B. LES MISSIONS D'ÉVALUATIONS SUCCESSIVES

1. Un premier rapport d'inspection en décembre 2010

Après une année révolue de mise en oeuvre, le Gouvernement a commandé à l'inspection générale des finances en aout 2010 une analyse approfondie du régime afin de comparer la situation des auto-entrepreneurs avec celle des entreprises des mêmes secteurs qui ne bénéficient pas de ces modes de calcul simplifiés. La lettre de mission demandait également d'étudier l'adéquation des obligations déclaratives au regard des objectifs de simplification administrative et de lutte contre le travail dissimulé.

Rendu en décembre 2010, ce rapport - qui n'a pas été publié - a mis en lumière les premières dérives du régime, notamment celles dénoncées par les organisations représentatives des artisans en matière de distorsions de concurrence et celles engendrées par la simplicité même du dispositif avec pour conséquences des problèmes de gestion et des risques de dérives en matière de travail dissimulé.

Malgré le succès quantitatif enregistré par le régime de l'auto-entrepreneur, le rapport de l'IGF recommandait déjà trois séries de correctifs :

- tout en indiquant que les risques d'atteinte à la concurrence demeuraient limités en matière sociale et fiscale il n'en reconnaissait pas moins que « certaines dispositions avantageuses du régime méritent sans doute probablement d'être revues non seulement dans une optique de saine concurrence mais aussi pour mieux protéger également les clients des auto-entrepreneurs et assurer à ces derniers une meilleure sécurité de gestion et de pérennité » ;

- en matière de lutte contre le travail dissimulé, même si celui-ci aurait diminué dans un premier temps avec l'essor de l'auto-entreprenariat, « il apparaît aujourd'hui nécessaire de prendre certaines mesures correctives pour éviter des risques de dérives susceptibles d'apparaître ou de se développer » ;

- enfin, le rapport faisait état des difficultés de gestion rencontrées par l'Acoss, la DGFiP et les Urssaf « largement liées au développement rapide et massif du régime » et appelait à traiter sur le fond « certains problèmes juridiques lourds » comme ceux relatifs aux professions réglementées.

Plus largement, dès 2010, de nombreuses corrections et des améliorations étaient préconisées pour enrayer les dérives en matière de sous-estimation du chiffre d'affaires, de renforcement des contrôles, d'information et d'accompagnement des auto-entrepreneurs.

Ainsi, l'afflux en masse de nouveaux auto-entrepreneurs a-t-il posé un problème de gestion pratique pour le réseau de recouvrement des cotisations sociales, les conséquences en étant :

- une prise en charge excessivement mobilisatrice en ressources humaines des Urssaf ;

- des réponses incomplètes sur les domaines ne relevant pas du domaine de compétence des Urssaf (statuts juridiques, fiscalité, formation, accompagnement, lesquels relèvent d'autres organismes et administrations).

2. Le rapport Deprost/Laffon d'avril 2013

A la demande du Gouvernement, l'inspection générale des finances et l'inspection des affaires sociales ont remis leur rapport de mission qui a été rendu public le 8 avril dernier 20 ( * ) et votre commission a procédé à leur audition le 24 avril.

Pour mémoire, ce régime visait à l'origine à faciliter la création d'entreprise par un dispositif d'accès simple qui permettait de s'affranchir des freins administratifs. Depuis 2008, il a généré plus de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Près de 900 000 auto-entrepreneurs sont administrativement actifs fin février 2013. Cependant, près de la moitié des auto-entrepreneurs ne dégagent pas de chiffre d'affaires, et 90 % d'entre eux réalisent un chiffre d'affaires inférieur au SMIC.

La mission s'est heurtée dans ses travaux à la faiblesse du suivi statistique des auto-entrepreneurs, ce qui s'est vérifié dans les auditions menées dans le cadre de la mission sénatoriale de contrôle de l'application des lois.

Par ailleurs, le rapport reconnaît l'existence de risques et parfois d'abus liés à ce régime en matière de concurrence déloyale, de salariat déguisé en fausse sous-traitance, ou de fraudes, mais en relativise la portée, ce qui ne signifie pas pour autant que ces phénomènes ne sont pas importants.

La mission ne propose pas de bouleversement du régime fiscal et social et se « contente » de préconiser des ajustements du cadre fiscal et social dans le sens d'une plus grande équité avec les autres régimes de création d'entreprise, et formule des recommandations en matière de suivi statistique, d'accompagnement des auto-entrepreneurs, et de contrôles.

Il faut ainsi noter que le rapport IGAS-IGF n'a pas retenu au titre de ses propositions le critère de limitation de durée du régime et propose le maintien du périmètre des activités concernées par le régime (donc le maintien de l'artisanat et du bâtiment dans le régime de l'AE).

La mission a privilégié quatre axes de propositions :

- la préservation du cadre social et fiscal du dispositif, par souci de sécurité juridique ;

- la modification des systèmes statistiques et les obligations déclaratives pour assurer une meilleure connaissance et une meilleure visibilité des AE ainsi que pour défendre la protection du consommateur et l'intégrité des professions réglementées ;

- la construction d'un dispositif d'accompagnement partagé, fondé sur une meilleure coordination des acteurs, des actions précoces (dès la création de l'activité), un diagnostic de croissance et d'accompagnement en cours d'activité, proposé systématiquement aux AE ayant un chiffre d'affaires supérieur à 50 % des plafonds et pris en charge par la cotisation formation continue selon un tarif défini, validé par un reçu libératoire ;

- le lancement d'une politique d'information et de sensibilisation envers les fraudes ou détournements du dispositif auprès des AE, des entreprises et des consommateurs, notamment en renforçant l'information sur le statut et le développement de contrôles ciblés.

Découlent de ces propositions une liste de 28 recommandations ( cf . rapport) dont les principales concernent :

- la mise en place de planchers de cotisation pour le bénéfice des indemnités journalières maladie et maternité ;

- la suppression de l'exonération pendant 3 ans de la contribution foncière des entreprises (CFE) ;

- l'obligation de déclaration du caractère principal ou accessoire de l'activité ;

- la garantie de qualification professionnelle et d'assurance ;

- le renforcement du dispositif statistique ;

- l'accompagnement de l'AE dans la pérennisation et le développement de son activité.

Comme suite donnée à ce rapport, Mme Sylvia Pinel, ministre de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme, a annoncé, comme nous l'avons précisé plus haut, la présentation d'un projet de loi pour la fin du mois de juillet prochain en vue d'un examen à l'automne ( cf . annexe III).

Les 28 recommandations du rapport de l'IGAS et de l'IGF

Recommandation n° 1 : Conserver les paramètres fondamentaux du régime en matière de déclaration et paiement des obligations sociales (taux forfaitaire de prélèvement sur le dernier chiffre d'affaires connu)

Recommandation n° 2 : Renforcer le caractère contributif du régime en matière d'indemnités journalières maladie et maternité pour que les droits soient proportionnés à l'effort contributif et accessible à partir d'un revenu de 200 SMIC horaires

Recommandation n° 3 : Prévoir des exonérations de CFE pour les AE avec les chiffres d'affaires les plus faibles (moins de 7500 € de CA annuels).

Recommandation n° 4 : Supprimer l'exonération de CFE liée aux trois premières années d'activité.

Recommandation n° 5 : Intégrer la CFE dans « le panier » des cotisations et contributions réglées forfaitairement dans le cadre du régime, sous forme d'un prélèvement additionnel,

Recommandation n° 6 : Rendre obligatoire, lors de l'adhésion et tant pour le formulaire papier que pour le formulaire en ligne, la mention « activité principale ou accessoire » pour tous les AE quelles que soient leur qualité (artisan, commerçant ou profession libérale) et leur activité. Rendre ce critère bloquant afin que la déclaration d'activité ne puisse être validée en l'absence de cette information.

Recommandation n° 7 : De la même manière, rendre obligatoire et bloquante sur la déclaration d'activité les mentions suivantes :

Recommandation n° 8 : Rendre obligatoire et bloquante sur la déclaration d'activité le statut du déclarant avant son entrée dans le dispositif (s'il était salarié, le nom et immatriculation SIREN de son ou ses employeurs).

Recommandation n° 9 : Conserver le périmètre des activités concernées par le régime.

Recommandation n° 10 : Ne pas limiter dans la durée le bénéfice du régime et ne pas modifier les règles de radiation du régime.

Recommandation n° 11 : Enrichir l'enquête de l'INSEE sur une cohorte d'auto-entrepreneurs de questions en matière de connaissance et de mise en oeuvre des obligations de l'AE

Recommandation n° 12 : Mettre en place une requête statistique permettant un chaînage entre les comptes d'AE et les comptes de travailleurs indépendants et publier une synthèse des résultats obtenus (ACOSS)

Recommandation n° 13 : Financer des projets d'études sur le positionnement et les activités des auto-entrepreneurs dans leur secteur (DGCIS).

Recommandation n° 14 : Garantir le respect des qualifications professionnelles pour les professions réglementées de l'artisanat par l'immatriculation gratuite au registre des métiers et de l'artisanat des artisans, à titre complémentaire ou principal, des AE concernés.

Recommandation n° 15 : Subordonner le bénéfice du régime à une attestation d'assurance lorsque la réglementation de la profession concernée le requiert, l'adhésion étant « suspendue » et l'AE empêché d'exercer en attente de l'envoi au CFE des documents justificatifs.

Recommandation n° 16 : Assurer la coordination des acteurs de l'accompagnement et veiller à l'implication concrète de chaque acteur selon ses objectifs.

Recommandation n° 17 : Améliorer la connaissance des auto-entrepreneurs par le réseau d'accompagnement

Recommandation n° 18 : Agir dès la création d'une auto-entreprise : informer et former

Recommandation n° 19 : Accompagner l'AE dans la pérennisation et le développement de son activité.

Recommandation n° 20 : Assurer le financement des dispositifs de formation et d'accompagnement individualisé.

Recommandation n° 21 : Développer la synergie avec des réseaux d'entreprise.

Recommandation n° 22 : Étendre le dispositif d'information de l'employeur à l'exercice d'activités relevant du contrat de travail, que l'activité se fasse auprès des clients de l'employeur ou non, par une modification de l'article L. 12311 du code de commerce et de l'article 19. V de la loi du 5 juillet 1996

Recommandation n° 23 : Préciser les dispositions de l'article R. 232317 du code du travail pour que le bilan social transmis au comité d'entreprise mentionne les données connues de l'employeur en matière d'auto-entreprenariat (exercé par les salariés dans le domaine d'activité de l'entreprise, recours par l'entreprise à des auto-entrepreneurs)

Recommandation n° 24 : Modifier le décret du 30 décembre 2008 pour préciser que l'AE indique clairement sur ses documents sa qualité d' « Auto-entrepreneur » et étendre cette obligation aux activités libérales

Recommandation n° 25 : Faciliter l'ouverture et l'accès en consultation des fichiers détenus par les partenaires ; organiser des flux de fichiers de l'ACOSS vers les organismes consulaires afin de les mettre en situation de contacter les nouveaux entrepreneurs.

Recommandation n° 26 : Renforcer la coopération entre l'ACOSS et l'inspection du travail d'une part, les organismes versant des revenus de transfert d'autre part et donner des instructions convergentes de verbalisation et de détection des situations à risque aux corps de contrôle compétents.

Recommandation n° 27 : Développer les contrôles préventifs en concertation avec les organisations professionnelles.

Recommandation n° 28 : Utiliser l'exploration de données issues des déclarations des AE pour cibler davantage les contrôles.


* 20 Cf. infra le compte rendu de l'audition du 24 avril 2013 de MM. Pierre Deprost, inspecteur général des finances, et Philippe Laffon, inspecteur général des affaires sociales. Le rapport est consultable en ligne à l'adresse internet suivante :

http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2013/2012-M-085-01%20Auto-entrepreneur_IGF_IGAS.pdf

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page