N° 735

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' organisation du système de soins de premier recours et sur la politique de prévention du suicide au Québec ,

Par Mmes Annie DAVID, Catherine DEROCHE, M. Jean DESESSARD, Mme Colette GIUDICELLI et M. Dominique WATRIN,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Même si la France est reconnue pour avoir l'un des meilleurs systèmes de santé au monde, il est toujours utile de porter un regard sur la manière dont d'autres pays fonctionnent. Cette démarche de benchmarking est d'autant plus intéressante que le dispositif français fait face, depuis quelques années, à d'importantes difficultés (inégalités d'accès aux soins, désertification médicale, déficit de l'assurance maladie...) que les pouvoirs publics peinent à résoudre.

A cet égard, la province du Québec se distingue par un système de santé très intégré dont votre commission des affaires sociales a souhaité mieux comprendre les caractéristiques et, le cas échéant, tirer des enseignements. C'est la raison pour laquelle sa délégation, conduite par Annie David, présidente, et dont Catherine Deroche, Jean Desessard, Colette Giudicelli et Dominique Watrin étaient membres, s'est rendue à Québec puis à Montréal en juin 2013.

Afin de mieux répondre aux besoins tant sanitaires que sociaux de sa population, le Québec a fait le choix d'une organisation très hiérarchisée, prenant appui sur la complémentarité entre les différents acteurs et privilégiant une approche globale du patient. Cette stratégie d'intégration, marquée par la constitution de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, a indéniablement permis d'améliorer la qualité de la prise en charge et de fluidifier les parcours de soins.

Quant à la politique de prévention du suicide, qui est encore très balbutiante en France, le Québec a fait montre, depuis les années 1990, d'un remarquable volontarisme politique, qui a permis d'endiguer la tragique augmentation du taux de mortalité par suicide constatée dans les décennies précédentes. Mêlant effort de recherche, soutien actif aux personnes suicidaires, formation des professionnels et sensibilisation de l'ensemble de la population, cette politique est assurément l'une des plus novatrices et ambitieuses au monde.

*

La délégation tient à remercier les services des consulats de France à Québec et à Montréal pour leur aide très précieuse dans l'élaboration de son programme de travail et leur contribution décisive à la bonne organisation de ses déplacements. Elle exprime également sa profonde gratitude à l'ensemble de ses interlocuteurs québécois, membres du Gouvernement, fonctionnaires, travailleurs sociaux, personnels médicaux, représentants associatifs, pour l'accueil très chaleureux qui lui a été réservé et la parfaite information qu'ils ont su lui procurer.

*

I. UN SYSTÈME DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX TRÈS INTÉGRÉ PERMETTANT UNE PRISE EN CHARGE DE QUALITÉ

A. L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX AU QUÉBEC

1. Une gestion pyramidale

Selon le partage des compétences prévu par la Constitution canadienne, les secteurs de la santé et des services sociaux 1 ( * ) relèvent du pouvoir provincial 2 ( * ) , le pouvoir fédéral n'intervenant qu'à la marge.

Institué par la loi de 1971 sur les services de santé et les services sociaux, le système québécois se caractérise par une approche intégrée : la santé et les services sociaux sont appréhendés de manière globale et relèvent d'une même administration. Ils représentent actuellement le premier poste budgétaire de la province, soit 42,5 % de ses dépenses.

Le modèle d'organisation choisi par le Québec repose sur trois niveaux de compétences et sur la complémentarité de structures regroupées en réseaux (cf. schéma n° 1).


• A l'échelon central , le ministère de la santé et des services sociaux est chargé de :

- réguler et coordonner l'ensemble du système de santé et de services sociaux ;

- déterminer les orientations en matière de politiques socio-sanitaires, définir les normes relatives à l'organisation des services, à la gestion des ressources humaines, matérielles et financières du réseau, et veiller à leur application ;

- exercer les fonctions nationales de santé publique (surveillance continue de l'état de santé de la population ; promotion de la santé et du bien-être; prévention des maladies, des problèmes psychosociaux et des traumatismes ; protection de la santé) ;

- assurer la coordination interrégionale des services ;

- répartir équitablement les ressources financières entre les régions et contrôler leur utilisation ;

- évaluer, pour l'ensemble du réseau, les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés, dans une perspective d'amélioration de la performance du système.


• A l'échelon régional , les agences de la santé et des services sociaux ont pour mission de :

- définir les orientations et les priorités régionales en concertation avec la population et les partenaires du réseau ;

- coordonner la mise en place des services sur leur territoire respectif en favorisant la collaboration et la complémentarité, en vue d'assurer une utilisation efficace et efficiente ainsi qu'une répartition équitable des ressources ;

- exercer les fonctions régionales de santé publique ;

- allouer les budgets de fonctionnement aux établissements et octroyer les subventions aux organismes communautaires 3 ( * ) , puis en assurer le contrôle ;

- s'assurer de la participation de la population à la gestion du réseau et du respect des droits des usagers ;

- évaluer le degré d'atteinte des objectifs et le degré de satisfaction des usagers.


• A l'échelon local , les réseaux locaux de services de santé et de services sociaux (RLS), qui regroupent l'ensemble des acteurs partageant collectivement une responsabilité sanitaire et/ou sociale envers la population d'un territoire (centres de santé et de services sociaux, médecins de famille, établissements de santé et médico-sociaux, pharmacies, organismes communautaires, entreprises d'économie sociale, etc.), sont compétents pour :

- assurer la prestation de services de santé ou de services sociaux de qualité, qui soient continus, accessibles, sécuritaires et respectueux des droits des personnes ;

- garantir la coordination des services requis pour la population du territoire du réseau local ;

- gérer avec efficacité et efficience les ressources humaines, matérielles et financières ;

- réaliser des activités d'enseignement, de recherche et d'évaluation des technologies et des modes d'intervention lorsque des établissements à vocation universitaire sont présents sur le territoire du réseau local.

Schéma n° 1 : Organisation du système de santé et de services sociaux

Ministre
et ministre déléguée

Organismes communautaires
et entreprises d'économie sociale

Etablissements
et autres ressources privés*

Agences de la santé
et des services sociaux

Ministère de la santé
et des services sociaux

Organismes et comités :

- Régie de l'assurance maladie
du Québec

- Office des personnes handicapées du Québec

- Autres

Autres partenaires :

- Associations, ordres professionnels

- Autres ministères

- Autres secteurs

Cliniques médicales, y compris les groupes de médecine familiale

Pharmacies communautaires

Services pré-hospitaliers d'urgence

Centres hospitaliers :

- Soins généraux et spécialisés

- Soins psychiatriques

Centres jeunesse

Centres de santé
et de services sociaux

(regroupement de CLSC,
de CHSLD et de CH)

Centres d'hébergement
et de soins de longue durée

Centres de réadaptation :

- Déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement

- Déficience physique

- Dépendances

* Des ressources intermédiaires et des ressources de type familial peuvent être rattachées aux établissements publics.

Abréviations :

CH : Centre hospitalier
CHSLD : centre d'hébergement et de soins de longue durée

CLSC : centre local de services communautaires

2. Le centre de santé et de services sociaux, pierre angulaire de l'offre de services intégrés

Au coeur du réseau local de services se trouve le centre de santé et de services sociaux (CSSS) , né de la fusion en 2005 de plusieurs structures à vocation médicale et sociale (cf. schéma n° 2). Il existe actuellement 95 CSSS au Québec.

Le CSSS et tous ses partenaires du RLS partagent collectivement une responsabilité à l'égard d' une offre de services intégrés correspondant aux besoins de la population du territoire local et visant à favoriser le maintien ou l'amélioration de la santé et du bien-être de cette population. À cette fin, ils doivent rendre accessible un ensemble d'interventions et de services le plus complet possible, à proximité du milieu de vie des personnes ; ils doivent également assurer la prise en charge et l'accompagnement de ces personnes par le système de santé et de services sociaux.

Le modèle repose en outre sur le principe de hiérarchisation des services , lequel garantit une meilleure complémentarité entre ces derniers et facilite le cheminement des personnes entre les services de première, de deuxième et de troisième ligne (cf. schéma n°3 ), suivant des mécanismes bidirectionnels, lorsque cela est nécessaire.

En plus d'assurer la coordination des services offerts par tous les partenaires du RLS, le CSSS doit animer la collaboration avec ceux des autres secteurs d'activité en vue d'agir sur les principaux déterminants de la santé et déterminants sociaux.

Schéma n° 2 : Organisation d'un réseau local de services de santé
et de services sociaux

Territoire local

Centre de santé
et de services sociaux

(regroupement
de CLSC,
de CHSLD et de CH)

Pharmacies communautaires

Médecins

(GMF, cliniques médicales)

Organismes

communautaires

Entreprises d'économie sociale

Ressources non institutionnelles

Ressources privées

Centres de réadaptation :

- Déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement

- Déficience physique

- Dépendances

Centres hospitaliers :

- Soins généraux et spécialisés

- Soins psychiatriques

Autres secteurs d'activité :

scolaire, municipal, etc.

Centres jeunesse

Abréviations :

CH : Centre hospitalier
CHSLD : centre d'hébergement et de soins de longue durée

CLSC : centre local de services communautaires

Schéma n° 3 : Accès aux services généraux et spécialisés

La troisième ligne fournit des services ultraspécialisés

Il est fait recours aux services médicaux de troisième ligne lorsque le problème de santé est complexe ou rare. Cette dernière ligne de soins nécessite des professionnels et des moyens techniques très spécialisés et peu répandus.

Pour avoir accès aux services de troisième ligne, la démarche est la même que pour obtenir un service de deuxième ligne. La personne s'adresse d'abord à un professionnel de la santé de première ligne. Celui-ci lui remet une demande de consultation afin de confirmer le besoin d'un service ultraspécialisé et d'assurer le suivi.

Les services de troisième ligne sont habituellement offerts dans les établissements publics suivants :


• Centres hospitaliers


• Centres de réadaptation


• Centre jeunesse

La deuxième ligne assure des services spécialisés

Les services de deuxième ligne répondent aux problèmes qui demandent un examen approfondi, un traitement ou un service spécialisé. Les soins nécessaires sont plus complexes ; ils requièrent une équipe de spécialistes ou un équipement particulier.

Pour obtenir un service de deuxième ligne, la personne doit d'abord consulter un professionnel de la santé de la première ligne comme un médecin ou un intervenant du CLSC.

Si l'évaluation sommaire démontre que la personne a besoin de services spécialisés, le professionnel lui remettra une demande de consultation spécialisée. C'est ainsi qu'elle sera dirigée vers un service de deuxième ligne.

Les professionnels de la première et de la deuxième ligne travaillent en étroite collaboration pour assurer un suivi global de l'état de santé de la personne .

Les services de deuxième ligne sont habituellement offerts dans les établissements publics suivants :


• Centres hospitaliers universitaires


• Centres de réadaptation


• Centres d'hébergement


• Centre jeunesse

La première ligne offre des services généraux et des soins courants

Dans les services de première ligne, le besoin de la personne est évalué directement, sans étape préalable. Ce besoin peut-être lié à la santé physique ou mentale de la personne. Il peut aussi être lié à une situation difficile à vivre ou à un problème psychosocial.

Le professionnel du service de première ligne peut ensuite diriger la personne vers un service spécialisé (dit de deuxième ligne). Par exemple, si la personne a besoin d'une évaluation ou d'un traitement dans une spécialité médicale, elle doit d'abord consulter un médecin de famille pour obtenir une demande de consultation spécialisée.

Les services de première ligne sont habituellement offerts dans les organisations suivantes :


• CLSC (centres locaux de services communautaires)


• Cliniques médicales, cliniques-réseau, groupes de médecine de famille (GMF) et unités de médecine familiale


• Pharmacies


• Info-Santé


• Cabinets de services professionnels comme la psychologie, le travail social ou la physiothérapie


• Organismes communautaires


• Résidences pour personnes âgées

3. Les atouts de l'organisation administrative québécoise

Au cours de son séjour, la délégation a rencontré les équipes de quatre CSSS, deux situés à Québec et deux autres à Montréal. Ces visites sur le terrain lui ont permis d'identifier les forces du système québécois :

- premièrement, la personne est appréhendée dans sa globalité : sa dimension biologique est indissociable de sa dimension psychologique ou sociale. L'objectif est donc bien de répondre à l'ensemble de ses besoins de santé et de bien-être ;

- deuxièmement, il existe une véritable interaction et complémentarité entre les différents intervenants (administration, professionnels de santé, professionnels du secteur social). Ce travail partenarial ne s'est évidemment pas mis en place du jour au lendemain, mais force est de constater qu'il n'existe pas, comme en France, de cloisonnement entre les différentes sphères - sanitaire et médico-sociale en particulier ;

- troisièmement, un grand pragmatisme prévaut dans la mise en oeuvre concrète du dispositif. Les CSSS bénéficient d'une réelle autonomie tant pour adapter l'offre de services aux caractéristiques de leur territoire que pour nouer des partenariats avec différents acteurs (organismes communautaires, instituts universitaires, centres jeunesse...) ;

- quatrièmement, l'effort constant d'intégration de ces réseaux locaux favorise une meilleure prise en charge des personnes, en particulier des plus vulnérables, et permet de fluidifier les parcours de soins .


* 1 On entend par « services sociaux » tant les services psychosociaux destinés à l'ensemble de la population que les services particuliers bénéficiant aux personnes plus vulnérables (jeunes en difficulté, personnes âgées en perte d'autonomie, personnes atteintes d'une déficience, d'un problème de santé mentale ou souffrant d'une addiction, etc.).

* 2 Il existe dix provinces au Canada ; le Québec est l'une d'entre elles.

* 3 Au Québec, les organismes communautaires sont des organisations à but non lucratif qui interviennent dans les secteurs sanitaire et social pour réduire les inégalités, lutter contre les discriminations, promouvoir la solidarité, etc.

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