II- L'AUGMENTATION ARTIFICIELLE DES PERFORMANCES DE L'HOMME RÉPARÉ À L'HOMME AUGMENTÉ

L'amélioration des performances cognitives individuelles (attention, mémoire) semble envisageable. À partir de découvertes sur le traitement des démences, il est concevable d'augmenter la mémoire des individus normaux, de même qu'il est imaginable de diminuer la mémoire négative liée au stress post traumatique, avec un intérêt potentiel pour les soldats ou les secouristes par exemple. Certains médicaments développés pour la dépression ou les troubles du sommeil pourraient être détournés de leur usage primaire en vue, par exemple, d'améliorer « chimiquement » la coopération entre les individus au sein d'un groupe ou d'augmenter les périodes d'éveil en maintenant les capacités d'attention et de concentration.

Ce glissement quelque peu barbare, surfant sur la profonde ambiguïté qui réside entre les notions de santé et de performance, amène à s'interroger. Une culture de l'amélioration se développe et construit ses propres mythologies. On assiste à des entreprises de « cyborgisation » qui remettent en question le devenir de l'homme.

A- LE DOPAGE COGNITIF OU LA NEUROAMÉLIORATION136 ( * )

À l'heure actuelle, les progrès se poursuivent dans le domaine de la pharmacologie, et les récentes avancées en génétique et en neurosciences étendent le champ des possibles grâce à des technologies telles que la stimulation cérébrale profonde, la transplantation de prothèses neurales. Bien qu'elles soient encore trop invasives pour bénéficier à des individus en bonne santé, ces technologies sont prometteuses et incarnent l'avenir de la neuroamélioration. Intéressant à la fois nos facultés cognitives et affectives ; peut-être serait-il d'ailleurs plus juste de parler de dopage « psychique ».

Dans son ouvrage « L ' homme réparé » 137 ( * ) , Hervé Chneiweiss dresse un état des lieux alarmant de l'usage détourné de médicaments à des fins d'amélioration cognitive pour accroître la performance artificiellement : une enquête menée auprès d'étudiants américains de 16-17 ans évalue à 20% le nombre de ceux qui utilisent des médicaments destinés à augmenter la vigilance, limiter le sommeil et la résistance au stress.

Ce constat est partagé par Antonio Rangel 138 ( * ) qui estime que ces produits circulent, et que, comme ils sont performants, leur utilisation se généralise sur les campus, et notamment le sien, au risque de modifier les comportements. Les autorités américaines n'ont pas pris conscience des enjeux du développement de l'accès aux drogues pouvant modifier les performances cérébrales de façon ciblée, phénomène en pleine expansion aux États-Unis, notamment dans le milieu étudiant et qui suscite une forte inquiétude chez les experts.

En effet comme l'observe Emilie de Paw « L'état de passivité auquel condamne le neurotraitement, interdit de qualifier le soldat qui est sans peur, de courageux, ou l'élève qui connaît par coeur sa matière, de consciencieux. À l'heure où l'on envisage l'apparition sur le marché de neurotraitements plus invasifs, il y a lieu de s'interroger sur l'hybridation de l'homme avec la technique et sur les conséquences de telles perspectives sur la définition de l'humain. »

Or, comme le souligne Hervé Chneiweiss dans l'ouvrage précité 139 ( * ) : « finalement, contrairement au dopage sportif où le tricheur cherche à gagner, il faut ici améliorer ses performances simplement pour être normalement intégré à sa communauté. Dans cette société de la performance, la norme est assimilée à la normalité. Tout ce qui s'en écarte devient en conséquence anormal et donc, en biologie, pathologique. »

Il démontre que la médicalisation d'un comportement génère un effet pervers en banalisant l'usage de certaines molécules comme les traitements au méthylphénidate, amphétamine dont l'usage s'est banalisé pour traiter l'hyperactivité chez l'enfant.

De nombreux chercheurs ont attiré l'attention des rapporteurs sur les dégâts causés en France par la surconsommation de psychotropes et la dépendance qui s'en suit. Ainsi, Jean-Pierre Changeux 140 ( * ) , estime que « le problème des drogues et de la toxicomanie n'est pas traité de manière convenable par le législateur : c'est un point négatif. Par exemple plusieurs drogues toxiques majeures comme l'alcool ou le tabac sont tolérées, alors que d'autres parfois moins toxiques sont hors la loi... Il existe une demande pressante et constante d'utilisation de drogues anxiolytiques comme, par exemple, contre l'hyperactivité et autres troubles du comportement des enfants. Il faut être attentif au risque d'une éventuelle hyper médicalisation, toxicomaniaque de l'enfant » .

L'Agence de la biomédecine a été chargée par la loi du 7 juillet 2011 de veiller à élaborer une information à destination du Parlement et du Gouvernement, sur les neurosciences et leurs évolutions, ainsi que sur les problèmes éthiques qu'elles pourraient soulever. Il lui est aussi demandé que cette information fasse l'objet d'un point spécifique dans le rapport annuel de l'Agence.

Vos rapporteurs considèrent que seule une information idoine et une veille sanitaire par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et l'Agence de la biomédecine peuvent éviter la généralisation de ces pratiques qu'une société de la performance encourage.

Recommandation :

Renforcer la veille sanitaire et l'infomation sur tout procédé ayant pour objectif d'agir sur les capacités cognitives des individus.


* 136 Emilie de Paw le dopage cognitif, Journal international de Bioéthique - 2012.

* 137 Plon janvier 2012 p 184

* 138 Professeur de neuroéconomie California Institute of Technology (Caltech) - (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2012).

* 139 p. 185

* 140 Ancien directeur de l'unité de neurobiologie moléculaire à l'Institut Pasteur Professeur honoraire au Collège de France et à l'Institut Pasteur (Audition des Rapporteurs du 15 novembre 2011).

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