3. Education, citoyens, et organisation du débat public

La question posée aujourd'hui au regard de l'opposition à certaines innovations est celle de l'évolution de la démocratie et de son fonctionnement.

En effet, l'élévation globale du niveau d'éducation au lieu de diminuer la nécessité d'explication et de débat public a sans doute l'effet contraire ; les citoyens, étant plus compétents et mieux informés, veulent participer plus et sans doute plus en amont qu'avant.

Cette participation a lieu dans différentes arènes. Elle peut avoir lieu lors des débats publics organisés par la Commission nationale du débat public, instance qui permet d'assurer que les questions légitimes obtiennent des réponses précises. Toutefois, ce cadre, bien qu'indépendant, est souvent vu comme trop institutionnel et comme un lieu d'affrontement entre partisans et adversaires d'une technologie.

Elle peut également avoir lieu au travers de Conférences de Citoyens, qui se proposent de former un panel aux questions techniques puis de leur demander de formuler l'avis le plus éclairé possible. L'objectif est ainsi de permettre à un panel de citoyens profanes de dialoguer avec des experts et de s'exprimer sur des problématiques scientifiques et technologiques pour lesquelles il existe d'importantes incertitudes et divergences d'opinion. Après une formation préparatoire, sur deux ou trois week-ends, menée par des scientifiques, le panel de citoyens débat publiquement avec des représentants du monde politique, économiques, associatifs et avec des experts. A l'issue de cette conférence, qui dure en moyenne quatre jours, le panel de citoyens rédige à huis-clos un rapport contenant leurs avis et recommandations, qui est ensuite rendu public et remis aux instances politiques.

Le débat public est un ensemble d'échanges, de confrontations, de discussions, dans différentes arènes, sous diverses formes ; il existe, ou non, dans la société, mais il ne se décrète pas - même si l'on peut prendre des initiatives pour l'organiser.

On souligne les enjeux et l'importance des nanotechnologies, les possibilités nouvelles qui sont offertes, on présente les grands programmes de recherche et les pôles de compétitivité, mais, en même temps, on soutient que cela ne donne pas matière à débat. Avec les OGM aussi, on avait commencé par tenir, dans les années 1980, un discours de rupture, avant d'en changer : dès que le débat commence à s'échauffer, on prétend que l'évolution technoscientifique s'inscrit dans la continuité et qu'il faut envisager les choses au cas par cas. Ce discours est voué à l'échec ; ce qui importe, dans la bataille des idées, c'est la cohérence.

Le débat public a une histoire . Jean-Yves Le Déaut en a été l'un des principaux acteurs, en tant qu'organisateur de la « Conférence des citoyens sur les OGM », qui fut, en 1998, la première initiative en France de débat public impliquant les citoyens. Il ne faut pas restreindre notre expérience au seul débat sur les nanotechnologies organisé par la CNDP. La Conférence de 1998 étant un acte de sensibilisation du public : elle n'était pas une fin en soi, devant clore un processus, mais un élément contribuant à enrichir le débat public, entendu de façon plus large.

Certains furent sévères à son propos, avant la restitution finale. Tout le monde a ensuite salué cette initiative. Avec le recul, ce qui est frappant, c'est la pertinence des questions abordées et l'importance des initiatives qui en ont découlé. Les quatorze profanes se sont réellement appropriés ce sujet. Un certain nombre d'acteurs ont compris, dès 1998, que la diffusion des OGM dans la société devait passer par la coexistence des cultures, par l'information du public et par le libre choix ; à la suite de la Conférence a été mis en place un très intéressant programme de recherches associant l'INRA, les associations de consommateurs et la grande distribution. C'est, en partie, grâce à cela que l'on dispose aujourd'hui d'outils sur la coexistence des cultures. Quant à la théorie des « deux cercles de l'expertise » (scientifique et sociétale), elle a été mise en pratique avec la création du Haut conseil des biotechnologies.

Par contre, la Conférence n'a pas modifié les attitudes ; au contraire, elle a durci les positions. Un an après, a eu lieu la « bataille de la Villette » : une grande conférence réunissant 1 000 personnes s'est achevée par un affrontement direct, avec bombardements d'oeufs pourris - réponse de certains « écoguerriers » à la Conférence des citoyens, qu'ils considéraient comme un outil de manipulation de l'opinion publique. A chaque fois, le débat suscite le débat sur le débat, l'enjeu étant de savoir si celui-ci est légitime.

Pour conclure, il ne faut pas pour autant renoncer , car il est important de prendre des initiatives de débat public. Pour ce faire, il convient cependant d'avoir à l'esprit qu' il n'existe pas une seule forme de débat public, mais plusieurs : un échange interdisciplinaire entre scientifiques ou la présente audition relèvent aussi du débat public. Ensuite, le débat public est un processus dynamique, qui doit se dérouler de manière continue, en ayant une bonne appréhension des phases successives et des dispositifs utilisés ; il doit intégrer une dimension d'apprentissage et de retour d'expérience. Enfin, il nécessite des supports institutionnels, sur l'exemple du Danish Board of Technology (DBT), au Danemark, où une série de dispositifs, incluant des échanges entre experts, permettent d'alimenter un débat public vivant sur ces questions difficiles. Ce type de débat a pour rôle d'élargir, par le relais de la communication grand public, la discussion entre citoyens et experts.

Cette participation des citoyens peut également avoir lieu au sein de comités d'instance spécialisés qui s'ouvrent ainsi de plus en plus à la société civile, comme au sein du Haut conseil des biotechnologies. Le comité scientifique y est accompagné d'un Comité économique éthique et social de 26 membres représentant les différentes parties prenantes : syndicats, associations, etc.

Dans tous les cas, le citoyen formule des exigences strictes en termes d'indépendance et de transparence des informations qui sont mises à sa disposition. Il convient probablement de faire plus de pédagogie sur la notion d'indépendance des experts : en effet, il est rare qu'un expert reconnu internationalement comme compétent n'ait jamais eu aucun lien avec le monde économique et industriel, et il est rare qu'un chercheur n'ayant jamais eu un tel lien soit un expert internationalement reconnu. Ainsi, la transparence sur les liens actuels et passés est primordiale, et l'existence de liens antérieurs entre un scientifique et un industriel ne doit pas être la raison unique  pour écarter l'avis d'un expert.

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