EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion, tenue le mercredi 27 juin 2012, la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, président, sur la fiscalité numérique.

M. Philippe Marini , président . - L'intérêt de notre commission pour le sujet de la fiscalité numérique est ancien et je souhaite aujourd'hui vous présenter un état des lieux et un plan d'action permettant de trouver des moyens innovants, équitables, transparents et justes, afin que le principe de neutralité s'applique à des transactions identiques, quels qu'en soient la forme, les modalités, le support, la technologie.

J'ai recueilli de nombreuses propositions et contributions au cours des nombreux forums, auditions et déplacements que j'ai effectués ces derniers mois, notamment à Dublin, au siège de Google, et à Bruxelles auprès des services de la commission européenne et de différents Etats.

L'idée sous-jacente qui s'est dégagée de ces travaux est que la fiscalité doit s'adapter aux technologies et évolutions de l'économie. Celle-ci mue radicalement avec la globalisation de l'Internet et, dans ce contexte, la fiscalité numérique apparaît comme la nouvelle fiscalité du 21 ème siècle : à nouvelles assiettes, nouveaux impôts. Une fiscalité moderne ne peut donc plus ignorer les nouvelles formes de création de valeur et de richesse apportées par la croissance de l'économie numérique. La crise de l'euro montre que la concurrence fiscale entre Etats partageant la même monnaie est une voie sans issue face à des groupes dont les critères d'implantation au Luxembourg ou en Irlande reposent quasi-exclusivement sur un principe d'optimisation fiscale.

L'idée d'équité fiscale est à la base de notre démarche. Cet enjeu est vital. Le développement du commerce électronique est un thème transversal qui doit transcender les clivages nationaux. Il faut définir une nouvelle fiscalité du numérique qui inclue les géants mondiaux de l'Internet afin de restaurer les recettes fiscales des Etats. Or cette responsabilité nous incombe au premier chef, au législateur et aux Etats.

Comment le débat sur la fiscalité numérique est-il apparu en France ?

Pour des raisons d'équité fiscale et pour faire face aux phénomènes de distorsion de concurrence et d'optimisation fiscale, dans les secteurs notamment de la publicité en ligne et du commerce électronique, un débat s'est ouvert en France sur la manière de faire contribuer aux finances de l'Etat des groupes qui, en parfaite conformité avec les règles fiscales françaises et européennes, sont établis fiscalement dans d'autres pays de l'Union européenne que la France, et ne paient donc pas ici d'impôt sur les sociétés alors même que ces groupes utilisent les infrastructures et les services publics situés sur le territoire national.

La nouveauté est que ces débats s'amplifient dans les grands Etats de consommation : la France mais aussi la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, sans oublier le premier marché qui est celui des Etats-Unis. C'est pourquoi, il y a déjà trois ans, la commission des finances avait commandé en 2009 une étude au cabinet Greenwich Consulting et organisé, le 7 avril 2010, une première table ronde sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat. Le constat était sans appel. Quelles que soient les impositions considérées (impôt sur les sociétés, TVA, taxe sur la publicité), les grands acteurs mondiaux du commerce électronique ont bâti leur modèle économique et établi leurs sièges sociaux dans les États à « fiscalité basse » : Irlande et Luxembourg principalement.

Ensuite, la commission des finances a donné une première traduction sur le plan législatif à la première version de la taxe sur la publicité en ligne dont l'idée avait été lancée par le rapport « Zelnik ». C'est sur ma proposition, d'abord dans le premier collectif de 2010, puis en loi de finances pour 2011, que le Parlement a institué une taxe sur les services de publicité en ligne égale à 1 % du montant de la prestation. A l'époque, cette initiative improprement qualifiée de « taxe Google » avait recueilli, dans son principe, une large approbation du Sénat. Mais par la suite, cette disposition a été supprimée en loi de finances rectificative pour 2011, avant la date d'entrée en vigueur de la taxe, sous la pression très forte et médiatique du secteur de l'Internet et avec comme argument, en partie fondé, que ne s'appliquant qu'aux annonceurs basés en France, elle présentait le risque de voir les groupes délocaliser leurs activités d'annonceur et donc de ne faire peser cette taxe nouvelle que sur les PME françaises. Certes, le dispositif proposé, alors réalisé dans l'urgence, comportait des imperfections, mais il a eu le mérite d'installer le sujet dans le débat public.

Aujourd'hui, tous les acteurs et professionnels du secteur s'accordent sur le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de l'Internet basés dans les pays à fiscalité basse : les fameux « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Nos collègues de la commission de la culture, dont Catherine Morin-Desailly, que je remercie de sa présence, et de la délégation à la prospective se sont également emparés de la question. Je signale à cet égard que Joël Bourdin a publié un rapport intitulé « Commerce électronique : l'irrésistible expansion ».

Par ailleurs, le Conseil national du numérique (CNNum), créé le 27 avril 2011, s'est prononcé, le 14 février dernier, dans des termes qui coïncident très largement avec notre démarche : « Comment faire contribuer aux finances de l'Etat des groupes qui, en parfaite conformité avec les règles fiscales françaises et européennes, sont établis fiscalement dans d'autres pays de l'Union européenne que la France, et ne paient donc pas en France d'impôt sur les sociétés alors même que ces groupes utilisent les infrastructures situées sur le territoire français, les services publics français, bénéficient d'avantages fiscaux et sociaux pour l'embauche d'ingénieurs formés par le système scolaire et universitaire français ? »

En ce sens, plusieurs tribunes ont été publiées par les opérateurs de télécoms et les groupes de médias, notamment Vivendi et sa filiale Canal +. Je note également qu'en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les journalistes ont également décrit et « décortiqué » dans le détail les stratégies d'optimisation fiscales. Je saisis cette occasion pour préciser que ni Apple, ni Google, ni Amazon ne contestent sur le fond les investigations menées par le Guardian et le New-York Times selon lesquels ces entreprises échappent également au fisc des Etats américains. Il faut noter que nos collègues sénateurs d'outre-Atlantique commencent également à s'en émouvoir. Le sujet n'est plus tabou et est devenu un enjeu de premier plan dans l'actualité économique et fiscale car sont touchés par ces distorsions fiscales de concurrence tous les grands Etats de consommation.

Deux sujets illustrent les difficultés qu'éprouvent les Etats à appliquer et percevoir les taxes applicables aux ventes dématérialisées sur Internet.

Au niveau européen, l'enjeu principal concerne la fuite des recettes fiscales liées à l'impôt sur les sociétés. De ce point de vue, les règles internationales existantes ne permettent pas de rattacher de manière satisfaisante les revenus liés à un chiffre d'affaires développé en France. L'évolution de ces concepts nécessitera un consensus euro-américain qui n'est pas impossible mais qui demandera du temps. Par ailleurs, le volet relatif à la TVA ne doit pas être considéré comme résolu s'agissant de la vente de biens ou de services dématérialisés à destination de consommateurs sur le territoire français. En effet, jusqu'en 2015, l'entreprise facture au consommateur final la TVA du siège social, puis à compter de 2015, l'entreprise devra facturer la TVA du lieu de consommation mais, au terme d'une phase de transition, ce ne sera qu'à partir de 2019 que l'entreprise la reversera directement à l'Etat du lieu de résidence du consommateur. Je vous expliquerai plus loin pourquoi cette échéance est trop lointaine et nécessite une renégociation européenne.

Pour l'heure, nous constatons une distorsion très nette entre les pays d'établissement des « GAFA » (Luxembourg et Irlande) et les grands pays de consommation du e-commerce d'où proviennent les flux de richesses (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne). Dans le cas des services de vidéo à la demande (video on demand - VOD), il apparaît très clairement que le Luxembourg est le premier pays d'établissement des sites fournisseurs de VOD alors que les principaux pays de consommation de ces services sont la France et l'Allemagne. Cette situation est également vraie dans le domaine du commerce électronique (Amazon et Apple étant implantés au Luxembourg) et dans le domaine de la publicité en ligne (la régie publicitaire de Google étant basée à Dublin).

En matière de TVA et d'IS, nous assistons à un déplacement de la matière imposable de l'État de consommation vers l'Etat de la résidence de l'établissement stable. C'est pourquoi nous devrions avoir une position commune pour solliciter une renégociation d'ensemble car lorsque l'Europe et l'OCDE ont eu à décider de ces sujets au début des années 2000, le commerce électronique était loin de bénéficier de l'essor et de la prospérité qu'il connaît maintenant.

De plus, il faut également souligner que les modèles économiques mis en place par certains acteurs allient très intimement optimisation fiscale et distorsion de concurrence. C'est notamment le cas de Google qui fait l'objet d'une procédure en cours de la « DG concurrence » sur ses pratiques déloyales en matière de publicité et de moteur de recherches. Ainsi, il lui a été reproché le 21 mai dernier de discriminer les moteurs de recherche concurrents dans les résultats de recherches et sur sa plateforme de régie publicitaire AdWords. La perte d'audience de 13 % des moteurs de recherches concurrents après le déploiement du nouvel algorithme de Google à l'été 2011 constitue un effet concret de cette position dominante.

L'ensemble de ces constats justifie que la régulation de l'économie numérique ne doive pas se cantonner aux seules questions de concurrence et de droits d'auteurs, mais doive aussi s'élargir à la régulation sur le plan fiscal.

Le problème majeur est que l'Europe offre l'image d'un marché presque totalement capté par un seul acteur sur chaque segment, alors qu'aux Etats-Unis, une situation de concurrence perdure dans le domaine, notamment, des moteurs de recherches.

Les termes de ce débat fiscal font intervenir des parties prenantes et des intérêts différents : les opérateurs, le monde de la culture, l'Etat, dans sa composante budgétaire, et à l'avenir, le financement du budget de l'Union européenne.

Le financement des réseaux haut-débit est assuré principalement par les opérateurs et par les autorités publiques - l'Etat, via le Fonds pour la société numérique, les collectivités territoriales. Certains acteurs souhaiteraient y voir contribuer les « Géants de l'Internet ». Or, l'inquiétude des opérateurs télécoms apparaît légitime car ils doivent faire face à des investissements considérables et sont préoccupés par la multiplication des taxes affectées au cinéma, à l'audiovisuel public ou aux droits d'auteurs. Ils en sont donc arrivés, dans la continuité des travaux de la commission des finances, à la même conclusion : il faut définir une nouvelle fiscalité du numérique qui inclue les géants mondiaux de l'Internet afin de ne pas peser exclusivement sur les acteurs français. Ils sont en quelle que sorte devenus des alliés objectifs de notre démarche.

De mon point de vue, l'enjeu dépasse très largement celui du financement de la culture, car la croissance prodigieuse du commerce électronique et le phénomène d'évasion des assiettes fiscale mettent, par les volumes en jeu, principalement en danger les recettes de l'Etat. Il est toutefois indispensable d'associer les acteurs de la culture à la réflexion fiscale car l'érosion des assiettes met aussi en péril le rendement des taxes affectées au financement de l'audiovisuel public et des droits d'auteurs.

L'enjeu principal reste la contribution au budget général de l'Etat que tout acteur produisant un revenu d'activité sur le territoire français devrait apporter, même s'il n'est pas établi en France. Sur ce point, il faut signaler que le CNNum estime que les revenus générés par Google, iTunes, Amazon et Facebook oscilleraient entre 2,5 et 3 milliards d'euros en France. En revanche, ces quatre acteurs n'acquitteraient en moyenne que 4 millions d'euros par an au titre de l'impôt sur les sociétés alors qu'ils pourraient être, si on appliquait le régime français, redevables d'environ 500 millions d'euros.

Enfin, des voix émergent pour étudier la manière de faire participer l'économie numérique au budget de l'Union européenne et au financement des équipements et réseaux à haut débit.

Le débat initié par la commission des finances a donc permis d'identifier les acteurs en présence et de structurer les pistes de réflexion. Il reste maintenant à relever le défi de définir des pistes concrètes.

Aussi, je souhaite placer le débat sur le terrain de la neutralité et de l'équité fiscale : la neutralité est la taxation, quelle que soit la technologie employée pour une même fonction et l'équité est le traitement selon des règles du jeu « one level playing field » des agents économiques lorsqu'ils interviennent sur un même secteur.

En l'état actuel du droit, toute initiative tendant à relocaliser unilatéralement en France des revenus déclarés dans un autre Etat se heurterait à nos engagements internationaux. A défaut, nous devons rétablir à court et moyen terme le principe d'équité de traitement fiscal sur les taxes existantes ainsi que sur les flux dématérialisés de valeur ajoutée, sans remettre en cause les services offerts gratuitement aux internautes et sans créer unilatéralement une pression fiscale supplémentaire sur les seules PME françaises ou nationales. Cette approche doit être très clairement exprimée afin d'éviter que les grands groupes de l'Internet et leurs très importants moyens de lobbying ne reproduisent leur message de victimisation médiatique. Il faut rappeler que la neutralité du net ne doit pas conduire à créer des zones franches d'évasion fiscale pour de grands groupes qui se parent de toutes les vertus, telles que la croissance économique ou la liberté d'opinion, mais qui se livrent dans le même temps à des comportements de pure optimisation fiscale. C'est pourquoi la neutralité du net doit s'accompagner de l'équité fiscale et donc d'une véritable régulation fiscale. Les entreprises ont su utiliser en toute légalité les incohérences des législations nationales. Ces comportements sont légitimes mais c'est la légalité qui n'a pas su évoluer en temps utile.

Il appartient aux États, aux autorités de régulation et au législateur d'intervenir. En effet, même si l'effet concret de l'économie numérique est discuté par les économistes sur la question précise du nombre d'emplois directs ou indirects engendrés par la nouvelle économie, il apparaît que l'économie numérique, en particulier le e-commerce, constitue une assiette fiscale dynamique et un gisement de croissance pour l'avenir, dont la majeure partie échappe à l'impôt sur les sociétés et à un certain nombre de taxes spécifiques (publicité, audiovisuel publique). Selon le cabinet de conseil McKinsey, commandité par Google, Internet aurait contribué à un quart de la croissance de l'économie française et à la création de 700 000 emplois en quinze ans et, en 2015, l'économie numérique représentera 5,5 % du PIB, soit 129 milliards d'euros, et aura créé 450 000 nouveaux emplois.

Ces perspectives économiques expliquent certainement pourquoi la fiscalité numérique est devenue un sujet pleinement d'actualité, en phase avec les problématiques de croissance, d'emploi, de soutenabilité des finances publiques et a figuré à ce titre dans les thèmes de la campagne présidentielle. Les deux candidats finalistes ont souligné l'acuité du problème et évoqué la relance des négociations internationales sur l'assiette de l'IS.

Quelles pistes concrètes pouvons-nous suivre ?

Ces deux dernières années, en marge des travaux du Sénat, aucune proposition véritablement opérationnelle n'a été proposée par le Gouvernement. De leur côté, les professionnels du numérique ont formulé de nombreuses propositions, dont quelques pistes concrètes, peuvent être citées :

- la représentation fiscale des acteurs Internet non-résidents en France à partir de certains seuils d'activité. Cette procédure de recouvrement a pour but l'identification des redevables quel que soit le lieu d'établissement, j'y reviendrai plus loin ;

- certains opérateurs de télécoms ont proposé l'extension aux acteurs de l'Internet étrangers de taxes applicables aux acteurs français telles que la taxe versée par les opérateurs télécoms au compte de soutien aux industries de programmes, la taxe sur les services de télévision et une réforme de la redevance sur la copie privée ;

- outre les taxes sur la publicité en ligne et le commerce électronique, une proposition intéressante concerne une contribution sur la valeur ajoutée numérique (CVAN), par analogie avec la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) due par les personnes physiques et sociétés qui exercent en France. Ainsi, le site basé à l'étranger qui n'est pas redevable de la CVAE mais qui réalise un chiffre d'affaires sur le marché français serait visé, mais il faudrait définir les activités assujetties, définir le mode de calcul de la valeur ajoutée et appliquer une procédure déclarative de chiffre d'affaires sur laquelle surgirait des problématiques de déductibilité des charges et de prix de transferts. Cette orientation est intéressante et présente le mérite de ne pas stigmatiser une activité particulière et de développer un discours de principe sur l'équité fiscale quel que soit le vecteur technologique de richesses. Toutefois, elle reste à explorer et expertiser avant de savoir si elle s'imposera dans les années à venir ;

- une dernière proposition, l'octroi numérique sous la forme d'un droit d'accès aux infrastructures de réseaux, semble à exclure car le paiement d'une telle taxe, si elle conditionne l'utilisation d'un réseau national, risquerait de porter atteinte à la libre circulation des services au sein de l'Union européenne.

Des solutions jurisprudentielles ou de renégociation internationale du droit en vigueur ont également été proposées autour de deux notions :

- taxer les bénéfices des acteurs étrangers du numérique sur la base du « cycle commercial complet » qui est une notion jurisprudentielle et qui nécessite l'aboutissement d'une procédure juridictionnelle mais aussi la renégociation des conventions fiscales entre Etats ;

- travailler au plan communautaire à l'adoption d'un statut créant un établissement stable virtuel en matière d'impôt sur les sociétés.

Toutefois, ces deux dernières pistes, que je soutiens également, nécessitent certainement de nombreuses années de renégociation des règles de l'OCDE et des conventions fiscales.

En conclusion de cette première phase de recueils d'information, très riches d'enseignements, il apparaît que la première tentative de « taxe Google » aura atteint son objectif principal qui est de faire entrer la question de la fiscalité numérique dans le débat public européen. La presse mondiale s'est emparée du sujet et il appartient aussi aux professionnels de saisir l'opportunité d'être une force de proposition au niveau européen et international.

Il reste maintenant à faire en sorte que les opinions publiques se mobilisent et, sur ce point, nos débats parlementaires ont un rôle à jouer pour « faire bouger les lignes » et porter ce débat au niveau des Etats. L'économie numérique ne doit plus s'apparenter à une « économie de traite » au détriment des Etats de consommation.

Aussi vais-je, pour ma part, vous présenter mes propositions issues de l'ensemble de ces contributions. Il me paraît important qu'une suite concrète y soit donnée, notamment par le biais d'une proposition de loi au niveau national combinée à une feuille de route opérationnelle au niveau européen et international.

Les pistes d'évolution relèvent autant, sinon plus, de la négociation internationale que de la législation interne. Aussi, en faisant le parallèle avec la démarche adoptée par la France pour la création de la taxe sur les transactions financières, je défends l'idée de jeter les bases de la fiscalité numérique d'abord sur le plan national car, même incomplète, elle préfigurerait l'adoption d'une taxation plus globale au niveau européen. Une telle initiative donnerait un support juridique solide permettant aux acteurs de l'Internet et aux responsables politiques de s'impliquer plus fortement en vue de la création d'un projet européen de fiscalité numérique.

Cette proposition de loi s'inscrit dans des enjeux politiques majeurs - compétitivité, croissance des marchés, impact sur l'industrie européenne - et constitue l'une des composantes d'un plan d'action global qui comprendrait trois objectifs : tout d'abord, le niveau national ne doit pas être négligé car c'est à ce niveau que le débat peut se développer. Ensuite, il faut le diffuser au niveau européen, mais seulement grâce aux opinions publiques nationales car il faut bien se rendre à l'évidence qu'une telle conscience n'existe pas à l'échelle communautaire. Il n'y a pas d'opinion publique européenne à part entière, si ce n'est la somme des opinions publiques nationales.

En complément de la proposition de loi comme première étape d'une feuille de route globale, je vous propose, dans une perspective à moyen et long termes, deux actions qui méritent un soutien spécifique et la recherche de synergies au niveau européen avec les parlementaires des Etats membres rencontrant les mêmes problématiques (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, etc.) de distorsion de concurrence et d'optimisation fiscale des grands acteurs du net. En premier lieu, il faut, au niveau européen, renégocier le calendrier de mise en oeuvre de la directive TVA relative aux services électroniques afin d'avancer son échéancier d'application. Ensuite, il convient, au niveau international, notamment euro-américain, de sensibiliser et convaincre les Gouvernements des Etats membres de l'Union d'initier un processus d'adaptation des règles d'imposition des bénéfices établies par l'OCDE, en prenant en compte la spécificité de l'économie numérique et de la dématérialisation des flux de richesses.

Pour donner une traduction opérationnelle à l'établissement de la neutralité et de l'équité fiscales, j'ai entrepris un travail d'élaboration d'une proposition de loi relative à la fiscalité numérique dont le dispositif pourrait comporter deux volets au sein d'un nouveau chapitre intitulé « fiscalité numérique » qui serait inséré dans le code général des impôts :

- d'une part, un volet procédural mettant en oeuvre une obligation de déclaration d'activité, le cas échéant au moyen d'un référent fiscal, par les acteurs de services en ligne basés à l'étranger à partir de certains seuils d'activités, sur le modèle procédural de l'agrément accordé aux sites de jeux en ligne mais en respectant les principes de non discrimination et de proportionnalité et donc en veillant à rester eurocompatible ;

- d'autre part, un volet fiscal comportant deux séries de taxation, la première destinée à assurer la neutralité fiscale en matière de taxation de la publicité en ligne et du commerce électronique (Tascoé) au dessus de certains seuils d'activité, la seconde visant à établir l'équité fiscale en étendant aux acteurs étrangers de l'Internet certaines taxes existantes relatives aux services de télévision et à la fourniture de vidéogrammes à la demande. Cette extension d'assiette contribuerait à pérenniser le financement de la culture et à ouvrir un débat sur une révision des taux.

Le cadre juridique de l'agrément des sites de jeux en ligne opérant en France constitue un précédent en matière d'encadrement de l'activité des sites Internet et en démontre le caractère opérationnel puisqu'il a déjà permis de collecter plus de 600 millions d'euros. Toutefois, à la différence de la procédure d'agrément préalable propre aux jeux en ligne pour des motifs d'ordre public qui ne concerne qu'un nombre limité de sites, les acteurs Internet de la publicité en ligne, du commerce électronique ou de certains services sont potentiellement très nombreux et, conformément à la jurisprudence de la CJUE qui prohibe le caractère général d'une obligation de représentation fiscale, il convient de proposer la mise en oeuvre d'un dispositif déclaratif qui ne serait ni discriminatoire, ni disproportionné. C'est pourquoi il est ici proposé plusieurs options : celle du représentant fiscal (procédure lourde) ou celle du régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique (procédure simplifiée et dématérialisée). De la même manière, afin d'écarter tout soupçon de procédure discriminatoire, les prélèvements applicables aux personnes non établies en France le seraient au même titre que pour celles qui y sont établies, et ne seraient donc pas des prélèvements appliqués aux seules entreprises étrangères.

S'agissant du volet fiscal, par souci d'efficacité, je propose de ne retenir qu'un nombre limité de taxations. Ainsi, les prélèvements soumis à l'obligation de déclaration pourraient concerner la taxe sur la publicité en ligne, la taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé), la taxe sur les services de télévision et la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public.

En proposant une nouvelle version de la taxe sur la publicité en ligne, la « taxe Google 2.0 », il s'agit ici de transposer au média Internet la taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision due par les régies publicitaires en application du principe de la neutralité technologique fiscale.

La publicité en ligne est un marché encore limité, mais en forte progression. Il est évalué par le syndicat des régies Internet à 2,5 milliards d'euros en 2011, dont 1,1 milliard pour la seule publicité sur les moteurs de recherches et 600 millions d'euros pour la publicité graphique (bannières, messages, etc.). En 2012, le marché publicitaire en ligne devrait atteindre 2,8 milliards d'euros.

La première version de la taxe sur la publicité en ligne votée en loi de finances pour 2011 (ancien article 302 bis KI) n'était applicable qu'aux annonceurs établis en France, sans seuil d'activité, et ne permettait pas en conséquence d'appréhender l'activité des sites basés à l'étranger, notamment Google. La seconde version ici présentée diffère radicalement et peut être qualifiée de « taxe Google 2.0 » car elle s'applique dorénavant aux régies, où qu'elles se situent, et non aux annonceurs.

De ce fait, Google Ireland sera redevable de la taxe au regard du milliard d'euros de chiffre d'affaires au titre de son audience sur le marché français en qualité de régie publicitaire. Cette taxe sera également due par tout acteur français ou étranger en fonction de seuils d'activités minimales. Assise sur les sommes, hors commission d'agence et hors taxe sur la valeur ajoutée payées par les annonceurs aux régies pour les services de publicité dont l'audience est obtenue en France, cette taxe serait calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d'euros et 250 millions d'euros et de 1 % au-delà.

Il ne s'agit pas d'une mesure de rendement car le gain fiscal escompté se situerait en l'état du marché à un niveau inférieur ou égal à 20 millions d'euros, dont la moitié acquitté par le principal acteur : Google. Cela reste une piqûre d'épingle, mais il est important d'initier un mouvement. Ce rendement peut être comparé au montant de la taxe sur la publicité télévisée qui est évalué à 54 millions d'euros pour 2012.

La taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé) est moins consensuelle, j'en conviens. Elle a pour objectif de transposer au commerce électronique la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) dont le rendement fiscal s'établit à 600 millions d'euros au bénéfice des collectivités locales. Pour mémoire, la Tascom est applicable aux surfaces de vente au détail supérieures à 400 m 2 dont le chiffre d'affaires est supérieur ou égal à 460 000 euros.

Cette nouvelle version de la Tascoé diffère très sensiblement de la taxe initialement proposée en loi de finances 2011, qui était due par le preneur établi en France et assise sur les activités de commerce électronique entre professionnels. Le rendement fiscal de la Tascoé pouvait atteindre 500 millions d'euros (0,5 % d'un chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros dans le e-commerce B to B) et sa portée dépassait très largement la seule transposition de la Tascom, sans pour autant impacter les principaux sites visés, notamment Amazon et Apple. Aussi, la Tascoé ici présentée prévoit, dans le même esprit que la Tascom, une taxation du vendeur professionnel au consommateur final (B to C) par parallélisme entre commerce de détail physique assujetti à la Tascom et commerce de détail électronique soumis à la Tascoé. Les redevables de cette taxe, qu'ils soient établis en France ou à l'étranger, seraient soumis à la même obligation de déclaration d'activité que celle prévue pour la taxe sur la publicité en ligne, ce qui permettrait d'assujettir les grands groupes de vente en ligne.

J'ai conscience que de fortes résistances vont « se faire jour » mais j'ai la conviction que la loi doit être faite parce qu'on l'estime juste et équitable pour les finances publiques et non pour tel ou tel secteur économique.

Concernant l'assiette de la Tascoé, les prévisions de la Fédération de l'e-commerce et de la vente à distance (Fevad) font état d'un chiffre d'affaires de vente en ligne de 37 milliards d'euros en 2011. Les projections pour 2012 font état d'une croissance de 20 % et d'un chiffre d'affaires de l'e-commerce qui avoisine 45 milliards d'euros, pour ensuite dépasser les 70 milliards d'euros en 2015. A cette échéance, le rendement d'une taxe de 0,5 % pourrait atteindre plus de 225 millions d'euros en 2013 et 330 millions d'euros en 2015. Le rendement d'une telle taxe apparaît d'ores et déjà important. Son application pourrait être envisagée dès 2013, sans attendre les négociations à moyen et long termes nécessaires en matière de TVA et d'IS (notion d'établissement stable virtuel).

Par ailleurs, il pourrait être intéressant de territorialiser cette ressource vers les collectivités et de s'en servir pour faciliter la péréquation. Cette idée serait en cohérence avec la perspective d'érosion du commerce physique au profit du e-commerce et donc de la compensation du préjudice ainsi causé aux territoires.

Ces estimations devront être ajustées à la baisse pour tenir compte de l'exonération des entreprises dont le chiffres d'affaires est inférieur à 460 000 euros (ce montant étant le même que celui qui déclenche l'exigibilité de la Tascom) et de la déductibilité de la Tascom, dans la limite de 50 % du montant de la Tascoé, pour les entreprises assujetties à la Tascom qui pratiquent à la fois le commerce physique et le commerce électronique.

Enfin, pour conclure ce volet fiscal, je propose d'étendre aux acteurs de l'Internet établis en France et à l'étranger certaines taxes existantes relatives aux services de télévision et à la fourniture de vidéogrammes à la demande (VOD) pour rétablir une forme d'équité fiscale et trouver une convergence d'approche avec nos collègues de la commission de la culture. Ces prélèvements étant effectués au bénéfice du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), l'élargissement de l'assiette proposé pourrait entrer dans une réflexion plus globale sur la réduction des taux actuels.

Aussi, l'extension de l'assiette de la taxe aux fournisseurs de services de télévision en ligne permettrait d'assujettir les nouveaux services numériques tels que Google TV, YouTube, Dailymotion, Apple TV, qu'ils soient établis en France ou à l'étranger.

A titre d'ordre de grandeur, le rendement de la taxe actuelle sur les services de télévision est loin d'être négligeable, et représente 558 millions d'euros pour 2012 et celui de la taxe sur la vente et la location de vidéogramme 32 millions d'euros.

Il reste que l'essentiel de l'enjeu fiscal se situe sur le terrain de la TVA et de l'imposition des bénéfices.

S'agissant de la TVA, les règles issues de la directive 2008/8/CE du 12 février 2008 qui concernent les services de télécommunication et les services e-commerce ne seront applicables qu'à partir du 1 er janvier 2015 : la TVA due sera celle du pays du consommateur final (et non plus du pays du prestataire). Mais entre 2015 et 2019, il subsistera un régime transitoire durant lequel la TVA continuera à être perçue par le prestataire au taux, par exemple, de 15 %. Le Luxembourg reversera une partie de la TVA ainsi perçue au pays dans lequel est établi le consommateur. Ce n'est qu'à partir de 2019 que la TVA sera due par chaque prestataire au taux du pays de résidence du consommateur final. Cette échéance est trop lointaine. Elle favorise les groupes internationaux et les Etats à fiscalité basse au détriment des entreprises et des finances publiques des Etats de consommation.

S'agissant de l'IS, il faut rappeler que les normes d'imposition des bénéfices obéissent à un corpus de normes conventionnelles élaborées au niveau international au sein de l'OCDE qui sert de cadre à l'ensemble des conventions fiscales bilatérales. La question de la redéfinition de ces normes a toutefois été abordée au début des années 2000. L'OCDE a institué en janvier 1999 un groupe technique consultatif sur le suivi de l'application des normes existantes des conventions pour l'imposition des bénéfices des entreprises dans le contexte du commerce électronique. Malgré un très important travail de proposition, notamment sur la notion d'établissement stable virtuel, le groupe de travail avait conclu, en 2004, « qu'il ne serait pas opportun d'entreprendre pour le moment de telles réformes » pour deux motifs : le commerce électronique ne justifie pas de rompre en lui même avec les règles existantes et l'OCDE ne disposait pas de données tangibles prouvant que les gains d'efficience générés par les communications électroniques aient entraîné une baisse sensible des recettes fiscales des pays de consommation. Il apparaît aujourd'hui que ce jugement de 2004 est obsolète. L'évolution du contexte justifie la réouverture du dossier à la lumière de l'essor des groupes internationaux de l'économie numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon - les « GAFA ») dont les modèles économiques semblent issus non seulement de leur avance technologique, mais aussi de leur stratégie d'optimisation fiscale. En effet, au début des années 2000, ces groupes ne dégageaient que peu ou pas de bénéfices.

Au terme de cette communication, je souhaite que ces travaux trouvent une issue opérationnelle et législative qui puisse servir à la définition d'une position commune européenne. Aussi, vais-je continuer à porter ce message en me rendant à Rome la semaine prochaine, puis à Londres à la rentrée.

Ensuite, il faudrait que les parlementaires et les Gouvernements incitent l'Union européenne et l'OCDE à inscrire le thème de la fiscalité numérique dans leurs agendas de travail. Cela apparaît indispensable pour assurer des recettes fiscales aux États où réside la création de valeur et non à ceux où sont domiciliés les groupes.

M. François Marc, rapporteur général . - Je salue la constance de l'engagement du président et l'utilité de ces travaux qui sont essentiels pour l'avenir de notre fiscalité et le financement de nos Etats dans les années qui viennent.

On voit l'essor du e-commerce qui n'est pas fiscalisé au même niveau que le sont les activités classiques. Un exemple illustre la nécessité de modernisation du droit existant : la redevance audiovisuelle ne s'applique pas aux ordinateurs, alors que ce moyen va devenir prépondérant dans les pratiques des jeunes générations.

Il faut être vigilant en matière de préservation des recettes fiscales. Le constat est que les pays peuplés fournissent un marché de consommateurs et supportent les charges des réseaux sans percevoir les revenus fiscaux correspondant à la création de valeur qu'ils apportent.

Vous avez évoqué deux chantiers : la TVA, qui nécessite l'unanimité au plan européen et l'IS, qui est lourd sur le plan financier. Dans l'idéal, il faudrait un IS européen mais, là encore, le projet d'assiette commune consolidée d'imposition des sociétés se heurte aux réticences des Etats moins peuplés.

S'agissant de la taxation de la publicité en ligne et du commerce électronique, les précédentes tentatives se sont heurtées à des obstacles techniques et politiques. Des questions se posent concernant les modalités de mise en oeuvre et le recouvrement de taxations qui concerneraient des acteurs étrangers. Pourriez-vous nous expliquer les améliorations qu'apporterait votre proposition de loi ?

M. Philippe Marini, président . - En premier lieu, mon souci principal est qu'il faut respecter le cadre communautaire. Le processus de déclaration respecte ce cadre car il n'impose pas une procédure discriminatoire ou disproportionnée. Je rappelle que seules sont visées les entreprises et non les particuliers consommateurs. Par ailleurs, les représentants de Google ont toujours fait état de leur légalisme et déclaré qu'ils se conformeraient aux législations nationales. Au demeurant, sur la question du contrôle et du recouvrement, il existe des conventions fiscales bilatérales qui prévoient les échanges d'information entre administrations fiscales. Ce sera un bon test de leur effectivité. En l'état actuel, le texte proposé est donc plus élaboré et il ne semble pas possible d'aller beaucoup plus loin sur le plan procédural, sous peine de sortir des règles européennes.

Plus largement, l'enjeu, à ce stade, n'est pas le rendement mais la prise de conscience des déplacements d'assiette fiscale. Sans modification du droit européen et des normes internationales, nous demeurons prisonniers de la quadrature du cercle. C'est pour cela que ma proposition de loi vise, au plan national, à taxer ces grands groupes de l'Internet. C'est un premier « pied dans la porte ». Si on ne faisait rien, ce serait un signal de complète impuissance.

Le contexte européen se prête à ce mouvement et les opinions publiques commencent à prendre conscience du fait que les comportements d'optimisation fiscale nuisent aux finances publiques de leurs Etats.

M. Albéric de Montgolfier . - L'enjeu est d'importance, le conseil national du numérique évoque 500 millions d'euros de perte de recettes d'IS mais combien en matière de TVA ?

M. Philippe Marini, président . - S'agissant de la TVA, le cabinet Greenwich consulting avait livré une estimation de 400 millions d'euros de perte de recettes en 2010 pour la France. Toute évaluation est discutable, mais l'enjeu pourrait être de quelques milliards d'euros par an si nous ne faisons rien dans les années à venir.

M. Albéric de Montgolfier . - Cette proposition de loi aura le mérite d'ouvrir le débat même si elle entraîne des risques de délocalisation pour les entreprises qui se trouveraient soumises aux nouvelles taxes sur la publicité en ligne et le commerce électronique.

M. Philippe Marini, président . - La procédure déclaratoire est possible et je la soutiens car on ne peut pas aller aussi loin que pour les jeux en ligne dont je rappelle que la procédure d'agrément très stricte, en raison du caractère d'ordre public de l'encadrement de cette activité, ne peut être transposée au commerce. En tout état de cause, il s'agit d'un succès qui a d'ores et déjà rapporté plus de 600 millions d'euros.

Je rappelle aussi que pour ces grands groupes, l'opinion publique et la communication représentent un enjeu important car de leur bonne réputation dépend aussi le succès de leurs services.

M. Jean Arthuis . - Je salue l'opiniâtreté de notre président. Si nous ne faisons rien, nous sommes suspects de fatalisme. Mais il ne faut pas, à l'inverse, être tenté par la gesticulation. Il faut donc être capable de s'assurer de la faisabilité et de l'effectivité de nos propositions. Or, quand on voit l'évasion de 4 milliards d'euros vers les Bermudes, il est facile pour les multinationales de l'Internet de financer quelques centres de recherche.

Il faut réfléchir à taxer le consommateur car si on ne vise que les opérateurs, il y a un risque de délocalisation et, au final, toute taxation nouvelle serait supportée par le consommateur final.

Ce qui me choque, c'est l'exception dont bénéficie le Luxembourg en matière de TVA sur les transactions immatérielles, cet Etat en gardant le fruit jusqu'en 2019. Je crois donc en la voie européenne pour modifier cette situation car je crains que la voie nationale ne soit pas à la hauteur du problème à résoudre.

M. Philippe Marini, président . - Je ne crois pas que ce soit si complexe, certainement moins que la réforme de la taxe professionnelle. Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la « Taxe Google 2.0 » qui s'inscrit dans une voie étroite. Pour autant, il ne faut pas en rester au blocage et à l'impuissance.

M. Jean Arthuis . - La situation européenne actuelle est intolérable, il faut la changer.

M. Joël Bourdin . - Nous vivons une révolution économique car le e-commerce étend son empire sur tous les domaines de commercialisation et pose des problèmes fiscaux. Par exemple, le développement des « Drive », qui est une forme hybride de commercialisation et qui se diffuse sur tout le territoire, ne donne pas lieu au versement de la Tascom puisqu'il s'agit d'entrepôts et non de surfaces de vente.

Par ailleurs, nous allons rencontrer des problèmes de répartition de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) car la valeur ajoutée est concentrée dans les zones urbaines et périurbaines, mais pas dans les territoires ruraux.

Il y a déjà des cadavres, la Camif jadis et, dans le futur, les grandes surfaces.

Cependant, il faut reconnaître aussi des vertus au commerce électronique car il tire deux pôles d'activités : la technologie et la logistique. Enfin, des petits commerçants voient leur marché s'ouvrir grâce à l'Internet sur des niches très spécialisées.

M. Pierre Jarlier . - On ne peut rester dans une zone de non droit. Le développement du e-commerce impacte négativement les recettes territoriales donc je suis favorable à une Tascoé territorialisée. Une proposition de loi est tout à fait utile pour lancer cette réflexion.

M. Philippe Marini, président . - Le commerce physique représente environ 460 milliards d'euros mais nous voyons que le e-commerce progresse plus vite.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Votre exposé recense bien la complexité du sujet et je vous remercie d'avoir repris des conclusions du groupe d'étude « Média et nouvelles technologies».

Il est important d'ouvrir les assiettes fiscales car de nouveaux acteurs de la chaîne de valeur de l'Internet sont apparus. Le respect de la neutralité du net passe aussi par l'application de la redevance audiovisuelle aux ordinateurs.

En ce qui concerne la taxe sur la publicité, je souhaite que les acteurs français ne subissent pas une double peine, à savoir payer une taxe supplémentaire en plus des prélèvements auxquels les acteurs étrangers ne sont pas assujettis.

Ce qui m'inquiète, c'est l'absence de stratégie européenne et le maintien de notre indépendance numérique. Or, peu à peu, les allemands sont plus conscients que nous de la structuration du marché au profit des acteurs américains. Ceux-ci bénéficient du « Internet freedom act » qui leur a permis de conquérir les marchés extérieurs. Rien de tel en Europe où nous devenons une colonie du numérique, toute la valeur étant captée par ces acteurs étrangers. L'infonuage ( cloud computing ) est en passe d'assurer une domination américaine sur le stockage de données. La matière est certes « gazeuse » mais elle représente un enjeu fiscal et industriel essentiel.

M. Philippe Marini, président . - Par le biais fiscal, nous touchons à un domaine très vaste et primordial. Il est paradoxal que l'Europe, qui s'est construite sur les notions de marché et de concurrence, ait contribué à créer des positions dominantes parmi les pires qui existent. C'est une contradiction fondamentale ! Notre démarche doit être menée à divers niveaux.

Mme Fabienne Keller . - La commission des finances ne pourrait-elle être à l'origine d'une initiative interparlementaire et diffuser ce message auprès de nos collègues des autres Etats membres ?

M. Joël Bourdin . - Bonne idée !

M. Philippe Marini, président . - C'est ce que je m'efforce de faire et cela doit être préparé pour déboucher sur une résolution commune. Donc, une phase de négociation préalable est nécessaire. Le mouvement est en cours et c'est un très bon sujet concret de coopération interparlementaire.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication à M. Philippe Marini et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

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