B. LA QUÊTE DES RESSOURCES SOUS-MARINES ET LES DEMANDES D'EXTENSION DU PLATEAU CONTINENTAL ENTRAÎNERONT UNE RECOMPOSITION DES LIMITES MARITIMES

La volonté des Etats de maîtriser les espaces maritimes de la même façon qu'ils contrôlent et maîtrisent les surfaces terrestres est aussi vieille que la navigation.

Et si le développement du commerce maritime s'est fondé sur la libre navigation, ce principe n'a pas empêché une appropriation progressive par les Etats des mers intérieures puis des mers territoriales dans une limite portée à douze miles nautiques par les conventions des Nations unies sur le droit de la mer de 1958 et 1982 (les limites coutumières étaient auparavant de trois miles, correspondant à la portée maximale des canons) .

Aujourd'hui, l'épuisement des ressources naturelles terrestres et les progrès technologiques conduisent les états à poursuivre cette logique d'accaparement des espaces maritimes au-delà des mers territoriales dans les limites de la nouvelle frontière que constitue le plateau continental et parfois même au-delà avec la volonté d'en maîtriser non seulement la surface, mais également les fonds.

1. La volonté d'appropriation des espaces maritimes conduit à une redéfinition des limites maritimes et à la territorialisation des fonds marins.

Le cadre actuel des délimitations maritimes, défini par la Convention de Montego Bay, entrée en vigueur en 1994, est au coeur d'un processus de recomposition des délimitations juridiques des espaces maritimes.

La définition des eaux territoriales, des zones économiques exclusives et du plateau continental, prévue par la convention, ne fait pas en elle-même l'objet de contestations majeures dans son principe, mais d'une concurrence vive dans la pratique.

Les différents paramètres de l'extension du plateau continental

dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)

Déjà ratifié par 162 pays dont la Chine et la Russie, ce traité constitue aujourd'hui le cadre incontournable dans lequel les prétentions de chaque pays à étendre son domaine maritime au-delà des eaux territoriales font l'objet de discussions.

Il est significatif, à cet égard, que le dernier grand pays à n'avoir pas ratifié ce traité, les Etats-Unis, soit désormais engagé dans un processus de ratification.

La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et son homologue de la Défense Leon Panetta ont en effet appelé récemment le Sénat américain à ratifier la convention de l'ONU sur le droit de la mer de 1982, « afin de voir reconnus les droits économiques et impératifs militaires des Etats-Unis. »

« Si les Etats-Unis veulent affirmer pleinement leur rôle historique comme leader mondial, ils doivent adhérer à cette importante convention », a indiqué le secrétaire d'Etat à la défense face aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères américaine.

La ratification par les Etats-Unis permettrait également à Washington de faire entendre sa voix dans les disputes territoriales, notamment en mer de Chine du Sud, a pour sa part souligné Mme Clinton. " Nous aurions davantage de crédibilité à invoquer les règles de la convention" pour résoudre les conflits dans cette zone où les Etats-Unis ont des "intérêts vitaux ".

Mais c'est avant tout dans une logique d'appropriation des espaces maritimes que l'administration Obama cherche à convaincre le Sénat américain d'adopter cette convention.

En effet, Madame Clinton a surtout insisté sur le fait que « La convention permet aux pays de revendiquer leur souveraineté sur le plateau continental au-delà des 200 milles nautiques de la côte et permettra donc aux compagnies pétrolières et minières américaines de bénéficier d'un base légale pour opérer dans ces zones, et ainsi créer beaucoup d'emplois ».

Comme l'a souligné Elie Jarmache, chargé de mission « droit de la mer » auprès du secrétariat général de la mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU entendu par le groupe de travail « la convention n'a pas encore produit pleinement ses effets. »

En effet, la majorité des revendications d'extension du plateau continental encadré par la convention n'ont pas encore abouti.

Les états partis à la Convention avant 1999 avaient jusqu'à 2009 pour déposer leur demande, les autres devant le faire 10 ans après sa ratification.

Or ce processus d'extension du plateau continental va nécessairement conduire à une nouvelle délimitation des zones internationales et redistribuer les délimitations maritimes nationales en profondeur ce qui ne sera pas sans générer des crises voire des conflits.

Dans cette phase de redéfinition des frontières maritimes, la concurrence entre les Etats pour maximiser l'étendue de leur espace maritime et les ressources, notamment en hydrocarbures, des sous-sols s'est naturellement accrue.

Selon un rapport publié en 1998 par le bureau des affaires juridiques des Nations unies, 87 % des ressources mondiales d'hydrocarbures et de minéraux off-shore seraient localisées dans les zones sous juridiction nationale, à l'exception des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères, des sulfures hydrothermaux et des hydrates de gaz.

Le même constat vaut pour les ressources halieutiques dont 90 % seraient situées dans les zones économiques exclusives.

Aujourd'hui, cette concurrence prend essentiellement une forme pacifique avec la constitution et le dépôt de dossier concurrent devant la commission des limites du plateau continental qui exige un travail coûteux de collectes d'informations et de mesures.

En France, l'Etat a alloué une subvention de 18 millions d'euros à la mission Extraplac, le Danemark 40 millions et le Canada 100 millions.

Il s'agit de moyens importants à la hauteur des résultats attendus en termes d'extension des espaces maritimes nationaux. Compte tenu des gains prévisibles pour la France et si l'on tient aussi compte des apports en moyens de l'Ifremer et du Shom, « cela correspond à 10 euros par km 2 de plateau continental, soit un bilan assez rentable au regard des ressources potentiels de ces km 2 » selon M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission « Droit de la mer » auprès du Secrétaire général de la Mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU .

Les enjeux économiques liés à ces demandes d'extension du plateau continental sont considérables. Ces derniers comprennent en effet le sol et le sous-sol au-delà de la mer territoriale et sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre jusqu'au rebord de la marge continentale dans la limite des 350 milles, voire des 200 milles si ce rebord et à une distance inférieure.

Demandes enregistrées par la Commission des limites
du plateau continental des Nations unies

Au total, selon une estimation du Centre national océanographique de l'université de Southampton au Royaume-Uni, les demandes enregistrées en mai 2009 par la Commission des limites du plateau continental des Nations unies couvriraient près de 24 millions de km 2 de plateau continental étendu, chiffre à comparer à la surface mondiale de zone économique exclusive estimée à environ 70 millions de km 2 .

Si l'on ajoute à ce chiffre les millions de km 2 correspondant aux demandes non encore déposées auxquelles il conviendra d'ajouter à terme la demande américaine qui recouvre le plus important potentiel mondial de plateau continental, on peut considérer que les années 2010 marquent une «territorialisation» sans précédent des fonds marins et de leurs sous-sols.

À terme, la superficie des fonds marins sous juridiction nationale pourrait augmenter de près de 40 % au détriment la Zone internationale des fonds marins , les grands fonds que la Convention déclare « patrimoine commun de l'humanité ».

Les fonds marins et leurs sous-sols situés au-delà des plateaux continentaux constituent en effet une sorte de domaine public de l'humanité. « L'humanité tout entière (...) est investie de tous les droits sur les ressources de la Zone» dit la Convention. C'est là une originalité du droit de la mer qui en fait un authentique outil de droit international et pas seulement un outil de droit plurilatéral. Les revendications d'extension de droits souverains par les États côtiers constituent donc autant d'empiétements sur la zone internationale.

On assiste aujourd'hui à un événement inédit dans l'histoire du droit international où l'intérêt étatique reprend la main sur l'intérêt de l'humanité représentée par l'Autorité internationale des fonds marins.

Les demandes d'extension de plateau continental visent à substituer au régime d'exploitation internationale pour le compte de l'humanité tout entière qui prévaut dans la Zone, un régime de droits exclusifs assorti, pour chacun des État concerné, d'une obligation de partager partiellement (1 à 7 % du volume de la production du site) les richesses extraites.

Cette «territorialisation» sans précédent des fonds marins et de leurs sous-sols est pour l'avenir une source de tensions dont l'essentiel peut être géré par une médiation juridique, mais qui pourrait aussi constituer une cause potentielle de conflits armés.

Le potentiel d'hydrocarbures dans le sous-sol et les ressources halieutiques de l'Atlantique Nord, ainsi que l'évolution du droit maritime international, ont ainsi conduit la France et le Canada à s'affronter pour la délimitation de leurs zones économiques exclusives respectives et à recourir à un arbitrage international pour trancher des revendications opposées.

La décision arbitrale de 1992 a finalement réglé le sort de la zone économique exclusive (ZEE) française. Cette décision, très en deçà des prétentions de la France, a profondément marqué la population de Saint-Pierre et Miquelon qui l'a parfois perçue comme une injustice et un abandon de la part de la France.

Mais si la pêche est à l'origine de nombreux différends comme en témoignent les contentieux relatifs à la pêcherie japonaise, ce sont les ressources en hydrocarbures qui sont à l'origine des principales tensions.

Ces ressources sont notamment au coeur des demandes d'extension du plateau continental aux abords de l'Arctique. La Russie revendique une extension de son plateau continental jusqu'au Pôle Nord le long de la dorsale de Lomonossov à laquelle le Canada, et dans une moindre mesure, le Danemark, l'Islande, la Suède et la Finlande s'opposent.

Certains différends aboutissent à des accords bilatéraux tels que l'accord de septembre 2010 entre Moscou et Oslo sur la délimitation des frontières maritimes des deux pays dans la mer de Barents.

D'autres revendications sont potentiellement une source de conflit comme en mer de Chine où chacune des parties prenantes aux différends territoriaux et la Chine au premier chef essaie, à travers une modification des rapports de force militaire, de changer la situation de fait, quitte à provoquer de véritables confrontations militaires.

L'établissement de nouvelles délimitations maritimes constitue donc un enjeu stratégique majeur pour les décennies qui viennent. Alors que, sur terre, la majorité de l'établissement des frontières, fruit d'une histoire multiséculaire, fait de plus en plus l'objet de relations pacifiques entre Etats, condition de l'établissement de relations elles-mêmes stables et reconnues, la mer semble devenir un nouveau théâtre d'affrontements pour définir les limites des prérogatives de chacun.

Dans un monde où l'information ne connaît plus de frontières, où la libre circulation des biens et des personnes fait partie du credo politique et économique, où la guerre n'est plus considérée comme une activité profitable, où la notion de frontière redevient de plus en plus poreuse, incontrôlable, injustifiable, la concurrence pour la maîtrise des fonds marins illustre la permanence des rapports de force interétatique.

Elle souligne également la nécessité pour les Etats qui souhaitent exploiter les espaces maritimes sous leur juridiction de disposer de moyens maritimes adaptés à la maîtrise et à la sécurisation des espaces considérables.

2. L'exploitation des ressources : un début de sédentarisation de l'homme en mer ?

Le milieu maritime constitue un espace dans lequel l'homme est resté essentiellement nomade.

Entamée il y a une trentaine d'années avec les plateformes pétrolières offshore, la sédentarisation des hommes en mer s'accélère avec le basculement qui s'opère des réserves de pétrole et de matières premières de la terre vers les mers.

Les fonds marins accueillent déjà des usines d'extraction de sable ou de diamants. L'installation permanente de systèmes dédiés à l'exploitation des énergies marines renouvelables est prévue dans une vingtaine de pays. Des projets d'unité nucléaire de surface ou immergée apparaissent, que l'accident de Fukushima n'a pas interrompus. Nous assistons donc progressivement à un début de sédentarisation de l'homme en mer.

Il y a actuellement près de 700 plates-formes offshore en service. Des centaines de milliers de personnes ont en charge la production, le soutien et le support.

Ainsi pour le seul Brésil, plus de 30 000 personnes vivent, par roulement, dans les bassins pétrolifères offshore sur des centaines de plates-formes posées à des distances de 80 à 270 km de la côte.

Si on ajoute à ces personnels postés en permanence en mer, les 466 000 officiers et plus de 721 000 hommes d'équipages des quelque 50 000 navires qui sillonnent le globe, ce sont aujourd'hui des populations entières qui vivent en permanence dans les océans.

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