TABLE RONDE N° 4 - MIEUX SCOLARISER

Intervenants :

-  Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne, médiatrice

- Thierry Vial, inspecteur de l'éducation nationale au rectorat de Lyon

- Françoise Kbayaa, présidente-adjointe de l'Unapei

- Valérie Merch-Popelier, secrétaire générale de la FCPE

- Elaine Hardiman-Taveau, présidente d'Asperger Aide France

- Sandrine Lair, chef du bureau de la personnalisation des parcours scolaires et de la scolarisation des élèves handicapés à la direction générale de l'enseignement scolaire

- Danièle Langloys, présidente d'Autisme France

*

Françoise Laborde - Nous avons fait le choix ambitieux de traiter de l'autisme tout au long de la vie, du diagnostic à l'intégration, puis au vieillissement, en passant par la scolarité, qui fait l'objet de cette table ronde.

Thierry Vial - Je reviendrai sur certains points de la formation des enseignants évoqués ce matin par Virginie Gohin. Dans l'académie de Lyon, la rectrice d'académie s'est emparée de la question des élèves en situation de handicap et principalement des élèves avec autisme. En application de la loi de 2005, l'éducation nationale scolarise de nombreux élèves en situation de handicap, avec une avancée quantitative remarquable, mais un travail qualitatif largement perfectible.

Les projets de l'académie de Lyon en la matière concernent, d'une part, la formation des enseignants, évoquée ce matin au plan national, d'autre part, les ressources produites pour accompagner les enseignants.

L'académie a travaillé en collaboration avec le CRA et des associations sur la formation des enseignants. Les documents produits ont été mis en ligne et sont à la disposition de nos personnels. En ce qui concerne la formation en présentiel, nous organisons dans chacun des trois départements de l'académie des formations à destination des enseignants qui travaillent dans des dispositifs qui accueillent des élèves manifestant des troubles envahissants du développement, mais aussi du grand public enseignant. En effet, il s'agit de former l'ensemble des enseignants, qui se trouvent dépourvus face à un élève autiste lorsqu'ils se trouvent en situation d'en accueillir un dans leur classe. Cet objectif ambitieux est difficile à réaliser en raison du nombre élevé d'enseignants, d'autant plus que nous voulons toucher la totalité d'entre eux. A cet effet, une équipe mobile, composée d'enseignants et de personnels du CRA, sera déployée cette année pour aider les équipes sur le terrain. Nous avons la volonté d'avancer tout en étant conscience qu'il s'agit d'un travail de longue haleine.

Ces dispositifs concernent également les autres élèves handicapés qui ont des besoins éducatifs particuliers.

Valérie Merch-Popelier - La FCPE regroupe des parents qui défendent certaines valeurs dont celle de placer l'enfant au coeur du système, le droit à l'éducation pour tous les enfants et l'égalité des chances devant la réussite scolaire. Nous défendons notamment le principe de la coéducation au nom duquel nous portons la loi de 2005 et ses implications.

Nous considérons que la légitimité de la scolarisation d'un enfant autiste est un acquis. L'école doit en revanche mettre en oeuvre tous les moyens permettant la réussite de cette scolarisation. Le but de l'école est de permettre à chacun d'être autonome et de devenir un acteur de sa vie.

La FCPE milite pour que chaque enfant trouve sa place à l'école. Il est inacceptable d'entendre les témoignages des parcours que les parents sont conduits à entreprendre afin de scolariser leur enfant. Nous nous interrogeons sur les progrès à réaliser et les améliorations que nous pouvons apporter à certaines situations concrètes.

Ces questions nous amènent à nous demander comment construire une école inclusive et bienveillante. Une des pistes consiste à changer le regard que l'adulte et la société portent sur l'autisme. Le personnel encadrant, qui comprend les AVS, les surveillants, et les enseignants, a un rôle de facilitateur du lien social dans le groupe des enfants et de garant du respect et de l'intégrité de chacun des enfants. Il est donc important que le regard de l'école soit bienveillant, dans un souci d'écoute et de dialogue, également avec les parents.

La coopération avec les centres de ressources me paraît importante pour contribuer à construire cette école inclusive pour tous les enfants, qui doivent y apprendre à vivre ensemble, avec leurs particularités. Il ne sera pas possible d'apprendre aux enseignants toutes ces spécificités, cependant il est possible de les inciter à s'ouvrir, observer, comprendre et adapter leur pédagogie. Les AVS sont également concernés, car ils peuvent être sources de malentendus s'ils communiquent mal ou pas avec les familles, susceptibles de s'effondrer.

Améliorer la scolarisation consiste à renforcer la qualité du dialogue et des échanges entre les acteurs et à considérer des aménagements, consistant par exemple à moins charger les classes ou à instaurer un nombre d'enseignants supérieur au nombre de classes. Il convient en outre de laisser les orthophonistes et les soins entrer dans l'école car les navettes quotidiennes fatiguent les familles et les enfants.

La FCPE espère que la loi d'orientation aboutira à une évolution des mentalités sur la place de l'élève handicapé au sein de l'école, en interrogeant le fonctionnement de l'école, ses missions et la formation des encadrants.

Françoise Laborde - Il est effectivement important de rappeler que l'enfant se trouve à l'école sur le temps scolaire mais aussi périscolaire. Ce temps passé à l'école permet aux parents d'enfants autistes de travailler.

Sandrine Lair - J'exposerai le point de vue de l'éducation nationale, au niveau national et non académique. Nous ferons état de notre connaissance partielle de l'autisme, des actions de scolarisation mises en place et des points d'amélioration.

Tous les ans, une enquête a lieu, centrée sur les élèves en situation de handicap. Les chiffres sont fournis par les enseignants référents. L'enquête concerne donc uniquement les enfants scolarisés, dans les écoles ou les établissements médico-sociaux. Plus de 90 000 élèves sont en effet scolarisés en dehors de l'école. En revanche, l'éducation nationale ne connaît pas les enfants non scolarisés. L'enseignant référent ne connaît du diagnostic de l'enfant que les éléments qui lui sont transmis par la famille ; lorsque celle-ci ignore le trouble de l'enfant, il n'est pas référencé.

Par conséquent, nous sommes en mesure d'affirmer qu'un minimum de 20 000 enfants autistes ou présentant des TED sont scolarisés. Cette population est composée à 83 % de garçons, et est principalement scolarisée à titre individuel, dans une classe ordinaire. Un tiers des enfants autistes scolarisés fréquentent les Clis ou les Ulis.

Un tiers des élèves handicapés présents dans les classes ordinaires sont accompagnés par un assistant de vie scolaire individuel (AVS-i) ; le chiffre s'élève à 59 % pour les autistes. Ce chiffre signifie que les enfants autistes sont deux fois plus accompagnés par un AVS-i que les autres élèves handicapés, ce qui n'est évidemment pas encore suffisant. Quatre mille enfants sont scolarisés à temps partagé entre le secteur médico-social et l'école. Ce système possède une incidence sur le temps de scolarisation ; un peu moins de 15 000 enfants autistes recensés sont scolarisés à temps plein, soit huit demi-journées. Les deux populations d'enfants handicapés étudiant sur les temps partiels les plus courts (inférieurs à la demi-journée) sont les enfants présentant des TED et ceux qui manifestent des troubles du psychisme. L'allongement du temps scolaire des 5 000 élèves à temps partiel constitue donc un premier axe de progression.

Pour améliorer les conditions de scolarisation des élèves, nous avons travaillé avec le CNSA à la rédaction d'un guide d'évaluation du besoin de l'élève en situation scolaire afin de donner aux équipes de l'éducation nationales et des MDPH des outils communs pour parler le même langage et disposer des mêmes critères d'évaluation des besoins d'accompagnement, de matériel pédagogique ou de structures spécialisées.

Nous avons en outre créé un guide autisme envoyé à l'ensemble des établissements scolaires. Par ailleurs, en collaboration avec les associations, nous avons fait paraître un module de formation pour les enseignants accueillant des enfants manifestant des troubles envahissants du développement. L'idée ne consiste pas à se substituer à la formation mais de créer une ressource labellisée éducation nationale pour guider les enseignants et leur indiquer quelles sont les pratiques positives, quelles sont celles qu'ils peuvent mettre en place, dans quelles limites.

D'autres pistes font partie du plan en construction au niveau national. Cependant, certaines initiatives locales nous paraissent particulièrement intéressantes, par exemple la collaboration avec des CRA dans certaines académies. Du personnel est notamment mis à disposition pour intervenir dans les classes afin d'accompagner et de sécuriser les enseignants sur le terrain. Nous devons également progresser dans la formation des psychologues et des médecins scolaires.

Enfin, la coopération avec le médico-social implique de trouver un fonctionnement plus souple. Deux axes sont envisagés par les groupes de travail interministériels : l'accompagnement individuel d'un enfant scolarisé et la création de structures innovantes dédiées réunissant le secteur médico-social et l'éducation nationale autour d'un projet pour l'enfant. Ce dernier axe serait intéressant à appliquer dans l'école, et pas uniquement dans le médico-social.

Actuellement, deux dispositifs existent à l'école : la classe ordinaire et la Clis ou l'Ulis. Nous pourrions améliorer notre réponse aux besoins des élèves si nous élargissions l'éventail des dispositifs.

Applaudissements

Françoise Kbayaa - Certains d'entre vous pourraient douter de la légitimité de l'Unapei à s'exprimer sur la scolarité des enfants autistes. Nous accueillons près de 180 000 personnes présentant des déficiences intellectuelles mais nous accompagnons également des personnes souffrant d'autisme ou de TED. Actuellement, la moitié des enfants autistes sont pris en charge dans des établissements d'associations affiliées à l'Unapei.

La scolarisation des enfants autistes nous semble représenter un des défis les plus importants de l'école d'aujourd'hui. Actuellement, entre 90 000 et 110 000 enfants de moins de vingt ans sont atteints d'autisme, dont un quart est scolarisé à l'école ordinaire. En revanche 13 000 enfants de moins de vingt ans ne suivent aucune scolarité, dont bon nombre sont des enfants autistes ou polyhandicapés.

Dans la scolarisation en milieu ordinaire, 84 % des enfants sont scolarisés à temps complet, les autres enfants présentant des besoins spécifiques. J'ai été choquée de lire en 2010 les propos d'un responsable de la scolarisation des élèves handicapés à la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), qui justifiait ainsi la restriction de la scolarité des enfants autistes en milieu ordinaire : « l'école est peut être source de souffrance ou d'angoisse voire de comportements phobiques. Les autismes sont parmi les handicaps qui posent le plus de difficultés pédagogiques à l'école ».

La scolarisation des enfants autistes s'appuie sur des textes, notamment la loi du 11 février 2005 qui fait peser une obligation de résultat à la charge de l'Etat, transcrite dans l'article L. 112-1 du code de l'éducation. La circulaire interministérielle de 2005 rappelle les dispositions légales résultant de ce texte, qui s'appliquent aussi aux enfants autistes. Deux articles de la convention des Nations unies spécifient, d'une part, que tous les enfants doivent bénéficier d'un traitement identique, d'autre part, que tous les enfants ont accès à la scolarité. Les recommandations de la HAS et de l'Anesm constituent un troisième texte sur lequel s'appuyer.

Pour l'Unapei, il est important de considérer les autismes et les scolarisations au pluriel. La loi de 2055 pose le principe de l'inscription de l'enfant handicapé dans un établissement scolaire ordinaire, généralement proche de son domicile. A l'Unapei, nous défendons toutefois le principe que chaque enfant est différent et peut donc ne se montrer réceptif qu'à certaines méthodes pédagogiques. L'accompagnement de l'enfant à l'école dépend de son projet individuel et s'effectuera donc soit dans un milieu ordinaire, soit dans un milieu dédié ou mixte. Les critères présidant à ce choix incluent la préférence de l'enfant et de sa famille, les problèmes particuliers que l'enfant est susceptible de poser selon la nature de ses troubles, ses éventuels échecs antérieurs.

Quel que soit le lieu de scolarisation de l'enfant, il est essentiel qu'il existe des passerelles. Nous admettons six principes incontournables :


• l'importance de l'accompagnement précoce ;


• la place des parents dans le cadre de la coconstruction entre la personne autiste, sa famille et le milieu professionnel ;


• un mode d'accompagnement adapté individuel et cohérent ;


• la coordination entre les différents intervenants ;


• un accompagnement qui intervienne dans les domaines de la compréhension de l'environnement, de l'aide à la structuration du temps et de l'espace, de la communication par les images ou les pictogrammes, et des interactions sociales ;


• la formation des personnels.

Danièle Langloys - Il est difficile d'établir le nombre exact d'enfants autistes car ils sont nombreux à ne pas être diagnostiqués. Les deux seuls départements français qui tiennent des statistiques révèlent que 30 % seulement des enfants ont été diagnostiqués. Un sursaut national s'avère urgent, car des vies humaines sont en cause.

Nous savons comment il conviendrait d'agir mais nous sommes encore loin d'être en mesure de le faire. Depuis trente ans, les familles n'ont obtenu que des actions marginales.

- L'école inclusive

Il est désormais admis en France que l'école doit être inclusive, ce qui est réalisé en Belgique depuis trente ans, et aux Etats-Unis depuis quarante ans. Il existe une directive européenne de désinstitutionalisation, cependant la France en est encore éloignée malgré les ébauches qui se dessinent. L'école devient inclusive pour la plupart des enfants avec handicap, cependant la majorité des enfants autistes en est encore rejetée malgré quelques contre-exemples positifs. A de nombreux endroits, les parents sont dans l'obligation de quémander le droit à la scolarisation. Ils doivent mendier une école bienveillante, interroger de nombreuses écoles avant d'en découvrir une qui accepte leur enfant. Ensuite, ils doivent avoir la chance de rencontrer une AVS susceptible d'effectuer son travail correctement et trouver une MDPH bienveillante qui considère normal que l'enfant suive un parcours scolaire et ne soit pas envoyé en IME dès six ans.

- Les conditions

La place d'un enfant est à l'école. A ce titre, les recommandations de bonnes pratiques oublient d'affirmer que l'élève autiste est prioritairement un élève, ce que je regrette.

Pour que la scolarisation soit possible, un diagnostic et une intervention précoces sont indispensables.

Il est essentiel d'aider les familles et de reconnaître leur statut de coéducateur. Nous ne sommes pas des professionnels, ce qui nous est souvent agressivement rappelé. Parfois, les relations entre l'AVS et la famille sont interdites. Dans les MDPH, les choix d'orientation des familles sont souvent ignorés.

La formation des enseignants ne s'effectue pas partout de manière aussi efficace que dans l'académie de Lyon. Il convient d'utiliser les formateurs régionaux autisme, dont la tâche consiste à aider les enseignants si nécessaire. En outre, l'éducation nationale s'est impliquée dans la formation de ces formateurs régionaux, car des enseignants sont eux-mêmes formateurs régionaux. Si toutes les régions agissaient comme la région Rhône-Alpes, où ils interviennent gratuitement, l'avancée serait spectaculaire. Il existe également des maîtres itinérants spécialisés en autisme. Cette initiative devrait être généralisée, car elle est extraordinaire. Ces maîtres spécialisés apportent leur aide dans les situations où elle s'avère nécessaire pour remédier aux difficultés rencontrées, agissant en « pompiers volants ».

- Les formes d'accompagnement

De nombreuses familles rejettent les hôpitaux de jour. La place des enfants n'est pas en hôpital psychiatrique. Les familles refusent également majoritairement de placer leurs enfants dans les IME, car ils sont souvent de piètre qualité et n'offrent pas ou trop peu de scolarisation aux enfants. Il est inacceptable de leur proposer une scolarisation limitée à une durée comprise entre une demi-heure et quatre heures par semaine. Les bonnes pratiques préconisées par la HAS indiquent qu'une scolarisation doit être effective, ce qui n'est pas le cas en deçà d'un mi-temps. Outre la question de la scolarisation, les IME sont souvent loin des recommandations de bonnes pratiques sur le plan éducatif. Souvent, un taux d'encadrement insuffisant et un manque de formation en sont la cause.

Ne nombreux enfants se trouvent en Itep. Or, une circulaire officielle indique qu'ils ne devraient pas s'y trouver car ils ne relèvent pas du handicap psychique. En outre, ils y côtoient des enfants incapables de reconnaître un enfant autiste et qui parfois les maltraitent.

Il est certain que tout ne peut reposer sur les enseignants. Il est essentiel que l'éducation nationale se montre moins frileuse, mais l'accompagnement des enseignants est indispensable. Ils doivent être formés et aidés. Les AVS ne donnent pas toujours satisfaction, car il s'agit de personnels précaires, souvent insuffisamment formés. Souvent, les familles les forment, quand les institutions acceptent que les associations effectuent ce travail, de manière bénévole. L'inspection académique a certes autorisé une convention permettant à des personnes recrutées par les associations d'entrer dans l'éducation nationale, cependant leur financement reste à la charge des familles.

Le rôle des psychologues est essentiel, car ils sont en mesure de réaliser les bilans développementaux et de construire les projets d'accompagnement. Les psychologues auraient parfois vocation à entrer dans les écoles, ce qui s'avère souvent impossible.

Nous regrettons que les psychologues scolaires soient mal formés à l'autisme, souvent d'obédience psychanalytique, et donc capables de repérer la souffrance de l'enfant mais pas de l'accompagner ni de l'aider.

Ma proposition principale consiste à développer massivement les Sessad, qui représentent l'avenir. Ils doivent se trouver dans les écoles, ce qui est actuellement parfois le cas. En effet, il n'est pas judicieux de demander à un enfant de s'éparpiller dans différentes formes d'accompagnements, souvent en libéral et de manière non coordonnée. Les Sessad sont capables de réaliser ce travail mais ils doivent être renforcés et bénéficier de crédits supérieurs. Actuellement, la plupart fonctionnent avec 12 000 à 14 000 euros par place, alors que ceux qui parviennent à accomplir un travail formidable bénéficient de 40 000 à 60 000 euros par place. En Belgique, des résultats similaires sont obtenus pour des crédits inférieurs, à l'intérieur de l'école. Nous devons toutefois imaginer une période de transition au cours de laquelle des Sessad seront ouverts dans toutes les écoles pour que les enseignants puissent leur confier à la demi-journée des enfants qui le nécessitent. Cette proposition est à développer de toute urgence.

Applaudissements nourris

Françoise Laborde - Après le malaise et la détresse exprimés ce matin par les parents, je constate avec espoir et plaisir que les associations proches des parents possèdent des porte-paroles efficaces.

Elaine Hardiman-Taveau - Je considère que Danièle Langloys vient d'exprimer ma pensée.

Je ferai part d'une grave situation, qui concerne des jeunes qui ont effectué une scolarité jusqu'à seize ou dix-huit ans, mais sont placées en hôpital psychiatrique pour des raisons comportementales. Je reçois une vingtaine d'appels téléphoniques par jour de parents, qui ne se trouvent plus en mesure de garder leur enfant à la maison, car celui-ci ne s'alimente plus et est incapable de rester seul.

Il existe une urgence face à l'épidémie d'autisme en France. Il n'existe aucune raison que de nombreux jeunes d'intelligence supérieure se trouvent dans des hôpitaux psychiatriques, dans des cliniques, en prison ou dans le métro. Nous assistons à un gâchis. Je cède la parole à William, autiste Asperger adulte qui a été pris en charge et a pu poursuivre ses études. Tous les profils d'Asperger peuvent être pris en charge dans notre centre d'Alfortville par notre équipe de psychologues formés au Canada. Il est possible de modifier leur comportement et de leur enseigner à agir conformément aux attendus. Les Asperger ne comprennent pas l'implicite et l'abstrait. L'implicite est constitué de l'ensemble des signaux échangés entre deux personnes, qui dicte le comportement de l'interlocuteur. Si l'implicite n'est pas décodé, il n'est pas possible de réagir correctement. C'est pourquoi, de nombreux Asperger sont déscolarisés. Toutefois, ils peuvent apprendre à décoder ces signaux car ils sont intelligents.

William - Je m'exprimerai en tant qu'autiste Asperger, donc autiste de haut niveau sans déficience intellectuelle. L'association Asperger Aide France m'a diagnostiqué en janvier 2011 à l'âge de vingt et un ans. J'aurais apprécié d'être diagnostiqué plus tôt, cependant, j'estime avoir été en quelque sorte protégé, notamment de l'hôpital de jour, par cette absence de diagnostic. Les autistes Asperger ne captant pas les implicites sociaux, ils sont souvent victimes de harcèlements de tous ordres, physiques, moraux voire sexuels et éprouvent de grandes difficultés d'intégration. Par chance, ma mère a tenu tête à l'éducation nationale pendant de nombreuses années, ce qui rejoint les témoignages de combat permanent exprimés par le public.

Mes difficultés ont commencé lorsque j'ai intégré un circuit scolaire normal. En effet, jusqu'en cours d'année de CM1, j'étais scolarisé dans une classe spécialisée. J'ai changé d'école suite à une affaire de harcèlement, où j'ai poursuivi une scolarité normale. J'ai redoublé la sixième car le collège ne tenait pas compte de mon handicap et de mes aménagements, qui consistaient simplement en un tiers temps au moment des examens, un agrandissement des photocopies et un ordinateur portable. L'ensemble de l'équipe pédagogique du collège souhaitait que je passe en cinquième spécialisée, en section unité pédagogique d'intégration (UPI) dédiée aux infirmes moteurs cérébraux, car ils estimaient ne pas être formés pour s'occuper de mon cas. Le collège voulait ensuite que j'intègre une quatrième TED, puis une troisième d'insertion, arguant du fait que je ne serai pas capable de passer le brevet des Collèges, puis de suivre une scolarité en lycée. Je suis toujours passé en force, car j'ai des capacités. J'ai obtenu mon Bac et je suis actuellement en master cinéma à l'université Paris VII.

J'ai constaté que si un élément d'une équipe pédagogique ne tenait pas compte du handicap, un combat permanent s'instaurait. Certaines années se sont bien déroulées parce qu'un enseignant principal ou un conseiller d'éducation étaient sensibilisés et prenaient en compte le handicap.

Pour que ma scolarité se déroule mieux, il aurait été nécessaire en premier lieu de tenir compte des risques de harcèlement et donc d'effectuer une prévention auprès des élèves et des équipes enseignantes pour expliquer les origines du problème.

En deuxième lieu, je suis hyperesthésique : le brouhaha d'une salle de classe perturbe ma concentration. Enfin, je tends à compliquer ce qui m'est demandé. Il est nécessaire de renouveler les explications plusieurs fois et de simplifier au maximum, en revenant aux fondamentaux, d'une manière concrète.

Aujourd'hui encore, en master, le travail étant de plus en plus autonome, je rencontre des difficultés d'accompagnement de la part de mon directeur de mémoire qui me demande d'effectuer des recherches par moi-même.

Applaudissements

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Intervention de la salle - Mon fils autiste aujourd'hui âgé de dix-sept ans a été exclu d'un dispositif de l'éducation nationale prétendument inclusif. Il a connu une scolarité chaotique et a été sorti d'un hôpital psychiatrique après maintes pressions. Il nous a été reproché de refuser un établissement de type IME riche en stimuli mais non adapté.

La MDPH du Morbihan s'est réunie suite à un reportage sur TF1, convaincue que la situation était vouée à l'échec. En effet l'inspecteur de l'éducation nationale avait affirmé que tant qu'il serait en poste, notre fils ne serait jamais scolarisé. Notre combat a permis de scolariser notre fils dans une Clis spécifique TED, où il a adopté un comportement d'élève. Grâce à une enseignante motivée, il a pu poursuivre sa scolarité en Ulis collège spécifique. Notre souhait de poursuivre en Ulis lycée professionnel s'est heurté à des accusations de déni du handicap. Nous sommes accompagnés par une équipe de professionnels libéraux spécialisés en autisme que nous finançons grâce à des démarches associatives. Nous avons persévéré dans la voie choisie. Malgré la circulaire du 18 juin 2010 reconnaissant la spécificité des Ulis TED, très peu de départements bénéficient d'Ulis en lycées, pourtant les jeunes atteints d'autisme restent autistes après le collège. Toutes les régions ne bénéficient pas de passerelles ou de dispositifs innovants. Notre fils a finalement intégré une Ulis non spécifique TED en création.

Est-il normal qu'il soit impossible d'intégrer un dispositif d'inclusion comportant cinq élèves et trois AVS ? Le manque de volonté ne s'ajoute-t-il pas au déficit évident de formation ? Malgré les aides que nous proposions, l'enseignante a insisté sur la nécessité de réorienter notre fils.

Aujourd'hui, notre fils se trouve en rupture de parcours, il refuse de se nourrir ou de sortir. Nous n'avons plus d'activité professionnelle et donc plus de revenus. La MDPH nous indique que ce choix est le nôtre et nous propose les mêmes établissements spécialisés que huit ans auparavant, malgré les progrès accomplis par notre fils au cours de cette période. Les orientations de la MDPH sont-elles soutenues par des raisons économiques, afin de remplir les places disponibles dans les établissements, ou par l'intérêt de l'enfant lui-même ?

Françoise Laborde - Ces questions sur l'orientation sont communes à de nombreux parents.

Intervention de la salle - Je suis père de trois enfants autistes : un Asperger et deux Kanner, dont un modéré et un profond.

Je témoigne qu'il est possible que la scolarité des enfants autistes se déroule correctement, grâce à une association disposant d'un Sessad et permettant d'avoir accès à un accompagnement en classe. Deux de mes enfants sont désormais accueillis en classe Clis TED avec accompagnement d'un Sessad. Il ne s'agit pas d'un dispositif expérimental.

Cependant, arrivés à onze ans, les enfants devront sortir de ces classes Clis TED et aucun dispositif n'existe pour la suite de leur scolarité.

Le panel présent à cette tribune n'est pas représentatif de l'éducation nationale. L'éducation nationale devrait être pilotée par le haut, et attribuer aux inspecteurs d'académie des objectifs en termes de ressources et de structure. Il est incompréhensible qu'il existe quatre Clis TED dans les Yvelines et aucune Ulis TED accompagnée d'un Sessad et des moyens nécessaires. Pourquoi l'éducation nationale n'exige-t-elle pas des objectifs de moyens de chaque département ?

Emmanuel Jacob, responsable d'association en Ille-et-Vilaine - Je suis père d'un enfant autiste scolarisé en Clis 1 et formateur dans le premier degré de l'éducation nationale. La circulaire du 18 juin 2012 officialise l'existence des Ulis TED mais l'existence officielle des Clis TED n'est pas reconnue. Le Gevasco ne comporte en outre aucune spécificité concernant les TED et l'autisme.

La plupart des enfants autistes non verbaux sont principalement orientés en Clis 1, alors que les rapports récents spécifient que les enfants autistes ne doivent pas être scolarisés en compagnie d'enfants qui souffrent de troubles des fonctions cognitives.

Intervention de la salle - Mon fils, diagnostiqué autiste de Kanner avec sévère retard mental à six ans, était toujours mutique à dix ans, n'ayant tiré aucun profit des IME, Clis ou Sessad. Je me suis formée et je suis parvenue à le faire parler vers onze ans. Nous avons développé le langage, l'écriture et la lecture pour qu'il retrouve un niveau scolaire. A douze ans, des tests ont révélé un QI verbal de 147 mais des retards moteurs importants. Il a suivi les cours du Cned de cinquième puis a été accepté en quatrième au Cned et au collège du village pendant quatre heures par semaine. Il avait une excellente moyenne et était accompagné par une AVS motivée. Malheureusement, l'année suivante, ses AVS n'étaient pas formées et étaient incapables de l'aider à suivre des cours de troisième. Il a commencé à convulser.

Aujourd'hui, il est sous traitement antiépileptique, souffre d'un burn-out et reste au lit la plupart du temps. Il est impératif de remettre en question les notions de retard mental et de non verbal. Il s'agit d'une maltraitance faite aux enfants et à leurs familles. Mon fils souhaite consacrer sa vie à expliquer l'autisme et indiquer les démarches à suivre aux professionnels.

Pascal Duruisseau, directeur de Sessad - Je m'interroge sur la priorité des étapes de la scolarisation. Les temps scolaires sont effectivement très importants mais en matière d'autisme, les temps informels de la cantine ou des récréations le sont davantage. Il conviendrait d'investir dans ces espaces, où nous rencontrons de nombreux problèmes.

Intervention de la salle - Je suis formatrice d'enseignants depuis une trentaine d'années.

Le rôle de la médecine est essentiel pour l'autisme, qui devrait également être partagé avec l'éducation nationale. En effet, l'autisme appartient essentiellement aux secteurs de la santé et du médico-social, comme le prouve la nature des autorités ayant rédigé les recommandations de bonnes pratiques, dont le ministère de l'éducation nationale n'a pas été signataire. En Belgique ou au Québec, les droits à la scolarisation des enfants autistes sont reconnus et le ministère de l'éducation est responsable du parcours de ces enfants. Une décision politique est nécessaire pour faire évoluer situation.

Il me semble que la situation actuelle implique une entente tacite entre l'éducation nationale et la santé pour que l'autisme relève de la santé et du médico-social. Par ailleurs, plus la scolarité avance, et moins on retrouve d'élèves autistes ; les Ulis sont en nombre insuffisant.

Françoise Laborde - Les intervenants répondent à présent à vos questions.

Thierry Vial - Nous sommes conscients que des parents sont excédés par les situations provoquées par la scolarisation. Je ne traiterai cependant pas les cas particuliers.

Je relève que des parents reconnaissent que certains enseignants ont à coeur d'aider les élèves. Il est agréable d'entendre des propos positifs.

Bien que les circulaires ne les évoquent pas, des Clis TED fonctionnent effectivement, et paradoxalement, il existe très peu d'Ulis TED. Il ne nous semble cependant pas judicieux de créer une filière qui amènerait systématiquement les élèves des Clis TED dans des Ulis TED, en allant à l'encontre du principe de parcours individualisé.

La classification de l'éducation nationale comporte une contradiction qui consiste à scolariser en Clis 1 des élèves présentant des troubles des fonctions cognitives et des élèves manifestant des troubles envahissants du développement. Cette préconisation figurant dans le rapport de l'Inspection générale fera probablement l'objet de suites à moyen terme.

Sandrine Lair - En réponse à la première question, en tant que représentante de l'éducation nationale, je vous affirme que les propos qui ont été tenus sur votre fils ne sont pas acceptables.

Je précise au sujet des Ulis que le texte ne précise pas qu'il existe des Ulis TED. Il indique qu'il existe un certain nombre de troubles, puis qu'il existe des Ulis dont la classification n'est pas nécessairement en rapport avec les troubles. Dans certains endroits, des politiques départementales ou académiques signalent que les enfants présentant certains types de troubles ont vocation à être regroupés et que des Ulis dédiées ont été créées à cet effet. Le texte sur les Clis ne le spécifie pas, toutefois ces structures ne sont pas interdites et parfois, elles existent même en partenariat avec des Sessad.

Le rapport des inspections générales nous est parvenu. Il a été demandé à la direction générale de l'enseignement scolaire de formuler des propositions auprès du ministre. Ce point fera l'objet de propositions mais j'ignore quelle sera la décision du ministre. Le rapport corrobore cependant des réussites réalisées par ces structures. En revanche, la nature des personnels et des structures, et le taux d'encadrement des Ulis ou Clis TED font l'objet d'une réflexion, car il n'est pas nécessairement pertinent de calquer leur fonctionnement sur celui des autres Clis ou Ulis.

Il n'existe pas d'injonction politique ciblée sur les troubles envahissants du développement, en revanche les objectifs quantitatifs relatifs au déploiement des Ulis ont été dépassés. Nous sommes toutefois conscients que leur nombre est encore insuffisant.

Par ailleurs, je suis intéressée par la question des temps informels, que je rapproche de l'intérêt de travailler avec les Sessad sur les aspects éducatifs dans le lieu du vivre ensemble que représente l'école. Il serait en outre intéressant que d'autres partenaires travaillent en parallèle avec les autres enfants.

Le Gevasco est un document actuellement en cours d'expérimentation, et qui n'est donc pas rendu public. Il a été construit conjointement par la direction générale de l'enseignement scolaire (Degesco) et la CNSA à partir d'une extraction du guide Geva. Il ne comporte pas de spécificité relative à certains types de troubles mais indique uniquement la situation de l'élève dans l'école concernant certaines compétences, notamment la communication. Au cours de l'année, les MDPH et l'éducation nationale nous apporterons leurs retours qui contribueront à modifier ce texte.

Concernant le choix des termes, nous souhaitions utiliser le terme « autisme », cependant il nous a été opposé que l'autisme est un diagnostic alors que le trouble est une manifestation. Un document rédigé par l'éducation nationale ne peut contenir un diagnostic, il nous a donc été interdit d'utiliser le terme « autisme ».

Françoise Laborde - Nous entendons vos réactions et nous considérerons d'éventuelles possibilités de modifications.

Intervention de la salle - L'injonction est nécessaire pour que des avancées soient possibles. Nos enfants ne peuvent attendre que l'éducation nationale prenne le temps d'évoluer.

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