DES VARIABLES CLÉ GLOBALEMENT FAVORABLES AU DÉVELOPPEMENT DE L'E-COMMERCE

Il n'y a pas de méthode prospective « officielle », qui serait consacrée par une quelconque autorité, et plusieurs façons de faire coexistent, présentant chacune divers avantages et inconvénients, variables selon l'objet et le terme de l'étude.

Parmi les différentes méthodes existantes, se distingue néanmoins celle reposant sur des « variables-clé » permettant l'élaboration de « scénarios », qui est d'un usage relativement fréquent, notamment en France où l'on apprécie à la fois sa polyvalence et le fait qu'il s'agisse d'une construction relativement cartésienne.

D'abord, il s'agit d'identifier les variables-clés, qui sont les variables jouant un rôle majeur dans le « système » - ici, le commerce électronique - dont on veut étudier la dynamique à un horizon temporel donné. Ensuite, on réfléchit à l'évolution possible de chacune de ces variables-clé 28 ( * ) , pour lesquelles on envisage ainsi une ou plusieurs trajectoires. Parmi ces trajectoires, figure habituellement une hypothèse moyenne, dite « tendancielle ». A noter que les autres trajectoires le cas échéant identifiées sont plus ou moins excentriques par rapport à la trajectoire moyenne, et peuvent aller jusqu'à figurer une rupture de tendance. Enfin, les trajectoires attachées aux différentes variables-clé sont choisies et combinées de façon aussi cohérente que possible pour dessiner des « scénarios » qui seront le résultat, à proprement parler, de l'étude prospective. La combinaison des hypothèses moyennes de chaque variable-clé conduit à un premier scénario, dit « tendanciel ». Les autres combinaisons plausibles suggèrent autant de scénarios supplémentaires, dont il arrive que certains puissent être qualifiés de scénarios de « rupture ».

Cette méthode, susceptible au surplus de nombreux raffinements, mériterait de plus amples développements. Pour autant, tout « discours de la méthode » prospective, aussi abouti soit-il 29 ( * ) , conduit inévitablement à jeter un « voile de scientificité » sur une approche qui n'est au fond jamais exhaustive, ni mécanique, ni bien entendu fiable ; si la prospective fait appel au discernement, elle n'exclut pas l'intuition, qui vient puiser dans nos croyances, parfois erronées. Et il serait vain de chercher à « consolider » la méthode en faisant proliférer les variables car le raisonnement s'y noierait sans pour autant garantir l'identification de celles qui s'avèreront décisives car, bien souvent, les changements les plus profonds s'engendrent non pas au coeur d'un système, mais à ses limites.

Cependant, les études de prospective ne débouchent pas sur des prévisions. Aucun des scénarios présentés n'a vocation à décrire le futur. Il s'agit plutôt de trajectoires stylisées, d'épures des « futurs possibles » destinées à mieux comprendre entre quels chemins pourrait se situer l'itinéraire à venir. A nous de déterminer le ou les chemins desquels il vaudrait mieux se rapprocher, et ceux desquels il conviendrait de garder ses distances. C'est ainsi que les scénarios peuvent éclairer les citoyens, voire servir d'aide à la décision pour les acteurs privés et publics concernés par la problématique ou le secteur abordé : lorsque tel scénario est considéré comme attrayant et que tel autre fait en revanche l'effet d'un repoussoir, on souhaitera réunir les hypothèses sous-jacentes à la réalisation du premier scénario, ou du moins se donner les moyens d'éviter la réalisation du second.

Le mécanisme incitatif des scénarios provient du fait qu'ils « racontent une histoire » qui « parle » à leurs destinataires, avec une force d'évocation et de conviction peut-être supérieure à celle d'une analyse technocratique probabiliste : grâce au levier de l'imagination de ceux qui les reçoivent, il se pourrait que ces « récits » inculquent certaines prescriptions aussi sûrement que des rapports dressant une liste exhaustive et hiérarchisée de recommandations.

Les scénarios requièrent une certaine créativité, et laissent une marge d'appréciation supérieure à celle requise pour les rapports d'information habituels. Ce faisant, ils présentent ainsi le risque, non seulement d'être le réceptacle involontaire de la subjectivité de leurs auteurs, mais encore, de servir un intérêt particulier en déroulant à dessein les conséquences prétendument providentielles ou catastrophiques de telle action ou inaction, tout en bénéficiant de la relative opacité de la « machinerie » que peut représenter une étude prospective, dont certaines sont assises sur de nombreuses variables-clé parfois recensées dans des « matrices » décourageantes pour le profane. La prospective peut donc être facilement instrumentalisée.

Ces précautions énoncées, quelles variables centrales identifions-nous pour l'avenir du commerce électronique à un horizon de moyen/long terme ?

Le commerce électronique doit surmonter le double handicap structurel que constitue la privation du contact physique ou visuel direct précédant immédiatement la transaction, et une jouissance globalement différée . En dépit de quoi, un certain nombre de facteurs paraissent globalement de nature à soutenir la croissance de l'e-commerce pour les 10 ou 15 années à venir.

En premier lieu, le comportement des consommateurs , qui constitue indubitablement un facteur-clé. Les contraintes qu'ils subissent, autant que leurs aspirations , constitueront à l'avenir un puissant propulseur pour le commerce électronique, de nature à contrecarrer un problème de confiance assez naturel au regard des risques qui lui sont inhérents, ainsi que sa propension à miser sur un certain envahissement psychologique.

En deuxième lieu, l' attractivité du commerce électronique , qui répond à la variable précédente. Avec une pondération qui pourra évoluer, cet attrait résulte à fois de la compétitivité-prix de l'e-commerce, et de sa compétitivité hors prix , qui repose elle-même sur de très nombreux sous-facteurs tenant à la pertinence, à la variété et à la qualité des services associés, des solutions d'acheminement et de paiement ainsi que, d'une façon générale, des innovations techniques ou marketing.

En dernier lieu, l' accès au commerce électronique peut apparaître comme une variable prépondérante, dont l'évolution ultérieure devrait soutenir le développement de l'e-commerce. On peut raisonnablement s'attendre à une prolifération des points d'accès avec la diffusion et l'amélioration des TIC 30 ( * ) , la multiplication des biens et services commercialisables via Internet , une certaine perméabilité du commerce physique à l' e-commerce , de nombreuses perspectives d' hybridation avec une sociabilité électronique en plein essor et une complémentarité émergente avec le commerce électronique « C to C » 31 ( * ) .

Il convient cependant de s'interroger, en dernier lieu, sur la viabilité du modèle économique de nombreux commerces électroniques : à terme, elle pourrait se trouver compromise par un faisceau de difficultés tenant au montant de leurs charges et aux conditions de leur bon fonctionnement, avec une logistique exigeante et coûteuse , un accès au marché relativement onéreux en dépit des apparences, ainsi que des ressources problématiques, que l'on songe aux conditions des fournisseurs , parfois discriminatoires, ou à la difficulté de pourvoir certains emplois . En focalisant l'attention des consommateurs sur le seul facteur prix, la crise peut alors constituer un élément de fragilisation supplémentaire. Enfin le contexte juridico-fiscal pourrait évoluer défavorablement, tout comme le positionnement de cet environnement au regard de celui qui s'impose aux e-commerces concurrents implantés à l'étranger.

La présentation qui suit aborde en premier lieu les nombreuses composantes des « variables » apparaissant, au moins en tendance, comme porteuses pour le commerce électronique. En second lieu sont examinés, en tant que « facteurs de risque », les points globalement susceptibles de développements négatifs.

I. COMPORTEMENT DES CONSOMMATEURS

Le comportement des consommateurs peut être décrit comme étant la résultante d'une somme de contraintes, dont ils souhaitent s'émanciper, et d'aspirations, qu'ils entendent satisfaire. Le commerce électronique semble de nature à libérer de certaines des premières, et à combler quelques-unes des secondes.

A. CONTRAINTES PESANT SUR LES CONSOMMATEURS

Trois contraintes fortes, qui s'imposent traditionnellement aux consommateurs, peuvent être identifiées : le temps marchand, le lieu de la transaction et les ressources monétaires, nécessairement limitées.

1. Contrainte de temps
a) La fin des « horloges sociales »

Accompagnés par le développement d'« outils asynchrones » , tels que le répondeur téléphonique, le mail ou le congélateur, les consommateurs sont de plus en plus en mesure d'organiser leur vie sans considération des grands rythmes sociaux traditionnels, qui excluent certaines tranches horaires et certains jours de l'accès à la communication ou au commerce.

Le commerce sur Internet, en permettant de faire du « shopping » et de passer commande à tout moment, constitue un de ces outils asynchrones et participe ainsi d'une émancipation plus générale des temps sociaux, propre à intensifier les interactions sociales et marchandes quotidiennes.

b) Un commerce aussi adapté à la rareté qu'à l'abondance du temps disponible

Le gain de temps constituerait la première motivation des acheteurs sur Internet, aussi bien en Europe d'après une étude de l'institut Forrester 32 ( * ) , qu'en France :

LE GAIN DE TEMPS, UNE VERTU RECONNUE DE L'E-COMMERCE

Or, non seulement de nombreux ménages bi-actifs, notamment urbains, connaissent un manque structurel de temps disponible, mais encore, certains ménages souhaitent libérer du temps normalement dévolu aux achats pour d'autres activités.

Réciproquement, l'e-commerce permet, si l'on dispose de plages de liberté, de s'adonner à des comparaisons de prix très larges et au recueil méthodique d'informations ou d'avis sur les qualités et les défauts de tel bien ou de tel site.

Sans déboucher sur une telle « professionnalisation » du consommateur, l'« e-shopping » peut aussi constituer un simple passe-temps, une errance consumériste à laquelle invite une prolifération de liens et de fenêtres surgissantes...

Alain Rallet remarque : « À la flânerie urbaine qui sert de cadre au shopping dans les magasins, correspond une flânerie virtuelle au cours de laquelle les internautes découvrent des opportunités d'achat. La pulsion d'achat qui préside à la consommation n'est plus bridée par un artefact technique. Elle peut, comme dans le shopping urbain, se donner libre cours sur le réseau » 33 ( * ) .


* 28 Variables regroupant le cas échéant des sous-variables, dont les trajectoires possibles conduisent à déterminer celles de la variable principale.

* 29 Voir, par exemple, le manuel de prospective stratégique de Michel Godet (première édition en 2001).

* 30 Technologies de l'information et de la communication.

* 31 Voir encadré initial « Champ de l'étude et définitions ».

* 32 Une enquête de l'institut Forrester, menée au troisième trimestre 2008 auprès de 12 000 « cyber-acheteurs » européens montre que 65 % d'entre eux citent le gain de temps parmi six motifs proposés dans le questionnaire qui leur a été soumis ; cette proportion est plus forte que celle relevée pour les autres motifs, dont les trois  principaux sont, par fréquence décroissante : faire de bonnes affaires (57 %), trouver des produits introuvables ailleurs (51 %) et éviter la cohue (40 %) (source : E-commerce et distribution - Comment Internet bouscule les canaux de vente, par Olivier Bitoun, Association de l'économie numérique, octobre 2009).

* 33 Alain Rallet, « L'évolution de l'e-commerce à l'ère de l'économie numérique », Prospective et Entreprise n° 11, février 2010.

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