Tour de table

Axiom, Artiste, Porte-parole de l'association AC Le Feu
Invité-témoin sur les quartiers populaires

Mme Françoise Vergès . - Cette rencontre réunissant des chercheurs, des artistes et des membres d'association, la parole est à Axiom, artiste et porte-parole de l'association AC Le feu.

Axiom . - Je viens d'une cité... Mon père, d'origine marocaine, est venu dans le Nord de la France pour travailler dans les mines ; j'ai grandi dans une cité où vivaient essentiellement des Marocains, mais aussi des personnes issues de l'immigration sénégalaise ou ivoirienne, etc. C'est ainsi que j'ai pu appréhender l'histoire diverse des habitants de cette cité et que j'ai, par des choses assez simples telles que l'amitié, l'échange et le langage, pris conscience de la nécessité pour moi d'apprendre quelle était la raison de leur présence. J'ai alors pu comprendre certaines histoires, mais pas tout. Avant d'être militant, je me suis rendu compte de l'ignorance qui entoure notre propre histoire, à nous les descendants d'immigrés, ignorance qui fait dire n'importe quoi, puis faire n'importe quoi, ce qui, dans les quartiers, n'est pas sans conséquence. Et là, il est impératif que l'école joue son rôle.

J'ai compris que si l'on parle d'histoire commune, il ne peut s'agir que de l'histoire française et que l'histoire de l'autre est aussi la mienne. À partir des questions que je me posais sur mon nom, ma couleur de peau, mes origines, les réponses incomplètes de mes parents sur la raison de leur présence et de celle de autres, il a fallu une trentaine d'années pour comprendre, mais c'est ainsi que j'ai appris l'histoire.

Pour moi, la multiculturalité, telle qu'on la vit dans les quartiers, est un fait historique et non un choix de société, ce que les responsables de différents partis et de différentes villes que j'ai rencontrés ne comprennent pas. Si ces cultures sont sur le territoire du fait de l'histoire de France, c'est qu'elles sont françaises et l'on ne peut le nier. Toute négation de ce fait historique devrait être aujourd'hui impossible.

Lors des nombreux colloques et débats auxquels nous participons, la question de l'immigration est très rarement abordée, alors que l'on sait qu'il existe des mécanismes assez récurrents applicables à tous les types d'immigration, y compris lorsqu'on criait « les étrangers dehors ! » dans le Nord, aux mines d'Anzin, en 1882, à propos des Belges.

Quant à la situation actuelle des quartiers populaires, elle consiste en une relégation sociale qui est à relier à un traitement colonial. Si les plus jeunes font ce lien, c'est qu'ils ont malgré tout compris en quoi consistait le colonialisme. Ce sentiment de plus en plus partagé est renforcé par la montée de l'islamophobie qui, pour nous, en tant qu'association, nous pose réellement problème sur le terrain.

En effet, depuis les révoltes - et non les émeutes - de 2005 - je dis bien des révoltes car elles sont porteuses de revendications sociales - AC Le Feu, Norside et d'autres associations, lorsqu'elles essayent d'expliquer l'importance du vote, se heurtent à la réaction des jeunes qui se demandent pourquoi voter pour des gens qui les traitent comme ils ont traité leurs parents, leurs grands-parents et les colonies.

Il y a donc une urgence à définir ce qu'est l'histoire commune, ce que nous faisons déjà en considérant qu'elle est composée à partir de toutes ces histoires et en encourageant notamment une plus grande représentativité aux élections législatives.

Par la campagne « Stop le contrôle au faciès ! » que nous avons lancée, nous avons aussi assigné le ministère de l'intérieur en justice. Ce n'est pas gagné mais nous voulons dénoncer la façon dont on vit cette relégation en permanence : nous la vivons quotidiennement. Quand je vais dans des magasins, habillé comme aujourd'hui, je me fais filer... Tout cela est entretenu par des imaginaires et des propos tenus dans l'espace public. Il est temps que cela cesse et, même si nous sommes soulagés de voir que des universitaires y contribuent, c'est d'abord à nous qu'il revient de mener cette lutte. C'est le sens de notre travail. ( Applaudissements .)

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