M. Almamy Kanouté, Président de l'association 83e avenue
(inter-culturelle et inter-générationnelle)
Invité-témoin sur les quartiers populaires

Mme Françoise Vergès . - Nombreuses sont les mémoires coloniales à faire converger dans un récit national. La parole est à M. Almamy Kanouté, président de l'association 83 ème avenue, conseiller municipal de Fresnes et co-fondateur du mouvement politique Émergence.

M. Almamy Kanouté . - J'ai longtemps subi des turbulences intérieures : Français, on voulait m'imposer une histoire qui n'était pas la mienne, et j'avais le sentiment que les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité n'étaient pas pour moi. La nation doit respecter l'histoire de toutes ses composantes. Il est important d'échanger, de partager. Aujourd'hui encore, je subis et combats les propos et les actes négrophobes, qui m'ont laissé des cicatrices à vif. J'ai écouté attentivement les autres orateurs et j'approuve bien des propositions et des réflexions. Mais j'estime que l'histoire de l'esclavage ne doit pas être racontée à part : ce doit être une histoire commune.

J'ai vécu toute ma vie dans un quartier populaire, et je représente une France que beaucoup d'hommes politiques ont du mal à accepter. La polémique sur les drapeaux brandis place de la Bastille, le soir de l'élection de François Hollande, n'a pas lieu d'être : ces drapeaux font partie de la France.

Voici donc mes propositions. Des anciens doivent continuer à intervenir dans les établissements scolaires, pour parler de l'histoire de la France et d'autres pays. La formation du corps enseignant doit être améliorée. Il faudrait créer un musée d'histoire coloniale et un mémorial de l'indigène, et voter une loi réprimant la négation des massacres liés aux colonisations.

Mon combat est quotidien. Aujourd'hui encore, des Français d'origines diverses subissent des discriminations. Il est important qu'ils s'impliquent, et pas seulement dans le sport ou la musique. Il est temps de se donner la main : on perd son temps en se pointant mutuellement du doigt. Il faut faire vivre enfin les valeurs de rassemblement, d'unité, d'amour. Cela suppose de croiser les mémoires et de poursuivre la réflexion. ( Applaudissements. )

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la Culture,
de l'Éducation et de la Communication du Sénat

Mme Françoise Vergès . - Aujourd'hui que nous sommes invités dans les salons de la Présidence du Sénat, par la Délégation à l'outre-mer et en présence de Mme la présidente de la commission de la culture, c'est l'occasion de passer à cette nouvelle étape, celle de l'apaisement.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture . - Les politiques ont besoin des chercheurs, et vos travaux continueront d'inspirer les politiques publiques. Axiom nous a aussi fait part de son expérience. C'est une expertise d'usage. Lorsque le centre dramatique de Lille a monté en 1995 la pièce Mines de rien de Rachid Boudjedra, qui représente l'errance d'un immigré dans les galeries du métro en la comparant à la vie des mineurs Polonais et Belges au fond des mines, la salle était pleine de diversités, et ce fut un moment de mémoires et d'émotions croisées. M. Stora veut que soit revue la programmation audiovisuelle, mais c'est toute la culture qui a un rôle à jouer. Mais quand on promeut la culture « de » tous, en plus de la culture « pour » tous, quand on veut prendre en compte la diversité et se tourner vers les banlieues autrement que par la politique de la ville, on se heurte chez certaines élites à des réactions qui feraient croire qu'on veut assassiner Molière.

Françoise Vergès veut concilier connaissance froide et mémoire chaude. C'est d'autant plus nécessaire que nous sommes confrontés à un présent brûlant : 75 % du chocolat - consommé pour moitié en Europe - est produit par des enfants esclaves ; un enfant malien coûte 230 euros. Nos gourmandises ont un prix en sang humain ! De même, la transition énergétique n'est pas un luxe : l'uranium du pays touareg, le pétrole du delta du Niger ne nous parviennent que parce que des dictateurs matent leur population. L'Afrique a besoin d'autre chose ! ( Applaudissements. )

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