D. UN RÈGLEMENT DANS LE LONG TERME DES RACINES DE LA CRISE DEMEURE NÉCESSAIRE

Vos rapporteurs jugent que c'est la deuxième phase de la réconciliation qui sera la plus décisive. Elle n'est pas encore engagée.

Pire, l'inapplication des précédents accords (Pacte national en 1992, Accords d'Alger en 2006), qui comportaient pourtant des dispositions très précises sur la question de la décentralisation, de la représentation politique et du développement du Nord Mali, conjuguée à la montée très nette des tensions communautaires au Mali, n'incitent pas à l'optimisme pour cette deuxième phase.

Certains incidents qui en disent long : quelques jours avant la conférence de Bruxelles où devaient être annoncés d'importants efforts de la communauté internationale pour le développement du Mali, se faisait déjà jour une volonté des autorités maliennes d'envoyer les forces armées au Nord. Cette initiative, qui n'aurait pas oeuvré dans le sens de la paix, a pu être différée, par la voie diplomatique, mais elle fut finalement menée à terme, le 5 juin dernier, avec une remontée vers Anefis des forces armées maliennes, dans un contexte quelque peu différent puisque « sous la pression » -faisait-on valoir à Bamako- d'une opinion publique scandalisée par le sort réservé aux « peaux noires » à Kidal à la suite d'expulsions et arrestations, condamnées par la France, quelques jours auparavant.

Symétriquement, les « peaux blanches » ne reviennent toujours pas à Gao et Tombouctou, qui sont aujourd'hui devenues des villes entièrement noires (Peuls, Songhaïs).

Dans ce climat difficile, il faut évidemment du courage pour s'attaquer aux vraies racines de la crise malienne.

1. La recherche d'une solution durable pour le Nord est encore embryonnaire
a) La commission « Dialogue et réconciliation » ne pourra vraiment travailler -au mieux- qu'après la présidentielle

Vos rapporteurs se sont déjà exprimés sur la Commission Dialogue et Réconciliation , prévue dans la feuille de route du 29 janvier mais poussivement mise en place, sur sa composition jugée imparfaite par certains, et, surtout, sur l'imprécision de son agenda et la lenteur de son rythme de travail.

Le bien-fondé de ces appréciations, formulées quelques jours après sa mise en place effective, a hélas été confirmé depuis. La Commission s'emploie à créer des groupes de travail et fonde de grands espoirs sur une « Commission de la cohésion et de l'unité nationale », encore en cours d'installation. Force est de reconnaître qu'elle est aujourd'hui peu présente, ou peu visible, dans le débat public (c'est un euphémisme). Il ne saurait s'agir que d'un seul problème de « communication », comme cela est parfois allégué.

Le CNDP nigérien (Conseil national de dialogue politique), créé en 2004 22 ( * ) , pourrait peut être servir d'exemple . Cette institution, qui réunit majorité et opposition, qui s'appuie sur les chefs traditionnels et religieux, est le cadre permanent de la prévention et du règlement des conflits politiques et de concertation entre ses membres autour de toutes les questions d'intérêt national. Il permet l'expression des légitimités locales.

b) La réconciliation n'est pas un enjeu de la campagne électorale, l'abcès de fixation de Kidal ayant servi d'exutoire aux tensions maliennes

Comme on pouvait le craindre, rares sont les hommes politiques qui se risquent aujourd'hui à prôner activement une véritable réconciliation entre toutes les composantes de la société malienne, à quelques semaines des élections, dans un pays où les ressentiments inter communautaires sont particulièrement vifs et où les populations du Nord, perçues par beaucoup de Maliens du Sud, c'est un fait, comme responsables des malheurs du pays, ne représentent qu'une infime partie du corps électoral.

Dans ce contexte, nous disions dès avril que la France, pays ami mais, aussi, qu'on le veuille ou non, puissance étrangère militairement présente sur le sol malien, pourrait facilement faire figure de bouc-émissaire.

Il est plus facile pour certains d'accuser la France d'on ne sait quel agenda caché à Kidal que de s'atteler à l'immense chantier de la réconciliation, surtout en période électorale...

Dès le mois d'avril, nous affirmions d'ailleurs que : « La situation de Kidal et du MNLA pourraient servir de prétexte pour retourner les populations. Soyons lucides : même si l'intervention militaire franco-africaine est largement perçue aujourd'hui comme salutaire, comme en témoignent les drapeaux français qui pavoisent les rues de Bamako, le risque de retournement de l'opinion publique malienne est réel. On en perçoit le frémissement, par exemple, autour de la question du contrôle de Kidal et de la relation des forces françaises avec le MNLA. La question du MNLA et de Kidal est un problème très sensible. La France défend la souveraineté et l'intégrité du Mali mais la réconciliation durable des ethnies conditionne l'éradication définitive des groupes terroristes. »

Sans doute la campagne électorale n'est-elle pas propice à un discours de vérité sur la question.

Les prises de positions officielles des autorités françaises ont, depuis, largement démonté les allégations infondées quant au rôle de la France.

Les propos du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, confirmés par le ministre des Affaires étrangères 23 ( * ) et le Président de la République lui-même 24 ( * ) ont clairement apporté leur appui, début juin lors des événements d'Anefis, au rétablissement de la souveraineté malienne sur l'ensemble du territoire :

Déclarations du porte-parole du ministère des Affaires étrangères (5 juin 2013)

« Question : L'armée malienne a affirmé mardi être partie à la reconquête de Kidal. Des troupes seraient déjà arrivées à Anefis. Ce mouvement se fait-il en concertation avec les autorités et l'armée françaises? L'expulsion par le MNLA d'habitants de Kidal sur la base de la couleur de peau a-t-elle précipité ces opérations ?

« Réponse : Sur le principe, nous avons toujours été clairs : il ne peut et ne doit y avoir au Mali qu'une seule armée. Elle a vocation à se déployer sur l'ensemble du territoire. Nous soutenons aussi les efforts des autorités maliennes pour réinstaller leur administration au Nord du pays.

« Ce sont les modalités de ce redéploiement qui doivent être précisées. Nous souhaitons qu'il s'effectue de manière pacifique, en évitant toute victime civile. C'est pourquoi nous appelons les groupes armés à déposer les armes et à poursuivre les discussions avec les autorités maliennes.

« C'est l'enjeu du dialogue engagé en vue de permettre dans un premier temps la tenue des élections et de sceller la réconciliation. Dans ce domaine, les choses ont progressé ces derniers jours, en particulier grâce au travail de Tiébilé Dramé, émissaire du Président Traoré, avec le soutien des pays de la région. Les négociations sont toujours en cours et progressent sur la question du redéploiement de l'administration à Kidal et de la tenue de l'élection présidentielle.

« Nous avons fermement condamné les violences et les arrestations fondées sur la couleur de peau qui ont eu lieu à Kidal. Nous réitérons notre appel à la libération de l'ensemble des personnes détenues sans justification dans cette ville. »

La position française a toujours été claire :

- les préalables de la négociation, auxquels souscrit toute la communauté internationale, ne sont pas négociables : laïcité, intégrité territoriale et unité nationale,

- par voie de conséquence, la présence de l'État malien à Kidal est légitime, dans toutes ses composantes, y compris l'armée,

- la perspective du désarmement est la seule envisageable à terme pour les groupes armés,

- la France souhaite que cela se fasse de manière pacifique, et que l'ensemble des parties soient entendues,

- la communauté internationale, et la France en particulier, pourra garantir les engagements qui seraient pris de part et d'autre.

Pourtant, la France a continué à être la cible d'attaques ou d'allégations plus ou moins voilées.

Ainsi, le candidat à la présidentielle Soumana SACKO, ancien Premier ministre de 1991 à 1992, a-t-il, dans un communiqué de son parti, la Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS), le 28 mai dernier, dénoncé 25 ( * ) « avec la dernière vigueur les récents propos mal inspirés du président François Hollande relatifs au sort de Kidal. (...) Ni l'opération Serval, dont nous saluons l'efficacité, ni le mirage de milliards d'euros vaguement annoncés à Bruxelles (lors d'une conférence des donateurs le 15 mai) ne donnent au président François Hollande le droit de se substituer aux autorités maliennes et de déterminer en leur lieu et place la séquence temporelle du retour de l'administration civile et des forces armées et de sécurité du Mali à Kidal. (...) À contre-courant de l'Histoire, les propos anachroniques du président Hollande dénotent un certain paternalisme, voire une certaine velléité de transformation de Kidal, partie intégrante du Mali, en un protectorat français », avait conclu la CNAS.

De telles allégations n'ont naturellement pas de fondement ni de réalité. Elles sont à classer, nous l'avons déjà dit plusieurs fois, au rang des « fariboles ». Ce qui est plus inquiétant, c'est ce qu'elles révèlent chez certains d'absence de volonté de réconciliation.

De la même façon, une manifestation a un temps été prévue devant l'ambassade de France à Bamako (le 8 juin 2013), indice d'un retournement toujours possible d'une partie au moins de l'opinion publique malienne.

Une fois les élections présidentielles passées, il est indispensable que les nouveaux dirigeants maliens aient la légitimité suffisante pour s'attaquer aux vraies questions.

c) Les enjeux de fond ne sont pas aujourd'hui réglés : décentralisation, développement, représentation des communautés du Nord

Les vrais enjeux de la réconciliation, s'ils sont identifiés, ne sont pas aujourd'hui réellement traités.

Ils figuraient pourtant déjà dans les précédentes négociations de sortie de crise des rébellions touarègues et sont couchés noir sur blanc dans différents documents officiels, et notamment dans :

. Le Pacte national de 1992 (Titre III : « Du statut particulier du Nord Mali », Titre IV : « De la solidarité et de l'unité nationales dans le Nord Mali »), qui prévoyait des fonds d'indemnisation, un régime fiscal particulier, un programme de développement spécifique au nord du Mali, un processus de redécoupage communal et administratif...

C'est d'ailleurs à la fin des années 1990 que le Mali s'est engagé dans un processus de décentralisation en créant des collectivités territoriales dotées de la personnalité juridique, de l'autonomie financière, s'administrant librement et exerçant des compétences que l'État leur a transférées ; avec deux objectifs principaux : l'approfondissement de la démocratie et le développement économique local (761 collectivités territoriales existent au Mali, 703 communes, 49 cercles, 8 régions et le district de Bamako). Nous l'avons déjà dit, ce schéma est largement resté fictif, faute de moyens financiers ;

. Les Accords d'Alger de 2006 , qui mentionnaient notamment dans leur chapitre II (« Développement économique, social et culturel ») l'accélération du transfert de compétences aux collectivités locales, un programme d'accès à l'eau potable dans le Nord, l'instauration d'un système de santé adapté au mode de vie des populations nomades, la réalisation d'un aérodrome à Kidal, la réhabilitation de l'aérodrome de Tessalit, l'électrification des chefs-lieux des cercles et des communes dans le Nord, une couverture de communication téléphonique, la création d'Unités spéciales de sécurité, composées d'éléments issus des régions nomades et rattachées à la Garde nationale...

. La « Feuille de route » adoptée à l'unanimité par le Parlement malien le 29 janvier 2013, qui dispose explicitement que « La discussion pourra porter sur :

« - L'approfondissement du processus de décentralisation ;

« - La prise en compte des spécificités régionales dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques ;

« - Le développement des infrastructures , notamment le désenclavement et l'exploitation des ressources naturelles. ».

. Dans notre précédent rapport du mois d'avril , nous avions affirmé que, sans préjuger de solutions qu'il appartient aux Maliens eux-mêmes de trouver, il nous semblait que trois questions au moins pourraient figurer à l'ordre du jour des négociations en matière de décentralisation :

. L'organisation territoriale et le découpage des circonscriptions (électorales) au Nord, pourrait faire l'objet de débats, ou à tout le moins la question de la participation des populations du Nord à l'exercice du pouvoir au sein des autorités nationales. Certains observateurs citent le cas nigérien comme un exemple (le premier ministre est un touareg, le ministre des affaires étrangères est issu de la communauté arabe) ;

. Le partage des ressources , qu'elles soient budgétaires (produit de la taxe pour le développement local et régional notamment), qu'elles concernent les investissements en infrastructures (distribution d'eau, éducation, électricité, routes) ou les ressources minières futures (les discussions devraient se pencher sur le partage des éventuelles retombées des gisements pétroliers et gaziers qui pourraient être découverts au Nord-Ouest du pays notamment) ;

. La réforme institutionnelle autour d'un accroissement des libertés locales : un projet de révision constitutionnelle, en cours depuis plusieurs années, prévoyait la transformation du Haut Conseil des collectivités territoriales en une assemblée législative de plein exercice. Cette réforme, interrompue par le coup d'état, pourrait être remise sur le métier et permettrait sans doute de mieux structurer l'expression politique des légitimités locales.

Les autorités gouvernementales expriment un accord de principe à l'approfondissement de la décentralisation dans le cadre d'un état unitaire . Le Premier ministre Cissoko 26 ( * ) l'a publiquement affirmé, tout en rejetant toute idée de fédéralisme : « Nous sommes prêts à discuter de tout et avec tous, pas seulement avec les communautés du Nord. Mais il est hors de question de parler de fédéralisme. Mais nous sommes ouverts à tout dialogue avec toutes les communautés dès lors qu'il s'agit de parler de développement local et d'approfondir la décentralisation. Nous sommes aussi prêts à examiner une forme de redécoupage du territoire : créer plus de régions, de communes, de cercles, d'arrondissements, dans le Nord. ».

Le Président Traoré 27 ( * ) a lui aussi fait des déclarations en ce sens le 17 mai 2013 « La décentralisation que nous envisageons prévoit des transferts importants de compétences, de responsabilités et de moyens (...) ».

Cette opinion n'est pas partagée par tous les Maliens. Certains députés maliens rencontrés par vos rapporteurs ont mis en avant le fait que les Touaregs avaient eu des représentants au Parlement (le cas du numéro deux d'Ansar Dine est souvent cité) et que l'autonomie d'administration était déjà très large pour l'ensemble des régions maliennes. Certains vont plus loin et énumèrent la liste des postes qui ont été, dans l'histoire du Mali, occupés par des Touaregs : Premier ministre, ministres, président du Haut Conseil des collectivités territoriales, Vice-Président de l'Assemblée nationale, Directeurs généraux, diplomates, gouverneurs de région, préfets de cercle 28 ( * ) ...

Cette divergence d'appréciation sur le poids des communautés du nord dans les institutions locales et nationales montre que même le diagnostic ne fait pas l'objet d'un consensus .

Il est d'autant plus important de relancer le débat national sur cette question .

L'entretien que vos rapporteurs ont eu à Bamako avec le Président du Haut Conseil des collectivités territoriales à ce sujet a jeté un éclairage intéressant sur la question de la décentralisation. À son sens, des réformes législatives ambitieuses ont d'ores et déjà consacré, en théorie, une décentralisation poussée. Pour autant, cette décentralisation ne serait que « de façade » car elle n'existerait que dans les textes et n'aurait jamais pu être réellement mise en oeuvre, faute de moyens.

Les collectivités locales ne disposeraient ainsi que de 0,5 % du budget national et, faute de transfert de ressources accompagnant de théoriques transferts de compétences, seraient hors d'état de jouer le rôle théoriquement dévolu par les textes. La décentralisation malienne est ainsi présentée comme une « coquille vide », reposant sur d'excellents textes mais n'ayant pas de réalité concrète, faute de moyens. A l'appui de cette démonstration, les exemples abondent comme les difficultés pour les collectivités à percevoir le produit de la taxe pour le développement local et régional , l'absence de subventions de fonctionnement aux collectivités territoriales de la part de l'Agence nationale des collectivités locales ou encore la faiblesse des investissements d'infrastructure de l'État, en particulier au Nord du pays.

Ce diagnostic a d'ailleurs été confirmé par la suite par les autorités maliennes elles-mêmes qui concèdent, dans leur document « Plan pour la relance durable du Mali 2013-2014 (PRED) 29 ( * ) » (p. 21) au sujet du processus de décentralisation : « Toutefois, certaines difficultés de nature diverse (lenteur dans les transferts de compétence et de ressources, faible mobilisation des ressources propres des collectivités territoriales, etc) » ont entravé ces « grandes ambitions ».

Pour l'instant, ces questions sont assez peu débattues dans l'espace public malien. Elles restent cantonnées aux négociations menées sous l'égide de la communauté internationale.

Vos rapporteurs maintiennent leur idée suivant laquelle l'expression des légitimités traditionnelles et locales devrait être mieux structurée, par exemple en relançant le chantier du renforcement du Haut conseil des collectivités territoriales en une Assemblée législative représentant les collectivités territoriales.

Il faut souhaiter que le nouveau Président de la République qui sera élu en août 2013 ait à coeur d'avancer réellement sur ces sujets, sans se contenter de profiter du bénéfice de la paix retrouvée.

d) Les promesses de l'accord du 18 juin restent à concrétiser

L'Accord du 18 juin est un processus en deux étapes (vote à la présidentielle, puis accord de réconciliation), dont la deuxième étape -dont personne ne parle aujourd'hui- est naturellement la plus importante .

« Après l'élection du Président de la République et la mise en place du Gouvernement, les parties conviennent d'entamer un dialogue inclusif pour trouver une solution définitive à la crise » (article 3 de l'accord).

L'accord prévoit qu'un deuxième accord soit conclu, dans le cadre de négociations entamées 60 jours après la mise en place du nouveau Gouvernement, avec le concours de la Commission dialogue et réconciliation et de la communauté internationale, qui portera notamment sur :

- L'organisation institutionnelle et administrative du Mali ;

- Le développement ;

- La réorganisation des forces de défense et le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion des groupes armés ;

- L'amélioration de la gouvernance administrative économique et politique

- Le retour des réfugiés ;

- La protection des droits de l'Homme ;

- La justice et la réconciliation.

L'accord du 18 juin peut paraître à cet égard moins ambitieux que le Pacte national de 1992 ou les Accords d'Alger de 2006 (restés lettre morte).

La question du règlement dans la durée des vraies questions est donc encore devant nous. Le risque est alors que les autorités maliennes nouvellement élues, bénéficiant d'un climat de sécurité retrouvée, ne voient pas l'urgence à entrer dans cette deuxième phase.

Suggestion : la France doit continuer à agir pour que la deuxième phase de la réconciliation, la plus importante, soit réellement abordée.

2. La reconstruction de l'État malien sera une oeuvre de longue haleine
a) La reconstruction de l'armée malienne dépasse l'horizon d'EUTM Mali

Nous l'avons déjà dit, EUTM Mali rencontre plusieurs limites :

1- Un horizon temporel trop étroit : il faudra sans aucun doute bien plus de 15 mois pour reconstituer une armée qui se tienne au Mali ;

2- La question, non résolue à ce jour, de l'équipement des forces armées maliennes, malgré des efforts notamment français (sous forme de dons) et allemands (des annonces ont été faites à Adis Abeba en janvier sur ce sujet) en leur faveur ;

3- La question du maintien de l'effort européen dans la durée : les difficultés, survenues au moment de la génération de force des protecteurs des formateurs européens en mars, se sont rééditées récemment lorsqu'il s'est agi du financement de cette opération par les États membres , pierre d'achoppement qui aurait bien pu mettre en danger la continuité du déroulement de la mission, alors même que les montants pris en charge par l'Union européenne (de l'ordre de 12,5 millions d'euros au total) sont très inférieurs à ceux fournis par les États membres qui financent les contingents de formateurs, au premier rang desquels la France ;

4- Des difficultés potentielles, de nature politique, si jamais l'emploi, par les autorités maliennes, des contingents formés par les Européens ne servait pas la cause de la paix et de la réconciliation au Mali.

Au-delà de la seule formation et du recrutement, c'est aussi toute la programmation militaire, inexistante, qui doit être repensée. À cet égard des experts d'EUTM Mali exercent actuellement une mission de conseil auprès des autorités maliennes.

Là encore, l'horizon temporel (15 mois) est trop court.

Recommandation : l'Union européenne devrait envisager une prolongation et un recalibrage de la mission EUTM Mali au-delà des 15 mois initiaux.

b) L'influence néfaste de la junte est toujours une hypothèque

Nul besoin de revenir ici à nouveau sur la nécessité d'éradiquer l'influence de l'ancienne junte, dont les dernières manifestations tangibles (« démission » du Premier ministre, affrontements au sein des forces de sécurité, voire mouvements « d'humeur » des contingents de soldats maliens formés par les européens...) et la persistance de certains discours complaisants à Bamako vis-à-vis de l'auteur du coup d'État montrent qu'elle est encore réelle.

La presse 30 ( * ) a fait état d'une invitation qui aurait été formulée à l'endroit de l'ancien leader des putschistes par un État d'Afrique de l'Ouest, précisant qu'aucune suite favorable ne lui aurait, à ce stade, été réservée.

Il va de soi qu'une solution négociée, par exemple sous l'égide de la CEDEAO, qui avait déjà conclu les accords sur la transition après le coup d'État, devrait être trouvée à court terme pour s'assurer définitivement de la perte définitive d'influence des anciens putschistes.

À ce jour, vos rapporteurs considèrent que l'hypothèque n'est pas levée. En particulier, des interférences sont possibles qui pourraient entraver le bon déroulement du scrutin présidentiel.

Certains candidats à l'élection présidentielle ont pris l'engagement solennel d'en accepter les résultats ou de ne les contester que suivant les modalités prévues par la loi. On ne peut que se féliciter d'une telle initiative, qui existe au Mali depuis 2007, même si ce type d'engagement moral n'est naturellement pas une garantie absolue.

Tout ce qui peut contribuer à minimiser les risques de « turbulences » au moment du vote est toutefois bienvenu.

Suggestion : Mener à bien, avec l'appui de la CEDEAO, si possible avant l'élection présidentielle, les initiatives engagées pour limiter les potentielles interférences de la junte dans le processus électoral.

c) La question de la « reconstruction » des forces de sécurité et de la justice reste entière

Le précédent rapport : « Mali : comment gagner la paix ? » avait déjà décrit l'état des forces de sécurité maliennes (à des degrés divers, Police, Gendarmerie, Garde nationale), à l'image de celui des forces armées : manquant d'équipement, de logistique, désorganisées, faisant parfois montre d'une loyauté douteuse envers les institutions et sans grande motivation. Des situations de discipline bafouée, de non-respect des règles hiérarchiques, ont notamment été rapportées. Les besoins d'équipement sont là encore très grands.

Certains experts mettent en cause non seulement leur capacité à faire face à une menace terroriste mais aussi à gérer un trouble à l'ordre public de moyenne ou haute intensité. D'autres estiment que certaines unités constitueraient même clairement un danger pour la stabilité politique du pays, parce que susceptibles de « basculer », en particulier au sein de la Police nationale.

Il faut toutefois noter que la Gendarmerie nationale, bien que tout aussi démunie de matériel, d'équipement et de véhicules, a fait un effort d'auto-formation et que ses unités mobiles ont mieux réussi à se redéployer au Nord. La Garde nationale serait, à l'instar de la Gendarmerie, moins touchée par la démotivation et la corruption que la Police nationale. Elle souffre néanmoins tout autant du manque de moyens et de formation.

Dans ces conditions, le redéploiement dans le pays des forces de sécurité intérieure se poursuit, certes, mais à un rythme assez lent, tant pour le court terme (sécurisation des élections) que pour le long terme. En dehors des besoins en véhicules, équipements et infrastructures, les problématiques fondamentales de la gestion des ressources humaines (recrutement notamment) et de la formation demeurent.

De même, le diagnostic effectué par le premier rapport « Mali : comment gagner la paix ? » sur les institutions judiciaires et l'administration pénitentiaire au Mali reste valable. Vos rapporteurs y appelaient de leur voeu l'envoi d'un expert français en la matière (réalisé depuis) et l'extension au Mali de l'opération européenne EUCAP Niger (non réalisée à ce jour).

Il est en effet désolant d'entendre certaines ONG s'inquiéter du fait que les prisonniers remis aux autorités maliennes (conformément au droit, s'agissant de leurs ressortissants arrêtés sur leur sol) pourraient encourir un risque réel d'être torturés ou de subir de mauvais traitements.

Vos rapporteurs tiennent toutefois à souligner la gestion très scrupuleuse de cette question par les autorités et les forces françaises ; en particulier, les traditionnels accords conclus en pareil cas avec les autorités maliennes ont expressément prévu que la peine de mort, notamment, ne saurait être appliquée aux prisonniers remis par les forces françaises au gouvernement malien.

d) Les services de base à la population ne se réinstallent que lentement

Le redéploiement des autorités administratives dans le Nord du pays, que vos rapporteurs avaient jugé indispensable et urgent, continue, mais très imparfaitement.

Selon les autorités maliennes, tous les représentants de l'État (Préfets et Sous-préfets) ont rejoint leurs postes dans les trois régions du Nord Mali, à l'exception de la localité de Kidal 31 ( * ) . Mais, d'après des témoignages sur place, en réalité si les Préfets de région sont en fonction, ainsi que les Préfets de cercles, les Sous-préfets ne résident pas dans leur circonscription en raison de l'insécurité. Certains sous-préfets "réinstallés" ne font que des incursions sous escorte dans leur arrondissement, mais n'y résident pas, sauf exception. Ils résident le plus souvent au niveau des capitales régionales (Gao et Tombouctou).

Du point de vue des infrastructures de santé , un bilan réalisé fin avril 2013 faisait état de 38 centres de santé fonctionnels sur 99 (38%) dans la région de Tombouctou, 31 centres fonctionnels sur 72 (43%) dans la région de Gao et 15 centres fonctionnels sur 19 (79%) dans la région de Kidal. À noter que 72 centres (32, 27, 13 respectivement sur chaque région) sont soutenus par des ONG ou institutions internationales.

La Direction nationale de la santé a depuis engagé (fin mai) le redéploiement de son personnel dans les régions de Gao et Tombouctou, avec le soutien de l'OMS (prime de réinstallation). Environ 120 personnels (médecins, sages-femmes, techniciens et chauffeurs ...) vont réinvestir d'abord les Centres de santé de référence des districts sanitaires et les directions régionales des régions de Gao (Menaka Ansongo Bourem et Gao) et de Tombouctou (Dire, Gourma-Rharous, Niafunke et Tombouctou).

En termes d'éducation , selon les organisations internationales et les autorités éducatives régionales, les écoles dans des régions de Gao et Tombouctou continuent à rouvrir, avec 461 écoles fonctionnelles sur 1 079, soit 42 pour cent des écoles. Ces écoles accueillent 98 958 élèves et 2 345 enseignants. Selon l'UNICEF, pour la seule région de Tombouctou, 44 000 enfants ne sont pas encore retournés à l'école (début juin). Le manque d'infrastructures fonctionnelles et de moyens logistiques semble expliquer cette situation.

Une mission d'évaluation le 25 mai 32 ( * ) a confirmé la vulnérabilité de la population de Gao par rapport aux services de base (eau, électricité et alimentation). Dans la ville de Tombouctou l'approvisionnement en électricité n'est redevenu régulier dans tous les quartiers (même s'il est partiel, de 19h à 0h) que grâce à l'apport en carburant du CICR.

A Kidal , l'administration ne s'est pas redéployée et les écoles n'ont pas rouvert. On estime que 100 000 enfants 33 ( * ) n'ont toujours pas accès à l'éducation dans le Nord du pays .

3. La lutte contre l'impunité en matière d'exactions n'apparait pas vraiment comme une priorité de la réconciliation

Vos rapporteurs ont déjà eu l'occasion d'affirmer que la lutte contre l'impunité contre toutes les exactions commises sur le territoire du Mali était un point de passage obligé pour aller vers une véritable réconciliation.

Ils ne peuvent que redire ce qu'ils ont déjà affirmé, en soulignant combien certains dossiers portent de charge affective et symbolique aux yeux des Maliens (le cas du massacre d'Aguelhok était en particulier déjà identifié, dans le premier rapport, comme un abcès de fixation).

Certes, la Cour pénale internationale a été saisie par le gouvernement malien des faits survenus depuis janvier 2012.

Les crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crimes de génocide, violences sexuelles et violations graves du droit international, des droits de l'homme et du droit international humanitaire doivent naturellement être punis. La réconciliation, elle, passe par le pardon ou le dépassement, s'agissant de la « rébellion » à proprement parler.

À cet égard, il est positif de constater qu'une disposition (passée quasiment inaperçue) de l'Accord du 18 juin dispose (article 18) que « les parties conviennent de la mise en place, dans les meilleurs délais, d'une Commission d'enquête internationale sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide, les crimes de violence sexuelle, le trafic de drogue et les autres violations graves du droit international des droits de l'Homme et du droit international humanitaire sur tout le territoire du Mali. »

Parallèlement, les parties s'engagent à libérer les personnes « détenues du fait du conflit armé ».

Suggestion : la France doit appuyer fortement tant les investigations de la Cour pénale internationale que la mise en place de la Commission d'enquête internationale sur les crimes de guerre prévue par l'Accord du 18 juin.


* 22 Décret de création disponible sur http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/CNDP_Niger.pdf

* 23 Entretien à France 24

* 24 Lors de la remise du prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix à l'UNESCO le 5 juin 2013

* 25 Source : Jeune Afrique, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130530172002/france-mali-rebellion-touaregue-cnasmali-le-ton-monte-contre-francois-hollande.html

* 26 Source : interview au journal Le Monde, février 2013

* 27 Source : déclarations à l'AFP

* 28 Source : « Crise malienne : le FDR récuse le rapport de Ban Ki-Moon », Le Républicain (sur maliweb. net), 3 décembre 2012), cité par International crisis group n0201, 11 avril 2013

* 29 Document ayant servi de base à la conférence des donateurs du 15 mai 2013 « Ensemble pour le renouveau du Mali » à Bruxelles

* 30 Jeune Afrique, 29 mai 2013 : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2733p008-009.xml14/

* 31 Redéploiement en cours dans le cadre des accords du 18 juin 2013

* 32 Source : OCHA

* 33 Source : discours de Bert Koenders devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, le 25 juin 2013

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