C. LE BILAN EN DEMI-TEINTE DES DÉCRETS TASCA

À la fin de l'année 2007, le ministère de la culture et de la communication a confié à MM. David Kessler et Dominique Richard une mission de concertation auprès des professionnels du secteur de l'audiovisuel visant à présenter un bilan de la réglementation et à formuler une série de propositions de modifications des décrets relatifs la production audiovisuelle.

Le constat fait par le rapport d'étape 7 ( * ) a été le suivant :

- le niveau de production dépendante avoisine le taux de 33 % qui est le taux maximal autorisé par les décrets ;

- les oeuvres d'animation, financées à hauteur de 25 % en moyenne par les diffuseurs, s'exportent bien. Selon le rapport, « la possession par les producteurs des droits leur a permis à la fois d'utiliser pleinement le second marché des chaînes pour enfants et d'organiser librement la coproduction et la distribution à l'échelle internationale » ;

- le documentaire, financé entre 40 et 60 % par les diffuseurs, connaît des succès à l'étranger, aussi bien en termes d'exportation qu'en termes de reconnaissance par des prix dans des festivals ;

- la fiction française, largement financée par les diffuseurs (75 % en général) s'exporte en revanche difficilement . Aux termes du rapport, « c'est évidemment dans ce secteur que l'impact des décrets est à la fois le plus contrasté et le plus débattu. (...) À l'exportation, l'insuffisance de volume, des formats inadaptés et une production trop orientée vers le prime time qui est par essence identifiant nationalement dans tous les pays du monde, à l'exception de la production américaine orientée vers l'international, expliquent les difficultés rencontrées » . Le plus étonnant est qu'en dépit de cette « orientation vers le prime time », c'est précisément à ces horaires que la fiction française rencontre le plus de difficultés ;

- la circulation des oeuvres est insuffisante.

Selon l'étude précitée du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur les obligations de diffusion et de production des éditeurs, le bilan des décrets Tasca varie ainsi selon les objectifs fixés par la loi :

- l'exposition des oeuvres françaises et européennes est plutôt satisfaisante ;

- mais les sociétés de production françaises sont peu compétitives et peu exportatrices . La liste des quarante premières sociétés européennes de production de programmes de télévision en 2007 ne compte ainsi que quatre producteurs français (la première, Telfrance, est au huitième rang). À 153 millions d'euros en 2007, la valeur des ventes et préventes de programmes audiovisuels français était en baisse de 10 % sur la décennie. Ainsi, si l'objectif des décrets était notamment de renforcer la maîtrise des droits des producteurs indépendants sur les programmes, « afin de leur permettre d'exploiter ceux-ci de façon optimale sur le second marché national ainsi qu'à l'international, grâce à la constitution de catalogues de droits attractifs », il n'est qu'en partie atteint. En effet, certains petits producteurs, à leur échelle, ont constitué des catalogues attractifs, mais ceux-ci sont bien insuffisants pour faire des sociétés de production des entreprises solides capables d'investir fortement dans la création française . C'est au demeurant l'une des raisons pour lesquelles la fiction française est financée principalement par les diffuseurs ;

- la contribution des producteurs au financement des oeuvres est ainsi limitée dans un contexte où la compétitivité des éditeurs de services français « marque le pas ». À cet égard, le rapport du CSA de novembre 2009 indique que « la comparaison du dispositif français avec celui des quatre principaux marchés européens voisins de la France (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie) conduit à constater que dans ces pays les éditeurs de service financent généralement l'intégralité du coût de production de l'oeuvre, voire les frais de structure du producteur . En contrepartie, les éditeurs de service maîtrisent la quasi-totalité des droits pour des périodes d'exclusivité allant jusqu'à six ans. Ils peuvent néanmoins consentir contractuellement à un partage avec le producteur des revenus tirés des ventes des programmes à l'international » .

Afin de remédier à ces difficultés, certaines solutions ont été préconisées dans le rapport de MM. Kessler et Richard :

- la simplification de la réglementation ;

- le recentrage sur le « sous quota patrimonial » s'agissant des obligations de production ;

- la modification de la définition de l'indépendance : « la définition de l'indépendance mélange volontairement deux aspects bien distincts : la question du seuil capitalistique - elle autorise la détention de sociétés de production à hauteur de 15 % pour la production indépendante - et la question des droits que les diffuseurs peuvent être amenés à prendre. Nous souhaitons que puissent être mis en débat les deux aspects : convient-il pour conforter à la fois les producteurs qui ont besoin de fonds propres et les diffuseurs de les autoriser à prendre des parts dans des sociétés de production à un niveau plus élevé et faut-il assouplir (...) les critères exigés en termes de droits ? ». Si la question est posée et que la réponse positive semble implicite, cette proposition ne trouvera pas d'écho dans les futurs accords ;

- le développement de la fiction en avant-première partie de soirée en adaptant l'obligation des 120 heures ;

- et la modification de la réglementation afin d'associer les diffuseurs aux recettes d'exploitation des oeuvres indépendantes qu'ils financent .

MM. Kessler et Richard ont insisté au demeurant sur le fait qu'avec l'arrivée de la télévision connectée et la multiplication du nombre des chaînes, l'effritement du marché publicitaire, nous assistions à une mutation profonde qui « remet pour une part en cause la solidité du modèle économique qui a permis le développement de la création française depuis 20 ans » .

En dépit de ce constat assez clair, les modifications de la réglementation ont été assez légères : pour être clair, les chaînes de télévision ont « échangé » une baisse de leur quota d'investissement contre un recentrage sur l'oeuvre patrimoniale et le maintien des règles en vigueur .

Votre rapporteur estime que cet échange ne s'est pas forcément fait au bénéfice de la création française.


* 7 Mission sur les rapports entre les producteurs et les diffuseurs audiovisuels , MM. David Kessler et Dominique Richard, 19 décembre 2007.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page