B. L'ÉVALUATION INDIVIDUELLE DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS : UNE APPLICATION PROBLÉMATIQUE, CONTESTÉE PAR LES INTÉRESSÉS

À l'instar de l'obligation d'évaluation régulière applicable aux chercheurs, l'article 7-1 du décret statutaire de 1984, créé par le décret modificatif du 23 avril 2009 70 ( * ) , institue une procédure d'évaluation périodique des enseignants-chercheurs . Auparavant, un universitaire pouvait en théorie, et même en pratique, échapper à toute évaluation au cours de sa carrière dès lors qu'il ne sollicitait aucun changement de grade ou de corps.

À l'heure actuelle, l'évaluation individuelle des enseignants-chercheurs est réalisée soit au niveau national par le Conseil national des universités (CNU) organisé en sections disciplinaires, soit au niveau local par l'établissement (en général par son conseil d'administration ou son conseil scientifique réunis en formation restreinte aux enseignants-chercheurs), selon des procédures multiples en fonction des motifs d'évaluation (demande de labellisation des laboratoires, en qualité de promoteur d'un programme de recherche, candidature à la prime d'excellence scientifique, avancement de grade ou de classe...).

L'évaluation individuelle des enseignants-chercheurs par le CNU se concentre principalement sur les travaux de recherche du candidat, et tend à sous-estimer d'autres aspects de leurs missions de service public, comme l'enseignement et la performance pédagogique ou l'engagement dans la vie collective et institutionnelle de l'établissement. Cette pratique demeure en contradiction avec les dispositions statutaires applicables aux enseignants-chercheurs qui, depuis le décret du 23 avril 2009, ont clairement « une double mission d'enseignement et de recherche ». En outre, l'évaluation est conduite a posteriori sur la performance et n'intervient pas en anticipation des besoins des intéressés, en particulier dans l'élaboration de leurs stratégies de carrière, de formation continue...

Les évaluations du CNU, faites sur la base de dossiers jugés assez formels, sont critiquées pour leur manque de singularisation par rapport au profil du candidat : elles ne donnent pas lieu à un retour personnalisé systématique vers le candidat, elles ne formulent pas de recommandations sur l'amélioration de la qualité de la candidature, sur les évolutions attendues et les stratégies à développer. Le dossier d'évaluation ne permet pas au candidat d'exprimer des attentes spécifiques.

Il semble, en outre, que la qualité des évaluations individuelles réalisées par le CNU soit très variable d'une discipline à une autre. Malgré une meilleure prise en compte récente des enjeux de la déontologie, l'ensemble des conditions nécessaires à une évaluation de qualité ne sont pas toujours réunies. Aux yeux des personnes auditionnées par vos rapporteurs lors de leurs déplacements, l'élection de deux tiers du CNU ne constitue pas la garantie d'une réelle compétence scientifique de ses membres : certains membres élus du CNU sont hautement reconnus pour la qualité de leurs travaux quand d'autres le sont beaucoup moins.

Lors des déplacements de vos rapporteurs, certaines universités ont dénoncé le mode de désignation des membres du CNU, jugé trop soumis aux logiques syndicales. Des demandes ont été formulées en faveur d'une possibilité de panachage entre les listes afin de donner la priorité à la compétence de l'enseignant-chercheur et non à son appartenance à une « étiquette ». Les universités ont également réclamé une transparence accrue des critères d'évaluation utilisés par le CNU.

Le CNU rappelle, pour sa part, que des progrès substantiels ont été réalisés :

- en matière de transparence de l'institution : chaque section a l'obligation de rendre publics les critères et les modalités sur la base desquelles elle conduit l'évaluation des enseignants-chercheurs ;

- en matière de déontologie : les fonctions de membres du CNU sont incompatibles avec certaines fonctions de direction (président ou membre du conseil d'administration d'un EPSCP, directeur de composante...) ou d'évaluation (membre ou agent de l'AERES) 71 ( * ) .

La qualité des évaluations réalisées au niveau des universités est également inégale. Le comité de suivi de la loi LRU estime que la culture de l'évaluation scientifique reste plus solide au niveau national qu'au niveau de l'université dans la plupart des disciplines. Les problèmes déontologiques de l'évaluation se posent de manière plus aiguë encore lorsqu'elle est effectuée dans les établissements, du fait de la proximité entre évaluateur et évalué. À cet égard, la contribution d'experts extérieurs semble incontournable, qu'elle soit directe ou indirecte (par des rapports ou lettres de référence).

On peut espérer, voire penser, que le développement d'une robuste culture de l'évaluation scientifique dans les universités, conformes aux meilleurs standards internationaux, généralisera l'évaluation individuelle sur une base régionale, voire plus locale. Cette perspective reste, à ce jour, encore lointaine.

L'introduction, par le décret précité du 23 avril 2009, du principe d'évaluation périodique individuelle des enseignants-chercheurs a cristallisé les inquiétudes des intéressés autour de l'enjeu de la modulation des services et de l'attribution des primes et des décisions de promotion au niveau local.

Jusqu'alors un enseignant-chercheur avait un service de référence de 192 heures d'enseignement. Les nouvelles dispositions statutaires prévoient la possibilité d'en effectuer plus ou moins, en fonction aussi bien des nécessités de service de l'établissement que des résultats de l'évaluation. Un certain nombre d'enseignants-chercheurs craignent, dans ces conditions, qu'une évaluation négative débouche sur une modulation de service d'enseignement à la hausse, ce que les organisations syndicales perçoivent comme une obligation d'enseigner plus à titre gratuit.

Les dirigeants de l'université d'Angers ont évoqué la possibilité de s'inspirer, en matière d'évaluation individuelle des enseignants-chercheurs, du système d'évaluation des enseignants des établissements d'enseignement supérieur agricole. En effet, la Commission nationale des enseignants-chercheurs relevant du ministère chargé de l'agriculture (CNECA) tient compte, dans ses évaluations, du niveau d'implication de l'enseignant dans les actions collectives et les activités pédagogiques. L'évaluation est supportée par un rapport destiné à la fois à l'intéressé et au responsable de l'établissement qui n'est pas seulement normatif, au travers d'une note, mais accompagne également l'évolution de carrière par la formulation de recommandations.

L'ÉVALUATION DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AGRICOLE

I. Les bases juridiques de l'évaluation des enseignants de l'enseignement supérieur agricole :

- décret n° 92-172 du 21 février 1992 modifié relatif à la Commission nationale des enseignants-chercheurs relevant du ministère chargé de l'agriculture (CNECA) ;

- arrêté du 6 novembre 1992 relatif aux modalités de fonctionnement des formations de la CNECA.

La procédure d'avancement de classe des maitres de conférences et des professeurs de l'enseignement supérieur agricole est prévue par les articles 34 et 50 du décret n° 92-171 du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture.

En particulier, l'article 7 du même décret précise que « chaque enseignant-chercheur établit, conformément aux directives définies par le ministre chargé de l'agriculture, chaque fois qu'il est candidat à une promotion, un rapport d'activité ».

Ce rapport tient compte de l'ensemble des activités de l'enseignant-chercheur et de leurs éventuelles évolutions et contient notamment toutes informations concernant les conditions dans lesquelles il a accompli les missions définies à l'article 3 dudit décret.

Le directeur de l'établissement émet un avis sur les activités d'enseignement et les tâches d'intérêt général figurant dans le rapport d'activité de l'intéressé ; cet avis est joint au rapport et communiqué à l'intéressé.

Conformément aux dispositions de l'article 1 er du décret n° 92-172 du 21 février 1992 relatif à la Commission nationale des enseignants-chercheurs relevant du ministre chargé de l'agriculture, la présente note a pour objet de rendre public les critères (I) et les modalités d'évaluation (II) et de classement (III) des enseignants chercheurs basés et axés sur le rapport d'activité, au titre de la campagne d'avancement de classe pour l'année de 2010.

II. Les critères d'évaluation :

? Rubrique I : Cursus et ancienneté

Ancienneté, cursus professionnel et mobilité

Formations et diplômes complémentaires

? Rubrique II : Activités

- Enseignement

I - Formation initiale de l'établissement y compris les formations cohabilitées

Responsabilités assumées (responsabilités d'unités, d'unités de valeur, de modules en formation initiale de l'établissement, en master, en école doctorale)

Démarche, réalisé en innovation pédagogiques

Encadrement (hors activités de recherche)

Production de documents d'enseignements, réalisation pédagogiques

II - Formation continue (diplômante ou non diplômante)

Responsabilités de formations

Initiatives pédagogiques

Encadrement (internes, résidents, mémoires de stage, mémoires professionnalisants, ...)

Production de documents ou de publications d'enseignement postuniversitaire, réalisations pédagogiques et communications

- Recherche et développement

Responsabilités assumées

Démarche et projet

Encadrement de masters recherche, de thèses d'Université, etc.

Valorisation : publications et communications

Valorisation non académique (incluant développement rural ou industriel)

- Autres activités

I - Rayonnement extérieur

Relations internationales et actions de coopération

Enseignements hors de l'établissement

Groupes de travail, expertise, prestations de service

Responsabilités administratives extérieures, jury, commissions

II - Rayonnement interne

Responsabilités de service de l'établissement d'intérêt général

Participation aux instances de l'établissement

III. Les modalités d'évaluation :

Chacune des différentes sections de la CNECA apprécie les cursus, activités et travaux professionnels conduits par les enseignants-chercheurs.

Cette appréciation est fondée sur l'examen du rapport transmis à cette fin par l'enseignant-chercheur.

Ce rapport est adressé à l'ensemble des membres de la section de la CNECA concernée qui dispose de 15 jours pour en prendre connaissance. Lors de la réunion de cette section, chaque membre fait part de son appréciation de chacun des dossiers.

IV. Les modalités de classement :

Les dossiers sont classés par ordre décroissant, ce classement conduisant à la formulation d'une liste comportant les noms de l'ensemble des enseignants-chercheurs ayant transmis leur dossier, dès lors que ce dernier a été jugé recevable.

Pour réaliser les interclassements entre sections, les bureaux de la CNECA, réunis en intersections par corps (respectivement maitres de conférences et assimilés, et professeurs et assimilés) se prononcent sur les mesures d'avancement les concernant par un vote émis à bulletin secret.

Source : Note de service SG/SRH/SDDPRS/N2010-1183 - DGER/SDESR/N2010-2142, du 27 septembre 2010 (secrétariat général du ministère de l'agriculture et DGESIP du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Par ailleurs, il convient d'ajouter que l'évaluation des enseignants-chercheurs conduite par le European Research Council se fonde sur des critères englobant aussi bien l'implication des enseignants et des chercheurs dans des actions collectives et visant à asseoir la notoriété du laboratoire ou de l'unité de recherche, notamment en termes de participation à des conférences, à des actions en direction du grand public ou dans le cadre d'enseignements d'été, que leur capacité à coordonner des équipes et différentes missions.


* 70 Décret n° 2009-460 du 23 avril 2009 modifiant le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences et portant diverses dispositions relatives aux enseignants-chercheurs.

* 71 DORD, Olivier, « Réforme du statut des enseignants-chercheurs : universités vs. universitaires ? », in Actualité juridique - Droit administratif (AJDA), 2010, p. 323.

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