II. UNE POLITIQUE TRÈS VOLONTARISTE DE PRÉVENTION DU SUICIDE

A. UNE DÉMARCHE NOVATRICE ET AMBITIEUSE

1. Des statistiques alarmantes ayant entraîné une véritable prise de conscience des pouvoirs publics québécois

Après avoir connu une hausse significative au cours des années 1990, le taux de mortalité par suicide au Québec tend à diminuer depuis le début des années 2000 : il est ainsi passé de 22,2 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999 à 13,7 en 2010.

Alors que pendant des années le Québec affichait le taux de mortalité par suicide le plus élevé parmi les provinces canadiennes, il figure désormais à la quatrième place. Par comparaison, le taux de mortalité par suicide en France sur la même période n'a pratiquement pas bougé : de 15 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999, il est désormais de 14,7.

Le taux de mortalité par suicide au Québec, tout comme en France, demeure toutefois l'un des plus élevés des pays de l'OCDE . Chaque jour, en moyenne, trois personnes s'enlèvent la vie à travers la province.

L'identification du suicide comme problème de santé publique s'est opérée dans les années 1990 sous l'impulsion notamment des organismes communautaires. Le constat qui est posé est alors le suivant : il est inacceptable que dans une société développée comme le Québec une cause de décès évitable continue de provoquer des drames humains par milliers.

Conscients qu'une réduction significative du nombre de suicides est possible, nécessaire et urgente, les pouvoirs publics ont alors impulsé une véritable dynamique en faveur de la prévention du suicide :

- le programme national de santé publique 2003-2012 définit clairement la diminution du nombre de tentatives de suicide et du nombre de suicides comme un objectif à l'horizon 2012 ;

- le plan d'action en santé mentale 2005-2010 pose la prévention du suicide comme un domaine d'action prioritaire ;

- des guides de bonnes pratiques en prévention du suicide à l'intention des gestionnaires des CSSS et des acteurs de terrain ont été créés à l'initiative du ministère de la santé et des services sociaux.

Cinq principaux champs d'action ont été identifiés.

2. Le suivi du phénomène du suicide et l'effort de recherche

Afin de définir les priorités d'action et permettre une affectation optimale des ressources, il est essentiel de disposer de données épidémiologiques, cliniques et sociologiques sur le suicide.

Dans ce but, le ministère de la santé et des services sociaux et le bureau du coroner 5 ( * ) ont lancé un projet visant au développement d' une banque de données nationale sur le suicide . L'exploitation de ces données permettra de suivre l'évolution dans le temps et dans l'espace des principaux déterminants du suicide et de mieux cibler les actions de prévention.

En France , une même démarche est en cours puisque la ministre de la santé, Marisol Touraine, a récemment annoncé sa volonté de créer un observatoire national du suicide répondant ainsi aux voeux du conseil économique, social et environnemental (Cese).

Au Québec, des efforts significatifs ont également été entrepris en direction de la recherche et de l'enseignement universitaire . L'un des plus importants centres de recherche sur le suicide se trouve à l'Université du Québec à Montréal ; il s'agit du centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (CRISE), dont la délégation a rencontré plusieurs membres au cours d'une table-ronde. Les programmes de recherche, qui y sont développés, ont la particularité d'être systématiquement menés en lien avec les acteurs de terrain.

3. Le développement d'une gamme de services adaptés aux besoins des personnes suicidaires

Dans le cadre de son plan d'action en santé mentale 2005-2010, le Québec a mis en place un ensemble de services destinés aux personnes suicidaires :

- un service d'intervention téléphonique accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : la ligne 1 866 APPELLE, disponible sur l'ensemble du territoire depuis 2001, permet aux personnes suicidaires et à leurs proches de joindre, à tout moment et sous couvert d'anonymat, le centre d'écoute téléphonique le plus proche.

Les intervenants sociaux, qui répondent aux appels, sont soit des professionnels (travailleurs sociaux, psychologues), soit des bénévoles formés. Ils travaillent en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs du réseau local afin de pouvoir orienter la personne vers le service le plus approprié. Les intervenants pratiquent également la « relance téléphonique » auprès des personnes les plus vulnérables afin de suivre l'évolution de leur état de santé.

Ayant rencontré les équipes de deux centres d'intervention téléphonique, l'un basé à Québec (le centre de prévention du suicide de Québec), l'autre à Montréal (Suicide action Montréal), la délégation a pu constater que cette ligne d'intervention téléphonique était l'une des grandes forces de la politique de prévention du suicide québécoise . Sur l'année 2011, le nombre d'appels était en moyenne de l'ordre de 3 600 par mois ; ce chiffre augmente d'année en année.

Ce service connaît toutefois certaines difficultés : actuellement, une personne sur cinq ne reçoit pas de réponse après avoir composé le numéro unique et d'importantes disparités territoriales existent dans la capacité de répondre aux appels ;

- des services d'intervention en période de crise suicidaire : entretiens dits « en face à face » lorsque la situation ne peut être résolue par téléphone, mise en place d'équipes mobiles se déplaçant au domicile des personnes, création de places d'hébergement de crise (hospitalisation, hébergement temporaire en résidence thérapeutique) ;

- des actions d'intervention auprès des personnes ayant commis une tentative de suicide : cette démarche, désignée sous le terme de « postvention », se développe beaucoup au Québec. Elle consiste à assurer un suivi étroit de la personne une fois la crise suicidaire passée ; certains réseaux locaux de services ont, par exemple, créé des postes d'agent de liaison pour permettre les retours d'information sur l'évolution de l'état de santé du patient. La postvention s'adresse également aux proches endeuillés afin d'éviter tout risque de « contagion » du phénomène suicidaire.

Toutes ces actions sont le fruit d'un travail partenarial entre un grand nombre d'intervenants :

- les CSSS, qui sont chargés de planifier l'offre de services aux personnes suicidaires sur leur territoire ;

- les centres de prévention du suicide, qui jouent un rôle d'écoute, d'orientation et de suivi de la personne suicidaire ;

- les centres de crise qui, outre ces mêmes missions, offrent un service d'hébergement de crise alternatif à l'hospitalisation ;

- les médecins de famille et les centres hospitaliers ;

- les réseaux de sentinelles.

4. La constitution de réseaux de sentinelles

L'une des particularités du Québec en matière de prévention du suicide est d'avoir implanté, depuis 1998, des réseaux de sentinelles , initialement dans les milieux de travail puis progressivement dans différents secteurs de la société (établissements scolaires, administrations...).

Les sentinelles sont des citoyens volontaires formés pour jouer le rôle d'intermédiaire entre la personne suicidaire et les services qui peuvent intervenir auprès d'elle. Sans être des professionnels de la santé et des services sociaux, ces personnes sont aptes à reconnaître les signes avant-coureurs chez une personne vulnérable au suicide, à identifier le degré d'urgence de la situation, à renseigner la personne suicidaire sur les services du réseau susceptibles de l'aider, à l'inviter à les utiliser.

De l'avis de tous les interlocuteurs rencontrés, ce dispositif original s'avère, là où il est implanté, précieux et efficace : il favorise l'accès des personnes suicidaires aux services de santé et de services sociaux et permet d'entrer en contact avec les personnes isolées, difficiles à atteindre autrement.

On dénombre actuellement plus de 2 800 sentinelles sur le territoire québécois, dont 38 % sont implantées dans les milieux liés à la jeunesse. Dans la mesure où « seuls » 68 % du territoire sont couverts par des réseaux de sentinelles, la poursuite de leur déploiement fait partie des priorités ministérielles.

5. La formation des intervenants

Constatant au début des années 2000 d'importantes lacunes dans la formation des professionnels intervenant dans le domaine du suicide, le ministère de la santé et des services sociaux a mis en oeuvre un vaste programme national visant à favoriser l'implantation de bonnes pratiques :

- une formation de trois jours a été créée pour familiariser les intervenants au nouvel outil commun d'évaluation de l'urgence suicidaire, intitulée « Grille d'estimation de la dangerosité d'un passage à l'acte suicidaire ». La délégation a pu constater que cette grille, particulièrement bien faite, était très utilisée par les intervenants des centres d'intervention téléphonique ;

- des journées-ateliers pour les gestionnaires des CSSS, orientées vers l'élaboration de plans d'action en faveur de la prévention du suicide ;

- la diffusion des deux guides de bonnes pratiques respectivement destinés aux intervenants et aux gestionnaires de CSSS.

6. Les campagnes de sensibilisation et de mobilisation

Prenant exemple sur ce qui s'est fait il y a une vingtaine d'années en matière de prévention des accidents de la route, le Québec a décidé d'agir activement en amont de l'émergence des idées suicidaires par l'éducation, la sensibilisation et la mobilisation sociale en diffusant le message que le suicide n'est pas une fatalité .

Les campagnes de sensibilisation, comme la Semaine nationale de prévention du suicide qui se tient chaque année depuis 1991, poursuivent deux objectifs : faire évoluer la représentation sociale du suicide - « contrer la tolérance sociale à l'égard du suicide » selon l'expression utilisée - et communiquer à une très large échelle sur l'existence des outils d'aide, telles que le numéro de la ligne d'intervention 1 866 APPELLE.

La très active association québécoise de prévention du suicide, dont la délégation a rencontré le directeur à Québec, fait ainsi de l'évolution des mentalités à l'égard du suicide son cheval de bataille. Elle est notamment à l'origine de la campagne « Le suicide n'est pas une option ».


* 5 Le bureau du coroner est un organisme chargé de procéder à une investigation ou à une enquête publique lorsque les causes et les circonstances d'un décès sont suspectes. Il est placé sous la responsabilité du ministre de la sécurité publique.

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