AVANT-PROPOS

Dans le cadre de son programme annuel de travail, rendu public le 17 octobre dernier, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a confié à vos rapporteurs la tâche de conduire une mission d'information sur l'application des dispositions de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) relatives à la création de l'auto-entrepreneur.

Ce dispositif a connu un grand succès dès la première année de mise en oeuvre où près de 320 000 auto-entreprises avaient été créées fin 2009. En février 2013, le nombre total d'inscrits gérés par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) atteignait près de 900 000 auto-entrepreneurs 3 ( * ) .

Selon les objectifs assignés par le Gouvernement de l'époque, le régime de l'auto-entrepreneur a été créé dans le but de promouvoir l'esprit d'entreprise en France. Outre la mise en place d'une procédure simplifiée de déclaration d'activité, l'intérêt de ce nouveau dispositif consistait essentiellement dans un mode de calcul et de paiement simplifié des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu.

Aussi, plus de quatre ans après son entrée en vigueur, le moment était venu de dresser un premier bilan de son application. Le présent rapport a pour objet de faire le point sur les évolutions législatives et de proposer des axes de préconisations, d'une part, pour corriger les problèmes pratiques de gestion administrative, juridique et statistique, d'autre part, pour améliorer ce régime et assurer un meilleur développement de l'activité auto-entrepreneuriale.

Le contexte entourant les travaux de la commission était particulier puisque, concomitamment, paraissait un rapport d'évaluation remis par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'inspection générale des finances (IGF) 4 ( * ) à la demande du Gouvernement, lequel a annoncé le 12 juin 2012 une réforme du dispositif 5 ( * ) et le dépôt prochain d'un projet de loi.

Néanmoins, vos rapporteurs ont souhaité formuler leurs propres préconisations, à la lumière de leurs auditions, sans se positionner à ce stade par référence directe aux annonces ministérielles. Ce rôle reviendra naturellement à la commission qui sera saisie au fond sur le futur texte.

PREMIÈRE PARTIE - LE CONTRÔLE DE L'APPLICATION DU RÉGIME DE L'AUTO-ENTREPRENEUR

I. LES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR LA CRÉATION DU RÉGIME DE L'AUTO-ENTREPRENEUR

A. LES OBJECTIFS INITIAUX DU DISPOSITIF

1. Les objectifs définis par le rapport « Hurel » : développer une nouvelle forme de travail indépendant en respectant un double impératif de sécurité et de simplicité
a) La création du concept d'auto-entrepreneur pour stimuler la création d'activité

A l'origine du concept d'auto-entrepreneur, le rapport remis par François Hurel 6 ( * ) intitulé « En faveur d'une meilleure reconnaissance du travail indépendant » 7 ( * ) , le 10 janvier 2008, à Hervé Novelli, alors secrétaire d'Etat en charge des entreprises et du commerce extérieur, répondait à une lettre de mission dont les termes indiquaient explicitement la perspective d'un statut encourageant le développement du travail indépendant : « si une amélioration de l'environnement réglementaire de l'entreprise est évidemment nécessaire, il convient également d'engager une politique ambitieuse d'incitation à l'initiative individuelle, fondée notamment sur un passage facilité et sécurisé du statut de salarié au statut d'indépendant, susceptible de s'inscrire dans un cadre cumulatif ou alternatif avec un autre emploi ». A ce stade, le terme d'auto-entrepreneur n'était pas encore évoqué et il s'agissait de rendre plus attractif et plus simple le régime existant du travailleur indépendant dans le cadre de la micro-activité.

C'est en s'inspirant d'exemples étrangers - les « self-employment » anglo-saxon ou les « autonomos » hispaniques - que le rapport « Hurel » a proposé la création d'un « statut de l'auto-entrepreneur » permettant à des individus de créer leur propre activité. Cette nuance concernant la création d'activité montre que l'auto-entrepreneur n'est pas un créateur d'entreprise proprement dit et demeure un travailleur indépendant.

b) Deux contraintes difficilement conciliables : simplicité et sécurité

Il faut également retenir de ce rapport que le développement souhaité d'un nouveau statut devait répondre à un double impératif de sécurité et de simplicité . Ces deux éléments de mise en oeuvre sont donc consubstantiels à la création du régime de l'auto-entrepreneur et c'est donc bien à l'aune de ces deux objectifs, bien qu'ils puissent apparaître antinomiques, qu'il conviendra d'analyser la bonne application de ce dispositif.

Mais d'emblée, on a pu considérer que l'argument de la simplicité avait dès l'origine pris le pas sur l'impératif de sécurité . En effet, les propositions du rapport mettaient l'accent très explicitement sur la simplification de l'environnement fiscal et social :

- simplifier le mode de calcul et de recouvrement de l'ensemble des cotisations sociales ;

- alléger le cas de cumul entre activité salariée et non salariée et ses conséquences en matière de cotisations sociales ;

- instaurer sur option le prélèvement fiscal à la source pour les revenus du travail indépendant.

2. La loi de modernisation de l'économie : la création d'un régime dérogatoire fondé sur la simplicité des conditions d'inscription
a) Le choix privilégié par le Gouvernement pour assurer le succès du dispositif : la simplification des formalités d'inscription

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) a créé le régime de l'auto-entrepreneur afin de promouvoir l'esprit d'entreprise en France. L'intérêt de ce nouveau dispositif a consisté essentiellement dans un mode de calcul et de paiement simplifié des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu. Afin de stimuler le désir d'entreprendre, il s'agissait d'offrir à chacun, et notamment pour les salariés victimes de la crise économique, un moyen nouveau de créer une activité et d'expérimenter, à moindre frais, ce qui pourrait devenir à terme une entreprise créatrice d'emplois.

Ainsi, l'exposé des motifs du projet de loi présenté par Mme Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi précisait qu'il s'agissait, pour le premier volet de la loi, d'encourager les entrepreneurs tout au long de leur parcours et de simplifier le statut de ceux qui se lancent dans la création d'entreprise .

Il n'est pas anodin de remarquer que ce projet « phare » du Gouvernement a fait l'objet du premier chapitre de la LME, son article premier prévoyant de mettre en place un régime incitatif et simplifié pour l'auto-entrepreneur qui souhaite mener une activité indépendante, à titre principal ou de façon accessoire à un statut de salarié ou de retraité .

Concrètement, ce régime simplifié se présentait sous la forme d'un prélèvement libératoire fiscal et social, sur une base mensuelle ou trimestrielle, égal à 13 % de son chiffre d'affaires pour les activités de commerce et à 23 % pour les activités de services. Ce régime simplifié s'applique dans le champ actuel du régime micro-fiscal, pour les personnes ayant un revenu fiscal de référence n'excédant pas, par part de quotient familial, la limite supérieure de la troisième tranche du barème de l'impôt sur le revenu, soit 26 420 euros 8 ( * ) . Ainsi présenté, ce régime n'est donc pas aussi simple puisqu'il s'adosse à des régimes sociaux et fiscaux existants, ainsi que cela est exposé plus avant dans le présent rapport.

L'atout principal du nouveau dispositif reposait sur la mise en place d'une procédure simplifiée de déclaration d'activité par voie électronique et selon des modalités d'inscription automatisées.

En cas de création d'activité, l'auto-entrepreneur pouvait simplement se déclarer auprès du centre de formalités des entreprises, via un site internet géré par l'Acoss, sans obligation d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. La déclaration auprès du centre de formalités des entreprises avait pour objet d'assurer que l'entreprise soit déclarée aux services fiscaux et sociaux, s'acquitte des charges fiscales et sociales dont elle est redevable et soit contrôlée comme toute entreprise qui a fait l'objet d'une immatriculation. De plus, l'auto-entrepreneur se voit attribuer automatiquement par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) un numéro SIREN qui doit figurer sur ses factures, notes de commande, tarifs et sur toute correspondance.

L'objectif de simplification des formalités d'inscription pouvait donc être considéré comme atteint puisqu'en quelques « clics », tout usager se voyait ouvert le droit de créer sa propre activité, dotée d'un régime social et fiscal spécifique.

b) Le paradoxe : l'auto-entreprise n'est pas un nouveau statut spécifique mais un régime social et fiscal dérogatoire de celui du travailleur indépendant

Toutefois, l'attention de vos rapporteurs a été attirée sur le fait que, malgré la forte médiatisation entourant ledit « statut de l'auto-entrepreneur », il ne s'agit en réalité que d'un régime social et fiscal dérogatoire de celui, déjà existant, du travailleur indépendant. Ainsi, le terme « auto-entrepreneur » n'apparaît ni dans la LME, ni dans les décrets d'application et modifications législatives ultérieures du dispositif.

Ainsi l'auto-entrepreneur est certes identifié sur ses documents au moyen d'un numéro Insee mais en absence de statut clairement reconnu juridiquement, il est défini par la mention « dispensé d'immatriculation en application de l'article L. 123-1-1 du code de commerce » ou « dispensé d'immatriculation en application du V de l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat ». Ces formulations ne sont explicites ni pour le bénéficiaire du régime, notamment pour les chômeurs ou les personnes souhaitant voir reconnu leur activité aux yeux de la société - cet élément psychologique dans la création d'activité a été plusieurs fois rappelé au cours des auditions -, ni pour le consommateur.

La raison de cette méprise sur la nature juridique du régime de l'auto-entrepreneur, qui n'est donc pas un statut spécifique provient du rattachement du régime dérogatoire de paiement des cotisations sociales à celui du régime micro-fiscal créé pour le travailleur indépendant. En quelque sorte, l'auto-entrepreneur est un travailleur indépendant qui répond à une série de conditions particulières. Sur le plan strictement juridique, ni au regard du droit de la sécurité sociale ni au regard du droit des sociétés ce régime ne crée un statut qui serait distinct de celui des travailleurs indépendants. Il ne constitue qu'un mode particulier de calcul et de paiement des impositions sur le revenu et des contributions sociales, en étant adossé à des formalités simplifiées de déclaration de l'activité.

La LME a créé le régime de l'auto-entrepreneur pour permettre à toute personne physique, étudiant, salarié, demandeur d'emploi, retraité ou entrepreneur, d'exercer très simplement une activité artisanale, commerciale ou indépendante sous forme individuelle, que ce soit à titre principal ou accessoire dès lors que son chiffre d'affaires est inférieur à 80 000 euros pour le commerce et 32 000 euros pour les services (plafonds en vigueur lors de l'entrée en application du dispositif).

Le régime comporte trois volets : le volet social , le volet fiscal et le volet déclaratif .

S'agissant du volet social, l'option pour le régime du micro-social simplifié doit être exercée par l'auto-entrepreneur lors de la déclaration de création de son entreprise au centre de formalités des entreprises. Dans le cas d'un entrepreneur déjà en activité, l'option doit être exercée au plus tard le 31 décembre pour produire ses effets l'année suivante, par demande auprès de la caisse de base du régime social des indépendants dont il relève. À titre exceptionnel, l'option a pu être exercée jusqu'au 31 mars 2009 par l'entrepreneur en activité pour une application au titre de 2009. L'auto-entrepreneur bénéficie alors des avantages suivants : il est affilié à la sécurité sociale, valide des trimestres de retraite et s'acquitte forfaitairement de ses charges sociales personnelles, mensuellement ou trimestriellement (forfait de 12 % pour une activité commerciale, de 18,3 % pour une activité libérale et de 21,3 % pour une activité de services à caractère commercial) uniquement sur ce qu'il encaisse (taux en vigueur lors de l'entrée en application du dispositif).

Sur le plan fiscal, si le revenu fiscal de référence ne dépasse pas la limite supérieure de la troisième tranche du barème de l'impôt sur le revenu par part de quotient familial (soit 25 195 euros 9 ( * ) ), l'auto-entrepreneur peut également opter pour le volet fiscal du dispositif. L'option pour le régime du micro-fiscal simplifié, qui doit être exercée dans les mêmes conditions que l'option pour le régime du micro-social simplifié, permet à l'auto-entrepreneur de s'acquitter forfaitairement, mensuellement ou trimestriellement, de l'impôt sur le revenu au titre de son activité (forfait de 1 % pour une activité commerciale, de 1,7 % pour une activité de services à caractère commercial et de 2,2 % pour une activité libérale), uniquement sur ce qu'il encaisse.

L'auto-entrepreneur bénéficie également d'une exonération de contribution foncière des entreprises (CFE) pendant trois ans à compter de la création de son entreprise, cette mesure ne s'appliquant qu'au créateur d'entreprise et non pas à l'entrepreneur déjà en activité. Enfin, comme dans le régime de droit commun, l'auto-entrepreneur peut, dès lors qu'il remplit les conditions, opter pour un prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu et bénéficier de la franchise en base de TVA, ce qui signifie qu'il n'est plus redevable de la TVA. En contrepartie, il ne peut pas déduire la TVA payée sur les achats réalisés pour les besoins de son activité.


* 3 Cf. annexe II « Bilan du dispositif auto-entrepreneurs à fin février 2013 » (Acoss)

* 4 Cf . infra le compte rendu de l'audition du 24 avril 2013 de MM. Pierre Deprost, inspecteur général des finances, et Philippe Laffon, inspecteur général des affaires sociales. Le rapport est consultable en ligne à l'adresse internet suivante :

http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2013/2012-M-085-01%20Auto-entrepreneur_IGF_IGAS.pdf

* 5 Cf . annexe III « Communication de Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme, relative à l'adaptation du régime de l'auto-entrepreneur et au soutien à l'entrepreneuriat individuel ».

* 6 Alors délégué général de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, M. François Hurel a été auditionné par vos rapporteurs en qualité de président de l'Union des auto-entrepreneurs.

* 7 Le rapport « Hurel » est consultable sur le site internet de la Documentation française à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000019/index.shtml

* 8 Barème de l'imposition des revenus perçus en 2012.

* 9 Barème de l'imposition des revenus lors de la mise en oeuvre du dispositif.

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