II. PIXMANIA (SIÈGE), ENTRETIEN AVEC ULRIC JEROME, DIRECTEUR EXÉCUTIF

Le 12 mai 2011


• Données générales concernant l'entreprise :

- 500 collaborateurs au siège européen, 1 400 emplois en tout, personnel ayant une moyenne d'âge de 30 ans ; 5 principaux métiers :

- finance (contrôle de gestion, gestion de la trésorerie...)

- logistique

- service client

- informatique (développeurs...)

- marketing

- 60 000 m2 de stockage à Bobigny

- 900 millions d'euros de chiffres d'affaires pour l'exercice 2009-2010

- entreprise rentable


• Fondée par les frères Rosenblum début 2000, Pixmania était un site initialement dévolu au traitement des photos numériques. En raison d'un démarrage difficile, l'entreprise a décidé, à partir d'avril 2001, de se diversifier en vendant des appareils photo numérique.

En décembre 2001, au terme d'une opération de LBO, un fonds d'investissement détenait 49 % de Pixmania et les frères Rosenblum, 51 %. Le même jour, Pixmania acquerrait le grossiste d'électronique grand public « Japan Diffusion ».

Depuis, la croissance de Pixmania s'ancre dans la conquête de nombreux pays et dans l'élargissement de son offre à de nouvelles gammes de produits.

La stratégie de Pixmania est de devenir un spécialiste incontesté dans toutes les familles de produits auxquelles l'entreprise élargit successivement son offre.


• Pixmania s'est ouverte au B2B, qui représente environ 20 % du CA du groupe :

- en mai 2001, acquisition de FOCI, entreprise B2B d'équipement photo, puis de « Japan Diffusion » en décembre 2001 ;

- en juin 2004, le site « pixmania.pro » a été mis en place ; il a des clients importants, tels que BMW ou L'Oréal, ces entreprises étant notamment intéressées par des produits « high tech » destinés à gratifier leurs personnels ;

- au milieu des années 2000, des entreprises sont venues demander à Pixmania de les aider à constituer leur e-commerce. C'est ainsi que Pixmania a créé « e-merchant », plate-forme gérant l'e-commerce pour d'autres. Dans cette activité « B2B », Pixmania a également des clients importants, tels que Bouygues Telecom, S.T. Dupont, APC, Elite...


• L'acquisition de « Japan Diffusion » et de « Foci » a permis de contourner le refus des marques de vendre des produits à Pixmania. De grands distributeurs, tels que la FNAC, menaçaient en effet de déréférencement les marques qui viendraient à vendre à un e-commerçant.

Lorsqu'au bout de deux ans, les marques ont réalisé que les achats de Foci et Japan Diffusion alimentaient en réalité de l'e-commerce, elles ont dû prendre acte de la création d'un canal de vente désormais incontournable car le chiffre d'affaires réalisé par ces intermédiaires était devenu trop important.

En réalité, le même scénario se reproduit à chaque fois qu'un secteur s'ouvre au commerce électronique. Ainsi, lorsque Pixmania, il y a trois ans, a proposé des articles de puériculture, Aubert a déréférencé de ses 220 magasins certains fournisseurs.

Aujourd'hui encore, les conditions d'achat des e-commerçants sont moins avantageuses que celles des grands distributeurs physiques : les conditions financières sont souvent moins bonnes avec des tarifs couramment plus élevés de 10 % à 15 %, les gammes sont moins étendues avec certains produits demeurant ainsi introuvables dans le commerce électronique (à l'incompréhension générale des consommateurs, qui exercent alors une certaine pression), enfin, certains mécanismes de distribution sélective -reposant en particulier sur des conditions d'implantation physique de magasins- justifient des refus de vente. On notera que les grandes surfaces spécialisées qui s'ouvrent à l'e-commerce (telles que Darty ou la FNAC) bénéficient des meilleurs tarifs, y compris pour les biens écoulés via leur activité d'e-commerce.

Qu'en sera-t-il dans une dizaine d'années ? Le commerce physique est incontournable et 80 % du « business » se fera toujours en magasin. Cependant, les conditions réservées aux « pure players » devraient finir par se rapprocher de celles consenties aux enseignes traditionnelles. Toutes les marques sont dorénavant conscientes de la force d'e-commerce...


• Comment peut-on envisager le futur du commerce électronique ?

- de plus en plus, les marques iront « chercher » directement leurs consommateurs, ce qui est déjà le cas, par exemple, de GAP ou CELIO ;

- on peut s'attendre à une forte consolidation des « pure players » ; les e-commerçants qui ne se sont pas suffisamment spécialisés sur les créneaux qu'ils occupent risquent de s'affaiblir rapidement. Les multispécialistes comme Pixmania constituent probablement un modèle d'avenir pour l'e-commerce car ils procurent aux consommateurs, qui apprécient cette commodité, la possibilité de se fournir dans une très large gamme de produits sur un même site...

- les sites de « niches » pourront néanmoins prospérer ;

- le « multicanal » s'imposera. D'une part, les distributeurs classiques « viendront » de plus en plus sur le web. D'autre part, les « pure players » ouvriront de plus en plus de commerces physiques ; ainsi, Pixmania possède déjà de nombreux commerces physiques (les tarifs y sont comparables à ceux du site, majorés de « frais de service » équivalents à un coût de transport moyen sur le site) ; à noter que cet élargissement au commerce physique constitue une lacune du géant Amazon ;

- sur les sites d'e-commerce, les possibilités offertes aux marques de personnaliser leurs « univers » devrait les attirer. Alors que les marques perdent en visibilité chez certains distributeurs physiques -par exemple dans des enseignes telles que Décathlon, qui tendent à mettre en avant la marque de l'enseigne (Quechua)-, l'e-commerce leur offre l'opportunité de communiquer comme elles l'entendent, en préservant la spécificité de leurs « univers » respectifs. Pixmania se veut à l'avant-garde de ce mouvement avec ses « shopping shop » ;

- concernant les grandes surfaces alimentaires, les nombreuses expériences ayant, dans la période récente, débouché sur un échec, ne décourageront pas les grandes enseignes qui parviendront certainement à une quotité significative d'e-commerce. Leur problème structurel demeure celui de parvenir à coordonner les cinq métiers évoqués supra . En Grande-Bretagne, le commerce électronique représente 69 milliards d'euros -contre 30 milliards d'euros en France- car les grands distributeurs sont très présents sur Internet.


• Les comparateurs se sont considérablement améliorés, d'ailleurs une « charte » a déjà été adoptée par la plupart d'entre eux. Aujourd'hui, seulement 10 % du trafic de Pixmania provient des comparateurs.

Comment l'entreprise essaie-t-elle d'améliorer son trafic ?

En premier lieu, via Google avec, d'une part, le référencement naturel (liste principale de Google) qui nécessite cependant, en interne, un important travail sémantique pour figurer en bonne place sur cette liste lors des recherches d'internautes et, d'autre part, les liens sponsorisés qui figurent en haut à droite de la page Google, accessibles moyennant finance.

En deuxième lieu, via l'affiliation sur de petits sites (40 000 sites sont affiliés), ce mécanisme permettant de faire apparaître une offre de Pixmania à l'occasion d'une recherche sur l'un des sites affiliés.

En dernier lieu, via les comparateurs.


• La qualité du service « Coliposte » s'est considérablement améliorée ces cinq dernières années, à la plus grande satisfaction de nombreux e-commerçants, dont Pixmania.

Au total, l'entreprise propose cinq méthodes de livraison (six en France) : Coliposte, livraison express, livraison « superexpress », point relais (mode d'acheminement le moins onéreux), point retrait et, en France, un service spécial d'acheminement pour les produits volumineux.


• Avec la croissance de l'activité C2C, Pixmania a récemment décidé d'organiser l'hébergement d'offres de particulier qui devrait voir le jour au cours du 2 nd semestre 2011. Cette proposition sera essentielle car elle devient complémentaire, dans l'esprit du consommateur, de l'activité B2C, puisque ce dernier envisage de plus en plus, dès l'acte d'achat, la perspective d'une revente. Cette démarche d'ensemble est cohérente avec une « activité produit » de plus en plus forte, sans que le C2C n'engendre d'effets pervers mesurables en termes de demande de biens neufs.


• L'e-commerce accroit la pression concurrentielle. D'une façon générale, l'e-commerce permet une certaine « prise de pouvoir » du consommateur. Par exemple, grâce à l'information diffusée sur la toile, les protections du marché tendent à disparaître les unes après les autres. Cependant, beaucoup reste à faire et il y a encore trop de « gentlemen agreements » ; par exemple, il est inacceptable que les poussettes soient systématiquement vendues, en France, 20 % à 30 % plus chères qu'en Italie et en Espagne.

Naturellement, la concurrence par les prix fait craindre une baisse problématique des marges. Dans une vision prospective à un horizon de dix ans, le principal risque pesant sur le développement de l'e-commerce serait que les marques ne s'orientent pas vers une accessibilité de leurs produits homogènes entre les différents circuits de distribution, ce qui entraînerait des disparitions massives d'e-commerçants, à l'exclusion des opérateurs majeurs. Par exemple, il serait particulièrement dommageable qu'Amazon use de sa position dominante pour obtenir des conditions tarifaires bonifiées auprès de ses fournisseurs, si ces conditions n'étaient pas étendues aux autres e-commerçants dans une proportion leur permettant de demeurer concurrentiels.

*

La visite des locaux administratifs de Pixmania montre une grande spécialisation sectorielle et fonctionnelle. Quelques remarques au gré de notre visite :

- la fonction de « community manager », qui gère les interactions sociales avec les clients via les réseaux sociaux, est en plein essor ;

- un « software » analyse le degré de sécurité des commandes en fonction de leurs caractéristiques. Si le taux de sécurité calculé par le programme s'avère inférieur à 90 %, la société appelle pour s'assurer que la commande n'est pas dommageable (exemple : cas d'une carte volée). Avec ce système, le taux de fraude est tombé à 0,1 %, le plus faible parmi les grands e-commerçants ;

-la fonction de contact avec les fournisseurs s'avère d'autant plus étoffée qu'il n'est pas toujours facile pour un e-commerçant, ainsi qu'il a été dit, d'être systématiquement livré de tous les biens existant sur catalogue : il ne faut pas hésiter à chercher à se fournir à l'étranger...

- on remarque la présence de nationaux correspondant aux différentes versions étrangères du site de Pixmania, car seuls les natifs peuvent parvenir à une traduction parfaitement naturelle.

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