III. ACCOMPAGNER LA FORMATION DES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS

1. Les OP : une occasion historique

S'il n'y a pas d'opposition véritable des éleveurs aux OP, et si les réactions sont variables selon les départements et les régions, il n'y a guère d'engouement pour cette formule, trop nouvelle, trop incertaine. Les producteurs sont attentistes.

Il est crucial de redonner confiance et espoir aux éleveurs . Il faut encore rappeler que la filière laitière assure aussi en France une fonction fondamentale d'aménagement du territoire. Avec l'abandon des quotas laitiers, certains territoires vont être fragilisés. Les signes de qualité sont une voie pour assurer la pérennité des exploitations, à condition que l'on vienne chercher le lait. L'éleveur isolé ou mal desservi est vulnérable. La création des OP est un rendez-vous avec l'histoire de l'agriculture française. Les agriculteurs français en particulier les éleveurs, se sont toujours sentis protégés par un cadre régulateur européen, très inspiré par la France, et par un président de la République dont le passé et l'affection réelle pour le monde agricole étaient autant de sécurités pour ce dernier. Ces deux facteurs n'existent plus. Cela ne veut pas dire que l'Union européenne ou les présidents successifs se désintéressent des questions agricoles, mais cela signifie que le cadre a changé. L'organisation - interne - doit parachever le soutien - externe .

Il est fondamental que les éleveurs s'organisent. Groupés, ils peuvent être forts et gagner. Isolés, ils sont sûrs de perdre. Les OP sont une forme de dérogation au droit de la concurrence dûment autorisée. Y adhérer permet de bénéficier d'un pouvoir de négociation des prix et des volumes avec les industriels laitiers. « C'est une des plus belles occasions de donner aux agriculteurs la possibilité de modifier le partage dans la valeur ajoutée et à peser dans la chaine alimentaire » a estimé M. Henri Brichard, vice-président de la FNSEA et ancien président du CNIEL.

A quoi peut servir une OP ?

Sur un plan juridique, les groupements actuels n'ont aucune sécurité juridique. Seules les OP sont reconnues par le paquet lait. Toute négociation de contrat par une autre entité que les OP n'est pas prévue par le paquet lait. Ou le contrat est individuel, à l'ancienne, ou le contrat est collectif, et dans ce cas, doit être négocié par une OP.

Sur un plan pratique, il faut avoir le courage et la lucidité d'admettre que le rôle des OP dans la négociation des prix sera sans doute moindre que ce que certains observateurs extérieurs à la filière pouvaient espérer. En revanche, l'OP trouvera toute sa place dans la vie du contrat. En cas de crise ou d'aléa, un industriel pourrait être tenté de négocier directement avec un éleveur important pour accroître la production ou d'évincer un producteur connu pour être peu docile. L'OP se pose au contraire en interlocuteur unique. Elle garantit que l'industriel devra négocier avec l'OP et ses deux cents ou mille adhérents et non pas avec tel ou tel. L'OP sauve l'éleveur isolé .

Le secteur laitier si divers et emblématique de l'agriculture française, peut même être un modèle pour le reste de l'agriculture, notamment pour la filière bovine. De nombreux responsables et de nombreux observateurs croient au potentiel des OP qui peuvent être déclinées dans d'autres secteurs. Plusieurs initiatives vont en ce sens. En mars 2012, la Direction générale des politiques internes du Parlement européen a publié une étude de M. Alexandre Gohin de l'INRA de Rennes, relative aux « Mécanismes de l'OCM Unique et les instruments de gestion des risques dans les nouvelles PAC ». L'auteur propose d'étendre les organisations de producteurs à tous les secteurs agricoles couverts par la PAC. 9 ( * ) En juin 2012, l'eurodéputé français, Michel Dantin, a présenté un rapport sur l'organisation des marchés agricoles proposant de développer le rôle des organisations professionnelles 10 ( * ) .

On observera enfin, qu'il serait pour le moins paradoxal que ce dispositif européen, largement formaté pour et par la France, n'y soit, finalement, guère appliqué...

2. Les soutiens possibles
a) Les soutiens budgétaires

L'évolution du cadre juridique a été une étape mais elle n'est pas suffisante. Il faut envisager des mesures d'encouragement pour surmonter les réticences naturelles des éleveurs. L'idée d'une incitation financière vient alors à l'esprit. Cette piste avait été ouverte en septembre 2011 par le groupe sénatorial de travail sur la réforme de la PAC (Sénat, 2010-2011, n° 102).

Deux voies ont pu être envisagées. La première serait de s'appuyer sur la conditionnalité des aides du premier pilier de la PAC relatif aux aides directes aux revenus a et aux mécanismes d'intervention sur les marchés. La conditionnalité, qui consiste à subordonner le versement d'une aide - en l'espèce l'aide directe aux revenus - au respect de critères étrangers à l'objet de l'aide progresse mais est presque exclusivement réservée aux conditions environnementales. On pourrait concevoir de lier l'importance des soutiens au respect d'un comportement, d'une attitude collective permettant de surmonter le réflexe individualiste si pénalisant. De surcroît cette idée serait à coût nul puisque l'enveloppe générale du premier pilier serait constante. Cette idée n'a cependant guère convaincu nos interlocuteurs en France ou en Europe. Certaines expériences de regroupements artificiels mais conduits dans le seul but de bénéficier de soutiens budgétaires ne plaident pas en faveur de cette solution. L'idée est par ailleurs trop novatrice pour avoir une chance d'aboutir à l'occasion de la réforme de la PAC.

La deuxième voie consisterait en un soutien spécifique dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Le FEADER agit dans les États membres par l'intermédiaire des programmes de développement rural. Ces programmes sont déclinés en sous-programmes thématiques. La proposition de réforme de la PAC (COM (2011) 627 final) fixe, dans son article 8 qui lui-même renvoie à l'annexe III de la proposition de règlement, une liste indicative de mesures présentant un intérêt particulier. « La mise en place de groupements de producteurs » figure - en annexe - parmi une liste d'une vingtaine d'autres mesures. Elle n'a donc pas été oubliée par la Commission, mais elle est mise en compétition avec d'autres mesures et il y a sans doute moyen de la soutenir davantage. D'ailleurs, jusqu'à présent, ce soutien n'a été mis en oeuvre que très exceptionnellement (en France, il n'a été appliqué que dans les départements d'outre-mer). Une évocation de cette action dans le coeur du texte du règlement communautaire - et non plus seulement en annexe du règlement - serait une mesure symbolique forte.

Reste un problème : comment favoriser la création de nouvelles OP sans pénaliser, de fait, les OP existantes ? Un soutien général aux OP serait un effet d'aubaine pour les OP existantes. Un soutien aux seules créations serait pénalisant pour les producteurs qui ont déjà fait l'effort de se regrouper. Tout effort budgétaire se heurtera à des oppositions.

L'objectif reste néanmoins de « renforcer la position des producteurs sur le marché » - l'expression est de la Commission européenne dans un document de présentation de l'OP fruits et légumes. Il peut être décliné dans d'autres secteurs.

b) Les soutiens juridiques

Plusieurs initiatives tentent d'améliorer l'organisation professionnelle du secteur agricole. M. Michel Dantin, député européen et rapporteur de la proposition de règlement sur l'OCM unique, s'est prononcé pour un plan d'accompagnement complet. Parmi les très nombreux amendements présentés, on retiendra les amendements relatif à l'article 106 c) de la proposition donnant de nouvelles missions aux OP qui seraient étendues « au pilotage des marchés agricoles [afin d'] assurer des prix raisonnables aux consommateurs ». Des amendements relatifs à l'article 108 sont consacrés à l'extension du domaine d'intervention des interprofessions « afin que les missions de celles-ci épousent un spectre plus large que celui proposé par la Commission ». Des amendements relatifs à l'article 113 bis prévoient une extension de la contractualisation entre producteurs et transformateurs aux autres secteurs agricoles. La compétence des OP serait expressément étendue à la capacité de négocier des prix au nom de leurs producteurs.

La fragilité de l'action du CNIEL a été évoquée précédemment. La connaissance du marché via des indicateurs récents, y compris sur des données commerciales sensibles comme les volumes et les prix, est précieuse pour tous. Cette diffusion apporte une information utile et paraît parfaitement conciliable avec le respect d'une concurrence pleine et entière. Cette action doit être confortée sur un plan juridique et la réforme de la PAC en est l'occasion.

Dans cette perspective, votre rapporteur souhaite présenter une proposition de résolution tant pour rappeler au Gouvernement l'intérêt que le Sénat tout entier porte à la réussite de la réforme des OP du secteur laitier que pour suggérer au législateur européen une rédaction pour les propositions de règlement actuellement en cours d'examen.


* 9 Mécanismes de l'OCM Unique et les instruments de gestion des risques dans les nouvelles PAC, Parlement européen, Direction générale des politiques internes, mars 2012, PE 474.539

* 10 COM(2011)0626 - C7-0339/2011 - 2011/0281(COD)

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