CONCLUSION

La rapidité avec laquelle les neurosciences et l'imagerie cérébrale ont surgi non seulement dans le champ des sciences sociales mais également dans la vie quotidienne soulève des interrogations. Cette rapidité apparait très décalée par rapport à la prudence des neuroscientifiques eux-mêmes.

Les neurosciences ont la vertu d'être rapidement assimilées par l'esprit de nos contemporains. On ne s'étonne presque plus des conséquences que l'on peut en tirer. On est frappé de voir à quel point les effets d'annonce, fréquents en la matière, pénètrent très facilement le grand public.

L'accélération des recherches sur le fonctionnement du cerveau, fait naître des tensions particulièrement vives entre espoirs et émerveillement d'une part, et interrogations et inquiétudes, voire désenchantement, d'autre part. La connaissance de l'information cérébrale et des caractéristiques neurales de l'individu peut être perçue comme une intrusion dans l'intimité de chacun pour le meilleur et pour le pire.

Pour le meilleur, parce qu'elle intéresse la médecine, la recherche dans la perspective de traitement des maladies neuropsychiatriques invalidantes ; pour le pire, parce qu'elle peut être détournée de son objectif premier, et servir des théories réductionnistes et déterministes, dangereuses pour les libertés individuelles.

Certains experts redoutent qu'une banalisation du cerveau, facilitée par les technologies de modélisation, de simulation et de visualisation, accrédite une représentation simplifiée de l'humain. « De plus en plus, les technologies développent chez nos contemporains une représentation d'eux-mêmes simplifiée. La technologie est en général efficace, quand elle opère une simplification de l'objet à comprendre, simplification sans doute plus grave dans le domaine de l'imagerie cérébrale. Au fond, on pense que même si le cerveau est complexe, même si son exploration exige une infrastructure technique considérable, il n'est pas davantage que l'embrouillamini de milliards de neurones reliés entre eux par un immense réseau de câbles et de connexions, dans lesquels circulent des impulsions électriques ou chimiques. La complexité n'empêche pas qu'on projette sur elle de la simplicité » explique Jean-Michel Besnier 186 ( * ) .

Selon Jean-Claude Ameisen 187 ( * ) , cette crainte est renforcée par la nature même des neurosciences et de l'imagerie cérébrale qui conduisent à s'interroger sur les déterminants de leur propre activité, sur les déterminants biologiques de la démarche éthique ; la démarche éthique s'interrogeant à son tour sur les implications, en termes humains, d'une telle approche réductionniste. « Rarement, sans doute, réflexion scientifique et réflexion éthique n'ont été aussi intriquées. »

Rarement aussi des avancées scientifiques et technologiques ont suscité une telle fascination et des réactions aussi contradictoires. On découvre grâce aux progrès des neurosciences et de l'imagerie cérébrale le sens concret de la plasticité cérébrale et combien les apprentissages, le langage, la pensée et les interractions de chacun avec autrui, combien l'environement social retentit sur l'activité cérébrale et le cerveau de chacun.

Face à ces avancées et aux attentes quelles suscitent, il importe surtout d'informer et de débattre.


* 186 Professeur de philosophie à l'Université de Paris IV-Sorbonne, chercheur au Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA), (CNRS/École Polytechnique) - (Audition publique du 30 novembre 2011).

* 187 Professeur de médecine, président du Comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)

Page mise à jour le

Partager cette page