C. LA MARINE

Notre commission a confié à nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard le soin de traiter de manière exhaustive de la problématique de la maritimisation. Le présent rapport se concentre en complément sur la question du format et de l'avenir de la Marine.

Le contrat opérationnel de la marine

• Dissuasion : au moins un SNLE à la mer en permanence et les moyens de sureté assurant sa liberté d'action (quatre frégates anti sous-marines et deux SNLA ;

• La participation au dispositif permanent de surveillance et de contrôle des approches maritimes ;

• Les forces navales contribuent également à la résolution d'une crise par le déploiement du groupe aéronaval et participent aux missions d'intervention et de présence dans le monde.

• Elles apportent aussi leur contribution au recueil du renseignement.

Pour répondre à ses missions les principaux équipements de la marine sont les suivants 21 ( * ) :

• un porte-avions et son groupe aérien

• quatre bâtiments amphibies dont trois BPC

• 4 SNLE

• 6 SNA

• 18 frégates dont six de surveillance

• 18 patrouilleurs

• l'aéronautique navale

• les pétroliers ravitailleurs et autres bâtiments

Le retour d'expérience des principales opérations menées depuis 2006 montre que nous disposons d'une marine performante, au plus haut niveau, « juste suffisant » pour reprendre les termes de l'amiral Rogel, chef d'état major de la marine :

• évacuation de 15 000 ressortissants au Liban

• Afghanistan : opération Agapante

• lutte contre la piraterie (Atalanta), opération de moyenne intensité et qui demande beaucoup de moyens. La surface à contrôler est équivalente à quatre fois la superficie du territoire français et, pour ce faire, la marine déploie six bâtiments auxquels s'ajoutent quatre bâtiments dans le cadre de l'opération Océan Shield. Or on considère qu'un bâtiment contrôle à peu près la superficie d'un département français

• Opération Corymbe dans le golfe de Guinée qui dure depuis le début des années 90 ;

• Sahel : action de commando et utilisation des avions de patrouille maritime ;

• Côte d'Ivoire, opération Licorne, qui s'inscrit dans la durée puisque l'opération a duré plus de six mois. Les bâtiments amphibies étaient le seul moyen d'apporter des renforts et du support logistique sauf à élever le niveau de la crise.

• Libye : opération Harmattan. L'ensemble des moyens venait de la mer. Cette opération a vu l'engagement de toutes les composantes de la marine, 29 bâtiments s'y sont succédé dont le porte-avions Charles de Gaulle, un SNA et les avions de patrouille pour le renseignement.

Ces opérations montrent que le choix fait depuis une cinquantaine d'années de disposer d'une marine hauturière est parfaitement pertinent.

À ces opérations il faut ajouter d'autres missions assurées dans le cadre des fonctions stratégiques du Livre blanc comme la dissuasion ou la fonction connaissance anticipation par la mer, notamment en Méditerranée.

De plus, la marine est très impliquée dans l'action de l'État en mer sous l'autorité du Secrétaire général de la mer : surveillance des pêches (plus de 4 400 contrôles), sauvegarde de la sûreté maritime, contrôle de l'immigration illégale, lutte contre la drogue etc. A titre d'exemple, 10 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2011. La Marine assure également le contrôle du trafic maritime, par exemple en Manche, et, enfin, participe à la lutte contre la pollution.

Aux OPEX, aux fonctions stratégiques permanentes et à l'action de l'Etat en mer s'ajoutent enfin deux fonctions : le socle organique, c'est-à-dire la mission d'entraînement des forces qui correspond à 25 ou 30 % de l'activité selon le type de bâtiment, et le soutien à l'exportation qui comporte également une forte implication dans la formation.

L'énumération de ces fonctions, des opérations et des responsabilités montre à l'évidence que leur multiplication place la marine devant une quadrature du cercle. Cette problématique du seuil et de l'adéquation entre les moyens, en matériel et en hommes, et les missions est du reste la même que pour les autres armées.

Votre commission pense que nous sommes proches d'une rupture . Sous l'effet de la réforme et de la RGPP, la marine s'est rationalisée. 19 bâtiments ont été retirés du service actif entre 2009 et 2012 dont 15 n'ont pas été remplacés. Le format du Livre blanc de disposer de 18 FREMM a été réduit à 11 en loi de programmation militaire. Enfin, disposer de deux porte-avions n'est plus envisageable. Les effectifs de nos marins sont aujourd'hui de 35.000 hommes et femmes après une déflation qui a porté sur 6 000 personnels depuis 2008.

Comme l'armée de terre et l'armée de l'air, la Marine fait face à un certain nombre de fragilités :

• La multiplication des missions et la contraction du nombre des plateformes ont conduit à rechercher des bâtiments polyvalents . La polyvalence est un choix entre la capacité et la qualité qui permet de voir le format se réduire sans remettre en cause la capacité à assurer les missions. Ce choix de la polyvalence se retrouve dans les programmes de frégates multi missions ou dans les bâtiments B2M destinés à l'outre-mer. Les limites de la polyvalence se trouvent lorsque l'on a dépassé un certain seuil puisque les bâtiments n'ont pas le don d'ubiquité. Pour contrôler cet espace de 365 millions de kilomètres carrés, nous disposons de 35 bâtiments hauturiers, soit un bâtiment pour 10 millions de kilomètres carrés. Il faut prendre conscience du temps nécessaire pour se déplacer. Diminuer le nombre des bâtiments c'est prendre le risque de ne pas pouvoir disposer d'une plate-forme utile à un endroit quand on en a besoin ailleurs.

Notre marine fait également face au vieillissement des unités. La durée de vie moyenne d'un bâtiment est de 30 ans alors que beaucoup ont plus de 25 ans (frégates, SNA, patrouilleurs). Les renouvellements à venir s'inscrivent dans des conditions financières difficiles.

Votre commission est particulièrement préoccupée par les capacités mises à disposition pour l'Outre mer. Les enjeux du retrait inéluctable des P400, leur remplacement intermédiaire par des B2M, et l'arrivée à terme du programme BATSIMAR, nous placent devant un risque de trou capacitaire à un moment où, comme le montre le rapport sur la maritimisation, la préservation de nos intérêts outre mer revêt une importance particulière pour l'avenir. La confirmation des programmes B2M et BATSIMAR doit être faite faute de quoi tout retard sur les programmes aura des conséquences sur les réductions de capacités temporaires.

Une autre fragilité est relative au personnel qui va évoluer dans sa nature. Nous passons à des bâtiments faiblement armés en équipage (FREMM du type d'Aquitaine avec un équipage de 80 personnes). Cette division par trois des équipages est un défi considérable. Elle conduit à disposer de personnels surqualifiés et surentraînés, ce qui pose à l'usage une question pour la résilience à la mer de ces bâtiments. Saura-t-on par exemple basculer d'une mission à l'autre pour les frégates avec un équipage restreint ?

• En matière de formation, c'est-à-dire de jours de mer non productifs, le maximum a été fait en mettant à profit toute heure de mer.

• De plus, la Marine a des personnels très spécialisés à gérer, ce qui implique que sa capacité à faire des économies sur le titre II est extrêmement limitée.

• Le format est mis à mal par les réductions temporaires de capacités pour des raisons financières (frégates, SNA, patrouilleurs, notamment à l'outre-mer etc.). Aujourd'hui, la marine ne peut répondre à toutes les sollicitations opérationnelles. À titre d'exemple, lors de l'opération Harmattan, l'Etat major a dû supprimer un certain nombre de missions, par exemple, en Méditerranée, de lutte contre la drogue.

• Chaque année, nous constatons des différences entre le nombre de jours en mer programmé et la réalité, de l'ordre de moins de 10 %, soit 90 jours. Nous n'avons plus le nombre de jours en mer suffisant.

• Un autre effet négatif est la baisse du rapport rémunération/charge de travail. Désormais, l'attractivité du secteur privé constitue un risque sérieux de transfert des personnels les plus compétitifs.

• La contrainte financière conduit également à faire des impasses sur les rechanges, les équipements à la mer. Le manque de ces redondances est pourtant indispensable pour durer à la mer.

• La réduction des budgets a également un impact sur la préservation des savoir-faire sensibles. C'est l'image du tas de sable : à force de gratter à la base, quand on enlève une nouvelle quantité, c'est le haut qui s'affaisse. Or, le haut du tas de sable c'est la projection de puissance, les commandos, les sous-marins etc... L'exemple du Royaume-Uni nous montre que quand on perd ce savoir-faire il faut des années pour s'en remettre.

• Le MCO de la Marine a été mis sous très forte contrainte puisqu'on demande des économies de 400 millions d'euros sur cinq ans, ce qui risque d'aboutir à de grandes difficultés.

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* *

Quelles premières conclusions pouvons-nous tirer de cet état de lieux de nos forces armées ?

Le premier élément est de constater que la puissance militaire des Occidentaux, et de la France en particulier, reste inégalée. Nous le devons à la pertinence des choix qui ont été faits depuis plus de cinquante ans pour bâtir notre armée. Nous le devons aussi aux hommes et aux femmes qui constituent le coeur de nos forces armées. Aujourd'hui, les Occidentaux sont presque les seuls à être capables de projections de force et de puissance significatives. Nos personnels militaires sont en général les mieux entraînés et, ces temps-ci, sans doute également les plus aguerris. Nous conservons une réelle avance technologique.

La seconde conclusion est que la France dispose de forces armées modernes, professionnelles et compétitives en dépit de certaines difficultés capacitaires clairement identifiées. Le RETEX des opérations récentes a montré le haut degré d'interaction et d'intégration de nos forces au sein d'opérations combinées.

Sachant que des forces armées performantes se construisent dans la durée, le maintien du niveau d'excellence atteint suppose que nos armées disposent des ressources humaines et financières nécessaires. Ce sera bien évidemment l'objet de la loi de programmation militaire qui sera élaborée et soumise au Parlement en 2013.

Troisième conclusion : ce bilan positif est fragile, surtout dans un contexte de guerres asymétriques où l'adversaire est capable de contourner notre puissance et d'utiliser les mêmes techniques dont l'accès et l'utilisation se banalisent. Le bilan des guerres menées en Irak et en Afghanistan montre à l'évidence les limites de la puissance et l' inadaptation partielle de nos modes d'action militaire. La plus forte coalition militaire de tous les temps, représentant à la fois les 2/3 des PIB mondiaux et les 2/3 des dépenses de défense dans le monde, n'est parvenue, dans la difficulté, qu'à des résultats tactiques ambigus face à quelques milliers d'insurgés alors même que le différentiel technologique est immense entre les adversaires.

Quatrième remarque : nous constatons également l' insuffisance de nos outils civils d'intervention. Cette dernière carence est d'autant plus importante quand on sait que la victoire tactique que nous permet la supériorité technique est sans lendemain s'il n'y a pas une stratégie globale qui permet le succès stratégique et politique.

Nos forces armées ont été construites pour être projetées et pour s'assurer une logique d'influence au sein d'une coalition. Ces caractéristiques conviennent elles aux guerres de demain ? Nous avons une « armée de poche » - de haute qualité mais vulnérable aux effets de rattrapage dus à la crise comme aux évolutions technologiques défavorables.


* 21 Pour le descriptif exhaustif des moyens de la marine, voir le rapport d'information n° 674 (2011-2012) de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur la maritimisation.

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