B- LES DÉFIS DU TRANSHUMANISME

Comme le rappelle Jean-Michel Besnier 141 ( * ) dans son ouvrage « Demain les posthumains », c'est Peter Sloterdijk qui, dès 1999, a donné une crédibilité philosophique à la question du posthumanisme. Au cours d'un colloque consacré à Heidegger et à la fin de l'humanisme, il a postulé que le développement des technosciences imposait d'envisager un nouveau système de valeurs accompagnant la production d'êtres nouveaux et légitimant le pouvoir de ceux qui bénéficieront des technologies d'augmentation de l'être humain.

Les idéologies posthumanistes trouvent leurs racines dans une contre-culture des années soixante percevant dans la technologie un nouveau vecteur de rupture. Elles affirment que l'humanité devra s'élargir au non humain (cyborgs, clones, robots, tous les objets intelligents), l'espèce humaine perdant son privilège au profit d'individus inédits, façonnés par les technologies.

Selon Peter Sloterdijk la différence entre le posthumanisme et le transhumanisme n'est guère fixée. Le second désigne souvent une phase de transition vers le premier. Le mouvement mondial du transhumanisme, World Transhumanist Association (devenue depuis Humanity+ ) est apparu en 1998, représenté en France par l'association française transhumaniste « Technoprog! ».

Les transhumanistes prônent la transition vers le posthumanisme ou vers l'hyperhumanisme un «H+», et défendent l'idée d'une utilisation des biotechnologies pour améliorer la condition humaine, notamment par l'élimination du processus de vieillissement, et de la mort involontaire liée au vieillissement et aussi par l'amélioration du potentiel humain cognitif, émotionnel et physique. Le transhumain évoque un monde nouveau, alors que le progrès est une notion accrochée au monde ancien, un monde qui croit à l'humain et à sa pérennité.

Les fantasmes d'immortalité qui traversent ce courrant reposent selon Jean-Michel Besnier « sur un préjugé non seulement scientiste, mais aussi très archaïque ». Cela supposerait que le cerveau et la conscience soient une seule et même chose, et que sauvegarder le cerveau donnerait les moyens d'immortaliser la conscience, sans prendre en considération l'épigénétique, c'est-à-dire le contexte environnemental nécessaire au fonctionnement du cerveau. Or, pour les neurobiologistes, il n'y a pas de cerveau isolé. De tels fantasmes relèvent d'un schéma d'explication et d'une rhétorique qui supposent que le cerveau est isolable ». Selon Jean-Michel Besnier : « ce qui rend possible ce genre d'illusions est la simplification de la représentation de l'humain, qui résulte de la fascination avec laquelle nous cédons aux technologies lorsqu'elles nous donnent à voir. Ces technologies ont un privilège sur les autres : elles facilitent cette simplification de l'humain, en l'exposant à être réduit à l'élémentaire d'un fonctionnement quasi mécanique. »

1- Un dialogue difficile

L'intervention de Jean- Didier Vincent 142 ( * ) , en mars 2008, dans laquelle il avait exposé ses interrogations et ses inquiétudes face au développement de mouvements transhumanistes avait interpellé vos rapporteurs. Il faisait état d'un vaste programme de recherche consacré à la convergence des technologies, engagé en 2002 principalement aux États-Unis, avec quatre voies technologiques convergentes vers le « posthumain », ce qui permettrait à l'homme de faire mieux que ce que la nature a su faire. « Les biotechnologies seraient les premières à ouvrir la porte de la post-humanité. Les nanotechnologies tireraient l'attelage, complétées par les technologies de l'information et les sciences cognitives. Le gouvernement fédéral des États-Unis a doté ce programme couramment appelé NBIC - nano, bio, info, cogno - de plusieurs milliards de dollars. On peut considérer le projet comme la première pierre officielle de ce que ses adeptes conviennent de nommer transhumanisme et qui n'est rien d'autre qu'un état intermédiaire vers le post-humanisme ».

Il précisait : « Le rapport de la National Science Foundation (NSF) américaine sur la convergence des technologies pour améliorer les performances humaines (Converging technologies for improving human performance) reste cependant prudent lorsqu'il conjoncture que l'humanité pourrait devenir comme un cerveau unique dont les éléments seraient distribués par des liens nouveaux parcourant les sociétés . ... Les propos de savants devenus prophètes, abolissant les frontières entre utopie et projet scientifiques, ne doivent pas faire oublier le sérieux d'une entreprise que pourrait résumer la devise : « Rendre l'impossible possible, et l'impensable pensable. »

Conscients de l'impact et des défis potentiels de la convergence NBIC sur la société, vos rapporteurs ont souhaité rencontrer des défenseurs de ces thèses nombreux et influents aux États-Unis lors de leur déplacement dans ce pays. Le dialogue s'est avéré extrêmement difficile avec Natascha Vita-More, présidente de Humanity + 143 ( * ) car chaque question directe semblait l'offenser, elle ne paraissait pas concevoir qu'on ne soit pas complètement conquis par son désir d'éternité et sa croyance en la toute-puissance de la technique.

La rencontre avec Wendell Wallach 144 ( * ) fut plus feutrée car il s'agissait d'une table ronde au Yale interdisciplinary center for Bioethics . Certes il semblait être plus réservé que les autres intervenants sur la nécessité de s'interroger sur des techniques qui prônent la « cyborgisation » de l'humain.

Aussi, pour vos rapporteurs, cette dimension des interfaces homme/ machine prônée par ces mouvements, doit-elle être examinée. À cet égard, les descriptions des entretiens de Jean-Didier Vincent 145 ( * ) avec des experts respectés croyant à immortalité possible ou les expériences cyborgisation de chercheurs originaux s'appliquant à eux-mêmes leur théorie, en s'agrémentant de puces électroniques ou de bras supplémentaires ne prêtent pas forcément à sourire.


* 141 Professeur de philosophie à l'Université de Paris IV-Sorbonne, chercheur au Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA), (CNRS/École Polytechnique (Audition publique du 30 novembre 2011)

* 142 Professeur à l'Université Paris-sud Orsay, directeur de l'Institut Alfred Fessard, Membre de l'Académie des Sciences et de l'Académie nationale de Médecine - (Auditions publiques des 26 mars 2008 et 30 novembre 2011).

* 143 Echange téléphonique avec Natascha Vita-More - (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2011).

* 144 Président du Technology and Ethics Research Group, Yale University Institution for Social and Policy Studies - (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2011).

* 145 Geneviève Ferronne, Jean-Didier Vincent « Bienvenue en transhumanie », (Grasset 2011).

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