PREMIERE TABLE RONDE :
LA CONTROVERSE SUR LES OGM : IMPACT SUR LA SANTÉ

M. Frank Foures, directeur adjoint de l'évaluation des risques, en charge de l'alimentation à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). - Messieurs les sénateurs et messieurs les députés, nous sommes très heureux de participer à cette réunion au programme passionnant et de présenter le travail fourni par l'ANSES à la demande du Gouvernement à la suite de la publication de l'étude de l'équipe du professeur Séralini.

Le Gouvernement nous a posé deux questions. La première consistait à apprécier si cette étude était conclusive quant aux risques sanitaires et remettait en cause les évaluations précédentes du maïs NK 603 et de l'herbicide Roundup. La deuxième visait à déterminer si cette étude et l'ensemble des connaissances scientifiques disponibles justifiaient une remise en cause ou une évolution des lignes directrices actuelles prévues dans la réglementation européenne.

Dans cette perspective, l'ANSES a créé un groupe d'expertise collective d'urgence en rassemblant des experts aux compétences variées en puisant dans les collectifs d'experts qui ont été récemment renouvelés au sein de l'ANSES. Nous avons veillé au risque de conflits d'intérêt . Vous trouverez la composition du groupe constitué en annexe de l'avis et les déclarations publiques d'intérêt des experts sur le site de l'ANSES.

L'étude du professeur Séralini ayant suscité de vifs débats dans la communauté scientifique, l'Agence a souhaité prendre du recul afin de travailler dans la sérénité, loin des polémiques, en alliant une grande rigueur scientifique et une attitude de vigilance et d'écoute des signaux tirés d'un tel travail, quelles que soient ses faiblesses.

Nous avons tout d'abord souhaité auditionner les principaux protagonistes du débat, dont l'auteur de l'étude que nous avons entendu le 10 octobre dernier et qui nous a fourni des données permettant d'approfondir notre travail. Nous avons également rencontré le président de l'association Générations Futures. Nous avons aussi sollicité la firme Monsanto, qui nous a proposé une contribution écrite. Ces différentes contributions sont disponibles sur le site de l'Agence.

Tout en menant de manière complètement indépendante notre expertise, nous avons veillé à nous coordonner avec les autres instances ayant travaillé sur l'étude : au niveau communautaire l'EFSA, mais aussi nos homologues allemands et néerlandais ainsi que le HCB au niveau français. Nous nous rejoignons très largement sur plusieurs points essentiels de faiblesse de l'étude. Toutefois le travail de l'ANSES a cherché à dépasser la simple analyse critique en faisant le point sur les autres études disponibles et en analysant les conclusions qui pouvaient en être tirées.

Les experts ont estimé que, sur les 24 études de plus de 90 jours référencées dans la littérature, seules deux étaient comparables à celle de Gilles-Eric Séralini. À cet égard, nous avons tenu à souligner l'originalité de ce travail au-delà de ses faiblesses. Je ne vais pas détailler les résultats de ces trois études. Elles sont toutes les trois assez différentes. Ces trois études ne sont pas des études réglementaires, qui auraient donc été commanditées par un industriel en vue d'obtenir l'autorisation d'un produit. Ce sont des études de recherche, c'est-à-dire des études menées par des scientifiques appartenant à des institutions publiques. L'étude de Sakamoto est commanditée par un institut de santé publique japonais, l'étude de Malatesta est financée par le ministère de la santé italien et l'étude de Gilles-Eric Séralini est celle qui nous conduit à être ensemble aujourd'hui.

Les deux premières études, même si elles mettent en évidence certains effets, notamment pour l'étude de Manuela Malatesta, sur l'expression des protéines hépatiques, ne mettent pas en évidence d'effets de pathologie ou de mortalité sur les animaux. L'étude de Gilles-Eric Séralini visait, quant à elle, à étudier la toxicité à long terme d'un maïs tolérant au glyphosate et d'un herbicide, le Roundup GT Plus via la voie alimentaire. Le protocole de l'étude prévoit un échantillon de 200 animaux et teste un grand nombre de paramètres : trois doses d'OGM non traités, trois doses d'OGM traités au glyphosate, trois doses de Roundup dans l'eau de boisson. Il s'agit donc d'une étude large, qui suit un grand nombre de paramètres biochimiques, mais qui répartit les animaux en vingt groupes de dix animaux, c'est-à-dire des lots de petite taille, ce qui a été largement commenté.

Les trois études présentent chacune un certain nombre de faiblesses. Je ne les détaillerai pas. L'ANSES considère que la faiblesse centrale de l'étude de Gilles-Eric Séralini réside dans le fait que les conclusions avancées par les auteurs sont insuffisamment soutenues par les données présentées dans la publication. Après analyse statistique des données de mortalité et d'apparition de tumeurs ou de pathologies, aucun écart statistiquement significatif n'a été mis en évidence entre les différents groupes traités et les groupes témoins.

Le choix du type de rat a été décrié, mais il faut savoir qu'il s'agit d'une lignée de rats qui est couramment utilisée pour ce type d'expérience. Selon nous, ce choix n'est pas en soi à critiquer et il ne pose pas spécifiquement de problèmes spécifiques pour des études courtes. Il est toutefois important de savoir que cette souche de rat, à un certain âge, développe spontanément des pathologies, notamment tumorales (de l'ordre de 50 % de tumeurs spontanées sur ces rats à l'âge de deux ans). Par conséquent, avec dix rats par groupe, une étude aussi longue ne permet que de déceler des différences très importantes entre les groupes et présente donc le risque de ne rien déceler de significatif. C'est ce que nous avons observé en analysant cette étude. Aussi, l'expertise menée par l'Agence conclut que les résultats de ce travail de recherche ne permettent pas à eux seuls de remettre en cause les évaluations réglementaires précédentes sur le maïs NK 603 ou le Roundup.

Nous avons souhaité mettre en avant un deuxième point. Peu d'études sont disponibles sur les effets potentiels d'une exposition sur une durée de vie entière à des OGM associés aux préparations phytopharmaceutiques. Cette préoccupation d'une meilleure prise en compte des effets à long terme des OGM ou des effets chroniques rejoint également la position prise par l'Agence en 2011 qui visait à renforcer les conditions de réalisation des études qui sont requises dans le cadre réglementaire. Nous souhaitons que cette proposition déjà formulée par l'Agence dans un rapport soit rapidement prise en compte au niveau du cadre réglementaire européen et nous souhaitons vivement que ce cadre soit rapidement adopté.

L'Agence émet en outre plusieurs recommandations.

Premièrement, il convient d'engager de nouvelles études sur les effets à long terme des OGM associés aux pesticides . Nous considérons que ces études devraient être menées sur la base de protocoles d'investigation précis. L'ANSES est prête, en association avec d'autres partenaires, à participer à l'établissement des principes généraux de tels protocoles d'étude.

Deuxièmement, il est nécessaire de renforcer les recherches sur les effets des expositions cumulées, ce que nous appelons les « effets cocktails » . L'Agence s'est investie sur ce sujet depuis longtemps et a lancé en 2007 un projet qui est actuellement soutenu par l'ANR, le projet dit « Périclès ». Le projet arrive à son terme, mais nous considérons aujourd'hui qu'il faut mobiliser davantage la communauté scientifique sur ce sujet qui relève d'une problématique de recherche fondamentale pour mieux documenter les interactions potentielles, notamment entre les substances actives et les co-formulants.

Enfin, notre dernière recommandation constitue la conséquence logique des deux points précédents, mais elle s'inscrit dans un contexte qui dépasse largement celui des OGM. Notre agence a besoin de mobiliser des financements publics nationaux ou européens qui soient consacrés à la réalisation d'études ou de recherches d'envergure visant à mieux consolider les connaissances dès que nous sommes confrontés à un risque sanitaire insuffisamment documenté .

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Je donne maintenant la parole à Monsieur Pagès, qui est président du Conseil scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). - Merci Monsieur le premier vice-président, merci Messieurs et Mesdames les députés. Mon approche sera complémentaire de celle de l'ANSES et sera un peu plus précise sur les données de l'article qu'il nous avait été demandé de commenter. Plus modestement que l'ANSES, le Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies s'est attaché à l'analyser avec la rigueur scientifique qui est celle qui a toujours prévalu dans ses analyses.

Pour commencer je ferai quelques commentaires sur la souche de rat utilisée. La souche de rat Sprague Dawley est relativement ancienne et connue pour présenter des tumeurs de façon spontanée ainsi que des anomalies hépatiques et rénales. Le schéma que je vous présente montre les variations d'apparition de tumeurs mammaires. Il apparaît une oscillation entre 30 et 70 % de tumeurs. L'étude de M. Séralini avance que ces tumeurs pourraient résulter de l'alimentation en particulier en NK 603 et en Roundup. Les données historiques montrent pourtant que l'alimentation semble assez indépendante de l'apparition de tumeurs.

Nous nous sommes penchés sur une étude interne de la société fournisseur de rats, la société Harlan, qui mentionne une fréquence d'apparitions de tumeurs comprise dans la fourchette de l'étude de Gilles-Eric Séralini. Or ces rats avaient bénéficié d'une alimentation exempte d'OGM. Les tumeurs mentionnées dans l'étude de Harlan n'étaient ainsi ni le résultat d'une alimentation en OGM, ni un effet du Roundup. Toutefois, les aliments utilisés pour nourrir les rats en laboratoire sont issus de cultures traitées avec des herbicides.

Premier constat, les rats développent spontanément des tumeurs et avec des oscillations relativement importantes.

Au travers d'une analyse statistique que nous avons conduite, nous avons constaté que les tumeurs se distribuaient de façon homogène entre les groupes (groupes contrôles et groupes objets du test). Nous ne pouvons ainsi conclure à l'existence d'une différence d'apparition de tumeur et de relation tumeur-survie chez ces rats.

L'étude de Monsieur Séralini revendique également l'apparition plus fréquente et plus précoce des tumeurs. Là encore, nous avons élaboré une bibliographe relativement exhaustive et nous constatons que des tumeurs apparaissent dès 12 semaines chez les animaux de laboratoire. Dès lors, il n'est pas possible d'affirmer qu'une différence existe entre la souche Sprague Dawley standard quelle qu'en soit l'origine et les observations de l'étude.

De plus, l'étude affirme avoir identifié des anomalies biologiques, qui seraient validées statistiquement. Ces anomalies sont-elles l'indication d'une atteinte physiopathologique particulière ? Nous constatons que les données biologiques commentées dans l'article sont obtenues à 15 mois. En revanche, les données histologiques sont, pour leur part, obtenues en fin d'étude, en tout cas à l'autopsie des animaux, ce qui pose une question de temps entre l'observation histologique et la validité des données biologiques. De plus, sur aucune donnée histologique, il n'est présenté de fréquence de ces anomalies.

Toutes les anomalies revendiquées sont un peu discordantes. Il en est de même des anomalies hépatiques et les désordres hormonaux, qui sont utilisées comme des variables explicatives des tumeurs, selon nous, ne sont pas supportées par les données.

Dans le cas des anomalies rénales, plusieurs paramètres sont liés les uns aux autres. Aussi est-il normal qu'ils varient de la même façon, mais il est étonnant d'observer que le paramètre central de l'insuffisance rénale qui est théoriquement l'augmentation de la créatininémie se trouve diminué. De la même façon, le potassium, également un paramètre important, se trouve lui aussi diminué. Enfin, un paramètre qui était attendu, à savoir la présence de protéines dans les urines, n'est pas retrouvé

Je ne m'étendrai pas d'avantage sur les paramètres hépatiques.

Nos conclusions sont relativement simples. Sur le plan observationnel, on ne peut pas distinguer la souche de rats Sprague Dawley de l'étude, quels que soient les traitements qui lui ont été donnés, de la souche standard. Sur le plan biologique, les différences statistiques constatées ne sont corroborées par aucune des analyses présentées. Le Comité scientifique du HCB a ainsi conclu à l'absence d'indication de risque sanitaire à la suite de cette étude. Voilà pour la première partie. Passons maintenant aux suites de cette étude.

La délégitimation des instances d'expertise tant sur le plan français que sur le plan européen est extrêmement délétère. Il faut que nous retrouvions une légitimité de ces instances d'évaluation . La diversité des instances dans les États membres, la diversité, la compétence et la sélection des experts dans les instances comme le Haut Conseil des Biotechnologies me semble largement suffisante. Elle est plus plurielle, elle est très contradictoire, je peux vous le garantir de par les discussions que nous avons au moins en comité scientifique.

Nous devons par ailleurs rappeler la portée des études réglementaires actuelles, qui sont de trois ordres. Ces études donnent des indications et les autorisations ont été données car ces études n'ont rien révélé.

Lors de la saisine, il nous a été aussi demandé si nous devions réviser ou non les lignes directrices. Ce travail a déjà été entrepris de manière récurrente par l'AFSSA qui est devenu l'ANSES . L'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) le remet assez régulièrement à son agenda. C'est donc une question que nous allons aborder de nouveau.

Nous connaissons les limites des études réglementaires. Le Comité scientifique du HCB le rappelle de façon régulière. Les pétitionnaires évoquent souvent la notion d'innocuité quand bien même ils ne disposent pas de la puissance statistique permettant d'effectuer une telle revendication.

Quelles seront les orientations futures ? Plusieurs travaux, dont deux projets bénéficiant de financements européens, sont en cours. Le projet GRACE étudiera les études d'amont avec la préoccupation d'une réduction du nombre d'animaux qui sont mis en oeuvre dans ces études. Le deuxième projet, en lequel nous plaçons de fortes espérances, a trait à la surveillance épidémiologique. La situation dans laquelle nous sommes actuellement est probablement le résultat d'une absence de données de suivi épidémiologique, qui auraient pu constituer un garde-fou face aux effets éventuels des OGM.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci à vous. Nous avons entendu les deux agences qui ont été saisies par le ministre. Vous avez entendu les conclusions. Monsieur Séralini, vous venez d'entendre un certain nombre de critiques formulées à l'égard de votre étude. Que pouvez-vous nous dire sur cette étude, sur sa réalisation, sur la controverse qu'elle suscite ? Quels arguments pouvez-vous avancer afin de défendre votre publication scientifique ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Merci Monsieur le vice-président. Je remarque tout d'abord que la répartition du temps est inégale dans la mesure où l'ANSES et le HCB n'ont pas un avis favorable à l'étude. Je soulignerai également que le débat d'aujourd'hui est national. Or le débat qui nous touche nous, responsables de l'étude, est, lui, d'une portée internationale. Il s'exprime par exemple au sein de la revue Food And Chemical Toxicology , qui, comme les normes éthiques l'exigent, a publié les réponses de nos adversaires et en particulier de Monsanto. Ce dernier interlocuteur demande même le retrait de l'étude, alors que je n'ai rien de spécifique contre telle ou telle entreprise. Nous comptons également parmi nos adversaires certains scientifiques travaillant pour Monsanto de façon déguisée ou non et qui s'exprimeront ici, dans cette salle.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je demanderai à ceux qui travaillent pour Monsanto de le dire.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Ou qui travaillent dans leurs cabinets de lobby européen ou avec eux.

La revue a mis quatre mois à expertiser ce travail et a abordé tous les points soulevés par l'ANSES et le HCB . Ces deux agences ont pour rôle d'étudier la validité des produits et d'émettre des avis à destination du ministère de l'Agriculture en particulier en vue d'une mise sur le marché. Elles sont parfois amenées à analyser très rapidement des articles scientifiques sans nécessairement disposer des outils d'analyse nécessaires et sans s'appuyer sur des meilleurs spécialistes du domaine en question. Tel n'est en revanche pas le cas d'une revue scientifique internationale, qui peut consulter des experts dans le monde entier. Le nombre de spécialistes du sujet étant très faible, je ne cherche aucunement à jeter le discrédit sur les experts des deux agences.

La présentation d'aujourd'hui porte uniquement sur le maïs transgénique NK 603 quand notre étude porte également sur le Roundup. Ces deux éléments sont pourtant indissociables car ce maïs transgénique a été modifié pour absorber du Roundup sans mourir.

Je suis extrêmement choqué par la faute professionnelle commise par les agences qui n'ont pas en même temps évalué les études de mise sur le marché de la société Monsanto. Vous affirmiez que la puissance statistique de Monsanto était insuffisante pour permettre d'autoriser la mise sur le marché d'un produit. Cette société utilise pourtant des tests comparant des souches traitées et non traitées de dix rats concluant à l'innocuité du produit.

Nous soulignons ainsi deux incohérences. La première est de maintenir la confidentialité des études de la société Monsanto. La deuxième consiste à ne pas comparer des éléments comparables . De façon à ce que la communauté scientifique dans son ensemble - et non pas une quarantaine de scientifiques qui ont publié dans la presse sur ce que nous avons fait - puisse procéder à une évaluation, nous avons décidé de placer l'ensemble des données brutes qui ont permis la publication de notre travail chez un huissier. Ces données seront rendues publiques lorsque nous obtiendrons les données du Roundup. Mais j'ai cru comprendre que les données du Roundup n'étaient pas en France ou à l'EFSA, mais seulement dans le bureau allemand qui a réalisé très rapidement une contre-expertise défavorable sur notre étude, le BFR. J'espère que le ministre de l'Agriculture, qui doit se rendre en Allemagne, pourra demander ces données, puisque les agences devraient les avoir eues quand elles permettent les autorisations et les réévaluations d'un produit. Nous pourrons alors comparer les comparables.

Nous nous sommes évidemment adressés à la société Harlan avant de commencer l'étude. Cette société ne peut garantir une alimentation des rats sans OGM. Nous avons ainsi fabriqué des croquettes témoins garanties sans OGM ni pesticides, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble des données historiques. La fluctuation de 30 % à 70 % des tumeurs est ainsi plutôt due au non-testage de la nourriture des animaux de laboratoire qu'à un résultat scientifique valable. Nous avons donc pu effectuer des comparaisons grâce à des contrôles sur des rats qui ne mangeaient ni OGM, ni résidus de pesticides.

Ensuite, nous avons dosé les pesticides et OGM que nous avons fait pousser dans la nourriture des traités et nous avons obtenu une tumeur chez les mâles témoins et 3 à 4 sur l'ensemble de l'étude avec les femelles traitées et 5 à 6 les tout derniers jours de l'expérience sur les femelles témoins. C'est-à-dire que nous avons 3 à 4 tumeurs chez les témoins pendant l'ensemble de l'expérience et 5 à 6 à la toute fin. Nous pouvons donc comparer 14 tumeurs ou 10 tumeurs à cela.

Évidemment, nous n'avons fait aucune statistique et les statistiques de Monsieur Lavielle ou du HCB ont conclu à l'absence de puissance suffisante pour confirmer ou infirmer l'existence d'un effet lié au traitement. Voilà ce que révèlent les statistiques interprétées par le HCB.

Nous avons cependant effectué des statistiques avec une très bonne puissance, très discriminante, sur l'ensemble des données biochimiques . Les paramètres présentent une cohérence biologique avec les résultats obtenus, puisque nous avons eu trois groupes de paramètres et le fait qu'ils ne soient pas liés n'avaient pas d'importance dans le domaine des études variables multiples. Nous avons obtenu que certains paramètres hépatiques rénaux et les paramètres hormonaux étaient déréglés et cela était fait à l'aveugle puisque le statisticien ne connaissait pas les traitements. D'autre part, les anatomopathologistes agréés qui ne connaissaient pas non plus les traitements et qui ont été payés pour faire leurs analyses, ont attesté que les pathologies les plus fréquentes étaient les pathologies hépatiques rénales et surtout les tumeurs mammaires et que le deuxième organe le plus touché chez la femelle était l'hypophyse. Nous savions que nous avions là des pathologies hormono-dépendantes chez la femelle et des pathologies hépatiques et rénales chez les mâles. Ils nous ont même attesté que les morts étaient dues à ces pathologies puisque, dans certains cas, pour éviter la souffrance, nous avons même dû les euthanasier quelques jours avant leur mort naturelle.

Faut-il dire « circulez, il n'y a rien à voir » et continuer à valider ces produits ? Ou alors faut-il réaliser davantage d'études ? Comme l'a remarqué l'ANSES, seules deux études sont comparables à la nôtre, parce que les études de deux ans sur porc ou sur vache ne sont pas des études vie entière. Dans les études comparables, nous avons produit l'étude la plus fouillée et détaillée, aussi bien sur le Roundup que sur le maïs OGM NK 603 .

Aujourd'hui, même le Roundup ne semble pas avoir été évalué au-delà de quelques semaines. Je ne parle pas du glyphosate, un des composés du Roundup, dont nous avons montré récemment par une nouvelle étude publiée dans Food and chemical toxicology qu'il y avait des composés encore plus toxiques dans les produits classés inertes du Roundup et que le mélange était plus toxique que le glyphosate lui-même.

Si, mesdames et messieurs, vous acceptez une société dans laquelle la composition des produits et les analyses de sang réalisées par les industriels et validées par les agences sont tenues secrètes, dans laquelle un maïs transgénique n'est pas évalué plus de trois mois et un herbicide pas plus de quelques semaines sur la santé, libre à vous de faire un tel choix. Pour ma part, en tant que scientifique, je ne m'y résous pas.

Le principal grief qui nous est reproché tient au fait que les groupes que nous avons étudiés ne sont constitués que de dix rats par groupe. Mais s'il fallait supprimer l'ensemble des études de biologie qui ont dix rats par groupe ou moins, je crois que c'est 98 % de la biologie qui tomberait . Nous aurions aimé pouvoir réunir 6 millions, 20 millions d'euros et effectuer une étude avec 10, 50, 100 rats. Je crois que nous ne pouvons éviter le in vivo aujourd'hui en tant que scientifiques puisque, de toute façon, c'est la dernière étape avant de donner ces produits à manger à l'ensemble des animaux de ferme et de laboratoire. C'est une question d'éthique animale et bien sûr d'éthique humaine, parce que vous me permettrez de toujours préférer un enfant à un rat.

Aujourd'hui, nous devons aller plus loin. Si des doutes subsistent, refaisons une étude plus détaillée, par d'autres, mettons au point un protocole indépendant . Acceptons, non pas l'expertise indépendante qui est un mythe, mais l'expertise contradictoire pour aller vers la transparence. Au point où nous en sommes, les États ont tellement demandé aux grands instituts de recherche de travailler avec des industriels qu'un réseau et une corporation d'intérêts se sont développés avec le temps.

Je voudrais vous dire aussi que la revue Food And Chemical Toxicology publiera notre réponse détaillée à l'ensemble des critiques. J'ai reçu plutôt des commentaires des éditeurs disant que leur processus d'évaluation avaient été excellents et qu'ils étaient écoeurés par les liens qui avaient été mis à jour par certains journalistes, en particulier sur le blog de Rue 89 , entre les réseaux qui nous ont critiqués au niveau international et l'industrie qui avance déguisée. Je crois qu'aujourd'hui, chacun peut se rendre compte de cela en menant sa propre enquête. 140 scientifiques français ont expliqué qu'ils n'acceptaient pas les propos de ceux qui avaient parlé au nom de la communauté scientifique ou au nom des académies. Ceux qui s'expriment au nom de la communauté scientifique sont en général très présomptueux parce que la communauté scientifique est toujours partagée sur des points, surtout aussi sensibles que celui-ci. Enfin, il y a 193 soutiens internationaux de scientifiques aujourd'hui et 130 associations demandent la transparence sur les données qui ont servi à évaluer ces OGM ; je crois que ce serait la moindre des choses aujourd'hui.

Il me reste bien des sujets à évoquer, ce que je ne peux faire dans le temps qui m'a été imparti. Je tiens à vous remercier de votre attention.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci à vous. Nous allons essayer de poser les questions les unes après les autres. Vous avez parlé des autorisations qui étaient données au niveau européen et mondial sans études. L'ANSES ou le HCB pourra répondre plus tard.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas d'étude, M. Le Déaut. J'ai dit que les études à long terme étaient extrêmement courtes et même les études de trois mois ne sont pas obligatoires .

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Sur la partie extrêmement courte - sur les 90 jours - , nous avons déjà auditionné un certain nombre d'entre vous, dans des auditions auxquelles vous avez participé, qui indiquaient que la subchronicité était visible en trente jours et que, si cela était dangereux, sans statistique, les 30 jours étaient suffisants pour détecter quelque chose de très grave. Je vais laisser la parole à Gérard Pascal, puisqu'il a un avis différent de ceux dont vous rappeliez l'existence tout à l'heure. Nous allons alterner si vous le voulez bien. Vous aurez la parole juste après.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et ancien membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB). - Merci, Monsieur le Président de séance, de me donner la parole. Plutôt que d'OGM, je parlerai de plante génétiquement modifiée (PGM), traitée ou non par des herbicides, et non de produits phytosanitaires, qui dépassent le cadre de mes compétences.

Devant ce débat, nos concitoyens peuvent avoir l'impression que la méthodologie mise en oeuvre pour évaluer la sécurité des OGM tombe du ciel et est assimilable à « un grand n'importe quoi ». Il n'en est rien. Cette méthodologie résulte de développements intervenus depuis plus de vingt-cinq ans. Le travail a commencé en 1983 à l'OCDE par la mise en place d'un groupe de travail chargé d'imaginer une méthodologie nouvelle pour évaluer les risques des produits issus des biotechnologies. Pourquoi une telle demande ? Parce que nous ne savions pas évaluer les risques d'un aliment, à la différence de ceux d'une molécule chimiquement définie comme un médicament, comme un produit phytosanitaire, comme un additif alimentaire ou comme un contaminant. Avec ces composés, on peut forcer la dose, ce que l'on ne peut pas faire avec un aliment si bien que l'on ne dispose plus d'une marge de sécurité pour passer de l'expérimentation animale à la situation réelle sur le terrain du consommateur exposé à des molécules.

Dans le cas du maïs par exemple, nous utilisons des régimes alimentaires à teneur de maïs maximale supportable par le rat, soit 33 %. Certaines populations mexicaines mangeant une quantité similaire de maïs, nous n'avons plus de marge de sécurité. Il fallait donc inventer une nouvelle méthodologie.

Au risque de vous surprendre, aucun des aliments que nous consommons tous les jours n'a jamais été évalué en termes de sécurité sanitaire, à l'exception des aliments irradiés et de quelques aliments cuits et réchauffés au four à micro-ondes. Pour le reste, l'évaluation résulte au cours des siècles d'une expérimentation en vraie grandeur un peu brutale : l'exclusion des aliments toxiques à la suite d'accident mortel.

En 1986, la France a été le premier pays à se doter d'une commission spécialisée, la Commission du génie biomoléculaire. L'OCDE et l'OMS ont avancé quelques propositions au début des années 1990 tandis que l'Union européenne est entrée dans la partie à l'occasion d'une question posée par nos collègues britanniques sur l'évaluation du risque lié à la présence de gènes de résistance aux antibiotiques dans un maïs OGM.

En 1997, l'OCDE a organisé en France une réunion sur l'évaluation de la sécurité sanitaire des nouveaux aliments en général, mais évidemment, les PGM étaient au centre du débat. À cette époque, nous avons débattu entre autres de l'opportunité des expériences toxicologiques à 28 jours. À cette époque, à partir d'une expérimentation à 28 jours, j'ai pu identifier une toxicité manifeste dans un colza génétiquement modifié, le GT 73, due à une teneur en toxique naturellement présent dans le colza, les glucosinolates, qui était supérieure dans le lot génétiquement modifié par rapport au témoin parce que celui-ci avait été mal choisi. Si vous avez des questions sur ce point, je suis prêt à y répondre.

Depuis, bien d'autres réunions internationales ont eu lieu. Au début des années 2000, nous avons assisté à une multiplication de réunions internationales, de projets de recherche européens. En particulier, le projet Entransfood, qui regroupait cinq projets de recherche, a publié ses résultats dans la revue Food And Chemical Toxicology . Le projet Safe Food a publié ses résultats dans Food Control . De son côté, l'EFSA, créée en 2003, a publié en 2008 dans Food And Chemical Toxicology un rapport important sur les lignes directrices, qui abordait notamment le rôle de l'expérimentation animale.

L'approche retenue aujourd'hui pour évaluer la sécurité sanitaire aussi bien en France qu'en Europe se base, conformément aux recommandations de l'OCDE et de l'OMS, sur le fait que nous ne savons pas bien évaluer un aliment. Elle retient donc une étude comparative entre une PGM et un comparateur, une plante considérée comme témoin aussi proche que possible de la PGM et éventuellement des variétés du commerce. La comparaison se situe au niveau moléculaire, porte sur l'aspect, les performances agronomiques, les résistances à différents agresseurs (micro-organismes, virus, insectes), la résistance aux facteurs climatiques et la composition. Des tests in silico , in vitro , puis in vivo ont ensuite lieu, ainsi que des tests subchroniques à 90 jours. Contrairement à la France, l'Union européenne n'exige pas réglementairement ces derniers tests. La méthodologie a ainsi évolué en permanence.

Que faire aujourd'hui ? La méthodologie mérite, certes, d'être encore améliorée. Loin de moi l'idée d'affirmer que les PGM ne présentent aucun risque. J'estime toutefois que, si un risque existe, la méthodologie actuelle permet d'allumer certains signaux qui incitent à poursuivre les recherches sur ce risque. Nous ne répondons cependant pas à toutes les questions et ne pouvons mettre en évidence des effets négatifs discrets qu'avec des méthodes très sensibles. Dans mes dernières années de travail à l'INRA, j'ai orienté un certain nombre d'équipes sur de nouvelles voies. Ainsi, un travail initié en 2004 et publié en 2011 montre que la métabolomique, une nouvelle voie d'approche, a permis d'obtenir des résultats intéressants sur un autre maïs génétiquement modifié, le MON 810.

Deux projets de recherche ont, pour l'un, déjà démarré et, pour l'autre, va démarrer début 2013. Des équipes françaises y participeront, en particulier des équipes que j'avais incitées à explorer un certain nombre de voies nouvelles. Je veux parler du projet MARLON qui est une étude épidémiologique sur les animaux, et du projet GRACE, qui ont déjà été évoqués.

En matière de pratiques, bien des progrès ont été réalisés. Les déclarations d'intérêt sont aujourd'hui publiques . Chacun peut donc les consulter bien que les modalités soient diverses. Un manque de transparence, résultant sans doute de mauvaises habitudes de nos administrations, a longtemps prévalu. La transparence s'est depuis améliorée et est presque totale dans le cas des PGM et des PGM traitées. Il est aujourd'hui possible de demander à l'EFSA la communication électronique de tous les dossiers, avec les données brutes . L'EFSA refuse de les mettre sur le site, mais chacun d'entre vous peut téléphoner à l'EFSA et recevra les données brutes de chaque dossier.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Séralini, vous pourrez donc nous transmettre vos données .

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Non, ces données sont sous copyright . Si chacun, dans son coin, réalise l'étude sans pouvoir parler des données brutes, il y a un grave problème.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l'INRA et ancien membre de la CGB. - Je ne vous ai pas interrompu pendant votre présentation.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je lui permets de prendre la parole puisque je l'ai interpellé. C'est le débat.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Il ne s'agit pas de fournir des données sous copyright que chacun dans son coin puisse photocopier, mais il s'agit de fournir les données qui puissent être exploitables électroniquement pour calculer des statistiques sur l'OGM NK 603 et le Roundup . Monsieur Pascal a affirmé qu'il ne parlait pas des pesticides. Il est donc clair qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Ceci ne devrait pas être couvert par le secret industriel, ce que les agences ont pourtant permis en statuant sur des produits qui étaient couverts par le secret industriel. Ce n'est pas la fabrication des produits qui est en cause mais les analyses de sang permettant l'évaluation de ces produits pour qu'ils soient mis sur le marché, à la fois pour le Roundup, pour les pesticides et pour les OGM. Nous sommes loin d'être à ce point aujourd'hui pour que ce soit sur un site public et non sous copyright. Je demande à tous les statisticiens qui ont travaillé sur mon étude d'inclure à leur liste les données de l'OGM NK 603 et du Roundup. Ensuite, nous pourrons parler.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l'INRA et ancien membre de la CGB. - J'ai parlé du NK 603 traité ou non. Je ne parle que de sujets sur lesquels j'ai une compétence. Ces données sont disponibles, sous forme informatique. Chaque statisticien peut donc utiliser les données brutes. Les seules informations qui ne figurent pas dans ces dossiers sont les noms des auteurs des études toxicologiques.

Je suis heureux d'avoir eu l'occasion de participer à l'amélioration de l'approche méthodologique. Toutefois, je ne prétends pas qu'elle soit parfaite mais estime qu'elle doit être perfectionnée. Je suis par ailleurs fier d'avoir participé, à mon échelle, à la constitution de l'AFSSA puis de l'ANSES ainsi qu'à celle de l'EFSA. Je vous remercie.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Concernant l'accès aux données, des textes réglementaires au niveau européen précisent ce qui est confidentiel et ce qui doit être mis à disposition. Des débats existent sur ce que recouvrent les termes « mis à disposition » . En effet, s'agit-il de rendre disponible sur un site public ou de transmettre à la demande ? Les analyses juridiques des différents textes européens tendent vers la deuxième solution. Par ailleurs, les données sont généralement fournies sous forme de fichier PDF. Nous avons récemment demandé que les données puissent être fournies sous une forme électronique permettant un travail direct sur les données sans ressaisie nécessaire. En tant qu'agence publique, nous sommes favorables à la plus grande transparence mais dans la limite de l'application des textes législatifs et réglementaires.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Deheuvels, vous avez publié plusieurs articles sur les méthodes statistiques, vous êtes membre de l'Académie des sciences et vous avez soutenu l'analyse statistique de Monsieur Séralini. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Je ne parle ni au nom d'une agence, ni d'un laboratoire, ni d'une structure. Dans le débat présent, je ne représente que moi-même. J'ai fait des recherches statistiques depuis plus de quarante ans, ayant été, accessoirement, expert auprès de la Direction générale de Sanofi durant près de trente ans. J'ai, à ce titre, été amené à apprécier des études de toxicologie, tout particulièrement dans le cadre de la mise sur le marché de médicaments. Les biostatisticiens de l'industrie pharmaceutique ont tous eu l'expérience de voir interrompre le développement de candidats médicaments en raison d'une présomption de toxicité. Une suspicion d'effets toxiques sur l'homme peut se fonder sur des études de toxicologie humaine ou animale, sans que cette toxicité ait été, pour autant, formellement démontrée par une étude statistique suffisamment puissante . Une entreprise pharmaceutique est, généralement, peu disposée à investir dans la poursuite du développement d'une molécule pour laquelle une suspicion de toxicité a été émise.

Dans les études de toxicité d'un médicament, la statistique est utilisée par un usage conjoint de batteries de tests, destinés à passer en revue les possibles anomalies des grandeurs d'intérêt, sans qu'on sache à l'avance celles qui pourraient être concernées, et où on traite un à un chacun des différents marqueurs biologiques. En effet, personne ne sait vraiment comment décider le caractère significatif d'un effet particulier, lorsqu'on fait un usage conjoint de techniques variées, intégrant une multiplicité de tests statistiques appliqués à un grand nombre de marqueurs. C'est un problème répertorié dans la littérature scientifique sous le nom de « multiple-output data » [« données à résultats d'observation multiples »]. Le diagnostic final est, le plus souvent, prononcé par le toxicologue, qui se base sur sa propre expertise, et n'utilise les résultats des tests statistiques que comme une information particulière, prise parmi l'ensemble de celles dont il dispose.

Doit-il en aller différemment pour un médicament et un aliment ? Le premier est destiné à être administré à un nombre limité de patients dans le cadre du traitement obligé d'une pathologie. À l'inverse, le second sera reçu librement par une population bien plus nombreuse, ce qui devrait logiquement justifier une rigueur accrue dans sa procédure de certification. Pour ce qui concerne l'étude du professeur Séralini, celle-ci s'insère résolument dans le cadre toxicologique, puisqu'elle a été publiée, justement, dans une grande revue de cette spécialité. Elle comporte deux parties : en premier, une composante descriptive et factuelle, dans laquelle les auteurs mentionnent ce qu'ils voient dans leur expérience, et en second, une composante plus réduite comportant des tests statistiques. Que peut-on dire sur ces derniers ? Il n'est possible de vérifier qu'un résultat est démontré par un test statistique significatif seulement à partir des données brutes. Or, celles-ci ne sont pas actuellement publiques dans leur ensemble, néanmoins, j'ai pu obtenir des données de comptage relatives au nombre d'animaux développant des tumeurs au cours du temps, ceci, sous la forme d'un fichier Excel qui m'a été communiqué par l'équipe du professeur Séralini. Une analyse précise de ces données d'occurrence montre qu'elles sont correctement modélisées par un processus de Poisson, pour lequel on peut évaluer les taux quotidiens d'apparition des tumeurs. Les animaux témoins ont un taux estimé de 0.3%, alors que ce taux s'élève à 1%, soit trois fois plus, pour les animaux exposés aux OGM ou à l'herbicide. Cette différence est énorme. Je demande à n'importe quel statisticien de prendre une distribution de Poisson d'espérance égale à 3, et d'évaluer la probabilité d'observer la valeur 9. Cette probabilité est très faible. Dans le même esprit, pour une distribution de Poisson d'espérance 9, une valeur observée de 3 est très improbable. Une évaluation plus précise du niveau de signification de ces différences peut être faite à l'aide de tables de contingence, et on trouve, suivant les cas, des niveaux de signification variant entre 2 % et 5 %. À la seule vue de cette cohorte de données, il est donc possible de vérifier que l'étude du professeur Séralini met bien en évidence des différences statistiquement significatives.

Dans son article, le professeur Séralini a logiquement souligné qu'il était extrêmement difficile d'analyser un à un les quelques cinquante marqueurs mesurés sur les animaux, à intervalles réguliers, et tout au long de l'expérience. Nous avons mentionné plus haut l'existence de cette difficulté technique, et nous pouvons souligner à ce sujet la pertinence de l'utilisation, dans l'étude, de méthodes statistiques, dites de PLS [« partial least squares » pour « moindres carrés partiels »], visant à projeter des observations multidimensionnelles sur des espaces de dimension inférieure. Il s'agit d'une technologie moderne, couramment utilisée dans ce type de problème. L'article mentionne que des différences significatives ont été mises en évidence par cette méthodologie, et j'adhère volontiers à cette idée, puisque les calculs ont été réalisés de manière reproductible avec un logiciel connu. Toutefois, je n'ai pas pu le vérifier moi-même, ne disposant pas des données correspondantes.

Compte tenu de ces éléments, je ne comprends pas que l'ANSES, comme le HCB, se basent sur des analyses de survie, pour déclarer que, selon elles, l'étude du professeur Séralini ne mettrait pas en évidence des différences statistiquement significatives entre les animaux (suivant qu'ils soient alimentés ou non par des OGM, ou recevant ou non des doses d'herbicides) . Des méthodes statistiques inadaptées sont parfaitement susceptibles de ne « rien voir » sur des observations. Le fait que de telles techniques ne mettent rien en évidence ne veut pas dire qu'il n'y a rien, mais pourrait tout aussi bien s'interpréter par un manque de sensibilité des méthodes utilisées. D'autre part, il semble évident, à la lecture de l'article du professeur Séralini, que son expérience n'a pas été conçue comme une analyse de survie. Dans un tel contexte, on aurait cherché à se concentrer sur la comparaison des durées de vie des animaux, et il aurait fallu, pour arriver à des résultat tangibles, des cohortes de rats bien plus importantes que les 200 animaux de l'étude. Pour ce qui me concerne, les données partielles que j'ai pu analyser m'ont convaincu de l'existence d'effets significatifs, contrairement aux conclusions de l'ANSES et du HCB. J'ai tendance à croire que ces agences n'ont pas fait usage des bonnes techniques, mais ceci reste encore à vérifier. Le problème ne pourra être arbitré que lorsque des données complètes seront disponibles. Pour l'instant le fichier de comptage Excel qui m'a été fourni par l'équipe du professeur Seralini (je ne sais pas si je suis ou non autorisé à le communiquer à des tiers) a suffi à déceler des différences statistiquement significatives, et ceci, sans aucun doute possible.

Au-delà de ces remarques, et dans l'état des renseignements dont je dispose, je ne suis pas pour autant convaincu que cette étude suffise à démontrer définitivement la nocivité du NK 603, comme celle du Roundup à très faibles doses, pour la consommation humaine. Pour l'instant, le moins que l'on puisse dire est qu'elle établit, pour ces produits, de sérieuses présomptions de toxicité, et que celles-ci se doivent d'être vérifiées par des analyses complémentaires. Une étude, comme celle du professeur Seralini, ne constitue, à mes yeux, qu'une étape, dans un processus de certification qui se doit d'être plus étoffé qu'une expérience basée sur 200 rats. Dans le document que j'ai fourni en annexe de mon intervention, j'ai insisté sur le fait que l'analyse d'un produit pharmaceutique fait intervenir plusieurs phases de certification (bien connues sous les appellations de Phases I, II, III, IV). Selon moi, l'étude du professeur Séralini constitue une étude fondatrice, sur laquelle il convient de s'appuyer pour effectuer des vérifications ultérieures. Toute autre interprétation ne serait pas véritablement scientifique. Je pense qu'on a tort de vouloir « enterrer » cette étude, sous le prétexte fallacieux que certaines interprétations statistiques qui ont été faites de ses données ne seraient pas « statistiquement significatives ». Pour ma part, faisant usage d'autres méthodes que celles des agences, je n'ai pas eu de mal à trouver des différences significatives. De plus, mon expérience de statisticien, tant au service de la communauté scientifique, qu'au sein de la pharmacologie, m'a montré que la commercialisation d'un médicament pouvait être abandonnée sur des bases beaucoup plus ténues que celles fournies par le professeur Séralini.

Un médicament est prescrit à quelques centaines de milliers de patients qui l'utiliseront occasionnellement pour traiter les pathologies dont ils sont victimes. Un aliment est, quant à lui, offert à des millions de personnes susceptibles de le consommer en permanence. Je me répète donc en disant que l'étude de certification d'un aliment devrait être effectuée de manière bien plus rigoureuse que celle d'un médicament. On m'objectera que de telles analyses sont onéreuses, difficiles et compliquées, mais je ne vois pas ce qui pourrait permettre d'accepter, une fois pour toutes, un produit courant comme non toxique. La pharmacovigilance permet, par exemple, de constater sur les médicaments la présence d'effets toxiques non décelés à l'origine, en découvrant ces effets a posteriori. Par exemple, il y a un débat aujourd'hui sur la détérioration de valves cardiaques qui serait provoquée par un médicament présent sur le marché de longue date. Je ne citerai pas son nom pour ne pas risquer de reproches. Ce n'est pas le débat du jour, mais il ne viendrait à l'idée de personne que la découverte de tels effets ne serait pas de nature à remettre en cause la certification du produit mis en cause. Il s'agit là, à mon sens, d'un débat qui doit rester factuel et scientifique. Un autre exemple est le suivant. Certains de mes confrères de l'Académie, faisant autorité dans leur domaine, ont affirmé à tort, dans un passé récent, que l'amiante n'était pas toxique au point de justifier son interdiction. Les scientifiques ne peuvent travailler que s'ils conservent un droit à l'erreur, et, en santé publique, il est rare que des « vérités » soient définitives. En tout cas, nous ne pouvons-nous permettre de rejeter une étude sous le seul prétexte que certaines analyses statistiques qui ont été effectuées sur ses données n'ont pas montré de différences significatives. Il faut aller plus loin .

Il existe des centaines de tests statistiques permettant de comparer les moyennes de deux échantillons. L'un pourra déclarer que leur différence est significative, alors qu'un autre ne verra rien. Il est parfaitement possible de tricher avec la statistique, en choisissant la procédure qui aboutit à l'une ou l'autre de ces conclusions, ce qui est, naturellement peu éthique. Par contre, nous ne devons en aucun cas tricher avec des soupçons, et ceux-ci doivent être vérifiés à l'aide d'études complémentaires. L'étude du professeur Séralini a fourni, au prix d'un travail auquel il faut rendre hommage, des soupçons légitimes de toxicité des produits analysés. Elle devrait être complétée par des études additionnelles, afin de vérifier si ces soupçons sont fondés ou non .

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je tiens à répondre sur un point.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Prenez votre tour de parole car les temps sont dépassés.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Il nous avait été annoncé que nous disposerions de dix minutes de temps de parole. Nous ne pouvons confondre un médicament, une molécule introduite intentionnellement dans l'aliment, une toxine présente naturellement dans l'aliment et un aliment . Monsieur, vous ne connaissez sans doute pas très bien la toxicologie alimentaire : une molécule introduite dans un aliment requiert beaucoup plus d'études toxicologiques dans un dossier qu'un médicament parce qu'il n'y a pas de phase d'expérimentation humaine.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - C'est le cas du Roundup dans le maïs NK 603.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Merci Monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs. Je tiens à préciser que j'ai été invitée en tant que présidente de la Société française de toxicologie. Je suis également professeur de toxicologie alimentaire à l'université de Brest. Je suis expert à l'EFSA mais en aucun cas ne m'exprime à ce titre aujourd'hui. Tout ce que je dirai sur l'EFSA est disponible sur le site web. Je ne m'exprime pas au nom de l'EFSA.

La Société française de toxicologie compte 485 membres issus des milieux industriels et académiques concernés par les différents domaines de la toxicologie (toxicologie du médicament, toxicologie cosmétique alimentaire et chimique). Nous comptons parmi nos membres les centres français de toxicologie expérimentale (CRO) et nous gérons le registre des toxicologues européens pour la France.

Je ne reviens pas sur les débats liés à la qualité de l'étude car j'estime que nous devons maintenant tourner la page. Les avis de toutes les agences de sécurité alimentaire ayant évalué cette étude sont unanimes, et moi je crois à la qualité des expertises des agences parce que ce sont des expertises collectives et contradictoires de qualité. Et l'avis est unanime : le protocole d'étude est inapproprié et l'étude est non conclusive .

À la Société française de toxicologie, nous nous sommes demandés pourquoi l'étude est de mauvaise qualité. Nous pensons que l'association qui a diligenté cette étude a été très mal conseillée en toxicologie . Le centre où cette étude a été réalisée n'avait manifestement pas l'expérience de ce type d'étude.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Où l'étude a-t-elle été réalisée ? Tous les journaux l'ont dit. Est-ce bien à Saint-Malo ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Le lieu où les rats ont été élevés est tenu confidentiel puisque ces structures agréées, que le ministère de l'Agriculture possède, travaillent essentiellement avec les industriels et ne souhaitent donc pas révéler le nom de leurs clients.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Il y a en France plusieurs grands centres de toxicologie expérimentale...

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Il existe une dizaine de laboratoires

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - ... qui possèdent l'expérience de ce type d'étude. Ceux-ci sont adhérents de la Société française de toxicologie et ils m'ont affirmé que cette étude n'avait pas été menée chez eux, ce qui est regrettable. Ces centres ont en effet effectué des dizaines voire pour l'une d'entre eux une centaine d'études de cancérogénèse à long terme et disposent de témoins historiques.

Vous devez, Mesdames et Messieurs, prendre conscience des conséquences auxquelles vous n'avez pas pensé. L'image de la toxicologie française dans le monde est très mauvaise. L'image de la toxicologie au sein du grand public est aujourd'hui déplorable et celle de la recherche universitaire française, car il y a des universitaires français impliqués dans cette publication, est dégradée à l'étranger. En tant qu'universitaire, cela ne me fait absolument pas plaisir. Je continue.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je demande à chacun de rester calme. Chacun pourra échanger des arguments.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Merci Monsieur le Président. Je continue de dégager les conséquences de la situation actuelle. Des centaines d'animaux ont souffert pour rien et un budget important a été dépensé pour rien. Trois millions d'euros, m'a-t-on dit, et cela m'a été confirmé la semaine dernière par Monsieur José Bové. Les consommateurs ont peur à partir d'une étude non conclusive et je crois que le grand public a perdu confiance dans la science, ce qui est très grave dans notre société.

Je propose quatre types d'action. Premièrement, des excuses : l'association a été mal conseillée et ne pouvait donc savoir que son étude était mal conçue et donc non conclusive. Ainsi, des excuses auprès du grand public, des toxicologues français, des politiques et de la presse s'imposent. Je pense que les médias ne pouvaient pas savoir que l'étude qui leur était présentée était mal conçue et non conclusive . Des excuses pourraient être faites aux consommateurs et aux toxicologues français. J'ai vu un blog où il était écrit : « Peut-on faire confiance aux toxicologues ? ». Je peux vous dire qu'une telle apostrophe ne fait pas plaisir à la Société française de toxicologie. Des excuses devraient enfin être présentées à certains experts qui ont eu le courage de s'exprimer avant les avis des agences et qui ont été attaqués alors qu'ils avaient exprimés des avis qui ont été confirmés par les agences.

Deuxièmement, faut-il refaire cette étude ? Nous devons à cet effet poser une hypothèse de travail définissant ce que nous cherchons et sur quelles bases . Que cherchons-nous ? Un nouveau métabolite toxique ? Pourquoi pas ? Cela est possible, mais sur quelles bases ? Y a-t-il un doute sur les données qui sont dans ce dossier ? N'ayant pas vu le dossier, je n'ai pas d'avis. Y a-t-il des données de métabonomique qui permettent d'alimenter ce doute ? Je l'ignore. L'étude 90 jours a-t-elle présenté des signes d'alerte nécessitant une étude longue ? J'ai cru comprendre que non, d'après ce que disait Jean-Christophe Pagès. Mais une étude 90 jours n'est pas prédictive d'un effet cancérigène. Par conséquent, cela suffit-il ? L'un de mes adhérents, qui est un toxicologue mondialement connu, a suggéré une étude à 6 mois. Pourquoi pas ?

Où refaire l'étude ? Il serait judicieux d'effectuer la nouvelle étude dans l'un de nos grands centres français à la réputation internationale . J'ai fait effectuer deux devis auprès de tels centres. Le premier devis s'élève à un million d'euros pour 50 à 65 animaux par lot. Le deuxième se situe entre un et trois millions d'euros suivant les options testées. Ces deux devis présentent un montant inférieur aux trois millions que l'étude a, semble-t-il, coûté.

Quels financements ? J'entends partout que la nouvelle étude devrait être financée par l'État, ce qui me met très en colère. Il est impossible de faire financer par l'état des études à 28 jours, des études à 90 jours, des études de reproduction sur des toxines naturelles connues comme étant extrêmement dangereuses. Je serais donc très choquée si l'État accordait un million d'euros pour cette étude. L'étude pourrait être financée par l'association et ses associés qui a alerté, par l'industrie, ou pourquoi pas par un consortium de type Parabens sous le contrôle d'une structure à définir.

Troisièmement, faut-il revoir les lignes directrices et le mode d'évaluation ? J'ai entendu cela partout. Je vais faire un peu d'histoire. Les OGM sont arrivés en France dans les années 90, il n'y avait rien dans les dossiers toxicologiques. Pour ma part, j'en ai évalués quatre. Il y a eu un moratoire de 1998 à 2004. En 2002, l'EFSA a été créée. En 2004, elle a publié les premières lignes directrices. Depuis, l'EFSA a publié douze lignes directrices en dix ans. Elle effectue donc un travail permanent de révision de ces dernières. Je mentionne également deux publications complémentaires, dont une dans Food Chemical and Toxicology , que nous allons finir par boycotter.

S'agissant des risques et des conséquences, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les études toxicologiques que nous avons l'habitude de mener portent sur des substances ou molécules que nous mélangeons à l'alimentation. Il est extrêmement difficile de réaliser des études toxicologiques avec une plante entière. Le maïs se présente comme un cas moins complexe que la tomate, que le rat ne mangera jamais de tomates. Il faut que l'on réfléchisse, non pas à des études 2 ans ou 90 jours, mais en amont, comme a pu le montrer Gérard Pascal. Je m'inquiète de l'apparition d'études « similaires » à celles du professeur Séralini qui visent à solliciter des financements en forçant la main de l'État.

La toxicologie alimentaire française est un parent pauvre et se porte mal. Nous n'en serions pas là si la recherche universitaire et dans les instituts de recherche était beaucoup plus riche. J'invite ainsi les députés et sénateurs à prendre conscience de la nécessité d'aider la toxicologie alimentaire en France, comme elle est aidée en Hollande par exemple, sans quoi nous n'aurons bientôt plus d'experts en la matière d'ici vingt ans.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Je donne maintenant la parole à Monsieur Bellé, qui est spécialiste des phytosanitaires plutôt que des OGM.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Je vous remercie. C'est la première fois que j'ai l'occasion de m'exprimer devant des responsables de ces agences. Je suis professeur à l'université Pierre et Marie Curie et en poste à Roscoff, je suis classe E, je suis toujours en fonction. Six de mes publications de rang A concernent directement le Roundup et deux ou trois publications annexes renvoient au modèle expérimental que j'ai pu utiliser.

Je m'oriente depuis trois ans vers une approche de biologie systémique, visant à étudier les problèmes dans leur ensemble à l'aide de mathématiciens. Je suis biologiste cellulaire. Je ne suis ni toxicologue, ni médecin, ni cancérologue, ni écologiste. Je ne suis par ailleurs ni membre d'une association militante quelconque ni financé par une société industrielle quelconque.

Mon expérience avec le Roundup est fortuite : un article du journal local indiquant que, dans un programme régional, nous avions eu l'intention de réaliser des tests avec le Roundup, m'a valu la visite de personnes de Monsanto. J'ai pu les rencontrer pour la première fois, alors que nous n'avions pas encore entamé les expériences et prévoyions d'utiliser le Roundup comme témoin négatif.

Nous évoquons aujourd'hui deux problèmes : le Roundup et les OGM. Je ne parlerai que du Roundup, car sur les OGM, je n'ai pas d'avis tranché. Je suis très favorable par exemple aux OGM qui permettent de fabriquer de l'insuline pour traiter des personnes malades. Je ne suis pas écologiste, je ne connais pas les problèmes des OGM en plein champ.

Les décideurs se prononcent généralement en fonction du rapport bénéfice-risque. Je ne parlerai pas des bénéfices du Roundup mais uniquement des risques. J'estime que le risque lié au Roundup est extrêmement mal évalué, voire très sous-évalué.

Quelle est la nature de ce risque ? Nous avons tous environ dix mille milliards de cellules dans notre corps et environ un milliard de divisions par jour. Pendant ces divisions, un certain nombre d'erreurs se produisent. Lors de la division cellulaire intervient un checkpoint détectant les erreurs qui a été récemment découvert par les biologistes. Si une erreur est détectée, la division est arrêtée, les erreurs sont réparées et, si elles ne peuvent pas l'être, les cellules sont poussées au suicide selon le mécanisme de l'apoptose. Grâce au checkpoint , les erreurs de division ne conduisent pas à des problèmes. Lors des premières expériences que nous avons réalisées avec le Roundup, nous avons constaté un problème qui nous paraissait un problème de checkpoint : le Roundup active le checkpoint de la division des cellules.

Dans nos travaux, nous avons utilisé le modèle embryonnaire de cellules d'oursins. Ces cellules se comptent par millions et se situent toutes au même stade de division. Les biologistes savent que toutes nos cellules proviennent d'une cellule unique et que le mécanisme de division des cellules est le même pour tous. Il s'agit du mécanisme le plus conservé en biologie : il est le même pour les hommes, les femmes, les rats et les oursins. Nous avons démontré que des doses de Roundup appliquées pendant environ 60 minutes activaient le checkpoint de la division des cellules. Des expériences complémentaires ont permis de montrer que le Roundup affectait l'ADN. Nous avons, de plus, démontré que le glyphosate, qui est considéré comme le produit actif du Roundup, joue un rôle dans ce mécanisme. Il ne peut jouer un tel rôle que s'il entre dans les cellules, ce que le glyphosate seul ne peut faire. Je pose ainsi la question : le glyphosate pur est-il uniquement un produit actif ? Est-il uniquement un herbicide ? Je n'en sais rien et je pense que la réponse est plutôt négative.

Nous avons démontré que quelque chose activait le checkpoint . Qu'est-ce qui peut activer le checkpoint ? Le checkpoint ne peut être activé que par un agent génotoxique agissant au niveau de l'ADN, et ce en moins de soixante minutes. Je regrette que les agences d'évaluation n'aient considéré que des expériences à temps long. Or le problème n'est pas là, le problème est celui des effets à temps long. Nous nous sommes montrés très prudents dans nos publications car nous étions en 2002 les seuls à avoir prouvé une relation de la sorte.

Puisque le temps presse, je vais me concentrer sur la relation avec le cancer. Le checkpoint se présente comme un verrou. Toutes nos cellules - en tout cas nos cellules souches - sont potentiellement cancérigènes : il suffit de les induire. Il n'est toutefois pas nécessaire d'attendre vingt ou quarante ans qui est la durée normale qui s'écoule entre l'induction d'un cancer et les signes cliniques du cancer. L'induction d'un cancer peut être détectée en moins de deux heures et à coût beaucoup plus réduit que ce qu'évoquait Mme Parent-Massin.

Pour déclencher un cancer, le Roundup doit atteindre les cellules humaines, ce qui est possible par inhalation au moment de son usage. L'inhalation ne concerne pas uniquement les professionnels utilisant le Roundup dans la mesure où ce dernier est pulvérisé par hélicoptère ou par avion. De plus, la dernière publication sur la génotoxicité du Roundup est consacrée aux cellules buccales humaines, dans lesquelles le mécanisme génotoxique que je viens d'expliquer a été démontré. Nous trouvons 1 500 publications sur le Roundup dans les bases de données. 404 touchent à la toxicité du glyphosate et du Roundup. Certaines ne font apparaître aucun effet et considèrent qu'il s'agit uniquement d'un problème de dose. Ce sont celles qui testent le glyphosate pur. Environ 80 % des publications démontrent au contraire un effet toxique du Roundup.

Trois types de doses doivent être considérés. L'ingestion de Roundup pur peut être mortelle. La dose d'usage est celle à laquelle le Roundup est pulvérisé ou présent dans les OGM. Je ne connais pas cette dose dans la mesure où 80 % des OGM sont conçus pour être tolérants au Roundup . J'ai constaté dans la réponse de Monsanto à l'ANR que ce qui est mesuré et testé est le glyphosate pur. L'eau que nous buvons contient du glyphosate. Dans ce verre, il y a deux millions de milliards de molécules de glyphosate. Cela surprend. Ce sont des concentrations très basses, mais tout chimiste sait qu'il faut multiplier par le nombre d'Avogadro pour avoir le nombre de molécules réelles. Une seule cellule suffit pour provoquer un cancer. Je vous laisse imaginer, bien que ce soit très peu probable, j'en conviens.

Pour terminer, je voudrais rappeler les deux points essentiels. Le Roundup est potentiellement cancérigène. De plus, les doses réglementaires fournies sont fausses car elles sont considérablement sous-estimées . Je suis très heureux d'avoir pu m'exprimer au sein de cette assemblée. Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Madame Ricroch a été co-auteur d'une méta-analyse sur le même sujet qui s'est opposée à l'étude de Gilles-Eric Séralini.

Mme Agnès E. Ricroch, enseignante-chercheure à AgroParisTech, adjunct professor, Penn State University, États-Unis. - Merci Monsieur le Président. Selon vous, combien y a-t-il de publications sur les plantes transgéniques dans le monde ? 30 000 publications. À l'initiative de feu notre collègue Jean Bergé de l'INRA, nous avons rassemblé les publications existantes sur les OGM dans une base de données. Grâce à un soutien de l'INRA, cette base de données est actualisée en permanence et permet de regrouper toutes les connaissances scientifiques dispersées dans différents journaux, rapports et résumés de congrès. Elle permet d'effectuer un état des lieux qui est à la fois unique et transversal : elle comporte notamment des données provenant des sciences vétérinaires, des sciences agronomiques, de l'écologie et de la biologie moléculaire. Elle permet d'éviter d'effectuer certaines expérimentations et présente un intérêt social pour les experts comme pour les politiques.

Deux impacts des plantes génétiquement modifiées sont à étudier. Nous avons étudié l'impact sur l'environnement, mais je m'exprimerai ici au sujet de l'impact sur la santé. Nous nous sommes penchés sur les études comparant une plante transgénique et une même plante sans transgène. Entre 2004 et 2010, nous avons trouvé 44 études conduites par des laboratoires publics, dont une en collaboration avec une entreprise privée. Jean Bergé, Marcel Kuntz et moi-même avons publié cette recherche bibliographique en avril 2011. Les conclusions des 44 études sont les suivantes. Premièrement, il existe plus de différences entre deux variétés qu'entre une variété avec transgène et la même variété sans transgène. Deuxièmement, l'impact de l'environnement est important : les profils des protéines, des gènes et des petites molécules sont impactés d'un champ à l'autre.

Existe-il un impact de l'OGM sur la santé des animaux qui le consomment ? Je ne vais pas revenir sur la question de l'étude à 90 jours, qui a déjà été traitée par mes voisins de droite et de gauche. Nous nous sommes intéressés à la question du long terme, soit au-delà de 90 jours. Entre 2002 et 2010 ont été publiées 24 études portant sur le long terme ainsi que sur plusieurs générations. Plusieurs pays ont participé à ces 24 études. Toutes ont été produites par des laboratoires académiques financés par des fonds publics. Dans ces 24 études, un grand nombre d'organes et de paramètres toxicologiques sont examinés. Les durées de nourrissage des animaux varient de 26 semaines à 104 semaines. Au total, les études portent sur 340 animaux nourris aux OGM et 436 animaux témoins. Les études portant sur plusieurs générations analysent les descendants des animaux nourris avec une plante comportant un transgène, qui peuvent être eux-mêmes nourris avec le transgène, et ce sur des périodes allant jusqu'à vingt générations. Au total, 1 259 animaux ont été nourris aux OGM et 1 956 animaux ont joué le rôle de témoins.

Notre étude bibliographique fait ressortir plusieurs éléments. Tout d'abord, sept études sont non recevables/critiquables sur le procédé ou sur le nombre insuffisant d'animaux étudiés notamment les études d'une équipe italienne. En revanche, 17 études sur les 24 sont de bonne qualité, c'est-à-dire qu'elles ont une puissance statistique bonne . Ces 17 études confirment les premiers résultats, à savoir qu'il n'existe pas de différences composition nutritionnelle entre une variété transgénique et la variété la plus proche sans transgène. Et aucun auteur ne conclut à des problèmes de dangerosité. Si des différences mineures sont observées, elles sont réputées par les auteurs comme aléatoires et non biologiquement significatives . À ce jour, plus de 1 500 animaux ont été nourris aux OGM testés sur différentes durées supérieures à 90 jours sur un total de plus de 3000.

En conclusion, entre 2010 et 2012, de nouvelles études sont parues et nous effectuons actuellement une nouvelle revue bibliographique. Quatre nouvelles études en 2012 sont parues, dont une s'intéressant à des truies nourries avec un maïs résistant à certains insectes et une autre se penchant sur des rats nourris avec un riz enrichi en lysine. Les études sur les truies proviennent des publications du projet européen GMSA Food qui a été financé à hauteur de 3 420 000 euros entre 2010 et 2012. L'étude GRACE, qui a démarré en 2012 (6.000.000 euros), à laquelle participent l'Europe avec l'INRA, les États-Unis et l'Afrique du Sud, vise à réaliser des études de santé sur les animaux. Je ne parle pas du projet MARLON qui a été largement discuté aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.

Débat

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci beaucoup. Le débat se cristallise autour de deux grands thèmes : l'interprétation statistique et la durée des tests. Nous devons aller vers des données brutes, aussi bien dans le cas des expérimentations que des autorisations. Telle est la base du contrôle par les pairs de l'expérimentation scientifique. L'ANSES a-t-elle pu disposer de l'intégralité des données de l'étude de Monsieur Séralini ? La deuxième question porte sur les tests, à 28 jours, à 90 jours ou tout au long de la vie. Vous avez indiqué le nombre de tests qui ont été réalisés, mais ce n'est pas sur le même OGM. D'où ce que je disais en introduction : le terme « OGM » ne signifie rien.

Il est évident que les paramètres sont nombreux. Une analyse flamande parue dans le journal Food And Chemical Toxicology avance que l'apparition des tumeurs est liée à la quantité de nourriture ingérée par les rats. Avez-vous limité la quantité de nourriture donnée aux rats ? L'étude démontrerait en fait que le rat qui mange plus a plus de tumeurs que d'autres. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Enfin, je me tourne vers l'ANSES : avons-nous du NK 603 chez nous et dans nos aliments ? Avez-vous effectué des études sur ce sujet ? Je vous invite à vous interpeller les uns les autres tout en limitant la durée de vos interventions.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - En 2011, nous avons effectué une méta-analyse sur la quarantaine d'OGM tolérants au Roundup et/ou contenant des pesticides. Je ne voudrais pas escamoter le débat du fait que les OGM puissent être toxiques à cause des pesticides qu'ils contiennent et qu'ils sont faits pour les contenir. Je suis ainsi favorable aux OGM en laboratoire et en milieu confiné permettant d'élaborer des médicaments ou d'étudier le rôle des gènes. Ne prenons toutefois pas l'assiette du consommateur pour la paillasse du scientifique.

Je ne suis pas d'accord avec les interprétations de Madame Ricroch, qui mélange la carpe, le lapin et la vache. Ce sont des expériences vie entière qui peuvent être comparables sur un même OGM. Je tiens donc à souligner qu'aucune de ces expériences ne portait sur le maïs OGM NK 603 et, à ma connaissance, aucune étude sur le Roundup n'a été faite sur la vie entière . Si la société Monsanto et l'ILSI, le cabinet de lobby européen qui défend les industriels et où siège Monsanto, sont prêts à placer chez un huissier, ou les agences qui ont évalué ces tests, l'ensemble des analyses de sang et des données toxicologiques, nous pourrons savoir si des effets significatifs existent et comment ils ont été interprétés ou sous-interprétés par les personnes ici présentes. C'est ce que nous demandons. Nous l'avons dit aux agences quand nous les avons consultées. Nous sommes prêts à mettre toutes nos données sur la table à condition que les autres en fassent de même . Il n'est pas question d'effectuer un procès d'intention et de brûler en place publique quelqu'un sans que soit révélé ce qui a permis les autorisations de mise sur le marché. Ensuite, il est clair qu'aujourd'hui, nous avons des données qui sont largement insuffisantes et sous-exploitées au niveau statistique. Nous sommes en faveur de la plus grande des transparences .

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Je tiens à revenir sur les projections. En collaboration avec l'ANSES, le HCB se penchera sur la question des études qui resteraient à faire. Comme l'a indiqué Mme Parent-Massin, il existe un assez grand nombre de possibilités. Nous interviewerons à ce sujet Monsieur Bellé. Ce type d'approche est relativement intéressant.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Les deux agences ont-elles eu les données brutes ?

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Le HCB est une instance relativement jeune. Nous n'avons pas évalué le NK 603 en tant que tel mais uniquement dans des associations. Nous avions noté que nous nous étions référés aux données de l'AFSSA à l'époque.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je crois que l'ANSES n'a pas pu donner les données brutes du Roundup parce qu'elle n'en disposait pas.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Il m'apparaît évident que les données brutes doivent être fournies dans le cadre des autorisations . Avez-vous raison de ne pas fournir vos données brutes lorsqu'un ministre de la République française demande une analyse à un organisme public français ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Les scientifiques doivent comparer les comparables. J'estime que l'évaluation par les pairs au niveau des revues internationales a déjà été effectuée. Je n'attends pas des agences une évaluation des articles scientifiques mais une évaluation des produits au regard des données scientifiques. Après, elle prend ses responsabilités. J'aimerais d'ailleurs que ce soit une responsabilité pleine et entière au regard de la loi.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je suis d'accord.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Mais il faut que les données brutes du Roundup et du NK 603 soient mises à disposition, et non celles du glyphosate seul. Les données brutes du Roundup tel qu'il a été évalué sur les mammifères.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - En tant qu'agence, nous sommes extrêmement favorables à ce que les données soient fournies de la manière la plus transparente possible, encore une fois, dans le cadre réglementaire tel qu'il existe.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Mettons tout chez un huissier ensemble.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Chez le Président de l'Office parlementaire : ce sera l'huissier.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Dans le cadre phytosanitaire, la réglementation a trait à la substance active (le glyphosate) et au produit. Le glyphosate fait l'objet d'une évaluation au niveau européen . Cette évaluation est confiée à une agence. Pour le glyphosate, une réévaluation est en cours, par notre homologue allemand, le BFR . Dans le cadre d'un dossier substance active, il y a des études long terme sur la substance active plus un certain nombre d'études substance active et co-formulants, le tout constituant un ensemble qui aujourd'hui est au niveau du BFR.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Combien de temps durent ces études sur l'ensemble, c'est-à-dire sur la formulation d'herbicide à base de glyphosate sur mammifères ?

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Je ne saurais pas vous répondre. Pascal Robineau, qui est dans la salle, pourra vous apporter une réponse plus précise.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Techniquement, je pense que vous allez continuer à discuter entre vous.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - C'est très important parce que, sinon, on ne pourra pas comparer les effets à long terme.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Au niveau national, il y a l'évaluation du produit, en l'occurrence le glyphosate et un co-formulant. Il existe réglementairement un certain nombre d'analyses liées aux données toxicologiques d'une part de la substance active et d'autre part du co-formulant. La logique est de tester à court terme, en risque aigu, les propriétés du mélange. S'il apparaît peu d'écarts par rapport aux propriétés de l'un ou de l'autre, on considère qu'il n'y a pas lieu de réaliser des études complémentaires de long terme sur l'ensemble des combinaisons, sachant que, réglementairement, nous avons toutefois la possibilité de demander des études complémentaires si nous constatons que, sur les études court terme, en risque aigu, il existe des éléments qui interrogent quant à des propriétés qui ne seraient pas correctement couvertes par ce que l'on connaît sur l'une et sur l'autre des deux substances.

Par ailleurs, des méthodologies ont été développées pour travailler sur les effets combinés de plusieurs substances actives. Nous souhaiterions que ce type de méthodologies soit étendu à des couples substance active et co-formulant.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Les données brutes sont les résultats, animal par animal, pour tous les examens réalisés : le poids, la consommation alimentaire, le taux de cholestérol, les enzymes, les analyses urinaires, etc. J'ai été expert en pesticides à l'ANSES de 2006 à 2009 et, avant, dans la Com Tox et je peux vous dire que nous disposons de tous ces détails dans les dossiers d'évaluation. L'agence nous les fournit en tant qu'experts. Il en est de même pour un nouvel additif. Il est en revanche malheureux que nous ne disposions pas de ces données pour le cas d'aujourd'hui.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Disposez-vous de ces données pour le Roundup ?

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je ne parlerai pas de cas précis, je parle de la réglementation, je n'ai pas du tout participé à l'évaluation du Roundup et, de toute façon, je suis tenue par un...

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Ou d'un pesticide quelconque. Prenons un pesticide quelconque.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Bien sûr. Les experts...

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Laissez-moi terminer ma question.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Les experts qui vont faire les rapports ont les dossiers.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je sais bien.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Séralini, puisque vous êtes en désaccord, nous, l'Office parlementaire, allons fouiller cette question et, dans le rapport que nous rendrons sur la réunion de ce jour, nous aurons la réponse à cela.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Madame Parent-Massin, je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous avez dit, mais prenons une question sincère.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Toutes les questions sont sincères.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Selon vous, quel est le test le plus long qui a été effectué sur un pesticide en formulation, avec tous ses adjuvants, sur mammifère avec les pesticides actuellement dans la réglementation ?

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. - Je n'ai pas de réponse à vous donner car je ne suis plus expert en produits phytosanitaires.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Pourquoi ? Vous ne vous en souvenez pas ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Nous en parlerons dans ce rapport. Deuxième point, il est évident qu'un désaccord existe entre vous sur la détermination de toxicité subchronique sur des temps courts en disant que c'est ce qui doit être le facteur d'indication d'une toxicité.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je n'ai pas entendu que ce débat soit ouvert. Il est clair qu'à 90 jours, il y a suspicion de toxicité. Même l'EFSA, avec qui je suis souvent en désaccord, a dit que l'on voyait 70 % des effets. Dans le cas du NK 603, nous avons constaté des effets hépatorénaux dans les tests effectués par la société pétitionnaire et nous l'avons publié . Nous estimons que ces effets ont été sous-interprétés par les agences. Si l'on voit 70 % des effets, ce n'est pas pour autant que l'on sait qu'il va y avoir des tumeurs puisque, chez nous, elles arrivent à partir de quatre mois. Bien sûr, on peut avoir des modèles autres pour voir des effets courts de déclenchement de cancer, je suis d'accord avec ce qu'a dit Monsieur Bellé. Mais il reste qu'il faudra au départ faire des démonstrations entre les tests courts cellulaires et les tests sur le long terme chez les mammifères. Ce que je dis, c'est que nous sommes les seuls à avoir testé sur le long terme le Roundup, ce que la société Monsanto elle-même n'a pas fait. Pour les autres pesticides, cela semble être la même chose en formulation. Je ne parle pas du principe actif qui, comme l'a dit Monsieur Bellé, a un autre effet tout seul que le produit en formulation. Il est donc clair qu'il faut commencer par se poser la question : combien de temps sont évalués les pesticides en formulation sur mammifères ? Là, je tiens, comme l'a demandé Mme Parent-Massin, à m'excuser, non pas pour tout ce qu'elle a dit, mais parce que la communauté scientifique ne l'a jamais exigé, bien que cela fasse peser un vrai risque sur la santé publique.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - La question que vous posez est une vraie question et des réponses devront y être apportées. On mélange aujourd'hui deux sujets qui sont peut-être liés : les OGM et le Roundup. En revanche, il est évident que, quand on prend une souche de rats qui développe naturellement des tumeurs... L'agence flamande, je ne sais pas si elle a raison, nous envoie une lettre où elle indique que le rat qui a été montré sur toutes les télévisions du monde était un rat témoin et non un rat issu des lots.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Non, Monsieur Le Déaut, on ne peut pas dire cela. Nous avons pris un rat représentatif de chaque groupe et c'était la minorité des rats qui avaient des tumeurs tout au long de l'expérience dans les témoins.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Est-ce qu'il y a 50 % de rats qui naturellement développent cette tumeur ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - L'ensemble des données historiques ne peut pas répondre à cette question puisque la nourriture n'est pas contrôlée en OGM ni en pesticides. M. Le Déaut, vous êtes scientifique à la base.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je l'étais. Je le suis moins maintenant.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Pour ceux qui le sont et pour le grand public, on peut comprendre que, si on étudie les effets des OGM et des pesticides, on ne peut pas prendre comme données historiques contrôle des rats qui n'ont pas été vérifiés pour leur nourriture en OGM et en pesticides. Ce serait complètement anti-scientifique, Mme Parent-Massin.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Ce n'est pas vrai. Les rats de l'étude Harlan ont été contrôlés pour la présence d'OGM.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Les rats ne sont toutefois pas contrôlés en pesticides. De plus, la société ne délivre pas de certificat attestant qu'ils ont été nourris sans OGM.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Les OGM n'existaient pas pour les études historiques que l'on a pu collecter...

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Mais il y avait beaucoup de pesticides.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. -Oui, mais ce n'était pas le Roundup.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Il y en avait bien sûr.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. -Cette souche de rats est connue. La littérature concernant la nourriture ad libitum est très fournie. Il existe au moins vingt publications sur cette question. Il a été clairement montré que la nourriture ad libitum provoque une fréquence plus importante de tumeurs.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Tous les rats ont tous été nourris de la même manière. Il serait anormal sur une étude long terme de ne pas faire ad libitum . J'ajoute que les rats ont consommé les OGM et les très faibles doses de Roundup de la même manière que les rats témoins. Il n'y a pas eu de différence.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Est-ce que l'on connaissait leur consommation journalière ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Evidemment, Monsieur Le Déaut.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Il se trouve que je suis biochimiste et responsable d'une plateforme de biologie moléculaire des cancers. La génotoxicité n'est pas nécessairement la transformation. Le choc génotoxique principal est l'activité métabolique naturelle de toutes les cellules. Il peut donc se produire une augmentation et je pense qu'il est très intéressant de disposer de ce type d'étude. Je crois que cela fera partie de l'arsenal. Mais il n'existe toutefois pas une relation nécessaire et obligatoire entre activation d'un checkpoint et cancer.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Je suis d'accord, il faut être prudent, mais je n'ai pas dit cela à la légère. L'article de Kastan et Bartek paru dans Nature établit très clairement cette relation.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. - Evidemment, ce sont les altérations du checkpoint ...

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Ne rentrons pas dans le détail technique. Nous pourrons y revenir en fin de table ronde.

M. Frank Foures, directeur adjoint de l'évaluation des risques, en charge de l'alimentation à l'ANSES. - Je voudrais revenir sur deux points, en commençant par l'interprétation statistique. Nous avons appliqué plusieurs méthodes d'interprétation statistique et nous avons essayé de retenir pour faire apparaître le maximum d'effets celle qui nous paraissait la plus favorable pour qu'ensuite, les toxicologues puissent regarder les effets en question et juger de leur plausibilité biologique. L'ANSES a rédigé un rapport sur l'analyse statistique des études à 90 jours. Ce sont les mêmes statisticiens qui se sont penchés sur l'étude de Monsieur Séralini et qui ont donc employé les mêmes méthodologies.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Le résultat de ces rapports est qu'ils n'étaient pas contents des études de 90 jours de Monsanto, mais le maïs est toujours dans le commerce.

M. Frank Foures, directeur adjoint de l'évaluation des risques, en charge de l'alimentation à l'ANSES. - Tout à fait, nous avons toujours dénoncé un manque de puissance et nous avons toujours souhaité que cela évolue. Cela a été longuement écrit et débattu.

Deuxième point, je voudrais saluer le travail des experts qui se sont mobilisés de manière rapide et qui ont beaucoup travaillé pour rendre un avis. Ils font un travail qui n'est pas facile et ils sont souvent décriés. Je voudrais dire également que nos procédures d'appels à candidatures sont complètement ouvertes, pour les biotechnologies comme pour tous les autres sujets. Dès lors que les risques de conflits d'intérêts ne sont pas avérés, nous pourrons tout à fait retenir les experts les plus pointus d'un domaine.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l'INRA et ancien membre de la CGB. - Je suis surpris du refus de prendre en compte des témoins historiques. Le laboratoire où a été réalisée l'expérimentation animale dispose-t-il de témoins historiques ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Madame Ricroch, votre voisine, que vous connaissez bien puisque vous êtes co-auteur de l'étude, a souligné le petit nombre d'études à long terme sur le rat. L'ensemble de ces études aujourd'hui qui sont sur le rat à 2 ans avec d'autres produits que les OGM et les pesticides n'ont pas vérifié s'il y avait des OGM ou des pesticides dans l'alimentation. Je réfute donc scientifiquement l'idée que l'on puisse utiliser des données historiques pour comparer nos contrôles. Pour que tout le monde comprenne, ce sont d'autres études où les rats ont mangé des régimes normaux. Si ces régimes n'ont pas été vérifiés en OGM et en pesticides, ce ne sont pas les bons contrôles par rapport à notre étude.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Bellé, vous avez la parole pour la conclusion de cette première partie.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Qui est OGM ? C'est le maïs qui a provoqué les cancers sous réserve que les statistiques... Je dois dire que je suis beaucoup plus troublé que je ne l'étais en arrivant. Si cela est vrai, cela veut dire que nous sommes face à une très grande découverte scientifique, parce que cela signifie que le maïs OGM, parce qu'il est OGM, a réussi à produire quelque chose peut-être pour s'éliminer lui-même, c'est-à-dire un génotoxique. Le rat, s'il a développé un cancer à cause de cela, c'est parce qu'il y a un génotoxique. Il n'est pas nécessaire de plusieurs années pour faire ces études. Il suffit de regarder, selon moi, dans le maïs OGM, s'il produit ou non un génotoxique. Cela est relativement facile à faire sur un système cellulaire, il n'est pas nécessaire de le faire sur quatre ans et sur des centaines de rats.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Bellé, merci pour cette suggestion sur les alternatives à l'expérimentation animale, ce que nous avions écrit dans le rapport de l'Office.

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