Audition des Professeurs Paul Lafargue, président de la commission « Substances vénéneuses et dopantes » de l'Académie nationale de pharmacie, Pierre Joly, président de l'Académie nationale de médecine et Jean Costentin, membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine

M. le professeur Jean Costentin, membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine . - J'ai dirigé pendant vingt-quatre ans une équipe de neuro-psycho-pharmacologie expérimentale du Centre national de la recherche scientifique, dont les principaux objets d'étude étaient la cocaïne et le cannabis. Je suis membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine et de la commission « Substances vénéneuses et dopantes » de l'Académie nationale de pharmacie.

Président du Centre national de prévention, d'études et de recherches sur les toxicomanies, je dirige aussi une consultation destinée aux usagers de cannabis à l'hôpital. Je donne régulièrement des conférences sur les méfaits du cannabis à des publics scolaires, des universitaires, des psychiatres et des équipes éducatives. Je fais partie du conseil scientifique de l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques. J'ai publié l'ouvrage « Halte au cannabis », participé à la rédaction du rapport « Désamorcer le cannabis dès l'école » de l'Académie nationale de médecine et écrit, avec M. Henri Chabrol et Mme Marie Choquet, « Le cannabis et ses risques à l'adolescence ».

Les statistiques de la consommation de drogues dans notre pays sont calamiteuses : 15 millions de Français sont en délicatesse avec le tabac, 4 millions avec l'alcool, et 1,7 million d'entre eux fument au moins un « joint » de cannabis tous les trois jours, ce qui les classe dans la catégorie des « usagers réguliers ».

L'exceptionnelle lipophilie du tétrahydrocannabinol (THC) en fait la drogue qui est stockée le plus durablement dans le cerveau, si bien qu'un « joint » tous les trois jours suffit à stimuler en permanence les récepteurs CB1. Mais la désensibilisation de ces récepteurs et la tolérance de plus en plus grande qui en résulte conduisent certains à accroître les doses pour continuer de ressentir les effets du cannabis : c'est le cas des 600 000 usagers quotidiens et multi-quotidiens. Le nombre total des consommateurs de cannabis place la France en tête des vingt-sept États membres de l'Union européenne.

On a longtemps contesté l'escalade dans l'usage de drogues alors qu'elle est évidente et, dans l'échelle qui mène de la consommation de méthylxanthines - présentes dans le café- à l'héroïne, en passant par le tabac, l'alcool et le cannabis, la cocaïne est de plus en plus prisée, comme le montre l'ampleur croissante des saisies. Ensuite, viennent les produits de substitution, Subutex et méthadone, qui font l'objet d'un trafic scandaleux. C'est particulièrement vrai pour le Subutex, dont un tiers des cachets, remboursés une fortune par la Sécurité sociale, sont absorbés par des jeunes gens qui n'étaient pas jusque-là usagers d'opiacés mais qui, quand ils ne se satisferont plus du Subutex, passeront à l'héroïne. Or, on dénombre déjà 250 000 héroïnomanes en France.

Pourquoi ces nombres terrifiants ? Les présidents de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui se sont succédé ont commis de graves manquements en ne prenant pas la mesure du drame ou en ne faisant rien pour l'empêcher. Mme Nicole Maestracci et, dans une moindre mesure, M. Didier Jayle ont joué un rôle délétère ; les responsabilités devront être recherchées. La campagne d'information que j'ai conduite était battue en brèche par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales au point que j'ai eu le sentiment de me trouver face à une « Mission interministérielle de lutte contre les détracteurs de la toxicomanie » ! Je rends hommage au président actuel de la mission interministérielle, qui tient enfin un discours adapté aux enjeux sociétaux posés par la drogue. Non, la drogue n'est pas une fatalité, même si le combat que nous menons contre les toxicomanies peut évoquer le mythe de Sisyphe. Il faut exercer une pression pédagogique constante et contenir notre attirance toxicophile. Là où il y a une volonté, il y a un chemin, mais s'il y a négligence ou, pire, complaisance, on aboutit aux statistiques que je vous ai communiquées.

Dans les années 1970, la Suède connaissait une situation semblable à celle qui est la nôtre maintenant. Puis le psychiatre Sven Andreasson a effectué, à partir d'une cohorte de 50 000 conscrits, une étude sur la relation entre leur consommation de cannabis avant l'âge de la conscription et l'évolution de leur santé mentale pendant les dix années suivantes. Les conclusions de l'étude, publiée en 1987 dans The Lancet, établissent que le fait d'avoir fumé plus de cinquante « joints » avant l'âge de la conscription multiplie par six le risque de développer une schizophrénie. Mais, en France, ce qui dérange est occulté ou minoré - on l'a vu pour le tabac : à quelle époque a-t-on su que le tabac tuait chaque année 66 000 personnes, soit la moitié de la population de Rouen ? J'en veux terriblement aux décideurs irresponsables qui ont autorisé la vente des fameuses « P4 », cigarettes vendues par paquets de quatre, faisant du collégien que j'étais un fumeur régulier.

Je suis celui qui méconnaît le moins le cannabis en France. Vouloir légiférer sur cette drogue sans en connaître tous les tenants pharmacologiques, pharmacocinétiques, épidémiologiques et cliniques tient du parfait surréalisme ; je me tiens à votre disposition pour un cours en la matière...

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Est-il exact que l'on est parvenu par sélection génétique à augmenter le taux du principe actif contenu dans les plants de cannabis ?

M. le professeur Jean Costentin . - C'est vrai. Les croisements ont permis d'obtenir un taux de principe actif multiplié par 8 - et celui des fleurs femelles sinsemilia est encore plus élevé. Les fumeurs de « joints » sont ainsi passés de la consommation conviviale et du rire bête à la « défonce ». Or, ces produits sont désormais en vente sur internet, et les « grow shops », qui ont scandaleusement pignon sur rue, vendent le matériel nécessaire pour une culture en chambre, hydroponique, sous éclairage artificiel, conçue pour la production de plants au taux de THC décuplé - avec les effets associés.

M. Gilbert Barbier , corapporteur pour le Sénat . - Peut-on parler de toxicomanie s'agissant de la consommation de cannabis ? En d'autres termes, cette drogue rend-elle dépendant ? Par ailleurs, qui doit mener les actions de prévention ? Quelles sont les populations prioritaires ? La médecine scolaire joue-t-elle son rôle ? Quel est celui de l'Académie nationale de médecine ?

M. le professeur Jean Costentin . - 50 % des filles et 70 % des garçons ont expérimenté le cannabis à l'âge de 18 ans. Le fait que 1,7 million d'entre eux deviendront des usagers réguliers traduit un pouvoir d'« accrochage » - de pharmacodépendance - très fort.

Pour caractériser la toxicomanie, on s'attache toujours aux manifestations de l'abstinence. Or la période de stockage du THC dans le cerveau est si longue qu'un fumeur peut attendre plusieurs jours avant d'avoir besoin d'un autre « joint » ; il peut donc ignorer être dépendant. Lorsque l'usager régulier est contraint de cesser sa consommation, par exemple s'il est incarcéré - encore que dans les prisons françaises, le cannabis se trouve plus facilement qu'en d'autres lieux - les manifestations physiques de l'abstinence ne se perçoivent que quinze ou vingt jours plus tard. Une étude australienne sur des usagers réguliers incarcérés - sachant que dans les prisons australiennes la drogue ne circule pas - a même montré que l'élimination urinaire des produits persistait huit semaines après l'arrêt de toute consommation.

En raison de cette longue rémanence, à aucun moment le consommateur ne ressent l'abstinence de façon abrupte. Toutefois, la dépendance physique a été avérée par l'administration d'un antagoniste des récepteurs CB1, le rimonabant : en se substituant brutalement au THC, il déclenche des syndromes d'abstinence semblables à ceux observés chez les héroïnomanes. La pharmacodépendance au cannabis est donc très forte, mais elle est masquée par la lente disparition du THC dans l'organisme.

Comme l'Académie nationale de médecine l'a expliqué dans son rapport « Désamorcer le cannabis dès l'école », la pédagogie commence bien trop tard en France. En Suède, on inculque aux enfants la peur de la drogue dès la maternelle, et cette aversion est entretenue par 40 heures de cours sur les méfaits des drogues dispensées jusqu'à l'enseignement supérieur.

En France, cet enseignement manque cruellement. Je suis parvenu à faire introduire deux heures consacrées aux drogues dans le programme de la première année commune aux études de santé. C'est encore très insuffisant et cela ne concerne que bien trop peu d'étudiants, mais au moins l'auditoire reçoit ainsi des messages qui ne lui ont jamais été transmis auparavant.

La rencontre avec le cannabis a lieu à l'adolescence, période de grande vulnérabilité où le système nerveux central n'est pas encore fini. En interférant dans les processus de « prolifération » et d'« élagage » en cours, le cannabis perturbe gravement son achèvement. Plus personne ne nie sérieusement la relation entre cannabis et schizophrénie ; plus le cannabis est consommé tôt et à des doses élevées, plus les conséquences sur le développement psychique, la mémoire, les processus éducatifs, l'anxiété et la dépression sont graves. Le discours sur le cannabis ne peut plus être celui qui nous était servi il y a trente ans. Quant aux arguments qui consistent à présenter le cannabis comme un médicament, ils procèdent d'une misérable manipulation.

Mme Catherine Lemorton, députée . - Je n'affirmerais pas, comme vous le faites, que la drogue est absente des prisons australiennes.

Cependant, vous avez raison de souligner que le Subutex, souvent consommé dans un cadre festif, est un mode d'entrée dans la dépendance aux opiacés. Mais tout coûteux qu'il soit pour la collectivité, ce produit est aussi utile. Pensez-vous que le rapport bénéfices-risques du Subutex soit négatif ?

M. le professeur Jean Costentin . - Le bénéfice du Subutex est avéré lorsque le produit est prescrit et délivré par des professionnels bien formés. S'il est pris dans une perspective de réduction progressive des doses menant à l'abstinence, il est irremplaçable et a toute sa place dans l'arsenal de lutte contre la toxicomanie. Le prix du Subutex augmente actuellement sur le marché noir, ce qui laisse penser que l'offre se raréfie. Mais pourquoi n'a-t-on pas combattu ce trafic pendant les quinze dernières années, notamment grâce à la carte Vitale ? Ce qui est insupportable, c'est que la collectivité se ruine à financer la part de ces médicaments qui sert à de nouveaux « recrutements » d'usagers et permet aux trafiquants de s'offrir leur « chère » héroïne.

M. le professeur Pierre Joly, président de l'Académie nationale de médecine . - Des pharmacologues, des toxicologues, des sociologues et des psychiatres siègent à la sixième des vingt commissions de l'Académie nationale de médecine, celle qui traite des addictions. La commission procède à des auditions, avant de voter, en général à l'unanimité, un rapport. Celui-ci est ensuite présenté à l'académie réunie en séance plénière et soumis à débat. Le rapport final, qui peut intégrer les éléments de cette discussion, est voté huit jours plus tard.

Sont ainsi parues au bulletin de l'Académie nationale de médecine des communications sur « Quels futurs traitements pour la dépendance au tabac et au cannabis ? » en janvier 2008, « Addiction à la cocaïne et au crack, un problème de santé qui s'aggrave », en avril 2009 et « Le cannabis, médicament ou drogue ? », en février 2010. Les actes du colloque « Désamorcer le cannabis dès l'école » ont été publiés en 2006. Enfin, le communiqué à propos du projet de création de salles d'injection pour toxicomanes a été adopté le 11 janvier dernier. À chaque fois, nos prises de position ont été très nettes.

Le professeur Jean Costentin a dit tout ce qu'il y avait à dire. On demande souvent aux professionnels de santé de résoudre les problèmes de la société ; ils préféreraient que de judicieuses politiques de prévention soient mises en oeuvre. Pour les médecins que nous sommes, les toxicomanes sont des malades comme d'autres, mais nous aimerions ne pas en recevoir autant dans nos consultations. L'académie a pris parti et sa position est ferme et constante : la prévention avant tout. Il faut parvenir à endiguer un phénomène qui ne bénéficie à personne. Les pharmacologues et les psychiatres, qui sont en première ligne, sont agacés par un climat de tolérance qui confine au laxisme ; la lucidité s'impose et je comprends la tonalité explosive de leurs propos.

L'hypothèse de la création de salles d'injection a fait l'objet d'un grand débat en notre sein. Les malades sont des malades, mais il est consternant de demander à des médecins d'assister à l'injection intraveineuse d'un produit dont ils ne connaissent pas l'origine et qui peut causer une mort. Mieux vaut prévenir.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Pourtant, des psychiatres se sont exprimés en faveur de ce dispositif.

M. le professeur Pierre Joly . - Il peut y avoir des exceptions, mais ceux qui siègent à l'Académie nationale de médecine sont assez unanimes.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le débat qui a précédé le communiqué publié par l'Académie nationale de médecine le 11 janvier dernier ?

M. le professeur Pierre Joly . - Le débat a été très long. Il a notamment porté sur l'argument, à mon avis assez utopique, selon lequel l'ouverture de salles d'injection supervisées permettrait de connaître les toxicomanes et ainsi de pouvoir les soigner. Le résultat du vote sur les termes du communiqué a été sans équivoque : 83 % de voix favorables, quelque 15 % contre, 2 ou 3 % d'abstentions.

M. le professeur Paul Lafargue, président de la commission « Substances vénéneuses et dopantes » de l'Académie nationale de pharmacie. Avant d'occuper ma fonction actuelle, je fus sept ans « expert national drogue ». À ce titre, je représentais notre pays au sein du groupe horizontal « Drogues » de la Commission européenne et il me revenait de mener en France les débats interministériels sur cette question pour parvenir à ce que tous parlent d'une même voix - une gageure !

Sur le sujet qui nous occupe, l'Académie nationale de pharmacie tient des séances thématiques ouvertes au public. À l'une, qui concernait les conduites addictives, nous avions d'ailleurs invité M. Pierre Chappard, président d'Act-up Paris ; une autre a été consacrée au thème « Cannabis et sécurité routière ». Nous avons aussi publié un rapport dressant le bilan des politiques publiques en matière de substitution aux opiacés. Nous organiserons le 19 octobre 2011 une séance thématique sur le thème « Drogues illicites, médicaments psychotropes et monde du travail » ; on constate en effet l'augmentation des accidents du travail dus à la consommation de substances psychotropes.

Comme l'a souligné le professeur Jean Costentin, les cannabinoïdes se concentrent dans les graisses ; or le cerveau est -  à quelque chose près... - une « motte de beurre ». J'ai personnellement décelé des dérivés cannabinoïdes dans les urines soixante et onze jours après la dernière prise de l'individu considéré. Or le stress, en augmentant le taux de catécholamines dans le sang, induit la résurgence tardive du cannabis « stocké », si bien que le cerveau d'un sujet ayant cessé toute consommation depuis huit ou neuf jours peut se trouver subitement en état d'ivresse cannabique. Ce phénomène explique que depuis 1989 les dispositions réglementaires applicables en matière d'aéronautique militaire imposent la recherche systématique des conduites addictives. Depuis lors, des entreprises en nombre croissant ont inscrit dans leur règlement intérieur l'obligation de cesser toute absorption de substances psychotropes pendant l'activité professionnelle ; mais, sous l'effet du stress, une ivresse cannabique risque de se produire dont le sujet pouvait légitimement penser être à l'abri.

Le professeur Jean Costentin, outre qu'il est membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine, est aussi membre de la commission « Substances vénéneuses et dopantes » de l'Académie nationale de pharmacie. Tout ce qu'il a dit reflète une approche scientifique qu'il est difficile de réfuter, et je partage son point de vue. Les conclusions des travaux en commission sont fondées sur des débats au cours desquels nous auditionnons des personnalités qualifiées, dont des psychiatres. Nos propositions de recommandation sont ensuite soumises à l'approbation de nos collègues réunis en séances plénières - dites restreintes en ce qu'elles ne sont pas ouvertes au public - et les prises de position exprimées sont toujours celle de l'Académie nationale de pharmacie dans son ensemble.

Comme mes confrères l'ont souligné, il convient avant toute chose de renforcer la prévention. Cela étant, ne soyons pas naïfs : l'appétence pour les produits psychotropes ne disparaîtra pas et la consommation ne cessera pas. C'est bien sûr une absurdité d'incarcérer un consommateur de substance psychotrope - on n'a jamais mis un malade en prison. Le consommateur devenu dépendant doit être pris en charge comme tout autre malade mais la finalité du traitement doit être le sevrage et, quels que soient les aléas - rechutes et insuccès -, ne pas viser la cessation de la consommation serait une forme de non-assistance à personne en danger.

Il faut impérativement expliquer aux jeunes gens qu'ils doivent éviter de consommer ces molécules. La déscolarisation est, dans 95 % des cas, due à la consommation de cannabis, qui conduit rapidement à un besoin, lequel va entraîner un début de délinquance car il faut de l'argent pour se procurer le produit. De ce fait, le jeune consommateur déscolarisé se trouve progressivement désocialisé. Le problème n'est pas moral mais social. Je le redis, un consommateur de produit psychotrope est un malade qui doit être pris en charge, mais l'essentiel est de faire qu'il ne tombe pas malade ; de la même manière, on fera tout pour éviter qu'un patient souffrant de diabète de type 1 ne se trouve affligé d'un diabète de type 2 induit par des habitudes alimentaires nocives, qu'il faut corriger.

M. Patrice Calméjane, député . - On se rappelle l'« aller-retour législatif » de l'Espagne à propos de la dépénalisation de l'usage du cannabis. Les risques induits par la consommation de cette substance ne laissent pas d'inquiéter si l'on pense par exemple que, lors des sorties scolaires, des classes entières sont confiées à des chauffeurs d'autocars... Peut-on efficacement détecter la présence de cannabis dans l'organisme comme on détecte la présence d'alcool en fonction du taux de gamma-GT ? Quel devrait être le rôle de la médecine du travail et de la médecine scolaire ? Quelles actions entreprendre pour sensibiliser les adolescents à des dangers qu'ils ignorent ?

M. le professeur Paul Lafargue . - Le taux de gamma-GT ne servant qu'à signaler une induction enzymatique, le mesurer est selon moi sans intérêt. Nous disposons de tests immunologiques parfaitement efficaces de dépistage de la présence de cannabis dans l'organisme, mais leur fiabilité est mise en cause pour de bien mauvaises raisons. Le coût d'un tel test est d'environ 13 euros ; s'il faut, comme le soutiennent certains, en passer à chaque fois par la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, le coût unitaire du dépistage est compris entre 250 et 300 euros. Autrement dit, en niant la fiabilité des tests immunologiques, certains analystes défendent leur intérêt - et ce n'est pas la première fois. En 1992 déjà, M. Jean-Claude Gayssot, alors ministre chargé des transports, avait constitué une commission interministérielle chargée de définir les moyens propres à renforcer la sécurité routière. Mais le chiffrage de l'étude épidémiologique, fondée sur des tests réalisés par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, était apparu budgétairement insupportable. Il ne s'agissait pourtant que de se faire une idée du nombre de sujets consommant des substances psychotropes et conduisant ; dans cette optique, une imprécision de 3 % était de peu d'importance. Il en est résulté que l'étude entreprise a été limitée aux conducteurs responsables d'accidents mortels, soit une cohorte très faible - et les tests de dépistage du cannabis au volant ont mis très longtemps à entrer dans les moeurs.

Le dirigeant d'une société de transport conscient de ses responsabilités s'attachera à mettre en oeuvre la recherche de conduites toxicophiles chez les chauffeurs qu'il emploie : addiction à l'alcool et aux drogues mais aussi aux médicaments, puisque la France occupe la première place mondiale du douteux palmarès de la consommation de benzodiazépines. Bien entendu, le secret médical demeure : de même que le médecin du travail peut déclarer inapte à un certain poste un salarié frappé d'hypertension artérielle, il peut déclarer inapte un chauffeur consommateur de substance psychotrope, sans davantage donner le motif de cette inaptitude.

Je ne m'attarderai pas sur la médecine scolaire, qui est l'ombre d'elle-même.

Je considère qu'il serait très mal venu de mettre à disposition des parents des tests leur permettant de déterminer eux-mêmes si leur enfant consomme du cannabis, car cela aurait pour effet de rompre la confiance entre enfants et parents. Cela étant, certains signes cliniques doivent alerter : vasodilatation entraînant le rougissement des yeux, comportement agressif, démotivation scolaire ... Parler de ces symptômes au médecin de famille permet d'apprécier une consommation possible et d'engager un traitement.

M. le professeur Pierre Joly . - La difficulté tient à ce que nous sommes confrontés d'une part à des consommateurs qui souhaitent reconnaissance et sécurité et, d'autre part, à des familles très angoissées ; on ne peut à la fois faciliter la consommation de drogue et rassurer les familles. Les individus dépendants ne se trouvent pas toujours dans cette situation volontairement - nous sommes nombreux à avoir fumé une première cigarette pour faire « comme papa » tout en la trouvant écoeurante. Il est difficile de dire qui a raison et qui a tort. Mais si nos confrères ont des réactions aussi vives, c'est que notre pays n'a pas de ligne politique claire : un jour on en tient pour les salles d'injection supervisées, un autre pour le dépistage... Il serait bon de prendre le temps de réfléchir sereinement à une prévention efficace et à une organisation satisfaisante. Il existe actuellement de remarquables centres de sevrage en France, mais ils sont pratiquement dénués de moyens. Plutôt que de lancer de nouvelles structures, pourquoi ne pas favoriser les structures existantes lorsqu'elles sont efficaces ? Aussi longtemps que les pouvoirs publics n'auront pas de position ferme et que les moyens manqueront, nous serons en permanence confrontés à des groupes de pression. Pourtant, moins l'on consomme de drogues, mieux l'on se porte.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Je vous remercie, messieurs, pour vos très utiles contributions à nos travaux.

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