Table ronde des organisations chargées de l'insertion
professionnelle des personnes handicapées
(mercredi 18 mai 2011)

La mission commune d'information auditionne, lors d'une table ronde, les représentants d'organisations chargées de l'insertion professionnelle des personnes handicapées : M. Pierre Blanc, directeur général, et Mme Anne Tourlière, directrice des interventions, de l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), MM. Camille Monin, président, et Gilles Lenice, délégué, du réseau national Ohé Prométhée, Jean-Claude Garnier, président de Cap emploi 35, vice-président, et Pascal Michel, délégué général, de l'union nationale pour l'insertion des travailleurs handicapés (Unith).

M. Claude Jeannerot , président . - Nous allons aborder la question des partenariats entre Pôle emploi et les organisations chargées de l'insertion des personnes handicapées. Nous aimerions que vous nous aidiez à mieux comprendre les relations que vous entretenez avec Pôle emploi dans le cadre de la cotraitance, que vous nous indiquiez si les partenariats que vous avez mis en oeuvre vous paraissent satisfaisants et que vous nous fassiez part de vos propositions d'amélioration.

M. Pierre Blanc, directeur général de l'Agefiph . - L'histoire du réseau Cap emploi est ancienne. Ce réseau est piloté, au niveau national, par la DGEFP, Pôle emploi, l'Agefiph et le FIPHFP. Cette même configuration existe également au niveau régional.

La multiplicité des financeurs rend indispensable la coordination de leurs interventions en direction du réseau. Cette coordination prend la forme d'une administration du réseau par l'Agefiph, qui réunit ses propres financements, ceux du FIPHFP et ceux de Pôle emploi.

Les objectifs et les financements sont décidés essentiellement au niveau régional, ceci après une approche nationale. Ce mode de fonctionnement nous amène à signer des conventions avec Pôle emploi. Celles-ci vont bien au-delà de la cotraitance : elles précisent la façon dont le réseau Cap emploi peut mobiliser les aides et les prestations en faveur des demandeurs d'emploi et prévoient aussi la possibilité pour les agents de Pôle emploi de mobiliser les aides que l'Agefiph met à la disposition des entreprises et des personnes handicapées.

La constitution de Pôle emploi s'est traduite, à nos yeux, par un désinvestissement de l'institution en ce qui concerne le placement et la prise en charge des travailleurs handicapés. Ce désengagement n'est certes pas volontaire, mais résulte des priorités données à Pôle emploi par le Gouvernement. La restructuration des services déconcentrés de l'Etat a accentué ce désengagement.

Mme Anne Tourlière, directrice des interventions à l'Agefiph . - S'agissant des montants consacrés au financement du réseau, ils provenaient, en 2010, de l'Agefiph et du FIPHFP, à hauteur de 71,42 millions d'euros, et de Pôle emploi, au titre de la cotraitance, à hauteur de 26 millions d'euros.

M. Camille Monin, président du réseau national Ohé Prométhée . - Tout le monde s'inquiète des difficultés rencontrées aujourd'hui. Celles-ci découlent peut-être du contexte général. Toutefois, à ma connaissance, depuis longtemps, tous les partenaires se montraient d'accord pour travailler sur des objectifs en rapport avec les personnes en situation de handicap.

Le système est devenu très complexe. La multiplicité d'acteurs entraîne des interférences qui peuvent brouiller les messages.

Nous nous apercevons par ailleurs que toutes les personnes handicapées ne sont pas traitées de la même manière en France, alors que cette dimension constituait un point crucial de la loi de 2005. En effet, les moyens mobilisés ne s'avèrent pas uniformes.

Aujourd'hui, les Cap emploi constatent également le désengagement qui a été précédemment évoqué. Celui-ci est notamment financier. Je ne pense pas, cependant, qu'il s'agisse d'un désengagement moral.

Nous devons atteindre, en 2011, des objectifs dont nous avons eu connaissance en novembre 2010. Or nous ne disposons pas, à ce jour, des éléments financiers qui pourraient nous le permettre, ce qui constitue une difficulté majeure. D'une année sur l'autre, les moyens financiers ne sont pas pérennes. Nous avons certes conclu plusieurs conventions. Cependant les partenaires ne sont pas solidaires dans ce système. Or, j'estime impossible de travailler de manière aléatoire sur de tels sujets. Sur le plan pratique, certains aspects nous dérangent beaucoup et entravent notre mission de service public.

Je reconnais qu'il existe également des dimensions positives. Toutefois, je suppose que nous pourrons échanger sur les points à améliorer.

M. Gilles Lenice, délégué du réseau national Ohé Prométhée . - Cette audition se déroule dans un contexte où les Cap emploi ont subi un audit sur lequel ils ont d'ailleurs exprimé un certain nombre de réserves. Par ailleurs, Pôle emploi a décidé unilatéralement de diminuer le nombre des accompagnements confiés à Cap emploi.

M. Claude Jeannerot , président . - Quel est l'audit auquel vous faîtes référence ?

M. Gilles Lenice . - Il s'agit d'un audit prévu par la convention cadre. Il a été confié au cabinet Accenture.

Il est aujourd'hui important que les deux réseaux, Unith et Ohé Prométhée, soient reconnus. Notre volonté est de nous positionner comme partenaires. Il est anormal d'avoir dû écrire au directeur général de Pôle emploi pour être reçus quand nous avons eu vent de la diminution du nombre d'accompagnements. Aucun échange, verbal ou écrit, n'avait eu lieu sur ce sujet avec Pôle emploi, qui savait pourtant manifestement que cette mesure allait produire un effet significatif sur le budget des Cap emploi.

Il s'agit pour nous d'un élément essentiel. Nous sommes là pour faire des propositions. Encore faut-il que nous ne soyons pas sur un strapontin. M. Pierre Blanc a évoqué la coordination qui existe entre financeurs. Toutefois, comme M. Camille Monin l'a souligné, il s'agit uniquement de coordination et non de solidarité entre ceux-ci. Ainsi, lorsque l'un fait défaut, le budget s'en ressent.

M. Jean-Claude Garnier, vice-président de l'Unith . - L'approche des deux réseaux, Ohé Prométhée et Unith s'avère en pleine symbiose. Au niveau de l'Unith, nous représentons soixante-deux Cap emploi.

Dans ce contexte, je complèterai les propos précédents en précisant que notre rôle est défini exclusivement par Pôle emploi et l'Agefiph. La convention dite de cotraitance est ensuite diffusée aux niveaux régional et local et s'applique aux acteurs de terrain, qui sont exclus de son élaboration.

Les chiffres définis au niveau national - 70 000 accompagnements en 2010 et 64 000 en 2011 - font l'objet d'une répartition régionale. A l'intérieur de la région, nous donnons notre avis quant à la répartition du montant régional. Mais à aucun moment nous ne sommes parties prenantes des décisions prises.

Heureusement, sur le terrain, les relations avec les acteurs de Pôle emploi s'avèrent bonnes, voire excellentes. Ceci étant, les uns et les autres travaillent le mieux possible avec les moyens dont ils disposent. Nous aurons ainsi quelques suggestions d'améliorations à apporter.

M. Pascal Michel, délégué général de l'Unith . - Je précise que les conventions qui fixent les règles de cotraitance avec les opérateurs de Cap emploi sont issues d'une convention établie par l'Agefiph et Pôle emploi, mais pas par les autres membres du comité de pilotage national évoqué par M. Pierre Blanc. Si la politique visant à l'insertion professionnelle des personnes handicapées est pilotée et coordonnée par l'Etat, ce n'est toutefois pas le cas de la convention de cotraitance qui régit nos opérations de terrain.

Un autre élément important concerne l'inégalité des chances inhérente à cette convention et aux missions opérationnelles qui nous sont confiées.

M. Jean-Paul Alduy , rapporteur . - D'une manière générale, je rappelle que nous sommes preneurs de documents écrits qui permettraient de préciser quelques axes d'améliorations. L'échange d'aujourd'hui a d'abord pour vocation de repérer un certain nombre de difficultés.

S'agissant des Cap emploi, vous avez indiqué que l'Unith en rassemble soixante-deux. Où sont les autres ?

M. Camille Monin . - Ohé Prométhée en comprend vingt-cinq.

M. Jean-Paul Alduy , rapporteur . - D'après ce que j'ai compris, le dialogue entre ces deux réseaux fonctionne bien. En revanche, il semble que la communication avec l'Agefiph et Pôle emploi, notamment quant aux difficultés rencontrées et aux besoins exprimés, soit moins facile. Comment l'améliorer ? A quel niveau doit-elle avoir lieu ? Pour sa part, Pôle emploi est organisé au niveau régional. Comment voyez-vous le dialogue entre les associations de terrain et le niveau national qui définit les moyens qui sont ensuite redistribués ?

Par ailleurs, quels sont les services et prestations spécifiques que vous proposez aux demandeurs d'emploi handicapés ? Aucun d'entre vous n'a abordé cette question pourtant importante.

Mme Jacqueline Alquier . - Observez-vous un impact de la diminution des moyens sur la demande de participation des entreprises ou des collectivités qui ne remplissent pas leurs obligations en matière d'emploi des personnes handicapées ?

Quelles sont vos propositions d'amélioration ?

Mme Annie David, vice-présidente, prend la présidence de la réunion .

Mme Annie David , présidente . - Vous évoquez un désengagement. Nous avons compris qu'il se traduisait par une diminution du nombre d'accompagnements prévus par la convention de cotraitance. Comment ce désengagement se concrétise-t-il sur le terrain ? Rencontrez-vous des difficultés pour permettre à des salariés handicapés de retrouver du travail du fait de leur propre situation ou du fait que certains employeurs restent réticents à embaucher des personnes handicapées, malgré les obligations qui leur incombent ?

Par ailleurs, vous nous disiez que la convention était élaborée sans vous. Une association à l'élaboration de cette convention fait-elle partie des propositions d'amélioration que vous souhaitez nous soumettre ? Pensez-vous que, le cas échéant, cette solution vous permettrait de réaliser un plus grand nombre d'accompagnements ? Ne pensez-vous pas, au contraire, que la diminution du nombre d'accompagnements résulte d'un problème financier ?

M. Pascal Michel . - Il me semble que les observations déjà formulées permettent d'envisager l'architecture de la convention de cotraitance. Celle-ci, signée par l'Agefiph, la FIPHFP et Pôle emploi a une déclinaison régionale. Ensuite, les conventions passées avec nos structures constituent des conventions subsidiaires.

En termes d'intervenants, le principal absent de l'élaboration et de la signature de la convention est l'Etat. La Cour des comptes en a fait d'ailleurs l'observation. Il serait cohérent que l'Etat siège au sein du comité de pilotage, aux côtés de l'Agefiph, du FIPHFP et de Pôle emploi.

Aujourd'hui, le manque de circulation de l'information découle de l'absence de schémas cohérents et de l'existence d'une certaine étanchéité. C'est pourquoi les capacités d'intervention des uns ne sont pas toujours maillées avec celles des autres. Il nous est difficile, dès lors, de mettre en oeuvre les réponses les plus adéquates.

Par exemple, la politique des contrats aidés est décidée et mise en place par les préfets de région. Il s'avère que, d'une région à l'autre, les personnes handicapées ne sont pas toujours considérées comme un public prioritaire. En tant qu'opérateurs intervenant principalement au niveau des départements, il nous est difficile de déchiffrer la complexité de la politique de l'emploi en général.

Par ailleurs, Pôle emploi, aujourd'hui, mène une politique de sous-traitance et une politique de cotraitance. La première concerne les opérateurs privés de placement (OPP). Les cotraitants sont des organismes spécialisés qui s'adressent à des publics subissant une discrimination d'accès à l'emploi, à savoir les personnes handicapées et les jeunes. La création d'organismes tels que les Cap emploi constitue une réponse politique à cette question.

Nos organisations sont subventionnées. Elles apportent donc une réponse durable, ceci pour la durée de la convention, qui est de trois ans. De plus, dans le cadre de leur mission de service public, leurs interventions sont gratuites. En outre, un accompagnement individualisé de la personne et de l'entreprise est mené jusqu'à l'obtention des réponses attendues par chacune de ces deux parties. Enfin, elles disposent d'un ancrage local pluridisciplinaire.

M. Jean-Paul Alduy , rapporteur . - Des complémentarités n'ont-elles pas pu être définies entre les démarches de sous-traitance et de cotraitance ?

M. Pascal Michel . - Notre originalité réside notamment dans notre capacité à agir dans la durée et à réagir à l'évolution de la situation des travailleurs handicapés. Nous travaillons chaque jour avec les sous-traitants de Pôle emploi qui sont nos partenaires. Nos organisations peuvent accompagner les personnes qui ont des parcours discontinus : accès à l'emploi, rupture, formation, travail avec un OPP... A ce dernier est demandé un travail à court terme alors que nous devons accompagner le demandeur jusqu'à l'emploi. Ce sont également nos objectifs qui nous différencient des OPP.

M. Gilles Lenice . - Cette spécificité s'avère importante dans la durée. En effet, 35 % des placements réalisés au premier trimestre concernent des personnes dont le parcours est d'une durée supérieure à dix-huit mois. Nous constatons en effet un allongement de la durée du parcours d'insertion. Une intervention si longue ne peut être confiée à un OPP.

Par ailleurs, la connaissance des acteurs, des dispositifs et des outils mis en place nous permet d'apporter une réponse adaptée aux différents parcours du public.

Nos deux réseaux réalisent en outre un très gros effort de professionnalisation de leurs équipes.

M. Jean-Claude Garnier . - Au niveau du réseau Cap emploi, en 2010, les résultats obtenus en matière de placement s'avèrent largement supérieurs aux objectifs fixés. Et les chiffres du premier trimestre 2011 montrent une forte progression par rapport au premier trimestre 2010.

M. Pierre Blanc . - Quand l'Agefiph fait référence à un désengagement, elle parle fondamentalement du nombre de personnes placées par Pôle emploi comparativement au nombre de placements réalisés par le réseau Cap emploi. Aujourd'hui, en France, il est heureux que celui-ci soit présent. Quand l'ANPE existait, elle réalisait environ 15 % de placements de plus que le réseau Cap emploi. En revanche, depuis la création de Pôle emploi, ce rapport s'est inversé. La loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées indique clairement que les personnes handicapées doivent bénéficier en priorité des services de droit commun. Or, les partenaires sociaux et les associations qui gèrent l'Agefiph considèrent que la tendance observée est contraire à l'esprit de la loi. Il existe donc des risques de dérapages structurels.

M. Jean-Paul Alduy , rapporteur . - N'avez-vous pas également l'impression que l'existence de Cap emploi encourage Pôle emploi à se décharger sur ce réseau d'une partie de son activité ?

M. Pierre Blanc . - Bien sûr. Quand l'Agefiph évoque un désengagement, il s'agit d'un désengagement quantitatif sur l'effort de placement. En théorie, Pôle emploi accompagne les deux tiers des travailleurs handicapés, et le réseau Cap emploi l'autre tiers.

Les représentants du réseau Cap emploi ont insisté sur l'existence d'un désengagement conjoncturel, lié à l'exercice 2011, pour lequel Pôle emploi a réduit ses financements en direction du réseau Cap emploi. Cette diminution est consécutive au vote du budget de Pôle emploi, sur lequel l'Etat a opéré une réduction drastique. En outre, les partenaires sociaux, cofinanceurs aux deux tiers, n'ont pas joué la carte de la solidarité.

S'agissant de l'équité, l'Agefiph tient des indicateurs d'équité de traitement territoriaux. Sur cette base, il est possible de négocier avec les délégués régionaux. Chaque région est comparée à la moyenne nationale. Au niveau régional, nos structures participent à des comités de concertation. Nous observons que c'est du côté de Pôle emploi que le nombre de placements a diminué.

La convention tripartite Unedic-Etat-Pôle emploi doit donc redonner une priorité forte à Pôle emploi sur l'accueil et le placement des personnes handicapées, avec une exigence de résultats. Il faut dès lors que Pôle emploi améliore l'identification des travailleurs handicapés dans son système d'information.

M. Pascal Michel . - Je souhaite réagir aux propositions de M. Pierre Blanc. Je rappelle qu'en tant qu'opérateurs nous observons les échanges entre l'Agefiph, le FIPHFP et Pôle emploi concernant la cotraitance que nous sommes amenés à assurer. En 2009, c'est Pôle emploi qui a proposé à l'Agefiph de modifier le volume d'accompagnement à la hausse. M. Christian Charpy assure que cette dernière aurait refusé. Nous ignorons toutefois ce qui se passe à ce niveau, comme nous ignorons ce qui a présidé à la répartition des accompagnements entre Pôle emploi et les Cap emploi.

L'inégalité des chances découle d'ailleurs de ce problème. Par ailleurs, les outils développés par les deux fonds s'avèrent peu ou pas utilisés par Pôle emploi. En outre, si les Cap emploi accompagnent un tiers des demandeurs d'emploi et réalisent plus de 50 % des placements dans l'année, ils utilisent 80 % des aides de l'Agefiph.

M. Pierre Blanc . - Je vais rester centré sur les relations avec Pôle emploi. Il nous semble nécessaire de nous interroger sur la capacité de Pôle emploi à accueillir et orienter les personnes handicapées vers les dispositifs Cap emploi, même si des référents ont été nommés. Il existe une différence sensible avec les missions locales, pour lesquelles il existe un critère d'âge : le handicap est en effet multifactoriel. La répartition des publics s'avère dès lors beaucoup plus complexe.

Par ailleurs, il est inacceptable, alors qu'un décret le prévoie, que la DGEFP ne publie pas la circulaire permettant au réseau Cap emploi de prescrire des contrats aidés.

Mme Annie David , présidente . - Je vous remercie pour ces échanges et vous invite à remettre d'éventuels documents écrits.

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