B. RENFORCER L'ARTICULATION ENTRE RECHERCHE, DIAGNOSTIC ET SOINS

Comme le rappelle Anne Fagot-Largeault, une thérapeutique doit faire ses preuves pour entrer dans le répertoire des soins médicaux. Or l'essor des expériences thérapeutiques se heurte à leur absence de validation . Tout en prenant garde de ne pas entraver l'innovation en matière de prise en charge, il ne peut exister deux types de médecine, l'une validée scientifiquement et l'autre reposant sur des pratiques isolées. Ceci est d'autant plus vrai en psychiatrie où le malade dispose de peu de possibilités de choisir son médecin et donc le type de traitement qui lui sera proposé. L'excellence de la recherche psychiatrique française doit dès lors être utilisée comme un atout pour permettre une évolution de la prise en charge psychiatrique conforme au dernier état des connaissances scientifiques.

1. Renforcer la formation des psychiatres

Un poids encore trop important des approches théoriques concurrentes rend les pratiques françaises difficilement compréhensibles à l'étranger. Ainsi, en 2005, la polémique entourant le rapport de l'Inserm sur l'efficacité comparée des psychothérapies, commandé par la Direction générale de la santé, a été relevée et critiquée par un éditorial de la prestigieuse revue Science 30 ( * ) .

Si cette polémique semble aujourd'hui éteinte aux yeux des coordinateurs du rapport, elle marque un état d'esprit qui demeure dans certains domaines de la psychiatrie et particulièrement dans la formation des internes. La régionalisation des cursus en psychiatrie , et l'accomplissement très inégal des stages, deux en théorie, un ou pas du tout en pratique, à effectuer dans des services relevant d'autres spécialités médicales, place la formation des étudiants sous le contrôle des orientations théoriques des chefs de service des CHU. Les étudiants en psychiatrie auditionnés par votre rapporteur sont légitimement attachés à la possibilité de pouvoir déterminer par eux-mêmes quelle formation ils souhaitent suivre . Il importe cependant qu'ils soient formés à l'ensemble des types de prise en charge . Votre rapporteur regrette donc que l'idée de porter à cinq ans la formation générale en psychiatrie (trois ans à l'heure actuelle) ait été abandonnée et que la création des deux nouveaux diplômes d'études spécialisées, outre la pédopsychiatrie, en soit encore à l'état de projet.

Il est également essentiel que la formation des psychiatres encourage au dialogue avec les parents encore trop souvent tenus dans l'ignorance. Ce choix vient, pour le diagnostic des jeunes enfants, de la volonté de ne pas fixer un diagnostic nécessairement subjectif étant donné l'état des connaissances en psychiatrie sur une situation en pleine évolution. Elle se heurte pourtant aux craintes et aux attentes des parents. Comme l'a expliqué à votre rapporteur Nicole Garret-Gloanec, ceux-ci ont généralement tendance à refuser d'abord les consultations suggérées par les services de la protection maternelle et infantile (PMI) ou, de manière nécessairement plus délicate, par les personnels des crèches. Cependant dès lors qu'une consultation a eu lieu, l'attente des familles change et elles exigent un diagnostic et des traitements rapides. Votre rapporteur partage la prudence des praticiens de terrain quant au diagnostic trop précoce en l'absence de signes objectifs . Avec Viviane Koves-Masféty, il considère cependant qu' il faut expliquer cette prudence et les évolutions possibles de l'enfant aux parents et ne pas les laisser seuls face à leurs inquiétudes.

Il faut également intégrer la participation de l'entourage aux soins sans les faire reposer entièrement sur lui . Comme le souligne l'Unafam, un malade sans famille ou réseau de soutien aboutira rapidement à la rue ou en prison. La psychiatrie doit donc accompagner la formation des aidants familiaux qui sont les premiers à donner des soins, accompagner l'observance des traitements et souvent à percevoir les signes de dégradation, voire de crise. Le dialogue entre l'équipe médicale et les proches est donc essentiel pour la qualité de la prise en charge et sa méthode doit être intégré dès les études de spécialisation en psychiatrie.

2. Renforcer la recherche et la diffusion des meilleures pratiques

La psychiatrie partage avec les autres spécialités médicales trois objectifs s'agissant des pathologies dont elle s'occupe : la prévention primaire, soit la prévention de la survenue de nouveaux cas ; la prévention secondaire, qui repose sur la capacité à porter des diagnostics le plus tôt possible ; la prévention tertiaire enfin, qui tend à prévenir les rechutes et la chronicité ainsi que la survenue de pathologies secondaires comorbides somatiques et psychiatriques, mais aussi à ralentir la progression de la maladie et à réduire les dysfonctionnements et le handicap psychosocial associé.

Ce triple objectif ne peut être atteint que par un développement parallèle de la recherche et des modes de prise en charge , comme le montre l'exemple des réseaux de soins analysés à partir de l'exemple du réseau de promotion pour la santé mentale dans les Yvelines Sud par Marie-Christine Hardy-Baylé 31 ( * ) . Cette démarche inclut la thérapeutique et va même au-delà car « le réseau montre [...] comment la démarche de recherche peut trouver sa place dans la démarche quotidienne des acteurs et peut devenir un élément de confiance entre les professionnels du soin et ceux de l'organisation et du financement des soins ». Cette analyse peut s'étendre des réseaux de soins à toutes les démarches innovantes de prise en charge.

a) Financer la recherche et les innovations en matière de prise en charge qui en découlent

La recherche française ne représente que 2,4 % des publications mondiales dans le domaine de la psychiatrie. Cette situation est partiellement liée aux refus par certaines équipes de soumettre leur démarche aux critères d'évaluation nécessaires à l'acceptation des articles par les grandes revues internationales mais vus par elles comme inadaptés. La raison de fond est toutefois ce que la Cour des comptes décrit comme « la sous-dotation persistante de la recherche » qui ne reçoit qu'à peu près 3 % des crédits publics de recherche en santé . Il est important de noter que malgré la faiblesse du financement, les publications françaises font référence dans plusieurs domaines, notamment sur les questions liées à l'autisme.

Financement de la recherche sur les maladies mentales

Comparaison en France, Royaume-Uni, Etats-Unis (en 2007)
du budget de la recherche sur les maladies mentales, des dépenses de santé
et des DALYs attribuées aux maladies mentales

(en dollars)

France Royaume-Uni Etats-Unis

27,6 millions 172,6 millions 3,5 Milliards

La recherche en psychiatrie comporte un certain nombre de spécificités qu'il convient de prendre en compte. Celles-ci ont été analysées par Marie-Odile Krebs : « la recherche en psychiatrie est plus que pour tout autre spécialité nécessairement (i) intégrative : manifestement multifactorielles, les maladies s'expriment par des comportements complexes et seules des approches multi-niveaux (du moléculaire au niveau le plus intégré, individuel et sociétal) permettront de progresser et (ii) translationnelle, pour faciliter le transfert entre la recherche fondamentale - recherche « clinique » : seul espoir d'aboutir à l'innovation thérapeutique et diagnostique, et faciliter le transfert entre la recherche et la pratique clinique : pour améliorer les procédures diagnostiques et thérapeutiques ».

De nouvelles perspectives de diagnostic et de soins s'ouvrent à la psychiatrie. En neuropsychiatrie et en biologie, la recherche de bio-marqueurs vise à détecter les fragilités des individus avant l'apparition éventuelle de symptômes et à mettre en place un suivi et des actions environnementales tendant à prévenir le développement de la maladie.

La recherche sur les thérapies cognitives paraît également pouvoir apporter des évolutions bénéfiques à la prise en charge des malades étant donnés les premiers résultats positifs obtenus aux Etats-Unis.

Il apparaît dès lors important de ne pas mener exclusivement un type de recherche mais de faire progresser les connaissances dans l'ensemble des domaines. La recherche dans les réseaux de soins est, de ce point de vue, importante pour la prise en charge. Mais il importe aussi de faire progresser les connaissances en matière de psychothérapies, comme le fait le réseau de recherche fondées sur les pratiques psychothérapeutiques coordonné par Bruno Falissard et Jean-Michel Thurin qui se fixe parmi ses objectifs de « développer une collaboration soutenue entre chercheurs et cliniciens en centrant la recherche évaluative sur des questions cliniques favorisant l'amélioration des pratiques » .

Votre rapporteur estime par ailleurs, avec Anne Fagot-Largeault, que la qualité de la recherche française en psychiatrie gagnerait à la création d'une école doctorale spécifique. Les laboratoires des équipes travaillant sur la santé mentale sont systématiquement rattachés à des écoles à vocation plus larges. Les Etudes cliniques et innovations thérapeutiques en psychiatrie (ECIPSY) de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, laboratoire qui travaille sur la psychologie cognitive de la schizophrénie, la prise en charge des troubles de la communication schizophréniques et l'évaluation des pratiques de soins dans cette pathologie, est ainsi rattaché à une école doctorale commune avec Universités d'Evry Val d'Essonne qui porte sur la thématique « des Génomes aux Organismes ».

Plusieurs projets alliant recherche et soins ont été mis en place ou sont proposés. Ainsi les centres experts du réseau de coopération scientifique fondaMental ou le projet de création d'un Institut de recherche en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne.

Ils attestent de la qualité des équipes. Jean-Pierre Olié a cependant fait part à votre rapporteur d'une inquiétude légitime sur l'éventuelle dispersion des moyens, réduits, sur les différents projets. La mise en place d'une instance alliant recherche et soins sur le modèle de l'Institut national du cancer paraît à votre rapporteur le meilleur moyen de permettre aux projets les plus innovants d'obtenir les crédits dont ils ont besoin tout en garantissant l'efficacité des sommes allouées.

L'absence de connaissances précises sur les prévalences, les facteurs de risques, et même les modalités de prise en charge et leur efficacité, sont une entrave particulièrement importante aux progrès de la prise en charge. La Cour des comptes prend la suite de nombreux rapports quand elle appelle au développement des capacités françaises en la matière. La nécessité de développer l'épidémiologie psychiatrique se heurte pourtant nécessairement à la baisse des crédits budgétaires alloués à ce domaine de recherche. Le rôle de l'Institut de veille sanitaire qui a pris en charge de sa propre initiative une part de ces études décroîtra nécessairement dans ce contexte. Même les données déjà recueillies semblent difficiles à synthétiser et à publier comme en témoigne l'absence de parution du bilan complet de l'offre de soins en santé mentale par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé annoncé pour 2012 par la Cour des comptes.

Plusieurs des praticiens hospitaliers auditionnés par votre rapporteur ont par ailleurs insisté sur la nécessité de mettre en place en psychiatrie une forme de tarification qui permette un suivi de l'activité et une corrélation entre le financement et les prises en charge les plus efficaces.

b) Définir les modalités d'élaborations des bonnes pratiques

Les instances en charge de l'amélioration des pratiques comme la mission nationale d'appui en santé mentale se sont jusqu'à présent avérées trop faibles et avec trop peu de moyens pour mener une action d'envergure.

La France a par ailleurs un faible taux de suivi des recommandations internationales , notamment parce que certains praticiens contestent l' evidence based medecine 32 ( * ) qui fonde les études anglo-saxonne. Elle paraît à certains praticiens trop abstraite face aux pratiques de la psychiatrie française et au cas singulier de chaque patient.

Il est certain que la psychiatrie ne peut se résumer à telle ou telle forme d'approche diagnostique ou de thérapeutique. Néanmoins, les progrès de la recherche et la diffusion des meilleures pratiques sont d'autant plus nécessaires dans ce domaine qu'aucun traitement curatif n'existe réellement à l'heure actuelle, la plus grande partie des prises en charge étant symptomatiques.

La question est donc de savoir comment peuvent être élaborées des bonnes pratiques acceptables par tous . Jean-Pierre Olié a suggéré qu'elles le soient à partir des pratiques de chacune des équipes. Votre rapporteur note que les associations professionnelles et les sociétés savantes comme la Fédération française de psychiatrie jouent aussi un rôle important en la matière. La forme la plus adéquate paraît cependant celle des conférences de consensus de la Haute Autorité de santé qui permet d'élaborer des recommandations fondées sur l'expérience des soignants.

3. La question du suicide

D'après une étude publiée par la Drees en septembre 2012 33 ( * ) , la tendance suicidaire est une problématique importante en médecine générale de ville. Au cours des cinq dernières années, 80 % des médecins généralistes ont été confrontés à la tentative de suicide et près de la moitié à un suicide. Le rôle des généralistes dans le dépistage et la prise en charge des troubles est donc essentiel.

L'OMS mène depuis plusieurs années des campagnes pour la prévention du suicide et souligne la situation particulièrement préoccupante de l'Europe.

Carte des taux de suicide
(pour 100 000, données les plus récentes depuis 2011)

>13

65 - 13

65

Pas de données

Source : OMS 2011

Face à cette situation le succès de la politique suédoise , souligné par Viviane Kovess-Masféty, paraît être un exemple à suivre. Elle repose sur la formation des médecins généralistes pour la détection de la dépression.

En 1983 et 1984, le comité suédois pour la prévention et le traitement de la dépression a organisé un programme de formation professionnelle sur le diagnostic et le traitement de cette pathologie destiné aux médecins généralistes de l'île de Gotland.

Les principaux résultats du programme deux ans après sa mise en place ont été les suivants :


• diminution des suicides de 60 % ;


• consommation d'antidépresseurs en augmentation de 52 % sur l'île de Gotland (augmentation de 17 % en Suède sur la même période) ;


• diminution de la prescription de benzodiazépines et autres neuroleptiques de 25 % comparé à la moyenne suédoise ;


• diminution de 50 % des consultations en psychiatrie ;


• diminution de 85 % des consultations pour état mélancolique ;


• diminution de 50 % des congés de maladie dus à la dépression.

Une analyse médico-économique de ce programme a également révélé une balance très fortement excédentaire en faveur du programme, avec une économie évaluée entre 17 et de 285 millions de couronnes pour un coût de 400 000 couronnes suédoises.

Source : Rihmer (Z.), Rutz (W.), Pihlgren (H.); «Depression and suicide on Gotland. An intensive study of all suicides before and after a depression-training programme
for general practitioners»; Journal of affective disorders, vol. 35, n° 4, 1995.

« Comment évaluer le risque suicidaire et notamment l'imminence ou la gravité d'un passage à l'acte en médecine générale   », Dr François Dumel, psydoc-fr.broca.inserm.fr

Le colloque sur la mortalité due à la crise, organisé par France Prévention Suicide et Technologia le 11 février 2012 au Sénat, a été l'occasion de souligner le manque de données épidémiologiques fiables sur les suicides, qui sont pourtant particulièrement nécessaires pour leur étude et leur prévention. Votre rapporteur soutient donc l'initiative tendant à créer un observatoire des suicides, qui pourrait se fonder sur le Centre d'étude et de prévention du suicide de Stockholm. Votre rapporteur considère que cet observatoire devrait être rattaché à l'InVS qui est l'agence sanitaire compétente.


* 30 French psychoflap, Science, 25 février 2005.

* 31 Marie-Christine Hardy-Baylé et al., « Place de la recherche dans les réseaux de santé », Revue française des affaires sociales, 2004/1.

* 32 Elie Azria, L'humain face à la standardisation du soin médical, La Vie des idées, 26 juin 2012.

* 33 Dumesnil, Cortaredona et al., La prise en charge de la dépression en médecine générale de ville, Etudes et résultats n° 810, septembre 2012.

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