E. UNE GESTION DE L'ENTRETIEN DES BÂTIMENTS JUDICIAIRES À CONSOLIDER

1. Le prix d'une gestion immobilière « court-termiste »

Le bon accomplissement du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire ne doit pas conduire à occulter les lacunes constatées par vos rapporteurs spéciaux dans le cadre de leurs travaux s'agissant de la gestion immobilière des implantations judiciaires. Les principales insuffisances relevées concernent la programmation et la réalisation des opérations d'entretien des locaux . En effet, ces dernières semblent affectées d'un biais « court-termiste » qui se traduit par des surcroîts de dépenses.

a) Une programmation insuffisante des travaux d'entretien

Vos rapporteurs spéciaux ont précédemment montré que la programmation des opérations d'entretien des bâtiments constituait un levier majeur d'économies 65 ( * ) . Toutefois, la pratique semble révéler d'importantes déficiences s'agissant de la programmation de telles opérations .

À cet égard, un magistrat délégué à l'équipement interrogé a jugé que la politique d'entretien de l'immobilier judiciaire relevait de la « gestion de crise et d'urgence, sans les outils adaptés ». En effet, la majeure partie des travaux d'entretien sont réalisés parce qu'ils sont devenus absolument nécessaires ; les opérations engagées à titre préventif demeurent l'exception, alors même qu'elles permettraient de réduire les coûts. Ainsi, les fenêtres de la cour d'appel de Versailles ont dû être récemment remplacées pour un montant total de 1,4 million d'euros ; pourtant, de tels travaux auraient pu être évités s'il avait été procédé à un entretien régulier de celles-ci.

En outre, il faut souligner que les budgets de fonctionnement des juridictions sont insuffisants pour faire face à des travaux d'un montant élevé qui n'auraient pas été programmés 66 ( * ) . Aussi ces dernières sont-elles tributaires, dans de tels cas, de l'octroi de crédits supplémentaires ; cela peut conduire à ce que les locaux concernés soient rendus inutilisables tout au long du délai d'attribution de ces dotations.

La politique d'entretien de l'immobilier judiciaire, telle qu'elle est menée à ce jour, n'est donc pas satisfaisante. L'insuffisante programmation des travaux aboutit à des surcoûts et est susceptible de nuire au bon fonctionnement des juridictions .

Dans ces conditions, vos rapporteurs spéciaux estiment nécessaire la définition, par les juridictions et en collaboration avec les départements immobiliers, de plans pluriannuels des opérations d'entretien immobilier ; à cet effet, des diagnostics devraient être régulièrement réalisés de manière à identifier les travaux d'entretien devant être exécutés dans les années à venir. Dès lors, les crédits destinés à financer les dépenses d'entretien des juridictions seraient déterminés sur une base pluriannuelle à partir de ces plans . De cette manière, une programmation effective des opérations d'entretien des bâtiments pourrait être instituée.

Toutefois, comme cela a déjà été indiqué, la mise en place d'une telle programmation implique nécessairement de renforcer la présence des personnels chargés de la gestion et de l'entretien du patrimoine immobilier dans les cours d'appel 67 ( * ) .

Recommandation n° 7 : définir, pour chaque cour d'appel, un plan pluriannuel des opérations d'entretien immobilier, permettant de programmer les dépenses d'entretien des bâtiments.

b) L'évaluation des coûts d'entretien des constructions nouvelles

Les dépenses d'entretien immobilier constituent une part substantielle des budgets de fonctionnement des juridictions. Or, il est apparu à vos rapporteurs spéciaux que les choix architecturaux retenus s'agissant des locaux judiciaires pouvaient avoir une incidence majeure sur les coûts d'entretien de ces derniers . En effet, certaines caractéristiques monumentales induisent des dépenses supplémentaires qui sont, souvent, mal anticipées et finissent par peser sur l'enveloppe budgétaire des juridictions.

Il en va ainsi des ensembles immobiliers intégrant des structures en verre . Dans le cas du tribunal de grande instance de Nanterre, relevant du ressort de la cour d'appel de Versailles, le seul entretien de ces structures représente un coût annuel 70 000 euros. Outre le fait que les constructions en verre requièrent des opérations de maintenance particulièrement complexes et coûteuses, ne serait-ce que pour assurer leur nettoyage, ces dernières font l'objet de dégradations récurrentes qui impliquent l'exécution répétée de réparations.

Aussi, dans la mesure où les constructions de nouveaux palais de justice semblent favoriser les structures en verre, conçues comme des symboles de transparence et d'ouverture, il paraît nécessaire que les dépenses d'entretien inhérentes à ces nouveaux ensembles immobiliers soient pleinement anticipées . Ce principe pourrait trouver à s'appliquer au futur palais de justice de Paris dont la livraison est prévue pour 2017. En effet, le projet retenu, conçu par Renzo Piano, consiste en une tour étagée de 156 mètres de hauteur, abritant une surface de 61 500 mètres carrés environ, dotée d'une façade en verre. À cet égard, le choix d'une structure en verre participe, sans aucun doute, au montant élevé des loyers qui devront être versés par l'État à la société qui s'est vue confier le contrat de partenariat relatif au financement, à la construction et à l'exploitation-maintenance du futur palais de justice (cf. infra ).

Le futur palais de justice de Paris 68 ( * )

Le 29 avril 2009, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait annoncé la décision d'implanter le futur palais de justice de Paris sur le site de la zone d'aménagement concertée (ZAC) des Batignolles.

À la suite d'une phase de préparation et de consultation, l'établissement public du palais de justice de Paris a signé, le 15 février 2012, avec la société de projet Arélia un contrat de partenariat ; ce dernier prévoit l'attribution au groupement, dont Bouygues Bâtiment Île-de-France est mandataire, d'une mission globale comprenant le financement, la conception, la construction, l'entretien et la maintenance du palais de justice pendant 27 ans, ainsi que des services associés à la vie du futur ouvrage, tels que la sécurité incendie et l'accueil.

Selon Christiane Taubira, ministre de la justice, le contrat de partenariat conclu prévoit un investissement de 671 millions d'euros et un loyer annuel moyen de 90 millions d'euros - celui-ci devrait être de 84 millions d'euros la première année et atteindrait 114 millions d'euros par la suite. Ainsi, au terme de la durée du contrat, soit 27 ans, le coût total pour l'État de l'opération devrait être de 2,7 milliards d'euros 69 ( * ) . Toutefois, au cours du mois de janvier 2013, la ministre de la justice a annoncé vouloir procéder à une renégociation des termes du contrat de partenariat afin d'en réduire le coût final.

Le début des travaux est prévu pour le second semestre 2013 et la mise en service du nouveau palais de justice pour 2017.

Dès lors que les coûts d'entretien des bâtiments, du fait de leur importance, présentent une incidence substantielle sur le bilan financier des constructions immobilières, il paraît essentiel de disposer d'une évaluation précise des dépenses prévisionnelles d'entretien, et ce préalablement à la procédure de sélection du projet afin d'en tirer toutes les conséquences utiles . De cette manière, la programmation des budgets de fonctionnement serait également améliorée. Cette évaluation des coûts d'entretien pourrait se faire sur la base des constructions existantes présentant des caractéristiques similaires aux projets envisagés.

Recommandation n° 8 : établir, préalablement à la sélection de tout projet de construction nouvelle, une évaluation précise des dépenses prévisionnelles d'entretien.

2. La mutualisation et l'externalisation : des leviers d'économies en matière d'entretien et de gestion du parc immobilier ?

Le maintien d'une politique immobilière autonome par le ministère de la justice semble s'être traduit par le développement d' une gestion isolée des bâtiments et de leur entretien courant par les juridictions .

En effet, le recours à la mutualisation paraît, en la matière, relever de l'exception . Ainsi, au sein de la cour d'appel de Versailles, les achats de biens et services participant à la gestion et à l'entretien courant du parc immobilier sont gérés au niveau du ressort ou des juridictions, mais ne font l'objet d'aucune mutualisation, notamment avec les autres services de l'État. De même, il a été indiqué à vos rapporteurs spéciaux que l'intervention du Service des achats de l'État (SAE) n'était requise que pour l'acquisition de matériels spécifiques.

Cette situation est d'autant plus regrettable que, depuis plusieurs années, la mutualisation des achats a été identifiée comme une source majeure d'économies . Engagée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la réforme de l'organisation des achats de l'État a pour principale finalité de réduire le coût des achats de fonctionnement. La mise en oeuvre de la mutualisation des achats est assurée par les Missions Régionales Achats placées auprès des préfets de région ; celle-ci peut porter sur les contrats de maintenance, les petits travaux, les prestations connexes aux travaux, mais également sur les achats de produits énergétiques, de fluides, etc .

La réforme semble donc n'avoir que peu concerné les juridictions, alors même qu'elles entrent pleinement dans le périmètre de cette dernière. C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs spéciaux considèrent comme souhaitable une plus grande mutualisation des achats de biens et services participant à l'entretien courant et à la gestion des bâtiments entre les juridictions et les services déconcentrés de l'État ; à titre d'exemple, celle-ci pourrait prendre la forme de regroupements pour la conclusion d'accords-cadres ou encore de marchés à bons de commande. Il faut souligner qu'une telle mutualisation appellerait un rapprochement des services administratifs régionaux (SAR) des cours d'appel avec les structures en charge de la mutualisation des achats placées auprès des préfets de région.

Enfin, une meilleure mutualisation s'agissant de la gestion du parc immobilier favoriserait une rationalisation des coûts de fonctionnement par la mise en place d'indicateurs communs de la dépense immobilière à l'ensemble des services déconcentrés et par l'échange d'informations relatives aux charges d'exploitation et de maintenance. Aussi les comparaisons entre administrations seraient-elles de nature à encourager les échanges de bonnes pratiques et, par conséquent, une réduction des dépenses.

Recommandation n° 9 : renforcer la mutualisation des achats de biens et services participant à l'entretien courant et à la gestion du parc immobilier entre les juridictions et les services déconcentrés de l'État.

En matière de gestion du patrimoine immobilier public, le recours à l'externalisation tend à se développer . Dans sa forme la plus aboutie, l'externalisation consiste à confier à un prestataire une mission globale intégrant la construction et la gestion d'immeubles publics sur le fondement de procédures telles que les baux emphytéotiques administratifs (BEA), les délégations de service public (DSP), ou encore les contrats de partenariat (CP). Certaines structures se sont spécialisées dans la gestion externalisée du patrimoine public, à l'instar la Société Nationale Immobilière (SNI) qui est une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). À titre d'exemple, celle-ci s'est vue attribuer la construction de nouvelles casernes de gendarmerie, la gestion de résidences universitaires ou encore des parcs départementaux des centres de secours et de la gendarmerie nationale ; aussi 21 conseils généraux ont-ils confié à la SNI leur parc de gendarmerie, soit 5 000 logements.

Cependant, l'externalisation peut concerner un champ plus restreint de services . Ainsi, elle peut ne porter que sur certaines prestations comme la maintenance, le petit entretien, ou encore les contrôles réglementaires et prendre la forme de contrats de gestion intégrée . À ce jour, cette formule demeure relativement peu répandue pour ce qui de la gestion du patrimoine public. Malgré tout, cette solution a été retenue pour la gestion des immeubles de Noisel et Malakoff accueillant des services des ministères économiques et financiers ; dans un récent rapport, le Conseil de l'immobilier de l'État a évalué à 7 % la baisse des coûts d'entretien 70 ( * ) imputable à l'externalisation d'une partie des prestations d'entretien de l'ensemble immobilier de Noisel 71 ( * ) .

À cet égard, le recours à des contrats de gestion intégrée pourrait constituer une opportunité pour la gestion de l'entretien des bâtiments judiciaires . Néanmoins, un tel recours implique de définir précisément le périmètre des prestations pouvant être externalisées, d'évaluer les économies qui peuvent en résulter et requiert la mise en place d'un pilotage efficace afin de contrôler le respect de ses obligations par le prestataire.

Par conséquent, vos rapporteurs spéciaux jugent qu'il serait opportun d' engager une réflexion sur l'opportunité et les modalités de l'externalisation de certaines prestations d'entretien de l'immobilier judiciaire .

Recommandation n° 10 : engager une réflexion sur l'opportunité et les modalités de l'externalisation de certaines prestations d'entretien du parc immobilier judiciaire.


* 65 Cf. supra , la sous-partie C, portant sur « La réalisation des opérations immobilières », de la présente partie.

* 66 À titre d'exemple, le budget de fonctionnement de la cour d'appel de Versailles approche un million d'euros ; si ce montant est élevé relativement à la moyenne des autres cours d'appel, seuls 45 000 euros peuvent être mobilisés pour financer des opérations imprévues, la majeure partie des dépenses de fonctionnement étant contraintes.

* 67 Cf. recommandation n° 4.

* 68 À titre de rappel, le projet d'installation du tribunal de grande instance de Paris dans la zone d'aménagement concertée (ZAC) des Batignolles avait fait l'objet d'un examen approfondi par notre collègue Roland du Luart dans le rapport d'information n° 38 (2009-2010) sur l'implantation du tribunal de grande instance de Paris fait au nom de la commission des finances du Sénat.

* 69 Cf. audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 30 octobre 2012, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2013.

* 70 Dans le cadre de contrats de gestion intégrée, la baisse des coûts d'entretien peut résulter de la mutualisation des achats et des services ou encore de la diminution des charges administratives.

* 71 Cf. Rapport du Conseil de l'immobilier de l'État, « Moderniser la politique immobilière de l'État. Cinquante propositions du Conseil de l'immobilier de l'État », 30 janvier 2013.

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