II. UN ÉCHEC COLLECTIF DE LA GESTION DE LA CRISE PAR LES ETATS EUROPÉENS

A la situation dégradée des finances publiques s'ajoute un échec collectif de la gestion de la crise par les Etats européens. Si l'ancienne majorité ne peut évidemment être tenue, à elle seule, pour responsable de cet échec, on peut toutefois se demander dans quelle mesure sa politique a été adaptée, en particulier lorsqu'elle a ignoré la nécessité de soutenir la croissance.

A. LA CRISE DE LA ZONE EURO : QUELQUES RAPPELS

1. La Grèce a d'elle-même rendu ses finances publiques insoutenables
a) Les taux d'intérêt à 10 ans de la Grèce sont de l'ordre de 25 %

Les taux d'intérêt à 10 ans de l'Etat grec sur le marché secondaire sont passés de 5 % début 2009 à environ 25 % aujourd'hui. L'augmentation a été à peu près continue jusqu'à la fin de l'année 2011, comme le montre le graphique ci-après.

Les taux d'intérêt à 10 ans sur la dette souveraine de la Grèce

(en %)

Source : Banque centrale européenne

b) Les causes de cette augmentation
(1) Un déficit arithmétiquement insoutenable

Contrairement aux autres Etats en difficulté, la Grèce n'est pas victime d'une augmentation autoréalisatrice des taux (c'est-à-dire d'une hausse des taux due non pas à la situation de ses finances publiques mais à la perception par les marchés d'un risque de défaut qui s'auto-alimente). Elle a elle-même rendu ses finances publiques insoutenables :

- avant la crise, avec une dette publique déjà supérieure à 100 points de PIB, la Grèce pouvait stabiliser son ratio dette/PIB avec un déficit de 5 points de PIB et une croissance du PIB de 7 % en valeur (comme c'était alors le cas) ;

- mais la Grèce a enregistré un déficit de 15,6 points de PIB en 2009, et encore 9,1 points de PIB en 2011. En retenant une hypothèse conventionnelle de croissance du PIB de 4 % par an en valeur, cette situation, si elle avait perduré, aurait conduit à terme à une dette publique de 225 points de PIB, ce qui aurait impliqué une charge d'intérêt évidemment insoutenable ;

- la Grèce a aujourd'hui une dette publique de l'ordre de 150 points de PIB : même si elle empruntait à 10 %, elle devrait consacrer 15 points de PIB à sa charge d'intérêt, ce qui n'est pas réaliste.

C'est donc l'évolution des finances publiques grecques, et non le comportement des marchés, qui a fermé à ce pays l'accès aux financements obligataires.

(2) Les mensonges du Gouvernement grec

Les mensonges du Gouvernement grec sur ses comptes passés n'ont évidemment rien arrangé :

- en 2004, Eurostat a considérablement revu à la hausse le déficit et la dette publics de la Grèce pour les années précédentes ;

- en octobre 2009 le Gouvernement grec a considérablement réévalué son déficit public de 2008 (notifié à 4,8 points de PIB, puis 7,7 points de PIB, le chiffre actuellement retenu étant de 9,8 points de PIB) ;

- en avril 2010, le déficit public de 2009, évalué à 12,5 points de PIB en octobre 2009, a été revu par la Commission à 13,6 points de PIB (le chiffre actuellement retenu étant de 15,6 points de PIB).

2. Les autres Etats en difficulté : des augmentations autoréalisatrices des taux d'intérêt
a) Une fragilité due à l'euro

La crise de la dette souveraine frappe la zone euro, dont la situation globale des finances publiques est globalement plus favorable que ce lle des Etats-Unis et du Japon :

Déficit et dette publics de la zone euro, des Etats-Unis et du Japon

(en points de PIB)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Déficit public

Zone euro

-0,7

-2,1

-6,4

-6,2

-4,1

-3,2

-2,9

Etats-Unis

-2,8

-6,4

-11,5

-10,6

-9,6

-8,3

-7,1

Japon

-2,1

-1,9

-8,8

-8,4

-8,2

-8,2

-8,0

Dette publique brute

Zone euro

66,3

70,1

79,9

85,6

88,0

91,8

92,6

Etats-Unis*

67,2

76,1

89,9

98,5

102,9

106,6

110,2

Japon*

183,0

191,8

210,2

215,3

229,8

235,8

241,1

Source : Commission européenne, prévisions du printemps 2012, sauf (*) Fonds monétaire international, prévisions pour l'économie mondiale, avril 2012

(1) L'impossibilité de dévaluer et la « fuite vers la qualité »

Ce paradoxe tient à la nature même de l'euro qui, en faisant disparaître le risque de change, rend rationnel pour les investisseurs d'accorder une importance prépondérante au risque de défaut, aussi faible soit-il a priori . C'est ce que les économistes appellent la « fuite vers la qualité » (en anglais, flight to quality ).

En outre, un Etat de la zone euro ne peut compenser l'impact économique d'une réduction de son déficit public par une dépréciation de sa monnaie.

Par ailleurs, une hausse des taux peut s'auto-entretenir, dans la mesure où elle aggrave le risque de défaut de l'Etat concerné. Un cercle vicieux peut également s'instaurer entre le pessimisme des marchés au sujet de certains Etats et leur pessimisme au sujet de leur système bancaire.

(2) Un déficit extérieur courant très important pour les Etats du sud

A cela s'ajoute que la Grèce, le Portugal et l'Espagne avaient au début de la crise un déficit extérieur courant manifestement non soutenable, autour de 10 points de PIB :

- environ 15 points de PIB pour la Grèce ;

- environ 10 points de PIB pour le Portugal et l'Espagne.

L'Irlande et l'Italie ne sont en revanche pas concernées par ce problème, avec un faible déficit extérieur courant.

Un déficit extérieur courant non soutenable rend de fait les finances publiques non soutenables. En effet, s'il se maintenait, le pays concerné deviendrait tellement endetté vis-à-vis de l'extérieur que, tôt ou tard, ses administrations publiques feraient défaut, soit directement, soit après s'être portées au secours d'agents privés en difficulté.

Le solde extérieur courant des Etats en difficulté de la zone euro

(en points de PIB)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Grèce

-16,9

-17,9

-14,3

-12,3

-11,3

-7,8

-6,3

Portugal

-10,2

-12,6

-10,8

-9,7

-6,5

-3,6

-2,9

Espagne

-10

-9,6

-5,1

-4,5

-3,9

-2

-1

Irlande

-5,5

-5,6

-2,9

0,5

0

1,6

3,1

Italie

-1,3

-2,9

-2

-3,5

-3,1

-2,2

-1,3

Pour mémoire :

France

-1,4

-1,9

-2,1

-2,2

-2,7

-2,4

-2,1

Allemagne

7,5

6,2

5,8

5,8

5,3

4,7

4,5

Source : Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2012

b) Des augmentations autoréalisatrices de taux d'intérêts
(1) Un risque de crise autoréalisatrice pour tout Etat ayant une dette publique de l'ordre de 100 points de PIB

Il existe un risque de crise autoréalisatrice pour tout Etat dont la dette publique est de l'ordre de 100 points de PIB.

Par exemple, si le taux d'intérêt se stabilise à 10 %, la charge d'intérêt de cet Etat augmentera jusqu'à 10 points de PIB. Si l'on estime que le déficit public stabilisant le ratio dette/PIB est de l'ordre de 4 points de PIB 11 ( * ) , cet Etat peut stabiliser son ratio dette/PIB seulement s'il dégage un excédent primaire d'environ 6 points de PIB, ce qui est très élevé, et peut-être impossible en période de faible croissance 12 ( * ) .

Ainsi, on calcule qu'avec une croissance du PIB de 4 % en valeur :

- le Portugal n'a de fait plus accès aux marchés (il devrait dégager un excédent primaire d'environ 9 points de PIB pour stabiliser son ratio dette/PIB) ;

- l'Irlande (qui a considérablement amélioré sa situation depuis la mi-2011, son taux d'intérêt à 10 ans étant passé de 12 % à 7 %) pourrait, au prix d'efforts à la limite du possible, se financer sur les marchés si son taux demeurait à son niveau actuel 13 ( * ) ;

- l'Espagne et l'Italie peuvent se financer sur les marchés (toujours au prix d'efforts à la limite du possible) si leurs taux d'intérêt restent à leurs niveaux actuels (de l'ordre de respectivement 7 % et 6 %), mais ne pourraient plus le faire si leurs taux atteignaient 10 % (elles devraient alors dégager un excédent primaire de l'ordre de 10 points de PIB pour stabiliser leur ratio dette/PIB, ce qui est impossible).

L'Espagne et l'Italie sont donc vulnérables à une augmentation autoréalisatrice des taux d'intérêt.

La soutenabilité de la dette du Portugal, de l'Irlande, de l'Espagne et de l'Italie

Situation actuelle

Pour stabiliser le ratio dette/PIB :

Dette publique (2012)

Taux d'intérêt (mai 2012)

A taux d'intérêt inchangés, il faut un excédent budgétaire primaire de :

Un excédent budgétaire primaire de 6 points de PIB est nécessaire si le taux d'intérêt est de :

En points de PIB

En %

En points de PIB

En %

Portugal

113,9

11,59

9,0

10

Irlande

116,1

7,12

3,5

9

Espagne

80,9

6,13

1,5

12

Italie

123,5

5,78

2,5

9

On suppose une croissance de 4 % par an en valeur.

Source : calculs de la commission des finances

(2) L'absence d'engagement de la BCE d'éviter les augmentations autoréalisatrices de taux

La BCE considère, du fait notamment de l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'elle ne peut jouer pleinement un rôle de « prêteur en dernier ressort ».

Cela contribue aux augmentations autoréalisatrices de taux, et lui est parfois reproché. Cela pénalise aussi les Etats de la zone euro par rapport à ceux qui peuvent s'appuyer sur un prêteur en dernier ressort.

c) L'extension de la crise à l'Irlande, au Portugal, à l'Espagne et à l'Italie
(1) Les quatre Etats « en difficulté » autres que la Grèce

Les taux d'intérêt ont connu des évolutions différenciées dans les quatre « Etats en difficulté » autres que la Grèce.

Les taux d'intérêt à 10 ans sur la dette souveraine du Portugal,
de l'Irlande, de l'Espagne et de l'Italie

(en %)

Source : Banque centrale européenne

• Le Portugal et l'Irlande ont été les premiers touchés, avec des taux d'intérêts de 4-5 % début 2010 qui ont dépassé 10 % à la mi-2011. Leur situation a ensuite divergé :

- les taux d'intérêt du Portugal sont demeurés élevés, à un niveau légèrement supérieur à 10 % ;

- les taux d'intérêt de l'Irlande ont quant à eux diminué jusqu'à environ 7 %, ce qui les place à peine au-dessus de ceux de l'Espagne et de l'Italie.

Ces deux Etats ont bénéficié d'un premier prêt du FESF en février 2011 (Irlande) et en juin 2011 (Portugal). Leur divergence de taux peut provenir des différences de solde extérieur courant : celui-ci a été équilibré en 2011 dans le cas de l'Irlande, alors que celui du Portugal demeurait déficitaire de 6,5 points de PIB.

• L'Espagne et l'Italie ont des taux d'intérêt qui fluctuent depuis le début de l'année 2011 autour de 5 %. Malgré leurs similitudes de taux ces deux pays sont dans des situations différentes :

- l'Espagne est « objectivement » dans une situation plus grave que l'Italie, parce qu'elle a un déficit public très important (8,5 points de PIB en 2011) et un déficit extérieur courant significatif (encore 3,9 points de PIB en 2011, il est vrai en nette amélioration 14 ( * ) ), ce qui explique que jusqu'à la mi-2011 les marchés lui aient imposé des taux d'intérêt plus élevés que ceux de l'Italie ;

- l'Italie a un déficit public moins important (3,9 points de PIB en 2011), un excédent primaire et un déficit extérieur courant habituellement faible. Toutefois sa dette publique est très élevée (120 points de PIB en 2011, contre 68,5 points de PIB pour l'Espagne), ce qui la rend plus vulnérable à une augmentation autoréalisatrice des taux d'intérêt. A cela s'ajoute qu'en 2011 son déficit extérieur courant a augmenté à 3,1 points de PIB. Cela contribue à expliquer que lors du second semestre 2011 son taux d'intérêt soit passé au-dessus de celui de l'Espagne, avec un « pic » à plus de 7 % en novembre 2011.

(2) La diminution des taux d'intérêt de l'Allemagne et, dans une certaine mesure, de la France

La crise a paradoxalement bénéficié, en termes de taux d'intérêt, non seulement à l'Allemagne, mais aussi à la France, en tout cas jusqu'à la mi-2011.

Jusqu'à la mi-2011, l'écart de taux de la France par rapport à l'Allemagne a été habituellement inférieur à 0,5 point. Il s'est alors creusé, dépassant 1,5 point en novembre 2011, et se maintient depuis à un niveau historiquement élevé ( 1,05 point le 7 juillet 2012).

Les taux d'intérêt à 10 ans sur la dette souveraine de la France et de l'Allemagne

(en %)

Source : Banque centrale européenne


* 11 En supposant une croissance du PIB de 4 % par an en valeur.

* 12 Cela correspond au maximum historique de la zone euro, atteint en 1997-2001 par la Belgique et la Finlande, alors que la croissance était forte.

* 13 L'Irlande a ainsi émis le 5 juillet 2012 500 millions d'euros d'obligations à trois mois au taux de 1,80 %. Il s'agissait de la première adjudication depuis septembre 2010.

* 14 Le solde extérieur courant de l'Espagne a été de - 9,6 points de PIB en 2008.

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