II. LE COÛT RÉEL DU VOLET IMMOBILER DE LA RÉFORME

Quel a été le coût réel du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire ? Telle a été la première interrogation de vos rapporteurs spéciaux dans le cadre de ce contrôle. En effet, les évaluations initiales concernant ce volet de la réforme avaient suscitées, jusqu'à la fin, des doutes quant à son coût effectif.

À l'automne 2007, des documents publiés par le ministère de la justice estimaient le montant des dépenses liées au volet immobilier à 900 millions d'euros. Cependant, lors de son audition par la commission des finances du Sénat le 14 novembre de la même année, Rachida Dati, alors garde des Sceaux, avait ramené ce montant à « 800 millions d'euros sur six ans » 17 ( * ) . Enfin, dès le 13 décembre 2007, la ministre de la justice déclarait devant la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale que « le coût immobilier lié à la réforme de la carte judiciaire [était] estimé à 500 millions d'euros sur six ans » 18 ( * ), 19 ( * ) .

En définitive, lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme, le ministère de la justice avait évalué à 375 millions d'euros le coût du volet immobilier. Il ne s'agissait, néanmoins, que des dépenses d'investissement et non des dépenses de fonctionnement pouvant être liées au déménagement des juridictions, aux travaux de faible ampleur, etc.

Vos rapporteurs spéciaux ont donc cherché à s'assurer si l'évaluation retenue au début de la phase opérationnelle de la réforme avait été respectée et, surtout, à déterminer le coût total du volet immobilier en prenant en compte l'ensemble des dépenses liées aux opérations immobilières intervenues dans ce cadre.

Souhaitant avant tout établir un bilan financier du volet immobilier de la réforme , ils se sont attachés à mettre ces dépenses en regard des économies et recettes résultant de ces mêmes opérations.

A. UNE APPROCHE CONSOLIDÉE DES DÉPENSES IMMOBILIÈRES

Les coûts immobiliers ont, tout d'abord, résulté des acquisitions et des travaux d'aménagement (visant à la densification des locaux existants ou à l'adaptation des immeubles acquis), voire de construction , rendus nécessaires par le regroupement des juridictions. En outre, en plus de ces opérations pérennes, ont dû être trouvées des solutions provisoires , permettant le regroupement des juridictions entre la date de suppression et celle de livraison des locaux définitifs. Les dépenses d'investissement 20 ( * ) découlant de ces deux catégories d'opérations ont été finalement évaluées à 305,8 millions d'euros 21 ( * ) . Il est nécessaire de souligner que cette estimation exclut le coût de la construction d'un nouveau palais de justice à Villefontaine, soit 23,8 millions d'euros ; même si aucune décision définitive d'annulation de l'opération n'a été prise par le Gouvernement à ce jour, le financement de celle-ci n'a pas été prévu dans le cadre du budget triennal 2013-2015.

Les opérations tant pérennes que provisoires ont également nécessité l'engagement de dépenses de fonctionnement 22 ( * ) afin de financer les travaux légers de densification, les déménagements, etc. , qu'il convient d'inscrire dans le coût total du volet immobilier de la réforme.

À ces différentes dépenses, uniques dans le temps, viennent s'ajouter les prises à bail durables de nouveaux locaux de même que des coûts de gestion qui ont une incidence sur le bilan financier à long terme du volet immobilier de la réforme.

Enfin, la réforme de la carte judiciaire a eu des coûts immobiliers indirects , liés notamment aux « gâchis » résultant de l'abandon de locaux ayant fait l'objet de travaux de rénovation récents ou encore à l'annulation de certains projets de regroupement de juridictions par le juge administratif.

1. Le coût des opérations d'investissement pérennes

Au total, 327 opérations d'investissement pérennes auront été menées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire ; il est tenu compte tant des opérations achevées que de celles en cours. Leur coût s'élève à 293,1 millions d'euros 23 ( * ) et devrait concerner la période allant de 2008 à 2017, année au cours de laquelle doivent être livrés les derniers travaux.

a) Les acquisitions immobilières

Les opérations pérennes intègrent, en premier lieu, les acquisitions de nouveaux locaux . Ainsi, 17 immeubles ont été achetés entre 2008 et 2011, correspondant à une surface de 18 332 mètres carrés, pour un montant de 23,2 millions d'euros (cf. tableau ci-contre).

Les acquisitions immobilières ne représentent qu'une part mineure des dépenses liées aux opérations pérennes (soit un peu moins de 8 % de ces dernières). En effet, les dépenses d'investissement prévues dans le cadre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire doivent résulter, à titre principal, des travaux d'aménagement de l'existant ou de construction de nouveaux locaux (cf. infra ) ; plus rares ont été les cas d'acquisitions d'immeubles pour y loger des juridictions.

Par ailleurs, même pour cette catégorie d'opérations, les charges ont majoritairement résulté des travaux visant à adapter l'agencement des lieux à leur nouvelle finalité, voire à assurer leur mise aux normes. À titre d'exemple, le regroupement des tribunaux d'instance de Châtillon-sur-Seine et de Semur-en-Auxois à Montbard, en Côte-d'Or, a nécessité l'achat d'un immeuble pour un montant de 500 000 euros et des dépenses d'adaptation et de mise en accessibilité des locaux à hauteur de 1,65 million d'euros, soit près de 77 % du coût total de l'opération.

Liste des acquisitions immobilières liées à la réforme de la carte judiciaire

Localité

Montant

(en euros)

Année

Superficie utile
(en m²)

Chambéry

1 600 000

2008

1 470

Digne

550 000

2008

1 556

Le Puy

1 805 960

2008

730

Perpignan

1 000 000

2008

547

TOTAL 2008

4 955 960

4 303

Amiens

840 000

2009

1 030

Brest

3 607 136

2009

1 508

Brive

550 000

2009

237

Clermont-Ferrand

2 000 000

2009

1 086

Évreux

1 000 000

2009

675

Montbard

500 000

2009

621

Montpellier

4 700 000

2009

1 594

Rouen

1 450 000

2009

1 665

Saint-Brieuc

1 496 164

2009

760

Thionville

1 000 000

2009

2 023

Troyes

660 000

2009

600

TOTAL 2009

17 803 300

11 799

Lorient

180 000

2010

1 100

TOTAL 2010

180 000

1 100

Haguenau

256 000

2011

1 130

TOTAL 2011

256 000

1 130

TOTAL GÉNÉRAL

23 195 260

18 332

Source : ministère de la justice

b) Le coût des travaux d'aménagement et de construction

Ainsi, comme cela a été indiqué, la majeure partie des dépenses d'investissement sont imputables aux travaux d'aménagement (visant à la densification des locaux existants ou à l'adaptation des immeubles acquis) et à la construction de nouvelles structures. Cependant, il faut souligner que ces dépenses ont également permis aux juridictions de procéder à la mise aux normes de leur parc immobilier, voire d'engager des opérations de réfection devenues, toutes choses égales par ailleurs, nécessaires.

Selon les informations transmises à vos rapporteurs spéciaux, les dépenses d'investissement inhérentes aux travaux d'aménagement et de construction devraient atteindre 270 millions d'euros environ 24 ( * ) . Les principales opérations prévues sont les suivantes :

Ville de regroupement

Opérations

Coût
(en millions d'euros)

Bourg-en-Bresse
(Ain)

Construction d'un nouveau palais de justice

35,9

Béziers

(Hérault)

Construction d'un nouveau palais de justice

30,5

Limoges

(Haute-Vienne)

Construction d'une nouvelle cité judiciaire

29,1

Saint-Malo

(Ille-et-Vilaine)

Construction d'un nouveau palais de justice

19,3

Périgueux

(Dordogne)

Restructuration du palais de justice et de ses annexes

17,7

Lisieux

(Calvados)

Restructuration du tribunal de grande instance

13,0

Source : ministère de la justice

Le ministère de la justice a précisé à vos rapporteurs spéciaux que l'évaluation des dépenses d'investissement retenue ne tenait pas compte des travaux d'amélioration dont la réalisation s'était avérée nécessaire après l'installation des juridictions .

2. Les dépenses liées aux opérations d'investissement provisoires

Comme vos rapporteurs spéciaux l'ont déjà indiqué, les réimplantations de juridictions ont parfois impliqué des opérations provisoires ; ces dernières avaient pour finalité de permettre le regroupement entre la date de suppression et celle de livraison des locaux définitifs.

Ces opérations ont pris différentes formes. Il a pu, tout d'abord, s'agir de travaux visant à réaménager des locaux provisoirement pris à bail , comme cela a été le cas lors du transfert du tribunal d'instance de Rochechouart à Limoges, ou à densifier momentanément des surfaces disponibles , solution qui a été retenue s'agissant du palais de justice d'Auch. Dans d'autres cas, il a été décidé de procéder à l' externalisation transitoire de certains services , à l'exemple de la section civile du tribunal de grande instance de Valencienne, voire des archives.

Nombre d'opérations provisoires n'ont entraîné aucune dépense , notamment lorsqu'elles ont consisté à occuper des bâtiments gratuitement mis à disposition des juridictions, comme le montre l'exemple du tribunal d'instance d'Aubenas.

Toutefois, les solutions immobilières provisoires qui ont dû être trouvées lors du redéploiement des juridictions ont représenté un coût total de 12,7 millions d'euros environ (cf. tableau ci-dessous).

Dépenses d'investissement par cour d'appel

(en millions d'euros)

Cour d'appel

Solution pérenne

Solution provisoire

Agen

2,18

0,00

Aix-en-Provence

1,67

0,00

Amiens

14,84

1,04

Angers

4,63

0,71

Bastia

0,00

0,00

Besançon

15,50

0,00

Bordeaux

19,29

0,10

Bourges

0,26

0,00

Caen

15,98

0,12

Chambéry

3,47

0,00

Colmar

11,61

0,29

Dijon

4,17

0,00

Douai

12,44

2,32

Grenoble*

1,14

0,00

Limoges

31,04

0.20

Lyon

38,32

0,21

Metz

2,18

0,00

Montpellier

41,73

1,27

Nancy

1,75

0,00

Nîmes

0,25

0,00

Orléans

0,95

0,38

Paris

1,84

0,32

Pau

0,57

0,66

Poitiers

5,05

3,50

Reims

5,98

0,00

Rennes

35,31

0,93

Riom

6,63

0,00

Rouen

11,81

0,25

Toulouse

0,79

0,35

Versailles

1,69

0,00

TOTAL

293,07

12,68

* Les dépenses d'investissement enregistrées au titre de la cour d'appel de Grenoble excluent l'opération de construction d'un palais de justice à Villefontaine dont la réalisation demeure, à ce jour, incertaine (cf. supra ).

Sources : données du ministère de la justice

3. Le total des dépenses d'investissement

Comme cela a été indiqué précédemment, les dépenses totales d'investissement liées aux opérations immobilières menées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire ont été évaluées à 305,8 millions d'euros .

Dépenses d'investissement liées à la réalisation du volet immobilier
de la réforme de la carte judiciaire (2008-2017)

(en millions d'euros)

Année

Autorisations d'engagement

(AE)

Crédits de paiement

(CP)

2008

39,51

9,74

2009

76,59

29,31

2010

72,76

39,37

2011

13,79

18,10

2012

130,33

20,14

2013-2017*

9,82

189,24**

Total

342,80***

305,80**

* Prévisions

** Les crédits de paiement relatifs aux dépenses d'investissement pour la période 2013-2017 sont réduits de 37 millions d'euros afin de tenir compte de l'annulation de l'opération de Saint-Brieuc (13,2 millions d'euros) en mars 2013 et du fait que le financement de la construction d'un palais de justice à Villefontaine (23,8 millions d'euros) n'a pas été prévu dans le cadre du dernier budget triennal

*** Les autorisations d'engagement relatives aux dépenses d'investissement liées aux opérations de Saint-Brieuc et Villefontaine (soit 37 millions d'euros) seront, le cas échéant, annulées du fait de leur non utilisation. Ceci explique la différence constatée entre le total des autorisations d'engagement prévues pour la réalisation du volet immobilier et celui des crédits de paiement dans le présent tableau

Sources : données du ministère de la justice

Aussi l'exécution prévisionnelle fait-elle apparaître une différence de près de 70 millions d'euros avec le coût programmé du volet immobilier tel qu'il avait été arrêté lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme en 2008, soit 375 millions d'euros en dépenses d'investissement. Un tel décalage résulte de l' abandon d'importantes opérations , initialement confiées à l'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ). Selon le secrétariat général du ministère de la justice, les opérations immobilières annulées étaient, de manière générale, celles qui présentaient les bilans financiers et fonctionnels les moins favorables.

Ainsi, en 2009 et 2010, le ministère de la justice a renoncé à procéder à l'extension du tribunal de grande instance d'Évreux et aux opérations de Coutances et de Dunkerque.

De même, en 2011, celle-ci a tiré les conséquences de l'annulation, par le Conseil d'État, du regroupement des juridictions de Moulins et de Cusset et a mis fin au projet de construction d'une cité judiciaire dans cette dernière ville (cf. infra ).

S'agissant de l'extension et de la restructuration du palais de justice de Saint-Brieuc, le jury de concours de maîtrise d'oeuvre mis en place en 2011 s'est prononcé en faveur d'un arrêt de la consultation ; le conseil d'administration de l'APIJ du 29 mars 2013 a pris acte de cet avis et décidé d'arrêter l'opération.

Enfin, il faut rappeler que l'évaluation retenue par vos rapporteurs spéciaux exclut le coût de la construction d'un nouveau palais de justice à Villefontaine. Il a, en effet, déjà été mentionné que le financement de cette opération n'avait pas été prévu dans le cadre du dernier budget triennal.

L'ensemble de ces opérations représentait environ 95 millions d'euros de dépenses d'investissement . Cependant, en lieu et place des opérations immobilières d'ampleur initialement programmées, des travaux plus limités ont été engagés afin de permettre les regroupements de juridictions ; il en a été ainsi, à titre d'exemple, à Évreux, Dunkerque ou encore Coutances.

Par ailleurs, les marges de manoeuvres dégagées du fait de l'annulation d'importantes opérations ont pu permettre d' abonder de légères surconsommations sur d'autres chantiers.

4. Les charges liées aux « petits » travaux et aux déménagements

Aux dépenses d'investissement liées aux opérations immobilières engagées dans le cadre de la réforme sont également venues s'ajouter des dépenses de fonctionnement, correspondant aux travaux de réaménagement de moins de 60 000 euros, à l'acquisition de mobiliers et matériels techniques, aux coûts de déménagement des juridictions et aux frais de nettoyage des locaux libérés .

Elles incluent, en outre, les loyers et charges des locations provisoires prises dans l'attente de la finalisation des opérations de réinstallation pérennes.

Sur la période 2008-2017, ces diverses dépenses auront représenté un montant de 26,1 millions d'euros en crédits de paiement (cf. tableau ci-contre).

Dépenses de fonctionnement liées à la réalisation du volet immobilier
de la réforme de la carte judiciaire (2008-2017)

(en millions d'euros)

Année

Autorisations d'engagement

(AE)

Crédits de paiement

(CP)

2008

3,08

2,06

2009

5,00

4,66

2010

5,69

3,18

2011

4,21

4,63

2012

2,35

2,35

2013-2017*

9,19

9,19

Total

29,52

26,07

* Prévisions

Sources : données du ministère de la justice

5. Les locations de locaux pérennes

Certaines opérations immobilières ont, en outre, induit des dépenses de locations pérennes . Lorsque le réaménagement et la densification des bâtiments existants ne permettaient pas l'accueil des juridictions regroupées, des surfaces supplémentaires ont été prises à bail.

Ainsi, les locations pérennes liées à la réforme portent, à ce jour, sur 20 691 mètres carrés et le montant annuel des loyers atteint 3,4 millions d'euros (cf. tableau ci-dessous).

Locations pérennes liées à la réforme de la carte judiciaire

Année

Montant des loyers
(en euros)

Surfaces

(m²)

2008

130 096

2 034

2009

1 543 400

18 679

2010

3 349 758

20 691

2011

3 431 534

20 691

2012

3 431 534

20 691

Sources : données du ministère de la justice

Il s'agit là de dépenses reconductibles qui ont donc un impact sur le bilan financier du volet immobilier de la réforme à long terme. Néanmoins, cette incidence est difficile à déterminer avec précision dans la mesure où la durée finale des 36 locations prises dans le cadre de la réforme (cf. tableau de la page suivante) n'est pas connue.

Liste des locations pérennes liées à la réforme de la carte judiciaire

Localité

Surfaces

(m²)

Année de fin de bail

Amiens

1 092

2015

Amiens

422

Beauvais

216

Bastia

364

Chaumont

626

Macon

528

Nîmes

140

Nouméa

248

Sens

280

Arras

546

2017

Dunkerque

650

Dunkerque

558

Grenoble

1 003

Saint-Étienne

142

Forbach

322

La Roche-sur-Yon

255

Agen

532

2018

Agen

1 411

Bordeaux

562

Nevers

863

Bourges

1 550

Habsheim

550

Saverne

479

Lens

659

Fort-de-France

560

St Etienne

420

Metz

590

Tours

1 106

Meaux

458

Bayonne

253

Reims

765

Albi

200

Angers

890

2019

La Flèche

120

Épinal

1 189

Pertuis

142

TOTAL

20 691

Sources : données du ministère de la justice

En effet, dans certains cas, des solutions alternatives à la location pourraient être trouvées par les juridictions à une échéance plus ou moins rapprochée , même si un tel processus peut s'avérer difficile.

L'exemple du tribunal d'instance de Tours est, à cet égard, éclairant. Pour l'installation de ce dernier, après sa réunion avec ceux de Loches et Chinon, des locaux d'une superficie de 1 106 mètres carrés ont été loués pour un loyer annuel de 256 167 euros. Or la contribution de Martine Ceccaldi et Martine Comte, respectivement procureur général et première présidente de la cour d'appel d'Orléans, indique que des projets étaient à l'étude pour trouver des solutions d'hébergement plus économiques en remplacement des locaux pris à bail. Ainsi, ces dernières ont, à l'occasion de la mise en vente de locaux de l'ancienne Poste jouxtant le palais de justice de Tours, engagé des négociations avec le propriétaire pour l'acquisition des surfaces. Toutefois, il n'a pas été donné suite à l'offre de vente présentée en juin 2010, son montant ayant été estimé par les services de France Domaine comme supérieur au prix du marché. Des contacts ont donc été repris à partir de février 2012 avec le propriétaire des locaux sur la base d'un projet portant sur une surface plus faible.

En tout état de cause, le secrétariat général du ministère de la justice a insisté sur le fait que des baux n'avaient été pris que lorsqu'il n'existait pas d'alternatives satisfaisantes tant du point de vue financier que fonctionnel. Aussi a-il indiqué que la Chancellerie souhaitait qu'il soit substitué des solutions patrimoniales, plus économes, aux locations dès que cela serait possible.

Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent qu'encourager cette démarche . En effet, il s'agit d' éviter que le bilan financier du volet immobilier de la réforme ne soit trop alourdi par les dépenses, récurrentes, de location 25 ( * ) .

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler que les dépenses de locations pérennes sont susceptibles de provoquer des tensions s'agissant des budgets de fonctionnement des cours d'appel . Si les dotations attribuées à ces dernières permettaient, du fait de la réforme de la carte judicaire, d'assumer ces coûts jusqu'au 31 décembre 2012, tel ne semble plus être le cas à compter de 2013 26 ( * ) ; ainsi les locations pourraient-elles provoquer l'éviction d'autres dépenses de fonctionnement, et notamment de celles destinées à l'entretien du parc immobilier.

6. Les « gâchis » du volet immobilier
a) Les travaux réalisés sur les bâtiments abandonnés

Comme l'avait indiqué l'Union syndicale des magistrats (USM) lors de son audition par le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur la réforme de la carte judiciaire 27 ( * ) : « dans certaines juridictions, des travaux venaient de s'achever juste avant l'annonce de la réforme, en pure perte, puisque les locaux sont devenus inadaptés ».

Les exemples de ces « gâchis » sont nombreux. À titre d'exemple, avant sa fermeture, le tribunal d'instance de Clichy avait fait l'objet de travaux significatifs de mise en conformité et de restructuration en décembre 2005. En outre, des travaux d'amélioration de l'accessibilité ont dû être payés lors de la remise des locaux à la mairie, ces opérations ayant été votées en assemblée générale de copropriété. Au total, la cour d'appel de Versailles a évalué à plus de 1,2 million d'euros les travaux réalisés sur l'implantation judiciaire de Clichy au cours des années ayant précédé sa suppression . Par ailleurs, la même cour d'appel a eu à supporter le coût de petits travaux (de réfection des installations électriques, etc.) au titre de quatre autres tribunaux d'instance également supprimés, pour un montant de 20 000 euros.

L'ensemble de ces travaux devenus, au final, inutiles représente un coût conséquent . Aussi atteint-il 1,6 million d'euros pour la cour d'appel de Riom, 1,3 million d'euros pour celle de Rouen et près d'un million d'euros s'agissant de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. En outre, certaines cours d'appel, comme celles d'Orléans ou de Bourges, n'ont pas été en mesure d'évaluer les opérations qui avaient été réalisées sur les bâtiments abandonnés.

Evidemment, vos rapporteurs spéciaux n'ont pu recenser la totalité des travaux menés inutilement. Néanmoins, pour les treize cours d'appel pour lesquelles ils ont obtenu des données précises sur ce point, leur coût approche 5 millions d'euros 28 ( * ) . Si l'opération de regroupement des tribunaux de grande instance de Vienne et de Bourgoin-Jallieu dans un nouveau palais de justice à Villefontaine devait se réaliser, ce montant serait porté à environ 6 millions d'euros 29 ( * ) . Toutefois, il faut souligner que cette évaluation ne porte que sur un échantillon partiel de cours d'appel .

b) L'annulation du regroupement des juridictions de Cusset et Moulins

Dans une série de trois décisions en date du 19 février 2010 30 ( * ) , le Conseil d'État a annulé les dispositions réglementaires prévoyant le transfert du tribunal de grande instance, du tribunal pour enfants et du tribunal d'application des peines de Moulins à Cusset . La Haute juridiction a, notamment, considéré la « distance importante séparant Moulins de Cusset » et son incidence sur le bon fonctionnement du service public de la justice.

Ces décisions ont eu pour principale conséquence l'annulation de l'opération immobilière initialement prévue concernant le tribunal de grande instance de Cusset pour permettre l'accueil des agents issus des juridictions de Moulins supprimées. Cette dernière devait se dérouler en deux phases. Tout d'abord devait être engagée une phase provisoire, avec la location de surfaces supplémentaires et leur aménagement intérieur, la juridiction cussétoise étant appelée à fonctionner sur deux sites distincts. Celle-ci aurait été suivie d'une phase définitive visant à la construction d'une cité judiciaire. Selon les informations communiquées à vos rapporteurs spéciaux l'annulation de cette opération aurait coûté 600 000 euros.

Le palais de justice de Moulins étant situé dans un bâtiment inscrit à l'inventaire des monuments historiques, vétuste et exigu, le maintien des personnels dans les locaux a imposé l'engagement de travaux de rénovation et de mise en sécurité pour un montant de 650 000 euros. Il faut, par ailleurs, souligner que de tels travaux avaient d'ores et déjà été programmés avant la réforme de la carte judiciaire ; l'annulation de ces opérations du fait de la suppression annoncée de l'implantation de Moulins avait entraîné le versement de pénalités aux entreprises concernées d'un montant d'environ 82 000 euros.

En outre, certains travaux programmés dans le cadre de la fusion des juridictions devraient tout de même être menés s'agissant du palais de justice de Cusset, notamment afin d'améliorer son accessibilité ; de même, celui-ci devra faire l'objet d'une remise aux normes incendie et électrique.


* 17 Cf. audition de Rachida Dati, ministre de la justice, par la commission des finances du Sénat le 14 novembre 2007, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2008.

* 18 Cf. audition de Rachida Dati, ministre de la justice, par la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale le 13 décembre 2007, sur la réforme de la carte judiciaire.

* 19 Interrogé sur ce point, le secrétariat général du ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que les évaluations initiales reposaient sur l'application de ratios uniformes aux opérations immobilières projetées et non sur une programmation fine de ces dernières.

* 20 Les dépenses d'investissement correspondent aux crédits de titre 5 dans le cadre de la nomenclature budgétaire de l'Etat.

* 21 Il s'agit des données arrêtées en avril 2013.

* 22 Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, sont enregistrées dans le titre 3 de la nomenclature précitée.

* 23 Cette évaluation exclut l'opération de construction d'un palais de justice à Villefontaine (cf. supra ).

* 24 La ventilation des dépenses d'investissement par cour d'appel est indiquée dans le tableau ci-contre.

* 25 Cf. infra , sous-partie C, portant sur « Le bilan financier du volet immobilier de la réforme », de la présente partie.

* 26 Cf. rapport d'information n° 662 (2011-2012), op. cit .

* 27 Id.

* 28 Cette estimation a été réalisée à partir des données relatives aux travaux réalisés sur les implantations abandonnées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire depuis 2002.

* 29 En effet, les palais de justice de Vienne et de Bourgoin-Jallieu ont fait l'objet, au cours de la période récente, de travaux pour un montant de 740 000 euros.

* 30 Cf. les décisions du Conseil d'État du 19 février 2010 « M. Pierre Moline et autres » (n° 322407), « Ordre des avocats au barreau de Montluçon et autres » (n° 315700) et « Ordre des avocats au barreau de Moulins » (n° 315813).

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