B. PRÉSENTATION DE SCÉNARIOS DE RÉFORME ET RECOMMANDATIONS

1. Les trois scénarios alternatifs de gouvernance

Il apparaît, à la lumière de l'expérience, que les dysfonctionnements et les errements constatés ne pourront être résorbés sans une réforme ambitieuse et courageuse , quitte à remettre en cause la répartition actuelle des tutelles ministérielles. Vos rapporteurs spéciaux estiment qu'il s'agit d'un rendez-vous historique et que la France ne doit pas le manquer, il en va selon eux de l'avenir de son agriculture et de son économie .

a) La piste d'un statu quo amélioré, avec une clarification des compétences entre l'agriculture et le commerce extérieur

Dans les trois scénarios identifiés, seul le premier semble voué à l'échec . En effet, dans un « statu quo amélioré » entre les ministères de l'agriculture et du commerce extérieur, il faut prendre en considération le fait que la situation actuelle résulte de l'empilement de déclarations d'intention, de conventions et de chartes qui n'ont pas été suivies d'effet. Pourquoi nos dispositifs fonctionneraient-ils mieux à l'avenir sans réforme de structure ?

b) La voie de l'éviction des opérateurs sectoriels dédiés à l'agriculture (Sopexa et Adepta)

A l'inverse, dans un second scénario, une éviction des opérateurs sectoriels, Adepta, Sopexa, dédiés à l'agriculture est-elle concevable ? De nombreux secteurs économiques ne disposent pas d'opérateurs sectoriels spécifiques à l'export et ont recours soit à des opérateurs privés, soit à Ubifrance. Mais il est aussi vrai que des raisons historiques et culturelles font de Sopexa un acteur de référence pour le monde agricole . En outre, son savoir-faire dans le secteur délimité du marketing et de la promotion B to C, aujourd'hui malheureusement délaissé, n'est pas remis en cause. C'est pourquoi, vos rapporteurs spéciaux ne proposent pas d'abandonner en tant que telle la DSP, aujourd'hui confiée à Sopexa. S'en défaire serait peu réaliste, surtout à court terme, d'abord parce que la DSP court jusqu'en 2017 et ensuite parce que des liens historiques et institutionnels existent entre cette entreprise et le ministère de l'agriculture, voire plus largement avec le monde agricole français.

Toutefois, vos rapporteurs spéciaux proposent de préparer avant même la fin - en 2017 - de la DSP attribuée à Sopexa, une révision des conditions de gestion et de contrôle de la DSP : le suivi actuel est lacunaire et clairement insuffisant (recommandation n° 1) . Il sera également possible de remettre en question le fonctionnement actuel de la DSP, en optimisant l'efficacité des actions conduites et en imposant une complémentarité harmonieuse avec les autres opérateurs du soutien public aux produits agricoles et agroalimentaires.

Par ailleurs, le rôle d'Adepta apparaît en revanche moins indispensable dans la mesure où le département Agrotech d'Ubifrance pourrait reprendre cette mission.

c) Le scénario préconisé : une réforme ambitieuse basée sur une reconfiguration de la gouvernance autour d'un opérateur commun de référence dans le respect de l'acquis et des compétences sectorielles

Dans un troisième scénario, il est proposé une reconfiguration du dispositif d'appui autour d'un opérateur commun de référence, dans le respect de l'acquis et des compétences sectorielles . L'expérience montre que sans réforme ambitieuse de gouvernance, les pratiques n'évoluent pas. Pour des raisons budgétaires, pour mutualiser les moyens et pour mettre en cohérence les actions, le recours à l'opérateur de référence du commerce extérieur doit être privilégié, tout en conservant les compétences acquises par Sopexa, laquelle n'est d'ailleurs pas un opérateur de l'État mais un prestataire privé agissant sous délégation.

L'export pourrait ainsi s'apparenter à une mission interministérielle au sens de la LOLF, au sein de laquelle le ministère de l'agriculture serait associé au ministère du commerce extérieur, ce dernier demeurant naturellement le chef de file. Cela suppose que les acteurs de l'agriculture (ministère, Sopexa,...) acceptent un nouveau schéma de tutelle et de gestion.

Le scénario proposé de reconfiguration de la gouvernance autour d'un opérateur commun de référence dans le respect de l'acquis et des compétences sectorielles

Source : commission des finances

Il faut se féliciter du travail commun réalisé par les ministères de l'économie et de l'agriculture, notamment dans le cadre du plan export agroalimentaire mais, compte tenu de la réduction des crédits alloués, il convient de travailler sur des axes de mutualisation pour l'application de cette stratégie commune au niveau des opérateurs .

Aussi, sans remettre en cause dans l'immédiat la DSP attribuée à Sopexa et l'action du ministère de l'agriculture, il est proposé de renforcer la coordination de l'action de Sopexa avec Ubifrance dans le cadre d'une labellisation Ubifrance obligatoire pour toutes les actions menées à l'étranger , comme cela se fait déjà pour certaines CCI françaises à l'étranger et ainsi que le préconise le rapport de l'IGF.

Le scénario ici présenté prend acte de la position centrale du département Agrotech de l'opérateur Ubifrance pour l'appui aux exportations agroalimentaires, lequel aurait pour vocation de mutualiser toutes les actions en associant Sopexa pour ce qui relèverait de la DSP . Ce schéma présente plusieurs avantages :

- au niveau politique et ministériel, celui de reconnaître au ministère de l'agriculture un lien de tutelle formel sur Ubifrance dans le cadre de la stratégie commune du plan export agroalimentaire au même titre que le ministère du commerce extérieur (meilleure lisibilité de la politique) ;

- au niveau stratégique, celui de s'appuyer sur l'opérateur dédié à l'export Ubifrance comme pivot de la traduction des orientations définies par les ministères de tutelle (meilleure coordination des actions à mener) ;

- enfin, au niveau opérationnel sur le terrain : celui d'inscrire tous les acteurs dans une démarche obligatoire de travail en commun et de mutualisation des connaissances et des compétences (meilleure utilisation des deniers publics).

2. Des recommandations sur la base de cas pratiques à intégrer dans la nouvelle stratégie
a) Les six recommandations

Pour conclure cette partie, vos rapporteurs spéciaux proposent six recommandations, illustrées par des cas pratiques :

- faire le choix d'une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires (recommandation n° 2) ;

- reconfigurer la gouvernance de l'export agroalimentaire autour d'un opérateur commun de référence (recommandation n° 3) ;

- prendre en compte et clarifier le périmètre des compétences sectorielles et géographiques sous labellisation des actions et gestion des DSP par l'opérateur commun de référence pour placer sous sa conduite les opérateurs ou prestataires sectoriels (recommandation n° 4) ;

- communiquer sur les marchés extérieurs d'une seule voix, celle de la France, et non au titre du ministère de tutelle ou d'un opérateur particulier. Il faut mettre fin à la cacophonie « Sopexa - ministères - logo France » dans les salons internationaux) (recommandation n° 5) ;

- mutualiser les moyens par une mise en commun concrète des logos, matériels de promotion, fichiers existants ainsi que de la conception des nouveaux outils (marque France) (recommandation n° 6) ;

- coordonner les actions sur le plan fonctionnel, géographique et calendaire avec les opérateurs nationaux, les régions et les réseaux consulaires (recommandation n° 7) .

b) Des cas pratiques pour l'application de la nouvelle stratégie

Mais ces recommandations ne doivent pas rester lettre morte et celles-ci doivent trouver à s'appliquer dès à présent sur des projets concrets. Ainsi, quatre cas pratiques que la nouvelle stratégie doit soutenir ont été identifiés.

(1) S'inspirer et diffuser les bonnes pratiques mises en oeuvre à l'étranger

Il est proposé de s'inspirer et de diffuser les bonnes pratiques mises en oeuvre par les initiatives diverses (« comité Asie », club des exportateurs de l'agroalimentaire USA, « French GourMay », « taste of France ») et les appuyer au plus haut niveau sans remettre en cause leur efficacité et leur souplesse d'organisation.

(2) Intégrer dans la stratégie de promotion de l'export les plateformes logistiques et vitrines commerciales reconnues, à l'instar de Rungis

Lors de l'audition des dirigeants de la Semmaris, société en charge de la gestion du marché d'intérêt national de Rungis, vos rapporteurs ont mesuré le potentiel extraordinaire d'exportation ou de réexportation que représente cette plateforme logistique qui, à l'international, est considérée comme une vitrine de l'agroalimentaire français.

Rungis et le commerce extérieur de la France

Les marchés de gros sont avant tout des outils d'organisation de la distribution et de l'approvisionnement des villes. Cependant, Rungis, par son importance sans équivalent dans le monde, joue un rôle beaucoup plus vaste que celui des autres marchés de gros. Son appellation commerciale « Rungis Marché International » montre bien que son rayonnement dépasse largement les simples limites hexagonales et que son influence sur le commerce extérieur n'est pas neutre.

1. Les exportations

Le regroupement des produits alimentaires frais de qualité sur le site de Rungis facilite les exportations :

- les produits extra-frais du carreau des producteurs (salades, herbes aromatiques, etc.) exportés directement depuis les producteurs d'Île-de-France vers les restaurateurs londoniens de très haut de gamme ;

- les produits gastronomiques exportés vers toute l'Europe (foies gras, fromages, huîtres, fruits et légumes, etc.).

Ces exportations reposent sur quelques éléments forts : la marque « RUNGIS » porteuse d'une image très qualitative (des entreprises à Londres, à Berlin ou à Moscou affichent la provenance de leurs produits) et la disponibilité en un même lieu et de manière permanente d'une très large gamme de produits de qualité ;

- il y a également de nombreux exportateurs sur le marché. Ces volumes exportés représentent environ 10 % du chiffre d'affaires du marché qui est cette année de 8 milliards d'euros.

2. L'exportation du savoir-faire de Rungis

- la Semmaris exporte son savoir-faire en conception et gestion de plateforme alimentaire à travers sa cellule de conseil Rungis Consultant (Moscou, Delhi, Montevideo, Bruxelles, Afrique du Sud, Thaïlande etc.) ;

- ces prestations de conseil sont un vecteur d'exportation des technologies et industries françaises concentrées sur le marché de Rungis, par exemple le système de manutention des carcasses exportées à Shanghai en 2009 (mais aussi les systèmes de froid, de traitement de l'air, d'accostage des poids lourds, de calibrage, de triage et d'empaquetage, etc.) ;

- enfin, le conseil permet de mettre en réseau les plateformes alimentaires et ainsi dynamiser les échanges de produits alimentaires et le commerce agroalimentaire en général (gastronomie fine vers les ambassades et les grands chefs cuisiniers, etc.).

Source : Semmaris

Or, ce potentiel n'est pas pleinement exploité et il conviendrait de remplacer l'export d'opportunité par un véritable export réfléchi et construit avec le concours d'Ubifrance et la mobilisation de VIE en soutien de groupements d'entreprises.

(3) Développer un concept novateur, actuel et attractif de la nourriture française à l'international

Il reste aussi à construire un concept attractif de l'excellence alimentaire française, comme les Italiens ont pu le faire autour du goût et de la simplicité et les Espagnols autour des tapas et de la fête . Sur ce point, l'action de Sopexa peut sembler incertaine car le positionnement marketing de l'agroalimentaire français ne semble pas clairement défini .

Il peine à trouver une image cohérente face au risque de « grand écart » entre une offre élitiste fondée, à juste titre, sur la haute gastronomie, et une offre agroalimentaire destinée au grand public .

En cela, l'inscription au patrimoine de l'UNESCO du repas gastronomique à la française pourrait contribuer à développer un concept populaire de l'art de vivre culinaire français, celui-ci ne pouvant plus se cantonner à des approches sectorielles fondées sur les vins et spiritueux d'une part, ou sur la viande et l'épicerie d'autre part. C'est bien d' une image intégrée, sorte d'apéritif à la française, mêlant boisson, nourriture et arts de la table, étendu à tout un univers cohérent de consommation et identifiable à la France . Ainsi, c'est à l'image du monde de la mode que la vogue du macaron à la française a conquis l'ensemble des consommateurs et touristes étrangers.

Il faut donc associer au développement de la « Marque France » la gastronomie et l'excellence alimentaire française en vue de développer un concept novateur, actuel et attractif de la nourriture française à l'international.

L'exemple du mouvement Slow food 27 ( * ) sur lequel se base le succès de la société Eataly devrait constituer une ligne guide pour le développement BtoC de l'agroalimentaire français.

(4) Fixer un objectif concret de promotion de l'agroalimentaire français : l'exposition universelle « Milano 2015 »

Enfin, il est impératif de rendre opérationnelle la nouvelle gouvernance et de lui fixer comme objectif la promotion de l'agroalimentaire français à l'exposition universelle Milano 2015 « Nourrir la planète. Énergie pour la vie ». La nomination d'Alain Berger, actuel délégué interministériel aux industries agroalimentaires, à la tête de la mission française pour l'organisation du pavillon de la France doit être une opportunité à saisir pour fédérer les filières dans l'optique d'exporter leur production.


* 27 Fondée par Carlo Petrini en 1986, le « slow food » promeut une vision de la nourriture porteuse de plaisir, de culture, de traditions, d'identité, et d'un style de vie respectueux des territoires et des traditions locales. « Bon, propre et juste » sont les trois crédos du Slow Food qui place la gastronomie comme un élément indissociable de la politique, de l'agriculture et de l'environnement.

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