B. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DU RÉGIME

1. Les perspectives financières du régime de retraite des marins

Selon les projections d'évolution de la masse des ressources et de la masse des pensions communiquées au conseil d'orientation des retraites (COR), le solde financier du régime devrait continuer de se dégrader jusqu'en 2018 . Cette dégradation serait due en particulier à la baisse des ressources.

Les transferts de compensation entre régimes d'assurance vieillesse au bénéfice du régime des marins devraient diminuer tout au long de la période de projection . Ainsi, le solde dit « élargi » du régime de retraite des marins, c'est-à-dire le solde prenant en compte les transferts des autres régimes et la subvention de l'Etat à son niveau de 2011, ne devrait se rétablir qu'à partir de 2019.

Perspectives d'évolution du solde élargi du régime de retraite des marins
à l'horizon 2060

Source : secrétariat général du conseil d'orientation des retraites, « Perspectives 2020, 2040 et 2060 du régime de retraite des marins », mars 2013

Les mesures d'âge de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 n'ont eu et ne devraient avoir que très peu d'effets sur la situation financière du régime spécial des marins, dans la mesure où ce dernier a été exclu de la réforme. Les effets ne sont qu'indirects et concernent uniquement les bénéficiaires d'une pension spéciale, qui ont cotisé quinze années ou moins à l'ENIM. Pour ceux-ci, l'âge moyen de départ à la retraite a augmenté de 60 ans en 2010 à 60,4 ans en 2012, tandis qu'il est resté stable pour les bénéficiaires d'une pension proportionnelle ou d'ancienneté (54,6 ans en 2012).

Enfin, il convient de noter qu'il n'existe pas d'obligation juridique d'équilibrage annuel du régime des marins par l'Etat , contrairement aux caisses de retraite de la SNCF et de la RATP. La direction du budget considère que la subvention doit seulement contribuer à assurer l'équilibre. Ces dernières années, la subvention de l'Etat a ainsi été calibrée de sorte à laisser un déficit pour l'ENIM. Cette situation a pour conséquence un prélèvement sur son fonds de roulement de l'ordre de 28 millions d'euros en 2012 et de 47 millions d'euros en 2013.

2. Trois scénarios d'évolution
a) La mise en extinction du régime

Face au déficit structurel du régime de retraite et de sécurité sociale des marins, plusieurs solutions sont envisageables. Une première option serait la fermeture de l'affiliation au régime , afin de rattacher progressivement les professionnels des secteurs maritimes au régime général.

Une mise en extinction aurait pour conséquence le transfert des obligations - c'est-à-dire des droit acquis par les marins, les anciens marins et leurs ayants droit - contractées par le régime de retraite des marins au régime général, soit un montant estimé à 27,8 milliards d'euros au 31 décembre 2012 . Le régime des marins continuerait d'exister pendant plusieurs décennies, jusqu'à ce que le dernier retraité du régime disparaisse.

Cette option a été utilisée à plusieurs reprises, notamment pour les régimes suivants :

- le régime de retraite de la SEITA ; l'affiliation à ce régime a été fermée en 1981, ce qui correspond à l'arrêt du recrutement de personnel sous le statut particulier de la SEITA ;

- le régime minier ; la réforme de 2011 42 ( * ) a posé le principe selon lequel seules les personnes affiliées au régime avant le 1 er septembre 2010 peuvent prétendre au bénéfice du régime de sécurité sociale dans les mines ;

- le régime d'assurance maladie de la Banque de France ; depuis le 1 er janvier 2008, les personnes relevant de ce régime sont désormais affiliées au régime général de sécurité sociale. Le régime spécial d'assurance vieillesse reste néanmoins ouvert.

S'agissant du régime de retraite et de sécurité sociale des marins, le scénario de la mise en extinction n'apparaît pas être une solution pertinente à court et moyen terme pour les deux raison suivantes :

- le régime ne concerne pas des professions qui sont totalement en extinction. Si le nombre de marins actifs est faible, avec environ 29 000 cotisants en 2012, celui-ci devrait se stabiliser aux alentours de 20 000 actifs en 2020. La fermeture du régime enverrait de surcroît un signal très négatif vis-à-vis des secteurs concernés ;

- le régime jouit d'un attachement fort de la part des bénéficiaires. Selon l'enquête d'opinion réalisée en 2011 43 ( * ) , 94 % des affiliés interrogés sont attachés à l'ENIM et considèrent qu'il est important que les marins aient un régime spécifique de protection sociale, compte tenu des particularités des métiers maritimes.

b) Le transfert de la gestion du régime spécial au régime général

Un deuxième scénario envisageable serait le transfert de la gestion du régime de retraite et de sécurité sociale des marins au régime général, c'est-à-dire à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) pour les risques maladie, maternité, invalidité et AT-MP et à la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) pour le risque vieillesse. Cette option permettrait de conserver le régime spécial et ses règles spécifiques mais aurait pour conséquence la disparition de l'ENIM.

Compte tenu des efforts importants entrepris par l'établissement depuis 2009 pour moderniser ses outils et ses méthodes de gestion ainsi que ses efforts de rapprochement avec les autres régimes, un tel transfert n'apparaît pas nécessaire .

En outre, les difficultés de l'adossement technique à la CNAMTS pour les prestations maladie ont montré les limites de l'intégration de règles spécifiques en matière de prestations dans le cadre du régime général.

Votre rapporteur spécial suivra avec attention les progrès de l'ENIM dans sa démarche de mise à niveau du service offert aux assurés, par rapport aux autres organismes de protection sociale.

c) L'alignement progressif avec le régime général, tout en conservant certaines spécificités

Parmi les diverses options disponibles, l'alignement partiel du régime spécial des marins sur le régime général représente l'option la moins radicale.

C'est la démarche qui a été retenue en 2008 pour les régimes spéciaux de retraite de la SNCF, de la RATP, des industries électriques et gazières, de la Comédie française et de l'Opéra national de Paris. L'une des mesures principales de cette réforme était l'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Le régime choisi comme référence était alors le régime de la fonction publique.

En 2010, les règles du régime de retraite de la fonction publique - notamment en matière de taux de cotisations salariales et de possibilité de départs anticipés pour les parents de trois enfants et plus - ont quant à elles été alignées sur celles du régime général d'assurance vieillesse.

La réforme de 2008 des régimes de retraite de la SNCF et de la RATP

Deux décrets, adoptés en juin 2008, ont réformé les régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP, en les harmonisant partiellement avec le régime de retraite de la fonction publique . Les principaux paramètres de convergence ont été les suivants :

- le passage de 37,5 ans à 40 ans en 2012, puis à 41 ans en 2016, de la durée d'assurance pour bénéficier d'une retraite à taux plein ;

- l'indexation des pensions sur les prix, et non plus sur les rémunérations des entreprises ;

- l'introduction d'une décote et d'une surcote afin d'encourager les salariés à travailler plus longtemps ;

- la suppression des bonifications gratuites de trimestres pour les nouveaux recrutements ;

- la suppression des « clauses-couperets », c'est-à-dire de la mise à la retraite d'office des salariés par leurs employeurs dès l'ouverture de leurs droits.

En compensation, des « mesures d'accompagnement » ont été accordées aux salariés de la SNCF et de la RATP, telles que :

- la création d'échelons supplémentaires d'ancienneté, attribués de façon automatique à partir de 28,5 ans d'ancienneté à la SNCF et de 28 ans d'ancienneté à la RATP ;

- l'intégration de primes pour le calcul de la retraite, en particulier au travers de l'intégration de la prime de travail dans la prime de fin d'année et de la prime de vacances dans le salaire liquidable ;

- diverses mesures de fin de carrière. Celles-ci prennent principalement la forme de majorations salariales à la SNCF tandis qu'à la RATP, l'attribution systématique de « points retraite » est privilégiée.

Selon la Cour des comptes, les gains prévisionnels de ces réformes pour les caisses de retraite des deux entreprises seraient insuffisants pour alléger substantiellement la subvention de l'Etat . La subvention de l'Etat à la caisse de retraite du personnel de la SNCF devrait ainsi rester au même niveau jusqu'en 2017 (soit environ 3,1 milliards d'euros) et celle versée à la caisse de retraite de la RATP devrait croître de façon significative jusqu'en 2019, pour atteindre un maximum de 690 millions d'euros.

En outre, les « mesures d'accompagnement » se traduisent par un surcoût important pour les deux entreprises : le coût cumulé de ces mesures est estimé à 1,7 milliard d'euros sur la période 2011-2018 pour la SNCF et à 200 millions d'euros sur la période 2011-2020 pour la RATP. La Cour des comptes conclue : « l'aspect symbolique de ces réformes a été privilégié sur leur contribution à l'équilibre des finances publiques ».

Source : Cour des comptes, « Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale », septembre 2012

Pour votre rapporteur spécial, l'harmonisation partielle avec le régime général, combinée à une simplification des règles de calcul des pensions et des contributions patronales, constitue la meilleure option pour modernise r le régime spécial des marins et permettre ainsi d'assurer son maintien .

3. Dépasser le statu quo pour véritablement moderniser le régime
a) Une harmonisation « vers le haut » en matière de protection des femmes marins enceintes et d'AT-MP

Aligner le régime spécial des marins sur le régime général ne signifie pas nécessairement revoir « à la baisse » les garanties offertes par le régime. Ceci est d'autant plus vrai dans le cas du régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins, dont certaines règles ont pour conséquence une protection moins favorable que celle offerte par le régime général.

Au cours de ses travaux, l'attention de votre rapporteur spécial a été attirée sur deux points : la protection des femmes marins enceintes et la couverture des marins en matière d'accidents du travail et de maladie professionnelle (AT-MP).

S'agissant des femmes exerçant la profession de marins , comme il l'a déjà été indiqué plus haut, l'arrêté du 16 avril 1986 relatif aux conditions d'aptitude physique à la profession de marin 44 ( * ) prévoit que l'état de grossesse est incompatible avec la navigation . Cette disposition réglementaire a pour conséquence la suspension du contrat de travail pour inaptitude physique dès qu'une grossesse est constatée et entraîne donc une perte de revenus jusqu'à ce que les indemnités journalières maternité n'interviennent, six semaines avant l'accouchement. Certes, ce problème concerne un public très limité - le régime comptait en 2012 seulement 1 486 femmes marins actives pour environ soixante cas de grossesse - mais une solution pérenne doit être trouvée.

La décision de l'ENIM 45 ( * ) de mettre en place un dispositif d'indemnisation spécifique au titre de l'action sanitaire et sociale de l'établissement est une avancée importante. Cette indemnité représente 90 % du salaire forfaitaire, dans la limite d'un certain plafond. Le montant total de ces indemnisations représenterait entre 350 000 et 450 000 euros par an.

Si cette indemnisation par l'ENIM permet de répondre en partie aux difficultés des femmes marins, l'obligation de reclassement dans un emploi à terre constituerait à terme une solution plus satisfaisante et présenterait l'avantage de limiter la hausse de la subvention versée à l'ENIM. L'action sanitaire et sociale de l'établissement est en effet financée en grande majorité par une subvention du budget général de l'Etat.

Concernant la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'absence de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est défavorable aux marins . Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011 46 ( * ) , prise à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité, il serait envisagé de mettre en place pour les marins une prestation de majoration de rente en cas de faute inexcusable de l'employeur, telle qu'elle existe dans le régime général.

Votre rapporteur spécial suivra avec attention les mesures proposées pour moderniser la couverture AT-MP du régime des marins dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale .

Recommandation n° 8 : garantir aux femmes marins enceintes une protection satisfaisante, en rendant applicable l'obligation de reclassement sur un emploi à terre .

Recommandation n° 9 : moderniser la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles, en tirant les conséquences, sur les plans réglementaire et financier, de la décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011, ayant permis aux marins d'invoquer la faute inexcusable de l'employeur .

b) Approfondir l'analyse par secteur d'activité afin de faire évoluer les règles d'âge

La pénibilité importante du travail à bord d'un navire est l'une des principales raisons de l'existence d'un régime dérogatoire au droit commun pour les marins. En plus de la France, un certain nombre d'autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques 47 ( * ) prévoient des règles d'âge de départ à la retraite et de durée de cotisation plus favorables pour les marins, en raison de la pénibilité de leur métier.

Au vu des progrès réalisés dans la construction des navires et de la diversité des professions maritimes affiliées à l'ENIM, il est nécessaire de mener une réflexion approfondie sur les conditions réelles de pénibilité de chaque profession et de chaque secteur . Si les conditions de travail demeurent très difficiles dans le secteur de la pêche maritime, un départ à la retraite à cinquante-cinq ans semble moins justifié pour certains emplois, notamment dans le secteur du transport maritime.

Age moyen de départ à la retraite en 2011

(en années)

Salariés du secteur privé (CNAMTS)

61,9

Fonctionnaires de l'Etat

57,1

Fonctionnaires hospitaliers et territoriaux (CNRACL)

58,4

Commerçants et artisans (RSI)

62,2

Professions libérales

63,7

Personnel de la SNCF

55,1

Personnel de la RATP

54,4

Marins

Pension spéciale (pour les marins ayant cotisé moins de quinze annuités)

60,1

Pension proportionnelle et d'ancienneté

54,6

Source : ENIM ; secrétariat général du conseil d'orientation des retraites, projections régime par régime, mars 2013

Les abus en matière de cumul d'une pension de l'ENIM avec un emploi de navigant chez certains officiers et marins du personnel d'exécution 48 ( * ) de navires de la marine marchande ont mis en lumière les effets pervers que peuvent avoir des conditions d'âge de départ à la retraite trop favorables. Une circulaire du ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie du 13 février 2013 49 ( * ) tente de mettre fin à ces pratiques en rappelant les règles applicables aux marins en matière de cumul emploi-retraite.

Une meilleure connaissance de la pénibilité des différents métiers maritimes est nécessaire. Sur le fondement d'une analyse détaillée de la pénibilité par secteur et profession, il serait possible de mettre en place une modulation de l'âge de départ selon le niveau de pénibilité. Une telle mesure permettrait de renforcer l'équité au sein du régime des marins, mais aussi entre le régime des marins et les autres régimes de retraite .

Votre rapporteur spécial souhaite que les régimes spéciaux, et en particulier le régime spécial des marins, ne soient pas écartés des discussions sur la pénibilité dans le cadre du futur projet de loi portant réforme des retraites, qui sera examiné à l'automne 2013.

Recommandation n° 10 : réfléchir à une prise en compte de la pénibilité plus juste entre les différentes professions du régime et moduler l'âge de départ à la retraite selon ce critère .


* 42 Décret n° 2011-1034 du 30 août 2011 relatif au régime spécial de sécurité sociale dans les mines.

* 43 « Valeurs et opinions » et CSA, « Etude d'image et de satisfaction de l'ENIM : regards croisés bénéficiaires et armateurs », décembre 2011.

* 44 Article 24, alinéa 2 de l'arrêté du 16 avril 1986 relatif aux conditions d'aptitude physique à la profession de marin à bord des navires de commerce, de pêche et de plaisance.

* 45 Décision n° 001 du 7 janvier 2013 du directeur de l'ENIM.

* 46 Décision 2011-125 QPC du 6 mai 2011.

* 47 Notamment la Belgique, la Finlande et le Portugal. OCDE, « La prise en compte de la pénibilité du travail dans les systèmes de retraite des pays de l'OCDE », mars 2011.

* 48 Le personnel d'exécution exerce principalement des travaux de maintenance, de nettoyage (sur le pont ou en machine) et participe aux manoeuvres d'appareillage.

* 49 Circulaire du 13 février 2013 relative au cumul emploi-retraite pour les marins.

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