution des produits et de leur provenance, et surtout de la rapidité avec laquelle les trafiquants conçoivent de nouveaux produits, notamment à partir de molécules de synthèse ? Pouvez-vous anticiper ou aider la police et les autorités à anticiper sur l'intelligence de celles et ceux qui fabriquent chez nous, ou à l'extérieur de notre pays, des produits illicites ?

M. Fabrice Besacier . - Comme l'a rappelé M. Frédéric Dupuch, nous avons un rôle de veille. Nous travaillons sur l'apparition de nouvelles substances, mais aussi sur de nouvelles pratiques s'agissant de substances plutôt « classiques ».

Par exemple, s'agissant de la cocaïne, la difficulté rencontrée par le trafiquant est d'acheminer le produit jusqu'en France. Il doit donc trouver un moyen de dissimulation qui lui permette de passer les frontières. Nous alertons les services opérationnels en leur indiquant que la cocaïne peut être facilement dissoute - jusqu'à un demi-kilogramme dans une bouteille d'un litre de soda - ou incorporée dans le plastique thermoformé d'une valise. Une fois en France, quelques laboratoires clandestins utilisent des produits chimiques du commerce pour récupérer cette cocaïne et la revendre. Telles sont les tendances actuelles.

S'agissant toujours de la cocaïne, dont la consommation a augmenté ces derniers temps, nous avons observé que, contrairement à ce qui se passait il y a dix ou quinze ans, elle arrive en France déjà coupée, que ce soit dans les cargos ou à l'aéroport, notamment à Roissy. Ensuite, à peine arrivée sur le territoire national, un coupage beaucoup plus important est opéré, essentiellement à partir de produits pharmaceutiques détournés, et la pureté de cette cocaïne peut descendre jusqu'à 10 % ou 20 % au niveau de la rue.

Quant aux drogues de synthèse, depuis deux ans environ, nous avons vu apparaître deux nouvelles sortes de produits.

D'une part, les « spice », qui sont vendus dans certains pays européens sous la dénomination de « sels de bain ». Il s'agit de cannabinomimétiques dont les effets sont proches de ceux du cannabis et qui sont fabriqués essentiellement en Asie. Ces molécules sont très connues parce qu'elles ont été développées, pour la plupart, par des universitaires dans le cadre d'études sur les comportements liés à la prise de cannabis. Elles ont ensuite été détournées et vendues pour être consommées.

En France, nous avons classé certains de ces produits depuis peu de temps. Mais les cas sont rares et les saisies sont peu nombreuses. Dans les autres pays européens et aux États-Unis, le nombre de cas est en revanche très élevé. Une nouvelle molécule arrive toutes les semaines sur le marché, ce qui pose le problème de la législation et de la réglementation applicables à ces produits. Les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays ont choisi d'établir une classification par analogies : ils ne classent pas une molécule, mais une famille de molécules structurellement proches, par rapport à un ensemble chimique.

En dehors des « spice », il faut mentionner une deuxième catégorie de molécules dont a parlé M. Frédéric Dupuch : les methcathinones, dont la 4-MEC, et la méphédrone. Ce sont de nouvelles familles de drogues de synthèse qui ont des effets proches de l'ecstasy.

Là encore, il s'agit de molécules apparentées, dont les structures chimiques sont extrêmement proches même si elles ont été modifiées. La méphédrone a été classée comme stupéfiant. Depuis lors, nous n'avons quasiment pas de saisies. En revanche, d'autres produits sont apparus, qui sont proches mais qui peuvent ne pas être classés comme stupéfiants.

M. Frédéric Dupuch . - En matière de prévention, les maîtres mots sont diffusion et coopération. À l'institut, ils s'appliquent à la drogue et à d'autres domaines. Nous avons la chance de faire partie d'un organisme européen, le réseau européen des laboratoires publics de criminalistique (European network of forensic science institutes), qui comporte, entre autres, un groupe « Stupéfiants » à l'intérieur duquel se trouve le groupe « Profilage » présidé par M. Fabrice Besacier. Les spécialistes gouvernementaux de toute l'Europe - au sens géographique du terme - y échangent tout ce qu'ils trouvent et toutes leurs pistes au cours de réunions et par voie de courriels. Ainsi, chacun peut prévenir les autres dès qu'il détecte quelque chose d'anormal sur son territoire. Par ailleurs, sur le plan national, nous sommes en relation étroite avec l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et nous leur communiquons les éléments qui nous paraissent suspects.

Le deuxième axe est celui de la coopération internationale. Il est évident que pour bien anticiper, nous devons travailler davantage avec les pays étrangers. Cette coopération s'est accélérée avec le Brésil, qui est le pays d'Amérique du Sud avec lequel nous collaborons le plus étroitement. Plusieurs missions ont été conduites au laboratoire de Brasilia pour y enseigner nos méthodes de test, d'analyse et de discrimination des drogues. L'année prochaine, un scientifique du laboratoire de Brasilia viendra chez nous pendant un an s'imprégner de nos méthodes de travail. Nous espérons, à partir de cette plateforme brésilienne, avoir une bonne connaissance de toute la cocaïne d'origine, et une meilleure capacité d'analyse.

Nous coopérons aussi avec d'autres pays. L'an dernier, nous avons reçu le directeur du laboratoire de police de Rabat, au Maroc. Nous souhaitons en effet régler, avec des pays sources, dans d'autres domaines que celui de la cocaïne, le problème énorme de l'acheminement d'échantillons.

Nous avons engagé une démarche avec l'Afghanistan pour couvrir le Triangle d'or. Nous y avons investi de l'argent en matériel et en missions sur place, mais, pour l'instant, nous n'avons pas encore réussi à obtenir les échantillons locaux qui nous permettraient de croiser les sources d'origine. Cela ne marche pas à tous les coups, mais ce n'est pas une raison pour ne pas insister. La coopération internationale est un autre moyen d'anticiper sur ce que font les trafiquants.

Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée . - N'aurait-on pas intérêt à instituer un classement international des stupéfiants ? Cela nous permettrait d'être plus réactifs et de ne pas devoir, lorsqu'un produit apparaît en France, attendre un an ou deux pour le classer comme drogue.

Par ailleurs, les drogues évoluent : taux de THC plus élevé, modifications génétiques, mélanges, etc. Les consommateurs en sont-ils conscients ? Ne faudrait-il pas les informer, pour leur montrer que ce qu'ils consomment aujourd'hui n'a rien à voir avec ce que leurs parents ou leurs grands-parents consommaient ?

M. Frédéric Dupuch . - Les drogues de synthèse posent un énorme problème en Europe du Nord, mais pas en France, où l'on consomme surtout du cannabis et de la cocaïne. Cela explique que la Suède ait mis en place le programme European drugs profiling system, qui porte sur ces drogues. En 2010, on a recensé sur la totalité de l'Europe vingt-quatre adaptations créant de nouvelles drogues. La communication s'est faite et les pays ont adapté leurs réglementations respectives.

Nous sommes rarement associés à l'information des consommateurs. En revanche, au sein des services de police et de gendarmerie, des policiers ou des gendarmes formateurs antidrogue interviennent auprès des jeunes. Dans l'environnement scolaire, les représentants des forces de l'ordre, seuls ou avec du matériel médical, mènent de nombreuses actions. Nous intervenons parfois nous-mêmes à l'occasion des journées « Police scientifique ». Les actions des forces de l'ordre, en particulier celles de la police parisienne, qui est très assidue, visent davantage la population des collèges : avant c'est trop tôt, après c'est trop tard. Elles délivrent notamment, et depuis longtemps, un message sur le cannabis : le taux en THC du cannabis des années 1960 n'a rien à voir avec celui d'aujourd'hui, dont la dangerosité et le degré d'accoutumance sont bien supérieurs.

M. Philippe Goujon, député . - Monsieur Frédéric Dupuch, vous avez comparé les séries télévisées et votre réalité quotidienne. Les moyens qui vous sont alloués vous permettent-ils de mener de façon satisfaisante et dans des délais raisonnables le travail que vous venez de décrire ? Comment vos laboratoires coopèrent-ils avec les autres services de police ou les ministères ? Enfin, pourriez-vous nous donner une idée du coût des expertises ?

M. Frédéric Dupuch . - L'institut, conformément à la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne qui l'a créé et au décret du 9 novembre 2004 qui l'encadre, est ouvert à tous ceux qui participent au processus de l'enquête pénale. Il est accessible à la justice, à la police et à la gendarmerie. Aujourd'hui, sur cent saisines, 90 % sont des réquisitions - deux tiers de la police et un tiers de la gendarmerie - et 10 % des commissions d'experts.

Conformément à la loi et au décret qui le régissent, l'institut ne fait pas payer son activité sur réquisition, alors que les prestations directement demandées par des magistrats sont facturées sur la base d'une grille de tarifs qui est votée par le conseil d'administration et est accessible sur le site internet de la Cour de cassation. Les tarifs sont néanmoins beaucoup moins élevés que ceux des laboratoires privés. Notre but n'est pas de faire du profit, mais d'amortir le coût des consommables.

J'insiste sur cet aspect de la gratuité des réquisitions. Nous sommes financés sur le programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurité », ce qui n'est pas sans faire grogner parfois le directeur général de la police nationale : le personnel est payé par la police nationale, la subvention de fonctionnement est versée sur le budget « Police nationale », mais un tiers des réquisitions sont effectuées au bénéfice de la gendarmerie nationale qui ne verse pas un centime. Ce léger déséquilibre d'encadrement financier du fonctionnement de l'institut entraîne de temps en temps des discussions très vivantes...

La vision cinématographique ou télévisuelle qui est donnée de l'expertise date un peu : les experts s'y occupent uniquement d'affaires criminelles et travaillent « à l'ancienne », sur un mode néo-artisanal. Si vous veniez au laboratoire de Lyon, vous pourriez constater que les installations sont de nature industrielle. On ne voit quasiment plus de scientifique travailler avec un pipetage individuel sur un dossier. En toxicologie et en génétique, le personnel utilise des plateformes automatisées qui permettent de traiter des lots de 48 ou 96 « puits ». Le régime de travail permet de répondre à la demande en quantité et en rapidité - autant que faire se peut.

Globalement, les laboratoires n'ont pas à se plaindre de leurs moyens, malgré la révision générale des politiques publiques qui s'applique également aux forces de sécurité. L'an dernier, nos effectifs se sont accrus de 8 % et le budget de fonctionnement dont nous disposons n'a pas été revu à la baisse depuis trois ans. J'ajoute que lorsque nous demandons un peu plus, en particulier pour moderniser nos équipements, nous l'obtenons. Nous sommes donc un peu des « enfants gâtés ». Malgré tout, nous tentons de réduire nos coûts, par exemple en revoyant nos procédures analytiques, afin d'augmenter notre production - nous en sommes à 25 % d'augmentation.

Enfin, nous arrivons maintenant, en matière de stupéfiants, à répondre toujours dans un délai d'un mois au maximum. Mais en cas de nécessité, nous pouvons être plus rapides. Par exemple, en cas de garde à vue, nous répondons dans le temps de la garde à vue.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Nous avons appris que la teneur en principe actif de certains plants de cannabis avait augmenté, qu'on faisait des modifications génétiques, que de nouvelles molécules étaient apparues et qu'on savait incorporer de la cocaïne dans des valises de plastique thermoformé. La technicité croissante des méthodes utilisées par les trafiquants suppose des compétences et des infrastructures, et lutter contre ce type de criminalité très organisée suppose de nouveaux moyens d'investigation. Y avez-vous pensé ? Comment combattre un tel « professionnalisme » ?

M. Frédéric Dupuch . - L'exemple très significatif du plastique ou des bouteilles de rhum dans lesquelles on met de cocaïne vient de prises frontalières, majoritairement de l'aéroport de Roissy qui est le lieu de transit où l'on fait les plus grosses prises et où l'on trouve les drogues les « mieux » dosées. Qui dit aéroport dit origine lointaine, et qui dit origine lointaine dit coopération internationale.

Le travail « de fourmi », qui consiste à faire de multiples allers et retours dans les pays limitrophes où transite la drogue, relève davantage du maillage territorial traditionnel - investigations, infiltrations, etc. Mais pour lutter contre les entrées de grosses quantités, nous devrons travailler avec les pays sources.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Si j'ai bien compris, vous avez un rôle de veille et d'alerte. Mais qui a accès à vos informations ?

M. Frédéric Dupuch . - Nous avons essentiellement un rôle d'expertise judiciaire : nous sommes au service de l'investigation pénale. Accessoirement, en marge de cette mission, nous transmettons les découvertes que nous sommes amenés à faire au cours de nos analyses, par exemple à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies - pour les nouveaux produits - et aux autres laboratoires qui s'inscrivent également dans une démarche de criminalistique. Notre mission d'investigation va d'ailleurs de pair avec la protection du secret de l'enquête et du secret de l'instruction.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Êtes-vous lié à l'Institut médico-légal de Paris, place Mazas ?

M. Frédéric Dupuch . - L'Institut médico-légal occupe, côté morgue, le rez-de-chaussée et les quatre étages du bâtiment de la place Mazas dans le douzième arrondissement. Le laboratoire scientifique de Paris, avec ses activités « stupéfiants » et « toxicologie », occupe la partie en rez-de-jardin, le dernier étage ainsi que les préfabriqués « provisoires » construits depuis trente ans sur le toit.

M. Daniel Vaillant, député . - Certains sont prêts à aller loin pour des raisons de rentabilité. Pourriez-vous nous parler des billes de verre qui avaient été rajoutées à des plants de cannabis ?

M. Fabrice Besacier . - Les consommateurs pensent que l'herbe de cannabis est un produit plus fiable parce que c'est un produit naturel, une herbe qui est fumée telle quelle. Or, dans tous les pays d'Europe, notamment en 2008 jusqu'au début 2009, des micro-billes de verre, de l'ordre de 50 micromètres, ont été insérées dans la plante, dans ses sommités fleuries. L'intérêt pour le trafiquant était qu'elles faisaient briller le produit, qui semblait davantage dosé en THC, et qu'elles pouvaient en augmenter la masse jusqu'à 30 %. Mais quand les gens le fumaient, les micro-billes pouvaient se casser et provoquer une atteinte pulmonaire ; ce fut le sujet d'un bulletin de la Société française de pneumologie en 2008. Un tel lot d'herbes a circulé en Europe pendant environ un an. Cela prouve qu'un produit relativement connu peut faire l'objet d'ajouts qui en augmentent encore la dangerosité.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Merci pour cette audition, qui était passionnante.

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