C. LES PREMIERS PAS DE LA RÉCONCILIATION ONT ÉTÉ FAITS

Depuis le précédent rapport, le dialogue nord-sud n'a redémarré que sous l'impulsion internationale, et n'a pas réussi à écarter tout risque d'affrontements.

1. La reprise de la médiation régionale....
a) Une communauté internationale et des organisations régionales très mobilisées

Pour faire avancer le processus de réconciliation, vos rapporteurs avaient déjà identifié en avril deux écueils :

- Il ne fallait sans doute pas compter sur un « zèle » excessif des autorités maliennes , surtout en période électorale ;

- La multiplication des médiations , signe d'une implication bienvenue des acteurs régionaux et internationaux, n'était pas forcément synonyme d'efficacité .

Le précédent rapport soulignait aussi que le positionnement de « petit frère » du Niger par rapport au Mali le mettait en position d'être un facilitateur, ne pouvant en outre être soupçonné par les Maliens d'avoir un agenda caché, contrairement à d'autres voisins.

La suite a montré la justesse de cette appréciation.

Ce sont en effet les organisations internationales qui ont été les « moteurs » pour enclencher ce processus , au rang desquels le représentant spécial de l'Union Africaine, Pierre BUYOYA, en liaison avec le bureau des Nations unies au Mali et les autorités de la CEDEAO.

Pierre BUYOYA a ainsi réuni régulièrement un " mécanisme conjoint de coordination " de l'UA (auquel participaient CEDEAO, ONU, UE, France et États-Unis) pour des échanges d'information, pour effectuer des démarches communes et arrêter des positions communes sur la médiation.

Le 17 mai 2013, le secrétaire général de l'ONU a nommé le Néerlandais Bert KOENDERS représentant spécial de l'ONU pour le Mali. Le Représentant spécial de l'Union européenne (RSUE) pour le Mali, nommé en avril, l'Ambassadeur Michel REVEYRAND DE MENTHON, a naturellement fait du Mali sa priorité.

Enfin, un émissaire malien a été nommé en la personne de Tiébilé DRAMÉ, le 13 mai 2013.

C'est finalement à Ouagadougou, sous l'égide du président burkinabè Blaise COMPAORÉ et des autorités nigérianes, co-médiateurs régionaux dans la crise malienne, que les négociations ont repris depuis la fin mai.

Il faut rappeler d'ailleurs que la précédente médiation burkinabée (à laquelle participait Ansar Dine), interrompue par l'offensive terroriste de janvier, avait notamment abouti à un projet d'accord-cadre préparé en décembre 2012 ( rencontre du 4 décembre entre le MNLA -Djéri MAIGA-, Ansar Dine -Alghabas AG INTALLAH- et le gouvernement malien -Tiéman COULIBALY-), reposant sur : la résolution pacifique du conflit par le dialogue, le respect de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale, le rejet du terrorisme.

b) L'affichage d'une certaine « bonne volonté » malienne de part et d'autre
(1) Les mots attendus ont été prononcés par les autorités maliennes

La nomination, le 13 mai dernier, par le président malien de transition, d'un conseiller spécial pour les négociations, en la personne de Tiébélé DRAMÉ, a naturellement constitué un signal très positif et le premier geste concret d'ouverture (même si, dans le déroulement des négociations, les relations entre cet émissaire, par ailleurs lui-même candidat à l'élection présidentielle, et les autorités de Bamako n'ont pas toujours semblé parfaitement fluides, donnant l'impression de revirements de la partie malienne).

Les déclarations du Président Traoré lors de sa visite à Paris le 17 mai 2013 ont pu faire renaître l'espoir quant à la réalité de la volonté des autorités maliennes (que vos rapporteurs avaient quelque peu mise en doute) d'aller vraiment vers la réconciliation.

Le président malien de transition, se disait à cette date « sûr » que le MNLA était « prêt » à un « dialogue sincère ». « La situation n'est pas bloquée du tout" insistait-il, « Le MNLA est constitué de Maliens, de compatriotes à nous auxquels nous avons réservé un traitement différent de celui réservé aux jihadistes, et avec lesquels nous allons dialoguer, discuter ». « Dans la décentralisation que nous envisageons, qui prévoit des transferts importants de compétences, de responsabilités et de moyens, je suis certain que le MNLA trouvera son compte et que l'ensemble du Mali en tirera bénéfice », affirmait-il.

(2) La recomposition des groupes Touaregs s'est faite autour d'un agenda ouvrant la voie à la négociation

L'Aménokal des Ifoghas, Intalla Ag Attaher, a fait savoir par l'un de ses fils, Mohammed Ag Intalla, le 17 mai 2013, qu'il rejoignait le nouveau Haut Conseil de l'Unité de l'Azawad (HCUA), autour d'un agenda ouvrant la voie à la négociation. « Mon père va diriger maintenant le HCUA. Nous voulons la paix avec le Mali. Nous ne voulons pas d'indépendance. Nous voulons le développement . 21 ( * ) »

Alors qu'il était confronté à un certain effritement et que des divergences apparaissaient en son sein, le MNLA a finalement fait délégation commune avec le HCUA pour participer aux négociations à Ouagadougou.

Vos rapporteurs observent en outre que la délégation touareg n'a pas rompu les négociations malgré la remontée des forces armées maliennes à Anefis à compter du 5 juin, ce qui était un signe évident de bonne volonté.

(3) Les difficultés persistantes pour arriver à un accord sur le vote à Kidal, devenu l'épicentre de la réconciliation, ont été levées

Le chemin de la « réconciliation » peut schématiquement être découpé en deux phases.

La première phase doit avoir lieu avant la présidentielle et doit conduire à ce qu'elle se déroule dans de bonnes conditions « sur tout le territoire malien », suivant l'expression consacrée (sous-entendu : dans le nord en général, et à Kidal en particulier).

Au regard du nombre d'électeurs (vraisemblablement de l'ordre de 5 000 à 6 000 électeurs potentiels, pour une population d'environ 30 000 habitants) et de la répercussion de leur vote sur le résultat de l'élection (le corps électoral compte 7 millions d'électeurs au total), l'enjeu pourrait paraître dérisoire. Pourtant , la portée symbolique et politique du vote à Kidal était telle que la première phase de la « réconciliation » passait sans doute, de fait, par l'organisation du scrutin présidentiel à Kidal .

La co-médiation menée par la CEDEAO et Nigéria a fini par obtenir des résultats le 18 juin dernier, ce dont on ne peut que se féliciter. Les autorités françaises et notre diplomatie, qui ont oeuvré, aux côtés des Africains et des organisations internationales, à ce résultat, ont démontré leur efficacité.

La deuxième phase ne pourra être enclenchée qu'après l'élection présidentielle. C'est pourtant la plus importante , or c'est celle dont on ne parle pas aujourd'hui. Elle doit permettre d'aborder les sujets de fond : représentation des populations du Nord, décentralisation, transferts de ressources, projet de développement pour le Nord...

Vos rapporteurs maintiennent l'idée suivant laquelle, pour enclencher la deuxième phase de la réconciliation, le déplacement d'une haute autorité malienne au Nord du pays aurait, le moment venu, une forte valeur symbolique, pour signifier l'importance que revêtent aux yeux du gouvernement nouvellement élu de Bamako le dialogue intercommunautaire et la réconciliation.

Suggestion : il serait souhaitable que le Président élu ou le Premier ministre nommé se rendent, avec des représentants de la communauté internationale, à Kidal, pour lancer la deuxième phase du processus de réconciliation.

2. ...n'a pas empêché la montée d'une tension pouvant déboucher sur un risque d'affrontements

Notre position ne peut être que celle du soutien de l'unité du Mali et de la préservation de son intégrité territoriale : dans ce cadre, nous l'avons déjà dit, à la suite d'ailleurs du gouvernement français, il ne saurait y avoir deux armées sur le territoire malien, et la présence des forces armées maliennes est légitime sur tout le territoire. « Ni junte ni milices » : voici quels étaient les termes exacts employés par notre rapport du mois d'avril, termes qui visaient d'ailleurs tant les groupes armés que les putschistes ou les milices Ganda de la boucle du fleuve.

Toutefois, cela ne veut pas dire que l'on doive encourager les forces armées maliennes à se déployer au Nord de façon précipitée, encore moins qu'on les y aide, au risque non seulement de déclencher des répressions sanglantes de part et d'autre, mais aussi d'hypothéquer tout le processus de négociation politique.

Il est en effet singulier d'affirmer vouloir négocier d'une part, et de poursuivre, d'autre part, l'action armée.

Or il n'y a de solution que politique : faute d'une solution politique durable, les forces de décomposition reprendront le dessus.

Un déploiement précipité au Nord aurait été d'autant plus irresponsable que des soldats français de la force Serval sont déployés sur l'aéroport de Kidal et risquaient d'avoir à gérer une situation difficile en termes sécuritaires.

À cet égard, vos rapporteurs ont considéré avec inquiétude, pendant la période des négociations à Ouagadougou, la montée du risque d'affrontements, compte tenu de la proximité géographique entre les forces armées maliennes remontées à Anéfis les 4 et 5 juin et les éléments du MNLA établis à Kidal (villes distantes de 100 km environ). Prendre le risque d'un accrochage entre leurs patrouilles, potentiellement distantes de quelques dizaines de kilomètres seulement, n'apparaissait pas opportun.

Le même risque s'est reproduit autour de Ménaka.

Qui pouvait croire que cela oeuvrerait en faveur de la paix ? C'est naturellement par la négociation que les Maliens doivent trouver une solution, pas par les armes.

À cet égard on ne peut être que frappé de constater la permanence d'une certaine ambiguïté malienne sur le sujet de la réconciliation.

Vos rapporteurs estiment que :

. La MINUSMA doit se renforcer à Kidal car c'est elle qui a reçu le mandat de soutenir le processus politique et la réconciliation (et non pas Serval) ;

. Les autorités maliennes devraient réellement privilégier le respect de l'accord du 18 juin et s'attacher à ne pas faire monter le risque d'accrochage. À cet égard, il est indispensable qu'elles choisissent avec discernement, et en accord avec la Commission de vérification, les éléments et le « tempo » du retour à Kidal.


* 21 Source : AFP

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