CONCLUSION

Comme les autres observateurs et acteurs du système d'enseignement supérieur, vos rapporteurs ont pu constater la persistance de certaines insuffisances au terme de cinq ans de mise en oeuvre de la loi LRU :

- l'absence d'évaluation réelle du transfert de charges et de moyens aux universités (comme cela se fait entre collectivités qui délèguent leurs compétences à un groupement), au moment du passage aux RCE, a eu des conséquences que certains établissements n'ont toujours pas surmontées. De plus, c'est la cause de procès constants envers l'État qui n'a pas assumé ses responsabilités et qui a même conduit certains présidents d'université à demander à l'État de reprendre la gestion des personnels !

- l'attitude, jugée complaisante par certains qui n'y ont pas recours, du ministère dans l'affectation de crédits contractualisés non pérennes, pour aider à sortir d'une crise alimente l'idée que, de toute façon, l'État paiera. Les vertueux y voient un encouragement à la mauvaise gestion ;

- les besoins de l'enseignement supérieur et de la recherche en termes d'ouverture, de simplification, de cohérence et d'unité sont encore très prégnants. Le manque d'unité et de cohérence entre les secteurs de l'enseignement et de la recherche est manifeste : en témoignent la double dualité persistante entre universités et grandes écoles et entre universités et organismes de recherche, ou encore l'insuffisante valorisation de la dimension pédagogique dans les missions des enseignants-chercheurs et leur évaluation ;

- le renforcement des marges stratégiques des universités, notamment dans la définition de leur politique de formation, n'a pas toujours produit les résultats attendus, en particulier dans le cadre de la mise en oeuvre du plan « Réussite en licence ». L'ouverture des universités sur le monde professionnel et économique n'en est qu'à ses débuts, et les progrès sont somme toute assez remarquables dans un certain nombre d'établissements dont la stratégie tient compte de leur insertion dans leur environnement socioprofessionnel territorial. Elle aurait dû être plus fortement encouragée, en particulier dans le cadre de la contractualisation avec l'État (objectifs à réaffirmer en matière d'orientation et d'insertion professionnelle, de formation continue...), et valorisée tant dans l'évaluation que dans l'allocation des moyens ;

- l'université peine encore à s'imposer comme une voie de formation d'excellence. Elle est trop souvent un choix par défaut pour des milliers de bacheliers qui ont échoué dans l'accès aux filières sélectives. Faire réussir les étudiants en premier cycle doit être l'objectif prioritaire des universités, combiné utilement avec la recherche de l'excellence scientifique qui en est le corollaire.

La loi LRU a été mise en oeuvre dans un contexte d'excitation permanente : la concurrence semble avoir été survalorisée par rapport à la dynamique de progrès. Or, cette logique concurrentielle a sans doute été accentuée par des éléments qui ne découlent pas directement de la loi LRU mais qui l'ont accompagnée dans son déploiement : la montée en puissance des financements sur projet avec le programme des investissements d'avenir, la priorité donnée majoritairement à la recherche et à l'excellence scientifique dans tous les cadres d'évaluation et d'allocation des moyens, au détriment bien souvent de l'excellence pédagogique...

La loi du 10 août 2007 a pourtant permis une prise de conscience dans la quasi-totalité des établissements devenus autonomes de l'importance des fonctions de support et de pilotage. Certaines l'ont appris à leurs dépens, en l'absence d'un accompagnement rigoureux et responsabilisant de la part de l'État. Les aléas de la mise en oeuvre de la loi ont démontré la nécessité de préciser les relations entre l'État et les établissements autonomes. L'absence d'un référentiel de gestion clairement défini au niveau national tout comme les atermoiements du modèle de financement SYMPA montrent une part de responsabilité évidente de l'État dans l'incapacité des universités à assumer leurs nouvelles responsabilités dans des conditions raisonnables sinon optimales.

La maîtrise de l'autonomie ne se décrète pas, elle s'apprend. Cinq ans n'auront pas suffi pour assurer un rythme de croisière satisfaisant dans la mise en oeuvre par les universités de leurs nouvelles « responsabilités et compétences élargies ». Il n'en demeure pas moins que la loi LRU a ouvert une dynamique de progrès sur laquelle aucune université visitée par vos rapporteurs ne souhaite revenir.

Il est légitime que des universités se sentent désemparées lorsqu'elles doivent assumer des fonctions d'employeur pour lesquelles elles ont été insuffisamment préparées. On peut comprendre les espoirs déçus quand des choix stratégiques, notamment en matière de formation, sont remis en cause par un contexte budgétaire contraint. À l'évidence, les conditions de mise en oeuvre sont déterminantes dans le succès d'une loi qui ne peut garantir à l'avance que la conjoncture sera propice à la réalisation de ses objectifs.

Mais le changement de culture, s'il n'est pas achevé, s'est produit. La prise de conscience de la nécessité pour les universités de définir une stratégie cohérente lui permettant de s'insérer dans son environnement local, national, européen et international est là. La prise de conscience de l'importance de la professionnalisation des formations universitaires pour l'insertion des étudiants dans la vie active s'est produite. La prise de conscience de l'importance de la pédagogie et des conditions d'enseignement, au même niveau que l'excellence scientifique dans la recherche, s'est faite aussi. La prise de conscience du caractère incontournable d'une évaluation indépendante externe a bien eu lieu.

Pour toutes ces questions sur lesquelles l'autonomie a suscité une prise de conscience, la dynamique est enclenchée et les équipes dirigeantes des universités n'entendent pas que l'on revienne dessus. Pour que le changement de paradigme soit pleinement effectif et que l'université s'impose comme le lieu par excellence de la rencontre entre formation, recherche et innovation, il est utile de rappeler deux conditions déterminantes dans le succès de l'autonomie :

- il faut laisser le temps aux réformes d'ampleur de produire leurs effets dans la durée, surtout lorsqu'elles se voient opposer de fortes résistances culturelles en interne. Dans la mise en oeuvre de l'autonomie, un grand nombre d'établissements ont fait preuve de créativité et de diplomatie auprès de leur communauté universitaire. Les mécanismes et les équilibres de gouvernance ont pu être adaptés en fonction des situations locales, des instances de concertation ont été créées, soit dans le cadre formalisé des statuts de l'établissement, soit en dehors de tout règlement. Quoi qu'il en soit, l'envie d'associer la communauté à l'élaboration du projet stratégique de l'établissement a bien été là. Cinq ans ne sont pas suffisants pour permettre aux expérimentations d'être affinées, généralisées et formalisées. Toute tentative de revenir à un état antérieur serait alors perçue comme une remise en cause de tous les efforts conduits par les universités pour s'insérer dans une dynamique de progrès ;

- il faut des moyens qui donnent confiance dans l'avenir, quand l'ambition n'y suffit pas. Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche s'est maintenu, dans sa globalité, à un niveau conséquent au cours des dernières années. Les investissements d'avenir ont créé une dynamique et suscité des espoirs. Mais les attentes des universités se concentraient d'abord sur la nécessité d'évaluer, dans un cadre transparent et impartial, le coût des charges qui leur étaient transférées, et sur la nécessité d'assurer un rééquilibrage entre les universités traditionnellement sous-dotées et celles qui sont mieux armées. On est d'autant plus prêt et enthousiaste à l'idée d'assumer de nouvelles responsabilités que l'on sait qu'on disposera sur la durée des moyens pour le faire et apprendre à le faire, et qu'on le fait dans un contexte équitable.

Pour l'ensemble de ces raisons, il n'a jamais été jugé nécessaire d'abroger l'idée même de l'autonomie. Notre pays connaît, depuis 1968, un mouvement d'autonomisation des universités qui n'a pas vocation à s'arrêter, compte tenu de l'intensification de la concurrence internationale et de la massification de l'accès à l'enseignement supérieur. Au contraire, les universités réclament un renforcement des moyens et une amélioration des mécanismes qui leur permettent d'exercer cette autonomie dans des conditions optimales.

Les acteurs et les usagers du service public de l'enseignement supérieur doivent avoir le temps et les moyens de s'imprégner des grandes réformes qui les concernent et consolider leur pratique des nouveaux codes et règlements mis en place. Cela a été très perceptible lors des visites effectuées par vos rapporteurs. Une abrogation de la loi LRU serait perçue comme une perturbation et un frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu'ici.

L'heure est aujourd'hui à une clarification des responsabilités, afin que l'État ne soit plus appelé à la rescousse comme un remplaçant de son banc de touche. La mise en oeuvre de la loi LRU a démontré le besoin capital d'une coopération puissante entre la tutelle administrative et les établissements dans l'apprentissage de l'autonomie.

Chacun s'accorde à admettre que, hormis les points décrits dans ce rapport qui appellent des modifications, des précisions, des clarifications, voire des rééquilibrages sinon financiers, du moins budgétaires, la loi LRU et les nouvelles pratiques qu'elle a entraînées en termes de collégialité, de maîtrise des fonctions support, de liberté d'action pour nouer des partenariats autour de l'université sont à préserver.

Reste que la demande de transparence, de sincérité budgétaire, de respect des critères de dotation équilibrée pour faire vivre l'enseignement et la recherche au bénéfice de la réussite étudiante, de respect des filières, des statuts et de la qualité de vie professionnelle des enseignants-chercheurs, est très forte. Les universitaires veulent de la reconnaissance. Dévoués à leur mission, ils ont conscience de leur rôle dans la structuration de notre société, de leur place dans l'effort de redressement de la nation. Ils souhaitent que cela soit bien perçu par les « autorités » dont ils se revendiquent.

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