C. QUELS EFFETS SUR LES ÉQUILIBRES ALIMENTAIRES ?

Le développement des biocarburants pose la question essentielle de ses effets sur les équilibres alimentaires.

Est-il susceptible de réduire les quantités produites ? A-t-il des effets inflationnistes sur les prix alimentaires ?

À l'évidence, à technologies inchangées, la théorie oblige à relever que le déclenchement d'un effet d'éviction des produits alimentaires par les cultures énergétiques se traduit par une raréfaction des surfaces exploitées à des fins alimentaires, réduit cette production, et crée des tensions sur les quantités et sur les prix.

Pourtant, les données du problème sont plus complexes.

1. Quels effets sur le prix de l'énergie ?

L'essor de la production de biocarburants est susceptible de limiter les tensions sur les prix de l'énergie.

Si la viabilité économique de la production de biocarburants dépend d'un seuil de prix des énergies fossiles - au demeurant variable selon les filières et les pays d'origine des matières premières impliquées dans les filières -, leurs effets sur les prix de l'énergie sont de nature à en stabiliser la dynamique.

Ce mécanisme est conforme au schéma classique d'équilibre sur les marchés où la confrontation de l'offre et de la demande détermine le niveau et les mouvements des prix.

Or, compte tenu des liens entre l'agriculture et l'énergie et, plus largement, de ceux entre l'énergie et l'alimentation, - qui pourraient se resserrer encore si la sécurité alimentaire devraient être acquise dans le futur par une amplification des échanges internationaux - cet effet de la production de biocarburants peut contribuer à détendre le stress alimentaire.

Cet enjeu, qui contraste avec la crainte de voir les agro-carburants contribuer à une hausse tendancielle des prix alimentaires ainsi qu'à des épisodes plus sporadiques de tension sur les prix, n'est que très partiellement évaluable puisqu'aussi bien il dépend de variables hautement conjecturales.

Parmi celles-ci figurent les perspectives de voir se constituer à l'avenir de nouveaux cartels énergétiques ayant pour but d'augmenter la rente de production dans un monde où la diversité énergétique se réduirait mais aussi d'autres évolutions, plus favorables, elles, comme l'élévation du niveau de l'efficacité énergétique.

Encore faut-il pour valider cette approche que les biocarburants contribuent effectivement à augmenter la disponibilité des ressources énergétiques.

Sur ce point, un rapport présenté par l'ADEME en février 2010 conclut à l'existence d'un apport énergétique net des biocarburants par rapport aux énergies fossiles.

Les graphiques ci-après illustrent ces conclusions pour les éthanols et pour les biodiesels respectivement.

L'effet d'abattement de la consommation d'énergies fossiles est inégal puisqu'il va de 18 % pour l'ETBE de blé à 85 % pour l'éthanol de canne à sucre40(*).

Les résultats relatifs aux rendements énergétiques des biocarburants peuvent aussi être appréhendés en rapportant l'énergie contenue dans le carburant à l'énergie non renouvelable nécessaire à sa production.

Les rendements varient considérablement mais sont positifs (ratio de 1,7 pour les éthanols en consommation directe et de 5,5 pour les éthanols de canne à sucre).

Dans le futur, en fonction de l'équation économique du secteur énergétique, le bilan des biocarburants comme substituts renouvelables à une énergie non renouvelable pourrait s'améliorer.

En effet, le paradoxe, qui voit aujourd'hui l'énergie nécessaire à la production de biocarburants provenir de sources fossiles du fait de leur avantage économique, pourrait s'effacer lorsque la viabilité économique de la filière ne sera plus suspendue à des aides publiques.

Par ailleurs, les scénarios prospectifs à 5 ans montrent des potentiels d'amélioration du rendement énergétique de 10 % pour les biodiesels, conduisant à une valeur moyenne de réduction de 70 %. L'amélioration serait de 15 % pour la filière éthanol, ce qui permettrait d'atteindre une réduction moyenne de 60 % par rapport aux carburants fossiles. Pour les ETBE, les améliorations énergétiques envisagées pourraient permettre d'atteindre des réductions de l'ordre de 26 à 58 %.

Le problème de la contribution des biocarburants à l'indépendance énergétique est plus ardu.

Sans doute peut-on observer qu'actuellement la plupart des matières premières agricoles mobilisées pour les produire sont issus de productions locales.

Les biocarburants en France en 2009

En 2009, environ 2,7 millions de tonnes de biocarburants (2 540 ktep) ont été consommées sur le marché français, représentant 6,04 % (en pouvoir énergétique) de la consommation nationale annuelle d'essence et de diesel. Ils se répartissent entre biodiesel (2,1 millions de tonnes, 2 070 ktep) et éthanol (619 milliers de tonnes, 471 ktep).

Les biodiesels diffusés en France sont majoritairement issus de colza. Les approvisionnements des unités de production en colza et en tournesol se font prioritairement au niveau local puis au niveau européen. La part d'huile de soja, importée, est toutefois en progression (jusqu'à 25 % des approvisionnements en huile). L'utilisation d'huile de palme importée demeure très marginale.

L'éthanol est majoritairement incorporé à l'essence après transformation en ETBE (68 % en masse en 2008). La part d'éthanol incorporé directement, encore marginale, augmente régulièrement depuis 2006. L'approvisionnement des usines d'ETBE est constitué majoritairement d'éthanol produit en France (autour de 70 %).

Toutefois, la soutenabilité de ce modèle est improbable.

Les productions agricoles nationales nécessaires ne paraissent pas pouvoir résister à la concurrence des productions réalisées dans les pays tiers.

Par ailleurs, à technique constante, les besoins de terres pour produire la quantité de matières premières nécessaires à l'atteinte d'objectifs moyens d'incorporation (10 % des carburants utilisés dans les transports) excéderaient de beaucoup le niveau nécessaire au maintien de la vocation alimentaire de l'agriculture européenne.

Au total, la dimension prospective - sauf changements technologiques - oblige à considérer qu'il existe un choix entre l'indépendance énergétique acquise par les agro-carburants et l'indépendance alimentaire en Europe et en France.

2. Quels effets sur les changements climatiques ?

La réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est l'une des justifications apportées à l'emploi des biocarburants et aux dispositifs de soutien public dont ils bénéficient.

En favorisant la lutte contre le changement climatique à travers la limitation d'une de ses variables explicatives principales, les biocarburants exerceraient des effets favorables sur les équilibres alimentaires dans le futur dont on a indiqué dans quelle mesure ils pourraient être perturbés par le réchauffement climatique.

Apparemment, les biocarburants exerceraient des effets très favorables sur les GES.

Source : ADEME « Analyse du cycle de vie des biocarburants de première génération en France » Février 2010

Pour les éthanols, la baisse des émissions par rapport à la filière fossile va actuellement de 24 à 72 % avec des perspectives favorables. Les réductions sont plus nettes pour les plantes à sucre que pour les céréales du fait de la supériorité des rendements à l'hectare des premières.

Pour les esters, la réduction des émissions est encore plus importante allant de 59 % pour les graines de colza à plus de 91 % pour les esters de graisse animale (EMGA).

On doit relever que les filières les plus performantes au regard de la question des GES sont plutôt celles qui sont développées en dehors de la France.

Une part prépondérante des gains de GES intervient lors de l'utilisation des véhicules comme le montre le graphique ci-dessous.

Source : ADEME « Analyse du cycle de vie des biocarburants de première génération en France » Février 2010

L'abattement de GES par les biocarburants vient de la neutralisation du CO2 émis lors de cette utilisation du fait de son origine biogénique. Autrement dit, le CO2 libéré étant celui que les plantes avaient capté depuis l'atmosphère, est réputé n'ajouter rien aux GES en ne modifiant pas leur bilan global.

Ce n'est que grâce à cet « effet de recyclage » que l'usage des biocarburants est considéré comme favorable, une question étant de savoir si le déstockage de CO2 emprisonné dans les plantes est réellement neutre sur le bilan des GES.

En effet, pour les autres phases, celles de la production de la matière première, de son raffinage, de sa distribution ou de la fabrication d'ETBE, les biocarburants offrent un bilan moins favorable que les carburants fossiles (principalement du fait de la consommation de produits fossiles qu'accompagne chacune de ces phases).

Au total, sous la réserve importante que le bilan en protoxyde d'azote (N2O) des cultures énergétiques est mal appréhendé alors qu'il a un potentiel d'effet de serre trois cents fois supérieur au CO2 les biocarburants paraissent susceptibles de contribuer à réduire les GES.

Mais, un bilan complet des gains de GES apportés par les agro-carburants doit prendre en compte les changements d'affectation des sols (CAS)41(*).

L'analyse des CAS peut distinguer les CAS directs quand une surface (cultivée ou non) est mobilisée pour la culture de plantes destinées aux biocarburants et les CAS indirects résultant de la nécessité de mobiliser une terre nouvelle pour la culture de produits alimentaires auparavant réalisée sur la surface désormais vouée aux biocarburants.

Les changements d'affectation des sols peuvent entraîner des libérations plus ou moins massives de CO2.

Mme Marion Guillou et M. Gérard Matheron indiquent ainsi que la conversion d'un hectare de prairie en terre cultivée pour la fabrication d'un biocarburant de première génération peut libérer, sous certaines conditions climatiques et pédologiques, jusqu'à 300 tonnes de CO2 par hectare, et celle d'un hectare de forêt de 600 à 1 000 tonnes de CO2.

À ce sujet, l'ADEME mentionne des analyses de sensibilité qui ne concerne que trois filières : le soja (brésilien ou américain) la betterave et le colza.

Source : ADEME « Analyse du cycle de vie des biocarburants
de première génération en France » Février 2010

La prise en compte des changements d'affectation des sols change l'appréciation des gains de GES résultant des biocarburants.

La filière la plus affectée est celle du soja dont le bilan devient défavorable sauf dans un scénario optimiste. Pour la betterave, seules les hypothèses les plus pessimistes se traduisent par un renversement du bilan des GES tandis que pour le colza le bilan est plus mitigé.

Une bonne partie de l'impact des CAS passe par la mobilisation de surfaces forestières pour assurer les productions alimentaires évincées par le développement de la biomasse à vocation énergétique.

Cet impact ne peut être déduit simplement puisque son évaluation dépend de variables plurielles aux premiers rangs desquelles figurent les hypothèses posées sur le type de surfaces concernées et sur les rendements agricoles (actuels et futurs).

De son côté, le bilan des biocarburants sous l'angle de l'eutrophisation ressort selon l'ADEME comme franchement défavorable.

Source : ADEME « Analyse du cycle de vie des biocarburants
de première génération en France » Février 2010

Le potentiel d'eutrophisation est entre deux et dix fois celui des carburants fossiles surtout du fait de l'étape agricole de la filière qui accroît les risques de lessivage des nitrates et, à un moindre degré, de relâchement d'ammoniac. Même dans une hypothèse sans nitrate le bilan demeure largement défavorable par rapport à celui des carburants fossiles.

3. Récapitulatif
a) Vers un grave problème foncier

Les effets négatifs du développement des biocarburants pour la production alimentaire dépendent en premier lieu de l'ampleur de « l'effet d'éviction »42(*) qu'ils peuvent exercer aux dépens des utilisations du foncier destinées à produire des matières premières alimentaires.

Il existe, de ce point de vue, une situation idéale où les terres agricoles mobilisées pour produire des biocarburants seraient systématiquement des terres résiduelles que les producteurs de matières premières alimentaires n'auraient pas utilisées. Dans cette hypothèse, qui laisse ouverts les débats sur les autres conflits d'usage potentiels suscités par l'utilisation de terres à des fins de production énergétique (effets sur le prix du foncier destiné à l'habitation, effets environnementaux...) il n'y aurait, par définition, nul effet d'éviction des bioénergies sur la production alimentaire.

Les prospectives relatives aux besoins de terres que pourraient susciter dans le futur la demande alimentaire et les comparaisons avec les surfaces mobilisables qu'on peut en tirer n'abordent en détail que rarement la question des conflits d'usage avec les surfaces que pourraient mobiliser les productions nécessaires aux agro-carburants.

Le scénario Agrimonde 1, qui est un scénario où l'accroissement de la production agricole provient pour une part significative de la mobilisation de terres, est l'un des rares à inclure une hypothèse d'essor des agro-carburants se distinguant en cela du scénario central construit par la FAO.

Il ne conclut pas à l'existence d'un conflit d'usage irrémédiable.

Pourtant, dans les conditions techniques actuelles des biocarburants de première génération, la couverture de 10 % des besoins en carburants des transports par des biocarburants d'origine locale conduirait à étendre considérablement les superficies consacrées à la culture des végétaux à vocation énergétique43(*).

Dans l'état actuel, seul le Brésil « roule aux biocarburants ». Ils représentaient en 2004 21,6 % des carburants utilisés au Brésil pour les transports contre 1,3 % pour le monde.

La surface agricole employée au Brésil afin de produire les matières premières nécessaires tourne autour de 6 % des surfaces exploitées pour produire des céréales, des oléagineux et des plantes sucrières dans le pays.

Par contraste, pour assurer une proportion de 10 % des carburants utilisés par les transports provenant des productions locales, l'Europe devrait mobiliser 72 % des terres qu'elle exploite à ces fins, les États-Unis 30 % et le Canada 36 %.

Avec quelques approximations, on mesure par là l'effet d'éviction que provoquerait l'atteinte des objectifs d'incorporation de biocarburants tels qu'ils sont généralement formulés, sur la production céréalière, d'oléagineux et de plantes sucrières dans les pays de l'OCDE si ces objectifs devaient être atteints sur la base des seules productions locales.

Ces pays deviendraient des importateurs nets de produits alimentaires. Cette proposition est réversible : s'ils souhaitent atteindre leurs objectifs d'incorporation de biocarburants, il faudra que les pays considérés deviennent des importateurs nets des matières premières agricoles nécessaires à la production de biocarburants44(*).

La simulation montre que le recours à de telles importations limiterait l'augmentation des superficies qui devraient être consacrées à ces matières premières - elles devraient atteindre 9 % des surfaces actuellement cultivées - contre 37 % dans l'hypothèse où l'on opterait pour une autosuffisance région par région mais l'allègement de la contrainte n'empêcherait pas que l'Union européenne doive consacrer une énorme proportion de son potentiel à cette production.

Par ailleurs, il faut bien voir que les différences dans les contraintes de mobilisation des surfaces entre pays sont, pour partie, dues à des niveaux très inégaux de consommation d'énergie par les transports (qui sont nettement plus élevés dans les pays de l'OCDE qu'au Brésil).

Ainsi, dans l'hypothèse, probable, d'une hausse de l'énergie consommée par les transports au Brésil, une augmentation de la proportion des surfaces cultivées à mobiliser pour produire des biocarburants se produirait. Elle se répercuterait sur la proportion des terres affectées dans ce pays, mais aussi dans le monde, à des cultures non-alimentaires qui augmenterait nettement.

Les contraintes particulières qui pèsent sur l'Union européenne viennent principalement des surfaces agricoles disponibles mais également de sa spécialisation dans des cultures utilisées dans la filière biodiesel plutôt que dans l'éthanol. Il existe en effet une forte différence de rendement énergétique par hectare selon les matières premières agricoles.

Ces résultats sont confirmés par les travaux de M. Michel Griffon pour lequel la perspective du « peak oil » annonce une séquence d'augmentation structurelle des prix du pétrole et de besoins de sources énergétiques alternatives.

Parmi celles-ci, la biomasse occupe une place importante dans les scénarios de diversification énergétique, rappelle-t-il indiquant que ces scénarios tablent pour l'ensemble des énergies renouvelables sur un besoin moyen par an compris entre 3,6 et 4,6 Gtep/an45(*) (dont 80 % proviendrait de la biomasse), soit de 3 à 3,7 Gtep/an, besoins pouvant atteindre 5 à 6 Gtep/an en fin de période (2050).

Sur cette base, et en faisant l'hypothèse d'un rendement productif moyen de 5 tep/ha/an, pour produire ce qui est suggéré il faudrait 10 millions de km², soit environ dix fois la surface du territoire français. Mais le coefficient de 5 tep/ha/an quelquefois utilisé constitue sans doute une estimation assez élevée avec les technologies d'aujourd'hui.

Performances de différentes filières issues de la biomasse

Plante

Rendement/ha

Taux d'extraction

Rendement

Canne à sucre

65 à 85 t/ha

10 % : 7 à 9 t sucre/ha²

3 à 4 tep/ha/an

Betterave

70 à 80 t/ha

13,5 % : 11 t sucre/ha

5 tep/ha/an

Blé

7 à 8 t/ha

5 % : 0,4 t sucre/ha²

2 tep/ha/an

Cultures spéciales

10 t mat.sèche/ha

 

3 tep/ha/an

Colza

3,2 à 3,4 t/ha

50 % : 1,6 t huile/ha

1 tep/ha/an

Palmier à huile

3 (nat) à 16 t/ha

10 à 28 % : 3,6 à 4,5 t h/ha

2 à 3 tep/ha/an

Bois tropique humide

33 m3/ha

0,2 tep/m3

6,6 tep/ha/an

Les surfaces agricoles à mobiliser en les décontractant par grande région à partir des scénarios énergétiques mondiaux disponibles en 2003 en découlent.

Sous ces hypothèses, tous les continents sont potentiellement dans une situation où leur espace agricole ne suffit pas pour produire assez d'énergie issue de biomasse, sauf l'Amérique latine et l'Afrique subsaharienne.

Les déficits les plus importants se situent dans les pays du Nord (Amérique du Nord, Europe, Japon, CEI) avec un déficit de 2,5 à 3,4 Gtep, puis vient l'ensemble Asie, Afrique du Nord et Moyen-Orient avec un déficit de 0,6 à 1,1 Gtep. Aussi, pour combler ce déficit, l'Amérique latine et l'Afrique devraient-elles exporter de 3,1 à 4,5 Gtep, ce qui représenterait avec une espérance de rendement de 4 tep/ha une surface de 10 à 11 millions de km², soit la totalité de l'Amazonie et du bassin du Congo.

Hypothèses de production de biomasse énergétique
et de surface agricole utilisée à l'horizon 2050

Région

Besoins en énergie min et max (106 tep)

Besoins en ha
(106 ha)

Rendement
(tep/ha)

Déficit
(106 tep)

Amérique du Nord et UE

1 664 à 2 080

830 à 1 040

2

1 330 à 1 770

Japon

480 à 600

Supposé négligeable

-

480 à 600

Ex-URSS

1 056 à 1 320

1 056 à 1 320

1

740 à 1 030

Total Nord

3 200 à 4 000

1 886 à 2 360

2 550 à 3 400

 

Am. Latine

80 à 176

36

5

0

AN et
Moyen-O.

64 à 140

Supposé négligeable

-

80 à 176

Afrique

152 à 334

37 à 85

4

0

Inde

184 à 404

60 à 100

3

150 à 360

Chine

192 à 422

63 à 140

3

142 à 374

Total Sud

800 à 1 760

196 à 361

-

547 à 1 085

Total monde

4 000 à 5 760

2 082 à 2 721

-

3 097 à 4 485

Source : Données de Benjamin Dessus

Dans un scénario au fil de l'eau, les sols ne suffiraient pas à satisfaire l'ensemble des besoins alimentaires et énergétiques.

b) Un facteur autonome de hausse des prix

Globalement, plus la production d'agro-carburants sera forte, plus les prix agricoles seront sous pression. Telle est du moins la leçon des scénarios disponibles.

Elle paraît difficilement récusable. Toutefois, sa portée doit être convenablement appréciée. À cet effet, la question des alternatives est évidemment centrale.

Les effets sur les prix des matières premières agricoles concernées représentent une deuxième préoccupation. Différents scénarios d'évolution de la production de biocarburants ont été simulés par l'OCDE, avec trois scénarios variantiels par rapport à une projection centrale proposée par la FAO et l'OCDE.

 un scénario où la production de biocarburants reste à son niveau de départ alors que dans le scénario central de la FAO et de l'OCDE, leur production augmente aux États-Unis et au Brésil ;

 un scénario d'atteinte des objectifs qui étaient posés au moment de la réalisation de l'exercice (2004) et, par conséquent, inférieurs à ceux désormais en vigueur ;

 un scénario simulant les effets d'un prix du baril de pétrole à 60 dollars.

Les résultats de ces scénarios sont figurés dans les graphiques ci-dessous.

Dans le scénario central, les prix des produits concernés sont globalement stables avec toutefois une tendance haussière pour les oléagineux (contre une stabilité pour les céréales et le sucre blanc).

Des trois scénarios simulés, seul ce premier, qui voit la production de biocarburants légèrement réduite par rapport à la projection centrale, enregistre une baisse, modeste sauf pour le sucre blanc pour lequel elle est forte, des prix.

La baisse des prix est imputable au supplément de disponibilités libérées par une demande plus faible en raison de la moindre production de biocarburants qui est posée en hypothèse de ce scénario.

Les exportations mondiales des États-Unis et du Brésil pour les produits concernés sont supérieures avec toutefois des effets assez modestes sur les prix mondiaux (sauf pour le sucre).

Ces résultats sont tributaires d'hypothèses sur la réduction des besoins de matières premières agricoles du fait d'un niveau de production plus faible au Brésil et aux États-Unis qui, n'étant pas complètement explicités, ne peuvent voir leurs effets sur le surplus exportable entièrement précisés.

En théorie, l'ampleur des ajustements de prix dépend de la baisse de la consommation par l'industrie des biocarburants des matières premières qui lui sont nécessaires. Ces ajustements ne se limitent pas à ces matières premières mais se répercutent sur les prix de la viande et du lait à mesure de l'utilisation qui en est faite dans ces productions.

Il existe toutefois une incertitude liée aux incidences concrètes d'un ajustement à la baisse de la production de biocarburants sur la production des matières premières agricoles.

Dans la simulation, on estime que la réduction de la demande de produits agricoles qui l'accompagne n'impacte pas la production ce qui revient à estimer que le niveau de la production agricole est insensible à la composante de la demande attribuable aux biocarburants.

Autrement dit, la baisse de la demande des industriels est sans effet sur la production agricole.

Cette hypothèse est une hypothèse lourde dont il faut remarquer qu'elle tranche avec l'hypothèse posée sur le compartiment strictement alimentaire de la demande de produits agricoles.

Pour celui-ci, la stabilité des prix décrite dans la projection centrale de la FAO et de l'OCDE témoigne que la production suit le rythme de croissance de la demande alors que la demande de produits agricoles pour fabriquer des biocarburants entraîne une élévation des prix.

La fragilité de cette hypothèse - pourquoi choisir deux régimes d'élasticité de l'offre et des prix différents selon la destination de la demande ? - rejaillit dans une certaine mesure sur les résultats des deux autres scénarios où la production de biocarburants augmenterait soit (à prix des carburants fossiles inchangés) pour atteindre les objectifs (modestes) d'incorporation alors en vigueur, soit en réponse à une hausse des prix des carburants traditionnels.

Dans le premier de ces deux scénarios, la demande supplémentaire de matières premières augmenterait par rapport au scénario de statu quo dans les conditions figurées ci-dessous.

Ce scénario ne diffère pas beaucoup du scénario de statu quo pour le Brésil et les États-Unis mais il est beaucoup plus exigeant en matières premières pour l'Europe et le Canada. Pour l'Europe, l'effet le plus marqué concerne les huiles nécessaires à la production de biodiesel qui représenteraient 49 % de la consommation projetée.

Les besoins nouveaux de matières premières sont censés devoir être satisfaits à travers une modification des échanges internationaux : hausse des importations d'huiles végétales et baisse, jusqu'à 41 %, des exportations de blé. Cet ajustement exerce des effets importants sur les prix internationaux qui augmentent sensiblement (entre 15 et 20 % selon les produits). Mais, ce résultat est tributaire de l'hypothèse d'absence de réaction de la production à la demande, hypothèse qu'on peut juger d'autant moins « robuste » que les tensions sur les prix devraient inciter à élever la production des produits concernés.

Néanmoins, il est utile pour apprécier la portée du scénario de préciser que la hausse des taux d'incorporation ici simulée est particulièrement modérée par rapport aux objectifs aujourd'hui en vigueur, d'autant qu'on y suppose que l'augmentation des prix agricoles se répercuterait sur les incorporations effectives en en freinant le rythme par rapport aux objectifs officiels.

De ce fait, la part des carburants remplacée par l'éthanol et le biodiesel dans l'UE-15 progresse d'un peu moins de 1 % en 2004 à 5,2 % en 2010 pour atteindre 5,5 % en 2014, chiffre légèrement inférieur à l'objectif de 5,75 % fixé pour 2010 par la directive de la Commission européenne mais très inférieur du chiffre retenu par la France, aux États-Unis et au Canada, ces pourcentages passeraient de 1,6 % en 2004 à 2,2 % en 2014, et de 0,3 % à 3,0 %, respectivement, tandis qu'au Brésil ils devraient passer, selon les estimations, de 22 % à plus de 26 % durant cette période.

Le dernier scénario, celui d'une expansion des biocarburants en réponse à une hausse durable du prix du pétrole (à 60 dollars le baril) implique un plus fort développement de la production de biocarburants, dans l'Union européenne en particulier, avec un pourcentage de 6 % de la consommation totale de carburants.

Deux effets différents interviennent :

 la hausse des coûts de production agricole diminue l'offre, ce qui accroît le coût de production des biocarburants du fait de l'augmentation du prix des intrants (dont l'énergie représente une part variable selon les pays, généralement non déterminable mais connue pour les États-Unis - 25 % et l'Argentine - 43 %) ;

 en cas d'augmentation des prix de vente des carburants fossiles, les producteurs de biocarburants sont incités à produire davantage malgré la hausse des prix des matières premières utilisées par eux.

Ce scénario est celui où les tensions sur les prix agricoles sont les plus fortes puisqu'il cumule tous les enchaînements qui y conduisent (sur le potentiel agricole et les coûts d'exploitation...).

Il illustre les problèmes auxquels « l'effet de seuil » peut conduire. À partir d'un certain niveau de prix des énergies concurrentes, les biocarburants pourraient devenir si compétitifs que l'augmentation des coûts de production des matières premières agricoles (résultant de l'augmentation des prix des énergies fossiles) n'en empêcherait pas l'essor (dopé par la hausse des prix des débouchés énergétiques).

Dans ce scénario, sur fond de réduction de l'offre agricole à usage alimentaire, une proportion plus élevée de l'offre agricole serait consacrée à produire des biocarburants. Les prix des matières premières agricoles à destination alimentaire connaîtraient de fortes tensions qui pourraient réguler la répartition des productions entre les différents usages au prix d'une élévation du niveau des prix alimentaires.

Mais, sans doute faudrait-il mieux « boucler » ce scénario pour évaluer les effets des biocarburants sur ces prix. Les dynamiques conduisant à augmentation des prix pétroliers obéissent à un décalage entre la demande et l'offre des produits considérés.

L'adjonction d'une offre complémentaire peut contribuer à atténuer l'ampleur de ce déséquilibre et de ses effets sur les prix énergétiques. Cet effet peut exercer une sorte de rétroaction sur le système alimentaire en modérant des effets-prix, potentiellement explosifs, et en stabilisant la demande adressée au secteur via une relative préservation du pouvoir d'achat des consommateurs par rapport à un contrefactuel où les prix de l'énergie déraperaient.

Ces enchaînements dépendent essentiellement de la contribution des agro-carburants à une trajectoire plus stable des prix de l'énergie.

* *

*

Quoiqu'il en soit, l'avenir de l'agriculture sera très certainement de plus en plus marqué par un futur énergétique qui est de plus en plus incertain. Dans la volonté, qu'il faudrait « muscler », de mieux maîtriser ce dernier, il paraît hasardeux de se reposer sur les solutions aujourd'hui offertes par la biomasse.

Celle-ci ne serait une issue qu'à la condition que les progrès technologiques vers une exploitation plus sobre en surfaces que permet d'envisager la prospective se trouvent réalisés.

À cet égard, les incitations publiques pourraient être utilement réorientées de la production des biocarburants de première génération vers la recherche et le développement des biocarburants de deuxième et troisième génération.


* 40 C'est malheureusement l'ETBE qui est aujourd'hui le plus utilisé pour les facilités d'incorporation qu'il offre. Cependant sa part se réduit depuis 2006.

* 41 Précaution de méthode nettement soulignée dans deux articles de la revue « Science » de 2008.

* 42 L'effet d'éviction dont il s'agit ne s résume pas à un simple abattement quantitatif portant sur les terres disponible pour produire des aliments. Il peut également se traduire par la mobilisation des terres dont les seuils d'exploitation à des fins alimentaires sont relativement faibles. Dans ce cas, l'effet d'éviction consiste dans un déplacement de la courbe de coûts des productions alimentaires vers le haut.

* 43 À cet effet d'éviction sur les surfaces il faut ajouter un effet d'éviction sur les emplois, sur la consommation intérieure mais aussi sur les exportations (v. l'annexe sur les prospectives agricoles à 10 ans)

* 44 Proposition réversible mais pas totalement symétrique puisque les rendements agricoles et les produits cultivables ne sont pas identiques dans les différents pays considérés.

* 45 Gtep : Giga (milliards) de tonnes - équivalent - pétrole.