III. QUELLES DÉCISIONS STRATEGIQUES ?

Le balayage des principales variables, loin de réduire les incertitudes sur l'avenir, renforce au contraire les interrogations que peuvent se poser les décideurs à un horizon d'une ou de deux décennies.

Plusieurs défis doivent être relevés par les décideurs politiques.

Premier défi : on sait que les mesures traditionnelles de santé publique pour réduire la transmission des agents infectieux en cas de pandémies sont utiles (notamment les règles d'hygiène et de prophylaxie) mais que les mesures d'isolement ne sont pas nécessairement efficaces 18 ( * ) . Pour autant comment peut-on appliquer les mesures traditionnelles de santé publique au 21ème siècle dans une société particulièrement complexe, mobile, éclatée, parcellisée?

Second défi : Comment doit-on communiquer sur le risque et l'incertitude à l'heure d'Internet et face à une société peu sensible aux messages d'autorité et de plus particulièrement méfiante vis-à-vis du monde politique ?

Troisième défi : Comment peut-on garantir un accès équitable aux ressources en cas de crise (vaccins, médicaments, tests diagnostiques) alors même que des priorités sont indispensables (personnels médicaux, services essentiels et d'urgence, besoins économiques vitaux) ?

Deux axes d'interventions apparaissent parmi les multiples leviers d'action possibles : la préparation des sociétés d'un côté, l'organisation des systèmes sanitaires de l'autre.

A. COMMENT PRÉPARER LES SOCIÉTÉS POUR MAÎTRISER LES NOUVELLES PANDÉMIES ?

1. L'information des populations : prévention et réaction, vers un modèle dynamique, interactif et flexible ?
a) Les contraintes du message officiel à l'heure d'Internet

L'anticipation face à la menace des maladies infectieuses émergentes ne peut produire les résultats escomptés sans une prise en compte de la perception du risque, des intentions de comportements de la population et de leurs modifications tout au long du processus d'émergence. C'est pourquoi il est nécessaire d'intégrer la dimension psycho-socio-comportementale tout au long d'un processus de réévaluation du risque, ouvrant sur un modèle de réponse interactif et flexible

Cette intégration conditionne la possibilité d'adapter les messages/programmes en fonction de l'identification des groupes les plus vulnérables et les moins inquiets. La communication sur le risque ne peut être conçue comme la simple continuité d'une réponse planifiée antérieurement , mais comme le résultat d'une connaissance produite en situation/temps réel. Car les effets de la réponse sont toujours le produit des interactions entre le risque objectif et les réactions subjectives de la population exposée.

Or l'information sanitaire, telle qu'on la pratique traditionnellement en France comme dans d'autres pays développés, peine la plupart du temps à intégrer Internet et ses spécificités. Or l'information est un levier d'action indispensable à actionner en amont des crises sanitaires ; « en temps de paix » pour reprendre l'expression du professeur Anne-Marie Moulin.

Certes, en France, l'Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé (INPES) assume la majorité des actions d'information et de communication sur les grands enjeux de santé publique à travers des campagnes ciblant des publics spécifiques, par exemple, la sensibilisation des jeunes adultes aux risques des maladies sexuellement transmissibles par des clip vidéos disponibles sur YouTube.

Mais il est évident que cette source d'information institutionnelle dépendant directement des autorités politiques en charge de la santé n'est en aucun cas en situation de monopole. Les émetteurs se diversifient avec le recours toujours plus important à Internet (forums, blogs) et notamment à travers les réseaux sociaux (FACEBOOK et TWITTER, qui permettent tous deux aux internautes de diffuser des informations en temps réel).

Le message institutionnel est ainsi examiné, commenté et parfois décrié par les différents relais d'information, scientifiques ou non , qui constituent une communauté informelle et hétérogène. L'utilisation d'Internet a modifié le comportement des citoyens envers la maladie, la consultation médicale commençant de plus en plus par une recherche sur un moteur de recherche. Le professeur Didier Raoult a d'ailleurs indiqué, au cours de l'atelier de prospective, que la croissance d'occurrences de recherche d'une maladie et de ses symptômes sur Internet constituait un indice pertinent sur la probabilité d'une crise sanitaire.

Une meilleure prise en compte d'Internet et de ses spécificités spatio-temporelles (une information continue et accessible par tous les internautes au-delà des frontières nationales) pourrait être atteinte. Le retour d'expérience de la campagne de vaccination de l'automne 2009 contre la grippe A est à ce titre éloquent comme l'a rappelé le Professeur Patrick Zylberman au cours de son audition « la campagne de vaccination de masse, conçue dans une logique de défense nationale, s'est heurtée à la liberté de comportements déviant des idéaux collectifs, dans une société d'hyperchoix où les individus, et eux seuls, décident des options qui ont leur préférence. Ce choc entre deux logiques a paralysé la mobilisation du public ».


* 18 Les quarantaines ne sont d'aucune utilité contre la grippe. Les mesures "non médicales" de lutte contre une pandémie font l'objet d'une nouvelle évaluation de puis 2006 (groupe de travail OMS). La seule chose de sûre est que toute généralisation est exclue ici. Les quarantaines ont été efficaces en 2003 parce que le SRAS était beaucoup moins contagieux que la grippe (même si R0 était plus élevé), parce que la période contagieuse concernait la deuxième semaine après l'intervention des symptômes, alors que les patients étaient le plus souvent hospitalisés et parce que les enfants n'étaient pas des vecteurs puissants de dissémination de l'infection comme pour la grippe.

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