2. Un dynamisme durable ?
a) Un marché ouvert et un contexte technologique désormais facilitateur

Du côté de l'offre , la FEVAD estime qu'une partie substantielle de la hausse des ventes s'expliquerait par l' arrivée massive de nouveaux acteurs (tableau supra ), l'augmentation du chiffre d'affaires des sites « leaders » s'étant élevé, à périmètre constant, à 15 % en 2010 et à seulement 8 % en 2009, taux nettement plus faibles que ceux du commerce électronique dans son ensemble.

Du côté de la demande , la progression du taux de pénétration d'Internet ainsi que du nombre de connexions à haut débit, a incontestablement levé l'obstacle majeur, en France, à la diffusion du commerce électronique

En effet, on peut considérer que quatre conditions sont nécessaires au développement du commerce électronique 17 ( * ) : l'équipement informatique, l'accès à Internet en haut débit, une bancarisation massive de la population (permettant le paiement en ligne) et une architecture postale et de transport de marchandise suffisamment performante. Ces deux dernières conditions se trouvant globalement réunies depuis un certain nombre d'années ( infra ), le contexte technologique est bien la variable critique qui a permis le développement récent de l'e-commerce.

D'après Médiamétrie, 7 foyers français sur 10 ont eu accès à Internet au 4 ème trimestre 2010, contre à peine plus de 6 sur 10 un an plus tôt 18 ( * ) ... En 2006, ils étaient environ 4 sur 10 (voir graphe précédent « PROPORTION DES MÉNAGES AYANT ACCÈS À INTERNET » construit sur données Eurostat).

Le même organisme évalue, en janvier 2011, le nombre d'internautes 19 ( * ) à plus de 38 millions , soit une progression de 9 % en un an , conduisant à un taux de pénétration de près de 72 % .

Il constate enfin que la connexion en haut débit à domicile se généralise : en janvier 2011, 34,4 millions d'internautes, soit près de 90 % des internautes à domicile, sont connectés en haut débit. Cette population internaute a progressé de 9,6 % par rapport à janvier 2010. Or, comme l'indique Alain Rallet 20 ( * ) , « le haut débit change radicalement les conditions d'accès, non parce que la commande en ligne de biens physiques consommerait de la bande passante de manière importante mais parce qu'il offre une permanence de la communication (accès dit « illimité ») ».

b) Des acteurs volontaires et innovants

Au regard de ses voisins, la France se caractérise par une certaine primauté des « pure players » au sein des grands acteurs du commerce électronique. Cet anglicisme désigne les commerces qui se sont créés et développés sur Internet. Parmi les principaux « pure-players », peuvent être notamment cités Amazon, Cdiscount, PriceMinister, Pixmania ou Rueducommerce. Certains présentent des modèles de vente originaux ( infra ), parmi lesquels on mentionnera Groupon, Vente-privee.com ou Showroomprive.com.

Ces « pure-players » sont à distinguer des « click and mortars » 21 ( * ) , entreprises de commerce « physique » qui se sont adjoint une activité de commerce électronique. Figurent parmi les enseignes de ce type, désormais nombreuses, des entreprises telles que la FNAC ou Carrefour. Il faut aussi citer les deux grands VADistes qui sont venus tardivement, mais avec succès, au commerce électronique : La Redoute et les 3 Suisses. Enfin, dans un autre registre, Voyages-SNCF.com réalise en France le chiffre d'affaires le plus important du secteur de l'e-commerce 22 ( * ) .

A noter que la configuration française est assez exclusive ; Jean Rémi Gratadour, Vice-président de l'ACSEL 23 ( * ) relève ainsi qu'« en Grande-Bretagne, le commerce électronique représente 8 % du commerce de détail, avec une forte représentation des acteurs de la distribution traditionnelle (ex : Tesco) ; en Allemagne, autre modèle, on observe une forte représentation des acteurs traditionnels de la vente à distance, qui se sont adaptés à la nouvelle donne électronique » (ex : Otto).

Quoi qu'il en soit, le paysage du commerce électronique français montre le bon positionnement de nombreuses entreprises nationales ou, du moins, créées sur le territoire, même si les sites Amazon et eBay (qui draine une activité de commerce B to C substantielle) continuent à être les plus fréquentés.

En dépit de certaines difficultés de financement, les « pure players » , adaptés par hypothèse aux spécificités et à l'évolutivité de l'e-commerce, présentent aussi une capacité à innover qui dynamise un marché où les « click and mortars » souffrent parfois de l'inertie de leurs structures ou de leurs représentations. Mais ces derniers ne veulent pas rater le train de l'e-commerce, et développent aujourd'hui des stratégies « multicanal » énergiques (tout comme les « pure players », qui n'hésitent pas, pour leur part, à multiplier les implantations physiques).

Désormais, tous ces acteurs estiment que, pour devenir un jour substantielles et pourvoyeuses de bénéfices, leurs parts du marché de l'e-commerce doivent être conquises le plus tôt possible , en dépit de l'importance des investissements requis et d'une rentabilité qui peut se faire attendre.

c) Un bilan incertain, une dynamique à risque, des réussites souhaitables

Le bilan économique consolidé du commerce électronique est difficile à dresser . Ainsi qu'on le verra, il crée incontestablement de l'activité et des emplois , dans une mesure que l'on s'essaie à évaluer en dépit de sérieuses difficultés statistiques (l'e-commerce ne constitue pas un « secteur » au sens de l'INSEE). En revanche, la croissance du commerce électronique s'effectue nécessairement au détriment d'autres compartiments du commerce , dans un processus bien connu de « destruction créatrice » qui accompagne souvent l'émergence d'activités nouvelles. Elle peut aussi engendrer des pertes fiscales, et crée peut-être des distorsions de concurrences ( infra ).

Sous un autre angle, l'e-commerce autorise un gain de temps disponible . Des volants de liberté nouveaux et substantiels pourraient résulter des progrès attendus de l'e-commerce alimentaire, éventuellement accélérés par la possibilité d'approvisionnements automatisés, ainsi que, plus généralement, d'une multiplication des propositions de « solutions globales » ( infra ) à forte valeur ajoutée .

Il se pourrait ainsi que l'e-commerce s'avère un vecteur de croissance , en empruntant deux canaux : une création directe de valeur , corrélative à la sophistication des prestations vendues, et une augmentation de la croissance potentielle, le temps gagné modifiant les arbitrages effectués au sein des foyers entre présence domestique et activité rémunérée, avec un rehaussement subséquent de la population active.

En termes de développement durable , le bilan paraît en outre favorable , notamment en ce qu'il désincite à l'usage des moyens de transport individuels, qui sont aujourd'hui les plus polluants ( infra ).

Si cet ensemble dessine des gains certainement appréciables en termes de qualité de vie , ce qui justifie sans doute nombre de présentations flatteuses, rien ne permet d'exclure que le bilan économique (activité, emploi, ressources publiques) de l'e-commerce en France demeure mitigé...

Il reste que dans une économie ouverte, le commerce électronique répond et répondra à une demande croissante des consommateurs, quelle que soit l'aptitude des acteurs nationaux à la satisfaire.

Si la concurrence se cantonne encore assez largement à l'intérieur des territoires nationaux, elle est en voie d'internationalisation et ce mouvement pourrait facilement s'accélérer, notamment en Europe où les règles tendent à s'unifier, et particulièrement dans la zone euro où la monnaie unique constitue un élément facilitateur.

Il ne faut donc pas se tromper d'objectif, ainsi que l'indique Thierry Petit, fondateur et directeur associé de Showroomprive : « le commerce électronique est un important pourvoyeur d'emploi et d'activité qu'il convient d'encourager, quel que soit le bilan économique consolidé de la progression du commerce électronique, dont une part s'effectue nécessairement au détriment du commerce physique.

En effet, les part de marché que les entreprises d'e-commerce nationales n'auront pas conquis (en France comme à l'étranger) le seront par d'autres entités qui, implantées en dehors de nos frontières, seront loin d'engendrer autant d'emploi et de recettes sociales et fiscales sur le territoire.

On pourrait donc déplorer, lorsqu'elle se manifesterait, toute frilosité des pouvoirs publics, des entreprises et des investisseurs français à l'endroit du commerce électronique ».

Quel rythme peut adopter la croissance de l'e-commerce ? Dans une enquête prospective du CREDOC parue en novembre 2010 24 ( * ) , menée, d'une part, auprès de décideurs d'entreprises et de responsables d'organisations professionnelles 25 ( * ) et, d'autre part, auprès de consultants et de chercheurs spécialisés dans le commerce de distribution, l'ensemble de ces acteurs anticipe, en moyenne, une part de l'e-commerce représentant 24 % du commerce de détail en 2020.

Cette enquête montre aussi une relative disparité des réponses, avec près de 20 % d'observateurs estimant que la part de l'e-commerce n'excèdera pas 12 % en 2020, et 20 autres pourcents estimant que cette part sera d'au moins 35 %.

DISPARITÉ DES ANTICIPATIONS DES ACTEURS QUANT À LA PART DE
L'E-COMMERCE DANS LE COMMERCE DE DÉTAIL EN 2020

Proportion d'acteurs concernés Estimation de la part du commerce électronique en 2020

Lecture : 26 % des acteurs pensent qu'en 2020, la part de l'e-commerce représentera au moins 20 % du commerce de détail, mais sera inférieure à 30 %.

Source : d'après données de l'enquête du CREDOC « Quel commerce pour demain ? La vision prospective des acteurs du secteur » par Philippe Moati, Cahier de recherche n° 271 .

Si la majorité des acteurs et observateurs qualifiés du commerce anticipe ainsi une croissance du commerce électronique vigoureuse (et la quasi-totalité, une croissance de ce commerce), la dispersion des appréciations prospectives constitue, en définitive, la marque d'une véritable incertitude. Un rythme de croissance de l'ordre de 20 % apparaît comme de moins en moins soutenable à mesure que le marché croît aux dépens du commerce physique et que la conquête de nouvelles parts de marché devient, du moins en théorie, de plus en plus difficile et coûteuse...

Dès lors, la progression continue du nombre de sites marchands et les montants qui s'y trouvent aujourd'hui investis ne permettent pas d'exclure, dans un contexte très concurrentiel où les marges sont généralement réduites , la formation d'une nouvelle « bulle » du commerce électronique 26 ( * ) -la précédente ayant éclaté au début des années 2000, après que des investisseurs imprudents avaient massivement investi dans des « start-up » dont le modèle économique n'était pas viable.

D'aucuns redoutent, à tout le moins, un « retour des illusions sur l'e-commerce » 27 ( * ) , soulignant que l'accroissement du chiffre d'affaires du secteur provient surtout de l'arrivée de nouveaux marchands (PME, TPE, auto-entrepreneurs...) et de nouveaux cyber-acheteurs. A périmètre constant de vendeurs et d'acheteurs, la croissance se situerait plutôt autour de 5 % par an. Or, le nombre de création d'entreprises tend à s'accélérer tandis que celui des acheteurs devrait forcément ralentir...


* 17 Voir le compte-rendu de l'audition de Marc Schillaci, président et fondateur d'OXATIS.

* 18 « Au 4 ème trimestre 2010, près de 19 millions de foyers (18 787 000) ont accès à Internet en France soit près de 7 foyers français sur 10 (69,2 %) contre 16,9 millions (62,6 %) au 4 ème trimestre 2009 ».

* 19 Définis comme les individus de plus de 11 ans s'étant connectés à Internet au cours des 30 derniers jours, quel que soit leur lieu de connexion : domicile, travail ou autres lieux.

* 20 « L'évolution de l'e-commerce à l'ère de l'économie numérique », Prospective et Entreprise n° 11, février 2010.

* 21 Expression construite par analogie avec l'expression usuelle « brick and mortar » (des briques et du mortier), qui désigne les entreprises traditionnelles faites « de briques et de mortier ».

* 22 Suivi, d'après la FEVAD, par Amazon, la Fnac, Cdiscount, La Redoute puis les 3 Suisses.

* 23 Association pour le commerce et les services en ligne.

* 24 « Quel commerce pour demain ? La vision prospective des acteurs du secteur » par Philippe Moati, Cahier de recherche n° 271.

* 25 Hors acteurs du commerce électronique ; cette exclusion renforce peut-être la portée des opinions, globalement optimistes, ici émises sur la croissance à venir du commerce électronique.

* 26 Hypothèse notamment avancée par Denis Terrien, Directeur Général du groupe 3Si (3 Suisses international), lors de la séance du 10 mai 2011 des « Mardis de l'innovation » du CNAM, intitulée « Stratégies d'innovation dans la grande distribution et le e-commerce ».

* 27 Catherine Barba, Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page