Rapport d'information n° 784 (2012-2013) de Mme Sylvie GOY-CHAVENT ,, déposé le 17 juillet 2013

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N° 784

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juillet 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe : élevage , abattage et distribution (1),

Par Mme Sylvie GOY-CHAVENT,

Rapporteure.

Tome II : Auditions

(1) Cette mission commune d'information est composée de : Mme Bernadette Bourzai , présidente ; Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure ; MM. Gérard Bailly, Claude Bérit-Débat, André Dulait, François Fortassin, Benoît Huré, Georges Labazée, Joël Labbé, Gérard Le Cam , vice-présidents ; MM. René Beaumont, Michel Boutant, Gérard César, Mme Laurence Cohen, M. Roland Courteau, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-François Husson, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Jean-Jacques Mirassou, Mme Renée Nicoux, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Charles Revet.

PROCÈS-VERBAUX D'AUDITIONS DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA FILIÈRE VIANDE EN FRANCE ET EN EUROPE : ÉLEVAGE, ABATTAGE ET DISTRIBUTION

Réunion constitutive (mercredi 27 mars 2013)

La mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe a constitué son bureau et procédé à un échange de vues entre ses membres sur les enjeux, le périmètre et l'organisation de la mission.

M. Charles Revet , président d'âge - Je vous prie d'excuser M. Gérard César, à qui revenait la fonction de président d'âge. La présente mission commune d'information a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu à l'article 6 bis du règlement du Sénat. C'est le groupe Union centriste (UDI-UC) du Sénat qui en a formulé la demande lors de la Conférence des Présidents du 20 février dernier. Il en a été pris acte et les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition des groupes, lors de la séance du 13 mars.

L'objet de cette mission est d'examiner la situation de la filière viande en France et en Europe, du producteur au consommateur, en passant par l'ensemble des maillons de la chaîne. Alors que l'affaire de la viande de cheval - qui s'est retrouvée dans plusieurs pays européens dans des préparations culinaires sensées contenir du boeuf - est loin d'être close, et que chaque jour apporte son lot de nouveaux doutes sur les circuits empruntés par les matières premières carnées utilisées dans l'industrie agroalimentaire, et alors que l'élevage sous toutes ses formes continue à souffrir en France de conditions économiques difficiles, nous répondons par cette mission à une réelle préoccupation des français.

En application du règlement du Sénat, les postes de président et de rapporteur de la mission doivent être partagés entre majorité et opposition. Même si cela n'est pas systématique, il est d'usage que la responsabilité de rapporteur soit confiée à un membre du groupe ayant demandé la création de la mission commune d'information. Le bureau est complété par plusieurs vice-présidents. Chaque groupe pourrait disposer d'une représentation au sein du bureau. Nous pourrions réserver trois sièges au bureau pour chacun des deux groupes les plus nombreux : le groupe socialiste et le groupe UMP. Le bureau compterait donc 10 membres.

La mission commune procède à l'élection, à l'unanimité de son bureau, ainsi constitué :

- Présidente : Mme Bernadette Bourzai ;

- Rapporteure : Mme Sylvie Goy-Chavent ;

- Vice-Présidents : MM. Gérard Bailly, Claude Bérit-Debat, André Dulait, François Fortassin, Benoît Huré, Georges Labazée, Joël Labbé et Gérard Le Cam.

Mme Bernadette Bourzai , présidente de la mission commune d'information . - Je vous remercie de la confiance ainsi accordée et cède la parole à Mme Goy-Chavent qui souhaite nous faire part des raisons qui ont amené son groupe à demander la création de la présente mission.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure de la mission commune d'information . - Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez en me désignant rapporteure de cette mission. D'autres sujets auraient pu retenir l'attention du groupe UDI-UC, mais celui de la filière viande en France et en Europe nous intéresse plus particulièrement. La crise de la viande de cheval ouverte depuis quelques semaines a montré que, malgré les efforts de traçabilité de la viande bovine depuis la crise de la vache folle, malgré les contrôles sanitaires, des fraudes étaient encore possible à grande échelle. Or le consommateur veut savoir ce qu'il mange. L'étiquetage de l'origine de la viande bovine existe et fonctionne bien. En revanche, dès qu'il s'agit de préparations agroalimentaires, l'opacité règne. Il en va de même sur les conditions d'abattage. Le consommateur a pourtant le droit de savoir si la viande qu'il achète est issue de bêtes pour lesquelles les règles de bien-être animal ont été respectées. Du champ à l'assiette, en passant par l'abattoir, il est nécessaire de répondre aux attentes de la société, en toute transparence.

Concernant l'abattage, j'avais présenté une proposition de loi en novembre dernier, réclamant que les animaux fassent tous l'objet d'un étourdissement préalable, afin de ne pas leur infliger de souffrances inutiles. J'ai déposé en janvier une autre proposition de loi, exigeant que le consommateur soit informé des conditions d'abattage. Cette question pourra être abordée dans le cadre de notre mission. En portant d'abord notre attention sur le consommateur, nous pourrons nous interroger sur les normes de commercialisation, sur l'étiquetage de l'origine, sur les contrôles effectués sur les viandes et produits carnés par les services vétérinaires ou par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et sur les tendances lourdes de consommation qui se dessinent déjà en viande. Nous pourrons ainsi faire des propositions tant au niveau national qu'au niveau communautaire, car le marché unique implique que les règles du jeu soient définies essentiellement à Bruxelles.

Mais le champ d'investigation de notre mission n'est pas cantonné à la seule question de la consommation de produits carnés et de l'information des consommateurs. Il s'agit aussi d'interroger l'économie de la filière, à l'heure où de grands acteurs sont en redressement judiciaire, qu'il s'agisse du groupe Doux dans le poulet, ou du groupe breton Gad, spécialisé dans le porc. La question de la répartition des marges entre acteurs économiques, du producteur au consommateur, et du rôle particulier de la grande distribution, est fondamentale, et nous l'examinerons attentivement, notamment en auditionnant l'observatoire des prix et des marges. Au-delà de la répartition de la valeur ajoutée, c'est la problématique de la compétitivité de la filière viande qui inquiète. Pourquoi perdons-nous chaque année des parts de marché dans l'abattage face à d'autres pays européens comme l'Allemagne ? Y-a-t-il un risque de voir notre production de viande bovine, porcine ou de volailles décliner, si l'outil d'abattage est lui-même en difficultés ? Comment construire une filière solide dans tous ses maillons, qui assure une rémunération correcte pour les producteurs, les industriels, les distributeurs ? Plusieurs centaines de milliers d'emplois sont en jeu autour de la filière viande, et cette dimension économique fait pleinement partie du champ d'investigation de cette mission.

Je termine en proposant un objectif : parvenir à un consensus sur le diagnostic de la filière, en France et en Europe, et sur des propositions. Je souhaite qu'au-delà des sensibilités politiques différentes qui sont les nôtres, nous soyons capables de promouvoir une vision commune et partagée qui pourrait guider l'action des pouvoirs publics en direction du secteur de la viande.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Élue dans une région d'élevage, le Limousin, travaillant avec le groupe de travail sur la réforme de la PAC, je me réjouis que le Sénat aborde la question de la filière viande dans le cadre d'une mission commune d'information, associant les sénateurs de plusieurs commissions. Il ne s'agit pas au demeurant d'une première : l'élevage bovin avait fait l'objet d'un excellent rapport d'information de notre collègue Gérard Bailly en juillet 2011. La filière ovine avait pour sa part était analysée par MM. Gérard Bailly et François Fortassin en janvier 2008, dans un rapport malicieusement intitulé « revenons à nos moutons ».

De longue date, le Sénat s'intéresse donc à l'élevage et à la viande. Mais cette mission ira plus loin que nos précédents travaux, en permettant d'examiner l'ensemble de la filière viande, qu'elle soit bovine, porcine, ou de volaille.

En accord avec la rapporteure, je suggère un calendrier serré, qui nous permettrait de rendre notre rapport au début de l'été, soit plus vite que les six mois traditionnellement impartis aux missions d'information. Pourquoi un tel choix : car il y a urgence à proposer des solutions. Il est également souhaitable que le Parlement s'exprime avant que ne soit déposée la loi d'avenir de l'agriculture, annoncée pour la rentrée 2013-2014. Enfin, il existe déjà de nombreux travaux sur la filière viande et nous pouvons nous appuyer sur ceux-ci pour rapidement engager notre cycle d'auditions. Nous pourrons réunir le bureau tous les mois pour valider les orientations et propositions du rapport, qui pourrait être adopté début juillet.

Il est nécessaire d'auditionner l'ensemble des intervenants de la filière. Le nombre d'auditions pourrait s'élever à plus d'une soixantaine. Outre les auditions, un certain nombre de déplacements sont à envisager : des déplacements en Europe : Allemagne, Pays-Bas, Bruxelles pour rencontrer la commission européenne et les parlementaires européens ; mais aussi de déplacements en France : dans l'Ouest pour visiter des élevages porcins et de volailles, ainsi que des abattoirs et usines ; dans le bassin allaitant pour visiter des élevages bovins et des abattoirs, à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) à Clermont-Ferrand pour rencontrer les acteurs de la recherche. Outre la présidente et la rapporteure, plusieurs membres du bureau pourraient y participer.

Chaque audition et chaque rencontre lors des déplacements fera l'objet d'un compte-rendu, accessible à l'ensemble des membres de la mission.

Une page sur le site Internet du Sénat retracera l'ensemble des travaux de notre mission, et permettra aux internautes de déposer leurs contributions. Enfin, Public-Sénat nous accompagnera tout au long de cette mission, pour son programme « les dessous de la loi », afin de mieux faire connaître au public le travail parlementaire, dans un but pédagogique.

M. François Fortassin . - J'aimerais vous soumettre une suggestion sur le périmètre de notre étude. La production de viande est destinée à être mangée. Or, un produit qui répond parfaitement aux normes sanitaires peut se révéler peu satisfaisant sur un plan gustatif. Nous intéresserons-nous au cours de notre mission à la question du goût ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Au cours de nos déplacements, nous pourrons procéder à des dégustations. Dans le cadre de nos travaux, nous chercherons bien sûr à mettre en avant la question de la qualité des produits, qui recouvre celle de leur goût, au même titre que le problème de leur traçabilité.

M. Gérard Bailly . - J'adresse mes félicitations à Mme la présidente et à Mme la rapporteure qui conduiront ce travail très intéressant. Je souscris entièrement aux orientations du programme de travail qui nous a été présenté, et qui me semble très ambitieux. J'aimerais cependant vous faire part de quelques observations.

Il me semble que nous devrions nous montrer prudents dans la conduite de nos travaux. L'affaire qui a été récemment médiatisée repose sur une tricherie. Or, si évidemment la transparence du circuit des produits est nécessaire et s'il faut la réaffirmer, cette tricherie ne concerne pas l'ensemble des acteurs de la filière viande. Lors d'un travail que nous avons précédemment mené, nous avons pu constater que la traçabilité des produits était parfaitement assurée dans le Loiret pour les achats du groupe Mac Donald's : la viande provenait de bêtes de nos élevages et le blé des pains était fourni par des agriculteurs locaux. Afin de ne pas instiller un doute et de ne pas pénaliser les producteurs, nous devrions faire preuve de prudence dans nos travaux, d'autant qu'ils seront très médiatisés.

Par ailleurs, il me semble que notre mission devrait aborder la question des importations, et notamment des exportations extra-européennes. Nos importations de viande sont très importantes et concernent l'ensemble des productions ; en production ovine, nous importons ainsi plus de 50 % de la viande que nous consommons. Or, les produits ainsi importés - je pense par exemple à ceux qui proviennent d'Amérique du Sud - ne sont pas nécessairement soumis aux mêmes exigences de transparence que les produits français et peuvent avoir été nourris aux OGM. Sur ce point, il pourrait être intéressant que nous nous rendions un matin à Rungis pour observer l'activité concrète des importateurs.

M. Charles Revet . - Allons-nous, dans le cadre de nos travaux, nous pencher de manière approfondie sur le fonctionnement des circuits d'approvisionnement des industriels ? Du fait de l'actualité, nous serons attendus sur cette question.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le but de la mission est de dresser un état des lieux précis de l'ensemble de la filière viande, afin de pouvoir ensuite formuler des propositions et ainsi rassurer les consommateurs. Ce tableau devra permettre de suivre les produits du pré à l'assiette, et dans toutes les étapes intermédiaires. Il s'agit d'un défi important et nécessaire.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Je partage les points de vue évoqués sur la richesse du travail proposé. Avec le nombre considérable de plus de soixante auditions prévues, nos investigations seront très étendues.

Afin de pousser ces investigations le plus loin possible, j'aimerais que nous puissions questionner de grands opérateurs de manière approfondie, et notamment que nous puissions écouter les sociétés incriminées comme Spanghero. Il est important de pouvoir comprendre dans le détail les pratiques d'un commerce qui n'est pas toujours transparent, et de pouvoir apprécier dans quelle mesure ces pratiques échappent à la réglementation et aux règles élémentaires de précaution. Ces questions ne concernent pas seulement les produits carnés, mais également les produits laitiers par exemple.

M. Joël Labbé . - Le ministre délégué à l'agroalimentaire, Guillaume Garot, que nous avons auditionné, nous a fait part de ses ambitions : son ministère poursuit le travail sur la sécurité alimentaire et s'intéresse également à la valeur ajoutée et à la qualité, voire l'excellence, des produits.

Il existe aujourd'hui une crise de la volaille, qui touche particulièrement la Bretagne. La France est un pays exportateur de volailles, mais elle en importe également pour 45 % de sa consommation. Or il existe un fort déséquilibre entre les exportations et les importations. Les chiffres d'Eurostat pour 2011 sont édifiants : nous aurions exporté 1,2 million de tonnes de poulet pour 1,4 milliard d'euros, tandis que nous en aurions importé 760 000 tonnes pour 2,2 milliards. La problématique de la part des importations dans notre consommation me paraît dès lors essentielle. Des réponses sont aujourd'hui attendues s'agissant de la consommation française locale ; il en va de la relance de nos filières. Nous devons tirer les leçons de ce dernier épisode médiatique malheureux, qui a au moins permis de mettre en lumière certaines pratiques, et restaurer la confiance.

Par ailleurs, nous devrons également nous pencher sur la filière de la viande bio, qui n'est plus une niche aujourd'hui et qui ne demande qu'à se développer.

M. Gérard Le Cam . - Il m'apparaît nécessaire de faire la clarté sur la circulation de la viande en Europe. On a l'impression que la viande est transportée successivement d'un point à un autre, parfois pour finalement revenir à son point de départ, dans le seul but de faire de l'argent. Les questions de la technique d'obtention des minerais de viande et de leur composition exacte me paraissent également importantes.

Mme Renée Nicoux . - Je pense que nous partageons tous les mêmes objectifs. Nous devons donner des réponses aux consommateurs, qui doivent savoir quelle viande ils mangent et d'où elle vient.

J'aimerais que nous puissions également nous pencher sur la problématique du trading dans le domaine de la viande, que je n'ai découverte qu'à l'occasion de l'actualité récente. Quelle est leur influence dans la constitution du prix de la viande, alors que les éleveurs ont du mal à vivre de leur production ? C'est plus globalement toute la question du rôle des intermédiaires qui est posée.

M. René Beaumont . - En tant qu'ancien vétérinaire inspecteur des abattoirs, je me félicite de la mise en place de cette mission d'information, mais je souhaite également que nous nous montrions prudents. La traçabilité a été mise en place pour la première fois en France au moment de la crise de la vache folle par le ministre de l'agriculture Philippe Vasseur. Aujourd'hui, tous les animaux abattus en France sont identifiés et suivis : c'est une avancée considérable. Cependant, ce dispositif et ceux qui sont intervenus ensuite ont causé une diminution de 25 % de la consommation de viande rouge en France. Il y a un risque que notre démarche fasse perdre confiance aux consommateurs et pèse ainsi sur les producteurs.

Par ailleurs, le programme de travail de notre mission me semble très ambitieux, peut-être même un peu trop. Nous voulons nous intéresser à des viandes différentes, dont les conditions de production, les origines, les modes de commercialisation sont différents. Les viandes blanches et rouges, le veau, le boeuf, ont des origines différentes et ne sont pas toujours produits en France. Le marché de la volaille, qui est particulièrement complexe, mériterait à lui seul que lui soit consacrée une enquête entière. Le marché de la viande ovine a son centre davantage en Nouvelle-Zélande qu'en France. Il me semble donc difficile de nous lancer dans une étude approfondie de la totalité de ces filières et de vouloir résoudre l'ensemble de leurs problèmes. Il nous faudra aussi faire preuve d'une grande discrétion. Cela me paraît essentiel.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je souhaiterais préciser que nous constituons bien aujourd'hui une mission commune d'information et non une commission d'enquête. Je voudrais ensuite vous rassurer sur la publicité que nous ferons à nos travaux. L'objectif n'est pas de provoquer ou de stigmatiser des sociétés aujourd'hui en difficulté : notre objectif est de connaître la vérité sur une filière mal connue. Nous fixerons bien les règles du jeu pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce point

M. Michel Boutant . - J'aimerais évoquer un sujet qui n'a pas encore été abordé. L'actualité fait qu'aujourd'hui l'origine de la viande et certaines pratiques qui ont fait l'objet de révélations récentes sont au centre de l'attention de l'opinion publique. Je pense pourtant que nous devrions aborder d'autres produits que les produits carnés et en particulier les peaux et les cuirs, qui fournissent des matières premières à des entreprises qui se portent plutôt bien en France, les industries du luxe et de la maroquinerie. Je travaille actuellement, dans mon département de Charente, à l'ouverture d'une de ces entreprises qui viendrait créer 400 emplois dans quelques mois et à l'établissement d'un cahier des charges entre cette entreprise, les éleveurs et les abattoirs pour qu'elle puisse bénéficier de cuirs de qualité. Je crois que la valorisation des déchets et des peaux est un vrai sujet, et que nous ne devrions pas concentrer notre travail exclusivement sur la question de la viande stricto sensu .

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous pourrons aborder ce sujet, dont je connais l'importance, lors de nos visites d'abattoirs, notamment dans le Massif central. Le secteur des peaux est en effet un secteur considérable.

M. Jean-Luc Fichet . - Je crois que la question fondamentale que se posent les consommateurs est la suivante : comment les producteurs de viande peuvent-ils vendre de la viande de cheval en prétendant qu'il s'agit de viande de boeuf ? Est-ce un manque de professionnalisme ? Un professionnel du textile sait faire la différence entre du coton et du nylon, un professionnel du bois sait faire la différence entre du chêne et du hêtre ! Pour la viande, c'est pareil : de bons professionnels savent différencier les types de viande et on ne leur fera pas prendre du cheval pour du boeuf. Comment en est-on arrivé là alors qu'il y a le long de la chaîne de production des professionnels capables d'identifier la nature de la viande ? Existe-t-il une omerta ? Est-ce un problème de conditionnement du minerai ? Je doute franchement que personne ne s'interroge à un moment ou à l'autre sur la nature de la viande qui est travaillée. Je crois que c'est à ces interrogations des consommateurs que nous devons répondre. La question des compétences, de la formation des professionnels de la filière mérite d'être posée. Enfin, je voudrais dire que si nous devrons dénoncer les dysfonctionnements, il faudra aussi montrer ce qui se fait de bien dans cette filière et revaloriser tous ceux qui sont injustement affectés par ce scandale. Ce secteur est très important pour notre économie et il s'agit d'éviter que certains mauvais comportements rejaillissent sur tous.

M. Jean-Claude Lenoir . - J'ai écouté avec attention mes collègues et je dois vous dire que ne voudrais pas que nous ouvrions la boîte de Pandore. Nous sommes tentés d'aborder de multiples sujets qui concernent l'élevage, la transformation et l'alimentation. Si nous devions faire le choix d'une problématique très large, je crois qu'il nous faudrait aussi nous intéresser à la question de l'équarrissage et à l'impact de la production de ce secteur sur les poissons. Pour autant, je pense qu'il serait vraiment souhaitable de réduire l'amplitude de notre champ d'investigation, de limiter l'éventail des sujets abordés, surtout si nous devons rendre notre rapport dans des délais contraints.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je vois que notre mission commune d'information suscite un vif intérêt - et que vous suggérez de nombreuses pistes d'investigation pour notre sujet d'étude. Nous en avons pris bonne note. L'objectif de notre mission est d'auditionner l'ensemble des acteurs, tous les intermédiaires, pour sortir des idées préconçues et établir un état des lieux précis et chiffré de la filière. Il s'agit bien plus de mettre en valeur ce qui se fait de bien plutôt que de stigmatiser ce qui va mal. Et nous ferons en sorte d'élaborer des propositions constructives pour résoudre les difficultés qui peuvent se poser. Nous voulons rencontrer tous les intermédiaires de la filière - élevage, transport, stockage, distribution, et c'est vrai qu'ils sont très nombreux entre le pré et l'assiette. Plusieurs questions méritent des éclaircissements : le problème du minerai, le rôle exact des traders dans le négoce de la viande... Il semblerait que parfois la viande ne quitte pas son entrepôt mais que beaucoup d'argent circule en raison des transactions qu'elle suscite ! Notre volonté est de dresser un véritable état des lieux et non de stigmatiser qui que ce soit au sein de la filière viande. Nous voulons restaurer la confiance des consommateurs en trouvant les bons leviers, en donnant des idées au Gouvernement, en jouant la transparence pour redonner pleinement l'envie de consommer les produits qui viennent de France. Il est vrai que beaucoup de produits sont importés : quelles quantités précisément ? Pourquoi nos éleveurs sont-ils confrontés à de réelles difficultés ? Pourquoi importons-nous autant alors qu'une partie de nos élevages sont parfois condamnés à la fermeture ? Il nous faudra répondre à toutes ces questions. Nous nous intéresserons aussi à l'élevage biologique, un maillon important de la filière viande. Le cuir et la question du cinquième quartier sont des sujets intéressants mais il ne faut pas trop se disperser si on veut garder de l'efficacité. La filière de la viande française est dans l'ensemble une filière d'excellence. Joël Labbé a parlé du poulet, c'est un sujet que je connais bien moi-même - si vous me permettez de faire preuve d'un peu de chauvinisme - avec le poulet de Bresse, certifié AOC, un bel exemple de produit d'excellence de notre filière viande.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Je partage le souhait de Jean-Claude Lenoir de ne pas nous disperser. Nous disposons de peu de temps et je ne pense pas qu'on puisse embrasser l'ensemble des problèmes que nous avons évoqués, en dépit de leur intérêt. Je crois que nous devrions revenir à ce qui préoccupe l'opinion, et notamment l'affaire Spanghero. Il s'agit d'un problème très précis, celui de la transformation de viande pour la production de plats cuisinés. S'y on y ajoute le problème de l'attractivité économique française qui est actuellement en baisse, on comprendra qu'en amont certains producteurs utilisent des expédients - le mot est faible - pour se conformer à cette politique des prix, ce qui génère des excès - là aussi, le mot est faible - pour rester compétitif. Je crois qu'il serait souhaitable de nous focaliser sur ces préoccupations de l'opinion publique et de nous rappeler que c'est précisément ces inquiétudes qui ont conduit à la création de cette mission commune d'information. Je pense aussi que nous devrions prendre le risque de la transparence.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Certes, le scandale sanitaire de l'affaire Spanghero est en partie à l'origine de notre mission, mais nous devons aussi nous intéresser à la situation économique de l'élevage qui est très difficile dans notre pays et partout en Europe à l'heure actuelle. Or nous sommes à la veille de la réforme de la politique agricole commune (PAC) et de la loi d'avenir de l'agriculture que le Gouvernement présentera au Parlement à la fin de l'année. Nous devons faire progresser l'idée que les élevages français souffrent et qu'ils ont besoin de mesures appropriées. Je souscris aussi tout à fait à l'idée que le commerce de la viande en France, en Europe, et aussi les importations qui viennent d'autres continents, devront faire l'objet de toute notre attention. La traçabilité de la viande est loin de s'appliquer partout et les normes d'élevage ne sont pas les mêmes selon les continents et entre les pays de l'Union européenne. J'ai dit que nous ne mettrions pas en causes de personnes ou de sociétés, que nous ne chercherons pas à choquer avec du sensationnalisme. Mais il n'est pas non plus question d'occulter quoi que ce soit. Les auditions démarreront la semaine prochaine.

Audition M. Philippe Chotteau, responsable du département « économie » de l'Institut de l'élevage, et de Mme Mélanie Richard, chef de projet sur la filière viande bovine de l'Institut de l'élevage (mercredi 3 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous commençons aujourd'hui nos travaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - La filière viande en France traverse une grave crise de confiance, accentuée par les récentes affaires, notamment par la vente de viande de cheval dans des lasagnes étiquetées « pur boeuf » et au prix correspondant à cet étiquetage. Cela va-t-il détourner les consommateurs de la viande, et en particulier de la viande de boeuf ? Quelles mesures seraient susceptibles de redonner confiance du consommateur ?

M. Philippe Chotteau, responsable du département « économie » de l'Institut de l'élevage. - Merci pour votre accueil. L'institut de l'élevage est une association régie par la loi de 1901, gérée par des représentants de la filière, qui s'occupe exclusivement des questions relatives aux ruminants. Dédiée à la recherche et au développement, elle compte un contrôleur d'État à son conseil d'administration car elle bénéficie des fonds publics provenant du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (Casdar), qui transitent par la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture. Ses administrateurs sont des représentants des syndicats d'éleveurs : fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), fédération nationale bovine (FNB), fédération nationale ovine (FNO), fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), fédération nationale des éleveurs de chèvres (FNEC)... J'y suis responsable du département de l'économie : il s'agit de suivre l'économie des différentes filières, mais aussi de s'intéresser, d'un point de vue microéconomique, aux résultats des différentes exploitations.

La crise de confiance actuelle concerne la viande rouge, et non le porc ou la volaille. Ce n'est pas la première : chacun se rappelle la première crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en 1996, ainsi que la deuxième en 2001. A chaque fois, la filière viande, bovine ou ovine, s'en est relevée au prix d'efforts considérables pour améliorer la traçabilité. C'est de cette époque que date l'identification individuelle des animaux, ainsi que celle du produit, en boucherie comme en grande surface. En France, nous avons même imposé l'identification du produit en restauration.

Bien sûr, l'actuelle crise laissera des traces. Elle est apparue, en vérité, dès le mois de janvier, sur les ondes de la BBC. Elle concerne les viandes transformées, qui dans la profession sont appelée, fort maladroitement, « minerai ». Ces viandes voyagent dans l'Europe entière, voire au-delà, et leur traçabilité est plus difficile à assurer. Il faut distinguer les différentes phases de transformation. La première transformation est l'abattage, la deuxième est le désossage et la transformation des carcasses en muscles ou en « minerai », la troisième et la quatrième consistent en la transformation en plats cuisinés, en saucisses, en produits qui peuvent mêler différentes viandes. C'est ce dernier secteur qui fait l'objet d'une crise de confiance.

Il dépend beaucoup des importations. La France a un cheptel de vaches allaitantes de 4,1 millions de têtes : c'est le plus grand d'Europe ; il représente un tiers du cheptel européen. Viennent ensuite l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Bulgarie... Notre cheptel de vaches laitières est également le deuxième d'Europe, avec 3,6 millions de têtes. Pourtant, nous sommes importateurs nets de viande : nous importons 400 000 tonnes équivalent carcasse (TEC), ce qui représente 23 % de notre consommation. Nous exportons 22 % de notre production. L'explication est simple : nous ne consommons pas les mêmes qualités de viande que ce que nous produisons. Notre production comporte 62 % de viande issue de vaches de réforme ou de génisses, 31 % de viande issue de jeunes bovins, abattus entre dix-huit et vingt-quatre mois, et 7 % de viande de boeuf. Nous consommons pour 80 % de la viande issue de vaches de réforme ou de génisses : nous en sommes le premier marché. Elle est, en principe, moins chère, et sert souvent de base à l'industrie de transformation. Nous exportons la moitié de la viande de taurillon que nous produisons : l'autre moitié constitue 13 % de notre consommation. Nous exportons essentiellement en Italie, en Grèce et en Allemagne. Les deux premiers pays ont été fragilisés depuis le début de la crise : la Grèce a connu des chutes de revenu de près d'un tiers. Pourtant, la consommation a tenu plutôt bien, même si nous avons senti l'impact de la crise.

Le scandale de la viande de cheval touche une partie de la consommation française : essentiellement les plats cuisinés à base de boeuf, et les steaks hachés surgelés. Le steak haché frais apparaît au consommateur, à tort ou à raison, comme plus sûr.

Mme Mélanie Richard, chef de projet sur la filière viande bovine . - Il faut noter qu'il est produit en majorité à partir de viande française, et qu'il comporte une mention d'origine. Les produits transformés sont fabriqués à partir de viandes importées, dont ni l'industriel ni le distributeur ne sont obligés d'indiquer l'origine : c'est le segment le plus sensible. La confiance globale du consommateur est réduite, et cela l'encourage à s'orienter vers des viandes moins transformées. Cette évolution est déjà visible : le steak haché surgelé pâtit de la crise, alors que le steak haché frais se porte mieux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous déjà des statistiques précises sur l'évolution des ventes de chaque type de produit ?

Mme Mélanie Richard . - Nous avons des statistiques, mais elles ne sont pas très récentes : elles vont jusqu'à fin février, donc avant la crise.

M. Philippe Chotteau . - Nous disposons de deux indicateurs : les chiffres de l'abattage, ceux des importations et ceux des exportations combinés nous sont fournis par le service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l'agriculture. Mais ils ne permettent pas de distinguer entre les consommations des différentes qualités de viande. Le panel Kantar, notre deuxième source, mesure les achats des ménages - hors restauration. Or la restauration représente environ 30 % de la consommation de viande bovine, et il y a sans doute déjà un impact significatif sur ce marché. Sur les produits non transformés, le panel montre, dès le mois de février, un transfert du steak haché surgelé vers le steak haché frais, et plus globalement de la grande distribution vers les boucheries, qui représentent environ 15 % de la distribution de viande de boeuf en France. La boucherie se porte donc plutôt mieux du fait de la crise. Le panel ne distingue pas entre eux les produits transformés. Nous devons donc interroger les distributeurs, comme Findus ou Picard, qui affirment observer aussi un impact.

Mme Mélanie Richard . - Ces enseignes ont procédé à des retraits de produits, ce qui affecte encore davantage la consommation.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Le fait que les consommateurs se reportent vers la boucherie est-il sans incidence sur leur pouvoir d'achat ? Les prix en boucherie sont supérieurs à ceux des grandes surfaces. Derrière la substitution d'une viande à une autre dans la chaîne de production, il y a la volonté de faire du profit à court terme, d'autant qu'avec la crise, les distributeurs font pression sur les prix pour maintenir leurs ventes. Qu'en pensez-vous ? Vous nous avez décrit un univers compliqué. Avant d'exporter, ne pourrions-nous privilégier notre marché intérieur ? Je comprends de surcroît que nous exportons la viande de meilleure qualité : ce constat ne me satisfait pas ! Il faut nous donner les moyens de rendre accessible au plus grand nombre de la viande de bonne qualité. Certes, j'imagine bien quel type de consommateur, en Grèce, importe nos produits, et je ne me fais pas de souci de ce côté-là. Mais les Français doivent pouvoir consommer de la viande dont le goût soit le meilleur possible.

Mme Mélanie Richard . - Par le terme « qualité » nous entendions simplement les types de viande et non leurs qualités gustatives réelles ou supposées. La France exporte de la viande de jeune bovin, plus claire, car elle correspond moins à ses goûts qu'à ceux de ses voisins méditerranéens. Les bouchers français privilégient la viande issue de bêtes plus âgées, plus grasses.

M. Claude Bérit-Débat . - Nous exportons nos produits de jeunes bovins alors que notre consommation est surtout composée de viandes issue de vaches de réforme, abattues en France ou importées. Il s'agit surtout d'un problème d'habitudes de consommation, ou de goûts... Il est vrai que les produits de réforme sont moins chers que le boeuf ou le veau.

Mme Mélanie Richard . - Nous valorisons bien nos produits d'exportation : la viande de jeune bovin se vend à un bon prix chez nos voisins du sud, qui l'apprécient particulièrement. Actuellement, la viande de vache à lait est plus chère que celle de jeune bovin. Pourtant, la viande de vache laitière est moins demandée ; elle est fléchée vers la transformation, qui lui ajoute de la valeur, ou la restauration hors foyer, soumise à des contraintes de prix.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Dans ce tour de France et d'Europe des habitudes alimentaires que nous faisons, nous constatons que chacun essaie de faire un produit noble avec ce qu'il a. Certains, en France, vont jusqu'à utiliser des techniques industrielles d'attendrissement du steak! Avons-nous des indications sur la cadence et le tonnage des importations de viande de cheval et de viande ovine ?

M. Philippe Chotteau . - D'après les statistiques douanières, les importations de viande de cheval sont marginales - même si nous sommes nettement importateurs. Nous importons environ 300 grammes d'équivalent carcasse par habitant et par an, ce qui représente environ 20 000 tonnes annuelles pour le pays. Nous produisons à peu près la moitié de notre consommation, et en importons l'autre moitié, soit environ 10 000 tonnes par an.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Qu'en est-il des importations de mouton britannique, soumis aux techniques de séparation mécanique ?

M. Philippe Chotteau . - Ces techniques sont interdites partout en Europe. Il n'y a guère de traçabilité, cependant. La viande ovine consommée en France est importée à 60 %, mais nous ne savons pas d'où elle provient.

Mme Mélanie Richard . - Nous savons si elle est importée avec ou sans os.

M. Philippe Chotteau . - Les statistiques douanières dont nous disposons ne nous permettent pas d'en savoir plus. C'est un grand mélange, qui comporte les viandes désossées mécaniquement.

M. Gérard César . - Cela pose un problème de traçabilité.

Mme Mélanie Richard . - Nous avons importé en tout 112 000 tonnes en 2011.

M. Philippe Chotteau . - Sur une consommation totale de 212 000 tonnes.

Mme Mélanie Richard . - La viande désossée - susceptible d'avoir été séparée mécaniquement, donc - représente 25 000 tonnes.

M. Joël Labbé . - Nous apprenons beaucoup en vous écoutant : cela illustre, si besoin était, le bien-fondé de cette mission. Qui représentez-vous ? Uniquement le syndicat FNSEA ? Comment sont organisées les autres filières ? Avez-vous une branche bio ? Les taurillons sont-ils élevés en batterie ou à l'herbe ?

M. Philippe Chotteau . - Au conseil d'administration siègent les représentants des associations spécialisées que j'ai mentionnées : FNO, FNB, FNPL, FNEC - cette dernière regroupant plusieurs syndicats, parmi lesquels la confédération paysanne. Il y a aussi des représentants des coopératives d'insémination, des coopératives « bétail et viande », des coopératives laitières, du contrôle laitier, du contrôle de performance, ainsi que des représentants de l'État : DGER pour le Casdar, direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), et un contrôleur d'État puisque nous percevons des fonds publics.

M. Joël Labbé . - Les autres éleveurs sont-ils organisés ? Sont-ils aussi aidés par le ministère ? Dans ma région, il y a « Bretagne viande bio »...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous entendrons les représentants de la filière bio prochainement.

M. Philippe Chotteau . - Il existe un institut technique pour chaque filière : volaille (Itavi), porc (Ifip), grandes cultures (Arvalis), fruits et légumes (Ctifl)... Ces instituts ont tous la même organisation, qui date d'un décret de 1972 pris à l'initiative d'Edgar Faure. Il y a des travaux sur le bio, mais ils portent davantage sur le lait que sur la viande, où la production bio n'est pas encore très développée. La plupart des taurillons sont presque tous finis au grain, ou à l'ensilage de maïs, même s'ils sont pour la plupart élevés à l'herbe.

M. François Fortassin . - En tant que consommateur, je souhaite n'être pas induit en erreur par la sémantique. Si le terme de « qualité » ne reflète pas le goût, je me sens trahi. Je n'ai rien contre le fait de manger du cheval, à condition de le savoir ! Et j'aimerais connaître la date d'abattage de l'animal dont j'achète la viande et, pour les bovins, savoir s'il est d'une race à viande ou non. S'il l'est, je supposerai qu'il a été élevé au grand air. Sinon, ou s'il s'agit de viande européenne, je penserai qu'il est fort probable qu'il ait été trait pendant treize ou quatorze ans avant d'être engraissé à la hâte avec je ne sais quelle farines. Comme il ne se sera pas déplacé sa viande sera tendre, mais son goût sera épouvantable.

Une telle transparence n'est pas inaccessible. Pourquoi ne pourrait-on pas connaître la date d'abattage et l'origine de la bête ? J'ai travaillé il y a quelques années sur l'élevage ovin. Nous importons de la viande de Nouvelle-Zélande, que nous consommons trois mois après abattage : comment est-ce possible ? Quels additifs permettent une telle conservation ?

M. Philippe Chotteau . - En principe, pour tout ce qui est vendu en l'état, l'étiquette mentionne la ferme, la date d'abattage, indique si l'animal était d'une race à viande, mixte ou laitière, ainsi que sa nature : vache, génisse, taurillon... Pour les ovins il n'y a pas la distinction entre race à viande et race laitière, mais la date d'abattage figure pour les ventes en boucheries. En revanche, dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) c'est vrai que nous importons quelque dix mille tonnes d'agneau réfrigéré sous vide de Nouvelle-Zélande, grâce à un procédé, appelé chilling , qui consiste à maintenir la viande à une température positive mais très proche de zéro, pour lequel l'étiquetage indique simplement « viande réfrigérée en provenance de Nouvelle-Zélande ». C'est un vrai problème.

M. François Fortassin . - Je doute que mon boucher soit capable de m'indiquer la date d'abattage de la viande qu'il me vend.

M. Philippe Chotteau . - En principe, il le peut.

Mme Mélanie Richard . - Le problème peut être inverse : une date d'abattage trop proche...

M. Philippe Chotteau . - Trois mois, c'est trop, mais trois jours ce n'est pas assez. La vérité est entre les deux...

Mme Renée Nicoux . - Vous avez mentionné l'interdiction de la séparation mécanique de la viande ovine. Est-ce aussi interdit pour la viande bovine en France ? Pourquoi trouve-t-on de la viande séparée mécaniquement dans le minerai qui entre dans la composition de plats cuisinés vendus en France ?

M. Philippe Chotteau . - Si c'est le cas, il s'agit tout simplement de fraude : je vous invite à interroger les industriels sur ce point.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Est-ce l'offre sur le marché qui modifie la consommation, ou l'inverse ? Les opérateurs contribuent-ils à façonner le marché ?

M. Philippe Chotteau . - Vous demandez en somme si le marché de la viande est un marché d'offre ou de demande. Pour la viande ovine, c'est un marché d'offre. Si la consommation a beaucoup baissé ces dernières années, c'est faute d'offre, française ou importée d'Irlande ou du Royaume-Uni - qui sont nos principaux fournisseurs d'agneau, loin devant la Nouvelle-Zélande.

M. François Fortassin . - C'est qu'il faut être cinq ou six pour manger un gigot...

M. Philippe Chotteau . - La France a connu une chute de 6 % de sa production de viande bovine en 2012, qui a entraîné une forte hausse des prix : en deux ans, le prix de la viande de réforme a augmenté de 20 % - ce qui explique peut-être pourquoi certains cherchent d'autres voies... Là aussi, c'est la baisse de l'offre qui a fait chuter la consommation. La demande est très résiliente, comme on le voit bien dans les pays touchés par la crise, où l'impact de la crise est plus une descente en gamme qu'une baisse de volume. L'augmentation des prix serait heureuse pour les éleveurs, qui ont de grosses difficultés : leur revenu moyen est de quinze mille euros par travailleur familial à temps plein, avant impôts ! Or, dans le même temps, celui des producteurs en grandes cultures peut atteindre 70 000 euros en moyenne, pour un temps de travail parfois inférieur : cela crée des tensions, d'autant que le prix des céréales fait le coût de l'alimentation du bétail.

M. Gérard Le Cam . - Ce que nous avons appris d'essentiel aujourd'hui, c'est que le minerai circule incognito, de manière indistincte. Quels sont les procédés de fabrication ? De quoi est-il composé ? Chair, nerfs, gras... ? Les chiffres que vous avez mentionnés pour nos exportations et importations montrent que nous devons réduire nos échanges, ne serait-ce que par souci environnemental : à quoi bon transporter toute cette viande dans un sens et dans l'autre ? Faire venir de la viande de Nouvelle-Zélande ne coûte que trente centimes par kilogramme. Dans ces conditions, comment pouvons-nous nous défendre ?

M. Alain Fauconnier . - Quelle est votre position, et la position de la profession, sur les outils de première et de deuxième transformation en France ? Les collectivités sont soumises à des restructurations de ces outils, et les raisons de les financer n'apparaissent pas toujours clairement.

M. Philippe Chotteau . - En France, les volumes traités dans les abattoirs ont baissé de 6 % en 2012, et devraient baisser de 3 % encore cette année. Les abattoirs sont donc dans une situation financière difficile : il s'agit d'une industrie lourde, aux marges étroites. Si l'outil n'est pas saturé, les problèmes arrivent vite, surtout pour les abattoirs de taille moyenne et grande. Les grands groupes souffrent actuellement, quelle que soit leur spécialisation. Il semble que les abattoirs de taille moyenne soient le plus remis en cause : la rentabilité d'un abattoir dépend en effet de la capacité à valoriser le cinquième quartier. Cela peut se faire avec la triperie, mais aussi par des produits non alimentaires, en utilisant le sang, les os, le cuir, le collagène... La stratégie du groupe Vion le démontre : Vion est devenu le premier opérateur européen d'abattage des porcs et des bovins. C'était un groupe d'équarrissage qui a racheté progressivement l'ensemble des abattoirs au Pays-Bas, en Allemagne du Nord, puis au Royaume-Uni. La force des abattoirs brésiliens est aussi dans leur capacité à bien valoriser le cinquième quartier.

M. Alain Fauconnier . - Où en est la réflexion de la profession sur le modèle économique à retenir ? Il s'agit d'un problème de fond : faut-il un abattoir par département, au risque d'être dépassé par de nouvelles normes sur le bien-être animal ? Dans le sud de la France, les collectivités ont trouvé grand profit à fermer leurs abattoirs. Du coup, entre le Massif central et le bassin méditerranéen, il n'y a quasiment plus d'abattoirs : comment s'étonner alors que l'on transporte les animaux, qu'on les congèle, qu'on en fasse du minerai... ? Dans quelle enceinte pouvons-nous poser cette question ?

M. François Fortassin . - Pourtant, l'abattage de proximité profite à tous : un éleveur qui l'utilise double ses bénéfices.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Qu'est-ce qui caractérise un petit abattoir ?

M. Philippe Chotteau . - Jusqu'à 10 000 tonnes, l'abattoir est petit, à partir de 30 000 tonnes il est important ; entre les deux, il est moyen.

M. Alain Fauconnier . - Il faut considérer à part les abattoirs spécialisés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur. - Nous avons des progrès à faire sur la traçabilité. Le consommateur sait-il vraiment ce qu'il achète ? Certes, l'étiquetage est obligatoire, mais il est hasardeux, pas toujours très lisible.

L'abattage rituel, sans étourdissement préalable, fait l'objet d'une guerre des chiffres entre associations de protection des animaux, et industriels... Cela génère de la confusion, propice à tous les amalgames. Savez-vous quel est le pourcentage des animaux qui sont abattus en France sans étourdissement préalable ? Avez-vous de bonnes sources d'information ?

M. Philippe Chotteau . - Nous n'avons ni sources, ni chiffres pour répondre à cette question. Je suppose que vous entendrez les fédérations d'abattoirs ; je ne sais pas s'ils mettront des chiffres à disposition, ou s'ils en font un secret industriel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur. - Est-ce normal ?

M. Philippe Chotteau . - Cette question du mode d'abattage est mise en avant dans les médias depuis un an tout au plus. Du reste, il n'y a pas qu'un seul rite. Certains pays, comme la Malaisie, considèrent l'étourdissement préalable comme hallal. L'espoir est que tous les abattages rituels s'opèrent à terme avec étourdissement préalable.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur. - La question est de savoir s'il y a étourdissement préalable, ou non.

Mme Mélanie Richard . - Il s'agirait d'une forme de certification unique, qui n'est possible que s'il existe une norme internationale.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Les abattoirs sont toujours jumelés à des salles de découpe, ce qui n'était pas le cas autrefois, et ces ensembles sont obligés de faire à la grande distribution des livraisons de plus en plus abouties : les bouchers ne reçoivent plus de carcasses entières. Ces exigences obligent les abattoirs et les salles de découpe à se procurer des outils gigantesques, ce qui condamne l'éclosion des circuits courts. Qu'en pensez-vous ?

Bref, plus la grande distribution prend des parts de marché, plus on condamne les petits abattoirs et, donc, les circuits courts. Je m'étonne qu'il n'y ait pas de volonté plus nette de rectifier cette tendance.

Mme Mélanie Richard . - De plus en plus, l'élaboration, la mise en barquette, la transformation des viandes bovine et ovine en haché ou en brochettes se font du côté des industriels...

M. Jean-Jacques Lasserre . - Sans parler du réemballage !

Mme Mélanie Richard . - La viande est expédiée muscle par muscle, et non plus carcasse par carcasse. Cela dit, cette tendance se développe relativement moins vite qu'on ne pouvait le penser. Intermarché, Leclerc ou Super U, s'étant aperçus que cette pratique rigidifiait leur offre, laissent leurs magasins s'approvisionner localement à l'inverse d'Auchan, de Carrefour ou de Casino dont la chaîne de distribution est plus centralisée. Comment combattre cette tendance ? Tout est question du rapport de forces entre producteurs et grande distribution.

La France, pour ce qui est de l'export, est plutôt positionnée sur la vente de viande par carcasse. Si cela constitue un atout, parce que les coûts de transformation sont limités, nous ne pouvons pas jouer, comme le font d'autres grands exportateurs, sur la complémentarité des marchés. Le Brésil, entre autres, sait exporter sur les marchés les pièces de viande que ces marchés demandent.

M. Philippe Chotteau . - L'économie française est très internationalisée, ce qui nous interdit de songer à une renationalisation complète de l'offre et de la demande dans un avenir proche. Nous pouvons augmenter la part de taurillons produits et vendus en France, nous pouvons aussi accroître les exportations de vaches de réforme en les engraissant nous-mêmes, plutôt que laisser les Italiens de la plaine du Pô, les Espagnols de Catalogne et d'Aragon le faire. Reste que nous vivons dans une économie européenne et, bientôt, périméditerranéenne. Nous ne parviendrons pas à produire en quantité suffisante la qualité de viande que nous préférons consommer. La production couvre la moitié de nos besoins en viande de mouton et le cheptel se réduit d'année en année, malgré le bilan de santé de la PAC. La démonstration vaut pour les vaches de réforme : nous avons perdu 200 000 têtes en deux ans.

Les circuits courts, une idée dont on ne parlait pas il y a dix ans, représentent une idée très nouvelle mais restent une pratique mineure...

M. Joël Labbé . - ...qui ne demande qu'à se développer !

M. Philippe Chotteau . - Les producteurs de viande ovine qui se sont engagés dans cette voie réalisent leurs ventes à 80 % dans les filières traditionnelles. Les circuits courts nécessitent des outils d'abattage adaptés de petite taille. Ces petits outils d'abattage, qui dépendent souvent des collectivités territoriales, doivent être modernisés...

M. Gérard César . - ...et mis aux normes européennes !

M. Jean-Claude Lenoir . - Ils ont disparu... Et les pouvoirs publics excluent l'idée de les certifier.

M. Joël Labbé . - S'il y a une demande, nous pouvons inverser cette tendance !

M. Jean-Claude Lenoir . - Il y a tout de même un raisonnement économique...

Mme Bernadette Bourzai , présidente .  - Merci pour la clarté de vos réponses.

Audition de M. Henri Brichard, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) (mercredi 3 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevons à présent M. Henri Brichard, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, et ses conseillers, M. Antoine Suau et Mme Nadine Normand. Nous aimerions connaître le sentiment de la FNSEA sur l'économie et la compétitivité de la filière viande et la question de la confiance du consommateur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La FNSEA est, de loin, la principale organisation syndicale du monde agricole français. Après le scandale de la viande de cheval substituée à la viande bovine. Nous nous interrogeons sur la restauration de la confiance du consommateur. Comment faire progresser les ventes de viande bovine ? Depuis les crises de la maladie de la vache folle, l'ESB, les viandes fraîches sont tracées de l'élevage à l'étal. Ne faut-il pas en faire de même pour les produits agroalimentaires à base de viande ?

M. Henri Brichart . - La filière viande est en proie à un mal-être généralisé, et pas seulement pour des raisons économiques. Un ras-le-bol s'exprime face à des normes et des contraintes parfois contradictoires. La Commission européenne, dans le cadre de la PAC, veut soumettre l'agriculture, plus qu'autrefois, à la loi du marché. Dans le même temps, elle impose aux éleveurs de conserver l'herbe sur les exploitations quand ceux-ci ont économiquement intérêt à basculer vers une alimentation des bovins à base de maïs... La contrainte de la quantité de travail est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, surtout dans les régions où l'élevage côtoie les grandes cultures, un secteur qui fonctionne bien mieux.

Alors, comment sauver ce secteur ? La FNSEA a toujours soutenu que l'élevage, important en soi, apporte une valeur ajoutée supplémentaire à l'agriculture. Il constitue, entre autres, un débouché pour les céréales qui servent à l'alimentation des bêtes.

Les charges des éleveurs, en particulier les charges alimentaires, augmentent rapidement, parfois de 20 à 30 % en quelques mois, tandis que les prix de vente se tassent. D'où un effet de ciseau qui pèse exclusivement sur l'amont. Pour répartir équitablement cette hausse des charges tout au long de la chaîne, jusqu'au consommateur final, nous avons conclu, le 3 mai 2011, un accord entre producteurs, transformateurs et distributeurs afin d'ajuster, à la hausse comme à la baisse, les prix de vente en fonction des variations de charges. Après tout, quand le prix de l'énergie augmente, celui des billets d'avion aussi... La FNSEA espère qu'on y reviendra dans la future loi d'avenir de l'agriculture. Il faudra probablement passer aussi par une modification de la loi de modernisation de l'économie (LME) pour en arriver à des pratiques plus convenables. Les producteurs, parce qu'ils sont éclatés, font figure de maillon faible face à la grande distribution.

Le coût de la main-d'oeuvre pèse plutôt sur les abattoirs et les transformateurs. Le marché européen est unique, mais les règles sociales et fiscales, elles, sont différentes entre Etats membres de l'Union européenne. Ce qui conduit à des aberrations : un bovin français, abattu en Allemagne, plus compétitive sur ce segment, peut revenir sous forme de produits transformés dans nos supermarchés.

Il existe des écarts de plus en plus grands entre exploitations au niveau des poids des charges. Les plans de modernisation des bâtiments d'élevage ont fait leur effet dans le secteur bovin, les éleveurs doivent cependant continuer de faire des efforts pour produire plus et travailler mieux.

Les normes, surtout environnementales, ne sont pas à condamner en soi. Mais les producteurs ont du mal à les accepter lorsqu'elles ne sont pas adaptées à leur région, leur climat et leur sol. Prenons un exemple simple : une seule période d'épandage est fixée au niveau national en dépit de réalités agronomiques très différentes. Adapter les dates d'épandage aux territoires nous épargnerait d'augmenter nos capacités de stockage d'effluents, un effort financier supplémentaire demandé aux éleveurs alors qu'ils viennent juste d'amortir leurs investissements. Nous y économiserions aussi un peu de béton...

Les contraintes administratives jouent surtout pour le porc et la volaille. La complexité des dossiers à constituer et la longueur des délais pour voir aboutir les projets découragent l'investissement. Trois ans d'attente, c'est insupportable ; entre-temps, l'intérêt du projet peut avoir diminué.

La volatilité des cours des matières premières, qui est désormais structurelle appelle une autre réponse que celle des instruments de la PAC, trop légers. Le Parlement européen défend des filets de sécurité plus adaptés en volume et en prix, plus flexibles ; nous espérons qu'il aura gain de cause car un prix plancher de la viande de 1,50 euros quand le cours est de 2,50 euros pour les plus basses catégories ne suffit pas.

Nous avons avancé sur le dossier d'avenir de la gestion des risques lors de la dernière loi de finances avec la réforme de la déduction pour investissement (DPI), et de la déduction pour aléas (DPA). Grâce à ces outils fiscaux, nous irons vers une gestion pluriannuelle, ce qui est indispensable pour passer les mauvaises années. Il existe également des fonds de mutualisation dans la PAC ; nous avions beaucoup insisté sur ce point en 2008, en mettant en oeuvre l'article 68 du bilan de santé de la PAC. Réfléchissons à une assurance fourrage en prenant exemple sur l'Espagne et l'Italie : ces deux pays ont créé des pôles assurantiels regroupant compagnies privées et pouvoirs publics et cela fonctionne bien. Les pouvoirs publics devront intervenir, en dernier instance, pour la réassurance.

Beaucoup de progrès restent à faire dans l'organisation des producteurs : les producteurs bovins sont peu affiliés à des coopératives, ce qui est moins vrai pour les éleveurs porcins. Le taux de regroupement est de 40 %. Certains expliquent cette situation par la culture des agriculteurs ; cela dépend beaucoup des régions, en fait. Le problème est surtout celui du droit de la concurrence. Nous défendons l'extension des mesures du « paquet lait » aux autres secteurs. Cela sera difficile mais il faudra faire évoluer les agriculteurs, ils ont leur part de responsabilité lorsqu'ils arrivent en ordre dispersé face à une entreprise de transformation qui occupe 40 à 50 % du marché.

À chaque crise de l'ESB, nous avons observé un pic de sensibilité aux modes de production. Les consommateurs, en réalité, connaissent très mal notre métier : ils s'imaginent des exploitations de centaines de bovins quand la moyenne est, en France, de cinquante vaches. La charte des bonnes pratiques d'élevage vise à mieux les informer.

Les logos d'origine sont mal acceptés par l'Europe et les transformateurs ; nous les avons obtenus pour le porc et la volaille cette année à Bruxelles. Avec pour ligne de conduite, la transparence et le choix pour le consommateur, nous ne pouvons qu'être favorables aux logos d'origine sur les produits transformés. Il restera à vaincre les réticences de la Commission européenne et des pays du Nord qui ont davantage une culture de commerçants que de producteurs. En tout cas, nous défendons ce dossier au sein du Copa-Cogeca. Le signe d'identification de l'origine, en soi, n'induit pas de coûts supplémentaires, si ce n'est que, pour être valable, il suppose une certification. Or au-delà des périodes de crise, le consommateur se détermine surtout en fonction du prix des produits. Comment valoriser la transparence ? Nous voulons promouvoir l'origine France, mais la réussite de cette stratégie n'est pas garantie. Nous aussi, il nous arrive d'acheter des téléviseurs fabriqués n'importe où parce qu'ils sont les moins chers dans les rayons des supermarchés...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir des chiffres sur les modes d'abattage, une information que de nombreux éleveurs voudraient voir figurer sur le produit. À votre connaissance, quel est le pourcentage de bovins et d'ovins abattus rituellement en France ? Nous savons que cette technique peut faire courir certains risques sanitaires...

M. Henri Brichart . - Sincèrement, la FNSEA ne possède pas ces chiffres. Les instituts techniques et l'interprofession de l'abattage seront peut-être capables de vous les fournir.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il faudrait indiquer également que la viande abattue en France n'est pas forcément de production française. La commune dont j'ai été maire abrite un abattoir qui produit 17 000 tonnes à partir de viandes foraines.

M. Joël Labbé . - Le Sénat vient d'adopter sa première loi issue d'une proposition du groupe écologiste, concernant les lanceurs d'alerte, je m'en réjouis ! Les normes, surtout quand elles sont édictées depuis Bruxelles, méritent adaptation, mais comment ?

Le monde agricole, qui était solidaire dans le passé, est désormais divisé entre plusieurs mondes : les grandes cultures qui se portent bien d'un côté, l'élevage en grande souffrance de l'autre... Pour le rassembler, notre ministre a fait une proposition intéressante : la surprime aux cinquante premiers hectares dans le cadre de la future PAC. Qu'en pensez-vous ? Le plafonnement des aides de la PAC à 100 000 euros ne rendrait-elle pas la répartition de celles-ci plus équitable ?

M. Rémy Pointereau . - Ce n'est pas l'objet de la mission !

M. Joël Labbé . - Si ! Il est question de viande et d'élevage, de régulation européenne, de régulation nationale pour plus de solidarité.

M. Rémy Pointereau . - Tant qu'à faire, vous auriez pu aussi parler du transport de la paille !

M. Charles Revet . - La crise récente a renforcé la position des éleveurs français car chacun sait la qualité de notre viande. Que représente la production française dans notre consommation ? Pour avoir été producteur, je sais que nous fournissions il y a quelques années de la viande bovine et de la viande porcine à l'Allemagne et que le rapport de forces s'est inversé, surtout pour le porc. La raison en est très simple : ce qui était la principale ressource de l'agriculteur, la viande, est devenue la ressource annexe avec le développement du biogaz issu de la méthanisation. M. Bailly pourrait décrire la même situation pour les ovins et la laine en Nouvelle-Zélande. Qu'en est-il pour le boeuf ?

M. Henri Brichart . - Le monde agricole était et reste solidaire ; c'est un éleveur venant d'un département de grandes cultures, l'Aisne, qui vous l'affirme. La solidarité, c'est une valeur forte de la FNSEA. D'ailleurs, comme je l'ai expliqué, les écarts entre exploitations, qu'on ne perçoit pas au niveau macroéconomique, sont aussi importants que les différences entre secteurs. Certes, l'élevage se porte globalement plus mal. La solution passe d'abord, même si l'accompagnement est toujours bienvenu, par l'économie et les outils de la PAC. Dans la boîte à outils, il faut pouvoir compter sur le recouplage des aides - qui fait l'objet d'une véritable bataille à Bruxelles - la compensation du handicap ou encore les dispositifs d'aide à l'herbe. La surprime pour les cinquante premiers hectares n'est peut-être pas le plus pertinent ; l'institut de l'élevage a été le premier à travailler sur cette hypothèse et, depuis, en est revenu. Nous avons toujours combattu pour des aides plus flexibles, plus ciblées sur les secteurs en difficulté. Les céréaliers sont les premiers à demander cette évolution qui est rendue difficile par les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi par l'annualité budgétaire qui s'applique au budget européen. Travaillons sur la gestion des risques et le fonds de modernisation céréaliers-éleveurs (FMCE). Celui que nous avions lancé, à titre privé, repose sur le volontariat. Son efficacité suppose qu'il devienne obligatoire avec une contribution volontaire obligatoire (CVO).

M. Gérard César . - Sans la CVO, nous n'arriverons à rien !

M. Henri Brichart . - Monsieur Revet, je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres précis sur notre autonomie alimentaire. En ovins, nous sommes très déficitaires, avec un taux de couverture de 40 %. Pour les bovins, nous sommes en dessous des 100 %.

La place de l'Allemagne sur le porc et la volaille s'explique par des coûts de main-d'oeuvre plus bas et notre difficulté à développer nos exploitations. Pour ce qui est de la viande bovine, nous envoyons nos animaux en Italie se faire engraisser.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Pourquoi ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - A cause des normes initiales, qui sont moins contraignantes dans la plaine du Pô.

M. Henri Brichart . - Naisseur et engraisseur sont aussi deux métiers différents ; d'où le choix du bassin allaitant de se tourner vers l'Italie. L'évolution de la PAC, avec la convergence des aides, aura un impact fort sur l'élevage. Reste à trouver l'équilibre entre le secteur naisseur et le secteur engraisseur.

Les échanges avec l'Allemagne venaient du fait que nous mangions, traditionnellement, les arrières, d'où l'envoi des avants vers l'Allemagne, qui a d'autres traditions culinaires.

M. Rémy Pointereau . - Il existe un groupe de travail sur la PAC, ne nous égarons pas. Notre sujet ici est la filière bovine et la traçabilité de la viande.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Cela suppose que nous examinions aussi ce qui touche à la production et à ses conditions économiques, dans laquelle la PAC joue un rôle important.

M. Jean-Claude Lenoir . - En matière d'étiquetage et d'information du consommateur, les plats cuisinés sont dans le viseur des pouvoirs publics. Or, une quinzaine de produits entrent dans la composition de ces plats, non seulement la viande, mais tout ce qui l'accompagne. Je ne doute pas que nous soyons en mesure d'indiquer d'où vient le moindre navet, mais c'est un produit que les consommateurs achètent, pas un panneau d'affichage. Tout recenser rendrait l'information illisible. Un échange avec la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ainsi qu'avec les associations de consommateurs, ne serait pas malvenu.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous entendrons demain les représentants de la fédération du commerce et de la distribution (FCD), et plus tard la DGCCRF et les associations de consommateurs.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Il est tout de même prodigieux de constater que quand le prix plancher de la viande est atteint, cela ne se répercute jamais sur le consommateur. La vocation d'un syndicat est de fédérer les énergies. Y a-t-il moyen d'aboutir à un mécanisme de régulation des prix tout au long de la chaîne ?

M. Henri Brichart . - La réussite du FMCE dépend, via le mécanisme des CVO, de la puissance publique, puisque c'est elle qui étend les accords interprofessionnels. Cela étant, des contrats se mettent en place entre céréaliers et éleveurs, pour des échanges paille-fumier, par exemple - preuve que la solidarité existe.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous avez clairement évoqué la question des relations entre producteurs et distributeurs, et avez même évoqué la nécessité de réformer la LME. Nous vous remercions pour toutes ces pistes.

Audition de MM. Guillaume Roué, président, et Didier Delzescaux, directeur de l'Interprofession nationale porcine (INAPORC) (mercredi 3 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous aimerions entendre le point de vue de l'interprofession porcine sur la situation économique et la compétitivité de la filière, qui souffre depuis plusieurs années, ainsi que sur les questions touchant à la traçabilité de la viande et au respect de l'environnement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous savons, en effet, la filière en difficulté. Quelles sont ses perspectives économiques ? Comment se portent les différents acteurs de la filière ? Quelles sont vos prévisions à court et moyen terme ? Quelles mesures de soutien vous paraîtraient opportunes ?

M. Guillaume Roué, président de l'interprofession porcine . - Je suis éleveur de porcs dans le Finistère, près de Landerneau, depuis 35 ans. Assisté de cinq collaborateurs, je produis, avec 600 truies, 18 000 porcs par an. Je préside également la coopérative Prestor, qui regroupe 450 éleveurs, représentant une production de plus de 2 millions de porcs par an, et est actionnaire du groupe GAD. L'interprofession porcine, que je préside depuis sa création, en 2002, regroupe tous les maillons de la filière, de la production à la grande distribution, présente dans notre conseil d'administration. Nous travaillons à la promotion de nos produits en France et à l'export - qui est pour nous crucial, et, en liaison avec l'Institut technique de la filière porcine, que nous finançons en grande partie. Nous travaillons également sur les questions de recherche et développement, les perspectives économiques de la filière, mais aussi sur la gestion des risques afin d'assurer la protection des cheptels. Nous sommes très attachées à offrir au consommateur les garanties qu'il attend, dont la traçabilité, qui passe par l'étiquetage. L'interprofession est jeune, composée autour d'une petite équipe d'ingénieurs. Inaporc a la particularité de gérer l'association ATM porc, qui a la responsabilité de l'équarrissage depuis la privatisation de ce secteur en 2009. C'est un marché de 150 millions d'euros, avec deux sociétés sur le territoire. Depuis le désengagement de l'État, nous avons réduit les coûts de l'équarrissage de 20 % - il faut dire que notre pouvoir de négociation est plus élevé que celui de France AgriMer, et que nous travaillons également à développer la concurrence, en recherchant des solutions alternatives.

La filière porcine est soumise à rude concurrence. Le porc est une viande populaire et qui doit le rester. C'est la première viande consommée en France et dans le monde. Elle n'en subit pas moins quelques tabous liés aux problématiques confessionnelles, ce qui n'est pas facile à gérer au quotidien, j'en veux pour preuve les appels d'offre des collectivités locales, qui peuvent être amenées à exclure le porc du menu des cantines, pour conserver un double choix à tous les enfants, viande ou poisson. Cela peut être choquant dans un État laïc : la question nutritionnelle ne devrait pas s'encombrer de considérations confessionnelles.

Voici quelques chiffres sur la filière porcine : 250 millions de porcs sont produits chaque année en Europe, soit 22 millions de tonnes. La France assure environ 10 % des volumes, soit 24 millions de porcs. A titre de comparaison, la Chine en produit 500 millions, les États-Unis 100 millions, l'Amérique du Sud 200 millions.

Les débouchés sont de deux types. Les parties nobles de l'animal vont dans les pays où le pouvoir d'achat est élevé - Europe, États-Unis, Japon, Corée du Sud. Les autres parties, têtes, oreilles, pieds et abats, vont sur les marchés à plus faible pouvoir d'achat, comme la Russie.

Nous sommes aujourd'hui autosuffisants en volume, avec 2 millions de tonnes produites par an pour autant de consommées. Mais nous exportons un tiers de notre tonnage, et importons par conséquent autant, notamment pour le jambon, depuis l'Espagne, l'Allemagne, le Danemark. Jusqu'il y a trois ans, nous étions exportateurs nets en valeurs ; aujourd'hui, nous sommes déficitaires, pour 500 millions d'euros.

La filière est confrontée à un défi redoutable. Il faut garantir au consommateur un prix abordable, mais en même temps, il faut couvrir les coûts de production. Or, dans ces coûts, l'alimentation compte pour 65 %.

M. Jean-Jacques Mirassou . - De quoi se compose-t-elle ?

M. Guillaume Roué . - De céréales, et de soja - 12 % aujourd'hui contre 25 % auparavant - généralement importé, ainsi que d'autres composants, comme le colza. Or, la volatilité du coût de ces matières premières n'est pas répercutée sur le consommateur. Quand le prix de revient au kilo monte à 1,80 euro, nous restons payés 1,62 ou 1,63 euro. D'où une lente érosion du revenu des éleveurs avec, paradoxalement, des résultats comptables variables. Chez moi, sachant que le stock est de 650 000 euros, une variation de 20 % représente 150 000 euros.

Au-delà de cette question du prix de revient, qui se pose dans tous les pays, notre problème de fond tient d'une part aux problématiques fiscales et sociales, d'autre part aux normes.

Se pose, tout d'abord, le problème du coût de la main d'oeuvre dans la transformation. Le plus gros abattoir de porcs européen est allemand, il s'agit de la société Tonnies : 14 millions de porcs sont abattus chaque année par cette l'entreprise, installée principalement dans les anciens Länder de l'Est, qui fait appel à une main d'oeuvre venue à 90 % des nouveaux Etats membres de l'Union européenne, voire d'Etats hors Union européenne, à un coût de 5 à 7 euros de l'heure, contre 20 euros chez nous. Or la main d'oeuvre représente 40 à 60 % du coût de l'abattage. En 1995, l'Allemagne produisait ainsi 30 millions de têtes, contre 25 millions en France. Aujourd'hui, elle produit 45 millions de porcs et en abat 60 millions, la différence venant des Danois et des Hollandais, qui font abattre en Allemagne.

Vous comprendrez notre souhait d'une harmonisation sociale à l'échelle européenne.

Nous souhaitons une harmonisation fiscale car les entreprises allemandes ont d'importantes facultés d'optimisation fiscale, pour bénéficier du régime favorable de TVA jusqu'à 800 000€ de chiffre d'affaires. Les entreprises encaissent donc un différentiel de 3 % entre TVA versée et encaissée. Cela représente, pour une exploitation comme la mienne, une différence de 60 000 à 70 000 euros, soit, sur dix ans de carrière, de 600 000 à 700 000 euros.

Les choix politiques ont, eux aussi, des incidences. Quand les Verts allemands ont, au cours des années 1998-2000, imposé la sortie du nucléaire, ils ont donné un avantage comparatif extraordinaire aux éleveurs allemands. La méthanisation est devenue une manne, transformant la viande de porc en un simple sous-produit du lisier. Il est vrai qu'il est impensable d'envisager une harmonisation énergétique totale et que la France présente sur ce point quelques avantages : quand nous achetons le kilowatt chez EDF à 6,5 centimes, les Allemands le paient 13 centimes.

Malgré cette perte de compétitivité et la réduction de la production, le marché reste saturé en France. Le prix de revient est donc la variable essentielle. Les réglementations nous échappent largement, car elles relèvent plutôt du niveau européen.

Des correctifs à la PAC, qui n'est guère équilibrée pour les éleveurs, seraient bienvenus. Ses premiers bénéficiaires sont les céréaliers. Il n'en serait pas moins utile qu'une partie de la dotation soit flottante, pour aller, selon les circonstances, à ceux qui en ont le plus besoin.

M. Jean-Luc Fichet . - C'était un peu l'idée du contrat territorial d'exploitation.

M. Didier Delzescaux . - Cela est resté marginal, même si l'idée était bonne dans son principe.

M. Guillaume Roué . - Peut-être pourrait-on agir sur le deuxième pilier, via la conditionnalité environnementale et énergétique des aides.

Les normes environnementales sont très strictes en France, et la production porcine est localisée à 70 % dans le grand ouest, où la question de la qualité de l'eau a été, ces quinze dernières années, centrale. Nous avons fait d'importants travaux de mise aux normes, investi sur le traitement des lisiers et malgré cela, l'étau réglementaire ne nous permet pas d'envisager des extensions d'élevage dans les zones en excédent structurel, tandis qu'il est presque impossible de créer des exploitations dans celles où il n'en existe pas, tant les comités de défense sont prompts à surgir de terre. Seul, on ne peut rien. Si les élus, au nom du développement économique de leur territoire, de l'impératif de maîtrise écologique aussi, de l'emploi - la filière en compte 80 000 - pouvaient nous appuyer, cela serait très utile.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Nous exportons, dites-vous, ce qui ne se consomme pas en France, mais restons importateurs de ce qui s'y consomme bien, comme le jambon. Ce qui signifie que si l'on produit plus, il faudra exporter davantage. N'est-il pas envisageable, pour faire face à la concurrence, d'afficher le particularisme de la production à la française. Chez moi, le porc noir de Bigorre est une véritable niche valorisable.

M. Guillaume Roué . - Les produits bien identifiés, comme le porc noir de Bigorre ont un marché, y compris à l'export. On les trouve sur les étals jusqu'à Pékin ou Séoul. L'image du luxe français est bonne. Mais il demeure sur un créneau marginal au regard de nos fondamentaux : le porc se doit d'être une viande populaire à un prix abordable. Aujourd'hui, le coût est de 1,60 euro à la sortie de l'élevage, de 3,20 euros à la sortie de l'abattoir, de 5 euros après transformation, et de 9 euros à la distribution. La France consomme 2 millions de tonnes. Une augmentation de 30 centimes représenterait 600 millions d'euros. Voilà de quoi combler ce que nous avons perdu ces dernières années, 230 millions pour les éleveurs, 120 millions pour les abattoirs, 100 millions pour les transformateurs, ce qui laisserait encore 150 millions à la distribution. Pour le consommateur, qui achète 35 kilos par an, cela représenterait un cout supplémentaire de 10 euros sur l'année, même pas deux paquets de cigarettes. Mais je sais bien que c'est là un pur jeu de chiffres, et que le marché ne fonctionne pas ainsi...

M. Jean-Luc Fichet . - Notre mission fait suite à des événements récents, qui pourraient pénaliser toute la filière : le consommateur perçoit le monde de la viande comme un univers où les règles sont mal respectées, d'où un comportement de retrait. Comment corriger les choses pour renverser la vapeur ? Car les dégâts collatéraux sur l'emploi peuvent être énormes.

M. Didier Delzescaux . - Nous produisons une viande peu chère, selon un système de production beaucoup plus standardisé que dans la filière bovine, avec peu de segmentation - et nous nous efforçons, au sein de l'interprofession, de ne pas opposer les segments. Le bio ne représente que 0,1 %, le label rouge 5 %, nous avons quelques indications géographiques protégées, fondées sur une certification de conformité du produit, montées à 50 % dans les années 1990, parce que les grandes surfaces étaient demandeuses, mais redescendues à mesure que s'éloignait la crise de l'ESB. Nous avons des programmes sur six races locales, qui vont du Cul noir Limousin au cochon de Bayeux. Parmi les races locales, les plus nombreuses sont les basques. Nous aidons le Noir de Bigorre, pour assurer la variété génétique. Mais ce sont des variétés très typées, grasses, faites pour la charcuterie, et les prix sont élevés. Notre démarche reste donc globale, marquée cependant par le souci de préserver la qualité.

M. Guillaume Roué . - La question de la traçabilité est revenue sur le devant de la scène, avec les récents scandales. Heureusement que nous n'avons pas trouvé de porc en renforcement du boeuf dans les lasagnes à l'origine du scandale, nous aurions assisté à des procès en cascade. Nous sommes donc très vigilants. Nous savons ce qu'est notre part de marché ; 95 % des porcs produits le sont par des adhérents de coopératives et de groupements de producteurs ; c'est une chance. Le marché est ainsi très encadré. Et nous mutualisons les services techniques ; nous embauchons les vétérinaires, les techniciens, les ingénieurs. Nous maîtrisons l'identification des animaux, via Uniporc pour 80 % et quelques interprofessions régionales, pour assurer la traçabilité. Nous avons donc une longueur d'avance.

Il n'en demeure pas moins quelques contradictions. Je pense, notamment, à l'étiquetage. Nous avons, sur le sujet, signé, en 2010, des accords volontaires. Volontaires car on ne peut exiger, sachant que 30 % de ce qui est consommé est importé, que tout soit étiqueté français. Les Allemands ont su, mieux que nous, développer le réflexe patriotique. Chez nous, le consommateur cherche plutôt le produit le moins cher, car c'est le seul message de la distribution. Il est vrai aussi que sur certains produits, comme le saucisson, qui est un mélange, l'industriel s'approvisionne où il peut ; il est donc difficile de donner pour ces produits une indication de provenance au sein de l'Union européenne. Mais pour ce qui est bien identifié, et notamment les produits bruts, il serait sage de mentionner le pays d'origine. L'Union européenne doit légiférer d'ici à décembre 2014, mais elle le fera sous la pression des pays fortement exportateurs, qui feront tout pour que l'on ne descende pas en deçà de la mention « Union européenne ». C'est ainsi que faute d'incitations fortes des pouvoirs publics, l'étiquetage tel que nous le préconisons reste volontaire. Il faut beaucoup de force de conviction pour le développer. Sachant que 60 % des produits sont aujourd'hui identifiés, nous travaillons à aller au-delà. Mais la grande distribution, qui écoule 85 % de notre production, ne relaie pas notre effort et en reste au seul message sur le prix, ce qui contribue à une certaine opacité sur les origines.

M. Gérard Bailly . - Je comprends mal que les gouvernements qui se sont succédés ne se soient pas attelés au problème de l'identification de l'origine des viandes par le consommateur, alors qu'en matière alimentaire, l'Europe ne cesse d'édicter les règlements les plus tatillons. La filière porcine a perdu en France 8 % de sa production. Et cela ne va pas mieux dans les filières ovine et bovine. Il est vrai qu'hors la Bretagne, il est difficile d'entreprendre de bâtir une porcherie sans se heurter aussitôt à certaines associations. Il faudrait pourtant faire prendre conscience que ce produit est nécessaire ! Chez moi, la seule solution serait de s'installer à côté d'une fromagerie, en faisant valoir l'argument du lactosérum.

Sur la PAC, j'ai posé la question à M. Le Foll : il m'a répondu qu'à son grand regret, il paraissait impossible de faire aboutir à court terme l'idée des primes flottantes. Quant à l'utilisation du second pilier pour soutenir économiquement les productions en difficultés, je crains que tout le monde veuille aller y chercher son bonheur...

Je m'interroge sur le soja utilisé dans l'alimentation des porcs : est-il exempt d'OGM ?

Les bovins sont répertoriés sous un numéro, mais jusqu'où descend l'étiquetage, pour les porcs ? Peut-on savoir où un jambon a été produit ?

M. Charles Revet . - Il est vrai que les Allemands n'hésitent pas à vanter leur production nationale. En France, en dépit des scandales récents, les citoyens sont convaincus que la production française est bien surveillée et de qualité. Ne pourrait-on en tirer profit ? Chacun sait que « tout est bon dans le cochon », même si nous exportons beaucoup, mais un label France n'aurait-il pas des effets positifs ? Les parlementaires que nous sommes ne pourraient-ils vous aider en promouvant un tel dispositif, assurant la traçabilité ?

M. Joël Labbé . - Je n'oublie pas qu'un projet de loi relatif à la consommation est à venir. Le gouvernement affirme qu'il ne peut imposer un marquage national : j'aimerais savoir pourquoi. J'étais présent, samedi dernier, au lancement du plan méthanisation, dans une exploitation exemplaire, sans le gigantisme qui marque ses homologues allemandes. Je revendique aussi l'étiquetage de la viande « nourrie sans OGM », nous avons tout à y gagner. N'y a-t-il pas là autant de pistes d'avenir pour la filière ?

M. François Fortassin . - J'ai été très sensible à votre proposition de donner 30 centimes d'euros par kilo de plus à l'éleveur. Ne serait-il pas possible que 15 centimes aillent au consommateur et 15 autres au transformateur ? Le consommateur ne doit pas être abusé sur la provenance des viandes. J'en veux pour preuve la charcuterie Corse produite à partir de cochons venus du continent. C'est un peu comme peu l'agneau de Sisteron élevé à Dijon...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Lors d'une précédente rencontre, le président de la FNSEA nous disait avoir visité un abattoir allemand dont les 2 500 employés portaient des blouses de couleurs différentes et n'étaient pas payés de la même façon en fonction de leur pays d'origine. En tant que parlementaires français, que faire face à cette concurrence plus que déloyale ?

M. Guillaume Roué . - Nous n'avons pas de doctrine sur les OGM dans le contexte actuel où, faute d'avoir trouvé une solution à l'OMC, l'on négocie des accords de libre échange tous azimuts. Tout cela est loufoque ! Nous exportions 40 000 tonnes de poitrines de porcs vers la Corée avant que ce pays ne signe un accord avec le Chili, faisant chuter ce chiffre à 20 000 tonnes. Avec les accords de libre échange, c'est la loterie à la fois au plan commercial et en matière de normes. Des discussions sont en cours avec les Canadiens alors qu'ils continuent de donner de la farine animale aux cochons, de les nourrir aux OGM, des les soigner avec des antibiotiques facteurs de croissance, le tout sans aucune politique de prévention. Comme dans les abattoirs américains, ils ne prennent aucune précaution, se contentant de nettoyer les carcasses à l'eau de Javel... et nous allons devoir importer ces produits. Si l'on nous demande ne pas nourrir nos animaux avec des OGM, c'est à dire d'augmenter nos coûts de production sans avoir la certitude que le consommateur fera la différence, nous disparaitrons. Certes quelques distributeurs se sont engagés à ne proposer que des produits sans OGM, mais les autres laissent le choix au consommateur qui se fondera, sur le seul critère du prix, d'autant que le porc ne s'adresse pas aux plus fortunés.

Nous souhaitons mettre en place un étiquetage Viande porcine française (VPF) assorti d'un cahier des charges, sachant qu'aujourd'hui, lorsque vous achetez un jambon, le commerçant dispose des documents d'accompagnement permettant de remonter jusqu'à la fabrication des lots dans l'usine ; contrairement aux élevages bovins, notre cheptel est en effet organisé en troupeaux et non par individus.

A propos de la méthanisation, je rappelle que la taille moyenne des élevages au Danemark, aux Pays-Bas et dans le Nord de l'Allemagne est de 500 à 600 truies par élevage contre 200 en France. Nous sommes des artisans et entendons le rester. Nous n'avons qu'une seule doctrine : que les capitaux des élevages soient détenus par la famille. Le modèle français permet ainsi à chacun de s'exprimer en fonction de ses ambitions tout en conservant une taille humaine aux exploitations.

Enfin, il convient de terminer l'Europe sociale et fiscale.

M. Gérard César. - Ce n'est pas pour demain.

M. Joël Labbé . - Il faut que ce projet s'accélère.

M. Guillaume Roué . - Si la directive Bolkestein est cachée derrière un voile pudique, nous la voyons bien à l'oeuvre dans nos villages, avec des ouvriers venus d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui dorment dans des camionnettes et travaillent le week-end !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Oui, elle a hélas été adoptée par le Conseil et par le Parlement. En tous cas, merci pour la qualité de nos échanges.

Audition de M. Serge Préveraud, Président de la Fédération nationale ovine (FNO) (mercredi 3 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir pour cette dernière audition de l'après-midi la fédération nationale ovine (FNO). De même que MM. Fortassin et Bailly ont sans doute eu l'occasion de vous recevoir lorsqu'ils rédigeaient leur rapport, j'avais moi-même eu beaucoup de plaisir à travailler avec votre fédération en 2008 lorsque nous dressions le bilan de santé de la PAC.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Etant fille d'éleveur de moutons, je suis moi aussi ravie de vous recevoir.

En 2013, le marché de la viande ovine avait été marqué par une très importante chute des prix, un regain d'importations britanniques ayant entraîné un surplus de 500 000 agneaux dans notre pays. Comment expliquez-vous les faiblesses de la filière ? Comment la France s'inscrit-elle dans la concurrence européenne et extra européenne en particulier néo-zélandaise ? Quelles mesures pourrions-nous prendre pour vous soutenir ?

M. Serge Préveraud, président de la fédération nationale ovine . - Pour votre information, je suis éleveur de moutons dans le sud du département de la Vienne.

La diminution du cheptel ovin français a débuté il y a trente ans, lorsque, dans les années 80, notre filière fut la première à recevoir des aides accompagnées d'un alignement sur le prix mondial. Le nombre d'animaux a baissé de 50 à 60 %, notre autosuffisance est passée de 80 % à 45 % et la baisse des revenus les éleveurs les a conduits, sauf dans les zones de montage, à se diriger vers l'élevage bovin, le lait ou les céréales. Pour résister à la concurrence, nous avons mis en place des signes officiels de qualité qui nous assurent un avantage de 1 euro à 1,50 euro par kilo par rapport aux moutons anglais. Parmi ses faiblesses, la filière ovine a la particularité de nécessiter beaucoup de bras et d'être très technique alors que beaucoup d'épouses qui travaillaient auparavant avec leur mari ont trouvé un emploi à l'extérieur.

Est ensuite venue la période 2007-2008 au cours de laquelle nous avons demandé aux pouvoirs publics d'agir, faute de quoi, comme celle du cheval de trait, cette production pouvait disparaitre. Nous avons travaillé avec Michel Barnier comme avec les parlementaires de gauche et de droite et nous avons réussi. L'élevage ovin représentait 80 000 exploitants dont 50 000 ayant plus de 10 brebis et - coeur de la filière - 23 000 éleveurs, considérés comme professionnels, en percevant des aides. Si cette production est très présente dans les zones de montagne, elle existe en réalité dans tous les départements. Une volonté politique et syndicale forte ont permis un rééquilibrage au moment du bilan de santé de la PAC consistant à attribuer 125 millions d'aides supplémentaires au profit de ce secteur, soit 24 euros par brebis, au titre des mesures dites de l'article 68. Nous avons souhaité orienter ces aides en les réservant aux éleveurs dont la productivité est au minimum de 0,7 agneau par brebis et en conditionnant 3 des 24 euros à une contractualisation. La carence de l'élevage ovin, comme des autres productions, étant la gestion de l'offre, nous avons, non sans difficulté, demandé à chaque éleveur d'établir un plan prévisionnel de production. Grâce à la base de données mise en place par Emmanuel Coste, président de l'interprofession, nous pouvons ainsi anticiper les périodes de creux et de pointes de production afin, dans ce dernier cas, de mettre en place des opérations avec les grandes surfaces. Lorsque l'aide de 24 euros a été instaurée, tout le monde nous prédisait qu'elle serait récupérée par l'aval. Or, le prix des agneaux a augmenté au cours des trois années suivant la réforme. Je tire une fois de plus mon chapeau à Emmanuel Coste car nous sommes la seule filière parvenue à conclure un accord interprofessionnel, Interbev ovins qui regroupe 13 familles. Comme pour un bateau au large, il nous faut tous ramer ensemble pour faire avancer. L'accord interprofessionnel a créé un climat qui conduit chacun, y compris les grands groupes industriels comme Bigard ou la coopération, à mener avec nous un travail très intéressant.

La baisse des prix au mois de janvier 2013 s'explique par deux phénomènes : d'une part, confrontés à une très forte sécheresse les privant d'herbe, les Néozélandais ont vendu beaucoup d'agneaux - c'est un système très libéral - et d'autre part, comme à leur habitude, les consommateurs anglais en ont profité pour acheter l'agneau néozélandais à bas prix et exporter les leurs, notamment vers la France. L'été et l'automne très humides en Angleterre ne leur ayant pas permis de le faire entre septembre et décembre 2012, ces importations ont été reportées aux mois de janvier et février 2013. J'ai reçu le président du Beef and lamb néo-zélandais - à la fois syndicat et interprofession - il y a huit jours dans mon département. Alors que des actions étaient menées dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), je lui ai expliqué que c'était ce que m'inspirait leur comportement car au final, les éleveurs néo-zélandais et anglais sont très malheureux et nous ne sommes non plus au mieux. Nous discutons avec les anglais à Bruxelles dans le cadre du COPA-COGECA. Nous leur demandons davantage de transparence dans la mesure où 55 % des agneaux que nous consommons sont importés. La question de la transparence a été réglé pour la production française. Elle doit l'être désormais au niveau européen. Les néo-zélandais sont moins concernés dans la meure où ils exportent pour Pâques et que cette année, en 48 heures les opérateurs n'avaient déjà plus d'agneaux français.

Les importations en cause dans l'affaire Spanghero venaient du même pays que ceux de la crise de l'ESB en 2000... Nous sommes - par la volonté des professionnels - le seul pays au monde où les agneaux sont identifiés par une boucle électronique alors que seul le cheptel reproducteur l'est en Angleterre. L'accord interprofessionnel prévoyant l'étiquetage « viande ovine française » (VOF) a été signé il y a 10 ans mais non mis en oeuvre. Dès la semaine prochaine, nous demanderons aux grandes et moyennes surfaces (GMS) d'accepter d'apposer ce logo qui désigne l'une des productions les plus saines au monde. Le ministre et son cabinet nous appuient. La crise actuelle peut en effet représenter un opportunité pour l'agneau français. Nous n'avons pas de difficultés pour le vendre mais l'on peut encore espérer une augmentation des prix d'un produit qui le mérite. A la différence du porc, consommé au quotidien, l'agneau ne représente que quatre actes d'achat par an, allant souvent de pair avec celui du foie gras ou d'une bonne bouteille de bon vin. C'est un produit que l'on achète au moment des fêtes et le vendredi ou le samedi pour les réunions de famille. Si nous avons réuni tous les ingrédients pour apporter les réponses qu'attendent les consommateurs, nous souffrons - comme les autres productions animales - de l'augmentation de 30 % du prix des matières premières.

L'élevage évolue. On voit aujourd'hui fleurir des ateliers ovins autour d'exploitations céréalières. Peut-être est-ce le signe d'une agriculture dans laquelle l'agronomie reprendrait le dessus. Dans le Bassin parisien, il y a très longtemps, la première fonction des brebis était de fournir du fumier avant le lait, la laine ou la viande. Bertrand Patenôtre, un ingénieur disposant d'une exploitation céréalière de 180 hectares près de Troyes, a constaté il y a quelques années que sa consommation d'intrants montait en flèche tandis que ses rendements baissaient. Il a choisi de se doter d'un cheptel de 700 brebis pour assurer la fertilisation naturelle du sol. Il raisonne sur son exploitation prise globalement et il n'est pas le seul.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - On appelle cela « produire autrement ».

M. Serge Préveraud . - Ces évolutions s'expliquent peut-être aussi par le fait que l'élevage ovin est moins lourd que celui des bovins. Dans le cadre de la PAC, les systèmes trop dépendants de l'extérieur devront sans doute être repensés. Nous travaillons beaucoup avec l'institut de l'élevage sur ces sujets, même si l'éclairage vient aujourd'hui davantage des éleveurs que de nos chercheurs.

M. Gérard César. - Pourquoi avez-vous fixé la productivité à 0,7 agneau par brebis pour verser la prime à la brebis ?

Où en êtes-vous par rapport aux sigles de qualités, aux indications géographiques protégées, aux labels ou aux appellations d'origine contrôlée ? Même si l'on n'a pas abordé la question de la transformation, il arrive que les brebis fassent du fromage...

Quand le label VOF sera-t-il enfin utilisé ?

La laine représente-t-elle un complément de revenu important pour les éleveurs ?

M. Serge Préveraud . - 20 % des agneaux bénéficient d'un signe officiel de qualité. Nous n'avons pas réussi à faire davantage. Est-ce une question de prix, de contraintes liées aux contrôles ? Quoiqu'il en soit, depuis les années 1980, les agneaux labellisés ont fait figure de locomotive pour l'ensemble de la production et nous espérons effectivement qu'ils seront plus nombreux. VOF devrait constituer un socle complété par des dénominations régionales : agneau du Limousin, Baronnet, agneau du Quercy etc. Lorsque 105 tonnes arrivent du Grande-Bretagne dont 58 tonnes pour faire des merguez achetées par Spanghero pour un prix au kilo inférieur de 2 euros à nos productions, les éleveurs français sont exaspérés.

La laine est exportée brute vers la Chine ou la Turquie, c'est donc dans ces pays que la valeur ajoutée se réalise. Mes brebis ont deux kilos de laine vendus chacun 50 à 60 centimes d'euros, ce qui ne paye même pas la tonte. Des débouchés apparaissent en revanche pour la laine de mouton comme matériau d'isolation naturelle.

M. Gérard César . - Avez-vous engagé une démarche avec d'autres filières pour identifier, d'une façon générale, la viande française de qualité ?

M. Serge Préveraud . - Dans la filière bovine, l'indication viande bovine française (VBF) revêt un caractère obligatoire, imposé par la réglementation européenne dans la période de crise de l'ESB. Pour le porc et l'agneau en revanche, il s'agit de démarches volontaires. La semaine prochaine, nous discuterons de sa généralisation avec les opérateurs de la distribution car aujourd'hui le consommateur, perdu, ne regarde que les prix. Il est grand temps de remettre de l'ordre, dans l'intérêt même de nos concitoyens

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Depuis, l'excellent rapport de 2008 de nos collègues Gérard Bailly et François Fortassin, vous avez travaillé sur VOF et sur les filières qualité de même que la traçabilité s'est amélioré grâce aux boucles électroniques. Ne serait-il pas très utile au consommateur de voir indiqués clairement l'origine des animaux et la date d'abattage ? Les propos qui nous ont été livré sur la soi disant viande fraîche de Nouvelle-Zélande abattue en réalité trois mois auparavant sont difficiles à entendre. Faut-il aller jusque là, sachant que les industriels n'aiment pas indiquer l'origine des éléments des plats préparés ? Quel est le pourcentage d'agneaux abattus en France sans étourdissement préalable, c'est-à-dire par des méthodes rituelles ? Est-il vrai que la viande halal vient de Nouvelle-Zélande alors que l'abattage sans étourdissement y est interdit ?

M. Serge Préveraud . - Actuellement les étiquettes sont illisibles ; donner des informations au consommateur est bien entendu un moyen de restaurer la confiance. Mais pour établir la traçabilité encore faut-il qu'elle existe depuis le départ. Or, l'Europe n'impose pas de connaître le pays dans lequel le mouton est né, a été élevé et a été abattu. Les entreprises françaises importent pourtant de la viande où ces informations ne sont pas affichées... Face au lobby des entreprises anglo-saxonnes, la France va devoir agir à Bruxelles. On ne peut avoir demandé tous ces efforts de traçabilité au budget de l'Etat et aux éleveurs sans qu'ils ne soient reconnus. Il y a là une cause de distorsion de concurrence. Un exemple : alors que depuis la crise de l'ESB, les cervelles d'agneau de plus de six mois sont interdites dans notre pays et que nous jetons donc les têtes à la poubelle, des camions viennent tous les jours de Barcelone ou d'Angleterre - pays où ces produits sont autorisés - pour livrer des cervelles.

Le législateur doit mettre un peu d'ordre dans la réglementation qui concerne tout de même la santé de nos concitoyens. Vous comprendrez donc que nous soyons remontés. Comme nous l'avons dit au congrès de la FNSEA, nous voulons être payés en retour de nos efforts.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Comment savoir alors si une cervelle achetée a plus ou moins de six mois ?

M. Serge Préveraud . - Il est impossible de le savoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Nous avons un gros travail à faire en matière de transparence.

M. Serge Préveraud . - Bien entendu. Nous sommes confrontés à une succession de petits problèmes de ce genre qui pèsent sur notre rentabilité.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Il y a deux poids, deux mesures.

M. Serge Préveraud . - Et dans nos campagnes, les gens n'arrivent plus toujours à comprendre l'Europe et le raisonnement d'un certain nombre de fonctionnaires.

Concernant l'abattage rituel, la consommation musulmane devient importante au-delà du pic très ponctuel des fêtes religieuses. S'ajoute la demande nouvelle d'exportation vers l'Afrique du Nord depuis le printemps arabe. Bien que je ne dispose pas ici de chiffres, je puis vous dire que les opérateurs s'efforcent de répondre aux attentes des clients juifs ou musulmans. Selon une étude du cabinet suisse Gira, dans les dix ans qui viennent, la hausse de la consommation mondiale sera la plus forte pour les volailles puis pour les ovins, les bovins et enfin seulement le porc en quatrième, ces deux dernières productions subissant l'incidence de la consommation musulmane. Nous recevons beaucoup de demandes d'ingénierie du Maroc et d'Algérie, pays où plusieurs centres d'insémination ont été installés par des Français. De plus, nous exportons des animaux vivants par avion à partir de Châteauroux. Il existe un réel potentiel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Sur le segment du rituel êtes-vous aussi en concurrence avec la Nouvelle Zélande ?

M. Serge Préveraud . - Oui. Ce sont de très grands professionnels et leurs 34 millions de brebis font la force de ce pays. Ils sont capables de répondre à la demander internationale d'agneaux abattus rituellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Mais l'abattage sans étourdissement y est interdit ?

Mme Mélanie Villette, chargé de mission à la FNO . - Bien qu'ils n'abattent pas sans étourdissement, ils ont passés des accords permettant que leur viande soit reconnue comme rituelle.

M. Serge Préveraud . - Ils exportent déjà dans des pays musulmans près de chez eux. Je suis administrateur de l'un des plus grands abattoirs de France où nous avons travaillé pour répondre aux attentes de cette clientèle très intéressante. En revanche, nous n'avançons pas beaucoup sur la question des abattages clandestins pendant les fêtes religieuses. Des abattoirs ponctuels pourraient être mis en place. A cette période, les abattoirs traditionnels sont saturés. Pendant deux jours, nous travaillons en permanence pour abattre 10 à 12 000 agneaux contre 250 000 sur l'ensemble de l'année.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - L'abattage clandestin a évolué. Il s'agit désormais d'abattoirs clandestins qui s'organisent pour tuer jusqu'à 100 à 200 moutons.

M . Serge Préveraud. - Lors d'une réunion près d'Avignon il y a deux ans, j'ai rencontré des maires furieux de retrouver des abats dans leurs bois. Davantage de réglementation ne serait pas une mauvaise chose.

M. Gérard Bailly . - Notre rapport était bien volontairement intitulé Revenons à nos moutons car la diminution des effectifs est assez dramatique. Si des choses sont allées dans le bon sens depuis 2008, nous avons encore perdu entre 200 et 250 000 têtes en 2012. Dans les massifs, ces sont des milliers et des milliers d'hectares qui sont désormais sans animaux. Avec 3 milliards de personnes de plus à nourrir dans les 40 ans qui viennent, nous ne pouvons pas laisser ces espaces en l'état.

La politique européenne devrait prendre davantage en compte l'entretien de l'espace, en primant de façon spécifique les « moutons tondeurs ». Arrivant de la Vienne, vous n'avez pas évoqué les loups mais ils finiront par arriver chez vous.

Je ne crois qu'à moitié aux ateliers ovins sur les exploitations céréalières car le mouton est un herbivore et que j'ai du mal à concevoir un élevage ovin hors sol. Quel est selon vous la taille du troupeau permettant de faire vivre une famille, sachant qu'une productivité de 0,7 me semble faible ?

Qu'en est-il des brebis de réforme ? Il ne faudrait pas que l'on triche en les appelant autrement. C'est là aussi une question de transparence.

Au moment où nous réformons la PAC, les aides actuelles vous donnent-elle satisfaction ? En tant que parlementaires, devrions-nous travailler à les modifier ou à les améliorer pour que notre élevage ovin progresse ?

M. Serge Préveraud - Je vois que vous connaissez parfaitement le dossier ovin ! Dans vingt départements, le loup est un réel problème et la situation devient insupportable. La FNO a pu rencontrer les parlementaires des deux assemblées sur ce sujet, et leur expliquer que l'on devra un jour faire face à un drame si rien n'est fait. Nous ne demandons pas la disparition du loup, mais une régulation à la hauteur de l'enjeu et une vraie baisse de la prédation. Nous avons été reçus par les ministres de l'écologie et de l'agriculture, Mme Batho et M. Le Foll, qui nous ont semblé animés par la volonté d'agir sur cette question.

M. Gérard Bailly - Le plan Loup ne devrait permettre de tuer que très peu de prédateurs. Si tout va bien, c'est au maximum la moitié de la progression des effectifs qui pourra être neutralisée, autant dire une quantité négligeable. J'ai posé il y a quelques semaines une question orale au ministre de l'agriculture à propos des mesures prises pour lutter contre les attaques du loup. La réponse qui m'a été faite est très insatisfaisante. Nos ministres ne sont cependant pas plus à blâmer sur cette question que ceux qui les ont précédés.

M. Serge Préveraud - Le coût du plan Loup s'élève à 10 millions d'euros. Nous avons dit aux ministres qu'avec cet argent, on pourrait payer des instituteurs et des infirmiers à l'heure des difficultés budgétaires ! Il nous a été répondu que des avancées énormes avaient été accomplies. Pour ma part, je ne vois pas quels progrès ont été faits depuis l'arrivée du loup, avec la convention de Berne et les plans mis en oeuvre en France. Je ne pense pourtant pas que nos demandes soient disproportionnées, alors que des agriculteurs sont contraints de quitter les montagnes et que des emplois disparaissent à cause des prédateurs. Les éleveurs ont aujourd'hui un sentiment d'écoeurement. Certains d'entre eux ont déjà perdu cinq fois leur troupeau. Ces dommages ont bien sûr été payés par le contribuable : nous sommes donc un pays riche pour pouvoir nous permettre de telles dépenses !

Le ton va nécessairement monter sur ce sujet. Nous constatons une réelle incompréhension dans les régions concernées, où les professionnels nous pensent incapables d'agir et pensent à régler le problème eux-mêmes. Nous avons été poussés à entrer dans le plan Loup, dont nous ne voulions pas au départ. L'idée était de mettre en place un dispositif comparable à celui qui existe dans les Pyrénées, où la gestion de l'ours ne relève pas des professionnels eux-mêmes, mais d'une entité spécifique. Les choses seraient sans doute différentes si le loup était présent dans les Pyrénées ...

Sur la question de la place de l'élevage chez les céréaliers, l'évolution que je vous ai décrite n'est en effet pas généralisée. On voit cependant apparaître une vraie nouveauté : dans un certain nombre d'exploitations, les bêtes pâturent et ne restent pas en bergerie. Cette évolution peut être associée aux pratiques de l'assolement et des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipans), et certaines recherches sont menées en ce sens. Cette évolution que nous voyons poindre ressemble à ce que faisaient autrefois nos grands-parents, avec bien sûr de nécessaires adaptations puisqu'un éleveur doit pouvoir vivre de ses produits. La crise nous fera peut-être évoluer vers ce type de pratiques.

S'agissant de la taille des exploitations dans la filière viande, un éleveur qui dispose de 500 à 600 brebis, soit 700 à 800 agneaux si sa gestion est bonne, a une activité rentable. Certains éleveurs ovins gagnent d'ailleurs très bien leur vie.

M. Gérard Bailly - Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la question de la viande de brebis ?

M. Serge Préveraud - Il est probablement possible d'apporter une meilleure valorisation à la viande de brebis. La question se pose de savoir si la « viande ovine française » recouvre à la fois l'agneau et la brebis.

La partie couplée de la PAC nous est indispensable, et nous demanderons même un supplément en espérant obtenir 15 % de plus que les 125 millions dont nous bénéficions à l'heure actuelle. Une augmentation de 3 à 4 euros par brebis pourrait nous permettre d'accélérer le travail sur la traçabilité et de promouvoir les signes officiels de qualité comme VOF. La PAC est un outil d'orientation exceptionnel ; de nombreuses avancées, par exemple sur la contractualisation et sur la productivité, ont pu être réalisées grâce à cet instrument.

La convergence nous convient, puisque nous avons les droits à paiement uniquement (DPU) les plus faibles. Le verdissement ne nous pose pas non plus de problèmes.

La gestion de l'herbe constitue en revanche un échec depuis vingt ans. Pour obtenir les primes herbagères agroenvironnementales (PHAE), des contrats de cinq ans peuvent être passés par lesquels l'engagement est pris, par exemple, de ne labourer que 20 % des terres. Cela signifie qu'en cas de problème, par exemple en cas de sécheresse, il est impossible d'utiliser certaines parcelles : c'est à mon avis complètement stupide. La gestion de l'herbe doit être économique. A force de restrictions, les parcelles d'herbe finissent par être utilisées pour la production de céréales, ce qui est contre-productif.

M. Joël Labbé . - J'ai apprécié que vous abordiez la question de l'agronomie. A mon sens, l'évolution que vous nous avez décrite est très positive et doit se poursuivre. On voit ainsi se concrétiser les principes de l'agroécologie. Il est nécessaire de repenser les pratiques de l'agriculture et de l'élevage, de favoriser la polyculture et d'éviter les grandes spécialisations.

J'ai compris dans vos propos que cette évolution venait davantage des éleveurs que des chercheurs. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Comment faire pour que les chercheurs soient à la hauteur des avancées initiées par les éleveurs ?

M. Serge Préveraud - Dans une situation de crise, le rôle du chercheur est d'identifier des voies d'évolution, en agriculture comme dans d'autres domaines. Des révolutions sont aujourd'hui nécessaires, et notamment une révolution fourragère, une révolution génomique, et une révolution des outils de gestion des ateliers d'élevage.

La révolution apportée par la luzerne pourrait être du même ordre que celle permise par le maïs il y a trente ou quarante ans. La luzerne est un élément exceptionnel qui me permet d'assurer l'indépendance et la performance de mon exploitation de 900 brebis. C'est une source de protéines végétales que nous pouvons produire nous-mêmes au lieu d'acheter du soja américain. Au début du siècle, on avait 1,2 millions d'hectares de luzerne ; aujourd'hui, on n'en compte plus que 200 ou 300 0000. Des petits systèmes d'irrigations peuvent être mis en place pour assurer la culture de la luzerne ; c'est dans cette direction par exemple que la recherche doit travailler.

Une évolution génétique de nos troupeaux est aujourd'hui nécessaire. Les éleveurs néo-zélandais, qui possèdent de 3 000 à 6 000 brebis pour 1,3 agneau par brebis, n'assistent pas leurs bêtes au moment de l'agnelage : ils ont fait évoluer leurs troupeaux afin d'adapter le bassin des brebis. En France, nous sommes présents tout au long de l'agnelage, le jour comme la nuit, pour assister nos bêtes. C'est une façon de travailler qui devient invendable auprès des jeunes ! Il n'est pas question de travailler comme les éleveurs néo-zélandais, mais devons faire évoluer nos troupeaux par la génomique en mettant l'accent sur les qualités maternelles, et non plus seulement sur la conformation des agneaux pour l'abattoir.

Nous travaillons depuis quelques temps sur la question des coûts de production. Il est regrettable qu'un éleveur ne puisse pas savoir ce que son atelier de production lui rapporte - en dehors des aides qu'il reçoit, qui banalisent tous les résultats. Nous sommes en train de nous doter d'outils qui permettront aux éleveurs de poser un diagnostic sur la situation de leur exploitation et d'en améliorer la performance.

Il est enfin un dernier dossier que j'aimerais évoquer devant vous, celui de l'installation. Nous sommes la première production à avoir travaillé sur cette question. Les prix du foncier sont de plus en plus élevés depuis quelques années, le phénomène étant renforcé par les arrivées d'investisseurs étrangers : quand une exploitation est cédée, elle l'est bien sûr au plus offrant. Nous devons décider si nous voulons une France qui ressemble à un immense champ de blé si nous souhaitons conserver la diversité de nos paysages naturels. La transmission des exploitations dans un cadre familial se fait de plus en plus rare - 50 % des éleveurs travaillent aujourd'hui hors cadre familial - et le coût de l'investissement pour un jeune qui souhaite s'installer est devenu inabordable. Un jeune qui vient de s'installer à côté de chez moi a du débourser plus de 400 000 euros, simplement en matériel et en capital d'exploitation ; au moindre problème, il lui sera très difficile de s'en sortir. Il est donc nécessaire de donner des moyens à l'élevage ovin.

Pour répondre à ces enjeux, nous avons créé un fonds d'investissement, Labeliance, qui reprend un mécanisme issu de la pêche artisanale. Le dossier est actuellement examiné par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il s'agit d'apporter des fonds propres à un jeune exploitant pour une dizaine d'années, en complément d'un emprunt. Cette solution n'est peut-être pas la panacée, mais il nous faut réfléchir à ces enjeux.

Le législateur a une réelle responsabilité sur cette question : des métiers sont menacés de disparition. Ce n'est pas avec les exploitations céréalières que la valeur ajoutée est principalement créée - et je vous dis cela sans animosité envers les producteurs céréaliers. En revanche, une exploitation ovine mobilise jusqu'à 7 emplois.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions, M. Préveraud, pour cette intervention passionnée.

Audition de MM. Jacques Creyssel, délégué général, et Mathieu Pecqueur, directeur « Agriculture et qualité », de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) (jeudi 4 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information souhaite réaliser un état des lieux de la filière viande, et dans ce cadre, nous entendons aujourd'hui le point de vue des représentants de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'objectif de notre mission d'information est de restaurer la confiance de consommateurs, en dressant un état de la filière, depuis le pré jusqu'au caddy. Nous sommes donc heureux de vous accueillir, vous qui constituez le tout dernier maillon de cette chaîne. Il nous a été indiqué hier qu'une simple hausse de 30 centimes du prix du kilo de porc, ce qui constitue une très faible augmentation pour le consommateur final, serait précieuse pour les producteurs. Un effort modeste de tous les intervenants de la filière ne serait-il pas de nature à conforter la production de produits français de qualité ? Il serait alors possible de moins importer...

M. Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). - Merci pour votre invitation. La FCD représente notamment les grands groupes à dominante alimentaire, Carrefour, Casino, Picard, Lidl, Dia, etc., non les groupes indépendants tels que Leclerc. Au total, le secteur réalise un chiffre d'affaires d'environ 100 milliards d'euros, emploie 750 000 personnes et dispose de 30 000 points de vente.

Avant d'en dresser le bilan, rappelons que la loi de modernisation de l'économie (LME) ne s'applique pas aux produits de viande fraîche, négociée sur des marchés de gré à gré, à la différence des produits élaborés tels que la charcuterie. Elle ne s'applique pas non plus aux produits sous marque de distributeurs (MDD).

La conjoncture est marquée par un recul du pouvoir d'achat et une baisse de la consommation alimentaire - ce qui est nouveau - de 3 % en glissement annuel selon les chiffres de l'Insee de la semaine dernière. Les industriels, lors du dernier cycle de négociation annuel, ont fait des propositions qui auraient entraîné une hausse de 5 % du prix de certains produits. Ceci est inacceptable ! L'indice des prix de la grande distribution est aujourd'hui stable. Grâce au mécanisme de négociabilité des tarifs, nous avons réussi à maintenir globalement en 2013 le niveau de prix de 2012, certains produits subissant les hausses de prix de certaines matières premières : farine, huile, certains produits laitiers ; tandis que d'autres prix reculent : café, chocolat, sucre...

Pour la viande, l'effet des prix sur la consommation est sensible. Selon le panel Kantar, l'augmentation observée en 2012 de 4 % des prix de la viande bovine s'est traduite par un recul des ventes de 2 %, ces chiffres étant respectivement de 5 % et 1,8 % pour le boeuf, de 2,9 % et 3 % pour le veau et de 5 % et 1 % pour le porc. A quoi s'ajoute un report sur les produits moins onéreux - porc et volailles - ainsi que sur les premiers prix et les promotions. Sans la LME, la hausse des prix des produits alimentaires aurait atteint environ 5 %. Je précise que les industriels et les transformateurs sont nos seuls interlocuteurs, car contrairement à ce que l'on entend parfois, nous ne négocions pas avec les producteurs.

Nous achetons aux prix du marché. Les éleveurs de porcs estiment qu'une hausse de 30 centimes est minime ; c'est pourtant l'addition de tous ces petits montants qui risque d'aboutir à des hausses importantes. Dans un marché ouvert, cette augmentation du prix encouragerait les importations. De surcroît, comme les producteurs le reconnaissent en privé, nous ne pourrions plus exporter aux prix du marché international. J'ajoute que si les aliments pour bétail se sont renchéris, les prix de la viande ont suivi la même tendance.

Nous avons fait un effort de transparence en publiant nos marges par rayon. Les industriels ne se sont pas livrés à un exercice comparable. Lorsque nous analysons les comptes de nos fournisseurs cotés en bourse, nous constatons que leurs marges nettes sont en forte augmentation depuis plusieurs années. Ils affirment qu'il s'agit de comptes mondiaux consolidés, non représentatifs de la France, mais ne communiquent pas de chiffres nationaux. Depuis l'entrée en vigueur de la LME, la marge nette des industriels a augmenté, tous produits confondus, de 13 % tandis que celle des distributeurs diminuait de 13 % : ce sont les chiffres !

Notre objectif dans les négociations est de faire en sorte que les prix globalement n'augmentent pas ; nous cherchons aussi à préserver les PME. Dans la charcuterie, où elles sont nombreuses, les prix négociés avec les grands groupes sont stables tandis que nous avons accepté, pour les PME, des augmentations, parfois jusqu'à 4 %. Nous pratiquons une différenciation claire.

L'accord du 3 mai 2011 prévoyant une renégociation des accords en cas de fortes fluctuations du prix de la viande n'est jamais entré formellement en vigueur car il était conditionné à la conclusion d'un autre accord, entre éleveurs et céréaliers, qui n'a pas été conclu. Le fonds de péréquation n'a donc pas été mis en place. Les revenus des céréaliers ont pourtant augmenté de 50 % en deux ou trois ans. Il faut dire que les décideurs, dans les instances professionnelles agricoles, tendent peut-être à défendre plutôt les céréaliers. La progression vers une meilleure péréquation constitue l'une des nos priorités. Les instruments modernes de couverture financière contre les variations de prix des aliments du bétail n'existent pas, ne permettant pas de se prémunir contre les baisses des prix des céréales.

Quoiqu'il en soit, les renégociations prévues dans l'accord de 2011 ont eu lieu et le mécanisme a fonctionné. Le prix du boeuf a ainsi crû de 14 % en 2012, de 29 % en moyenne sur cinq ans. Celui du porc de 1,3 % en 2012 mais de 14  % sur cinq ans. Quant à la volaille, la progression par rapport à 2012, à la dernière cotation, celle de la semaine 11 de 2013, est de 12,1 %. Bien sûr, que ces progressions répercutent celles des prix des matières premières.

Parmi les propositions formulées par le président de Système U, dans une note du 14 mars 2013, celle relative au contrat tripartite pluriannuel recueille notre assentiment. Carrefour, Casino ou Auchan l'ont déjà mis en place, sur une base volontaire. Des liens forts ont été établis avec les fournisseurs, autorisant certains distributeurs à prendre sur certains produits un engagement de 100 % d'origine France. Les producteurs doivent cependant se regrouper et s'organiser afin d'être en mesure de conclure de tels contrats.

Nous sommes en revanche opposés à une indexation des prix de vente sur ceux des matières premières. Ce serait une erreur majeure au moment où de nombreux revenus subissent une désindexation... La mesure serait de surcroît très difficile à mettre en oeuvre. Et elle conduirait à une catastrophe économique !

Nous ne sommes pas non plus favorables à la modification des règles de calcul du seuil de vente à perte, d'autant que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé contraire au droit européen d'interdire la vente à perte. Les autres distributeurs ne soutiennent pas cette proposition, qui conduirait à augmenter le prix de produits de grande marque, de 10 à 15 % et se traduirait aussi par un recul des volumes des industriels concernés.

M. Gérard César . - Quelle est la position de votre fédération sur l'étiquetage de la viande d'origine française, notamment après l'affaire Spanghero ? Que pensez-vous du rôle joué par l'Observatoire des prix et des marges ?

M. Gérard Bailly . - La diminution du volume de production des élevages français se poursuit. Dans vingt ans nous serons plus encore qu'aujourd'hui tributaires des importations. Ce phénomène ne vous inquiète-il pas ? Pour qu'il subsiste des agriculteurs, il faut bien que ceux-ci puissent vivre de leur travail. Je comprends que, vous ayez l'oeil rivé sur le prix mondial, mais cela ne peut être la seule variable.

La France peut certes miser sur des produits de qualité bénéficiant d'une appellation, mais même les éleveurs des poulets de Bresse n'arrivent plus à vivre.

M. Jean-Jacques Lasserre . - On assiste à des spectacles effroyables, tels ces cadavres d'animaux flottant dans un fleuve en Chine. De quelles garanties disposez-vous sur les produits importés ? Les conditions d'élevage hors Union européenne sont parfois inimaginables.

Que seront selon vous, les tendances lourdes des cinq prochaines années dans les industries agroalimentaires ? Quelle est la pertinence d'idées éminemment sympathiques comme les « circuits courts » ? Je ne partage pas votre point de vue sur les céréaliers et les éleveurs. Certes, je cultive du maïs et bien que mon prix de vente ait doublé en trois ans, je continue de percevoir 300 euros d'aides européennes par hectare. Mais je n'y peux rien, cela ne dépend pas de moi ! C'est au législateur d'intervenir pour mettre en place la péréquation que vous évoquez.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les industriels de l'agroalimentaire semblent refuser l'étiquetage de l'origine des viandes sur les produits transformés, qui assurerait, comme pour la viande fraîche, une vraie traçabilité. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, quelle est la part de la viande commercialisée issue de l'abattage rituel ?

M. René Beaumont . - Que représentent les produits de marques de distributeur (MDD) dans l'agroalimentaire ? Pourquoi ne sont-ils pas soumis à la LME ?

Dans toutes les auditions, chacune de parties prenantes explique que ce n'est pas chez elle que le prix augmente et qu'il faut regarder chez le voisin. Nous ne sommes pas totalement naïfs et nous finissons toujours par comprendre ce qu'il en est. Je constate en tout cas que les familles les plus riches en France ne sont plus des familles de producteurs industriels mais de distributeurs.

La traçabilité des produits composés est possible puisque les viandes sorties d'abattoir sont déjà tracées. Il faut seulement que la loi l'impose et ce système, s'il avait été en place, nous aurions évité les problèmes récents.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ne demandons pas à la grande distribution qu'elle nous donne des conseils sur la réforme de la PAC.

M. Jacques Creyssel . - La péréquation peut effectivement, faute d'être mise en place volontairement, être imposée par la loi ou dans le cadre de la PAC.

Nous l'avons dit lors d'une table ronde en présence de Stéphane Le Foll : nous sommes favorables à un étiquetage indiquant l'origine de l'ingrédient principal - ce qui n'aurait pas évité le scandale du cheval, cependant, puisque celui-ci découle d'une tromperie et non d'un problème de traçabilité. Un consensus existe sur la nécessité d'instaurer ce dispositif au plan européen.

M. Gérard César . - On peut commencer par la France !

M. Jacques Creyssel . - Non, ce n'est pas possible.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Même sur la base du volontariat ?

M. Jacques Creyssel . - Ce serait très compliqué. Les indications de type viande bovine française (VBF) et viande ovine française (VOF) existent déjà mais quelle mention figurera dans le cas de lots provenant de différents pays ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Ne craignez-vous pas que la découverte de cette nébuleuse d'intermédiaires et de circuits dans l'industrie de la viande ne mine la confiance du consommateur, qui ne parvient ainsi déjà plus à savoir ce qu'il donne à manger à ses enfants ?

M. Jacques Creyssel . - Nous voulons bien sûr que nos concitoyens aient envie de consommer. Rappelons que 90 % de la viande bovine fraîche vendue est d'origine française, comme plus de 80 % du jambon cuit vendu sous MDD ; de plus, certains distributeurs ont pris l'engagement du 100 % de viande française.

Sur l'étiquetage, nous avons des problèmes pratiques à régler. Plusieurs PME produisent, sous la même marque, des produits dont les ingrédients ont des origines différentes. Que faudrait-il écrire ? Comment définir la matière première principale d'un produit composé ?

L'Observatoire des prix et des marges est très efficace. Pour la première fois, un organisme public dit exactement ce qu'est la réalité. Il démontre que la marge de nos distributeurs sur la viande bovine fraîche est négative de 4,4 %, notamment du fait des coûts de personnel. A l'inverse, nous réalisons une marge bénéficiaire de 1,5 % sur la viande emballée en libre service. Il apparaît aussi clairement que nous gagnons de l'argent sur les produits laitiers et, n'en gagnons pas sur les fruits et légumes. Globalement, on observe aussi que la consommation recule, c'est une tendance durable.

Tout ceci doit nous incite à réfléchir sur le moyen et long terme. Comment rendre la qualité perceptible par les consommateurs, comment faire pour que les Français mangent plus de viande ? L'étiquetage origine France n'est pas suffisamment gage de qualité dans l'esprit des consommateurs. Comment sécuriser les approvisionnements de viande bovine ? Préfère-t-on l'exportation ou la vente sur le marché national ? Il est indispensable d'analyser les évolutions de la demande mondiale, du prix des matières premières, des tendances à venir. Nous devons le faire tous ensemble, producteurs, industriels et distributeurs. Nous le proposons en vain à nos partenaires de la filière. La volatilité des prix était inscrite dans la réforme de la PAC mais nous n'avons pas été capables d'y réfléchir et de l'anticiper.

Oui, nous sommes inquiets de voir des éleveurs abandonner la viande au profit des productions céréalières qui leur offrent une vie plus confortable. Nous avons, là aussi, besoin d'une stratégie. Même la consommation de steaks hachés surgelés diminue, cette année, de 4,8 % ! Ce n'est pas seulement une question de prix, il faut redonner aux gens l'envie de consommer.

Dans nos magasins, les MDD représentent 40 % du volume et 30 % de la valeur. Pourquoi sont-ils exclus de la LME ? Parce qu'ils sont achetés auprès des industriels par appel d'offre, sur commande du distributeur, dans le respect d'un cahier des charges : il s'agit de relations industrielles et non commerciales, elles ne relèvent pas du code de commerce.

L'abattage rituel n'est pas soumis à des obligations d'information. La collecte de données en la matière pose des problèmes techniques ; les chiffres précis en la matière devraient pouvoir être fournis par l'interprofession.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - N'est-il pas possible de savoir ce que cette viande représente dans le volume total, hors même les rayons halal ?

M. Jacques Creyssel . - Nous ne disposons pas de ces chiffres.

M. Mathieu Pecqueur, directeur « Agriculture et qualité » de la FCD . - Nous avons interrogé nos fournisseurs. Mais aucun gros abattoir ne pratique seulement un mode d'abattage, rituel ou traditionnel. Nous ne connaissons pas la répartition entre les deux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Ne serait-il pas utile de fournir cette information au consommateur ? C'est une question de transparence.

M. René Beaumont . - Les consommateurs pourraient avoir le sentiment de subir une discrimination, négative et coûteuse.

M. Jacques Creyssel . - L'instauration d'une réglementation en la matière relève des pouvoirs publics. Pour l'heure, nous n'avons pas d'information sur ce point.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Et les contrôles sanitaires ?

M. Mathieu Pecqueur . - Ils sont effectués tout au long de la chaîne. Les industriels opèrent des prélèvements sur la viande hachée, font des analyses microbiologiques, voire des analyses ADN. Quant aux enseignes, elles procèdent par échantillonnage, plus d'un millier de contrôles sont réalisés. Ce système d'autocontrôle est particulièrement efficace ; c'est grâce à lui que les industriels ont lancé l'alerte sur l'utilisation de la viande de cheval substituée à du boeuf.

Les magasins doivent conserver les documents de traçabilité, qui remplissent des classeurs entiers, jusqu'à six mois après la fin de vie du produit. Les procédures d'hygiène incluent la vérification de la bonne tenue de ces archives. Des audits externes, qui portent par exemple sur la température des réfrigérateurs et le respect d'une myriade de critères sont effectués. Si l'on y ajoute les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous aboutissons à un dispositif extrêmement sûr.

La difficulté, toutefois, est que la fraude, par définition, ne s'anticipe pas. Comment la constater au plus vite ? Comment la limiter ? Voilà l'enjeu.

M. Jean-Jacques Lasserre . - C'est le coeur de nos préoccupations.

Mme Anne Emery-Dumas . - La diminution de la consommation de viande atteint-elle dans la même mesure toutes les catégories de produits, frais, transformés, surgelés ? Touche-t-elle moins la viande biologique ou la viande labellisée ?

M. Mathieu Pecqueur . - La baisse globale des produits carnés est très claire depuis quelques années. On vend de moins en moins de produits bruts, comme le gigot. On les prépare aussi davantage. Par exemple, les côtes de porc se présentent différemment : moins de gras et d'os. Les industriels vont de plus en plus loin dans l'élaboration des produits en proposant de la viande hachée ou marinée, voire des produits carnés intégrés tels que la barquette de boeuf bourguignon à mettre au four à micro-ondes. Ce qui ne contrebalance pas, pour autant, la contraction des ventes de produits bruts.

M. Jacques Creyssel . - On observe effectivement trois grandes tendances : une baisse générale de la consommation, une élaboration accrue et un report progressif vers les produits moins onéreux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci. Si vous le souhaitez, vous pourrez nous apporter des compléments par écrit.

Audition de M. Gilles Varachaux, chef d'entreprise à Wissous (jeudi 4 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci à M. Gilles Varachaux, qui dirige une entreprise de transformation de produits carnés, et va nous apporter son témoignage de praticien.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Après le scandale de la viande de cheval vendue pour du boeuf par l'entreprise Spanghero, notre mission veut restaurer la confiance du consommateur. Vous le voyez, nous sommes plein de bonnes intentions.

En tant qu'acteur important de ce marché, ne pensez-vous pas qu'indiquer l'origine des viandes utilisées dans les produits élaborés serait une bonne chose ? Pourquoi les entreprises de transformation rechignent-elles à l'étiquetage ?

M. Gilles Varachaux . - Mon métier consiste à prendre de la viande brute et à la transformer pour des industriels qui, de plus en plus, sont des assembleurs. Ma société transforme toutes les viandes : du boeuf, du porc ou de la volaille, du bio ou du halal, dès lors qu'on me le demande. J'achète partout en Europe ; ma matière première est pourtant à 60 % d'origine française. C'est ce qui est ressorti du contrôle de traçabilité que nous avons bouclé en 48 heures au lendemain de l'annonce du scandale de la viande de cheval. Je n'achète pas la totalité de la viande que j'utilise en France pour une raison assez simple : un groupe - le groupe Bigard, qui détient Charal et Socopa - domine le marché de la viande bovine. Il assure plus de la moitié des abattages. Il vend aux autres ce qu'il n'utilise pas dans ses propres filiales.

Sur nos 7 000 tonnes de viande que je détiens, nous n'avons pas trouvé, lors du dernier contrôle de traçabilité, de viande de cheval et il n'y a pas eu besoin de test ADN pour le vérifier. Varachaux est une entreprise familiale créée en 1968. Elle a traversé les crises de la vache folle et celle des poulets à la dioxine sans jamais être citée dans la presse. Il y a une explication à cela. Je procède à des contrôles rigoureux et, en amont, j'achète mes produits par rapport un cahier des charges précis, qui est le nôtre et pas celui du fournisseur. L'an dernier, nous avons refusé 68 tonnes de viande.

M. Gérard César . - Comment ça ?

M. Gilles Varachaux . - La viande est achetée, mais à la livraison, si elle n'est pas conforme, il faut oser fermer la porte du camion et de renvoyer la marchandise.

M. Gérard César . - Pour quelles raisons la refusez-vous ?

M. Gilles Varachaux. - Des problèmes de traçabilité, de composition, de température... Si on ne cherche pas, on ne trouve pas ! Je ne veux pas me lier par un contrat avec les fournisseurs. Tous les matins, mes acheteurs partent en quête de matière première. C'est une aventure, mais qui a des avantages : nous restons entièrement libres de notre choix.

M. René Beaumont . - Vous avez parlé de contrôles. Lesquels effectuez-vous ?

M. Gilles Varachaux . - Nous achetons la matière première. La veille de la réception du camion, nous demandons l'attestation correspondante : où les animaux ont été élevés, où ont-ils été abattus. A l'arrivée, si l'attestation n'est pas présentée, ou si l'étiquetage ne correspond pas à ce que nous avons acheté, nous ne déchargeons pas la marchandise. Nous gagnons du temps : quand la viande est stockée, il est plus difficile de la renvoyer. Cette année, nous avons déjà renvoyé 50 tonnes de viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les produits refusés viennent-ils plutôt de l'étranger ou de France ?

M. Gilles Varachaux . - Les Roumains ont vendu ce qu'on leur avait acheté. Quand on veut savoir, on pose des questions, on contrôle sur place. Je n'achète rien dans les pays baltes ; la Grande-Bretagne et la Hollande ont mauvaise réputation, la première à cause de la crise de la vache folle et la deuxième parce qu'elle est un pays de passage. Je fais beaucoup de commerce avec l'Irlande où les prix sont beaucoup plus bas que ceux pratiqués en France.

Une fois la marchandise stockée, nous procédons à des prélèvements après avoir placé des échantillons une nuit en salle chaude...

Un technicien de la viande vérifie les pièces. Lorsque le pourcentage de matière grasse n'est pas conforme, ou que la viande contient des corps étrangers comme les os, nous en faisons la remarque aux fournisseurs pour éviter que cela ne se reproduise. A la suite de quoi, on procède aux prélèvements bactériologiques. Avant de connaître leur résultat, la matière première est bloquée par défaut. Le système qualité, et lui seul, libère la matière première pour la production ; je n'ai pas mon mot à dire même s'il y a une forte pression de côté de la production.

La période actuelle est compliquée car la matière première est moins abondante et, après la crise de la viande de cheval, on assiste à une ruée sur la viande bovine française (VBF).

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Combien d'entreprises travaillent selon vos méthodes ? et avez-vous des fournisseurs attitrés ?

M. Gilles Varachaux . - Je suis le client fidèle de fournisseurs qui n'ont jamais eu leur photo dans la presse ! Acheter de la viande à l'étranger implique de recourir à des intermédiaires. Inutile, cependant, de les multiplier : un suffit.

Mme Anne Emery-Dumas . - Quelles sont vos procédures pour identifier vos fournisseurs ?

M. Gilles Varachaux . - Nous traitons plutôt avec les petits fournisseurs car mieux vaut un camion par mois si la marchandise est bonne et correspond à notre cahier des charges. Avant de faire affaire, nous demandons un échantillon de 5 tonnes ; nous effectuons un déplacement chez le fournisseur et, à la réception de la marchandise, nous attribuons une note. Lorsqu'un problème survient, nous déclenchons un audit et nous demandons des améliorations. Par exemple, lorsque nous avons réalisé la traçabilité de nos 7 000 tonnes de produits, certains ont tardé à nous répondre. Nous leur avons demandé des explications.

M. René Beaumont . - Prenons la malfaçon sur la viande de boeuf, remplacée par du cheval : lorsque l'étiquette est modifiée, vous n'avez aucune chance de vous en apercevoir ?

M. Gilles Varachaux. - Il s'agissait d'une fraude massive, la marchandise arrivait en France par camions entiers. Qu'un industriel de la viande ne sache pas distinguer du boeuf et du cheval, je ne peux y croire...

M. René Beaumont . - Difficile de distinguer quoi que ce soit quand on est face à du minerai, c'est-à-dire de la viande hachée mélangée avec un certain pourcentage de graisse.

M. Gilles Varachaux . - Pour moi, le terme de minerai ne veut rien dire et je n'achète pas de viande hachée. Je compose les mélanges avec de la poitrine, du gras... Pardon, mais la viande de cheval, cela se détecte à température.

M. René Beaumont . - Vous transformez la matière première, en somme. Jusqu'à en faire des steaks hachés ?

M. Gilles Varachaux . - Nous vendons des produits pour fabriquer les raviolis, la bolognaise, les lasagnes ou les pizzas... Nous vendons des produits surgelés IQF ( individual quick frozen ), crus ou cuits aux industriels. En réalité, nous faisons de la recherche et développement pour les entreprises de transformation. A chaque fois, nous nous adaptons à la demande, ce qui est beaucoup plus facile pour une PME que pour une grosse entreprise comme Nestlé où il faut un mois et demi pour prendre la décision d'envisager une nouvelle recette.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Puisque vous transformez de la viande de toutes origines, vous devez sans doute vous servir de viande abattue de manière rituelle. Dans quelles proportions ?

M. Gilles Varachaux . - Il s'agit d'un marché minime, captif. Il y a peu de demande. Tout est question de débouchés. Prenez la viande de cheval : il existe 11 000 tonnes de stock et on ne sait qu'en faire ; ça ne s'utilise pas dans la pet food ou le corned beef . Même si on en a trouvé dans le corned beef ...

Nous travaillons à la demande du client pour le marché du halal et en petites quantités, pas plus de 20 ou 25 tonnes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Et pour le reste, connaissez-vous le mode d'abattage utilisé ?

M. Gilles Varachaux . - La question ne se pose pas. Pour la volaille, les abattoirs ont tout intérêt à produire en mode halal.

M. René Beaumont . - De toute façon, on ne pourra pas mentionner le mode d'abattage sur l'étiquette, ce serait de la discrimination négative.

M. Gilles Varachaux . - Pour l'instant, en tout cas, la question est strictement économique. A chaque fois qu'on a demandé une attestation, parce qu'un client nous l'avait demandée, on nous a certifié que la marchandise était 100 % halal pour le poulet. Économiquement, les abatteurs ont intérêt à ce que toute leur production soit effectuée en mode rituel, car c'est plus simple à gérer.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Auditionner un professionnel nous change, merci de votre franchise ! Après le scandale Spangharo, notre souci est de rechercher les responsabilités, non pour nous transformer en procureurs, mais pour savoir où il faut mettre l'accent dans la chaîne pour améliorer les choses. Faut-il viser les traders ? Mon sentiment est le suivant : de petite permissivité en petite permissivité, on a abouti à de grosses irrégularités. En amont, certains fournisseurs, pour dire les choses poliment, ont vraiment manqué de professionnalisme.

M. Gilles Varachaux . - La liste des entreprises épinglées dans le scandale de la viande de cheval ressemble étrangement à celle des sociétés qui ont été placées sous le feu des projecteurs lors de la crise de la vache folle. Nous vivons dans un autre monde que Spangharo. Cette entreprise a un historique, elle fonctionne selon les anciennes méthodes.

Je vais vous raconter mon histoire. Mon père était tripier, il a revendu son entreprise aux frères Blanc ; il est mort à 60 ans d'une rupture d'anévrisme sur une piste de ski. J'ai dû prendre son relais du jour au lendemain. Cuisinier, je ne connaissais rien au monde de la viande. En arrivant, j'ai essayé de comprendre à quoi ressemblait une vache. La traçabilité, nous l'avons mise en place très tôt si bien que, durant la crise de la vache folle, nous avons eu besoin de poser une seule question : la viande provient-elle, oui ou non, d'Angleterre ? Nous refusons de la viande non conforme depuis 2003-2004.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Vous qui avez fait le choix de la qualité, vous avez tout intérêt à la transparence en bout de chaîne. La mention des origines sur l'étiquetage rassurera le consommateur. Qu'en pensez-vous ?

M. Gilles Varachaux . - Tout dépend de ce qui est mentionné. Trois pays d'origine au plus pour la viande bovine européenne, pourquoi pas ? En revanche, si on spécifie qu'il s'agit de « vache de réforme » ou de « race à viande », on va dégoûter le consommateur. Le kilo labellisé VBF coûte un euro de plus, le calcul n'est pas compliqué. Qu'est-ce cela change de mettre du filet de boeuf ou du minerai dans un ravioli ? D'ailleurs, un de mes clients, qui n'utilise que de la viande française pour ses raviolis, s'est retrouvé seul sur les linéaires après la crise Spangharo ; il a tout de même accusé une baisse de 15 % de ses ventes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La traçabilité rassure le consommateur.

M. Gilles Varachaux. - La viande de cheval substituée à du boeuf, une autre affaire qui a démontré au consommateur que certains industriels ne savaient pas ce qu'ils mettaient dans leurs produits. Il s'agit d'une fraude et les fraudeurs représentent une minorité. Je note cependant que le trader hollandais impliqué dans la crise poursuit ses activités... Ce type de crise a un aspect positif : les progrès sont ensuite spectaculaires - on a beaucoup avancé sur la traçabilité depuis la crise de la vache folle.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Que faire pour rassurer les gens et augmenter la consommation ?

M. Gilles Varachaux. - Findus, Tavola, Comigel, sont des entreprises spécialisées dans le plat cuisiné. Ils se sont mis à acheter de la viande. Ce n'est pas leur métier. Me demande-t-on, à moi, de fabriquer des plats cuisinés ?

M. René Beaumont . - Vous défendez votre créneau...

M. Gilles Varachaux. - Nous sommes une entreprise tampon entre les professionnels de la viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quels sont clients ?

M. Gilles Varachaux. - Fleury-Michon, Nestlé, Raynal-Roquelaure...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Findus ?

M. Gilles Varachaux . - Un temps, oui, mais ensuite ils ont trop baissé leurs prix d'achat et j'ai arrêté de travailler avec eux. Savez-vous qu'aujourd'hui, une boîte de raviolis coûte moins cher que de la nourriture pour animaux ou qu'une conserve de haricots verts ? Certaines enseignes exigent des prix trop bas. Je peux refuser des contrats parce que j'ai une clientèle variée, ce serait différent si un client représentait 60 % de mon carnet de commandes.

M. Jean-Jacques Lasserre . - La viande ovine anglaise traitée mécaniquement, pourtant interdite de commercialisation depuis des années, se retrouve chaque année sur le marché français. Comment l'expliquer ?

M. Gilles Varachaux . - A cause de son prix bas.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Elle est interdite à la vente !

M. Gilles Varachaux . - Soit, cela n'empêche pas de l'utiliser pour confectionner des merguez. La technique consiste à ne pas effectuer de contrôle, sachant très bien quels seraient leurs résultats.

M. Jean-Jacques Lasserre . - C'est à désespérer !

M. Gilles Varachaux . - Même chose pour la viande de cheval ! Les industriels n'ont plus des techniciens de la viande, ils ont perdu la connaissance du produit. D'où les tests ADN, qui sont inutiles quand le contrôle est sérieux, et qui coûtent très cher. Ce qui est sûr, c'est que l'industriel qui utilise du cheval évitera les prélèvements. Dans mon entreprise, nous réalisons des prélèvements sur des mélanges de viande provenant de différents fournisseurs. En cas d'anomalie, nous remontons la piste.

M. Gérard Bailly . - Le circuit de la viande entre les abattoirs et les différentes capitales européennes s'est incroyablement complexifié. Que de passages de main ! Or plus on multiplie les intermédiaires, plus on augmente les chances de malversations. La parade n'est-elle pas le circuit court ? En France, on lave plus blanc que blanc depuis la crise de la vache folle : la cervelle part à l'équarrissage quand d'autres, en Europe, l'utilisent. Cela pose question...

M. Gilles Varachaux . - Quand nous faisons affaire en Roumanie ou en Pologne, nous passons par un seul intermédiaire... Nous nous déterminons à partir de la traçabilité du site, qu'il nous fournit ; puis nous nous mettons directement en relation avec l'entreprise pour l'auditer et faire une visite sur place. Pour la viande de cheval, quatre ou cinq intermédiaires étaient impliqués, si je me souviens bien.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Toutefois, la viande n'a pas voyagé, elle est restée dans un hangar.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Elle a été transportée depuis la Roumanie jusqu'à Toulouse.

M. Gilles Varachaux . - Elle a transité auparavant par les Pays-Bas.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette multiplication des intermédiaires augmente mécaniquement les coûts. Quel est l'intérêt ?

M. Gilles Varachaux . - L'industriel achète sa viande - du muscle mélangé à 10 ou 15 % de matière grasse - au prix de 2,50 euros le kilo, il la revend 3,50 euros. Faites le calcul : pour 500 tonnes, cela donne un chiffre d'affaires de 500 000 euros. Lorsque j'achète de la viande en Pologne ou en Irlande, je la fais venir directement à Wissous, dans mon entrepôt, et je procède à des vérifications sur place avant de me lancer dans la transaction.

Mme Bernadette Bourzai . - Vous vous situez donc entre producteurs et transformateurs. Quel service offrez-vous ?

M. Gilles Varachaux. - Je standardise un produit brut pour le transformer en une matière facile à travailler. A partir d'un pain de viande de 25 kilos, je propose de la viande hachée facilement dosable en assurant à mes clients la qualité et le contrôle, la tranquillité d'esprit en résumé.

Mme Bernadette Bourzai . - Vous offrez une prestation de service dans une filière qui n'est pas réputée pour sa bonne santé. Les marges y sont faibles. Votre entreprise est-elle prospère ?

M. Gilles Varachaux . - Le marché reste difficile pour toutes les entreprises.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis une mangeuse de viande sourcilleuse sur la qualité. J'aimerais en savoir davantage sur l'origine des produits, avoir à disposition un étiquetage plus précis.

M. Gilles Varachaux . - C'est un peu difficile quand la grande distribution possède son propre réseau pour la viande et qu'un industriel occupe 55 % du marché.

Faire du tout VBF est une mauvaise idée, parce que les volumes ne sont pas suffisants et parce que le prix est trop cher. Il est préférable de promouvoir un étiquetage viande bovine européenne (VBE).

M. Gérard César . - La viande bovine européenne, cela ne veut rien dire ! Une viande qui provient de 27 pays ?

M. Gilles Varachaux . - Nous sommes passés d'une Europe des vingt-sept à une Europe à quinze. Nous ne travaillons plus avec les Anglais alors que nous leur avons payé un nouveau bétail après la crise de la vache folle et que leurs bêtes sont en pleine forme. Les pays baltes utilisent des méthodes qui ne me conviennent pas. Déjà, si la législation était identique partout en Europe, nous aurions fait un grand pas.

M. Gérard Bailly . - Pour la VBF, est-ce d'abord un problème de prix ?

M. Gilles Varachaux . - Non, de volume. Je ne trouve pas les quantités ! Le groupe Bigard utilise l'essentiel de sa matière en interne ; et les producteurs ont intérêt à exporter des carcasses entières vers la Turquie ou le Liban. Pourquoi garderaient-ils leur viande pour un industriel français ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Un étiquetage souple valoriserait la viande française ; on y indiquerait l'origine du produit, le mode d'abattage et ainsi de suite. Pourquoi refuser de mettre en avant la qualité quand c'est la marque de fabrique de votre entreprise ?

M. Gilles Varachaux . - Si je pouvais utiliser uniquement de la VBF, je le ferais, mais trois industriels détiennent 70 % du marché de la viande, détériorant mes conditions de prix.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Certes, à tout vouloir centraliser, des erreurs ont été commises. Les circuits courts, par exemple, supposent l'existence d'abattoirs de proximité.

M. Gilles Varachaux . - On manque de volume en France. Cependant, dans ma viande Union européenne, il entre jusqu'à 60  % de viande française, on le constate quand on compile les documents de traçabilité.

M. Gérard Bailly . - Si vous n'utilisiez que du français, quelle serait l'incidence sur le prix du produit fini ?

M. Gilles Varachaux . - Une augmentation de 60 centimes au kilo environ. Et cela irait de manière croissante, car plus la demande augmentera, plus les prix grimperont.

M. Gérard Bailly . - Vous fournissez-vous en Amérique du Sud ?

M. Gilles Varachaux . - Parfois. Si le prix de la viande française continue d'augmenter, l'Amérique du Sud deviendra concurrentielle.

M. Gérard Bailly . - Et pourtant, en dépit de l'augmentation des prix, les éleveurs du Massif central, que je connais bien, ont du mal à gagner leur vie.

M. Gilles Varachaux . - Tout est question de répartition, et c'est bien pourquoi il faut leur permettre d'exporter des bêtes vivantes. Reste que l'industriel se détermine par le prix.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Et les échanges européens ?

M. Gilles Varachaux . - Les Italiens ne sont pas éleveurs : ils transforment une matière venue de l'Europe entière. C'est pourquoi toute la déclinaison de l'étiquetage compte : né, élevé, abattu. Ce n'est pas parce qu'une viande est transformée en Italie qu'elle est italienne.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci de ces éclairages.

Audition de M. Gilles Huttepain, président et de Mme Véronique Eglosi, déléguée générale de la Fédération des industries avicoles (FIA) (jeudi 4 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Production, abattage, transformation : nous attendons vos éclairages sur toutes ces étapes de la filière avicole.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Nous avons souhaité entendre les représentants de toutes les filières de la viande. Les crises ont touché essentiellement la viande bovine. La filière avicole a-t-elle profité de cette crise ? Ou êtes-vous en grande difficulté comme on l'entend dire ? Quelles orientations pourrions-nous suivre pour améliorer votre situation et encourager le consommateur à manger de la volaille ?

M. Gilles Huttepain, président de la FIA . - Merci de votre invitation, qui est une première, au Sénat, pour la FIA. Sans verser dans le catastrophisme, je veux vous alerter, car nous vivons un moment extrêmement grave. La détérioration a des raisons économiques, mais tient aussi aux erreurs politiques commises depuis quinze ans. Je rappelle qu'avec un chiffre d'affaire de 6,17 milliards d'euros, la filière avicole emploie en France 25 000 salariés. Mais alors que nous produisions 2,25 millions de tonnes de volailles en 2000, nous n'en sommes plus, en 2012, qu'à 1,75 million. Alors que la volaille française était leader, la chute s'accélère : nous avons reculé, en Europe, du deuxième rang en 1996 au troisième rang en 2008 et nous sommes en passe d'être relégués au quatrième. Nous perdons du terrain sur tous les marchés. Nous étions restés leaders sur la dinde entre 2001 et 2007, nous sommes désormais rattrapés par la Pologne.

Ce sont les importations qui absorbent l'augmentation de la consommation : nous importions 15 % de notre consommation en 2000-2001, 45 % aujourd'hui. Au niveau européen, la France et faible comparée aux Allemands ou aux Italiens. La DGCCRF ne nous facilite pas la tâche.

Nos organisations professionnelles sont plutôt bien représentées ; nous avons des atouts dans notre palette : le canard, le frais, le surgelé, le bio... Mais je dois dire que sur le bio et le label rouge, certaines décisions politiques n'ont pas été très éclairées.

Notre force réside dans la diversité de nos productions. A la différence des autres filières, tout est contractualisé. Quand un producteur met en place un lot de poulet, il sait à quel prix on va le reprendre. Le fait est que tout le monde en revient aujourd'hui à la logique des grandes coopératives, qui exige sans doute, en contrepoint, que les éleveurs aient leur mot à dire.

Je remarque que la volaille est le rayon qui rapporte le plus à la grande distribution.

Quels sont nos points faibles ? La taille des élevages, beaucoup plus petits que chez nos voisins. Des années durant, on a vanté les mérites de la petite taille ; pendant ce temps, les Allemands, pour reconquérir leurs marchés, se sont agrandis, en s'appuyant sur une politique offensive.

En l'espace de quelques années, le coût de l'alimentation pour animaux a augmenté de 33 %. Cela s'est répercuté sur les prix de vente de la volaille. La rentabilité des entreprises s'est effondrée. Notre capacité d'autofinancement est à zéro. Bien des entreprises sont en crise. Doux a fait la une, mais n'oublions pas Volaven, Volvico, et les petits abattoirs de moins de 50 salariés, qui disparaissent les uns après les autres plus discrètement. Au final, nous importons d'Allemagne, de Belgique, de Hollande. L'Allemagne a mené, depuis les années quatre-vingt dix, une politique très offensive. Après la chute du mur de Berlin, l'Allemagne a obtenu un différentiel de TVA pour les petits élevages allemands, au-dessous de 50 000 poulets. Dans ceux-ci, les éleveurs achètent leur alimentation grevée d'un taux de 7,5 %, et revendent la volaille grevée d'un taux de 9,2 %. Le nombre des exploitations s'est par la suite multiplié, car les grandes exploitations se sont scindées en diverses petites sociétés civiles agricoles de moins de 50 000 volailles... Par ailleurs, le chancelier Kohl a été très malin. Il a mis un ministre écologiste à l'Agriculture, dans les années 1999-2000. Tous les moyens ont été mis sur les énergies vertes. Avec la méthanisation, avec les panneaux solaires sur les bâtiments agricoles, l'énergie a bientôt représenté 35  % du revenu des éleveurs. Que faisions-nous pendant ce temps ? Nous réclamions des aides à l'Europe. Et je veux remercier ici Stéphane Le Foll d'avoir enfin décidé de nous engager dans la méthanisation.

Le troisième avantage comparatif pour l'Allemagne concerne les effets sur le coût de la main d'oeuvre. Certes, la directive Bolkestein est sensée nous protéger, puisque le fameux plombier polonais doit être rémunéré au salaire minimum, mais en Allemagne, il n'y a pas de salaire minimum... Dans ce cas, on prend comme référence le salaire du pays d'origine.

Les Allemands ont profité de ce dispositif. Sur le porc, l'Allemagne n'était autosuffisante qu'à 60 % en 2000. Elle l'est à 109 % en 2010.

La crise est aussi venue des variations de prix sur les matières premières, à partir des années 2007-2008. On a accusé la spéculation sur les cours, mais l'explication reste insuffisante. Qu'il me suffise de citer quelques chiffres. En 1950, on comptait 3 milliards d'hommes sur la planète et 1,5 milliard d'hectares exploitables ; en 2006, 6 milliards d'hommes, 1,6 milliard d'hectares ; en 2050, nous serons 9 milliards, pour 1,65 milliard d'hectares exploitables. Autant dire que le prix des matières premières ne baissera pas et il y aura de plus en plus de variations. Il faut par ailleurs savoir que la Chine, avec 20 % de la population mondiale, ne rassemble pas plus de 10 % des terres cultivables. Pour l'achat de matières premières, c'est le monde entier qui est leur marché.

M. Gérard César . - Ce qui explique leurs achats de terres en Afrique.

M. Gilles Huttepain . - C'est pour eux une nécessité. En France, on a poussé à produire du blé. Mais on s'est tourné vers le blé meunier plutôt que vers le blé fourrager, à la différence de nos voisins, dont les éleveurs, grâce à cette production nationale, gagnent en compétitivité.

Si cela continue ainsi, on n'aura plus d'élevages, plus d'industrie volaillère, plus de porc, et l'on décapitalisera peu à peu. La solution ? Il ne faut pas l'attendre de Bruxelles, il n'y a plus d'argent. Ce qu'il nous faudrait, c'est un grand plan à la de Gaulle, un New Deal sur l'élevage français.

Dans la Sarthe, 120 agriculteurs demandent une conversion d'activité, et on les comprend : labourer un hectare de blé demande trois heures de travail, 600 heures pour 200 hectares. Et la marge n'est pas la même... Les éleveurs coulent, et la grande distribution s'en lave les mains. Je ne comprends pas !

Il faut commencer par pousser la production de blé fourrager, avec des aides spécifiques à l'hectare fourrager. Sans quoi nos élevages sont voués à disparaître, tandis que se multiplieront les problèmes d'aménagement du territoire, et d'emploi. On parle beaucoup de l'industrie. Peugeot à Aulnay, ou Renault, font la une des journaux mais les volaillers vont perdre 6 000 emploi sous deux ans.

Mme Véronique Elgosi, déléguée générale de la FIA. - Le risque, c'est la perte de notre autosuffisance alimentaire. Nous suivons aujourd'hui le produit de la fourche à la fourchette. Comment jugera-t-on, demain, de la qualité de ce qui sort des cales d'un navire si nous ne contrôlons plus la production ? L'Europe a fait des choix guidés par des considérations sociétales, fort bien, mais quand il faudra tout importer, demain, il n'y aura plus de choix possible.

M. Gérard César . - Dans la lettre que vous avez envoyée aux parlementaires, vous soulignez que 45 % de la volaille que nous consommons est importée.

M. Gilles Huttepain . - Il faut se demander qui importe. La grande distribution ne compte que pour 10 à 15 %. Les plus gros importateurs sont les collectivités locales. Des accords ont été passés pour que les enfants consomment du bio deux fois par mois. Ainsi, les gestionnaires vont se fournir à l'import. Pourquoi ne pas remplacer le bio par du label rouge, moins cher et qui présente les mêmes garanties ? Si on ne peut pas mettre 7 centimes dans la qualité, où va-t-on !

J'ai aussi du mal à comprendre pourquoi on ne peut étiqueter l'origine française des volailles. On nous objecte que l'Union européenne l'interdit. Mais que l'on aille donc au contentieux, et l'on verra ! J'ai vu le commissaire Ciolos et son équipe la semaine dernière, et je lui ai dit que les règles du libre échange, c'était bien beau, mais que la machine allait casser. Pour l'énergie, on n'a que le mot indépendance à la bouche ! Il faut assurer notre indépendance, et l'on se tourne vers les énergies renouvelables. On devrait se soucier de la même manière de l'indépendance alimentaire.

M. Gérard Bailly . - Je partage votre point de vue. Comme président du groupe élevage, je ne cesse d'alerter sur l'avenir de la filière. Je regrette qu'en dépit du Grenelle de l'environnement, l'opinion publique ne soit pas mieux alertée. Que font les médias ? Ils vantent le bio à pleines pages. Il faut changer de méthode. Dans mon département, on ne peut pas créer un poulailler sans que des opposants montent au créneau. Et ceux qui crient le plus fort rentrent ensuite chez eux manger du poulet sud-américain. Quant à créer une porcherie, n'en parlons pas ! Si on continue comme ça, on sera condamnés à importer. Au motif de protéger l'environnement, on ne pourrait plus rien faire ? Il est temps d'alerter l'opinion publique sur la sécurité alimentaire.

On ne peut pas se contenter d'avoir de jolis arbres, des petits crapauds et de mignonnes grenouilles !

M. Gilles Huttepain . - Je connais le problème dans la Sarthe. Pendant les campagnes électorales, une candidate a soutenu une association contre l'agrandissement d'un poulailler. Ce qui ne l'a pas empêchée, une fois élue, de venir inaugurer l'une de nos usines. Quand je lui expose le problème, elle me répond qu'il faut bien tenir compte des sensibilités ! Ce qu'il faut, plutôt, c'est du courage politique. Je ne critique pas l'action de Stéphane Le Foll, je lui dis même « Chapeau ! ». Parce qu'il devient très compliqué d'avancer. On a pris un tel retard ! En Allemagne, en Hollande, en Belgique, la taille moyenne des exploitations, c'est 80 000 à 100 000 poulets.

Je ne dis pas que l'on n'a pas progressé. On a bien travaillé, avec la direction générale de l'alimentation (DGAL), sur le bien être animal, sans perdre en compétitivité - une avancée très positive dont on n'a pas assez parlé. On a enfin obtenu l'autorisation d'utiliser des camions de 44 tonnes. Comment lutter avec nos voisins, quand le tonnage maximum autorisé sur la route restait à 39 ! Les choses bougent, mais on ne peut se satisfaire de mesurettes : il faut une prise de conscience nationale. Nous n'aurons d'agroalimentaire fort qu'avec une agriculture forte. Sans paysans, plus de filière.

Face aux projets de construction d'élevage, dès qu'il y a une réaction, une protestation d'associations, les pouvoirs publics sont paralysés. Peut-être faudrait-il réformer les procédures devant les tribunaux administratifs. Et alléger les normes, comme dit le Président de la République. On reste aujourd'hui sur l'idée que tout ce qui est grand est mauvais, et que tout ce qui est petit est bon. Mais a-t-on conscience que pour amortir une plate forme de compostage, il faut 4 000 à 5 000 mètres carrés ! Le séchage du lisier supprimerait pourtant le problème des algues vertes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Il semble que l'on ait tendance, en France, à durcir la réglementation, par rapport aux exigences européennes. Vous semble-t-il que nos normes environnementales sont plus sévères qu'ailleurs ?

M. Gilles Huttepain . - Les unes et les autres se valent. Tout dépend beaucoup, surtout, de leur application sur le terrain par l'administration. La vitesse de traitement des dossiers fait aussi la différence. Les seules études d'impact, je le rappelle, coûtent 40 000 à 50 000 euros.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est un vrai problème.

M. Gilles Huttepain . - Les éleveurs manifestent parce qu'on baisse momentanément leurs marges. C'est le jeu de la contractualisation... Mais le système doit rester gagnant-gagnant. Or, les frictions ne manquent pas avec la DGCCRF. Parce que la viande de blanquette - les avants hachés à la machine, qui servent, par exemple, à faire les nuggets - est fibreuse, les fonctionnaires croient avoir affaire à de la viande séparée mécaniquement (VSM), qui provient d'un broyage des carcasses. Une lettre a été envoyée à Bruxelles, une enquête est diligentée, moyennant quoi le ministre bloque le dossier tant que la question de la nature de la blanquette n'est pas tranchée.

Mme Véronique Elgosi . - La VSM n'a pas droit à l'appellation de viande.

M. Gilles Huttepain . - L'entreprise Spanghero a eu des problèmes avec de la VSM de mouton. Sur notre viande de blanquette, la frilosité des fonctionnaires français a amené un vrai blocage. On a arrêté les frais. On envoie tout en Belgique, qui hache, et qui renvoie. A l'année : 40 à 50 millions de perte de PIB, et combien d'emplois en moins ! Stéphane Le Foll nous a assuré qu'il chercherait une solution. Pour commencer, nous faisons de la pédagogie : nous avons emmené des responsables sur le terrain.

Je voudrais évoquer la grippe aviaire de 2006. Elle n'était pas en France, ni en Europe, mais en Chine, je le rappelle ! Ce qui n'a pas empêché le Premier ministre de l'époque d'en parler bruyamment, et de se vanter d'avoir fait distribuer trois millions de masques. Du jour au lendemain, plus personne ne consommait de volaille. Le Président de la République et le Premier ministre ont même été jusqu'à interdire l'exposition d'un certain nombre de volatiles au salon de l'agriculture, avant de se rendre compte de leur bourde et de manger du poulet à tous les stands pendant leur visite, pour faire contrefeu. Peine perdue ; la consommation a baissé de 55 %.

Les volaillers font ce qu'ils peuvent pour se défendre, en décidant d'un prix minimum ; mais ils n'en ont pas le droit ! Quel est le point commun entre un ferrailleur, un abatteur de porc, un abatteur de volaille ? Ils font tous du démontage. Les autres entreprises de l'agro-alimentaire font de l'assemblage, leurs préoccupations ne sont pas les mêmes. Je l'ai dit à Stéphane Le Foll : pour cinq ou six produits ultra frais, un prix minimum se justifierait.

On a voulu appliquer strictement le droit de la concurrence, mais pour finir, celui-ci bloque le système. Et même les leaders français sur le marché de la viande comme Socopa ou LDC sont des nains à côté des géants du marché européen. Le groupe Two Sisters réalise 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, mais le premier européen, un groupe hollandais, en fait 9 ! Si bien que le leader en France, ce n'est plus LDC, c'est l'import. Regroupons nos entreprises, telle est notre préconisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - On importe vivant ou mort ?

M. Gilles Huttepain . - Mort, et découpé.

Mme Véronique Elgosi . - Y compris du Brésil ou de Thaïlande, pour les cantines.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Comment s'assurer de la qualité ? Quelle traçabilité ?

M. Gilles Huttepain . - Depuis la grippe, la Thaïlande ne vend plus cru, mais cuit : 500 000 tonnes exportés en Europe. En France, on importe des pains de jambons, que l'on tranche sur place, ce qui autorise à prétendre qu'il est « transformé en France ». Ce n'est pas cela, produire en France !

C'est pourquoi nous nous battons aussi sur l'identification sur tout les segments : le cru, le cuit, l'élaboré. Carrefour a joué le jeu un temps, en proposant des filets de poulet français, mais ils ont arrêté depuis deux ans. Tous les industriels ne sont pas tous sur la même longueur d'onde. A la FIA, nous sommes pour l'identification de l'origine, mais la FNICGV et l'Ania sont contre. Cela étant, le scandale de la viande de cheval a provoqué une prise de conscience. Findus n'a pas été seul à devoir retirer des barquettes. Leclerc et Carrefour l'ont fait aussi, discrètement... Etiquetons donc ! Bruxelles s'y oppose ? Allons au conflit avec Bruxelles, et on verra !

En Angleterre, des stands entiers sont étiquetés « buy British », et cela marche très bien. Même chose en Allemagne, où l'étiquette « né et élevé en Allemagne » fait fureur. Il va bien falloir cesser, en France, d'être naïfs. Savez-vous qu'aux États-Unis, aucune volaille étrangère n'entre sur le territoire ? Et que la Russie impose de telles contraintes pour agréer nos abattoirs qu'on n'y exporte plus rien ?

Je veux bien que l'on se trouve dans un monde ouvert, mais la France ne vivra pas que de services ou d'Airbus.

M. Gérard César . - Qui pourrait vous aider à lancer une campagne de communication ?

M. Gilles Huttepain . - L'Europe l'interdit !

Mme Véronique Elgosi. - FranceAgriMer ne subventionne que les labels ou les indications géographiques protégées.

Nous avons lancé une campagne télévision de 12 secondes. C'est une campagne très modeste. Trois spots télévision, sans acteurs. Elle coûte 800 000 euros, et est financée par les interprofessions.

M. Gérard Bailly . - Il pourrait être utile, madame la présidente, de prévoir une séance de questions cribles sur l'avenir de l'élevage en France. Quand nous nous saisissons d'un problème, les médias réagissent. C'est un moyen de sensibiliser l'opinion. La France a une image de qualité, et je puis en parler, car je suis du Jura, où l'on produit le Comté. Mais on ne nourrira pas la planète avec les seules appellations.

M. Gilles Huttepain . - Si demain toute la France se convertissait au bio, on ne nourrirait plus que la moitié des Français.

Le syndicalisme agricole est divisé entre les céréaliers et les éleveurs. Et ce sont les premiers qui ont le dessus. De plus en plus de monde passe à la culture céréalière, sans comprendre que c'est renoncer à la valeur ajoutée et à l'emploi.

Dans l'affaire Doux, on n'a pas joué le jeu. Cela fait quatre ans que la Commission européenne annonce la fin des restitutions. Mais toute la presse s'est emparée de l'affaire. Doux, Tilly-Sabco percevaient effectivement des restitutions... parce que nous n'avons pas d'organisation commune de marché (OCM) en Europe pour la volaille comme il en existe pour le porc ou les bovins. Les restitutions diminuent et le système est au bord de l'explosion. Doux est en redressement judiciaire. Quel sera l'avenir si les restitutions disparaissent ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - C'est annoncé depuis 2004.

M. Gilles Huttepain . - Mais aucun relais n'est prévu. On va voir arriver 800 000 mètres carrés de poulailler sur le marché. Ils ne resteront pas vides longtemps, si bien que les cours chuteront. Pour Doux, des opérateurs français se sont manifestés, mais si l'entreprise disparaît, ce sera un vrai problème, y compris pour l'export. Toute la filière a intérêt à la survie de Doux. Les éleveurs allemands n'ont pas les mêmes problèmes que nous, je l'ai dit : la méthanisation assure 30  % de leur revenu, le différentiel de TVA 15 %.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous nous avez dit que 55 % de la production de poulet est française : né, élevé, abattu, transformé en France. Que devient le cinquième quartier - les carcasses, les plumes ?

M. Gilles Huttepain. - Il reste de moins en moins en France. La Chine offre un marché. Les pattes blanches du poulet s'y vendent plus cher que les cuisses. Les plumes entrent dans la composition des farines animales. Ce qui m'amène à la question des protéines animales transformées (PAT), soit les farines de nouvelle génération, car on a modifié la production. On continue d'en interdire l'usage dans l'alimentation des volailles, ou des porcs, en oubliant que ces derniers sont des monogastriques, à la différence des bovins. Pendant ce temps, on détruit les forêts de Malaisie pour y planter des palmeraies, dont on exporte l'huile vers nos élevages, on détruit la forêt amazonienne pour nourrir notre cheptel de soja, et on ne se rend même pas compte que les filets de poulets que l'on importe du Brésil ou de Thaïlande viennent de bêtes nourries à la farine de viande ! Il faut le dire clairement : les farines animales ne sont dangereuses que chez les ruminants et les ovins. Il n'en va pas de même pour les volailles et les porcs. Et ces farines n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles étaient dans le passé, ce n'est plus le même produit.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci de nous avoir apporté ces éclairages.

Audition de MM. Jean-Louis Gérard, sous-directeur des produits alimentaires, Didier Gautier, directeur du service national d'enquête, Hugo Hanne, chef du bureau de la veille économique et des prix, Mme Geneviève Morhange, adjointe au chef de bureau et Mme Odile Cluzel, chef du bureau du commerce et des relations commerciales à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (mercredi 10 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui joue un rôle majeur pour la protection du consommateur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Suite au scandale de la découverte de viande de cheval dans des lasagnes étiquetées comme contenant de la viande de boeuf, le ministre chargé de la consommation, M. Benoît Hamon, a déclaré que les filières viandes seraient placées sous surveillance renforcée pour l'année 2013, ce qui suppose des contrôles accrus de la part de vos services. Selon M. Pierre Georget, spécialiste de la traçabilité, les contrôles de l'administration sont cependant relativement rares. Ils n'interviennent que tous les deux ou trois ans ou ponctuellement sur alerte, ce qui ne permet pas d'assurer que le système de qualité et de traçabilité est au point.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre mission de contrôle ? Pourquoi les contrôles de l'administration sont-ils si peu nombreux ? Dans quelle mesure le système repose-t-il sur les autocontrôles réalisés par les industriels ? Pensez-vous que ces autocontrôles soient suffisants ? Disposez-vous de moyens humains et financiers adaptés pour mener à bien votre mission ? Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses du système de traçabilité ?

M. Jean-Louis Gérard, sous-directeur des produits alimentaires et des marchés agricoles et alimentaires . - C'est à un double titre que nous sommes invités à nous exprimer devant cette mission d'information : nous souhaitons vous présenter à la fois les missions de la DGCCRF et l'activité de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. C'est pourquoi j'ai proposé à M. Hugo Hanne, qui représente la DGCCRF auprès de cet observatoire, de se joindre à nous aujourd'hui.

Les contrôles que nous effectuons chaque année sont extrêmement variés. Ils portent à la fois sur la sécurité des produits alimentaires, sur leur qualité, sur des questions économiques et plus spécifiquement sur le respect du droit de la concurrence. Les contrôles en lien avec la sécurité concernent notamment les additifs, les arômes ou encore l'hygiène. Nous nous intéressons également de très près à la loyauté des transactions et nous recherchons s'il existe des fraudes dans les relations commerciales. Lorsque nous faisons des contrôles dans le secteur plus spécifique de la filière viande, nous nous intéressons particulièrement aux allégations portées sur les produits et leur emballage, à leur étiquetage, à leur traçabilité, à leur composition, au respect des usages et des cahiers des charges.

Pour mener à bien ces contrôles, nous pouvons nous appuyer sur plusieurs structures. Nous disposons tout d'abord d'un Service national des enquêtes (SNE), dont le chef, M. Didier Gautier, est aujourd'hui à mes côtés. Les brigades interrégionales d'enquêtes de concurrence, ensuite, s'intéressent principalement aux questions économiques. Nous avons enfin des directions départementales de la protection des populations (DDPP), qui comprennent à la fois des agents relevant du ministère de l'agriculture et des agents relevant de la DGCCRF.

Le SNE travaille en partie sur la base de plans annuels. Il établit ainsi un plan annuel de contrôle de la loyauté des transactions en abattoir, en application duquel il examine l'aspect économique de ces transactions dans la perspective d'assurer une rémunération équitable aux apporteurs, éleveurs comme marchands de bestiaux. Le SNE contrôle également la qualité du traitement des carcasses ou encore le classement des carcasses en fonction des critères communautaires - contrôle de la pesée, marquage des carcasses... En 2012, le SNE a ainsi effectué 139 contrôles dans 120 abattoirs différents, l'objectif étant que l'ensemble des abattoirs soient contrôlés sur une période de trois ans. Des procédures contentieuses sont engagées à chaque fois que des manquements sont constatés. Pour l'année 2012, une vingtaine de procès-verbaux a été transmise au parquet.

A côté de ces plans annuels de contrôle, le SNE effectue des enquêtes ponctuelles qui portent sur un thème particulier et qui durent deux à trois trimestres. Il contrôle par exemple la qualité des steaks hachés, la traçabilité des viandes découpées et mises en barquette pour la grande distribution, ou encore les ventes sur internet, qui se développent beaucoup et sur lesquelles nous sommes particulièrement vigilants.

Le SNE peut enfin apporter son appui technique aux DDPP dans les contrôles effectués auprès de la distribution.

Ces différents contrôles sont réalisés à tous les niveaux de la filière viande, à l'exception de l'élevage, qui est contrôlé par les services vétérinaires. Nous intervenons notamment dans les abattoirs et dans les ateliers de découpe, tandis que nos équipes départementales interviennent davantage au stade de la distribution pour contrôler notamment les étiquetages, les dates limites de consommation et le procédé dit de la « remballe », qui fait l'objet d'une surveillance particulière.

La fréquence à laquelle les différents acteurs de la filière viande sont contrôlés varie selon le type de contrôles effectués. Les contrôles de la première mise sur le marché, qui sont extrêmement fouillés, sont programmés dans un délai allant de un à cinq ans selon le degré de risque associé à une entreprise particulière. Nous distinguons trois catégories de risques (faible, moyen, élevé) ; lorsque le risque est élevé, nous intervenons au moins une fois par an pour un contrôle complet de l'établissement concerné.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment déterminez-vous ces différents niveaux de risque ?

M. Jean-Louis Gérard . - Le degré de risque associé à un établissement est évalué en fonction de plusieurs indices : les éventuels contentieux dont un établissement a fait l'objet, les éventuelles alertes qui nous sont transmises, par exemple par le système européen d'alerte rapide (RASFF), le risque microbiologique attaché à certains produits, les risques attachés aux processus employés ... Tous ces éléments sont pris en compte pour réaliser une analyse de risques, qui est révisée chaque année, et qui détermine la fréquence de nos contrôles sur l'ensemble des établissements qui relèvent de la DGCCRF, c'est-à-dire tous les établissements à l'exception de ceux qui font l'objet d'un agrément sanitaire.

Par ailleurs, dans le cadre de notre directive nationale d'orientation et de nos plans annuels de contrôle, les DDPP interviennent auprès d'établissements préalablement ciblés pour contrôler les pratiques des professionnels. Ces interventions sont réalisées sur différents sujets ponctuels, tels que l'étiquetage et la traçabilité, la protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la détection des salmonelles.

Lorsqu'une enquête est déclenchée à la suite de dénonciations ou d'informations qui nous sont transmises par des organisations professionnelles, nous intervenons extrêmement rapidement. De même, lorsque nous initions un contrôle sur la base des alertes déclenchées au plan communautaire ou sur le fondement d'informations transmises par d'autres Etats membres de l'Union européenne (UE), nous intervenons en urgence dans les entreprises concernées. Cela signifie que nous nous mobilisons pour pouvoir, dans les plus brefs délais, déployer la batterie de moyens qui nous est dévolue par le code de la consommation : réunir l'ensemble des documents nécessaires, réaliser des prélèvements aux fins d'analyse, consigner ou saisir la marchandise le cas échéant, prendre les mesures de police administratives qui s'imposent ...

Ainsi, tandis que certaines entreprises ne sont effectivement soumises qu'à peu de contrôles, d'autres établissements, qui posent davantage problème, nous reçoivent beaucoup trop à leur goût.

En 2012, 70 % des enquêtes déclenchées par une plainte ont été achevées en moins de deux mois. 83 % des enquêtes de réactivité du SNE ont été traités dans les délais fixés par l'administration centrale, qui sont généralement des délais très courts. Grâce au SNE, qui couvre l'ensemble du territoire national et qui est composé d'agents spécialisés mobilisables très rapidement, nous disposons d'une véritable force d'intervention. Dans l'affaire de la viande de cheval, le SNE a pu intervenir chez Spanghero et chez Comigel dès le lendemain du jour où nous avons reçu des informations suffisamment précises pour déclencher une enquête.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - De combien d'agents disposez-vous au plan national et dans chaque département ?

M. Jean-Louis Gérard . - Au plan national, 2 561 enquêteurs interviennent sur l'ensemble des missions de la DGCCRF. Ces enquêteurs sont affectés à la fois dans les directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), dans les DDPP et dans l'administration centrale. Cette dernière comprend environ 400 personnels, parmi lesquels des enquêteurs et des attachés, qui sont chargés notamment de la mise en place des plans annuels de contrôle et de l'élaboration de la réglementation.

Le nombre d'agents est très différent selon les territoires. Dans certains petits départements de moins de 400 000 habitants - ce seuil marquant la présence d'une DDPP -, comme par exemple la Corrèze, il n'est pas rare de trouver entre 4 et 7 enquêteurs relevant de la DGCCRF, le chef de département compris. Il s'agit d'un effectif extrêmement faible, d'autant qu'on trouve de la viande dans tous les départements, y compris les plus petits.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Cela signifie-t-il que la répartition des enquêteurs sur le territoire ne serait pas pertinente au regard des besoins ?

M. Jean-Louis Gérard . - La répartition des effectifs vise à garantir la couverture des territoires la plus équilibrée possible dans la mesure des possibilités, notamment face aux départs en retraite, et de manière proportionnée par rapport à la population et au nombre d'entreprises du département considéré. Il n'en reste pas moins que certaines situations sont préoccupantes, ce qui a conduit certains personnels à manifester le week-end dernier à Paris.

Mme Renée Nicoux . - Qu'en est-il des services vétérinaires dans les abattoirs ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ces services dépendent du ministère de l'agriculture. Les personnels affectés dans les abattoirs relèvent de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et sont rattachés à la DDPP. Dans certains départements, leur effectif peut être beaucoup plus important que le nôtre : près de 200 personnes dépendent ainsi de ces services en Ille-et-Vilaine. Certes, un véritable besoin existe dans ce département compte tenu de la nature de son tissu économique. Cependant, nous sommes en comparaison très peu nombreux pour accomplir l'ensemble de nos missions.

M. Didier Gautier, directeur du Service national des enquêtes (SNE) . - Il est important de préciser que les chiffres que nous vous avons donnés concernent l'ensemble des missions dont la DGCCRF a la charge, de la régulation économique des marchés à la protection des consommateurs, et pas seulement les contrôles sur la filière viande.

M. Jean-Louis Gérard . - On peut penser qu'il existe en moyenne un agent chargé de ces contrôles spécifiques dans chaque département, deux ou trois peut-être à Paris.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ces effectifs varient sans doute localement, notamment selon le nombre d'abattoirs fonctionnant dans chaque département.

Mme Anne Emery-Dumas . - Quelle est la place de la mutualisation dans le fonctionnement de vos services ?

M. Jean-Louis Gérard . - Bien que le fonctionnement de nos services soit très lié au quotidien, nos compétences et celles des services vétérinaires sont clairement réparties. Les services vétérinaires n'ont aucune compétence en matière de fraude ou de loyauté des transactions commerciales. Les services de la DGCCRF interviennent dans les abattoirs exclusivement sur les questions économiques et non sur les questions sanitaires.

Nous avons un intérêt commun en matière d'hygiène alimentaire. Sur cette question, nos compétences sont réparties de la manière suivante : les services vétérinaires contrôlent les produits d'origine animale tandis que nous travaillons sur les produits d'origine végétale, comme par exemple les graines germées.

M. Jean-Jacques Lasserre . - L'affaire qui nous préoccupe a soulevé la question de l'insuffisance des contrôles exercés sur l'origine des produits carnés. On a le sentiment, lorsque l'on vous écoute, que les contrôles sont très nombreux sur l'aval de la filière viande, mais de plus en plus rares à mesure que l'on remonte cette filière, pour devenir inexistants au stade de la fourniture de matière première.

Comment expliquer que des activités frauduleuses aient pu être pratiquées pendant aussi longtemps sans être détectées ? Est-ce un problème de moyens ? De champ de compétences ? Ne voyez pas dans ma question une forme de critique à l'égard de votre administration, dont je sais qu'elle travaille beaucoup avec peu de moyens.

M. Jean-Louis Gérard. - En matière de fraude, les infractions ne sautent pas aux yeux. Leur détection nécessite de procéder à des investigations approfondies : comparaison de documents, examen des qualités substantielles du produit fourni, analyses ponctuelles et aléatoires de certains produits...

La tâche est cependant compliquée par le fait que les fraudeurs connaissent très bien la réglementation ainsi que les moyens d'habiller leurs pratiques pour éviter tout soupçon. Bien souvent, c'est à l'occasion d'un contrôle aléatoire que l'on relève des éléments discordants, par exemple sur l'étiquetage, qui nous conduisent à engager de telles investigations.

Notre réglementation repose sur l'obligation d'autocontrôle qui revient aux opérateurs en application de l'article L. 212-1 du code de la consommation. Ceux-ci ont la responsabilité de s'assurer que les produits mis sur le marché sont conformes à la réglementation. Le non respect de cette obligation peut caractériser l'élément intentionnel de l'infraction de tromperie.

Bien évidemment, un contrôleur n'est pas présent derrière chaque opérateur pour vérifier le respect de cette obligation. Lorsque nous recevons des informations sur les pratiques d'une entreprise, parfois par le biais d'une dénonciation ou à la suite du licenciement d'un employé, nous menons une enquête pour pouvoir établir l'existence d'une infraction.

M. Didier Gautier . - En réalité, l'affaire de la viande de cheval n'est pas si ancienne : la substitution de viande de cheval à de la viande de boeuf date du début de l'année 2012, en France comme en Europe. Un service de la DGAL aurait pu avoir connaissance d'une infraction du même type mettant en jeu les mêmes acteurs dès l'année 2010, ce qui aurait pu nous alerter si l'information nous avait été transmise.

Les contrôles documentaires sont parfois difficiles à réaliser, davantage encore lorsque les produits proviennent de l'étranger. Les produits concernés par la récente fraude et qui se trouvaient sur le territoire français étaient accompagnés de documents indiquant qu'il s'agissait de boeuf. Dès lors, pour qu'un contrôleur français puisse constater la substitution, il faut remonter jusqu'au lieu où le faux étiquetage a été effectué - aux Pays-Bas en l'espèce, mais plus largement en Pologne, en Espagne, en Irlande. Or la compétence des corps de contrôle nationaux s'arrête aux frontières. Dans le cadre de l'enquête actuellement menée, le parquet de Paris ayant ouvert une information judiciaire, nous devrons rencontrer nos collègues néerlandais.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Quelle était la quantité de produits concernée par la fraude liée à la substitution de viande de cheval ? De quels pays ces produits provenaient-ils ?

M. Didier Gautier . - Cette affaire a directement concerné 800 tonnes de viande de cheval de France. On peut estimer cependant que cette fraude aurait porté sur environ 50 000 tonnes de viande depuis la fin de l'année 2011 ou le début de l'année 2012. Les produits ne provenaient pas seulement d'Europe de l'Est, mais également du Canada, ce que nous avons découvert récemment, ou encore d'Espagne ou d'Irlande. A l'heure actuelle, nous avons pu identifier 7 filières de viande de cheval en France.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - N'a-t-on pas atteint les limites du système d'autocontrôle ?

M. Didier Gautier . - Il faut distinguer, au sein des opérateurs concernés par cette affaire, ceux qui avaient l'intention de frauder de ceux qui se sont simplement montrés négligents. Certains, notamment les traders, avaient nécessairement connaissance de la substitution opérée puisque c'est grâce à cette substitution qu'ils ont gagné de l'argent : ils ont acheté de la viande de cheval à un prix très bas et l'ont ensuite revendue en la présentant comme de la viande de boeuf. D'autres opérateurs se sont montrés négligents dans les contrôles qu'ils avaient l'obligation d'effectuer aux stades de la fabrication et de la distribution. Dans le cadre de notre enquête sur la viande de cheval, nous avons pu constater que le dernier autocontrôle réalisé par un grand acteur de la distribution datait de novembre 2011. Dans ce cas précis, il est clair que l'autocontrôle n'est pas à la hauteur des enjeux.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Comment la viande a-t-elle physiquement transité de Roumanie vers les usines françaises ? Quel trajet a-t-elle parcouru ? A quel moment les fausses étiquettes ont-elles été apposées ?

M. Didier Gautier . - En raison de l'ouverture d'une enquête judiciaire, je ne peux pas vous divulguer tous les éléments dont nous disposons. Il apparaît cependant clairement désormais que, partis de Roumanie où ils étaient étiquetés comme viande de cheval, une partie des produits a d'abord transité par Breda, aux Pays-Bas, où ils ont été conservés dans des entrepôts frigorifiques. C'est alors que la substitution d'étiquetage a eu lieu et que la mention « BF » leur a été apposée. A son arrivée chez Spanghero après un trajet en camion, la viande a subi une deuxième falsification d'étiquetage et a été étiquetée comme viande d'origine française, avec agrément sanitaire des autorités françaises. Elle est enfin arrivée dans l'usine luxembourgeoise Tavola, qui dépend de l'entreprise Comigel. On a donc eu, au total, une double falsification d'étiquette.

M. Jean-Louis Gérard . - Lorsque la viande est arrivée chez Spanghero, son code douanier indiquait qu'il s'agissait de viande de cheval. Spanghero ne pouvait donc ignorer la véritable nature du produit qu'il vendait.

M. Didier Gautier . - Dans le cas de la filière Comigel-Findus-Spanghero, il s'agissait vraisemblablement d'une fraude dont les acteurs avaient connaissance. D'autres entreprises en revanche ne savaient pas qu'on leur avait livré de la viande de cheval et non de la viande de boeuf.

M. Jean-Louis Gérard . - J'aimerais ajouter quelques éléments à la décharge des opérateurs qui n'étaient pas directement impliqués dans la fraude. Afin de pouvoir établir une substitution d'espèce, il est nécessaire, pour certains produits, de procéder à des tests ADN ; ces tests sont très coûteux et il n'est pas habituel de les pratiquer. En outre, il est impossible de distinguer visuellement la viande de cheval de la viande de boeuf dans les produits surgelés. Sans être des fraudeurs, ces opérateurs se sont montrés négligents.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis effarée de constater que des produits importés qui parcourent autant de kilomètres restent malgré tout moins chers que de la viande française.

Mme Renée Nicoux . - Vous avez indiqué que l'on estimait à 50 000 tonnes la quantité de viande de cheval concernée. La fraude découverte ne représenterait donc que la partie émergée de l'iceberg ?

M. Jean-Louis Gérard . - D'autres produits ont en effet transité par d'autres circuits en Europe. 16 autres États membres de l'Union européenne (UE), avec lesquels nous sommes en contact dans le cadre de notre enquête, ont découvert de la viande de cheval mal étiquetée sur leur territoire.

La Commission européenne a pris en charge cette affaire de façon très sérieuse. Dès le 19 février dernier, elle a adressé une recommandation aux Etats membres les incitant à réaliser des tests. Nous avons ainsi effectué 150 tests en France. Les résultats de cette analyse ont ensuite été transmis à la Commission, qui décidera des suites à leur donner. Il est probable qu'elle demandera le maintien d'une surveillance particulière, bien qu'à un niveau moindre que celui observé pendant la crise.

La question qui se pose désormais est la suivante : comment faire évoluer la réglementation européenne pour améliorer la traçabilité des produits et parvenir à ce que l'origine des produits et des ingrédients des plats transformés soit mentionnée ? Le règlement n° 1169/2011 concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires entre progressivement en vigueur et l'essentiel de ses dispositions devrait être applicable à la fin de l'année 2014. Ce règlement prévoit que plusieurs rapports soient établis par la Commission dont un rapport sur l'étiquetage de l'origine de l'ingrédient viande dans les produits transformés. Un tel étiquetage peut se révéler très complexe et très coûteux à mettre en oeuvre, notamment lorsque plusieurs ingrédients ont des origines différentes. Dans le contexte de demande très forte de transparence de la part des consommateurs, les ministres se sont montrés très exigeants vis-à-vis de la Commission et ont demandé que la publication de ce rapport, prévue pour décembre 2013, soit avancée au mois de septembre de manière à ce qu'un texte puisse ensuite être adopté et soit applicable rapidement.

M. Jean-Jacques Lasserre . - L'obligation d'étiquetage ne concernerait que l'ingrédient principal d'un produit transformé, ce qui serait déjà complexe. On serait donc bien loin de la traçabilité complète de l'ensemble des ingrédients d'un plat cuisiné.

M. Didier Gautier . - Il est à noter que la viande ne représente que 7 à 18 % des produits transformés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Notre mission a pour but de restaurer la confiance des consommateurs, et parmi eux des consommateurs musulmans, qui se demandent quelle est la valeur de la certification des produits halal. Serait-il possible que l'on découvre un jour de la viande de porc vendue comme de la viande de boeuf ? Puisque le mode d'abattage des animaux n'est pas indiqué sur l'étiquetage des produits carnés, dans quelle mesure pouvez-vous effectuer des contrôles dans les abattoirs pour examiner la manière dont les animaux sont abattus, et notamment s'ils sont ou non étourdis ? On sait que certains produits importés ont été abattus rituellement, mais avec étourdissement.

M. Jean-Louis Gérard . - Il s'agit d'un sujet très sensible et très complexe, sur lequel nous nous montrons très prudents, car il est extrêmement difficile de définir ce qu'est un produit halal. S'il s'agit seulement d'un produit provenant d'un animal abattu sans avoir fait l'objet d'un étourdissement préalable, des contrôles peuvent en effet être effectués dans les abattoirs. Le rituel défini par la religion musulmane est cependant beaucoup plus précis. Certaines de ses conditions échappent totalement à une administration chargée d'effectuer un contrôle sanitaire. Le mode d'étourdissement préconisé varie même selon les associations musulmanes.

Mme Geneviève Morhange, ajointe au chef du bureau produits d'origine animale . - Un décret a été pris à la fin de l'année 2011 pour améliorer le contrôle de l'abattage rituel. Ce texte vise à garantir le respect du bien-être animal et à assurer la plus grande adéquation possible entre le nombre d'animaux abattus rituellement et les besoins du marché. Les abattoirs s'engagent à n'abattre selon le rite que lorsqu'ils ont une commande de produits halals.

Nous réalisons des contrôles visant à détecter une fraude ou à assurer la traçabilité d'un produit. Lorsque nous recevons une demande de consommateurs, nous cherchons par exemple à déterminer si un étiquetage a pu être modifié. En revanche, nous n'avons pas de véritable compétence en ce qui concerne l'abattage lui-même, qui est du ressort du religieux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous les moyens d'évaluer le nombre d'animaux abattus rituellement ? Le fait qu'il n'existe pas d'étiquetage spécifique des produits halal signifie-t-il que le système est purement déclaratif et ne repose que sur l'autocontrôle ? Pourrait-on imaginer qu'une viande d'importation soi-disant halal puisse contenir du porc ?

Mme Geneviève Morhange . - Nous effectuons régulièrement des contrôles de composition des produits, notamment sur des merguez, que les produits soient halal ou non. Il est en effet déjà arrivé que l'on trouve du porc à cette occasion.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'efficacité du décret de décembre 2011 a-t-elle fait l'objet d'une évaluation ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Une directive européenne impose le respect de normes de bien-être animal très strictes pour l'obtention du certificat bio. Contrôlez-vous le respect de ces normes dans le cas du bio halal ? Peut-on considérer que le bien-être animal est respecté dans le cas d'un abattage sans étourdissement ?

Mme Geneviève Morhange . - Aucune évaluation n'a pour l'heure été menée quant à l'application du décret de décembre 2011. Sur le respect du bien-être animal, je crains que nous ne puissions vous en dire plus sur cette question qui relève de la compétence exclusive des services vétérinaires.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il est apparu que l'entreprise Spanghero a non seulement vendu du cheval pour du boeuf, mais a également vendu du mouton non conforme à la législation européenne qui interdit la commercialisation de viande séparée mécaniquement (VSM). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Geneviève Morhange . - Suite au scandale de la vache folle, la réglementation européenne a interdit la séparation mécanique des viandes sur os issues de ruminants. Il existe cependant des divergences d'interprétation entre les Etats membres sur ce qu'est une VSM, dont la définition présente quelques ambiguïtés. Cette définition repose sur trois critères selon les textes européens : la matière première utilisée doit être une viande avec os ; la séparation doit être effectuée par des machines ; elle ne doit pas conduire à un niveau trop important de déstructuration de la fibre musculaire. Les discussions au niveau européen portent principalement sur ce dernier critère, les Anglais considérant que la technique qu'ils utilisent est suffisamment douce pour ne pas détruire les fibres musculaires.

Suite à un contrôle effectué au Royaume-Uni, au début de l'année 2012, par l'office vétérinaire européen, qui a constaté l'existence de ces pratiques, il a été demandé au Royaume-Uni d'y mettre fin. Les VSM ont ainsi été totalement interdites à partir du mois d'avril 2012. Les produits retrouvés en France étaient des produits fabriqués avant cette interdiction.

Mme Renée Nicoux . - Les merguez sont-elles fabriquées à partir de viande issue du procédé de séparation mécanique ?

Mme Geneviève Morhange . - En France, nous faisons respecter l'interprétation donnée par les autorités européennes de la définition de la VSM. Nous considérons que les produits issus de procédés de séparation même doux sont des VSM. Ces produits ne sont pas interdits en tant que tels pour le porc et la volaille, mais leur obtention par cette technique doit être indiquée sur l'étiquetage. La technique de la séparation mécanique est en revanche totalement interdite pour les ruminants. Sauf fraude, la viande de mouton ne peut donc être traitée par séparation mécanique pour fabriquer des merguez.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Un opérateur de bonne foi qui constate une fraude à la réception d'un produit est-il dans l'obligation de le signaler ?

M. Jean-Louis Gérard . - Un opérateur qui aurait connaissance d'une caractéristique frauduleuse d'un produit sans en informer l'administration ou les services de police deviendrait de fait complice de l'infraction. Il doit donc immédiatement signaler la fraude qu'il a relevée.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons auditionné un opérateur industriel qui nous a dit qu'il était en mesure de distinguer la viande de boeuf de la viande de cheval dans les produits qu'il reçoit. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Gérard . - Il est tout à fait possible d'identifier visuellement ou par prélèvement une viande fraîche. C'est en revanche impossible lorsque la viande se présente sous forme de minerai ou lorsqu'elle est congelée.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Existe-t-il une définition du minerai de viande, terme employé dans le commerce de la viande ? Pouvez-vous nous parler des marges et des prix dans la filière viande ?

Mme Geneviève Morhange. - Le terme de minerai est un terme professionnel d'usage, utilisé par les industriels . Il n'existe pas de définition réglementaire du minerai de viande. Ce terme recouvre des réalités très diverses et renvoie globalement à la matière première.

M. Hugo Hanne, chef du bureau de la veille économique et des prix . - La DGCCRF réalise plusieurs travaux concernant la transparence des prix, qui donnent lieu à des publications régulières. Depuis le début de l'année 2010, les travaux de deux observatoires sont publiés sur le site de la DGCCRF. Ces travaux sont destinés à l'ensemble des publics, consommateurs comme professionnels.

Effectués à partir des données figurant sur les tickets de caisse dans 7 000 supermarchés et hypermarchés français, les travaux réalisés par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits de grande consommation dans la grande distribution fournissent des informations précises sur l'évolution des prix à la consommation, principalement pour les produits alimentaires.

L'objectif du second organisme, l'Observatoire des prix et des marges des produits agricoles, est d'évaluer les prix de ces produits de l'amont à l'aval des filières, de la production vers la consommation, selon une démarche verticale. Il évalue ainsi les cours des matières premières agricoles portées par les marchés mondiaux (blé, maïs, sucre, cacao, café, soja..), les prix à la production agricole, le prix des produits importés et les prix à la consommation de ces produits. Les travaux de cet observatoire sont réalisés à partir de trois produits (un fruit, un légume, la viande bovine) sur lesquels est observée l'évolution de la marge brute mensuelle et annuelle.

Nous participons également aux travaux de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires présidé par le Professeur Philippe Chalmin. Il s'agit d'une enceinte qui permet de faire travailler au sein de groupes de travail l'ensemble des professionnels, des producteurs aux industriels et à la grande distribution. Cet observatoire, qui a débuté ses travaux fin 2010 suite à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), a déjà produit deux rapports remis au Parlement.

Le rapport de cet observatoire pour l'année 2012 a pour la première fois réalisé une estimation des marges nettes dans la grande distribution pour cinq filières agricoles. Il a permis de mettre en évidence que le rayon viande bovine présente une marge nette négative de - 2 % et est donc déficitaire pour la grande distribution, notamment en raison de coûts très importants de main d'oeuvre. Les rayons volaille (+ 6 %) et viande porcine (+ 5 %) sont au contraire les plus profitables pour la grande distribution.

Cet observatoire arrivant cette année à l'échéance de son mandat, la question se pose de la prolongation de ses travaux, soit à travers la pérennisation de cette structure, soit à travers la prolongation de son mandat pour quelques années supplémentaires.

Le bureau de la veille économique et des prix produit également des études intitulées « DGCCRF-éco ». La dernière de ces études porte sur l'évolution des cours mondiaux des produits alimentaires et leur transmission dans les prix alimentaires à la consommation.

Mme Odile Cluzel, chef du bureau du commerce et des relations commerciales. - La DGCCRF ne réalise pas pour l'heure d'enquêtes spécifiques sur les relations commerciales entre les acteurs de la filière viande. Ces relations sont examinées dans le cadre d'enquêtes transversales réalisées par mon bureau. Nous réalisons principalement deux enquêtes : la première porte sur les pratiques commerciales de la grande distribution vis-à-vis de ses fournisseurs sur l'ensemble des produits ; la seconde concerne les délais de paiement. Il n'a pas été mis en évidence de tensions particulières dans le cadre de la filière viande, sauf sur un point : notre enquête 2012 a montré des tensions dans le secteur de la charcuterie, ce que nous approfondirons dans notre rapport 2013.

Mon bureau travaille également sur la prise en compte de la hausse des prix des matières premières agricoles dans le cadre des relations commerciales. Une table ronde qui s'est tenue le 21 novembre 2012, et qui a rassemblé les ministres de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la consommation ainsi que les acteurs économiques du secteur, a débouché sur une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), qui doivent rendre leurs conclusions avant le mois de mai 2013. Cette mission a pour l'heure produit un rapport d'étape qui fournit quelques orientations sur lesquelles nous travaillons actuellement. Ces travaux pourraient déboucher sur un article au sein du projet de loi sur la consommation, qui prévoirait l'obligation pour les parties à un contrat d'une durée d'au moins trois mois d'insérer une clause de renégociation du prix en cas de forte variation du prix des matières premières à la hausse comme à la baisse. Il s'agirait ainsi de favoriser une meilleure répartition des variations de prix des matières premières sur tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement.

M. Jean-Louis Gérard . - Le projet de loi sur la consommation prévoit par ailleurs en son article 65 un renforcement des sanctions pour l'infraction de tromperie. Ces sanctions pourraient être portées à 300 000 euros d'amende et jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen du projet de loi sur la consommation. Nous remercions pour votre contribution particulièrement intéressante et dynamique.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ce renforcement des sanctions serait bienvenu ; cependant, s'il est nécessaire de sanctionner des tromperies, il est mieux encore de pouvoir les déceler rapidement et de pouvoir s'appuyer sur un personnel suffisant pour ce faire.

Audition de MM. Pierre Chevalier, président, Jean-Pierre Fleury, secrétaire général et Patrick Bénézat, vice-président de la Fédération nationale bovine (FNB) (mercredi 10 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous souhaitons la bienvenue à la fédération nationale bovine (FNB), qui représente les éleveurs de bovins allaitants, et entrons directement dans le vif du sujet : pouvez-vous nous dire où en est la contractualisation ?

M. Pierre Chevallier, président de la Fédération nationale bovine . - Nous avons beaucoup travaillé sur la contractualisation avec le ministre Stéphane Le Foll ainsi qu'avec son prédécesseur en poursuivant un but précis : la mise en place dans notre filière du contrat de filière avec sécurisation du revenu des producteurs, prenant en compte les coûts de production. Notre objectif est de contractualiser 30 % de la production de jeunes bovins, afin de soutenir les prix du marché. Nous étions les premiers à travailler sur ce sujet, avant même le secteur du lait. Le prix de revient du jeune bovin est établi par l'Institut de l'élevage, sur la base de l'amortissement des bâtiments d'élevage sur quinze ans, et en prenant en compte le coût de l'alimentation du bétail sur les marchés mondiaux. Cette méthode est totalement transparente. Elle conduit à fixer aujourd'hui ce prix de revient à 4,70 € par kilo. Quelques entreprises commencent à être intéressées par notre démarche.

Mais il serait souhaitable que le contrat de filière fasse l'objet d'un accord interprofessionnel, impliquant le syndicat national des industriels de la viande (SNIV), la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV) et Coop de France. C'est le seul moyen pour sauver la production de viande dans notre pays !

La France est riche de son élevage bovin. La production de viande bovine française représente 25 % de la production européenne. Le cheptel est composé de 3,5 millions de vaches laitières, 4,2 millions de vaches de race à viande sur un total de 25 millions de vaches laitières et 12 millions de vaches allaitantes en Europe. Les vaches ne font qu'un veau par an : on ne peut donc pas démultiplier la production, contrairement aux secteurs du porc ou de la volaille. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoient une augmentation de 15 à 20 % de la consommation mondiale dans les dix prochaines années. En Europe, nous consommons 7,8 millions de tonnes de viande bovine. Dans 10 ans, nous consommerons en Europe la même quantité car nous sommes dans une situation d'érosion de la consommation dans les pays de l'ouest de l'Europe mais de hausse dans les nouveaux États membres du fait de l'élévation de leur niveau de vie. Or, l'élevage est parvenu aujourd'hui au point de rupture économique et sociologique, alors que les prévisions de croissance sont très encourageantes au niveau mondial. Nous exportons maintenant au Japon, nous nous ouvrons vers l'Asie qui représente la moitié de la population mondiale. Il faut donc passer par la contractualisation pour surmonter la situation actuelle et sauver l'élevage français.

La dispersion des éleveurs est forte. Mais celle des industriels l'est également. Les trois acteurs industriels majeurs que sont le SNIV, la FNICGV et Coop de France n'arrivent pas à s'entendre pour organiser le marché. En Italie, les acteurs économiques ont moins de souci : entre août et octobre dernier, ils ont réussi à faire baisser le prix du broutard d'environ 200 euros par tête, alors même que le prix du taurillon engraissé n'avait pas changé. Quand j'ai dénoncé l'accord entre entreprises italiennes, sur le dos des éleveurs français, j'ai été critiqué. C'est pourtant la réalité. Et 200 euros par tête, c'est le montant annuel de la prime à la vache allaitante, pour le maintien de laquelle nous nous battons à Bruxelles.

Il est donc bien nécessaire de travailler ensemble pour peser sur le marché, même s'il faut le faire sans franchir les limites permises par les autorités de la concurrence. Les industriels y auraient au demeurant intérêt. En effet, pour ne prendre qu'un seul exemple, le groupe Bigard, qui assure 42 % de l'abattage en France, souffre d'une baisse de 10 % de ses volumes traités. Avec de tels chiffres, des fermetures d'abattoirs, en particulier dans l'ouest, sont inévitables. La contractualisation constitue une réponse pertinente, mais il faut un accord interprofessionnel pour l'imposer. Il est temps que certains industriels et certaines coopératives qui passent leur temps à se combattre au lieu de coopérer cessent ce comportement suicidaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'ai rencontré un groupe de 63 éleveurs qui m'expliquaient qu'ils étaient à la merci des abattoirs des grands groupes. Ils voudraient disposer d'abattoirs de plus petite dimension pour ne pas être dépendants de quasi-monopoles. Que pensez-vous de cette suggestion, et du développement des circuits courts ?

M. Pierre Chevalier . - Les abattoirs de proximité sont utiles pour les abattages d'urgence, ou encore pour l'aménagement du territoire. Mais l'abattage doit plus fondamentalement faire face à l'enjeu de la compétitivité. Si les taxes d'abattage sont trop élevées, il ne sera pas possible d'être compétitifs. La restructuration des abattoirs est un mal nécessaire, et si l'on perd du tonnage comme nous l'observons aujourd'hui, on perd en compétitivité. Je ne crois pas que nous puissions être compétitifs en-dessous de 3 000 à 4 000 tonnes, sauf cas particulier. C'est vrai qu'ici ou là, un petit abattoir peut fonctionner très bien, à condition d'intervenir sur une niche particulière, en filière courte, par exemple.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Disposez-vous de statistiques sur les modes d'abattage avec et sans étourdissement ?

M. Pierre Chevalier . - Selon les statistiques de la direction générale de l'alimentation (DGAL), l'abattage rituel représentait en 2010 12 % des abattages, considérés en nombre de têtes de veaux et de gros bovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Sur quoi ces chiffres sont-ils basés ?

M. Jean-Pierre Fleury, secrétaire général de la FNB . - Ces chiffres sont fondés sur les statistiques des services vétérinaires départementaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est du déclaratif.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous du rapport 2012 de l'observatoire des prix et des marges, qui semble mieux documenté que celui de 2011 ?

M. Jean-Pierre Fleury . - En donnant des chiffres clairs, l'observatoire permet de nourrir les débats, mais ses conclusions sont discutables. Il faut rappeler le contexte : durant les cinq dernières années, le revenu moyen annuel des éleveurs de bovins allaitants s'est établi à environ 15 000 euros par actif. C'est le plus faible revenu de l'ensemble des productions agricoles. Et nous apprenons dans le même temps que la grande distribution aurait des marges négatives en viande bovine. Cette conclusion est, pour nous, parfaitement scandaleuse. Les marges calculées pour la grande distribution résultent de chiffres fournis de manière volontaire par les entreprises, sans qu'il soit possible de les vérifier, alors que ceux concernant les éleveurs proviennent de bases de données objectives, incontestables, comme le réseau d'information comptable agricole (RICA). Les industriels ont également effectué des efforts importants de transparence. Pour la grande distribution, on observe que lorsque les enseignes disposent de rayons traditionnels de boucherie en leur sein, elles gagnent de l'argent. En revanche, elles en perdent lorsque la gestion des rayons est trop simplifiée, avec une vente effectuée de manière privilégiée en barquettes sous vide, car il existe un taux de perte important, qui peut dépasser 10 %.

M. Gérard César . - J'espère que cette perte va dans les banques alimentaires.

M. Jean-Pierre Fleury . - Cela n'est pas possible lorsque la date de péremption est dépassée.

Lorsque les grandes surfaces ont des marges négatives car elles organisent mal leur rayon boucherie, cette situation n'est pas de la faute des éleveurs. Par ailleurs, nous observons un biais technique dans les travaux de l'observatoire des prix et des marges : dans les groupes de distribution qui dépendent de centrales d'achat, ce sont ces dernières qui déterminent le mode de répartition de la marge. Certaines affectent l'amortissement du magasin sur les rayons viande et boucherie, en répartissant habilement la facture d'électricité sur une partie du magasin. Ainsi les résultats de l'observatoire donnent des marges négatives, ce qui est contestable.

M. Gérard César . - Le mandat de l'observatoire des prix et des marges arrive à échéance prochainement. Cet organisme doit-il être prolongé et, si oui, comment améliorer son fonctionnement ?

M. Jean-Pierre Fleury . - Il faut qu'il continue ses travaux car ses résultats ne sont intéressants qu'en les comparant dans le temps. Il faut aussi améliorer la transparence des données, par exemple sur les remises, rabais et ristournes.

M. Pierre Chevalier . - Il faut que l'observatoire utilise la comptabilité analytique des grandes et moyennes surfaces (GMS), et ne se fie pas aux seuls chiffres fournis par la grande distribution.

M. Gérard Bailly . - Comment estimer les prix et les marges ? Comment répartir entre rayons l'amortissement d'un bâtiment ?

M. Jean-Pierre Fleury . - La comptabilité des GMS est parfois établie de manière à assurer la meilleure rémunération possible des actionnaires. C'est une préoccupation légitime des centrales d'achat mais qui ne doit pas avoir d'impact sur les calculs de marges des rayons. Le modèle de l'observatoire est également altéré par l'intervention de sociétés intermédiaires entre les industriels et distributeurs. En tout état de cause, il faut perfectionner les instruments de mesure de l'observatoire des prix et des marges concernant la grande distribution.

M. Gérard Bailly . - Dans un marché mondial totalement ouvert, comment faire face à la concurrence des producteurs de viande d'autres pays ? Comment dans un tel contexte faire fonctionner la contractualisation ? Autant celle-ci est possible entre un éleveur et un industriel, autant je suis persuadé que la grande distribution ira toujours chercher les produits les moins chers.

M. Pierre Chevalier . - Un steak haché est un produit identique sur l'ensemble du marché : il fait 100 g avec 15 % de matière grasse. Un paquet de dix est vendu entre 5 et 6 euros à la grande distribution, qui le vend elle-même entre 10 et 15 euros.

La réforme de la PAC, actuellement en discussion, pourrait être accompagnée de mesures conditionnant les importations des produits agricoles à l'application de règles identiques à celles imposées par les directives européennes sur les conditions d'élevage ou encore sur le bien-être animal. Nous le réclamons depuis des décennies. Au Brésil, le plus grand industriel de la viande bovine, JBS-Friboi, n'a plus d'élevages à proximité de ses outils industriels. Les prairies ont été remplacées par de la canne à sucre. Les broutards sont élevés dans des conditions déplorables : il n'y a pas de traitement des effluents, les bêtes sont dans la boue, ne sont jamais abritées dans des bâtiments, et sont nourries avec les résidus de canne à sucre, dont la culture sert aux énergies renouvelables. Aux États-Unis, à Denver dans le Colorado, le cheptel compte 100 000 têtes, à côté de l'abattoir de JBS. Les protecteurs du bien-être animal en France et en Europe devraient aller se rendre compte d'une réalité peu reluisante. Dans les abattoirs aussi, les pratiques sont éloignées de celles de l'Europe : les cuirs sont nettoyés au karcher puis à l'eau de javel. Les carcasses sont aspergées d'acide lactique tout au long de la découpe. Avant de fabriquer des steaks hachés, on arrose préalablement la viande avec de l'acide lactique. Les États-Unis voulaient imposer l'acide lactique à l'Europe pour des raisons commerciales mais non sanitaires. On ne peut pas continuer à accepter d'importer de la viande produite dans des conditions aussi éloignées de nos exigences sanitaires, environnementales et de bien-être animal. Les négociations à l'Organisation mondiale du commerce sont biaisées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'équité est-elle garantie entre pays européens ?

M. Pierre Chevalier . - La France est le pays le plus exemplaire en matière de bien-être animal, de sécurité sanitaire et alimentaire, lorsqu'on se compare aux autres pays d'Europe et du monde.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Sauf pour l'abattage !

M. Pierre Chevalier . - Ce qui vous préoccupe est l'abattage halal ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Oui, quand on abat rituellement sans étourdissement, ce n'est pas l'idéal.

M. Pierre Chevalier . - Ce débat relève davantage de votre compétence. Nous vous invitons à consulter les cultes. La production halal représente une consommation qui ne fait qu'augmenter dans notre pays et à l'extérieur et nous ne pouvons pas ne pas répondre à cette demande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les grands pays exportateurs de viande halal pratiquent l'étourdissement. C'est le cas, me semble-t-il pour la Nouvelle-Zélande.

M. Pierre Chevalier . - Nous sommes pour l'étourdissement. Mais il faut négocier cette question avec les représentants des cultes.

M. Gérard Bailly . - Concernant les distorsions de concurrence, nous devons les refuser.

M. Pierre Chevalier . - Il faut les dénoncer. Car face à certaines méthodes de production, nous ne serons jamais compétitifs en Europe. Nous avons fait le choix de ne pas utiliser d'hormones, par exemple.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quel a été l'impact sur la filière viande de la volatilité des prix des céréales et de la hausse du coût de l'alimentation animale.

M. Patrick Bénézit, vice-président de la FNB . - L'impact est très fort. Le prix de revient a considérablement augmenté. On a pu calculer une baisse de la rentabilité des exploitations d'élevage de l'ordre de 70 centimes d'euros sur une carcasse de 400 kg. On est donc à 300 euros par animal en moins, avec une non-répercussion de la hausse des coûts de production sur les prix de vente. Voici l'explication de la faiblesse des revenus voire l'absence de revenu des producteurs. Nous n'avons pas de pouvoir particulier sur les prix des céréales, qui sont déterminés par le marché mondial. Nous devons donc améliorer notre pouvoir de négociation avec la grande distribution qui est très puissante en France et qui a la loi pour elle aujourd'hui. Le législateur doit reconnaître dans les contrats les possibilités de variation des prix par rapport aux coûts de production, en fonction des indicateurs existants.

Nous souhaitons aussi que la réforme de la PAC entraîne une réorientation des soutiens européens vers l'élevage. Lors de la réforme de 1992, les niveaux des soutiens avaient été fixés dans un contexte de prix bas des céréales. Aujourd'hui la situation a changé et les prix des céréales ont augmenté. Il faut prendre en compte cette nouvelle réalité.

L'élevage le mérite : derrière un éleveur il y a 7,5 emplois, de la production à la distribution en passant par l'abattage. Notre production s'exporte par ailleurs de mieux en mieux et l'élevage peut participer au rétablissement de la balance commerciale.

M. Jean-Pierre Fleury . - Pour bien mesurer la situation, je précise qu'on observe 58 % de hausse du coût des aliments du bétail par rapport à 2005, et cela pourrait continuer.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les circuits courts sont-ils une des solutions ?

M. Jean-Pierre Fleury. - La France produit entre 1,5 et 1,6 millions de tonnes de viande bovine par an. Les circuits courts ne répondent pas à la problématique de masse du marché de la viande. Permettre à l'éleveur de vendre directement à une cantine scolaire reste de la micro-économie, qui peut avoir son intérêt mais ne sortira pas la filière de l'ornière. Pour autant, nous sommes très favorables aux possibilités d'introduire la notion d'approvisionnement de proximité dans les appels d'offre en restauration collective, qui se fournit aujourd'hui essentiellement en viande d'importation, voire même de remonter les seuils des appels d'offres.

M. Gérard César . - Quel est le volume des importations de viande bovine ? D'où provient la viande importée ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et quels morceaux et de quelle race ?

M. Jean-Pierre Fleury. - On importe environ 350 000 tonnes de viande bovine et on en exporte 350 000 tonnes. Il existe des flux croisés traditionnels avec l'Allemagne, mais on peut difficilement comparer la situation allemande à la situation française. Il existe des distorsions de concurrence, au sein même de l'Europe, notamment du fait du choix stratégique de l'Allemagne de développer les énergies renouvelables comme le photovoltaïque ou la méthanisation pour permettre aux agriculteurs de dégager un revenu à côté de l'élevage. Par ailleurs, il n'y a pas de salaire minimum en Allemagne.

On exporte des avants de carcasses en Allemagne et nous importons des arrières, car nous aimons le bifteck. On peut dire que la France est auto-suffisante en viande bovine. Sur l'équilibre des pièces, on en exporte autant qu'on en importe. La viande importée est originaire d'Irlande, d'Allemagne, du Royaume Uni et par le port de Rotterdam arrivent aussi des bovins d'Amérique du Sud : entre 50 et 60 000 tonnes. La viande d'Amérique du sud est d'ailleurs parfois du zébu, pas du bovin. C'est le prochain scandale.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ne faudrait-il pas plus de contrôles, des tests ADN ?

M. Pierre Chevalier . - Peut-être ... On exporte également 1 million de jeunes bovins vivants en Italie et en Espagne chaque année. Si nous n'exportions pas ces bêtes, nous pourrions les engraisser en France, en poussant la production jusqu'à 2 millions de tonnes en production, c'est-à-dire plus de 400 000 tonnes supplémentaires.

M. Jean-Pierre Fleury . - Il faut trouver les marchés à l'extérieur. Certains sont en train de s'ouvrir : l'Extrême-Orient, la bordure méditerranéenne. On exportera un peu moins de céréales mais on créera des emplois : il y a plus d'emplois derrière un éleveur que derrière un céréalier.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pourriez-vous nous parler du fonds de mutualisation céréaliers éleveurs ?

M. Pierre Chevalier . - Ce fonds doit se mettre en place. Il est alimenté par une contribution volontaire. Mais cela ne marche pas. Il est nécessaire d'aller vers une cotisation volontaire obligatoire (CVO). La FNB le propose. Nous souhaitons que ce fonds contribue à la sécurisation des revenus des éleveurs par la contractualisation, prenant en compte les coûts de production. Le producteur de blé n'est pas spontanément d'accord pour payer une cotisation pour les éleveurs. Le seul moyen est donc de passer par une CVO. Le législateur pourrait d'ailleurs intervenir en ce sens. Le monde de l'élevage de ruminants est arrivé aujourd'hui, je le répète, au point de rupture économique et sociologique. Les producteurs de lait arrêtent leur activité, les éleveurs de bovins allaitants arrêtent aussi. Ils achètent des charrues et vendent les vaches.

Deux orientations sont nécessaires : d'une part il faut orienter les aides de la PAC vers les ruminants, sans quoi nous allons créer en France des déserts agricoles, et d'autre part il faut offrir aux éleveurs des prix rémunérateurs. Faute de quoi, dans dix ans, il n'y aura plus d'élevage en France.

Concernant la PAC, la part communautaire de la prime à la vache allaitante a été baissée de 200 à 150 euros. Cela a été une erreur. Désormais, il faut inventer des soutiens différenciés pour les surfaces en herbe par rapport aux surfaces cultivées. Si cela n'est pas possible, il faudra augmenter la prime à la vache allaitante à 300 euros ! On ne peut tout de même plus continuer en Europe à attribuer 350 euros par an à des céréaliers qui produisent 100 quintaux à l'hectare, lui rapportant 2 000 euros net. Le contribuable ne l'acceptera pas. Agir ainsi sera tuera la PAC.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La commission des affaires européennes a voté une proposition de résolution européenne sur la future PAC en 2014-2020, demandant qu'elle soit orientée en faveur de l'élevage.

M. Gérard Bailly . - Il faudrait mettre en place des aides contracycliques. Le contribuable acceptera de payer pour le céréalier si ses revenus baissent de 40 % que si celui-ci a eu moins d'aides lorsque les prix étaient au plus haut.

M. Pierre Chevalier . - J'avais proposé les droits à paiement unique (DPU) flottants dans le cadre du bilan de santé de la PAC, mais cela n'avait pas été accepté. La consommation de viande bovine va augmenter de 10 à 20 % dans la prochaine décennie selon la FAO et l'OCDE. Or, il y a concurrence entre l'élevage et les énergies renouvelables. On risque d'aller vers des pénuries alimentaires terribles si nous n'y prenons pas garde.

Sur la viande de cheval, la situation a été gérée avec brio avec les pouvoirs publics. On avait l'expérience de la vache folle en 1996 et 2000. On est parvenu à décider d'imposer l'étiquetage des plats cuisinés alors que la commission ne voulait pas l'imposer. L'enjeu n'est pas mince : 150 000 tonnes de viande de boeuf sont utilisées pour des plats cuisinés en France. Environ la moitié est aujourd'hui de la viande de boeuf française (VBF). L'étiquetage permettra à l'élevage français de regagner des parts de marché.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je remercie les représentants de la FNB pour toutes ces précisions.

Audition de M. Jean-Pierre Duclos, président d'Elvea France (mercredi 10 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pour m'en tenir à l'essentiel, je voudrais que vous nous disiez quels leviers le législateur peut, à votre avis, actionner pour soutenir la filière viande et quelles pistes de rénovation vous suggérez.

M. Jean-Pierre Duclos, président d'Elvea France . - Elvea France est une fédération regroupant 44 associations d'éleveurs reconnues comme Organisations de producteurs non commerciales (OPNC) par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et agréées par le ministère de l'agriculture. L'agrément ministériel soulève traditionnellement une difficulté pour nos associations, le modèle des OPNC s'opposant à celui des organisations de producteurs commerciales (OPC). Les coopératives auxquelles leurs adhérents transfèrent la propriété de leurs productions en vue de leur mise sur le marché, évitant d'éventuels griefs d'entente sur un prix unique. Nous souhaitons que la reconnaissance des organisations de producteurs ne soit pas conditionnée à un tel transfert de propriété dont le principe ne figure pas dans nos statuts.

Depuis 20 ans qu'elles existent, nos associations ont permis d'accomplir des progrès sensibles, tout particulièrement en matière de traçabilité. Ce sujet est aujourd'hui au centre de vos préoccupations. En raison des événements récents, les grandes et moyennes surfaces (GMS) sont d'ailleurs de plus en plus intéressées par notre démarche et notre fonctionnement pour faire progresser la traçabilité.

Notre rôle est de renforcer le poids de l'amont, afin d'améliorer la capacité de négociation des éleveurs. Dans ce but, on évoque souvent la nécessité de concentrer la production qui demeure, il est vrai, relativement éclatée : une telle orientation me paraît souhaitable, mais sans pour autant pousser cette logique à l'excès sans quoi on risque de perdre les avantages liés à la diversité et à la spécificité régionale des productions. L'homogénéisation du produit, telle qu'on la constate, par exemple, dans la filière porcine, ne parait pas souhaitable pour les éleveurs spécialisés en viande bovine. Il faut au contraire être très attentif à la préservation de la variété des races allaitantes dans notre pays.

Les éleveurs sont en très grande difficulté économique depuis 2007-2008. Pas une région n'y échappe. Pour passer les caps difficiles provoqués par les épisodes de la vache folle puis de la fièvre aphteuse puis de la sécheresse, les éleveurs ont pu bénéficier de prêts. Lorsque les éleveurs ont été confrontés, par la suite, à des résultats négatifs pendant trois années successives - le prix de l'alimentation animale ayant explosé alors que le cours de la viande baissait - les difficultés de trésorerie se sont accumulées. Une tendance est préoccupante : pour faire face aux difficultés, les éleveurs ont commencé à ne plus conserver les génisses de renouvellement : j'avais alerté FranceAgrimer dès 2010 sur la décapitalisation du troupeau de souche.

Je regrette que nos banquiers ne nous soutiennent plus suffisamment : les établissements de crédits orientés vers l'agriculture prêtent aux céréaliers mais beaucoup moins aux éleveurs. On réduit la couverture de crédit des éleveurs. C'est une marque de défiance à l'égard de l'élevage bovin et cela entretient le mouvement de décapitalisation des troupeaux. Bien entendu, dans un premier temps, ce phénomène a permis d'alimenter les étals des boucheries mais j'ai bien peur que, dans peu de temps, il n'y ait plus guère d'animaux à vendre. Jusqu'à présent, les abatteurs demandaient des animaux et étaient prêts à augmenter les prix pour les obtenir. Mais, eu égard au pouvoir d'achat limité du consommateur, cette escalade atteint sa limite. Nous serons, à mon sens, très bientôt dans une impasse - un véritable « trou noir » en termes de quantités de production.

La solution, pour sauver les éleveurs, est avant tout de leur redonner envie d'exercer un métier qui implique aujourd'hui des conditions de vie plus difficiles que dans d'autres productions agricoles. Aujourd'hui, un éleveur travaille 365 jours par an, parfois nuit et jour.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quelle est votre appréciation sur les filières courtes : est-ce une piste de redressement ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Par nature, une filière courte implique une relation étroite entre un éleveur et un consommateur. Contrairement à ce qu'on croit généralement, la viande peut voyager sur de longues distances lorsqu'elle est vendue en circuits courts, compte tenu de la concentration des abattoirs dans certaines zones.

Je pratique personnellement la filière courte et peux témoigner qu'il s'agit d'un parcours difficile.

De façon générale, la filière courte n'est pas en mesure de répondre à tous les problèmes. Elle ne devrait concerner qu'une petite partie de la production. Au demeurant, un éleveur qui vend la totalité de ses produits en filière courte aura du mal à garantir un niveau extraordinaire de qualité au consommateur pour toute sa production. La filière courte est plus adaptée à la filière « Fruits et légumes » qu'à celle de la viande. De plus, la généralisation systématique de la vente directe et des filières courtes entrainerait vraisemblablement une désorganisation du marché de la viande.

Les éleveurs ont consenti des investissements importants pour se mettre aux normes sanitaires et environnementales mais, à présent, leurs revenus sont très insuffisants, ce qui provoque un sentiment de découragement.

Notre élevage allaitant se nourrit principalement d'herbe. La prime à l'herbe était très intéressante lorsqu'elle a été mise en oeuvre, mais elle s'avère contraignante, car on ne pouvant plus retourner les prairies, les éleveurs se retrouvent soumis aux aléas climatiques. Nous sommes obligés au final d'acheter des fourrages : il faudrait plus de souplesse et de logique.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Êtes-vous en mesure d'évaluer le degré d'autonomie alimentaire des exploitations qui relèvent de votre fédération ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Il est variable, selon les régions et les productions. Par exemple, dans l'Ouest de la France, où sont localisés de nombreux abattoirs, nos éleveurs engraissent les animaux au maïs ; cependant des achats complémentaires, notamment de soja, restent nécessaires. En revanche, pour le naissage - c'est-à-dire la production des jeunes animaux destinés ensuite à l'engraissement - ou l'alimentation des vaches laitières, nous sommes pratiquement autonomes. Je signale, en matière de gestion de l'herbe, que nous pratiquons le pâturage tournant, ce qui permet d'augmenter la productivité de l'herbe en diminuant les intrants. Ce travail est essentiel pour parvenir à l'autonomie alimentaire qui est un déterminant fondamental de l'avenir de nos exploitations.

M. Gérard Bailly . - Qui achète vos bestiaux et à quel prix ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Ce sont des négociants. Avec les éleveurs de nos associations, nous travaillons, dans des filières bien définies, avec des prix arrêtés pour les agriculteurs. Le but de ces filières est ainsi de préserver une plus-value à l'éleveur au-delà du prix du marché.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - C'est une forme de contractualisation : est-elle formalisée par écrit ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Les clauses contractuelles sont écrites. Cependant, je rappelle que l'OPNC n'a juridiquement pas le droit d'intervenir dans le contrat. Nous n'avons qu'un rôle de facilitateur : notre mission est de veiller à l'application des contrats.

M. Gérard Bailly . - L'acheteur traite directement avec la grande distribution ?

M. Jean-Pierre Duclos. - Le chevillard - grossiste en viande - intervient entre le producteur et la grande distribution. Certaines grandes entreprises comme le Groupe Bigard - premier transformateur de viande en France - interviennent mais nous traitons assez peu avec cette entreprise.

Pour ma part, j'assure auprès des éleveurs un suivi méticuleux des animaux jusqu'à la distribution, en vérifiant, par exemple, la conformité des certificats pour nous assurer de la qualité offerte au consommateur et que les grandes surfaces payent les animaux à un prix assez élevé pour rémunérer notre travail.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous des distributeurs attitrés ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Nous travaillons beaucoup, par exemple, avec la Société Vitréenne d'Abattage Jean Rozé (SVA) qui dépend du Groupe Intermarché, ou encore avec les centres Leclerc. J'observe que la grande distribution a sans doute aujourd'hui besoin d'une sécurité d'approvisionnement pour un certain nombre de produits et ils sont prêts à apporter les financements adéquats pour la garantir. Cela nous permet de valoriser nos animaux avec 0,30 euros de plus que la cotation lorsque la qualité est présente.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - J'en conclus que la démarche de qualité prouve son efficacité. Pouvez-vous brosser un tableau de l'implantation territoriale de vos éleveurs ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pouvez-vous également nous dire si les difficultés se concentrent plus dans certaines régions ou pour certaines races à viande. Votre organisation couvre-t-elle le territoire ?

M. Jean-Pierre Duclos . - La région Est qui était sortie de notre fédération souhaite à présent la réintégrer : en ne la comptant pas, nous représentons déjà 2 000 exploitations ; en l'incluant, ce chiffre atteint 2 500.

Ce sont les zones intermédiaires, dans le Sud-Ouest par exemple, qui sont les plus menacées : l'élevage n'y est pas la priorité. Les éleveurs y exercent leur métier surtout par passion ou parce que les terres ne sont pas toutes labourables. Ensuite, dans le Massif central, les éleveurs disposent de surfaces herbagères mais peinent à pratiquer l'engraissement. L'Ouest, du fait de la concentration de l'abattage, pratique beaucoup l'engraissement de taurillons mais il est aujourd'hui en difficulté en raison de la montée des coûts de production. La réalité est qu'aucune région en France, n'est épargnée par la crise.

Je rappelle également que l'abandon de l'élevage laitier va diminuer le nombre d'animaux de réforme permettant de produire des steaks hachés. Les remplacer par des jeunes bovins serait une bonne idée, à condition de pouvoir y mettre le prix.

Il convient aussi d'évoquer le « créneau » que constitue l'élevage de veaux élevé sous la mère. C'est un produit noble mais qui nécessite beaucoup de travail pour l'éleveur. Certaines jeunes s'installent dans cette « niche » qui leur procure, en effet, des revenus convenables.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - C'est un produit d'excellence qui marche bien. Le bio est-il également une piste à encourager ?

M. Jean-Pierre Duclos . - En tant qu'éleveur, je ne le pense pas. En effet, on peut faire du veau bio de qualité mais il est très difficile d'engraisser une vache à viande en se conformant au cahier des charges bio quand on manque de céréales. Je ne devrais peut-être pas le souligner mais on constate aussi des dérives dans l'agriculture biologique. Bien souvent, les vaches bio sont autrichiennes et nous n'avons pas le même cahier des charges partout en Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Il conviendrait donc d'uniformiser les cahiers des charges de l'agriculture biologique.

M. Jean-Pierre Duclos. - Il reste beaucoup à faire en matière d'harmonisation européenne, dans de nombreux domaines. La filière bio est plus facile à développer dans le secteur des fruits et légumes. Depuis 1992, dans mon exploitation, je produis quasiment du bio puisque j'exclus les engrais chimiques de mes cultures fourragères : c'est presque du bio, mais je ne satisfais pas exactement le cahier des charges au moment de terminer l'engraissement de mes animaux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous du renforcement de la traçabilité et des initiatives récentes en matière de labels de qualité ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Le label viande bovine française (VBF) joue un rôle très positif. Il faudrait également, à mon sens, le coupler avec des chartes de qualité auxquelles devraient être soumis l'ensemble des éleveurs. Ces chartes correspondent à des engagements précis.

Autrefois les labels ont pu jouer un rôle très positif. Cependant, aujourd'hui, le coût de la certification du label pénalise les éleveurs. Le marché est tellement porteur que les animaux non labellisés peuvent procurer aux éleveurs des revenus supérieurs à ceux des animaux labellisés. D'autres signalétiques permettent de valoriser l'animal de façon aussi efficace : par exemple, la marque Charal est, pour le consommateur, tout aussi positive que le label rouge, ce qui est d'ailleurs relativement inquiétant.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le bien être animal est-il une source de contraintes ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Quand on est éleveur, on respecte le bien être animal car nous faisons notre métier avec passion et cela comporte nécessairement une dimension affective à l'égard de l'animal.

M. Gérard Bailly . - On maintient malheureusement le loup, le lynx et l'ours...

M. Jean-Pierre Duclos . - Vous m'avez également interrogé sur la loi en gestation sur l'avenir de l'agriculture. Son premier volet devrait être consacré à l'hygiène alimentaire et à la sécurité : il faut y être très attentif. S'agissant des antibiotiques, contraindre l'éleveur à faire appel au vétérinaire pour administrer chacune des injections me parait un peu excessif et déplacé par rapport aux pratiques traditionnelles.

En ce qui concerne la performance écologique et économique des exploitations, nous sommes, à mon avis, très bien placés pour faire avancer l'élevage à l'herbe, qui me parait constituer l'avenir de l'élevage. Nos éleveurs sont également très bien positionnés en matière de captage de carbone

M. Gérard Le Cam . - Quelle est la distance moyenne parcourue par les animaux jusqu'à l'abattoir ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Il est difficile de la calculer précisément. Les entreprises d'abattage ont constitué des pôles importants pour traiter les déchets à grande échelle et c'est un déterminant fondamental de leur rentabilité. Les animaux traversent donc souvent toute la France pour arriver au bon abattoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Cette hyper concentration est-elle souhaitable ?

M. Jean-Pierre Duclos . - A mon sens, non. Car c'est un facteur de déstabilisation de l'élevage.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Vous êtes donc favorable, dès lors, à la préservation ou à la création de petits abattoirs ?

M. Jean-Pierre Duclos . - Il faut au moins conserver l'acquis. On veut fermer un certain nombre de petits abattoirs existants alors que pour les éleveurs, c'est un facteur de rentabilité.

M. François Fortassin . - Si les circuits courts existent, c'est grâce aux petits abattoirs !

M. Jean-Pierre Duclos . - Pour que l'élevage puisse sortir de l'ornière, il faut que l'ensemble des acteurs de la filière prenne conscience des réalités agricoles de terrain et se fonde sur des valeurs qui ne soient pas exclusivement financières.

Audition de M. Gérard Poyer, président et de Mme Aurore Saison, chargée de mission de la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB) (mercredi 10 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Suite au scandale du « cheval devenu boeuf », une mission commune d'information a été constituée, chargée de réfléchir aux enjeux de la filière viande, à toutes ses étapes : élevage, abattage, transformation industrielle éventuelle et commercialisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pourriez-vous préalablement présenter la fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB) avant d'aborder les questions de fonds.

M. Gérard Poyer, président de la FFCB . - La fédération française des commerçants en bestiaux est administrée par un conseil d'administration de 28 personnes. Plusieurs commissions spécialisées ont été mises en place, notamment une commission import-export, une commission sur les ovins, une commission équine. La fédération dispose d'une organisation au niveau régional avec 21 présidents de région. La FFCB travaille étroitement avec la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV), présidée par Dominique Langlois. Depuis 2005, nous organisons un séminaire qui nous permet de questionner les pratiques de notre métier.

Notre premier objectif est de défendre les intérêts des commerçants en bestiaux. Nous sommes ainsi très attentifs aux contraintes réglementaires qui sont les premières à peser sur notre activité : normes en matière de transport, de bien-être animal, ou en matière sanitaire. Il est nécessaire de travailler en étroite relation avec la Direction générale de l'alimentation (DGAL) au sein du ministère chargé de l'agriculture, en particulier sur les questions de transport, d'échanges intracommunautaires, de réglementations nationales et internationales. La fédération est également en contact avec les administrations locales et régionales ainsi que les autorités européennes à travers l'Union européenne du commerce du bétail et de la viande (UECBV), qui regroupe 25 États membres.

L'équipe de la FFCB est réduite avec un Président, un directeur, une chargée de mission, un comptable et une secrétaire. En région, les présidents ont uniquement à leur disposition un secrétariat. Nous manquons de permanents du fait de nos moyens limités, mais nous sommes actuellement à la recherche d'une nouvelle organisation, afin de disposer d'une représentation par zone géographique.

L'activité des commerçants en bestiaux consiste à collecter les animaux d'élevage : vaches laitières de réforme, animaux maigres ou engraissés destinés à l'abattage. Dans le secteur de la viande, nous représentons en France 70 % du marché. Nous intervenons dans pratiquement 100 % des opérations d'exportation vers les pays tiers et 50 à 55 % de celles au niveau intracommunautaire. Le commerçant en bestiaux est donc un acteur essentiel qui achète des animaux, les allotis et les livre à un chevillard ou à un industriel. On peut le faire par le biais d'un centre de rassemblement d'animaux, dont ne disposent que les gros commerçants en bestiaux, intermédiaire entre la ferme et l'abattoir. Mais les petits commerçants en bestiaux peuvent assurer le transport vers l'abattoir directement depuis l'élevage. Notre métier est très exigeant, notamment sur les délais : on peut travailler le samedi ou même le dimanche et on doit assurer des livraisons dès le lundi 6 heures sur les chaines d'abattage qui ne peuvent pas souffrir de retards ou d'approximations.

Les commerçants en bestiaux doivent être attentifs à bien trier les animaux collectés : le secteur est en effet segmenté entre les différents types d'animaux et les différentes qualités de viande. Il existe en effet une filière de viande de qualité, étiquetée comme telle dans les grands magasins. Lors de l'achat, nous procédons à un contrôle visuel nous permettant d'évaluer la qualité et le poids de l'animal afin de se conformer à la commande. Le chevillard, qui n'a pas le temps de faire ce travail, doit en effet retrouver la qualité commandée à l'issue de l'abattage.

Notre travail est un travail de fourmis. La formation des jeunes est longue et difficile. Notre secteur a du se restructurer dans les années 2000 pour faire des économies d'échelle car le travail isolé sur des petits volumes n'était plus rentable. Dans le secteur du commerce en bestiaux, une marge brute de 5 à 6 % permet de dégager une marge nette de 0,4 à 0,8 %. Cette restructuration fait suite à celle des industriels, intervenue dans les années 1980 et 1990.

Les commerçants en bestiaux ont aussi un métier de financier : ils payent les éleveurs dans des délais courts et ensuite doivent être payés pour la marchandise mise à disposition. Actuellement, la contractualisation a le vent en poupe. Le ministre de l'agriculture propose de l'inscrire dans la loi pour permettre une meilleure visibilité aux éleveurs sur les prix. Nous avons déjà mis en place une forme contractualisation volontaire avec les éleveurs avec des délais de paiement à 20 jours au maximum. Nous sommes favorables à ce type d'accord quand on peut y associer un marchand d'aliments, l'abatteur et parfois le banquier. La filière a tout à gagner à ce que chacun trouve son compte dans un marché où la demande de viande est forte, afin d'assurer une régularité des livraisons. La régularité est d'ailleurs primordiale dans la filière viande et les tonnages sont importants. On est d'ailleurs passés de la cueillette à l'organisation des approvisionnements, qui peut être perturbée par les choix des éleveurs, notamment en matière de mise à la réforme des vaches laitières.

L'invention du steak haché a été une révolution, permettant à partir des parties les moins nobles des carcasses de fabriquer un bon produit. Cependant pour assurer un approvisionnement suffisant en matière première - le minerai, nécessaire à la fabrication de steaks hachés et des plats cuisinés - les industriels font appel aux marchés mondiaux en important de la viande. Depuis quelques années, les marchés sont de plus en plus tendus, ce qui accroît le niveau des prix.

Cela explique en partie le scandale de la viande de cheval : les acteurs industriels avaient besoin de matière première à une période où nous avons moins de vaches laitières de réforme disponibles.

La crise de la viande de cheval a un effet positif : elle permet de s'interroger sur nos pratiques, dans le but de répondre aux besoins du consommateur, qui est toutefois dépendant de l'offre de la grande distribution. Si certains retournent vers les bouchers traditionnels, qui se raréfient, tous ne le peuvent pas. Les consommateurs ne cherchent à se rassurer que le temps que dure une crise. Six mois après ils oublient les risques et ne cherchent plus autant la sécurité. Ils savent qu'il existe des normes de qualité sur lesquelles il est possible de se reposer, comme la norme NF mise en place en 1996. Le consommateur revient alors vers les produits bons marchés et le prix devient l'élément central du marché. Au demeurant, une vache laitière ne fait pas forcément de la mauvaise viande. Et les consommateurs ont été habitués à de faibles écarts de prix entre la viande de qualité et les produits de masse.

M. Gérard Bailly . - Vous me confirmez que la production de viande est distribuée à 70 % par la grande distribution ? Quelle est la part des boucheries traditionnelles ?

M. Gérard Poyer . - La boucherie représente à peine 18 % de la distribution de viande. Les grandes et moyennes surfaces (GMS) représentent 55 à 60 % de la distribution de viande. Le solde relève de la restauration hors foyer (RHF).

M. Gérard Bailly . - Quelle est votre place dans le processus de production ? La grande distribution a-t-elle ses propres abattoirs ? Met-elle en place un circuit direct d'approvisionnement auprès des abatteurs ou des éleveurs ou passe-t-elle systématiquement par les commerçants en bestiaux ?

M. Gérard Poyer . - A la base de la filière, on trouve l'éleveur, puis le négoce, l'abattage et enfin la distribution. Certains distributeurs disposent de leurs propres outils d'abattage - Leclerc et Intermarché - qui s'approvisionnent auprès des commerçants en bestiaux à 60 % et des coopératives à 20 %. Ils procèdent aussi, à hauteur de 20 % à des achats directs auprès des éleveurs, en développant des filières de proximité comme le label boeuf de nos régions (BNR). Les abatteurs en revanche comme Bigard n'achètent pas directement en ferme. Du fait d'importants coups d'approche, ils préfèrent travailler avec des commerçants en bestiaux.

M. Gérard Bailly . - Nous avons le sentiment que la grande distribution fixe le prix et que les autres maillons de la chaine s'ajustent. Ne pouvez-vous pas vous organiser pour orienter les prix afin que chaque maillon de la chaine dispose de revenus suffisants ?

M. Gérard Poyer . - Notre profession garantit un prix à l'éleveur. Leclerc ou Intermarché, abatteur et distributeur peut aussi garantir un prix à l'éleveur. Mais pour les commerçants en bestiaux, il est difficile de négocier les prix avec les abatteurs.

La cotation s'effectue chaque fin de semaine. Bigard est un acteur majeur du marché qui influe sur le marché du fait de sa taille mais ne le fixe pas.

Les grands industriels fonctionnent à flux tendus : ils ont besoin de gros volumes pour faire tourner leurs chaînes de production qui traitent de 25 à 30 bêtes à l'heure sur une seule chaîne, et peuvent monter jusqu'à 45 bêtes à l'heure.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quel est le rythme des chaînes d'abattage rituel ?

M. Gérard Poyer . - Le rythme est à peu près identique en abattage rituel et en abattage traditionnel. Sur une chaîne rapide, on peut monter à 40 à 45 bêtes à l'heure soit 1 minute 30 par bête.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quand on sait qu'en abattage rituel, un animal peut mettre 15 minutes à mourir ...

M. Gérard Poyer . - On parle ici de la chaîne d'abattage. En rituel et en non rituel, l'animal part du même endroit. Il entre dans une sorte de tonneau. En non rituel, il est assommé. En rituel, il est retourné et saigné. Lorsqu'il part sur la chaîne, l'animal assommé peut aussi réagir encore un peu. Ce débat est compliqué.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - C'est un débat nécessaire pour rassurer le consommateur, notamment sur le risque sanitaire.

M. Gérard Poyer . - Il n'existe aucun problème sanitaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Si l'animal est encore vivant lorsqu'on le pend par les pattes ?

M. Gérard Poyer . - Il n'est plus vivant. Lorsqu'on tue le poulet, il continue à bouger, pourtant il est mort.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Si l'animal, pendu par les pattes arrière, est encore vivant, ne serait-ce qu'une minute, le rumen peut se déverser sur la plaie.

M. Gérard Poyer . - Je ne suis pas un spécialiste, mais je sais qu'un clapet est posé.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pas en abattage rituel puisque la trachée et l'oesophage sont sectionnés.

M. Gérard Poyer . - Si, justement pour éviter que les carcasses soient saisies pour cause de souillure. Une souillure peut aussi arriver pour un animal abattu avec étourdissement et entraîner une saisie. Sans défendre l'abattage rituel, j'estime qu'il n'y a pas de problème sanitaire. Il existe en revanche un problème d'information du consommateur qui mange des animaux abattus rituellement sans le savoir. Beaucoup d'arrières se retrouvent en effet ainsi sur le marché sans information du consommateur. Voici pourquoi la réglementation exige désormais que les abattages rituels répondent à une commande. Mais ce débat concerne plus les industriels de la viande que les commerçants en bestiaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - L'information est nécessaire pour rétablir la confiance du consommateur.

M. Gérard Bailly . - 60 % de la viande étant vendue en grande surface, ne pourrions-nous pas agir pour imposer à la distribution de s'approvisionner auprès des éleveurs français à un prix qui leur assure une rémunération convenable ?

M. Gérard Poyer . - Les prix sont déterminés par le marché, et ils ont augmenté de 30 % depuis l'année dernière. C'est exceptionnel. Or il faut savoir que si la viande bovine augmente toujours plus, on en consommera moins. La garantie de rémunération des éleveurs passe par le transfert d'une partie du revenu des céréaliers vers les éleveurs. Pour éviter une hausse perpétuelle des prix, il faut se réorganiser et organiser un meilleur partenariat entre les acteurs.

On oublie qu'actuellement, la production doit répondre à des standards de qualité. La viande est de meilleure qualité qu'il y a vingt ans. Les grandes et moyennes surfaces ont copié le métier de boucher, pour répondre à cette demande de qualité des consommateurs. Dans le même temps, les prix sont soumis aux contraintes du marché.

La traçabilité est une exigence forte à laquelle nous répondons. Les bêtes sont tracées dans une base de données.

La France dispose de nombreux atouts : les meilleurs éleveurs, le meilleur cheptel... Nous devons relancer la production et réduire notre déficit de balance commerciale depuis trois ans.

M. Gérard Bailly . - Le secteur ovin est l'exemple à ne pas suivre.

M. Gérard Poyer . - En effet. Les commerçants en bestiaux ne détiennent cependant pas la clef du système. Nous connaissons bien dans l'amont et l'aval de la production, nous fréquentons des éleveurs, des industriels, des abatteurs ; nous cherchons un consensus entre les différents acteurs. Lors d'un voyage d'étude aux États-Unis, dans l'État du Colorado, le plus gros abattoir du pays, propriété du groupe JBS, abat 5 000 bêtes par jour. Dans ce pays, les normes sont plus souples qu'en France, ils s'appuient bien plus sur la technologie, les OGM et les hormones et ont fait passer leurs bêtes de 300 kg de viande par carcasse à 400 kg. Ils ont par ailleurs de moins en moins de cheptel, car dans tous les pays du monde, on diminue les cheptels du fait de la concurrence des cultures énergétique.

Même si la France perd quelques parts de marché, elle reste le premier producteur de viande en Europe avec 25 % de la production de viande européenne. La réglementation française est très lourde, il faut permettre plus de souplesse et moins de paperasserie.

Il est nécessaire de faciliter notre travail. Une meilleure organisation nous permettra de répondre aux besoins du marché et de reconquérir des positions.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pouvez-vous nous parler du transport et du bien-être animal. Des projets de texte disposent que la durée totale de transport des animaux ne pourra dépasser 8 heures.

M. Gérard Poyer . - Actuellement, la durée maximale est de 29 heures. Notre revendication a toujours été de pouvoir transporter le bétail de France jusqu'au sud de l'Italie. Nous utilisons des camions à étages pour permettre des économies d'échelle, ce qui nous permet de transporter 35 bovins sur deux niveaux. Les allemands ont décidé de n'autoriser qu'un seul étage avec remorque, permettant ainsi d'en transporter 25 mais dans une plus grande promiscuité. Le projet de réglementation réduisant la durée du transport à 8 heures n'est pas acceptable. Sur un trajet de 29 heures, on fait plusieurs pauses et nous mettons à disposition des animaux des buvettes avec réserve d'eau et des ventilateurs. Des expériences de transport long de bétail ont été menées par l'institut de l'élevage, pour suivre le comportement des animaux dans des bétaillères à destination de l'Algérie et du Maroc. Les résultats ont permis de justifier notre position auprès de la Commission européenne. Et même si les associations de protection des animaux font pression sur nos politiques, notre position sur le bien-être animal est entendue par les autorités européennes. Pour apprécier le bien-être animal, il faut bien connaître le comportement d'un animal. On observe par exemple que l'animal se porte mieux après un voyage de 8 jours plutôt que de 2 jours, car les bêtes s'habituent. A titre de comparaison, les bêtes venant du Brésil mettent trois semaines pour être acheminées.

Mme Aurore Saison, chargée de mission à la FFCB . - En matière de bien-être animal pendant le transport, il faut raisonner en termes d'obligation de résultats et non de moyens. Il faut plutôt être attentif aux conditions physiques de l'animal avant, pendant le voyage et son arrivée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Comment réagissent les petits veaux qui voyagent jusqu'en Italie pour être engraissés ?

M. Gérard Poyer . - Ce sont plutôt des broutards qui partent en Italie à l'âge de 7 ou 8 mois. Les petits veaux sont un peu plus fragiles. Notre intérêt est au final que l'animal arrive en bonne santé et qu'il ne soit pas stressé.

Audition de MM. François Lucas, premier vice-président de la Coordination rurale, et Michel Manoury, responsable national de la filière viande de la Coordination rurale (jeudi 11 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevons dans le cadre de la mission les syndicats agricoles. Aujourd'hui, il s'agit de la Coordination rurale.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous souhaitons recueillir votre avis sur l'état de la filière viande mais aussi sur certains points précis comme la question des circuits courts ou celle des niches comme le bio ou les produits de qualité comme les veaux de lait élevés sous la mère.

M. François Lucas, premier vice-président de la Coordination rurale - Je vous remercie de nous recevoir. En tant vice-président de la Coordination rurale, j'ai une approche généraliste de la filière viande.

M. Michel Manoury, responsable national de la filière viande à la Coordination rurale - Je suis installé en société avec mes trois frères dans l'Orne, où j'ai une activité de naisseur et d'engraisseur de jeunes bovins. Nous avons un troupeau de 200 vaches allaitantes de deux races différentes, charolaises et salers. Nous avons fait le choix d'exploiter deux races en raison de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, dont certains se tournent de ce fait plus facilement vers les salers. Nous avons également un atelier d'engraissement de jeunes bovins que nous exportons vers l'Italie et la Grèce. Nous produisons annuellement de 800 à 900 bovins. Notre exploitation, qui représente 460 hectares dont 280 hectares de prairie, comprend également un site de méthanisation et des panneaux photovoltaïques.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Êtes-vous autonomes en ce qui concerne l'alimentation de vos animaux ?

M. Michel Manoury - Nous ne sommes pas totalement autonomes - une autonomie complète serait de toute façon impossible à atteindre. La dépendance de notre exploitation concerne principalement les protéines. Par ailleurs, dans la mesure où nous avons un troupeau important de mères allaitantes, la production d'herbe mobilise une part importante de la surface de notre exploitation.

Nous remarquons qu'il nous faut augmenter notre production pour diminuer nos coûts de production. Le coût du matériel est de plus en plus important : le prix des round ballers a ainsi augmenté de 60 % en six ans. Puisque les prix de reprise ne suivent pas cette augmentation, nous n'avons pas d'autre choix que de produire davantage. Le problème est cependant qu'une telle augmentation accroît d'autant nos risques de pertes.

Sur la méthanisation, les producteurs allemands ont une longueur d'avance sur nous. La méthanisation apporte un complément de revenu pour mon exploitation. Nous avons opté pour une méthanisation individuelle, alors que des opérateurs financiers sont largement présents dans les groupes de méthanisation et spolient parfois plus ou moins les agriculteurs de ce qui devrait leur revenir. Une dérive se prépare aujourd'hui dans ce domaine.

Le prix de reprise de notre production de viande se situe en-deçà de nos coûts de production. Selon l'Observatoire des prix et des marges, pour un coût de production de 4,55 euros pour un jeune bovin R+3 - hors main-d'oeuvre, dont le coût s'établit à 1,12 euros -, notre prix de reprise est de 3,94 euros. Ce prix de reprise tient compte des 8 centimes de coût de transport facturés à l'agriculteur ; ce coût est en réalité variable et peut atteindre 12 à 14 centimes.

M. François Lucas - L'Observatoire des prix et des marges fait un excellent travail dans un domaine où l'information statistique partait de zéro. Les études qu'il réalise sur les coûts de production sont précises et exactes. Nous nous appuyons d'ailleurs sur ces travaux lorsque nous communiquons des chiffres. C'est pourquoi nous avons été très surpris d'entendre récemment le ministre chargé de l'agriculture donner à l'Assemblée nationale un prix du lait erroné.

Les informations issues de l'observatoire présentent néanmoins un biais s'agissant du prix à la distribution de la viande rouge. Les prix indiqués prennent en effet en compte le prix moyen de viandes de toutes origines, parmi lesquelles se trouvent des produits importés dont les coûts de production sont moins élevés que les nôtres. On compare donc des coûts de production nationaux avec des prix de vente de produits importés, ce qui n'a pas de sens.

M. Gérard Bailly . - La grande distribution, en s'appuyant sur les chiffres de l'Observatoire des prix et des marges, nous a indiqué que son rayon boucherie était déficitaire. Qu'en pensez-vous ?

M. François Lucas - Ce problème se pose aussi sur le rayon fruits et légumes de la grande distribution. Il faut préciser qu'à côté de ces chiffres déficitaires, les comptes de la grande distribution comprennent une ligne très importante de frais généraux non affectés, sur laquelle un certain nombre de marges peuvent être passées. Si la grande distribution ne peut pas faire de bénéfices sur son rayon boucherie, comment fonctionnent alors les magasins qui ne font que des produits frais ? L'Observatoire des prix et des marges a des moyens limités et n'a pas pu encore examiner tous ces éléments ; mais on devrait pouvoir éclairer certaines zones d'ombre. On peut en tous cas questionner la bonne volonté de la grande distribution lorsqu'elle doit faire preuve de transparence.

M. François Fortassin . - Afin de réduire les marges des intermédiaires, ne serait-il pas possible, à titre expérimental, d'associer les consommateurs à cette démarche en indiquant sur les emballages à la fois le prix payé par le consommateur et le prix qui revient au producteur ? Une telle expérimentation pourrait permettre une vraie prise de conscience de la part des consommateurs.

M. François Lucas . - Je vous rappelle que l'Observatoire des prix et des marges est une structure légère, qui, certes, accomplit un travail considérable, mais à laquelle on ne peut pas adresser de demandes trop importantes.

Par ailleurs, il faut signaler que cet observatoire ne s'intéresse pas aux céréales, qui sont pourtant une matière première de base dans la production agricole, et ne travaille que sur la farine. La restauration hors domicile ne rentre pas non plus dans le champ de ses études. Malgré ses imperfections, je vous invite cependant à soutenir cet observatoire qui constitue un outil d'analyse très important.

M. Michel Manoury . - L'observatoire des prix et des marges a mis en évidence le fait que la grande distribution gaspille davantage de viande qu'un boucher traditionnel. La diminution des pertes, qui est d'ailleurs en réalité supportée par les producteurs, constitue une piste pour améliorer la rentabilité des rayons boucherie de la grande distribution.

Une autre piste pourrait être celle de la valorisation du cinquième quartier, sur lequel nous perdons de l'argent. En Allemagne, celui-ci permet de couvrir les frais d'abattage et rapporte même parfois de l'argent au producteur.

M. Gérard Bailly . - En France, nous avons tendance à durcir les réglementations applicables au niveau européen, à « laver plus blanc que blanc »...

M. Michel Manoury - La mise en place de la traçabilité a coûté très cher. Elle a cependant permis d'augmenter le prix de vente de la viande.

La loi Galland interdit la vente à perte mais ne s'applique pas aux produits agricoles. Nous voulons que les prix de reprise de nos bêtes ne puissent pas être en-dessous de nos coûts de production. Il reviendrait peut-être à une loi sur l'agriculture de prévoir un tel mécanisme.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevrons prochainement M. Philippe Chalmin, Président de l'Observatoire des prix et des marges, qui pourra nous éclairer sur le fonctionnement de l'Observatoire. Pouvez-vous nous parler plus précisément de vos coûts de production, pour l'élevage bovin comme pour les autres types de viande ?

M. François Lucas. - Un problème englobe l'ensemble des autres : la politique agricole menée depuis des décennies a créé deux types de marché. Le marché mondial de la céréale, donc de la matière première qui nourrit les animaux, est aujourd'hui devenu artificiel et spéculatif, décorrélé des coûts de production. D'un autre côté, le marché de la viande, dont la production est issue de ces céréales, est gouverné par l'impératif de compétitivité économique avec une règle du jeu particulièrement dure. C'est là que réside le problème majeur de l'agriculture aujourd'hui. Nous ne faisons qu'essayer de remédier ponctuellement aux symptômes sans nous attaquer aux causes. Or, les éleveurs, dont le métier est de faire naître, d'engraisser et de soigner des animaux, n'ont pas la culture de la compétitivité.

Le scandale de la viande de cheval est lié à l'organisation du système de coopération, et constitue une bonne illustration de ces travers. Le système coopératif est éclaboussé par l'affaire Spanghero. Cette entreprise est en effet une filiale de la coopérative Lur Berry, qui fait partie de Coop de France, et l'entreprise luxembourgeoise Comigel, qui produit dans un pays qui ne se caractérise pas par sa particulière transparence est en partie financée par Unigrains. C'est donc l'organisation de l'agriculture elle-même, sa concentration, qui a produit ce système aberrant. Un petit boucher n'a aucune raison de maquiller en boeuf de la viande de cheval pour gagner quelques euros de plus. Mais dans un système concentré - et cela vaut pour l'ensemble des secteurs de l'économie - la multiplication de ce type de petits profits permet de maximiser les gains. En raison du développement insidieux de la concentration, on peut se demander combien d'acteurs demeureront dans l'agriculture dans une vingtaine d'années. Peut-être n'y aura-t-il plus qu'une seule multinationale qui nourrira l'ensemble du monde ?

Je voudrais évoquer aussi la question des normes en matière de nitrates, qui constitue une énorme difficulté pour les éleveurs conduisant certains à arrêter leur activité et se convertir à la production de céréales. Les éleveurs n'ont pas le sentiment d'être les pollueurs que l'on présente et ne comprennent pas les normes drastiques qu'on leur impose. Les éleveurs brésiliens et argentins, avec lesquels nous sommes en concurrence, ne sont pas soumis à une telle pression normative.

On peut s'interroger sur la validité de la norme de 50 milligrammes de nitrates par litre d'eau au maximum. Une enquête parue en octobre 2012 dans le magazine Science et vie , qu'a complétée un article paru en mars dernier dans La France agricole , indique que le seul effet reconnu des nitrates sur l'organisme au plan médical est leur caractère indispensable au fonctionnement de celui-ci. Les scientifiques, notamment anglo-saxons, reconnaissent que les nitrates ont un effet bénéfique sur la santé, au plan digestif comme au plan cardio-vasculaire. La recherche se concentre aujourd'hui davantage sur les apports encore méconnus des nitrates à l'organisme que sur leurs effets nocifs. On comprend donc mal les obligations imposées aux agriculteurs, qui sont particulièrement coûteuses, et les inquiétudes infligées aux consommateurs. Augmenter le seuil maximal autorisé en matière de nitrates de 50 à 70 milligrammes par litres suffirait à soulager les éleveurs sans pour autant présenter un danger pour la santé publique. De la même façon, les termes du débat sur les algues vertes mériteraient d'être reposés.

Je suis conscient qu'il s'agit d'un sujet particulièrement délicat, tant nous avons pris l'habitude de présenter l'agriculture comme fautive sur la question des nitrates. Heureusement, certaines personnes sont conscientes de la nécessité de remettre nos dogmes en question, car il faudra répondre de l'inaction en cette matière dans quelques années. La directive européenne applicable contenant une clause de révision en fonction des avancées scientifiques, nous avons entrepris d'interpeller la Commission européenne sur ce point.

M. Michel Manoury . - J'aimerais maintenant aborder la question de la répartition des élevages sur le territoire. Si dans le Grand Ouest, zone principalement céréalière, le mouvement de végétalisation déjà amorcé se poursuit, les productions laitières et de viande bovine vont être progressivement abandonnées.

La production est également menacée par la pyramide des âges. 60  % du cheptel allaitant français est détenu par des éleveurs de plus de 55 ans et le renouvellement des générations n'est pas assuré dans la filière viande.

Par ailleurs, même si les éleveurs ne parviennent pas à vivre de leur production, nous nous apercevons que le monde de l'argent a un oeil sur nous. Nous courons aujourd'hui le risque, sous prétexte d'être sauvés par certaines entreprises financières, de nous voir dépossédé de nos instruments de production.

Aujourd'hui, nous ne maîtrisons plus le fonctionnement de l'outil coopératif, que nous avons pourtant nous-mêmes développé : la concentration des voix - il n'est pas rare que certains membres représentent 1 000 voix - constitue un grave danger. Il est indispensable de restaurer le principe « un coopérateur égale une voix » afin que nous puissions diriger nos propres structures. Autre dérive de l'outil coopératif, certaines structures qui se développent et deviennent de plus en plus importantes menacent de faire mourir les petites coopératives. Alors que ces dernières continuent à se placer au service des producteurs, certaines coopératives importantes qui ont investi dans le secteur de la transformation sont partagées entre la défense des producteurs et celle des transformateurs.

M. François Lucas . - Le cas de l'entreprise Gad en Bretagne, qui a été condamné avec d'autres par l'Autorité de la concurrence pour avoir artificiellement engorgé ses abattoirs dans le but de faire baisser le prix du porc alors même qu'il est majoritairement détenu par un groupement de producteurs, est à cet égard tout à fait symptomatique.

Un Haut conseil de la coopération avait été mis en place mais ne fonctionne pas bien. Nous demandons qu'il soit au moins ouvert aux organisations syndicales agricoles minoritaires, afin que ceux qui ont perdu leur représentation au sein ces énormes structures puissent faire entendre leur voix dans cette enceinte.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le gouvernement prépare un texte sur l'économie sociale et solidaire qui pourrait peut-être répondre à cette demande.

M. François Fortassin . - Il faut tout de même souligner qu'un excellent éleveur peut faire un très mauvais gestionnaire. Les dirigeants de Lur Berry étaient-ils à leur place ?

M. François Lucas - Lorsqu'un éleveur est à la tête d'un groupe comme Lur Berri, ce n'est en réalité pas lui qui dirige : il s'entoure de diplômés de grandes écoles qui prennent en charge la gestion de l'entreprise.

Le problème de la coopération réside dans la taille des structures. Afin que les producteurs puissent rester au plus près de la gestion et de la décision, une vraie réforme doit être entreprise sur ce point. Une coopérative n'est pas censée rassembler l'ensemble des maillons d'une filière. Les avantages fiscaux doivent être réservés aux vraies coopératives, dont la qualité doit être appréciée en fonction de considérations de lien au territoire et au regard du chiffre d'affaires. Même Coop de France a des lobbyistes auprès des pouvoirs publics ; il est plus facile à ces structures de faire entendre de leur voix qu'à un producteur isolé. Mais pourquoi est-il nécessaire de faire du lobbying lorsqu'on produit une matière première indispensable à tous ?

M. Gérard Bailly . - Nous entendons votre constat. Cependant, dans le contexte de la mondialisation, il devient nécessaire pour l'ensemble des acteurs économiques de se regrouper pour peser sur les marchés. Quelles sont donc vos propositions ?

M. François Lucas . - L'impératif de compétitivité économique ne fait pas partie du langage de l'élevage. Une vache ne comprend pas qu'elle doit être compétitive sur le plan économique !

M. Gérard Bailly . - Évidemment, mais on ne peut pas nier qu'il existe des produits venant de Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs, bien moins chers que les produits français. On ne peut pas empêcher la grande distribution de se procurer la viande la moins chère ni les consommateurs d'acheter ce type de produits.

M. François Lucas . - Mais pourquoi laisse-t-on entrer ces produits sur notre territoire ? Nous sommes mis en concurrence avec les éleveurs néo-zélandais, qui ont des coûts de production très faibles. La réponse à ce problème doit être d'ordre politique. Il nous faut décider quelle agriculture nous voulons et nous donner les moyens d'atteindre cet objectif. Il est toujours possible d'instaurer des droits de douane sur les produits importés.

M. Gérard Bailly . - Dans ce cas, nous perdrons en retour l'accès à certains marchés.

M. François Fortassin . - Un éleveur néo-zélandais qui emploie 4 bergers pour 10 000 moutons ne peut pas être mis sur le même plan qu'un éleveur français, qui avec 300 brebis mères dépasse parfois sa capacité de travail. Au-delà de ces questions politiques que nous ne pouvons régler dans l'immédiat, ne serait-il pas possible d'améliorer la santé économique de nos filières grâce à la promotion des circuits courts et à la préservation des abattoirs de proximité ?

M. François Lucas . - Nous avons toujours défendu la mise en place et la promotion des circuits courts, et nous nous battons pour conserver nos abattoirs de proximité.

Le fonctionnement des circuits courts n'est cependant pas exempt de difficultés. Véronique Le Floc'h, une agricultrice bretonne qui transforme elle-même sa viande et son lait et pratique la vente directe du producteur au consommateur, expliquait récemment à l'Assemblée nationale que sa situation était difficile. Dans de nombreux cas, le succès de la viande directe n'est qu'un feu de paille, car les consommateurs, bien que rassurés sur la traçabilité des produits, s'en détournent rapidement : certaines pièces sont difficiles à vendre et le prix des produits est élevé. La vente directe n'est donc pas la solution à l'ensemble de nos problèmes et tous les éleveurs ne peuvent pas se lancer dans ce type d'exploitation. C'est néanmoins une démarche importante dans la mesure où elle contribue à rapprocher le consommateur du producteur.

En outre, la vente directe en viande bovine ou ovine n'est possible que dans la mesure où il existe des abattoirs de proximité, ce qui est de plus en plus rare. Nous avons demandé la mise en place d'abattoirs mobiles, mais on ne peut pas utiliser ce type de dispositifs en France - alors qu'ils sont autorisés dans d'autres pays. Les abattoirs souffrent de la multiplication des normes. Certains peuvent cependant trouver de nouveaux débouchés dans la production de viande halal et ainsi assurer leur survie.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous dénoncez la concentration, qui est selon vous préjudiciable à la filière viande, mais vous nous expliquez en même temps que les filières de proximité sont difficiles à mettre en oeuvre et que leur structuration est particulièrement complexe. Ne pourrait-on pas dépasser cette aporie en promouvant les filières courtes au plan national ? Par ailleurs, pouvez-vous développer la question de cet abattoir qui a assuré sa survie en travaillant pour la filière halal ?

M. François Lucas. - Les filières de proximité constituent une niche et ne peuvent concerner que de faibles volumes de production. Elles ne peuvent pas assurer la pérennité de l'ensemble de la filière viande. Les abattoirs de proximité souffrent en général d'un manque de volumes pour leur production, dans la mesure où de plus en plus d'éleveurs abandonnent leur activité pour produire des céréales. La mise en place d'une chaîne halal permet cependant d'attirer dans un abattoir des animaux qui, selon la logique géographique, devraient être abattus ailleurs.

M. Michel Manoury . - Dans l'Orne, un abattoir a résisté grâce à une autre niche, la production de viande bio. Je partage l'idée qu'il est difficile de mettre en place des circuits courts. La création d'une boucherie directement rattachée à une exploitation représente de 80 000 à 100 000 euros d'investissement, entre le financement d'un laboratoire et celui d'un véhicule spécial. En outre, afin d'assurer la pérennité d'une filière de proximité, il devient rapidement nécessaire d'élargir le cercle de distribution de 20 à 40, voire à 60 kilomètres. Certains agriculteurs de mon département se trouvent ainsi obligés de vendre leur production sur les marchés de Paris. Certaines pièces de viande ne peuvent d'ailleurs être vendues dans un réseau de proximité et doivent nécessairement l'être à Rungis. Dans certaines régions touristiques, la niche des circuits courts peut assurer la survie de certaines exploitations. Pour la majorité des éleveurs, elles ne sont donc pas, tout comme la méthanisation, une solution miracle. M. Stéphane Le Foll semble croire que la méthanisation pourrait permettre de résoudre les problèmes de l'agriculture, mais ce n'est pas le cas.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - M. Le Foll est plus modeste que cela : il considère seulement que nous sommes très en retard sur ce point par rapport à l'Allemagne, qui a fait un effort considérable de développement de ses sources d'énergie renouvelable.

M. François Lucas . - La situation de la filière laitière française s'explique en partie par le fait qu'elle est en concurrence avec des exploitations allemandes dotées de méthaniseurs qui considèrent le lait comme un sous-produit. Nous n'avons pas développé ce modèle - et il n'est pas certain que ce soit souhaitable.

M. Michel Manoury . - L'Allemagne compte environ 7 000 méthaniseurs, dont les plus anciens ont été posés il y a douze ans. Au moment où nous avons effectué la mise aux normes de nos exploitations, nous avons négligé d'y installer des méthaniseurs. Le développement des énergies vertes n'était pas alors à l'ordre du jour. Les méthaniseurs allemands sont aujourd'hui amortis, ce qui signifie que les producteurs de lait et de viande peuvent nous concurrencer sur les prix puisque leur exploitation dégage un revenu supplémentaire. L'Allemagne a dopé son agriculture en instaurant un prix de reprise de l'électricité de 21 centimes d'euro par kilowatt. C'est une subvention déguisée à son agriculture qui a aussi pu accroître sa compétitivité face à ses partenaires européens sans que personne ne s'en aperçoive. Là encore, nous avons manqué de réactivité.

M. François Lucas. - L'imitation du modèle allemand a cependant ses limites.

M. François Fortassin . - La méthanisation est aujourd'hui très à la mode. Cependant, en tant que président d'un syndicat départemental de l'énergie, je suis beaucoup plus favorable au développement du photovoltaïque. Celui-ci permet en effet un raccordement beaucoup plus simple au réseau d'énergie, dans la mesure où toutes les communes ne sont pas desservies par le réseau de GDF.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le gaz se stocke cependant davantage que l'électricité.

M. Michel Manoury . - La facilité du raccordement au réseau d'énergie dépend du type de structure de méthanisation dont on parle. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour une production individuelle, dont la production de 100 à 150 kilowatts d'énergie peut facilement être absorbée par le réseau, que pour un groupe de méthanisation qui peut produire jusqu'à un mégawatt d'énergie et dont la production ne peut être transportée par le réseau. L'Allemagne a commencé par mettre en place des projets de groupe de méthanisation avant de faire marche arrière pour cette raison.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Que proposez-vous pour enrayer la baisse de la consommation de viande rouge ? Des initiatives pourraient-elles prises concernant par exemple l'étiquetage des produits ?

M. Michel Manoury . - Un système de traçabilité reposant notamment sur des labels a été mis en place pour les viandes les plus chères. La mise en place du logo « Viande bovine française » (VBF) a constitué une belle avancée, mais il n'est pas certain qu'elle soit pleinement exploitée. Peut-être faudrait-il ajouter la mention de la région de production.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces étiquettes ne sont pas toujours très lisibles pour le consommateur.

M. François Lucas . - Il pourrait être intéressant que le consommateur connaisse le prix brut de la viande qu'il achète. Mais nous butons toujours sur le problème de la lisibilité des étiquettes, d'autant plus que les consommateurs font leurs courses de plus en plus rapidement. Cette exigence de rapidité entre en contradiction avec la logique des circuits courts, dont l'organisation logistique prend du temps. Ces circuits demandent un très fort investissement aux agriculteurs, qui doivent développer un second métier et un second savoir-faire, et qui deviennent parfois davantage commerçants que producteurs. Nous ne sommes pas opposés au développement des circuits courts, et nous sommes ravis de constater la réussite de certains agriculteurs, qui contribue à rapprocher les producteurs des consommateurs. Mais il faut réaliser que ces filières de proximité exigent un effort très important de la part des agriculteurs.

M. Michel Manoury . - Le développement des circuits courts risque de faire disparaître les petits bouchers de campagne. C'est l'amélioration du prix de reprise qui doit permettre à nos fermes de résister, et non notre tentative d'exercer le métier des autres.

M. François Lucas . - J'aimerais maintenant aborder la question des organisations de producteurs non commerciales (OPNC). Selon le lobbying des coopératives de Coop de France, les OPNC présentent tous les défauts imaginables. Pour nous, elles constituent un moyen de maintenir une dimension humaine dans le négoce d'animaux, dans lequel les marchands de bestiaux jouent un rôle important qu'il est nécessaire de préserver.

M. Michel Manoury . - A propos du fonctionnement de la coopération, nous n'avons pas abordé la question du renouvellement des conseils d'administration. Le renouvellement de ces conseils s'opère par tiers ; bien souvent, ce tiers est désigné par avance et les personnes méritantes mais qui ne suivent pas nécessairement l'avis majoritaire n'ont aucune chance d'être élues. C'est là encore une marque de la dérive du système de la coopération.

M. François Lucas . - Avant de terminer cet entretien, j'aimerais balayer les quelques points que nous n'avons pas eu le temps d'aborder.

Nous défendons la libéralisation de la vente de céréales aux producteurs. La vente directe de céréales du producteur à l'éleveur, sans passage par un intermédiaire, est en principe interdite. Malgré les nombreux amendements que nous avons déposés sur différents textes de loi, une telle libéralisation a toujours été refusée - notamment sous l'influence de Coop de France.

L'autonomie alimentaire en ce qui concerne les protéines ne représente pas un enjeu de compétitivité mais une exigence de sécurité alimentaire.

Les perspectives de la filière bio sont sensiblement les mêmes que celles des circuits courts. Cette filière s'adresse en effet à une tranche de consommateurs limitée et son développement n'est pas favorisé dans le contexte de crise économique. Le marché reste timide et les espoirs de débouchés dans la restauration collective publique ont été quelque peu déçus : aujourd'hui, les menus bio ne représentent que 2 % des menus servis par ces structures de restauration.

M. Michel Manoury . - Nous n'avons pas abordé la question de la déduction pour investissement (DPI), qui a été supprimée cette année pour le matériel agricole. Il faudrait qu'elle demeure pour le cheptel. Mais dans certaines zones, la DPI sert principalement à défiscaliser pour des raisons d'opportunité et perturbe le marché pendant quelques mois chaque année... Il faudrait subordonner la DPI sur le cheptel au fait de garder les bêtes dans l'exploitation pendant deux ans.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour cette intervention très riche.

Audition de M. Patrick Dehaumont, directeur général, Mmes Catherine Collinet, directrice de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, Stéphanie Flauto, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments et Nathalie Pihier, chef de la mission urgences sanitaires de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) (jeudi 11 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir la Direction générale de l'alimentation (DGAL), qui est une des pièces maîtresses du dispositif français de sécurité sanitaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Notre mission commune d'information a pour but de dresser un état des lieux de la filière viande et de trouver les moyens de rassurer les consommateurs après le récent scandale des plats cuisinés contenant de la viande de cheval alors qu'ils étaient censés contenir de la viande de boeuf.

Restaurer la confiance des consommateurs, c'est d'abord assurer la sécurité alimentaire. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a évoqué devant nous un tonnage très important de viande de cheval frauduleusement importée à la place de viande de boeuf : pourriez-vous nous exposer les risques liés à sa consommation pour la santé humaine, notamment en cas de présence dans la viande de cheval d'anti-inflammatoires ou de parasites ?

J'attends beaucoup de cette audition, parce que j'espère obtenir aujourd'hui des réponses à des questions que je me pose depuis longtemps sur l'abattage des animaux destinés à la consommation. Le règlement n° 853-2004 du 29 avril 2004 du Parlement et du Conseil prévoit des règles spécifiques d'hygiène pour les denrées animales. En matière d'abattage, il dispose - je le cite - « que la trachée et l'oesophage doivent rester intacts lors de la saignée sauf s'il s'agit d'un abattage selon un rite religieux ». Dans un article paru dans le Bulletin des vétérinaires de France, Mme Pascale Dunoyer, chef du bureau des établissements d'abattage de votre direction déclarait : « des pratiques liées à la mise en oeuvre de rituels d'abattage peuvent avoir des conséquences en matière de sécurité et de salubrité des carcasses. Nous pouvons citer à ce titre le tranchage de la trachée et de l'oesophage qui peut provoquer le déversement du contenu gastrique voire pulmonaire sur les viandes de tête, de gorge et de poitrine. La pratique de la shehita dans le rituel casher peut avoir deux conséquences majeures : lorsque la shehita est réalisée sur des carcasses au sol, la peau de l'animal peut être souillée. On note aussi que la boutonnière réalisée en vue de l'inspection des viscères peut provoquer une fragilisation des attaches des viscères avec un risque accru d'éviscération ratée et de souillure de la carcasse ». Pouvez-vous confirmer ou infirmer ces éléments ? Selon vous le mode d'abattage peut-il être à l'origine de contaminations graves à la bactérie escherichia coli ? Quand un lot de viande ou un produit sont contaminés, comment faites-vous pour établir l'origine de la contamination en l'absence d'information sur le mode d'abattage sur les étiquettes ? Pouvez-vous nous donner des chiffres précis sur l'abattage rituel ?

Un rapport du Conseil Général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces ruraux (CGAAER) pointe des dérives dans le système d'abattage des ovins et des bovins en France . Selon cet audit de 54 pages rédigé par dix experts et hauts fonctionnaires de la Direction générale de l'alimentation (DGA) et intitulé La protection animale en abattoir : la question particulière de l'abattage rituel , « le volume d'abattage rituel est estimé à 40 % pour les bovins et à 60 % pour les ovins alors que la demande en viande hallal ou casher devrait correspondre à environ 10 % des abattages totaux. Ce qui ne devait être qu'une dérogation s'est généralisé et il convient donc d'analyser les causes de cette dérive ». Vous allez sans doute me répondre que selon une étude menée par la DGAL en 2010 seuls 14 % des animaux de boucherie seraient abattus de manière rituelle. Ce chiffre vient de l'interprofession de la viande (Interbev). Mais vous êtes des scientifiques. Je pense donc que vous avez d'autres références : pourriez-vous nous communiquer les chiffres précis concernant l'abattage rituel, abattoir par abattoir ?

M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation . - Je souhaiterais d'abord rappeler que le contrôle sanitaire de la filière viande est piloté au niveau national par le ministère chargé de l'agriculture et au sein de ce ministère par la DGAL, qui élabore les référentiels auxquels sont soumis les professionnels de la filière et en contrôle la bonne application par son dispositif d'inspection. Le système français de sécurité sanitaire est très encadré par la réglementation européenne. Le contrôle sanitaire est opéré à tous les stades de la production, de l'amont à l'aval, par la DGAL, en lien étroit avec la DGCCRF.

En matière de sécurité sanitaire des aliments, la responsabilité est d'abord et avant tout celle des professionnels, qui doivent se soumettre aux obligations qui leur sont prescrites par voie législative et réglementaire en ce qui concerne les matières premières, les installations techniques. Les professionnels ont notamment l'obligation d'élaborer un plan de maîtrise sanitaire prévoyant des autocontrôles et de les réaliser.

L'État est l'autorité de contrôle et de gestion des risques. Il doit s'assurer que les obligations imposées aux professionnels sont pertinentes, sachant que ces obligations sont définies dans leur grande majorité au niveau européen. Les contrôles officiels ont ensuite pour objet de vérifier que les professionnels disposent des moyens et des procédures nécessaires pour assurer la sécurité sanitaire des produits et respectent les obligations. La DGAL est, au sein de l'État, l'autorité compétente, pour contrôler que les plans de maîtrise sanitaire sont bien élaborés par les professionnels et appliqués pour empêcher toute dérive.

Afin de mener à bien ces contrôles avec la fréquence nécessaire, la DGAL dispose de moyens, tant en administration centrale que sur le terrain. Elle établit une programmation annuelle des contrôles de sécurité sanitaire, dans une perspective pluriannuelle. Les différents contrôles ont lieu à une fréquence régulière, qui est très variable suivant les types d'établissements. Ainsi, les établissements agréés ne subissent en principe une inspection complète que tous les trois ans mais elle peut avoir lieu tous les deux ans voire tous les ans si la situation l'exige. S'y ajoutent des contrôles spécifiques en cas de risques renforcés.

L'agrément sanitaire des abattoirs est désormais un agrément européen ; indispensable pour échanger des produits avec les autres pays de l'Union. Cet agrément sanitaire fait l'objet d'inspections périodiques par les services de l'État. Il existe un système d'inspection systématique et permanent de toutes les carcasses, dans le domaine des animaux de boucherie. Pour les volailles, le système est un peu différent puisque les professionnels peuvent être impliqués dans le contrôle des lots de volaille. Chaque carcasse fait l'objet d'une inspection individuelle très précise, avec des incisions ganglionnaires pour rechercher d'éventuelles pathologies. Ces contrôles pointus n'existent pas seulement en France, ils sont pratiqués partout en Europe et dans le monde.

En France, un peu plus de 1 000 agents participent à ces contrôles dans les abattoirs et apposent une estampille sanitaire ovale sur les carcasses salubres. Le ministre Stéphane Le Foll a rappelé que la sécurité sanitaire demeurait une fonction régalienne majeure à travers le plan stratégique du ministère de l'agriculture. L'État doit rester l'arbitre en la matière.

Notre programme de contrôle fait l'objet d'un dialogue de gestion une fois par an avec les services déconcentrés. Nous élaborons une analyse des besoins aussi fine que possible pour allouer nos moyens au dixième d'équivalent temps plein près. En ce qui concerne les abattoirs, la répartition des moyens se fait en fonction du type d'animal abattu et de la cadence de la chaîne de production. Pour maintenir l'inspection de chaque carcasse, nous sommes susceptibles de recourir au travail temporaire.

En tout état de cause, il n'y a jamais d'abattage sans inspection préalable. Je pense que le système est très fiable même si nous sommes aujourd'hui confrontés à une fraude de grande ampleur sur la viande de boeuf. Il y a beaucoup de sécurité au niveau des abattoirs et nous devrions vraiment être en mesure de rassurer le consommateur sur ce point.

En ce qui concerne l'impact potentiel sur la santé de la consommation de viande de cheval, il faut rappeler que cette viande n'est pas plus dangereuse que les autres. On la consommait d'ailleurs de manière habituelle il y a quelques décennies.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Notre inquiétude porte sur la viande de cheval importée de pays de l'Est et non sur la viande française dont nous savons qu'elle fait l'objet de contrôles rigoureux.

M. Patrick Dehaumont . - Il est vrai que la viande de cheval issue de certains pays est susceptible de poser quelques problèmes. Les chevaux peuvent être porteurs de parasites, de microbes, des métaux lourds peuvent s'accumuler dans leur foie, ils peuvent avoir fait l'objet d'un traitement médicamenteux, notamment à base d'anti-inflammatoires comme le phénylbutazone - médicament extrêmement efficace et peu coûteux. La réglementation impose qu'une limite maximale de résidus (LMR) et une dose journalière admissible (DJA) sont définies pour chaque médicament vétérinaire administré à des animaux susceptibles d'être ensuite consommés. Le phénylbutazone ne figure pas dans cette catégorie car la molécule se trouvait déjà dans le domaine public lorsque le principe des LMR a été mis en place dans les années 1990. Or un dossier de LMR coûte entre 500 000 et 1 million d'euros et aucun laboratoire ne s'est positionné pour faire une étude complète. Des études partielles ont été effectuées mais elles ont été arrêtées car il existait des doutes en matière de cancérogénèse. Le phénylbutazone ne peut donc être utilisée sur des animaux destinés à la consommation : c'est un principe européen. Il doit être indiqué sur le passeport de l'animal traité au phénylbutazone qu'il n'est pas propre à la consommation.

En France, il existe un plan de contrôle de l'utilisation du phénylbutazone. Les résultats sont systématiquement négatifs. Il y a cependant eu des résultats positifs avec de la viande de cheval anglaise entrée sur le territoire national. Les Anglais sont aujourd'hui beaucoup plus attentifs à ce danger alors qu'il ne s'agissait pas jusque-là d'une préoccupation majeure pour eux. Il n'y a pas réellement de risque sanitaire lorsque la consommation reste ponctuelle. Il pourrait y en avoir un en cas de consommation très régulière : c'est tout le principe de la dose journalière admissible (DJA).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le cheval n'est-il pas susceptible d'être utilisé dans les collectivités, vu les tonnages importants qui arrivent en France ?

Mme Catherine Collinet, directrice de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires . - L'offre de viande de cheval, tant celle issue de la production nationale que des importations, ne permettrait même pas de satisfaire 10 % de la consommation de viande en France. Les volumes de viande de cheval disponibles sont donc très limités, il s'agit d'une production beaucoup plus restreinte que celle de bovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On nous parle pourtant hier de 50 000 tonnes de viande de cheval saisies dans 16 pays d'Europe depuis que le scandale a éclaté. Il s'agit de quantités très importantes, d'autant qu'il s'agit seulement de la viande saisie et non de la viande vendue.

Mme Catherine Collinet . - Ces quantités peuvent paraître importantes mais si on compare ces chiffres avec ceux de la viande bovine, ils apparaissent plus raisonnables. 50 000 tonnes représentent la production d'un seul abattoir de bovins en un an.

M. Gérard Bailly . - Je suis surpris par votre remarque puisque vous semblez considérer que la consommation française de viande équine correspond à la production française. Or dans ma région de Franche-Comté, les producteurs de viande équine parviennent très difficilement à vendre leurs produits.

Mme Catherine Collinet . - Si la filière de la viande équine s'organisait mieux, elle ne pourrait pas produire plus du double de ce qu'elle produit aujourd'hui. Si la consommation de viande de cheval doublait en France, la filière cheval française parviendrait tout juste à répondre à cette démarche supplémentaire.

M. Gérard Bailly . - Si la consommation doublait, certes. Mais aujourd'hui cette demande demeure insuffisante et seules l'Italie et l'Espagne permettent à nos producteurs d'écouler leurs productions. Du reste, les prix sont très bas et les bénéfices de la filière très réduits. Il y a là un vrai danger au niveau environnemental car nous avons besoin des chevaux comme des moutons pour entretenir nos paysages, notamment en zone de montagne. Notre pays risque de se couvrir de friches.

M. Patrick Dehaumont . - La DGAL va rester vigilante sur le problème de la viande de cheval anglaise.

La question du phénylbutazone ne se pose pas en Franche Comté car il s'agit d'une production équine bouchère qui utilise, tout comme les producteurs de bovins, des médicaments autorisés. Il n'y a pas de trace de phénylbutazone non plus dans la viande de cheval importée de Roumanie. C'est exclusivement dans de la viande de cheval anglaise qu'on retrouve de telles traces pour une raison simple qu'il s'agissait de chevaux de course et sûrement pas de chevaux destinés à la consommation humaine.

La rentabilité de la filière de la viande chevaline est pénalisée par la faiblesse de la demande. Nous vendons notre production à l'Italie, à la Suisse et à l'Espagne. Il existe en outre une concurrence entre les producteurs de poulains de boucherie, notamment en Franche Comté, et tous les chevaux de course, qui, lorsqu'ils n'ont pas été retirés de la consommation, peuvent rentrer dans la chaîne alimentaire, tirant les prix vers le bas. S'ajoutent à cela des importations traditionnelles depuis le Canada et l'Amérique latine, qui entrent aussi en concurrence avec la production française.

M. Gérard Bailly . - Il est vraiment important que la viande de cheval retrouve sa notoriété et le succès qui était le sien autrefois.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Lorsque le scandale de la viande de cheval a éclaté, un haut fonctionnaire roumain déclarait dans une émission télévisée que les directives européennes autorisaient certaines pratiques et l'un de vos collaborateurs lui a apporté un démenti formel. J'aimerais bien savoir qui a raison et qui a tort. Les lectures des directives effectuées en France et en Roumanie ne paraissent pas être exactement les mêmes.

M. Patrick Dehaumont . - Cette divergence portait sur l'anémie infectieuse des équidés, une maladie qui n'existe pratiquement plus en France. Il s'agit d'une maladie virale, spécifique à l'espèce équine. Lorsqu'un cas est détecté en France, la destruction est systématique. En Roumanie, il existe davantage de cas d'anémie infectieuse des équidés mais là-bas aussi les animaux sont saisis et ne sont pas consommés. Par contre, il est exact qu'il n'y a pas de retrait quand l'animal n'est pas malade et que le virus est enkysté au niveau des ganglions car la viande ne présente pas dans ce cas de risque pour la santé humaine. D'ailleurs, aucun animal n'est jamais totalement exempt de bactéries ou de virus. Lorsque l'animal est porteur d'une maladie potentiellement dangereuse pour l'homme, comme la tuberculose, il est repéré au niveau de l'abattoir et il est saisi.

En ce qui concerne la réglementation de l'abattage, les textes européens prévoient que l'animal, doit avoir fait l'objet d'une inspection ante mortem puis d'un assommage avant d'être ensuite suspendu et pour être saigné sauf si, par voie dérogatoire, l'absence d'assommage est autorisée pour des raisons rituelles.

Sur ce sujet, vous avez évoqué le rapport du CGAAER, qui date de quelques années. Je ne pense pas que nous puissions valider les chiffres qui figurent dans ce rapport : il s'agissait d'une enquête sur un échantillonnage d'abattoirs qui n'était pas représentatif. Il contenait cependant un certain nombre de remarques très pertinentes concernant le bien-être animal, l'hygiène et le phénomène conduisant certains abattoirs à généraliser l'abattage sous forme rituelle pour être capables de fournir des produits abattus rituellement à tout moment.

En cas d'abattage rituel, l'animal est immobilisé et saigné sans assommage. Il n'est donc pas possible de faire une incision dans la peau pour sectionner les carotides et les jugulaires, ce qui peut entraîner un risque de contamination de la partie basse de l'animal.

Cela nous a conduit à renforcer le dispositif normatif en 2011 pour redéfinir les conditions de l'abattage rituel en limitant l'abattage rituel au strict nécessaire et en renforçant les garanties sanitaires. Concrètement l'abattoir doit disposer d'un volume de commandes déterminé avant de procéder à des abattages rituels et des obligations renforcées en matière d'hygiène ont été mises en oeuvre, avec notamment une formation des sacrificateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qui assure la formation de ces sacrificateurs ?

Mme Stéphanie Flauto, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments . - Des organismes de formation que nous habilitons selon les normes prévues par un règlement européen promulguée l'an dernier.

M. Patrick Dehaumont . - Le programme est prédéfini et les organismes religieux sont impliqués dans la formation.

Il est très important de ne pas tuer plus de bêtes que nécessaire mais aussi de ne pas gaspiller les denrées produites. Dans le rite casher, on ne consomme que les avants et pas les arrières. Dans le rite halal, on consomme beaucoup d'abats mais il est nécessaire de pouvoir commercialiser le reste de la carcasse.

Avec ou sans boutonnière, il existe toujours un risque de percer les intestins. Les pourcentages d'accidents d'éviscération varient fortement selon les abattoirs : tout dépendant de la qualité de leur travail, plus que du mode, rituel ou pas d'abattage. Ces accidents font l'objet d'un suivi statistique.

Mme Stéphanie Flauto . - Il existe un risque accru de contamination en abattage rituel à deux niveaux : soit si l'on perce les intestins ou l'oesophage avec un possible déversement du contenu digestif qui souille la partie basse de la carcasse, soit lorsque l'on enlève la peau. L'abattage rituel doit clairement être pris en compte dans le plan de maîtrise sanitaire des abattoirs qui le pratiquent pour assurer le bien-être animal au moment de la mise à mort et garantir une maîtrise des procédures et des risques par les professionnels eux-mêmes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Disposez-vous des chiffres de la contamination par la bactérie escherichia coli ?

Mme Stéphanie Flauto . - Nous mettons en place depuis plusieurs années des plans de surveillance dont nous pourrons vous fournir les résultats. Au niveau des produits remis aux consommateurs, nous contrôlons tout particulièrement les viandes hachées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Disposez-vous de chiffres abattoirs par abattoirs ?

Mme Stéphanie Flauto . - Non, car ces tests sont effectués au niveau de la viande hachée, dans les établissements qui produisent cette viande hachée et non abattoir par abattoir. Les résultats que nous obtenons sont globalisés au niveau national.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous une idée du pourcentage d'abattage rituel en France ? Que pensez-vous des chiffres de ce rapport CGAAER qui l'estimait à 40 % pour les bovins et 60 % pour les ovins ? Avez-vous d'autres chiffres ?

M. Patrick Dehaumont . - Nous ne confirmons pas ces chiffres car il s'agit d'un rapport partiel et non exhaustif. Nous disposons de chiffres obtenus il y a huit mois environ qui évaluaient le pourcentage d'abattage rituel en France à 14 % avec des variations plus importantes par espèces. Ces chiffres proviennent d'enquêtes auprès des directions départementales.

Escherichia coli représente un danger majeur. Des mesures strictes sont mises en place pour maîtriser la contamination par cette bactérie aux stades de l'abattage, de l'utilisation de la matière première et de la préparation des viandes hachées. Des plans de surveillance sont élaborés par les services officiels et des autocontrôles sont imposés aux industriels. Grâce à cela, nous avons fait des progrès très significatifs en matière de maîtrise des contaminations par escherichia coli sachant qu'il existe deux types d'accidents : ceux que l'on peut qualifier de sporadiques et les cas épidémiques. Il sera toujours très difficile de s'affranchir complètement du sporadique mais l'épidémique n'est pas acceptable. Un foyer a été détecté en juin 2012 avec un peu moins de dix cas. Même si ce nombre est faible, la gravité de cette pathologie fait qu'on ne doit pas la tolérer.

Dans la mesure où nous travaillons sur du vivant, il faut des mesures drastiques de prévention pour éviter la contamination de la carcasse, des pièces de découpe et de la viande hachée.

Un arrêté ministériel sera bientôt publié et imposera aux industriels de procéder à un contrôle libératoire et de retirer du marché les produits contaminés par escherichia coli . Jusqu'ici, pour des raisons techniques, les industriels n'avaient mis en place ce type de contrôle que pour la viande hachée surgelée. Ils devront désormais le faire sur la viande réfrigérée. C'est le seul moyen d'éradiquer de manière quasi absolue les foyers épidémiques. Il y a eu des réticences de la part des industriels car ils ne disposent pas tous de laboratoires. Les contrôles libératoires posent par ailleurs des problèmes de délais d'analyse, de stockage...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Scientifiquement, le fait que la trachée et l'oesophage soient sectionnés, que l'animal soit mis la tête en bas et les pattes en l'air, qu'il respire, que le rumen se déverse sur la plaie, est-ce une source de contamination escherichia coli ? Dans l'abattage conventionnel, il existe une agrafe et la mise à mort se fait par une saignée et non par un égorgement.

M. Patrick Dehaumont . - Effectivement, il peut y avoir un risque de régurgitation d'où l'importance des mesures de maîtrise sanitaire et des contrôles libératoires. Une étude des années 1980 montrait que si l'on saigne un porc avec un couteau stérilisé trempé dans une solution de clostridium en sectionnant la veine et l'artère, des traces de clostridium sont décelables dans le jambon car la circulation sanguine se poursuit encore. Connaissant ces risques, l'objectif est donc de mettre en place de nombreuses mesures de maîtrise pour éviter les contaminations.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je souhaiterais que nous abordions à présent la question qui est à l'origine de notre mission, à savoir la question des normes et des contrôles industriels.

M. Patrick Dehaumont . - Les normes et contrôles industriels reposent avant tout sur le principe de l'agrément sanitaire délivré par l'État sous réserve du respect d'un certain nombre d'exigences en matière d'installation, de conditions de fonctionnement, de procédures de maîtrise sanitaire, de conditions d'approvisionnement et de formation du personnel. Cet agrément est accordé sur la base d'un dossier initial et de visites sur site. Il est ensuite maintenu par le biais d'inspections régulières. Il existe environ 13 000 établissements agréés dans la filière viande qui font l'objet de 10 000 inspections par an.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Existe-t-il une définition du minerai de viande et comment le contrôlez-vous ?

Mme Stéphanie Flauto . - Il n'existe pas de définition du minerai dans les règlements européens du paquet hygiène. Il s'agit d'une définition professionnelle, consacrée par l'usage. En pratique, il s'agit de petits morceaux de découpe de viande : du muscle, le gras attenant et un peu de tissu conjonctif qui enveloppe les muscles. Il existe différents types de minerais selon leur teneur en gras, en protéines et en tissu conjonctif. Traditionnellement, ce sont des produits qui ne sont pas remis aux consommateurs mais des produits intermédiaires qui sont utilisés dans l'industrie. Le minerai peut être congelé ou frais.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces minerais sont-ils susceptibles de contenir des viandes issues de différents animaux ? Un minerai pourrait-il contenir par exemple du boeuf charolais et du buffle ? Faites-vous des tests ADN pour le savoir ?

M. Patrick Dehaumont . - Jusqu'à présent, les services officiels n'ont jamais pratiqué de tests ADN mais il est vrai que le récent scandale conduit à se poser de nombreuses questions.

Un point est très positif : nous ne connaissons pas de crise sanitaire. Les fraudes opérées ne présentent pas de danger pour la santé du consommateur et il n'y a pas de recyclage à grande échelle d'animaux abattus clandestinement. Néanmoins cette fraude conduit la DGAL à s'interroger sur la nécessaire évolution des plans de contrôle et des méthodes d'inspection. Le minerai n'était pas considéré comme particulièrement sensible dans nos analyses de risque dans la mesure où il s'agit de chutes de viande congelées, stockées à - 18°C, issues d'atelier de découpe agréés et provenant d'abattoirs où une inspection est systématiquement opérée. Nous avons fait des centaines d'enquêtes bactériologiques sur le minerai utilisé dans la production de viande hachée.

M. Gérard Bailly . - Je crois qu'en ce qui concerne l'abattage en France, nous sommes tous conscients que la traçabilité est bien assurée - j'ai pu suivre moi-même les achats de Mac Donald's en retrouvant les numéros d'abattoirs des animaux. Ce qui nous inquiète, ce sont les produits d'importation. L'industriel qui souhaite importer de la viande d'Amérique du Nord ou de Nouvelle-Zélande demande-t-il une autorisation ministérielle, ou bien s'agit-il d'un contrat de gré à gré avec un contrôle à l'entrée sur le territoire français ?

M. Patrick Dehaumont . - L'importation de viande issue de pays hors Union européenne est encadrée au niveau européen. Si l'on veut importer des viandes fraîches sur le territoire d'un État membre, il faut que le pays tiers d'où proviennent les bêtes dispose d'un statut sanitaire garantissant qu'il est exempt de maladies animales. L'agrément est donné par la Commission européenne. En ce qui concerne la viande de volaille par exemple, les autorités européennes se sont inquiétées d'un risque de contamination avec l'épisode de l'épizootie d'influenza en Chine et ont mis en place un embargo : la Chine ne peut pas exporter de volaille fraîche à destination de l'Union européenne. Le produits passent ensuite par un poste d'inspection frontalier accompagnés de certifications sanitaires établies par l'autorité compétente. Des contrôles sont ensuite opérés de manière à ce que la pression de contrôle soit suffisante.

M. Gérard Bailly . - Une fois ces produits de pays tiers sur le territoire national, garde-t-on trace de la race de l'animal et de l'abattoir dont la viande est issue ou n'a-t-on plus que le pays d'origine ?

M. Patrick Dehaumont . - On trouve indiqué sur l'étiquette l'abattoir de provenance pour les carcasses et les quartiers mais on ne trouve plus d'indication sur les éleveurs, contrairement à ce que l'on trouve pour les produits français.

M. Gérard Bailly . - Les étiquettes sont-elles assez explicites pour que le consommateur sache d'où provient la viande quand elle est produite par un pays tiers ?

M. Patrick Dehaumont. - Il est vrai que les étiquettes ne sont pas toujours faciles à lire. Il faudrait que le consommateur fasse l'effort de ne choisir que des produits pour lesquels toutes les informations sont fournies, ce qui aurait en outre le mérite de valoriser les produits d'origine française.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pourriez-vous nous expliquer comment la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) a opéré chez Spanghero ? Qu'y-a-t-elle découvert ?

M. Patrick Dehaumont . - La brigade peut être sollicitée par le ministre via le Directeur général de l'alimentation ou par la justice.

Dans l'affaire Spanghero, lorsque la DGCCRF nous a communiqué certaines informations, nous nous sommes interrogés sur la présence d'un risque sanitaire éventuel. Le ministre a décidé de suspendre les agréments de Spanghero et de demander à la BNEVP de se rendre sur place et de procéder à une investigation détaillée des installations, des produits et de la comptabilité. Cette décision a été prise le jeudi à 12 heures et les agents étaient sur place le vendredi matin à 9 heures.

Mme Catherine Collinet . - Notre mandat était de vérifier que l'ensemble des produits présents, qui entraient dans la fabrication des produits de l'établissement, étaient conformes aux normes en vigueur. Nous avons trouvé un stock de 350 tonnes de viande. Pour que l'établissement puisse se remettre à fonctionner, il nous fallait contrôler à la fois les matières premières et les processus de production. L'activité de l'établissement étant arrêtée, il s'agissait surtout d'un contrôle physique des installations. Nous avons travaillé à quatre pendant trois jours de 9 heures à 19 heures : il s'agit d'une opération lourde en temps et en moyens. 90 % des 350 tonnes ont été contrôlées par sondages, en vérifiant les étiquettes. Ce travail a été effectué lot par lot, en décongelant les produits. Nous avons terminé nos investigations à la fin de la semaine suivante et c'est à cette occasion que nous avons découvert de la viande de mouton séparée mécaniquement. Il fallait avoir l'habitude de ce genre de matière première pour la détecter mais nous avions précisément procédé à une enquête sur la viande séparée mécaniquement dans toute la France en 2009.

La brigade peut être saisie soit par un procureur soit par le directeur général de l'alimentation. La direction identifie un problème, puis définit le contenu de l'enquête, notamment la représentativité de l'échantillon d'étude en fonction de la taille des établissements et de leur emplacement géographique. Parfois, l'enquête peut même porter sur la totalité d'une filière. Les enquêtes sont conduites à partir d'un questionnaire initial, ajusté au fur et à mesure. À l'issue de ces enquêtes, un rapport confidentiel est remis au directeur général. Nous procédons ensuite généralement à une restitution aux professionnels de ces constats. Le grand avantage de ces enquêtes administratives est que nous prêtons une très grande attention à la logique économique : il n'y a pas de fraude sans argent.

M. Patrick Dehaumont . - Dans l'affaire Spanghero, le travail de la brigade nous a permis de rétablir l'agrément sur une partie de l'activité et de maintenir la suspension sur une autre partie de cette activité pour poursuivre les investigations. Dans le cadre de l'enquête judiciaire, nous avons remis le procès-verbal au parquet.

M. Gérard Bailly . - La viande venue de Roumanie a-t-elle effectivement circulé jusqu'au Pays-Bas avant de venir dans le sud de la France ou n'y a-t-il que les papiers qui circulent ? Par ailleurs, je suis surpris que l'entreprise Spanghero qui a du faire des profits avec cette fraude, dépose le bilan.

Mme Catherine Collinet . - L'entreprise Spanghero était en difficultés financières depuis fort longtemps. Elle n'avait retrouvé son équilibre qu'en décembre 2012. Lorsque l'on se trouve dans une situation de crise, la délinquance augmente, dans l'agroalimentaire comme partout. Il y existe des délinquants de métier, comme pourrait l'être le trader néerlandais impliqué dans cette affaire. Il existe aussi une délinquance d'opportunité qui se produit ponctuellement dans certaines entreprises, en particulier quand elles rencontrent des difficultés financières. Les cas risquent de se multiplier avec les difficultés des entreprises.

Mme Nathalie Pihier, chef de mission urgences sanitaires . - Le chiffre de 50 000 tonnes concerne une autre affaire que l'affaire Spanghero.

La viande reçue par Spanghero, en provenance de Roumanie, a bien transité physiquement par un entrepôt néerlandais. Nous avons d'ailleurs pu prouver que cette viande avait fait l'objet de manipulations physiques au niveau de cet entrepôt. Spanghero a reçu la marchandise sans la toucher physiquement puis l'a revendue à Tavola, une entreprise luxembourgeoise qui fabrique des plats cuisinés. Les Pays-Bas nous ont confirmé qu'ils avaient eux aussi découvert ce que nous avions mis en évidence par nos enquêtes sanitaires.

Il est important de savoir qu'au Pays-Bas, des mélanges de viandes ont été réalisés par des ateliers spécialisés, hors des entrepôts. Les autorités néerlandaises ont découvert qu'il y avait une absence totale de traçabilité entre ce qui entrait et ce qui sortait de ces établissements. C'est ce qui les a conduits à demander le retrait de 50 000 tonnes de viande.

En ce qui concerne l'affaire Spanghero stricto sensu , je souhaite insister sur un point essentiel : il ne s'agit pas d'une affaire française, mais d'une affaire européenne dont le principal acteur est le trader hollandais.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces précisions très utiles.

Audition de M. Robert Volut, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) (jeudi 11 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous souhaite la bienvenue. Quel est point de vue sur la situation actuelle de la filière viande et sur la confiance que portent les consommateurs à ses productions.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Les incidents ou scandales ont tendance à se succéder dans le secteur de la viande. Quelles sont, à votre avis, les pistes pour renforcer la confiance du consommateur ? Comment vendre au juste prix des produits de qualité en préservant la viabilité économique de tous les maillons de la filière et en particulier celle des éleveurs ?

M. Robert Volut, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs . - En préambule, je veux insister sur l'importance de la transformation dans la filière viande : les professionnels de la charcuterie sont attachés à la reconnaissance de cette réalité et l'intitulé de la mission d'information sénatoriale, tout en y faisant allusion, ne la souligne peut-être pas suffisamment.

Je rappelle que la transformation de la viande est une des premières industries de produits alimentaires d'Europe et qu'elle se rattache à de fortes traditions régionales. La production de l'Union européenne de produits à base de viande s'élève à 13,5 millions de tonnes, ce qui représente un chiffre d'affaires global de 75 milliards d'euros réalisés par 13 000 entreprises employant 350 000 personnes. Dans cet ensemble, la France représente environ 1,6 millions de tonnes avec 7,2 milliards de chiffre d'affaires et 60 000 emplois.

Je souligne, en second lieu, qu'il nous parait essentiel de prendre en considération, les spécificités culturelles, économiques, géographiques de chaque espèce : il faut donc se garder de trop globaliser le raisonnement sur la filière viande. Les habitudes de consommation nationale sont très différentes d'un pays à l'autre : on consomme en France 33 kg de viande de porc, 25 kg de volaille et 23 kg de boeuf par an. En Allemagne, les chiffres s'établissent à 60 kg de porc, 20 kg de volaille et 13 kg de boeuf. La partie transformée est également très variable selon les espèces : 70 % de la viande de porc est transformée en charcuterie ou en plats cuisinés alors que ce taux est d'environ 30 % pour les volailles et de 20 % pour le boeuf. Pour le porc, la transformation est donc un volet fondamental. Au total, et compte tenu de ces différences, nous appelons à ne pas opérer de généralisations hâtives et simplificatrices.

En ce qui concerne la crise que nous venons de traverser - et qui n'est pas de nature sanitaire - ma première remarque est que la fraude se détecte avec des contrôles, relève de sanctions sévères et se prévient grâce à un certain niveau de déontologie. En second lieu, lorsque le bruit médiatique, parfois relayé par les politiques, amplifie le phénomène de façon excessive et indifférenciée, nous estimons qu'on ne sert en rien la cause de l'information du consommateur : nos adhérents qui transforment du boeuf y sont très sensibles. Des négligences et des signes d'incompétences - je mets de côté la fraude - ont été constatées chez certains professionnels. En effet, la base du métier est de contrôler les matières premières : lorsque des soi-disant professionnels prétendent ne pas connaître les codes douaniers, ils font preuve d'incompétence notoire et ne me paraissent pas en capacité d'exercer leur métier. Le comportement normal des industriels ou des distributeurs qui sont clients de Comigel est de vérifier la nature de leur approvisionnement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Il me semble d'ailleurs que c'est bien Findus qui a détecté l'anomalie de la viande de cheval.

M. Robert Volut . - C'est effectivement une filiale anglaise du groupe Findus qui a donné l'alerte. Mon expérience à la tête d'un grand groupe alimentaire me conduit à rappeler que la préservation de la marque est la première priorité pour des entreprises qui, avant d'apposer leur signalétique sur un produit, ont intérêt à procéder à toutes les vérifications nécessaires.

Il faut reconnaitre que les opérateurs de plats cuisinés qui assemblent des centaines de produits différents ont un métier très différent de celui des charcutiers. Je précise que ces derniers, qui connaissent particulièrement bien les caractéristiques des viandes qu'ils traitent, procèdent avant tout à un contrôle visuel. Un charcutier détecte immédiatement la couleur sombre de la viande de cheval et son odeur, lesquelles sont très différentes de celles du boeuf. Lorsque la viande est congelée, le charcutier la décongèle et lui applique une batterie de tests. S'agissant de ce que les professionnels du boeuf appellent, de façon péjorative, « minerai » - nous n'utilisons jamais ce terme et lui préférons celui de petits morceaux de viande - il est effectivement plus difficile d'en contrôler la nature. Raison de plus pour ne pas se limiter au contrôle visuel !

Je signale enfin que, début 2010, notre profession a été informée de l'existence de soupçons de fraude en Europe relative à la substitution de viande de cheval à celle de boeuf, à la suite d'une enquête lancée à la demande des autorités hollandaises. La fraude, qui concernait les années 2006 à 2009 portait sur 4.000 tonnes de viande. Les noms des personnes impliquées dans la fraude nous ont alors été communiqués : ces même noms semblent avoir étés retrouvés au cours des événements récents. Notre fédération de la charcuterie avait immédiatement alerté des risques de substitution la trentaine de ses adhérents qui utilisaient de la viande de boeuf. Certains de nos adhérents en ont tiré les conséquences en arrêtant de travailler avec les opérateurs figurant sur la liste qui nous avait été transmise. D'autres ont été tentés de continuer, les opérateurs mis en cause étant spécialisés dans la fabrication de produits à bas prix : nos industriels ont cependant, depuis 2009, procédé à des contrôles et à des tests ADN particulièrement rigoureux sur les achats de viande de boeuf.

Les négociants en viande, que l'on qualifie maintenant de « traders » dans la presse - le nom de « maquignon » n'étant guère valorisant -- sont des opérateurs traditionnellement utiles. En effet, nos adhérents qui ont une taille importante se tournent vers les marchés internationaux pour leur approvisionnement. Je rappelle ici que le porc consommé en France provient essentiellement de l'Union européenne. En revanche, les importations de boeuf en provenance du Brésil sont plus fréquentes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - On nous a indiqué qu'il s'agit parfois d'importations de buffle sous l'appellation de boeuf....

M. Robert Volut . - Je vous rassure sur ce point, c'est bien du boeuf qui est utilisé pour fabriquer, par exemple, de la Bresaola ou de la viande des Grisons.

A la différence des grandes, les petites structures, qui n'ont pas accès à une large palette de fournisseurs, font appel à des négociants. Ces derniers remplissent donc un rôle utile à l'importation mais aussi à l'exportation.

La chaîne d'approvisionnement n'est pas plus complexe dans notre secteur que dans d'autres : cette chaîne comprend les éleveurs naisseurs, les éleveurs engraisseurs, les abattoirs, les découpeurs, les transformateurs, les grossistes ou les centrales d'achat, les détaillants ou restaurateurs et enfin les consommateurs.

Quelles sont les voies d'amélioration de la situation ? D'abord, il convient d'appliquer des sanctions exemplaires - elles sont aujourd'hui insuffisantes. Je fais également observer que les outils de contrôle officiels ont subi, comme vous le savez, des diminutions de moyens et des restructurations qui ont donné lieu à certains dysfonctionnements.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelle est votre appréciation sur l'auto-contrôle ?

M. Robert Volut . - Nous sommes partisans d'une vigilance d'Etat et de contrôles accrus au niveau européen. Il est d'ailleurs souhaitable que les systèmes de contrôle soient au même niveau dans les 27 pays de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'autocontrôle, notre profession - artisans et industriels - s'est dotée, depuis 1969, d'un code des usages qui définit avec précision plus de 400 produits de charcuterie. Les tribunaux français se fondent sur ce code des usages pour déterminer l'existence une fraude. Par la suite, en 1993, nous avons mis en place, pour répondre aux exigences communautaires, un guide des bonnes pratiques d'hygiène et de contrôle HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point - analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise). Ces règles ont été reprises dans les normes ISO 9 000, 12 000 ou 14 000. C'est une obligation qui a reçu en 2010, soit vingt ans après, l'agrément tardif des autorités françaises. Par ailleurs, nos clients de la grande distribution ou de la restauration procèdent à des contrôles spécifiques de leurs fournisseurs.

J'attire également l'attention sur l'importance de la déontologie. En 2000, nous avons mis en place une charte déontologique sur les rillettes et un dispositif de contrôle de son application. Nous élaborons aujourd'hui une charte sur les saucissons secs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ces chartes concernent plus particulièrement l'hygiène des produits ?

M. Robert Volut . - Effectivement, mais les chartes portent également sur les caractéristiques du produit et sa composition.

Dans la pratique, nous utilisons assez peu les indications géographiques protégées (IGP) et je le regrette. On en recense, en effet, seulement cinq en France dans le secteur de la charcuterie, contre 40 en Espagne ou en Italie. Je rappelle que l'IGP correspond d'abord à un savoir-faire et ensuite à une provenance géographique. En même temps, du point de vue économique, la charcuterie ne peut se développer qu'en s'appuyant sur un certain nombre de produits phare. Or les agriculteurs français ont traditionnellement adopté une conception restrictive de la provenance de la matière première, ce qui freine la possibilité de développer des IGP. En menant une politique plus offensive, l'Espagne et Italie ont réussi à encourager leurs exportations. Je crains que la France ne se soit tiré une balle dans le pied.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous aborder la problématique de la traçabilité pour inciter les consommateurs à se porter sur les produits issus de la viande ?

M. Robert Volut . - En laissant de coté les deux derniers mois, je rappelle que, depuis 10 ans, notre profession a enregistré une progression de nos volumes de vente de + 2,9 % par an. Le consommateur nous fait donc globalement confiance. Nous avons fait des efforts pour réduire la teneur en sel ou en matières grasses de vos produits, que nous poursuivons sur la base d'une charte officielle. 40 % de nos produits sont vendus sous marque de fabricants ce qui est une proportion trop faible par rapport à celle des marques de distributeurs (MDD). Notre principale préoccupation concerne aujourd'hui notre relation avec nos grands clients et non pas avec les consommateurs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les règles d'étiquetage vous paraissent-elles perfectibles ?

M. Robert Volut . - Elles sont en passe d'être modifiées en ce qui concerne la viande crue : l'origine de l'élevage et de l'abattage sera certainement mentionnée à partir du 1 er janvier 2014. Nous nous y préparons activement. Observons cependant que la fraude qui vient d'avoir lieu a concerné le boeuf qui, précisément, fait d'ores et déjà l'objet d'obligations renforcées d'étiquetage et de traçabilité. Il ne faut pas se méprendre : la fraude ne concerne pas les produits transformés mais bien la viande fraîche. Je note aussi au passage que les nouvelles obligations d'étiquetage ne concerneront pas le cheval, ce qui est surprenant.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - C'est, en effet, étonnant.

M. Robert Volut. - En tant que fabricants de produits alimentaires, notre premier travail est de définir la recette du produit. Dans 60 % des cas nos adhérents sont sous-traitants de la grande distribution et, dans cette hypothèse, c'est cette dernière qui fixe le cahier des charges de la recette. La compétition, à travers les appels d'offre, se concentre sur le prix.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous ne voyez donc pas d'inconvénient a ce que l'étiquetage précise les quantités respectives de produit de viande ainsi que leur provenance?

M. Robert Volut . - La proportion des ingrédients de viande figure d'ores et déjà. L'origine n'est pas obligatoirement mentionnée. Si cela est utile, alors nous préciserons l'origine des viandes utilisées, notamment pour justifier le prix et améliorer les ventes. Ne confondons pas non plus transparence et traçabilité : nous assurons la seconde systématiquement, même si l'étiquetage ne le mentionne pas.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-ce un atout si on peut étiqueter la provenance française de la viande ?

M. Robert Volut. - Oui, mais je fais observer que la taille de l'emballage est limitée. Par ailleurs - et on ne le sait pas suffisamment - le numéro de l'usine de fabrication figure d'ores et déjà sur l'étiquetage : c'est l'équivalent d'une plaque minéralogique. Il faut mieux informer le consommateur sur ce point.

M. Gérard Bailly . - Le numéro de la fromagerie figure également sur les morceaux de Comté. Je voudrais vous interroger sur la problématique des marges : pourquoi la rentabilité du rayon charcuterie de la grande distribution est-elle satisfaisante alors que la boucherie y est déficitaire ?

M. Robert Volut . - Chaque viande a sa logique et son circuit économique spécifique. La grande distribution est très largement bénéficiaire sur les produits de charcuterie mais la situation est tout autre pour la viande fraîche. D'une manière générale, la grande distribution gagne plus d'argent sur les secteurs comme la salaison, où l'approvisionnement est assuré principalement par les PME plutôt que sur ceux comme les céréales pour les petits-déjeuners, où dominent les grandes marques.

Il faut bien prendre la mesure des causes des difficultés des éleveurs. Le monde de l'élevage insiste sur l'étiquetage mais, à mon sens, le vrai remède consisterait à ce que la grande distribution accepte les augmentations de prix que nous demandons : c'est la seule solution pour que la qualité soit préservée. Ce n'est pas en changeant l'étiquetage qu'on parviendra à modifier la logique économique.

Audition de M. Christian Le Lann, membre de la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) (jeudi 11 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) représente le secteur traditionnel des boucheries de quartier, qui reste extrêmement important en termes de chiffre d'affaires et d'emploi dans notre pays.

M. Christian Le Lann, membre de la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) . - Outre mes fonctions de président de la CFBCT, je suis également membre d'Interbev et de la chambre des métiers de l'artisanat de Paris.

La boucherie artisanale comme la grande distribution respectent le principe de la traçabilité des viandes bovines non transformées, puisqu'il s'agit d'une obligation réglementaire. Cette obligation constitue un héritage de la crise sanitaire de la vache folle.

La crise que nous traversons à l'heure actuelle n'est pas une crise alimentaire mais résulte d'une fraude économique, qui a été rendue possible par le manque de traçabilité des produits transformés. Les lasagnes en question ne contenaient pas de viande, mais du minerai, qui comporte de la viande mais également des nerfs, des tendons, des aponévroses, des tissus conjonctifs, et peut-être même parfois des abats, bien que leur utilisation dans ce cadre soit interdite par la réglementation. A l'heure actuelle, en l'absence d'obligation de traçabilité sur les produits transformés, l'information du consommateur sur ces produits est inexistante. De tels produits n'ont rien à voir avec des lasagnes confectionnées par un artisan traiteur, dont le prix de revient sera aussi très différent.

Notre pays s'est engagé dans une voie singulière, celle du « tout-industriel ». 80 % des produits consommés par les consommateurs français sont issus de l'industrie agroalimentaire. Nous avons tendance à favoriser l'industrie et la grande distribution, comme l'illustre la loi de modernisation de l'économie (LME) adoptée en 2008, qui a été dévastatrice pour les producteurs et pour le commerce traditionnel.

Cette fraude économique a engendré un regain d'intérêt chez les consommateurs pour les artisans et les commerçants de proximité, comme toujours en période de crise de confiance. Les boucheries artisanales ont ainsi connu une augmentation de leur fréquentation de l'ordre de 20 à 30 % en quelques jours. Les boucheries chevalines ont constaté une augmentation de 17 % de leurs ventes, ce qui signifie que les consommateurs ont redécouvert la viande de cheval de qualité - et non pas les minerais qui avaient envahi le marché industriel et qui circulaient depuis l'Europe de l'Est au gré du trading .

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette augmentation de la consommation de viande de cheval signifie-t-elle que les consommateurs se sont tournés vers la viande de cheval pour elle-même, ou qu'ils ont découvert à l'occasion de cette crise que la viande de cheval était moins chère que le boeuf ?

M. Christian Le Lann . - La viande de cheval est en effet moins chère que la viande de boeuf. A l'heure actuelle, il s'agit principalement d'une viande d'importation. Le consommateur peut cependant trouver à la viande de cheval d'autres vertus que son moindre coût ; certains se souviennent peut-être que le mercredi était autrefois le jour du steak haché de cheval pour les enfants.

Les boucheries chevalines ayant fermé suite à une crise sanitaire de la viande de cheval, sa distribution passe aujourd'hui principalement par les boucheries traditionnelles et la grande distribution.

M. Gérard Bailly . - Peut-on considérer qu'à moyen et long terme, on consommera davantage de viande de cheval ? Certains espaces qui ne peuvent accueillir que des élevages ovins et équins pourraient se retrouver en friche si les cheptels ovins et la production de cheval continuaient à diminuer. Comment valoriser ou peut-être même réorganiser la filière chevaline et faire en sorte que les consommateurs retrouvent confiance dans la viande de cheval ?

M. Christian Le Lann . - La filière chevaline a été sinistrée, mais pourrait aujourd'hui profiter de cet intérêt nouveau pour la viande de cheval.

Il faut prendre conscience que la filière ovine, comme l'ensemble des filières, n'a un avenir que si les éleveurs sont payés au juste prix - ce que seules les boucheries artisanales offrent aujourd'hui. 60 % de la consommation de viande ovine provient de Nouvelle-Zélande. Nous avons accepté de vendre à bas coût alors que notre production ne peut pas suivre cet impératif. La grande distribution fait peser une pression très importante sur le monde de l'élevage, à tel point qu'à l'heure actuelle, les éleveurs se reconvertissent en céréaliers. Nous manquerons bientôt de viande en France ! Il est faux de dire que les Français mangent trop de viande, comme on l'entend souvent : la consommation dégringole chaque jour un peu plus et ne dépasse pas 70 grammes de viande par jour en moyenne.

M. Gérard Bailly . - On nous a indiqué, au cours de nos précédentes auditions, qu'il était impossible d'augmenter le prix de viande. Pourquoi la grande distribution, qui devrait avoir conscience que les filières françaises sont en danger et qu'elle devra de plus en plus recourir aux importations dans l'avenir, refuse-t-elle de le revaloriser ? On a le sentiment d'un véritable blocage.

M. Christian Le Lann . - La grande distribution n'a pas d'états d'âme et ne s'engage pas dans la défense des intérêts économiques des éleveurs. Certains jouent le jeu et privilégient les filières de production française, mais d'autres n'ont aucun scrupule à acheter de la viande d'importation, notamment néo-zélandaise dans le cas de la viande ovine.

Nous sommes très inquiets : en l'absence de juste rémunération des éleveurs, c'est l'ensemble de notre élevage qui est menacé, y compris l'élevage bovin qui résistait encore jusqu'à présent. C'est pourquoi nous incitons nos collègues, dont 7 000 sont bouchers abattants, à se rapprocher des éleveurs. Une charte a ainsi été élaborée entre la CFBCT et l'association Elvea, qui représente une grande partie des éleveurs indépendants. Nous essayons également de multiplier les accords départementaux et régionaux pour favoriser les véritables circuits courts, c'est-à-dire les circuits qui relient l'éleveur au boucher ou le grossiste au boucher. Nous sommes en revanche opposés aux ventes directes : chacun doit faire son métier.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - N'y a-t-il pas trop d'intermédiaires dans la filière viande ?

M. Christian Le Lann . - Le problème de la filière viande n'est pas celui du nombre d'intermédiaires ; il est lié au prix de base de la viande, qui n'est pas du tout rémunérateur. On a mis dans la tête des consommateurs que tout devait être low cost . Pourtant, certains de mes clients n'hésitent pas à payer le juste prix pour des produits de qualité exceptionnelle, comme par exemple le veau fermier élevé sous la mère, qui n'a rien à voir avec des produits industriels.

Le développement de l'industrialisation et le pouvoir de la grande distribution risquent de réduire à néant les efforts accomplis sur les labels et les signes de qualité. Tout ce qui intéresse ces acteurs, c'est de vendre de la viande, qu'ils considèrent comme un produit générique. Nous nous targuons de l'inscription de notre gastronomie au patrimoine mondial de l'Unesco, alors que nous consommons du fromage industriel et de la viande de basse qualité ! Notre pays a été livré pieds et poings liés aux industriels et à la grande distribution ; c'est de là que viennent nos difficultés. La LME votée en 2008 était un cadeau fait à la grande distribution. Et comme les gouvernements précédents, le gouvernement actuel ne voit que par l'industrie. La grande distribution envahit peu à peu nos centres-villes, puisqu'aucune autorisation n'est nécessaire pour une surface inférieure à 1 000 mètres carré. En l'absence de protection de ceux-ci dans les plans locaux d'urbanisme (PLU), les commerces de bouche ont pratiquement disparu de nos villes. Nous avons fait des propositions pour modifier la loi en matière d'urbanisme commercial, d'encadrement des loyers commerciaux, de ventes directes. Ce n'est pas seulement la viande qui est concernée par le commerce parallèle, mais également les produits laitiers et les fruits et légumes. Il faut également s'intéresser à la pratique de l'abattage familial, qui est extrêmement opaque.

M. Gérard Bailly . - Avec la multiplication des contrôles, cette pratique a tout de même beaucoup diminué.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Il faut également évoquer la pratique de l'abattage clandestin. J'ai moi-même pu observer un abattoir qui avait été homologué pour la production de volaille et dont on voyait sortir des camions pour l'équarrissage. Je pense que nous ne sommes pas assez rigoureux sur cette question. Ne faudrait-il pas privilégier les petits abattoirs de proximité aux énormes usines d'abattage, même si on nous répète que cela coûte très cher ?

M. Christian Le Lann . - Le système d'abattoirs allemands comprend encore des abattoirs particuliers. Il faut donner la possibilité de créer des abattoirs plus petits, qui seront rentables. Un problème social nous menace. Les abattoirs Bigard, qui réalisent 60 % de l'abattage dans notre pays, sont en sous-exploitation, ce qui menace les emplois.

Par ailleurs, les petites entreprises de transformation de charcuterie sont actuellement très menacées, contrairement aux plus importantes d'entre elles. Elles produisent en effet des produits régionaux plus qualitatifs et sont confrontées à la crise économique.

M. Gérard Bailly . - Les collectivités territoriales tendent de plus en plus à privilégier les circuits courts. Ce développement risque-t-il de réduire les débouchés des boucheries traditionnelles ?

M. Christian Le Lann . - Un de mes collègues, qui fournissait la crèche et les écoles de son village depuis des années, a soudainement perdu l'accès à ce marché : une cuisine centrale avait été installée et il lui manquait un agrément européen pour répondre aux nouvelles exigences normatives. La plupart des institutions, comme par exemple les maisons de retraite, sont désormais obligées d'externaliser leur restauration auprès de grands groupes comme Sodexho en raison des règles drastiques qui doivent être appliquées. Les règles sanitaires et le principe de précaution vont tellement loin qu'ils excluent de fait l'artisanat et les petites entreprises. La restauration de collectivité ne permet plus aujourd'hui d'assurer une alimentation correcte à ses bénéficiaires ; en outre, elle ne privilégie pas nécessairement la viande française.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il existe également parfois un problème de formation du personnel employé par la restauration collective : celui-ci fait davantage de l'assemblage de produits que de la cuisine.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'étiquetage des produits est-il assez clair pour la ménagère qui fait ses courses ? Bien souvent, il faut à la fois une loupe et un décodeur pour lire les étiquettes.

M. Christian Le Lann . - Je pense que la mention de l'origine est absolument indispensable pour les produits transformés. Pour l'ensemble de nos produits, nous n'avons pas le droit à l'heure actuelle d'indiquer le nom de l'élevage dont ils sont issus, ce que souhaitent parfois faire certains bouchers de proximité. Il faudrait aussi améliorer l'information du consommateur sur les conservateurs et les exhausteurs de goût.

Nous vivons aujourd'hui sous le règne de la malbouffe industrielle. Notre pays compte pourtant de nombreuses spécialités de produits remarquables. Une viande qui n'est pas de qualité, qui n'a aucun goût, conduit à dégoûter les consommateurs. L'alimentation doit aussi être un plaisir.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous pourrions préconiser de valoriser les éleveurs locaux dans l'étiquetage des produits.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Au-delà de la crise liée à l'affaire de la viande de cheval, n'observez-vous pas un mouvement de retour vers les produits naturels ?

M. Christian Le Lann . - Cette fraude économique a au moins eu une vertu : elle a permis de relancer le débat sur l'alimentation. Celle-ci est entre les mains des puissances de l'argent, qui font du profit sur le dos des consommateurs. Il est indispensable que nos élus se penchent sur ces problèmes alors qu'il est déjà presque trop tard. Aujourd'hui, le consommateur a encore le choix des produits qu'il consomme ; ce ne sera plus le cas si l'urbanisme commercial ne permet pas de maintenir les commerces de proximité dans les villes et les villages. A Paris, en l'absence d'encadrement des loyers, seules des grandes marques ou des galeries d'art peuvent accéder à certains emplacements. Si nous souhaitons conserver nos commerces de proximité, nous devons nous en donner les moyens.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nos coeurs de ville sont en effet riches d'enseignes d'assurance ou de banque, mais se vident de leurs commerces de proximité.

M. Christian Le Lann . - Un autre problème est celui de la formation des jeunes. 4 000 postes sont à pourvoir immédiatement dans le secteur de la boucherie. Nous nous efforçons depuis quelques années de redonner une image valorisante à nos produits et à notre métier. Cet effort a porté ses fruits : 8 000 jeunes sont aujourd'hui en apprentissage, et l'on voit apparaître un nouveau public de demandeurs d'emploi qui désirent se former au métier de boucher. Nous sommes cependant en difficulté pour répondre à leur demande puisqu'ils ne peuvent être formés en apprentissage.

Par ailleurs, nous manquons d'aides à la reprise des entreprises de boucherie, notamment en direction des jeunes. Un programme très positif a été mis en oeuvre en Corse. Une politique volontariste est nécessaire sur ce point.

M. Gérard Bailly . - Il est nécessaire en effet d'apporter des aides à l'investissement et à la reprise lorsque des besoins sont identifiés. Nous ne pouvons pourtant pas systématiquement aider tout le monde.

M. Christian Le Lann . - L'accompagnement des repreneurs dans leurs démarches fait partie des missions des chambres consulaires et des organisations professionnelles. Nous ne recevons cependant aucune aide de la part des pouvoirs publics. Où sont passés les moyens du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) ? Il est également prévu, dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), une aide au développement rural qui doit aussi concerner l'artisanat. Nous aimerions ne pas être oubliés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les fonds du Fisac sont en effet épuisés. Sur l'aide au développement rural, il est parfois difficile de distinguer le rural agricole du rural non agricole.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Un frein à la transmission et à la reprise d'entreprises de boucherie ne réside-t-il pas dans la pression des normes ? Certains commerces s'adaptent sans doute difficilement aux exigences applicables aux laboratoires par exemple.

M. Christian Le Lann . - Les normes et les réglementations existent certes, mais elles ne doivent pas constituer un frein à la reprise d'entreprises. Il suffit souvent de quelques travaux d'aménagement pour rendre une entreprise conforme à la réglementation. Même si certains se plaignent de la manière dont la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de l'alimentation (DGAL) mènent leurs contrôles, ceux-ci aident à la mise aux normes. Nous essayons toujours pour notre part d'apaiser les tensions qui peuvent naître à cette occasion.

M. Gérard Bailly . - Sur le plan sanitaire, nous sommes inquiets de constater le retour de la tuberculose chez les bovins dans une dizaine de départements.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il nous faut également nous pencher sur la question des antibiotiques.

M. Christian Le Lann . - Le Livre noir de l'agriculture d'Isabelle Saporta avait dénoncé le système de l'élevage industriel porcin en Bretagne, qui conduisait à ce qu'on retrouve des antibiotiques dans les tranches de jambon. On a depuis fait largement diminuer la consommation d'antibiotiques. Cependant, compte tenu de la concentration d'animaux dans les élevages intensifs de poulets ou de porcs, des dérives sont toujours possibles.

M. Gérard Bailly . - Les produits importés qui proviennent de pays extra-européens présentent-ils toutes les garanties de sécurité ? Ce que l'on apprend sur les conditions d'élevage aux États-Unis et au Brésil est très inquiétant.

M. Christian Le Lann . - 45 % de notre consommation de poulet provient du Brésil. Il est certain que dans certains pays étrangers, même au sein de l'Union européenne, le désir de traçabilité n'est pas aussi fort que chez nous. La traçabilité est aujourd'hui parfaitement assurée chez les bouchers sur la viande bovine non transformée. Il faudrait parvenir au même résultat sur tous les types de viande.

M. Gérard Bailly . - La viande importée sur notre territoire l'est-elle par des importateurs français, ou transite-t-elle par d'autres circuits ?

M. Christian Le Lann . - La Hollande a longtemps été une plaque tournante du commerce international de viande. Elle l'est moins depuis que les frontières sont davantage ouvertes, mais il en reste quelque chose, comme l'a montré l'implication d'un trader néerlandais dans le scandale de la viande de cheval.

Les bouchers vendent parfois de la viande d'importation comme du boeuf de Kobé, mais il s'agit le plus souvent de ventes de niche à un prix très élevé.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces précisions très intéressantes.

Audition de Mmes Anne Richard, directrice générale et Pascale Magdelaine, responsable des observatoires économiques avicoles de l'Institut technique de l'Aviculture (jeudi 11 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir l'Institut technique de l'aviculture (ITAVI).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La filière volaille, en particulier la production de poulet, est en grande difficulté aujourd'hui. Nous avons appris lors d'une précédente audition que 45 % de la viande de volaille consommée en France est importée. D'après le président de la Fédération des Industries Avicoles (FIA), la filière perdra 5000 emplois d'ici deux ans. Comment venir en aide à la filière et encourager la production de viande de volaille française, qui est de grande qualité ? Faut-il améliorer l'étiquetage en créant une mention « filière française de volaille » ? Faut-il créer davantage de labels qualité ? Quelles sont les niches qui existent dans la filière volaille ? Faut-il développer la production bio ? Les circuits courts ?

Mme Anne Richard, directrice générale . - Je vais commencer par vous présenter l'ITAVI. Il s'agit d'un institut technique agricole, habilité par l'État, qui travaille pour toutes les filières avicoles françaises -poulets de chair, poules pondeuses, dindes, pintades, canard - et pour la filière poissons. L'institut peut financer des études qui ont essentiellement pour objet de rendre ces filières plus compétitives.

Notre objet d'étude, la filière volaille, est une filière très atomisée puisque chaque espèce possède ses spécificités. Mais c'est l'ensemble de la filière qui est confrontée aujourd'hui à d'importantes difficultés économiques.

En effet, si la filière volaille française est très présente dans de multiples niches de produits d'excellence, elle a complètement délaissé les consommateurs qui achètent des volailles premier prix. Elle ne fournit plus non plus l'industrie des plats cuisinés ni la restauration hors foyer. De fait, pour satisfaire ces besoins, il serait nécessaire de ramener les coûts de production au minimum à tous les échelons de la filière. Du coup, ce sont aujourd'hui les produits importés qui viennent satisfaire cette demande d'entrée de gamme. Les pays dont nous importons la viande sont des pays extra européens, mais aussi des pays européens dont les coûts de production sont nettement plus compétitifs que les nôtres.

Mme Pascale Magdelaine, responsable des observatoires économiques avicoles . - La filière volaille comprend plusieurs maillons : les sélectionneurs, l'accouvage, les élevages de production qui engraissent la volaille, l'abattage, la découpe et la transformation. 60 000 personnes travaillent aujourd'hui dans la production de volaille de chair, la filière qui intéresse plus particulièrement votre mission. 60 % des 1,8 millions de tonnes de volailles sont des poulets, un pourcentage relativement faible par rapport aux autres pays mais qui s'explique dans la mesure où l'élevage de volailles secondaires -pintades, dindes, canards - est particulièrement développé en France.

La production de volaille française connaît globalement un recul depuis le début des années 2000. Après un point haut en 2000, la production a retrouvé son niveau du début des années 1990.

La consommation de poulet en France a augmenté ces dernières années mais cette hausse a essentiellement profité aux importations. La production a elle aussi augmenté, en particulier depuis 2007, mais uniquement grâce aux exportations. Les producteurs français exportent en effet de plus en plus de poulet vers le proche et le Moyen-Orient, même si leurs ventes stagnent sur les marchés européens. En ce qui concerne les autres types de produits, le canard se porte bien grâce au foie gras, la pintade connaît une érosion lente et les producteurs français de dinde ont vu reculer très nettement leurs parts de marché à l'exportation, avec notamment la perte des marchés anglais et allemand car des pays comme l'Allemagne et la Pologne ont développé leur production et suscité une nouvelle concurrence.

En ce qui concerne l'organisation de la filière, il est important de savoir que 60 % des éleveurs concluent des contrats de production avec des coopératives ou d'autres acteurs privés qui leur fournissent les poussins, récupèrent les volailles et les rémunèrent en leur garantissent une marge minimum à la condition de respecter certains critères de performance. Si les professionnels possèdent leur exploitation, ils travaillent donc en très étroite concertation avec les industriels, et c'est vraiment l'opérateur - intégrateur qui prend à sa charge l'augmentation des coûts en cas de fluctuation à la hausse du coût des matières premières, même si de nombreuses révisions de contrats se produisent actuellement : il devient en effet très difficile pour les coopératives, avec la crise économique, de supporter seules ces fluctuations.

Le marché de la volaille est très fragmenté en France puisque le principal opérateur français, LDC, ne détient qu'un tiers des parts de marché de la production française. Le phénomène de concentration n'existe pas davantage en Allemagne mais le principal producteur allemand concentre toute sa production dans 13 abattoirs seulement contre 35 pour LDC, alors que leurs parts de marché respectives sont équivalentes. La taille de l'outil industriel est beaucoup plus importante en Allemagne, ce qui confère aux abattoirs allemands une productivité très supérieure à celle des abattoirs français.

Mme Anne Richard . - Pour être compétitif sur le poulet d'entrée de gamme, il faut absolument disposer de gros abattoirs aux capacités saturées. Un abattoir qui ne fonctionne qu'à 40% de ses capacités n'est absolument pas rentable, pas plus qu'un petit abattoir. C'est ce qui fait la force des Allemands, car partis de plus loin, ils ont récemment beaucoup investi dans de très gros outils. Il manque en France un ou deux acteurs industriels qui feraient le pari de reconquérir le marché français du poulet d'entrée de gamme avec des outils d'abattage-découpe très compétitifs car de très grande taille.

Mme Pascale Magdelaine . - La production mondiale de volaille a connu une hausse de 4 % ces dernières années et le volume des échanges a lui aussi augmenté. Le Brésil et les États-Unis sont les leaders sur les marchés mondiaux. Le Brésil, qui n'exportait pratiquement pas de volaille avant l'an 2000, exporte désormais 35 % de sa production, essentiellement des produits congelés et beaucoup de découpe. Les États-Unis quant à eux exportent les morceaux de volaille qu'ils ne consomment pas, notamment des cuisses et des pattes, qu'ils vendent à bas prix, ce qui explique que leurs exportations aient une valeur deux fois inférieure à celle des Brésiliens pour un tonnage équivalent.

10 % des volailles françaises importées proviennent de pays hors Union européenne et 90 % de pays de l'Union. La grande majorité des importations françaises sont très sécurisées car les importateurs français définissent des cahiers des charges précis avec leurs fournisseurs et établissent des audits sur place dans ces pays. Mais il existe aussi un autre marché où interviennent des traders et ce marché est beaucoup moins transparent.

En 1994, les pays de l'Union européenne représentaient marché de 20 % des volumes sur le marché mondial de la volaille. Leur part n'est plus que de 10 % en 2013. Certains grands pays producteurs aujourd'hui, comme le Brésil, bénéficient d'un approvisionnement bon marché en maïs et en soja. De plus, le coût de leur main d'oeuvre est beaucoup plus bas qu'en Europe : il en résulte que le surcoût de la production de poulet en France par rapport au Brésil est de 48 %. Par ailleurs, la baisse des tarifs douaniers et la baisse des restitutions aux exportations prévues par les accords de Marrakech de 1994 ont clairement pénalisé les exportations européennes sur le marché mondial. Or 20 à 25 % de la production française de volaille est exportée grâce au système des restitutions. Ainsi, le marché Proche et Moyen-Orient, en forte croissance, est aujourd'hui contrôlé à 80 % par les Brésiliens alors que les Européens en contrôlaient 50 % en 2000. Si les restitutions disparaissent complètement, nous devrons nous résoudre à abandonner les 20 % restant de ce marché aux Brésiliens.

La perte de compétitivité française dans le secteur de la volaille est surtout très nette vis-à-vis de nos partenaires européens, puisque la production allemande a presque triplé ces dernières années. La balance commerciale française du poulet est passée d'un excédent de 100 000 tonnes en 1997 à un déficit de 300 000 tonnes. Nos exportations ont baissé et 44 % de notre consommation est importée à 45 % aujourd'hui contre 10 % en 1990. Quasiment la moitié du poulet standard consommé en France est donc importé, à 90 % en permanence d'Europe !

Le problème de la compétitivité française est vraiment un problème intra-européen car nous sommes beaucoup moins compétitifs que les Allemands, les Néerlandais et les Belges. Ces difficultés peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs : un environnement réglementaire particulièrement lourd - notamment la fiscalité -, une application trop rigoureuse des normes européennes en matière environnementale, des délais administratifs trop importants, un coût du travail élevé par rapport à l'Allemagne, qui n'hésite pas à utiliser des salariés des pays de l'Est dans ses abattoirs...

Je crois qu'aujourd'hui la question décisive posée à la filière est la suivante : les producteurs vont-ils totalement abandonner la production du poulet standard pour se concentrer sur les poulets labellisés ? Cette question, nous l'avons posée à la fois aux professionnels de la filière mais aussi aux associations de consommateurs, aux associations environnementales et aux associations de protection animale. Il est indispensable de faire des choix : il est difficile de consentir de trop gros efforts en matière de protection de l'environnement et de bien-être animal et d'être en même temps compétitif sur le poulet d'entrée de gamme.

Il serait aussi vraiment nécessaire d'augmenter la taille des élevages. Pour être pleinement efficaces, les élevages devraient comprendre environ 10 000 poulets. De trop petites unités de production ne peuvent être rentables si on exige qu'elles soient pleinement mises aux normes actuelles.

M. Gérard Bailly . - Augmenter la taille des exploitations me paraît en effet indispensable.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Existe-t-il du minerai de volaille, comme on en trouve dans la filière de la viande bovine ?

Mme Pascale Magdelaine . - Ce que l'on appelle le minerai n'est que l'intrant utilisé, par exemple dans la fabrication de plats préparés. Cette appellation ne préjuge en rien de la qualité de la viande dont il est composé.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Pensez-vous que le consommateur a conscience de consommer des produits importés, notamment lorsqu'il consomme des produits transformés ? Je crois que se pose aujourd'hui en France un problème de lisibilité des étiquettes. Ne pensez-vous pas que les Français souhaiteraient davantage consommer français ?

Mme Pascale Magdelaine . - Je crains qu'en ce qui concerne les produits très transformés, les consommateurs ne s'intéressent que très peu à l'origine de la viande, contrairement à l'intérêt manifesté lors de l'achat d'un poulet entier. Mais il est vrai qu'une meilleure information et un étiquetage plus lisible seraient précieux pour les producteurs français.

Cela étant, l'énorme défi des années à venir reste à mon sens de faire en sorte que la filière devienne suffisamment compétitive pour pouvoir gagner de l'argent en produisant des poulets standards. Cela exigera de nombreux investissements puisque 80 % du parc de bâtiments utilisés par les éleveurs est à renouveler et à mettre aux normes. Il est aussi essentiel de mieux spécialiser les abattoirs en fonction des types de demandes auxquelles ils sont susceptibles de répondre. Aujourd'hui les outils n'ont pas été assez renouvelés et les conditions de travail se sont dégradées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'ai le sentiment que le consommateur, contrairement à ce qui se produit lorsqu'il achète un poulet entier, a perdu la conscience que, lorsqu'il achète un produit transformé, la viande provient d'un animal.

Mme Pascale Magdelaine . - La réforme de la PAC et la question des restitutions, qui ont été baissées deux fois ces derniers mois, sont cruciales pour l'avenir de la filière. 23 % du poulet français - est exporté. Sans les restitutions, 23 % de la production française serait donc dangereusement menacée, en particulier en Bretagne, et nous risquerions de perdre des parts de marché au Proche et au Moyen Orient. Il serait nécessaire à court terme d'obtenir un délai supplémentaire avant de supprimer les restitutions, afin de laisser à la filière le temps de s'adapter. A moyen terme, une lueur d'optimisme pourrait venir du fait que le différentiel de coût avec le Brésil tend à se réduire en raison des hausses de salaire dans ce pays, même si l'écart en matière de coût du travail demeure très important.

Mme Anne Richard . - Même les producteurs de label rouge doivent se poser la question de leur compétitivité. A une époque, les cahiers des charge était devenus extrêmement exigeants or il est capital de parvenir à vendre à leur juste prix les contraintes qui sont imposées aux producteurs par ces cahiers des charges car elles entraînent d'importants surcoûts.

M. Gérard Bailly . - Quel est selon vous l'avenir de la filière foie gras ?

Mme Anne Richard . - Le foie gras est un très beau produit qui se heurte à la problématique du bien-être animal, puisque les producteurs sont attaqués par les associations qui traitent de ce sujet. De gros efforts ont été consentis, notamment sur la taille des cages où sont enfermés les canards, mais subsiste une forte controverse sur le concept de base de gavage des animaux. Les consommateurs conservent un attachement très fort au foie gras, symbole de la gastronomie française. Les choses sont plus complexes au niveau mondial avec notamment l'édiction d'une norme ISO sur le gavage des animaux suivie de près par les producteurs de foie gras qui craignent que leur profession ne soit mise en péril. Ce serait vraiment regrettable car il s'agit d'une filière merveilleuse, qui permet aux producteurs de bien gagner leur vie et à des jeunes de s'installer.

M. Gérard Bailly . - Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez de la future loi agricole ?

Mme Anne Richard . - A l'heure actuelle en France, les filières animales souffrent énormément alors que les filières céréalières se portent très bien. Il faut parvenir à développer une solidarité entre les acteurs. Un mécanisme de contribution volontaire obligatoire (CVO) pourrait se mettre en place pour que les céréaliers puissent venir en aide aux éleveurs, qui constituent une partie de leurs débouchés. Je crois que les politiques devraient donner une forte impulsion pour permettre à cette CVO de se développer et faire en sorte qu'elle puisse contribuer à la modernisation des bâtiments d'élevages et à l'amélioration de la performance des abattoirs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour ces éléments très précis.

Audition de M. Olivier Andrault, chargé de mission agriculture et alimentation à l'Union française de consommateurs, UFC Que choisir (mercredi 17 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes très heureux d'accueillir l'UFC Que choisir, car notre mission a été créée à la suite du scandale causé par la découverte de fraudes sur des productions animales.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous dressons un état des lieux de la filière - ou plutôt des filières - viande. Notre objectif est de trouver les moyens de rassurer les consommateurs, qui sont un peu perdus... Le président de votre association, M. Alain Bazot, a déclaré lors d'une interview télévisée que dès que la viande était transformée, le consommateur n'avait plus droit à aucune information. Il ajoutait que les industriels ont toujours résisté à vos demandes de traçabilité. Votre association réclame un étiquetage de l'origine pour tous les produits à base de viande. Vous avez affirmé que si Findus avait indiqué « boeuf de Roumanie » sur ses produits, ils n'auraient pu être écoulés. Vous pointez l'absence...

M. Olivier Andrault, chargé de la mission agriculture et alimentation à l'Union française de consommateurs, UFC Que choisir . - ...le déficit ...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - ...de contrôles. Quelles sont les améliorations que l'on pourrait envisager pour rassurer le consommateur ?

M. Olivier Andrault . - Je vous ai apporté quelques emballages de produits alimentaires : vous constaterez que seuls des produits bruts contenant de la viande de boeuf portent mention de leur origine. Tous les produits transformés, au sens de la réglementation, c'est-à-dire comportant d'autres ingrédients, ne portent aucune information sur l'origine de la viande ou son lieu de fabrication. Il en va ainsi du carpaccio de boeuf, auquel on a ajouté quelques gouttes de jus de citron, ou d'un boeuf bourguignon, composé de 25 % de viande bovine, ou encore des boulettes de boeuf. Certes, une marque de salubrité portant les initiales « FR » indique aux initiés le lieu de dernière manipulation, mais pas celui de la fabrication du produit. Il y a donc un écart entre les obligations faibles qui pèsent sur les produits industriels et l'obligation de transparence sur l'origine du produit brut, qui concerne depuis longtemps les fruits et légumes frais, ainsi que la viande de boeuf depuis la première crise de la vache folle, l'indication « viande bovine française » étant à l'époque destinée à rassurer les consommateurs. Lorsque ce marquage obligatoire a été mis en place pour la viande de boeuf, je rappelle qu'il semblait impossible de l'imposer dans l'ensemble de l'Union européenne. Il s'agissait d'une règle nationale, qui a ensuite seulement était étendue à toute l'Europe. Un règlement européen de 2011 procède à l'extension de l'indication obligatoire de l'origine des produits carnés aux viandes de porc, d'ovin-caprin et de volailles. En revanche, aucune obligation n'existe encore pour les produits transformés, sauf cas particuliers, quand l'omission de l'origine serait de nature à induire le consommateur en erreur.

Le scandale de la viande de cheval vendue pour de la viande de boeuf dans des plats cuisinés nous surprend-il ? » Oui et non. La fraude en elle-même ne nous a pas surpris. Ce qui est exceptionnel est son échelle, son ampleur et les représentations particulières liées au cheval qui lui ont donné sa résonance particulière en Angleterre. Cette affaire a surtout montré au grand jour la complexité de la chaîne d'approvisionnement de l'industrie agroalimentaire, qui repose sur une cascade de fournisseurs, où se dilue la traçabilité, ce qui peut accroître le risque sanitaire. En effet, la traçabilité repose sur une chaîne d'informations qui suit le produit pendant toute sa vie : chaque maillon est responsable des informations qu'il reçoit, qu'il produit puis transmet au maillon suivant. A chaque échelon, on peut identifier un responsable. Plus la chaîne est longue et complexe, plus les risques liés à la fiabilité des informations s'accroissent. Si, au lieu de s'adresser à des fournisseurs stables, connus et fiables, on recourt à des traders qui changent sans cesse de fournisseurs pour obtenir les prix les plus bas, la traçabilité est menacée et l'on aboutit à cette situation où le commanditaire final, Findus en l'occurrence, peut affirmer de bonne foi avoir commandé de la viande bovine française et l'un de ses fournisseurs, également de bonne foi, avoir livré de la viande bovine roumaine...

M. Jackie Pierre . - En bref, il y aurait fraude alors que tout le monde est honnête ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le résultat est que les consommateurs sont très hésitants. Pour améliorer la traçabilité, comment peut-on faire ?

M. André Dulait . - Aucun des emballages que vous nous avez fait passer ne mentionne la température de conservation ; n'est-ce pas obligatoire ?

M. Olivier Andrault . - Ce n'est obligatoire que si c'est nécessaire pour la conservation du produit...

Une question centrale est celle des progrès que les industriels doivent faire dans la transparence des processus de fabrication. Le Bureau européen des unions de consommateurs, qui fédère les associations de consommateurs au niveau de l'Union européenne, a réalisé un sondage auprès de 4 000 consommateurs en France, en Suède, en Pologne et en Autriche. Pour 70 % d'entre eux, l'origine des produits transformés est un facteur important lors de leurs achats alimentaires. Au-delà des produits bruts, il est clair que les consommateurs européens demandent plus de transparence et d'informations sur les produits transformés.

C'est pourquoi il faut mettre en oeuvre l'étiquetage obligatoire de l'origine des ingrédients. Cela permettra de rétablir la confiance des consommateurs dans les produits transformés, comme on l'a vu après la vache folle pour la viande de boeuf. C'est aussi un moyen d'empêcher la trop grande variabilité des sources d'approvisionnements mise en lumière par l'affaire Spanghero. Nous n'avons rien contre telle ou telle origine en particulier, nous demandons simplement que le consommateur soit informé de l'origine de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles quant à la qualité sanitaire, notamment la viande.

La dimension sanitaire ne peut pas être évacuée dans la crise actuelle. Les résultats des tests conduits dans différents pays européens ont mis en évidence la présence de phénylbutazone dans certains échantillons de viande de cheval. Pourtant la commission européenne continue à nier le risque sanitaire et à soutenir qu'il ne s'agit que d'une fraude. Or le phénylbutazone est un médicament vétérinaire non autorisé dans les produits destinés à l'alimentation humaine.

La commission européenne privilégie une indication d'origine qui se limiterait à préciser si le produit transformé provient de l'Union européenne ou pas. C'est largement insuffisant. Elle persiste à refuser ce que l'immense majorité des consommateurs européens réclament : l'indication du pays d'origine.

Concernant l'évolution de la consommation de produits carnés à long terme en France, il est certain qu'elle subit une érosion régulière depuis deux décennies. A court terme, l'affaire de la viande de cheval a eu un impact direct uniquement sur la consommation de produits transformés à base de viande, qui a diminué brutalement de 20 %, ce qui est considérable.

Concernant les comportements d'achat du consommateur, on peut s'interroger sur un point important : est-il prêt à payer plus cher pour acheter français, ou pour avoir une garantie supérieure de produits de qualité ? Les industriels pensent que la réponse à cette question est négative. Il faut savoir que le prix du minerai de viande de cheval utilisé dans la récente affaire était de l'ordre de 15 centimes d'euros au kilo, d'après les chiffres transmis par le cabinet du ministère chargé de la consommation ! Or le consommateur paye aujourd'hui entre 15 et 20 euros le kilo de viande de boeuf. Il me paraît donc évident que le consommateur serait prêt à payer davantage pour une meilleure qualité et une garantie de l'origine, à condition que l'écart de prix reste raisonnable. Je récuse en outre l'idée selon laquelle le consommateur déciderait : pour les produits transformés ce sont les industriels qui orientent le marché, avec une offre très standardisée. Les consommateurs n'ont pas le choix, sauf celui de la marque et du lieu d'achat ou de la filière de distribution.

Concernant les contrôles sur les opérateurs de l'industrie agroalimentaire, on peut se demander s'ils sont aujourd'hui suffisants. Deux missions d'inspection vétérinaires menées en 2006 et en 2008 à la demande des autorités européennes ont montré que les conditions sanitaires d'abattage de la filière bovine et de la filière avicole pâtissaient déjà à l'époque de l'insuffisance des effectifs dévolus aux contrôles. Depuis, la situation a empiré. Les demandes réitérées du personnel des services vétérinaires, rattachés au ministère de l'agriculture et des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dépendant du ministère de l'économie et des finances, attestent de la faiblesse du nombre de contrôleurs. Cela ne peut pas continuer ainsi. Nous ne pouvons laisser libre cours à l'autocontrôle...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En effet !

M. Olivier Andrault . - ...même s'il en faut. La commission européenne avait émis l'hypothèse que l'on s'en remette entièrement à l'autocontrôle par les opérateurs. C'est inadmissible...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tout à fait d'accord !

M. Olivier Andrault . - Nous pouvons nous demander quelle est la part de négligence et la part de délinquance dans les comportements des opérateurs de la filière viande ?  Nous sommes surpris que les commanditaires finaux de ces produits n'aient pas diligenté d'audit. Ils ne peuvent rejeter la faute sur leurs seuls fournisseurs.

Dans ces conditions, faut-il revoir l'arsenal de sanctions applicables ? A l'évidence, les amendes ne sont pas assez dissuasives. Le préjudice subi par les consommateurs n'est pas pris en compte.

Je souligne que si de tels comportements sont possibles, c'est parce que le cadre réglementaire spécifique aux produits transformés le permet, puisqu'il y a peu d'exigences en matière d'information du consommateur et de traçabilité des produits.

Pour votre information, lorsque le scandale de la viande de cheval a éclaté, nous avons décidé de lancer en mars une batterie d'analyses ADN de produits appertisés proposés dans les rayons, à base de viande étiquetée « pur boeuf ». Sur 55 boîtes de conserve, 38 étaient réellement pur boeuf, 11 n'ont pu donner lieu à identification, l'ADN étant endommagé par les traitements subis par le produit - essentiellement la cuisson - 6, soit un peu plus de 10 %, contenaient de la viande de cheval. Certains produits, comme les cannelloni vendus sous marque Auchan, contenaient de 60 % à 100 % de viande de cheval, de 30 % à 60 % pour ceux de Casino, de 5 % à 30 % chez Cora. Des traces ont été détectées dans des raviolis de Carrefour et dans ceux de la marque repère de Leclerc.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Concernant l'abattage rituel, votre association a saisi la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la DGCCRF afin qu'elles diligentent une enquête d'une part sur le les garanties d'utilisation de la mention halal et le respect des normes sanitaires lors de l'abattage. La procédure de marquage halal repose en effet sur une certification qui doit répondre à un cahier des charges. Or certains produits étiquetés halal ne seraient pas issus de filières certifiées ; comment donc garantir aux consommateurs musulmans qu'ils consomment bien halal ? A contrario , au nom de la liberté de conscience, ne devrait-on pas garantir aux consommateurs athées ou d'autres religions qu'ils ne consomment pas des produits résultant d'un abattage rituel ?

M. Olivier Andrault . - Votre question en comporte plusieurs. Nous n'avons pas reçu de réponse des directions que nous avions interrogées dans un contexte de préoccupations émises quant aux risques sanitaires éventuellement liés à l'abattage rituel. Notre association n'a pas la possibilité de rentrer dans les abattoirs pour procéder à des analyses, même si nous le souhaitons. Seules les administrations citées ont les moyens de connaître la réalité en la matière. La réglementation a été renforcée sur la formation des abatteurs, les équipements de contention afin que l'animal ne se débatte pas, le nettoyage préalable des animaux. Ces mesures sont censées rassurer. Seule une enquête officielle comparant les niveaux de risques entre l'abattage rituel et l'abattage standard pourrait apporter des réponses précises, sans a priori .

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment assurer la fiabilité de l'étiquetage halal, qui est pratiqué par des organismes non officiellement reconnus ?

M. Olivier Andrault . - Il existe des fraudes. Comme toute mention de qualité, la mention halal doit résulter d'une certification, contrôlée par une tierce partie indépendante.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et pour les autres consommateurs ?

M. Olivier Andrault . - La question est de savoir quelle est la proportion de viande abattue rituellement entrant dans les circuits standards. Nous avons peur que cette question soit instrumentalisée. Selon la DGCCRF, contrairement à ce que laissaient entendre certains, la proportion de viande issue d'abattage rituel juif ou musulman qui retourne dans le circuit standard est faible. Soit cette proportion est significative, soit elle est négligeable. Dans cette dernière hypothèse, faut-il mettre en branle toute la complexité d'un système d'étiquetage ? Nous ne disposons pas de chiffres clairs et n'avons donc pas de réponse sur ce sujet.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette opacité n'alimente-t-elle pas les craintes auxquelles vous faisiez allusion ?

M. Olivier Andrault . - Bonne question, qu'il serait intéressant de poser à la DGCCRF et à la DGAL, qui ne nous ont pas répondu.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tout le monde se renvoie la balle, personne ne veut répondre...

M. Olivier Andrault . - Les inspecteurs des services vétérinaires qui dépendent de la DGAL doivent disposer de ces informations, car ils interviennent dans les abattoirs.

M. André Dulait . - La découverte de l'affaire de la viande de cheval fut assez fortuite. Est-ce une grande fraude ? Date-telle de six mois ou de dix ans ? Depuis quand existe le minerai de viande ?

M. Olivier Andrault . - La fraude a effectivement été découverte fortuitement. Je le répète, les contrôles sont insuffisants. Je ne mets pas en cause les contrôleurs, mais leur nombre insuffisant. Ce sont les services de contrôle irlandais qui ont découvert la fraude. Puis ils se sont tournés vers les services officiels anglais, ce qui a déclenché une grande émotion outre-Manche, où le cheval est considéré comme un animal de compagnie. Ce n'est qu'ensuite que les services officiels français sont intervenus.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Findus s'en était-il rendu compte avant ?

M. Olivier Andrault . - Pas que je sache. Ce sont les services officiels irlandais qui ont découvert le pot-aux-roses. Je ne sais si Findus a été alerté avant ou après la saisine par les Irlandais de leurs homologues anglais...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Et les services français ?

M. Gérard Bailly . - Il s'agit de viande importée et non pas produite en France. Mais qu'en est-il de celle qui est fabriquée en France ? La transparence est-elle satisfaisante ? Ne risque-t-on pas un problème franco-français ?

M. Olivier Andrault . - Dès lors qu'un fabricant met en avant une information, il ne peut se permettre de prendre un risque. S'il indique l'origine des ingrédients sur l'emballage, il fera tout pour s'y conformer. Le consommateur français n'est pas aussi chauvin qu'on le dit parfois. La viande bovine qui lui est proposée et qu'il achète est le plus souvent française, mais aussi allemande, irlandaise, anglaise. La volaille est aussi essentiellement française...

M. Jackie Pierre . - Notre production ne suffit pas, elle est importée à 45 %...

M. Olivier Andrault . - Dès que la viande de volaille est transformée, elle n'est plus d'origine française.

M. Gérard Bailly . - Il vaut mieux manger des produits non transformés, naturels...

M. Olivier Andrault . - Vous avez raison. Notre conseil nutritionnel aux consommateurs est le suivant : essayez de cuisiner vous-mêmes, en utilisant des produits bruts, vous savez ce que vous mettez en oeuvre, tout en transmettant une part de notre patrimoine. Mais soyons réalistes : il y a un phénomène générationnel. Si les seniors cuisinent encore les produits bruts, les jeunes utilisent des produits transformés et nous ne pouvons les laisser au bord du chemin, leurs habitudes de consommation étant installées.

M. André Dulait . - La « remballe » de viande brute est-elle une pratique fréquente chez les distributeurs ?

M. Olivier Andrault . - C'est un problème sanitaire majeur, inadmissible. Chaque fois que nous avons connaissance d'une action en justice à ce sujet, nous nous portons partie civile. Je ne dispose pas sur ce point d'éléments chiffrés.

M. Gérard Bailly . - Les parlementaires sont très attachés à la transparence. Nous comptons sur vous pour appeler les consommateurs à être exigeants, dans toute l'Europe. Nous constatons qu'outre-Rhin et dans les pays de l'Est, il y a aussi une exigence de transparence, d'information. C'est à Bruxelles que cela bloque. Avez-vous des contacts avec les associations d'autres pays européens ?

M. Olivier Andrault . - Oui. Il existe des associations de consommateurs dans tous les pays de l'Union. La plupart adhèrent au bureau de l'union des consommateurs. Toutes les associations demandent que soit rendue obligatoire, par un règlement européen, la mention du lieu de fabrication des produits transformés et de l'origine des ingrédients principaux. C'est la position que nous avons défendue à Bruxelles, devant le Conseil européen et le Parlement européen. Malheureusement, elle s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la Commission...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - C'est bien le problème ! D'autres pays d'Europe vont plus loin que nous, en promouvant l'étiquetage de l'origine nationale de leurs produits, avec la campagne Buy British , par exemple. Pourquoi sommes-nous réticents en France ?

M. Olivier Andrault . - Vous visez la mention volontaire « fait en France » : elle ne concerne qu'une faible partie des produits. Il faut sans doute aller au-delà.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Les industriels arguent que les produits qu'ils fabriquent utilisent entre 5 et 20 intrants. Il n'y aurait pas assez de place sur les barquettes pour en accueillir la description. Ne faut-il inventer un dispositif réglementaire qui ne vise que l'ingrédient essentiel ? Soyons réalistes, trouvons une solution applicable par les industriels, qui garantisse l'origine et la qualité du produit. Pour les lasagnes, on viserait l'intrant principal, soit la viande de boeuf et peut-être les céréales...

M. Olivier Andrault . - C'est ce que nous souhaitons. Nous n'avons jamais demandé la mention de la liste de tous les ingrédients, mais seulement de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles sur le plan sanitaire, comme la viande.

M. Gérard Bailly . - A quel niveau la discussion est-elle bloquée ?

M. Olivier Andrault . - Cela bloque à tous les stades...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La Commission européenne a cédé aux demandes de la France et d'autres pays d'avancer la publication du rapport sur l'étiquetage de l'origine des produits transformés, prévu par le règlement de 2011, de décembre 2013 à septembre...

M. Olivier Andrault . - Je reste très sceptique. Nous avons l'impression que la direction générale de la santé et des consommateurs (DGSANCO) de la Commission européenne reste sur des positions conservatrices. Elle répète que le scandale de la viande de cheval n'est qu'une fraude, circonscrite et désormais réglée. Elle ne prend nullement en compte la demande des consommateurs que l'origine des ingrédients soit mentionnée sur les produits.

M. Georges Labazée . - Les industriels de la transformation modifient, pour des raisons commerciales, la forme, le conditionnement, les contenants, qu'ils rendent parfois plus attractifs que les contenus. Ils pourraient jouer sur le positionnement des indications qui figurent sur les barquettes et qui ne sont pas toujours faciles à déchiffrer.

M. Olivier Andrault . - La règlementation sur l'étiquetage est globalement bien respectée ... en raison de la faiblesse des obligations réglementaires. Lors de la discussion, en amont, du règlement européen de 2011 sur l'étiquetage des produits et l'information des consommateurs, la Commission européenne a évoqué, à notre demande, la réunion en un seul endroit de l'emballage de l'ensemble des mentions essentielles : identité des opérateurs, liste des ingrédients et poids. Mais la démarche n'a pas abouti : la simplification des mentions réglementaires a été bloquée. Finalement, le toilettage de la réglementation actuelle est très loin de la vision assez courageuse qui avait d'abord prévalu au sein de la Commission européenne. En outre les consommateurs lisent rarement la liste des ingrédients, qui est pourtant une mine d'informations...

M. Jackie Pierre . - Illisible !

M. Olivier Andrault . - Nous nous sommes battus pour imposer une taille minimale de caractères au niveau européen...

M. Gérard Bailly . - Notre élevage a perdu des centaines de milliers de têtes ces dernières années. La France produit de moins en moins de viande, en raison de l'attrait des céréales, des difficultés du métier d'éleveur, qu'il faudrait aider davantage. En tant que consommateur, cela ne vous inquiète-t-il pas ? Les agriculteurs redoutent les pressions de la grande distribution sur les prix. Mais les consommateurs vont probablement payer plus lorsqu'il y aura moins de viande disponible. N'est-il pas inquiétant que notre pays désarme en matière de souveraineté alimentaire ? N'y-a-t-il pas un risque dans l'avenir pour le consommateur français ?

M. Olivier Andrault. - Je n'ai pas de position sur le « manger français ». Il est vrai que l'évolution actuelle est préoccupante. Les produits bruts comportent obligatoirement des indications d'origine. La viande française y est prépondérante. Les produits transformés ne sont soumis à aucune obligation. Dès qu'une indication sera obligatoire, les industriels auront intérêt à se fournir en France. Des opérateurs de la grande distribution ont déjà indiqué leur souhait de travailler à la mise en place d'une filière d'approvisionnement en France. Il s'agit d'un premier pas. L'étiquetage de la viande bovine a commencé par des initiatives volontaires en France avant que l'Europe ne le rende obligatoire.

Enfin les distributeurs estiment l'écart de prix entre des produits transformés élaborés à partir de viande française et les autres à quelques centimes, soit moins que les différences constatées d'un magasin à l'autre !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci de cet échange fructueux. N'hésitez pas à nous transmettre les études dont vous disposez.

Audition de MM. Pascal Millory, directeur commercial et Guy Emeriau, responsable de l'activité boucherie-volaille de Système U (mercredi 17 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La distribution est le dernier maillon de la chaîne mais un maillon essentiel. Nous nous réjouissons que vous nous parliez du fonctionnement de votre enseigne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans les magasins Système U, il semblerait que la consommation de produits surgelés ait dans un premier temps souffert avant de retrouver rapidement son niveau d'avant la crise déclenchée par la découverte de viande de cheval dans les lasagnes. En revanche, la consommation de plats cuisinés à base de viande aurait diminué, les consommateurs privilégiant les produits non carnés. Assiste-t-on à un changement pérenne des modes de consommation ? Les Français vont-ils de moins en moins consommer de produits carnés ? Un étiquetage plus complet des produits à base de viande permettrait-il d'inverser la tendance ? Enfin, faut-il privilégier les circuits courts pour rassurer le consommateur ?

M. Pascal Millory, directeur commercial de Système U national . - Système U réunit des distributeurs indépendants regroupés en quatre coopératives régionales. Une centrale nationale définit la stratégie commerciale et définit les assortiments et les référencements. Toutefois les rayons de boucherie, poissonnerie, fruits frais et légumes et boulangerie ont une base d'approvisionnement régionale : dans ce cas le référencement national concerne uniquement les produits de la marque distributeur. Notre organisation nous rend proches des bassins de production. En outre chaque magasin est indépendant et libre de ses approvisionnements.

La crise des lasagnes à la viande de cheval a provoqué une baisse des ventes de produits surgelés et des plats cuisinés à base de viande. Le consommateur applique le principe de précaution et se méfie des produits complexes. Certains fournisseurs spécialisés sont en conséquence en grandes difficultés, à l'image de la société Fraisnor.

Assiste-t-on à un basculement des consommateurs vers des produits bruts ou moins élaborés ? Notre président, M. Serge Papin, y est favorable : si l'on veut manger moins cher, les produits bruts sont la solution, même si tel n'est pas notre intérêt de distributeur car notre chiffre d'affaires diminuerait. Cette tendance est une réalité et ne concerne pas que la viande : tous les produits sont touchés. En outre, phénomène nouveau, nous observons que le volume global des produits alimentaires vendus est en baisse. La restauration hors domicile, pour sa part, connaît aussi une situation difficile car le pouvoir d'achat des Français baisse.

Comment inverser la tendance ? Nous devons diffuser largement l'information pour rassurer. Nous réfléchissons à un système d'information du consommateur plus large. Nous avons choisi de développer la mention « viande française » sur nos plats cuisinés. La fraude a concerné une viande présumée française. Toutes les bonnes intentions ne supprimeront pas les fraudes. Nous cherchons aussi à communiquer sur la bonne nutrition. Les jeunes générations consomment plus de plats élaborés que de viande cuisinées, plus de protéines végétales qu'animales. La crise réduit encore leur consommation de viande qui se limitait souvent à des steaks hachés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous expliquer le mode de fonctionnement de votre entreprise sur la découpe ? Sur la politique de mise en rayon ? Quels sont les liens entre les producteurs, le consommateur et les distributeurs ?

M. Guy Emeriau, responsable de l'activité boucherie-volaille de Système U national . - Nos achats sont surtout régionaux. Nos partenaires sont les abattoirs et les sociétés de transformation. La viande bovine que nous vendons est d'origine française à plus de 90 %, mais nous achetons aussi à l'étranger, principalement en Europe, certains produits spécifiques, comme les pièces à griller en été. Le porc est exclusivement français ; nous avons signé l'engagement viande de porc français (VPF). La production française d'agneau est faible : elle ne couvre que la moitié des besoins en consommation en France, mais pour notre part, nous nous approvisionnons à 70 % en France. La viande de volaille provient quasi-exclusivement de France, à l'exception de certains produits élaborés produits par la société brésilienne SOPRAT, liée historiquement au groupe Doux.

M. Pascal Millory . - J'ajoute que nos oeufs, labellisés Bleu-Blanc-Coeur, proviennent de France. Les poules sont nourries à base de graines de lin riches en Oméga 3.

M. Georges Labazée . - La fraude des lasagnes à la viande de cheval constitue-t-elle la première tromperie dont l'industrie des plats préparés à base de viande est victime ?

M. Pascal Millory . - Oui, à ma connaissance. Le système de traçabilité ne l'a pas empêchée car le suivi documentaire a été falsifié.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelles informations figurent sur les étiquettes des produits importés ?

M. Guy Emeriau . - Elles mentionnent l'espèce, le pays d'origine, le pays de naissance, le pays d'abattage, le pays de transformation, soit beaucoup moins d'informations que les étiquettes françaises qui indiquent la race, le numéro de lot, la race des géniteurs de l'animal ...

M. Gérard Bailly . - La crise a permis de redécouvrir la viande de cheval, moins chère. Pensez-vous que cette tendance sera durable ? Pour l'utilisation de nos territoires, l'élevage de chevaux est très utile. Le bilan d'approvisionnement de nos filières d'élevage devient déficitaire : moins de 50 % des ovins consommés en France sont élevés en France ; le cheptel bovin a diminué de 300 000 têtes en deux ans et la hausse du prix des céréales fragilise les élevages. Le déficit de la filière des volailles en incluant les produits transformés s'élève à près de 50 %. Je crains que notre pays ne perde son indépendance alimentaire dans les décennies qui viennent. Nous, responsables politiques, devons penser à l'avenir. Les voyants sont au rouge. Le coût des céréales est excessif, les contraintes sur les exploitations sont fortes, l'élevage n'est pas assez rentable. Les marchands de bestiaux et les industriels affirment que la grande distribution refuse d'augmenter les prix, ce qui explique pourquoi les prix versés aux éleveurs n'augmentent pas. Est-ce vrai ? N'y a-t-il pas un risque à long terme si l'on voit disparaître les éleveurs ?

M. Guy Emeriau . - Les ventes de viande de cheval ont augmenté de 5 à 10 % depuis la crise. Les consommateurs ont redécouvert une viande maigre, 20 % moins chère que le boeuf.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Le prix a joué un rôle décisif.

M. Guy Emeriau . - Sans doute. Mais il n'y a pas de filière chevaline française. La viande consommée provient essentiellement des Etats-Unis, du Mexique ou du Canada.

M. Gérard Bailly . - Le cheval comtois est livré en Italie. C'est dommage...

M. Guy Emeriau . - Nos magasins n'ont reçu aucune proposition d'approvisionnement.

M. Pascal Millory . - En tant qu'acteurs économiques et politiques nous sommes concernés par la vie économique de notre pays. Nous réfléchissons à un système de contractualisation qui donne de la visibilité aux éleveurs en s'engageant à long terme sur des prix et des volumes.

Sur les prix, chacun se défausse sur le maillon suivant de la chaîne. Le consommateur refuse-t-il de payer davantage ? En réalité, la hausse des prix d'un type de viande provoque des transferts vers d'autres viandes : la hausse du boeuf profite aux viandes blanches, porc et volailles. Le marché est guidé par les prix. La question est de savoir comment produire en France dans des conditions économiques performantes.

M. René Beaumont . - Les informations figurant sur les produits importés sont minimales. Comment apporter sur le plan sanitaire des garanties alors que les animaux ne sont même pas identifiés ?

M. Jean-Claude Lenoir . - Pour des raisons d'ordre économique, les Français ont redécouvert la viande de cheval de bonne qualité. M. Joseph Daul, ancien président de la fédération nationale bovine, expliquait qu'il lui était arrivé de manger de la viande de cheval pensant manger du boeuf. Elu du Perche, j'apprends que les chevaux percherons ne terminent pas à l'abattoir. Toute crise a des effets positifs. La traçabilité remonte à la crise de la vache folle. L'attention des consommateurs à l'origine de la viande sera source de progrès. Une piste souvent avancée est une meilleure information des consommateurs. Mais les plats cuisinés contiennent souvent plus d'une dizaine d'ingrédients. Comment, dès lors, présenter l'information ? Connaissez-vous des procédés plus performants que ceux utilisés actuellement qui sont peu lisibles ?

M. Pascal Millory . - Nous travaillons activement sur l'information du consommateur. Nous cherchons aussi à simplifier les recettes en commençant par les produits de notre marque distributeur. La complexité est parfois liée à l'ajout de conservateurs. La tendance est au retour des produits sains. Dans nos cahiers des charges avec nos fournisseurs nous limitons le nombre d'ingrédients. Sur l'information des consommateurs, Internet et les applications mobiles constituent une piste.

La structuration des filières est importante. Faute d'une production suffisante de lait bio en France, nous en importions d'Allemagne. Il y a quelques années nous avons conclu un contrat avec un groupement de producteurs - initialement ils étaient 700, ils sont aujourd'hui 1 200 - définissant un volume de production. Nous avons participé aux frais de conversion des élevages induits par le passage du conventionnels au bio. Nous avons recherché un outil industriel. Dans le cadre d'un contrat tripartite, distributeur-conditionneur- producteur, nous avons déterminé des objectifs de production - 15 millions de litres aujourd'hui - à un prix donné. Mais il s'agit de lait bio, la valorisation est plus simple. C'est plus difficile pour les produits de grande consommation. Il est donc nécessaire de rendre le secteur amont plus productif.

Nous avons procédé de même avec le porc bio. Nous nous contentions auparavant d'acheter des jambons bio, mais les producteurs ne rentabilisaient pas l'ensemble de leur production car la consommation du porc ne se réduit pas au jambon. Nous avons élargi ensemble les débouchés : saucisses, rillettes, longe de porc, etc. Là aussi, nous avons noué des accords contractuels tripartites avec des industriels du conditionnement et les producteurs, sur la base de prix stables et transparents.

Nous travaillons à une piste intermédiaire entre l'alimentation conventionnelle et le bio. Il s'agit de rendre compétitives les filières existantes, en améliorant le potentiel de valorisation et les procédés sans hausse des prix pour le consommateur.

Actuellement il est plus rentable de produire des céréales que du boeuf. Mais demain la surabondance aura disparu. Les distributeurs doivent désormais s'intéresser à l'organisation de la filière dès l'amont. Cessons la cueillette, passons à une politique de filière. Nous n'en sommes qu'au début.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La loi de modernisation de l'économie (LME) doit-elle être revue pour permettre des contrats équilibrés entre producteurs, transformateurs et distributeurs ?

M. Pascal Millory . - La réforme de la LME ne suffira pas à organiser les filières. La LME a eu le mérite de corriger les défauts de la loi Galland. En effet, la pratique des marges arrière qui s'accumulaient d'année après année, au point presque de constituer un contre-commerce, conduisait in fine à faire payer au consommateur le surcoût qu'elles entraînaient. Avec la LME, le changement a été brutal.

Aujourd'hui, il faudrait faire évoluer la notion de vente à perte. Nous sommes favorables à l'instauration d'un seuil économique de revente à perte qui intégrerait les coûts de distribution. Cela serait bénéfique pour les PME. La distribution opère en permanence au sein de ses rayons à des péréquations entre les produits rentables et ceux qui provoquent des pertes. Or, le niveau actuel des prix devient prédateur car les coûts, qui ne sont plus répercutés sur certains produits sont mécaniquement reportés sur d'autres. Ainsi les produits intermédiaires font les frais de la concurrence acharnée que se livrent les enseignes de distribution sur les produits de grandes marques, et ils voient leur prix augmenter. Les marges dans la distribution s'établissent entre 1 et 2,5 % du chiffre d'affaires. La hausse du seuil de revente à perte intégrant les coûts de distribution redonnerait de l'air aux distributeurs, leur permettant de baisser les marges et donc les prix sur les produits intermédiaires. A long terme la filière agricole en bénéficierait.

M. François Fortassin . - La viande bovine produite en France est issue dans sa grande majorité de troupeaux de races à viande, nourris en pâturage. Les viandes importées, notamment d'Europe de l'Est, proviennent souvent à l'inverse de vaches de réforme. La traçabilité ne devrait -elle pas s'étendre à ces informations ?

M. Guy Emeriau . - En effet. Les éléments de traçabilité français sont exhaustifs : l'espèce, la race, la dénomination de la pièce, l'âge de la bête ... On sait non seulement s'il s'agit d'une race à viande ou d'une vache laitière, mais aussi s'il s'agit d'une charolaise, d'une limousine ou d'une blonde d'Aquitaine... Nos normes sont plus contraignantes que les normes européennes.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Quelle est la proportion de viande importée dans vos approvisionnements ? La consommation de viande bovine baisserait de 5 à 7 % par an. Identifiez-vous des tendances lourdes en matière de consommation ?

M. Guy Emeriau . - Les données sont différentes selon les filières. La viande fraîche bovine consommée en France est essentiellement française, les importations alimentent davantage les restaurateurs. S'agissant de la viande porcine française, 20 % est consommé comme viande fraîche en France, un tiers fournit l'industrie charcutière, en concurrence avec de la viande importée, un autre tiers est exporté. La viande d'agneau est le seul cas où la production française ne couvre pas la demande.

La consommation de viande diminue chaque année de 1 à 2 %. Nous observons une tendance lourde tendant à privilégier dans la consommation les viandes simples à préparer, comme les steaks hachés. Avec l'envolée des prix depuis deux ans, la consommation de steaks hachés diminue. Dans notre enseigne, les ventes de steaks hachés ont baissé, pour la première fois, au premier trimestre 2013.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous approvisionnez-vous en carcasses ou en viande piécée ? Selon l'Observatoire des prix et des marges, le rayon boucherie de la grande distribution est déficitaire. Est-ce vrai ?

M. Pascal Millory . - Nous avons participé à l'enquête de l'Observatoire. Nos rayons boucherie sont en effet déficitaires. Les coûts imputables à ces rayons sont dus aux investissements lourds en matériel nécessaires à la chaîne du froid et au personnel. Nous vendons la viande soit sous une forme prédécoupée, par nos soins, soit à la découpe en fonction de la demande. Certains auraient pu croire que la vente à la découpe disparaîtrait. Il n'en est rien. Méfions-nous d'une approche trop comptable des rayons boucheries des grandes et moyennes surfaces (GMS) : ils constituent un facteur de relations humaines qui participe de l'attractivité des magasins. Les charges de la boucherie sont certes importantes, mais une grande surface est un lieu de compensation entre produits. Il faut garder à l'esprit qu'il existe une limite de prix que le consommateur est prêt à acquitter.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ainsi le rayon viande sert de rayon d'appel ? Est-ce un motif suffisant pour concurrencer les petits bouchers ?

M. Pascal Millory . - Certains de nos associés sont d'anciens bouchers qui ont tiré parti du système de la grande distribution.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ils n'ont peut-être pas eu le choix.

M. Pascal Millory . - Ils ont saisi une opportunité. Nous continuons car notre métier ne consiste pas seulement à vendre des produits pré-emballés comme dans le hard discount . Notre modèle est basé sur la relation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quels sont les secteurs les plus rentables ?

M. Pascal Millory . - Le textile même si la conjoncture est difficile, ou l'épicerie. Le calcul dépend du mode de répartition des charges, selon qu'on les mutualise ou non. Notre lecture est différente de celle de l'Observatoire des prix et des marges : nos clients recherchent virtuellement tous les produits. Nous ne segmentons pas.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Effectuez-vous des contrôles chez vos distributeurs ? Comment évitez-vous la « remballe » ?

M. Guy Emeriau . - L'essentiel de la viande que nous achetons et vendons en magasin, environ 70 %, est destinée à être retransformée chez nous : désossée, découpée, piécée, tranchée, mise en barquettes, étiquetée, etc. Le reste est transformé chez nos fournisseurs, comme les steaks hachés.

M. Pascal Millory . - Nous avons mis en place un plan de maîtrise sanitaire dans nos établissements renforçant l'hygiène et la qualité. Nous effectuons en outre deux audits par an dans nos magasins pour contrôler la traçabilité. La remballe est une fraude. Aucun système ne peut l'empêcher. Le risque zéro n'existe pas, mais les dommages en termes d'image sont tellement forts que cette pratique présente plus de risques que d'avantages.

M. Gérard Bailly . - La vente en ligne modifie-t-elle les pratiques alimentaires ? En Franche-Comté les fromageries se mettent à la vente en ligne. La viande sera-t-elle concernée ?

M. Pascal Millory . - Les canaux de vente évoluent, mais les produits frais restent encore peu concernés. Les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) ou les circuits courts constituent une évolution plus significative. Nous proposons toute notre palette commerciale dans nos magasins en ligne, y compris la viande, mais les ventes concernent essentiellement les produits stockables.

M. Gérard Bailly . - Les jeunes préfèrent acheter en ligne.

M. Pascal Millory . - La vente en ligne est préoccupante car elle est délocalisée. Des opérateurs comme Amazon exercent une concurrence déloyale en vendant des produits depuis le Luxembourg avec une fiscalité différente.

M. Jean-Claude Lenoir . - Mais il ne s'agit pas, au sens strict, de délocalisation ?

M. Pascal Millory . - Non, mais des opérateurs comme Amazon arrivent sur le marché au galop... Notre autre crainte, c'est qu'avec le développement du e-commerce, qui fonctionne selon un modèle industriel - moins de références et plus de quantité - toute une partie de l'offre n'en vienne à être soustraite de la vue du consommateur. C'est pourquoi nous plaidons pour un élargissement de l'offre.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions.

Audition de M. Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT) (mercredi 17 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous attendons des éclairages sur les conditions de production dans les élevages, sur les modes d'abattage et de transformation, les circuits commerciaux, ainsi que sur le plan de méthanisation qui vient d'être annoncé. Comment maintenir une production nationale de viande ? Nous avons reçu le directeur général de l'alimentation (DGAL), avec lequel nous avons évoqué la question de l'abattage. Quelles sont les différences et les complémentarités entre vos deux directions ?

Mme Sylvie Goy-Chaven t, rapporteure . - Pouvez-vous dresser le tableau des différents types d'exploitations agricoles dans les filières viande, pour nous aider à comprendre quel peut être le meilleur modèle économique d'exploitation, le plus rentable, le plus opérationnel à l'export ? Faut-il privilégier les petites exploitations, les circuits courts, ou les grandes exploitations, très mécanisées ? Quelles sont les mesures existantes et celles que vous préconisez pour encourager notre production de viande ? Dans quelle situation économique sont aujourd'hui les éleveurs spécialisés en production de viande bovine, les plus touchés par les retombées du récent scandale ? Faut-il encourager des regroupements de producteurs ? J'ai récemment rencontré, dans l'Ain, le président d'une association qui regroupe soixante-trois éleveurs, qui peine à obtenir satisfaction des services de l'État pour créer un petit abattoir destiné à produire de la viande en circuit court, tandis que les trois grands groupes présents sur le marché font pression sur lui pour qu'il rejoigne leur système... Comment faire pour que l'ensemble des acteurs de la filière travaillent en bonne intelligence ?

M. Éric Allain, directeur de la DGAAT . - Ma direction se consacre plus particulièrement aux questions économiques. Il s'agit pour nous de rechercher les moyens d'améliorer la santé économique et financière des entreprises du secteur agricole. Nous sommes chargés de la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC) et des politiques nationales, des questions touchant à l'aménagement du territoire, à la forêt, au développement durable, avec le deuxième pilier de la PAC, ainsi que du lien entre agriculture et environnement et des négociations dans le cadre communautaire ou avec les pays tiers.

Les questions touchant à l'hygiène et à la traçabilité, en revanche, ne sont pas de notre ressort, même si nous pouvons intervenir sur ces questions dans les négociations communautaires.

Quelle est la situation des filières d'élevage ? En premier lieu, elles connaissent toutes, depuis une dizaine d'année, une décrue de la production. C'est un vrai sujet de préoccupation.

Ensuite, les revenus des agriculteurs y sont plus faibles que la moyenne. Alors que le niveau moyen de revenu par unité de travail agricole est de 35 000 à 36 000 euros par an, et sachant qu'il a atteint 72 000 euros dans la filière céréalière, il n'est que de 15 000 euros dans la filière bovine, un peu moins dans la filière ovine, un peu plus dans la filière porcine, mais avec de fortes variations annuelles. Depuis 2007-2008, les producteurs subissent un effet de ciseaux. La forte augmentation des coûts de production - du poste alimentation des animaux au premier chef, en particulier dans la filière porcine, où elle représente 60 à 65 % des coûts - explique largement la stagnation du revenu des agriculteurs, alors même que les prix de vente se tiennent voire ont progressé en viande bovine et dans le secteur porcin.

Enfin, les filières d'élevage sont marquées par la concentration des exploitations, dont le nombre s'est rapidement et considérablement réduit, en particulier dans les filières ovine et porcine.

En matière d'élevage, il faut souligner que les systèmes de production sont très diversifiés. On peut y voir un atout ou un inconvénient. Car il n'y a pas de système d'exploitation idéal. Selon les spécificités des territoires, le climat, le type de production céréalière, les producteurs n'ont pas les mêmes avantages comparatifs. S'il n'y a pas de recette miracle, il n'en reste pas moins que l'on peut, en travaillant sur certains points, améliorer la compétitivité de la filière.

Chaque filière a ses spécificités. Comparée à nos voisins européens, la filière bovine française est très singulière puisqu'il existe chez nous un cheptel dédié à la production de viande. Seule l'Irlande a fait le même choix. C'est un handicap, puisque, bien que cette viande issue de l'élevage dédié soit meilleure, nous consommons essentiellement, en France, de la viande provenant de vache laitière de réforme. Il faut donc trouver des débouchés à l'extérieur. Le marché italien, débouché traditionnel des jeunes bovins, se restreint. D'où un problème de positionnement dans une filière qui compte, pour 120 000 exploitations allaitantes, 40 000 exploitations spécialisées dans la viande, concentrées de surcroît dans des zones géographiques défavorisées, si bien que l'enjeu du maintien de l'élevage est aussi un enjeu d'aménagement du territoire. Le vieillissement des chefs d'exploitation spécialisés dans la production de viande bovine est inquiétant. Face aux défis qui se pose à elle, la filière, mal organisée, peine à définir une stratégie collective. Cela a été particulièrement visible lorsqu'il s'est agi de diversifier les exportations, pour faire face à la réduction du débouché italien. Des tentatives ont été faites pour conquérir d'autres marchés, comme le Maghreb ou la Turquie, plus difficiles d'accès en raison de barrières, notamment tarifaires. Mais la recherche de nouveaux marchés s'est faite sans aucune concertation, ce qui a créé des tensions entre les abatteurs-transformateurs, atomisés, parmi lesquels seule une grande société privée, Bigard, est de taille européenne...

Ce secteur de l'abattage-transformation, élément clé de la compétitivité de la filière, est aujourd'hui déficient, dans toutes les filières de l'élevage. Il souffre d'un problème général de surcapacité, avec d'importantes disparités régionales ; le coût d'abattage est supérieur à celui de nos concurrents.

La filière ovine, qui compte un cheptel important, le troisième d'Europe, subit le déclin le plus marqué. Le bilan de santé de la PAC, mis en oeuvre à partir de 2010, a certes enrayé le phénomène, puisque d'importants transferts financiers ont permis de conforter le revenu des exploitants et d'améliorer l'organisation de la filière, grâce à un dispositif de contractualisation exemplaire et à une meilleure maîtrise des coûts de production. Cette évolution récente ne peut cependant pas masquer le fait que 40 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2010 - il n'en subsiste plus, aujourd'hui, que 50 000 - et que les coûts de production sont les plus élevés d'Europe.

Notre filière porcine se classe au troisième rang en Europe. Elle assure 10 % de la production européenne de viande. La concentration y est forte, puisqu'elle est passée de 59 000 élevages en 2000 à 23 000 aujourd'hui, dont 11 000 de plus de 100 truies - principalement localisées en Bretagne - qui assurent 95 % de la production. La filière souffre cependant elle aussi d'un problème de compétitivité, marqué par un important déficit commercial, sur la viande et les préparations industrielles à base de viande de porc. Outre la part importante du coût de l'alimentation dans la production de porc, le secteur de l'abattage et de la découpe connaît lui aussi des problèmes récurrents. Les revenus des producteurs de porcs sont meilleurs que pour les éleveurs bovins et d'ovins, mais avec des variations importantes d'une année sur l'autre - ce que l'on appelle « le cycle du porc ».

Notons cependant un élément positif qui vaut pour l'ensemble des filières viande : si la consommation diminue en France de 1 à 2 % par an, elle augmente au niveau mondial. Notre filière porcine en profite : elle entre sur le marché chinois, où de surcroît certains morceaux ici délaissés, comme les oreilles et la queue, sont appréciés et bien valorisés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On y vend aussi les crêtes de coq.

M. Éric Allain . - J'en viens à la filière avicole, première en Europe en volume, et qui compte 20 000 exploitations. La production a aussi baissé de 20 % en dix ans. Cela n'est pas sans incidence sur la balance commerciale, puisque nous importons plus de 40 % de ce que nous consommons. Les problèmes de la filière avicole sont plus simples à régler que pour la filière bovine, puisque la structure du cheptel n'est pas en cause, mais pour s'être beaucoup focalisée sur des niches, des labels, le secteur a du mal à percer à l'export et ne répond pas à la demande générique de la grande distribution. D'où les difficultés que rencontrent un certain nombre d'opérateurs, Doux par exemple, en cours de restructuration...

La filière avicole souffre d'un manque d'organisation. La question est depuis longtemps posée de la création d'une interprofession unique, mais on en reste pour l'instant à des organismes sectoriels, au nombre de six ou sept, sur des segments aussi étroits que le canard à rôtir, par exemple. Ce qui complique la recherche d'une stratégie commune.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous avez évoqué la consommation de vaches de réforme, ce qui m'amène à vous interroger sur les conséquences de la crise du lait, qui a amené la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à appeler à manifester le 12 avril dernier. Cette crise peut avoir des conséquences catastrophiques, les éleveurs se débarrassant de leur cheptel laitier en vendant leurs vaches laitières comme viande de boucherie, ce qui aura inévitablement une incidence, et à très court terme, sur les exploitations spécialisées dans les races à viande.

En outre, vous pointez un manque de compétitivité, en l'imputant, pour une part, au coût de l'alimentation. Mais n'est-il pas lié, aussi, aux pratiques salariales de pays comme l'Allemagne ? Le président de la FNSEA, Xavier Beulin, nous indiquait y avoir visité un abattoir dont les 2 500 employés portaient des blouses de couleurs différentes, selon leur nationalité, et recevaient un salaire fonction également de leur pays d'origine !

M. Éric Allain . - Je n'ai pas parlé d'un « manque de compétitivité ». La compétitivité doit être appréhendée globalement, depuis la production jusqu'à la consommation, en passant par la transformation. Certains maillons peuvent ainsi être plus forts que d'autres. Certaines exploitations sont plutôt compétitives ; je pense notamment à la filière porcine, où les chefs d'exploitation sont bien formés et les équipements modernes. Il n'en va pas de même de la filière avicole, qui souffre de difficultés liées à ses bâtiments vieillissants.

Il est vrai, en revanche, que la compétitivité dépend beaucoup du secteur abattage-découpe, où les coûts salariaux comptent énormément. On peut certes soulever un contentieux contre l'Allemagne comme l'ont fait certains agriculteurs auprès des autorités européennes, mais il n'est pas certain qu'il aboutisse : c'est un véritable cadre légal européen qui fait défaut, et ce chantier appartient à Bruxelles. J'ajoute qu'il ne faudrait pas, au motif qu'il existe un différentiel de compétitivité, que l'on renonce à porter nos efforts sur les différents segments de la filière viande. Car il faut aussi balayer devant notre porte ; nous avons des efforts à faire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Lesquels ?

M. Éric Allain . - Nos exploitations d'abattage sont plus petites, moins compétitives que celles des Danois, des Néerlandais, des Allemands. Nos coopératives n'ont pas fait tous les efforts nécessaires - augmenter les volumes, moderniser les outils - pour se hisser à la taille critique nécessaire.

Avec la suppression des quotas laitiers, en 2015, on s'attend à une réduction du cheptel laitier, donc à un afflux de viande sur le marché. Mais ces perturbations ne dureront pas plus d'un an ou deux, et si elles appellent un accompagnement des éleveurs allaitants, elles ne justifient pas que l'on revoie le calibrage de toutes nos politiques. A côté de cela, on produit de jeunes bovins pour la viande, que l'on ne valorise pas sur le territoire national. Pour que les éleveurs spécialisés prennent le relais, il faudrait faire évoluer la situation. Cela suppose une organisation commerciale et technique adaptée

M. François Fortassin . - Le vrai problème concernant le secteur des vaches à lait, c'est que lorsqu'un éleveur abandonne la production laitière, il ne la reprend jamais, ne serait-ce que parce qu'il faut dix ou quinze ans pour constituer un cheptel convenable, mais aussi parce qu'avec deux traites par jour, les contraintes sont lourdes. Si bien que l'on va finir, dans les années à venir, par manquer de produits laitiers. Quelles mesures pour parer au problème ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous rappelle que nous travaillons sur la filière viande et non la filière laitière.

M. André Dulait . - Près de 40 % des élevages ovins ont disparu en quelques années. Mais la proportion n'est peut-être pas la même pour le cheptel, car je suppose qu'il y a eu des fusions d'exploitations ?

M. Éric Allain . - Le cheptel a reculé, mais pas dans les mêmes proportions que le nombre des exploitations, en effet.

M. René Beaumont . - Quelles sont les différences entre la France et ses voisins européens en matière de normes de traçabilité ? C'est pour moi une importante question, sachant que nous importons de la viande de plusieurs provenances. Je suis élu de la Saône-et-Loire et connais bien les problèmes des cheptels allaitants. La montée des cours peut-être liée à l'ouverture de nouveaux débouchés à l'export. Lorsque la raréfaction du produit fait monter les cours, c'est bénéfique pour les producteurs. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que les abattoirs soient obligés d'acheter plus cher aux éleveurs...J'observe d'ailleurs que le ministre de l'Agriculture il y a trois ans, chahuté lors d'une visite dans mon département, a été la fois suivante beaucoup mieux accueilli, car il avait trouvé des débouchés à l'étranger pour nos produits...

Concernant les écarts de coûts salariaux en Europe, je souligne que l'Allemagne respecte la réglementation européenne, et que cela ne l'empêche pas de recruter une main d'oeuvre venue d'ailleurs, à bas coût. Ce qu'il faut, c'est autoriser les mêmes personnes à venir travailler chez nous. C'est grâce à une main d'oeuvre moins chère que l'on diminuera les coûts de production.

La perspective d'une seule interprofession avicole peut paraître séduisante sur le papier, mais rassembler les producteurs de poulet fermier, comme celui de Bresse, que je connais bien, et les exploitants de poulets de batterie, dont les débouchés sont surtout à l'export - est difficile. Les uns et les autres n'ont ni les mêmes marchés, ni les mêmes débouchés, ni les mêmes modes de production.

M. Éric Allain . - La question de la traçabilité relève plutôt de la DGAL que de la DGPAAT. Raréfier l'offre, c'est certes augmenter les cours, mais il faut aussi que les opérateurs économiques trouvent de la matière pour honorer leurs contrats. On peut déplorer l'absence de stratégie dans la recherche de nouveaux débouchés à l'export. Ce n'est pas en faisant des « coups » que l'on avancera. Sur la question de la main d'oeuvre, la situation en Allemagne vient du fait qu'il n'y existe pas dans le secteur agroalimentaire de convention collective.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Et pas de salaire minimum !

M. Éric Allain . - C'est le choix des Allemands.

M. René Beaumont . - Cela pénalise toute notre production agricole. Pour la cueillette des fruits, on ne peut plus faire venir de main d'oeuvre étrangère. Le résultat de cette restriction est simple : nous mangeons des fraises italiennes, espagnoles, parce que plus personne, chez nous, ne peut payer le ramassage. Il faut trouver une solution.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les normes sanitaires qui s'appliquent aux abattoirs ne sont-elles pas beaucoup plus strictes en France que dans les autres pays européens ? Nos petits abattoirs familiaux ont du mal à survivre. Mais ne plus s'en remettre qu'aux grandes structures, c'est augmenter le coût du transport jusqu'au lieu d'abattage, sans parler du bien être animal.

M. Éric Allain . - Dans la filière bovine, il existe une interprofession, en dépit de différences profondes qui existent entre les divers segments. Une interprofession qui fonctionne bien est très utile. En matière de normes sanitaires, je crois que l'on évite, en général, d'aller au-delà des exigences communautaires. Nous ne sommes pas guidés par un modèle, qui serait celui du grand abattoir. Depuis deux ans, un mouvement de rationalisation et d'organisation du réseau des abattoirs en France qui souffre d'une surcapacité globale, avec de très grandes variations selon les régions, a été lancé. Pour les bovins, par exemple, on a une surcapacité au sud, et une sous-capacité au nord ; pour les ovins, il n'y a pas d'abattoir dans le nord-est. La commission interprofessionnelle des abattoirs, qui réunit professionnels, collectivités locales et État, est là pour poser un diagnostic et proposer des réponses. Et l'État débloque 5 millions d'euros pour accompagner la modernisation. Les abattoirs de petite taille ne posent d'ailleurs pas problème, contrairement à ceux de taille intermédiaire...

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quel tonnage permet de qualifier un petit abattoir ?

M. Éric Allain . - Les grands abattoirs de bovins traitent environ 20 000 tonnes, les abattoirs de taille intermédiaire entre 3 000 et 4 000 tonnes, et les petits moins de 2 000 tonnes. Ces derniers ont souvent su avoir une stratégie de niche. Une autre piste pour promouvoir les circuits courts consisterait à dédier certains créneaux, dans des abattoirs de taille moyenne, à des groupements d'éleveurs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous parler précisément des circuits de commercialisation ?

M. Éric Allain . - Les circuits courts, les circuits de vente directe, tout cela existe. Mais ils resteront toujours marginaux dans le secteur de la viande, en raison des exigences particulières d'hygiène ou de respect de la chaîne du froid, que ne connaissent pas les productions végétales ou fruitières.

M. René Beaumont . - N'est-il pas dangereux de fermer systématiquement les petits abattoirs ? En Saône-et-Loire, il y a un abattoir de 45 000 tonnes à Cuiseaux, et un autre de 1 200 tonnes à Louhans, autant dire un abattoir familial. On demande à ce dernier de réaliser pour 700 000 euros de mise aux normes, alors qu'en tant que maire, j'avais déjà fait réaliser 1,2 million d'euros de travaux il y a onze ans. Comment amortir ces investissements avec des normes vétérinaires et sanitaires aussi strictes ? Je le dis d'autant plus aisément que je suis vétérinaire de profession. Et une fois ces abattoirs fermés, comment réaliser des circuits courts ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis tout à fait d'accord.

M. Éric Allain . - Je ne suis pas spécialiste des normes. De plus, c'est un débat largement communautaire. J'entends d'ici les réponses de principe que la Commission nous ferait si nous demandions des normes allégées...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous n'avons pas évoqué les conditions de relance de l'élevage. Un plan de méthanisation a été lancé. Toutes les informations que vous pourrez nous fournir seront les bienvenues. Le ministère de l'agriculture a-t-il réalisé des études sur la concurrence franco-allemande en matière de production agricole, en termes de coûts horaires par exemple ?

M. Éric Allain . - De mémoire, l'écart de coût horaire est de 8 euros par tonne. Je vous transmettrai les informations dont nous disposons. Un rapport a récemment été remis conjointement par l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, dans lequel figurent ces éléments.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces éclaircissements.

Audition de M. Daniel Gremillet, président de la commission élevage de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) (mercredi 17 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . -L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) représente le réseau des chambres d'agriculture. Nous sommes impatients de connaître l'analyse des chambres sur la situation des éleveurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quel est l'état de santé économique des élevages bovins-viande, ovins, porcins et avicoles en France ? Quels sont les atouts de la filière française dans la compétition internationale, et quelles sont les distorsions de concurrence qui existent avec les autres pays européens ? Les employés des abattoirs allemands seraient vêtus de blouses dont la couleur indique leur pays d'origine - avec un niveau de salaire différent pour chacun... Comment est-ce possible ? Que pensez-vous des normes existantes en matière d'installation classées ? Sont-elles plus sévères en France que dans d'autres pays européens ? Pourquoi est-il si compliqué d'installer en France un poulailler industriel, un élevage porcin ou une stabulation de bovins ? Enfin, quelles propositions feriez-vous pour améliorer la production française et faciliter l'installation des jeunes agriculteurs sur notre territoire ?

M. Daniel Gremillet, président de la Commission Élevage de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture . - Je suis éleveur et producteur de lait dans le département des Vosges, et responsable de l'élevage et vice-président de l'APCA. En France, la production de viande, tous types confondus, décroît. Cette baisse globale dissimule des variations : le secteur des volailles était en forte croissance avant de subir la concurrence, il y a environ cinq ou six ans, des produits brésiliens dont les coûts d'alimentation sont plus faibles. Les productions animales ont également souffert des crises sanitaires à répétition qui ont laissé des traces. Les contraintes se sont multipliées, et les éleveurs sont souvent vus comme responsables de nuisances que les riverains acceptent de moins en moins.

Dans le monde paysan, rien n'est plus terrible que d'être esseulé dans son type de production. Les porcs ne sont aujourd'hui produits significativement que dans deux régions, alors que la production était auparavant bien répartie sur tout le territoire. Là où elle subsiste de manière marginale, elle est davantage tournée vers des marchés locaux que vers l'industrie agro-alimentaire. La dynamique du développement des productions animales s'est perdue, et avec elle le contact des éleveurs entre eux, et les opportunités d'investissement. Les usines de fabrication d'aliments sont parties, faute de débouchés. Ce constat vaut moins pour la production de viande bovine, plus associée, dans le modèle français, à une production herbagère, même si la production de jeunes bovins dépend aussi de la faculté de produire du maïs.

Les exigences environnementales, en particulier la conditionnalité environnementale de la politique agricole commune (PAC), prennent en France une place considérable dans l'activité des éleveurs. En tant qu'éleveur, mais aussi en tant qu'agriculteur pratiquant la polyculture, je fais l'objet de tous les contrôles de conditionnalités cumulés : sur l'exploitation des terres destinées à produire du blé ou du maïs, sur les terres herbagères, sur la traçabilité des animaux. Je dois à ce titre déclarer sous sept jours les animaux qui quittent l'exploitation, lorsqu'ils sont vendus, ou surveiller que les boucles ne se détachent pas. Les animaux étant vivants, ce sont des choses qui arrivent ! Pour échapper à des contraintes aussi lourdes, il est bien plus simple de se spécialiser dans la production végétale.

Les normes sont en effet très contraignantes. En production de vache allaitante, secteur qui a connu une baisse importante des volumes, avant de repartir à la hausse depuis six mois, le problème réside dans le fait que l'on considère trop souvent l'herbe sous son aspect environnemental, et non comme un type de production. Or l'herbe est une production végétale destinée à nourrir les bêtes ! C'est certes moins vrai dans les zones où les conditions d'exploitation sont limitées par le relief ou par les conditions climatiques. La politique de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) avait pour objectif d'encourager l'herbe, mais l'obligation de fertilisation et la limitation à 1,4 unité de gros bétail par hectare ont eu pour effet de limiter notre compétitivité au regard des autres secteurs de production et des autres pays de l'Union européenne.

L'obligation de mise aux normes des élevages est une autre difficulté. Les plus grosses exploitations ont profité les premières des concours financiers, plus importants initialement que lors du dernier programme de mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui s'adressait aux petites unités. Sur ce point, on en a peut-être trop fait, ce qui a coûté très cher en termes de fonctionnement, et continue à handicaper les revenus des agriculteurs.

Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) a été une réussite. Le secteur de la volaille n'en a toutefois pas bénéficié - il en est question pour 2014, mais le plan sera-t-il toujours d'actualité ? Le secteur porcin a pu, lui, se rapprocher des normes européennes en matière de bien-être animal.

Nous parlons beaucoup de bien-être animal, mais qui se soucie du bien-être des éleveurs ? Certes, des services de remplacement ont été mis en place, mais ils ne servent qu'en cas d'imprévus. Il est très difficile, surtout pour les polyculteurs, de trouver des remplaçants susceptibles d'effectuer tout le travail dans sa diversité. Les emplois d'avenir auraient pu bénéficier plus largement au secteur agricole, mais la prise en charge publique du coût de ces emplois dans les exploitations agricoles a été limitée à 40 %, quand elle est de 75 % dans les associations. Dommage ! Car des vocations auraient pu se révéler, d'autant que la filière souffre d'un terrible manque de main d'oeuvre. J'ai eu trois salariés, les trois sont ensuite devenus paysans.

Le coût de l'alimentation animale a bondi de 60 % en huit ans, sans répercussion sur le prix de vente final. C'est vrai pour les porcs, la volaille, comme pour les bovins. Au sein du réseau des chambres d'agriculture, nous travaillons sur deux pistes : d'une part, renforcer les capacités de notre production herbagère. Il faut bien comprendre que l'herbe se cultive, que ce soit dans des prairies permanentes ou artificielles. Avant ma prise de fonction, ce sujet n'était pas porté au niveau national. Il faut diversifier les protéines et vaincre notre dépendance envers les achats de soja américain ou brésilien. Nous cherchons d'autre part à retrouver des marges sur le coût de l'alimentation animale.

Rapportées au revenu moyen, les contraintes du métier d'éleveur sont lourdes. Lorsqu'une génisse vêle un dimanche soir à 23 heures, on ne peut se défiler. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans ce métier, ce qui constitue une chance pour la société, mais oblige la profession à s'adapter.

En matière de soutien aux investissements, l'Allemagne a mené une politique énergique. Tandis que nous mettions en oeuvre le PMBE, notre voisin conduisait un vaste programme de modernisation de son secteur de l'élevage, grâce à des investissements massivement financés par l'État fédéral et par les Länder. Notre aide était plafonnée à 90 000 euros par exploitation quand la leur l'était à 40% du montant total investi. Cela a fait toute la différence. Il y a quelques décennies, la filière porcine était présente en Bretagne, mais aussi en Aquitaine... Aujourd'hui, le secteur s'est concentré et des régions ont été abandonnées, mais l'Allemagne reste plus compétitive que nous. Cela doit nous faire réagir. En transposant les directives européennes avec trop de zèle, nous avons chaussé des souliers de plomb dans la compétition internationale.

Il est devenu très difficile pour un jeune de s'installer. Il lui faut d'abord se faire accepter par le voisinage, qui voit souvent d'un mauvais oeil la construction d'une étable, ou pire, d'une porcherie, ou encore d'un poulailler dit « industriel » - c'est à nous cette fois que le qualificatif fait horreur. Les habitants alentour craignent des nuisances. Mais quoi de plus normal à la campagne ? En conséquence, il est plus simple de s'installer là où les exploitations existent déjà, dans le grand Ouest plutôt que dans le Massif central ou dans les Vosges, car ces régions ont été désertées par les producteurs de porcs ou de volailles. Un projet de construction d'une exploitation à Vittel a réuni contre lui de nombreuses pétitions, alors que, j'en suis certain, personne n'est en mesure de dire où se trouvent les exploitations existantes ! Les Vosges ne produisent pas même assez pour la seule consommation de la région. En résumé, moins il existe de producteurs, moins il est facile de s'installer. A notre époque moderne, en quelques clics, on communique avec le monde entier, mais les gens n'ont jamais été aussi ignorants de l'activité de leurs voisins.

Il faut reconsidérer les aides à l'installation. Les subventions ne sont pas les seuls outils à mobiliser : les prêts sont d'autres instruments sur lesquels nous pouvons agir. Si la production de blé, de colza ou de maïs est presque réalisable sans bâtiment, la production de viande impose de lourds investissements. Or la durée de remboursement des prêts est en France trop courte, entre 12 et 15 ans, quand elle est de 25 ans dans les pays du Nord de l'Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On nous indique que les normes s'appliquent différemment dans les autres pays européens. Avez-vous, à l'APCA, une étude comparative précise sur ce point ? Cela permettrait de savoir où le bât blesse.

M. Daniel Gremillet . - Nous avons un certain nombre d'éléments sur ce qui se passe ailleurs, mais pas de synthèse générale et exhaustive sur l'application des normes à l'échelle européenne.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La France a-t-elle sur-interprété les directives européennes, ou les autres pays ont-ils trouvé le moyen de les appliquer de manière plus légère ?

M. Daniel Gremillet. - On observe les deux phénomènes. Je ne veux pas dire que les autres se déchargent de leurs obligations. Ils les appliquent avec souplesse. Indiscutablement, la France de son côté a introduit dans son droit national des éléments de contrainte supplémentaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Les normes semblent même s'appliquer différemment selon les régions.

M. Daniel Gremillet . - Effectivement. L'Europe est une chance pour notre agriculture et notre élevage. Je considère pour cela que votre travail est capital. Nous écouter, c'est déjà faire progresser les choses. Les aides à l'installation par exemples sont financées partiellement par les régions : sachez que certaines refusent d'aider les productions porcines, rendues responsables de dégradations de l'environnement. Ce phénomène peut s'amplifier demain avec la régionalisation des aides agricoles ! Nous aurions alors une politique d'installation à vingt-deux vitesses.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qui décide de cette application différenciée des règles ?

M. Daniel Gremillet . - Les préfets de région ont leur responsabilité dans l'application de la directive nitrate, qui pèse davantage sur l'investissement dans l'élevage que sur les productions végétales.

M. René Beaumont . - Nous vous écoutons et formulerons des propositions, mais il n'est pas sûr que les choses avanceront pour autant, car nous rabâchons sans cesse, avant de nous heurter à l'administration française, la plus efficace d'Europe, dont nous sommes véritablement victimes.

En France on manque de protéines pour l'alimentation animale. Notre réflexe est d'aller chercher du soja à l'étranger, alors que nous brûlons des tonnes de protéines à travers les farines animales. Depuis le scandale de la vache folle, on transforme les carcasses d'animaux et l'on stocke les farines ainsi obtenues dans d'immenses hangars, avant de les brûler dans des cimenteries. A l'époque de la vache folle, c'était indispensable. Plus maintenant. Si l'Europe autorise à nouveau l'utilisation des farines animales en pisciculture, c'est que leur fabrication respecte des normes qui assurent leur innocuité. Au passage, je note qu'il faut porter les carcasses à plus de 147 degrés pour détruire le vecteur de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), non à 122 degrés comme un brillant ingénieur anglais l'avait recommandé à l'époque - ce qui a été la source de la crise de la vache folle. Le stockage et l'incinération coûtent cher. Et nous continuons à importer des protéines des États-Unis. Une étude devrait être faite sur ce gaspillage.

Je crains que, dans quelques années, nous ne puissions plus manger de porcs français, car personne ne veut de porcherie dans son voisinage. Il faudra alors se résoudre à l'importer ! Le territoire entier est devenu une zone d'interdit. Admettons que la péninsule bretonne cesse de faire progresser la production de porcs : mais ailleurs, nous pourrions développer la production... Dans mon département, un abattoir reçoit tous les jours des porcs hollandais et bretons : est-ce bien rationnel ? Je suggère de définir des zones dans lesquelles on pourrait plus facilement construire des porcheries, notamment dans l'est et dans le nord de la France. Aux élus locaux de se mettre d'accord sur les lieux et les équipements. Si les porcheries bretonnes ont été causé des dommages à l'environnement, c'est parce qu'elles ont été construites sans aucune norme et en dépit du bon sens. Dans ma commune, qui compte 1 200 habitants, il existe une porcherie de 3 000 porcs. Grâce à la station d'épuration, les nouveaux habitants ignorent presque son existence. Créons des zones de permission d'élevage porcin ou avicole, où nos amis écologistes auront l'interdiction d'interdire. Sinon, c'est au monde entier que nous achèterons poulets et porcs, et notre balance extérieure en fera les frais.

M. Daniel Grémillet . - J'ai vécu la crise de la vache folle en tant que responsable agricole. J'avais alors demandé à la justice, en lui fournissant les étiquettes, de m'informer sur la composition précise des aliments pour animaux que j'employais. L'expert ne m'avait pas fourni de réponse... Le problème de l'étiquetage est en train de mettre à mal la confiance des consommateurs. Le scandale de la viande équine ne remet pas en cause la sécurité sanitaire. C'est une tricherie, une fraude. Pour les paysans, qui appliquent consciencieusement les règles de traçabilité et en supportent le coût, c'est très pénible ! Il est possible de savoir à tout moment où est parti le veau né dans chaque exploitation agricole. Comme président d'une coopérative laitière, je peux dire pour chaque fromage d'où provient le lait. Pour la viande, les choses fonctionnent différemment, mais la traçabilité demeure possible.

Concernant les farines animales, il s'agit d'un véritable gâchis. Sans doute vaut-il mieux éviter de donner des farines aux vaches - mais lorsqu'elles mangent de l'herbe, elles ne font pas le tri entre l'herbe, les limaces et les lombrics. Dans la panse d'une vache, les matières animales - issues des petits animaux qui se trouvent dans l'herbe - représentent plus de 15 % du total.... Les filières porcine et avicole devraient demander le droit de recourir aux farines animales, qui sont meilleures que le soja génétiquement modifié.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Il y a une différence entre les ruminants et les autres.

M. Daniel Grémillet . - Le retour aux farines animales dans les alimentations d'animaux serait possible, en excluant les bovins. Concernant le porc et la volaille, qui sont des monogastriques, c'est nous qui dénaturons leur alimentation. Éviter le gaspillage et restaurer la compétitivité ne sont pas des idées incongrues ! J'ajoute qu'il n'y a qu'à réaliser des contrôles sur les farines, pour s'assurer qu'elles ont été correctement chauffées.

M. René Beaumont . - Les farines françaises étaient indemnes de prion. Nous avons toujours eu une bonne discipline en la matière. Ce sont les farines anglaises qui ont envahi notre marché et répandu le mal.

M. Daniel Grémillet . - Il est tout à fait possible d'agir pour améliorer les conditions économiques de l'alimentation des bovins et des ovins, dès lors que l'on accepte de considérer l'herbe comme une production, et que le plan protéine n'est pas réservé au bassin parisien. Pour les porcins, la réintroduction des farines animales peut constituer une réponse satisfaisante, d'application immédiate.

Concernant les bâtiments, les élevages modernes ne dégagent plus guère d'odeurs, grâce à l'enfouissement immédiat. Les raisons du rejet de tels projets par les riverains ne sont pas des raisons objectives : le mot porcherie évoque désormais productivisme et pollution. Les chambres d'agriculture doivent faire un travail en direction de la société, par exemple en organisant des journées portes ouvertes chez les producteurs de volailles ou de porcs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Disposez-vous de statistiques récentes sur les cessations d'activité des éleveurs spécialisés, secteur par secteur ? Le recensement général de l'agriculture (RGA) ne renseigne pas sur les tendances.

M. Daniel Grémillet . - Le nombre d'éleveurs de vaches allaitantes est en diminution, malgré un programme de soutien. Concernant l'élevage porcin et la volaille, on assiste à des formes d'intégration, dans lesquelles l'agriculteur devient une sorte de tâcheron : une entreprise, abattoir ou fabricant d'aliments, met à sa disposition des bâtiments et du matériel, en contrepartie de quoi il s'engage à acheter tous les aliments à cette entreprise, et à lui vendre ses animaux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie.

Audition de Mmes Michèle Rousseau, directrice générale et Anne-Louise Guilmain, chargée d'études Agriculture de l'Agence de l'eau Seine-Normandie (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour nous exposer le point de vue des agences de l'eau sur les conditions de production et l'impact de l'élevage sur les milieux naturels.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - L'agriculture, comme toute activité humaine, produit des agents polluants, liés en particulier aux déjections. J'ai lu qu'en Bretagne la pollution due aux animaux d'élevage serait équivalente à la pollution organique de la population française, ce qui paraît énorme. Qu'en pensez-vous ? Protège-t-on assez l'environnement et la ressource en eau ? Sur quels voisins européens pourrions-nous prendre exemple pour améliorer la situation et préserver cette ressource à laquelle nous tenons tant ?

Mme Michèle Rousseau, directrice générale de l'agence de l'eau Seine-Normandie . - Dans le bassin Seine-Normandie, l'élevage est important, puisqu'il représente 40 % des exploitations agricoles, mais environ 10 % de la surface agricole utile (SAU). L'élevage de bovins compte 3 millions de têtes, soit 16 % du cheptel français. Nous avons très peu d'élevage caprin, 6 % de la production d'ovins, 1 % de la production nationale de volaille et 7 % de l'élevage porcin.

L'impact de l'élevage sur la qualité de l'eau est essentiellement lié aux effluents et aux déjections. Il peut être négatif, ou pas, selon les modes d'épandage. Les pratiques ont bien progressé ces dernières années. La part des engrais organiques azotés, par rapport aux engrais chimiques, est de 25 %, Pour les engrais phosphoreux, la part organique monte à 60 %. Ces proportions sont loin d'être négligeables. Les engrais organiques sont plus difficiles à doser, mais leur remplacement par des engrais chimiques serait encore plus négatif pour l'environnement.

S'il n'est pas évident d'apprécier l'impact négatif de l'élevage, l'impact positif de l'élevage herbager est flagrant. L'herbe, pour la qualité des eaux, est très intéressante. Elle filtre les polluants, empêche l'érosion des sols, protège des inondations. Et sans élevage extensif, il n'y aurait pas de prairie permanente. Nous aimerions voir sur les captages le plus d'herbe possible, pour lutter contre les pollutions diffuses, contre les nitrates qui concernent 95 % de la superficie du bassin, contre l'eutrophisation du littoral. Des captages sont fermés pour cause de pollution : une carte en fait état, département par département. Tout ce qui limite les pollutions diffuses nous intéresse.

A cet égard, les conséquences directes de l'élevage sont plutôt positives, dans la mesure où il s'agit d'élevage extensif à l'herbe et dans la mesure où il entraîne l'usage d'engrais organiques au lieu d'engrais chimiques, lesquels sont davantage utilisés pour la culture des céréales. Sur le second point, nous avons enregistré des progrès ces dernières années en matière de gestion des épandages mais nos marges de progression sont encore importantes. Sur le premier, je souligne que la différence ne se joue pas entre petit et grand élevage, mais entre élevage intensif et élevage extensif : il y a de grands élevages extensifs et de petits élevages intensifs.

Mises en place il y a une cinquantaine d'années, les agences de l'eau perçoivent des redevances acquittée par l'ensemble des usagers et redistribuent ces sommes sous forme de subventions ou d'avances remboursables. La redevance est perçue chez les éleveurs au-dessus d'un certain nombre de têtes de bétail.

Mme Anne-Laure Guilmain, chargée d'études agriculture . - Plus de 90 unités gros bovins (UGB).

Mme Michèle Rousseau . - En Seine-Normandie, le montant total de la redevance qui pèse sur les éleveurs est très faible, de l'ordre de 5 millions d'euros pour 6 ans, durée du 10 e programme d'action mené par la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau, soit environ 1 million d'euros sur les 750 millions perçus chaque année par l'Agence.

Les aides accordées aux éleveurs concernent essentiellement la construction de stockages pour les effluents. Les aides sont modulées, selon les programmes, en fonction des capacités de stockage à construire. Pour notre 6 e programme, nous avons affecté une enveloppe de 97 millions d'euros à ces aides, 79 millions d'euros pour le 7 e programme, 63 millions d'euros pour le 8 e programme, et enfin 17 millions d'euros pour le 9 e programme qui vient de se terminer. Cette baisse s'explique par la réduction du nombre d'opérations proposées par les éleveurs et non par une stratégie de réduction de l'effort de l'Agence, qui répond sur ce point à toutes les demandes. Notre budget prévisionnel pour les aides aux agriculteurs est même sous-consommé - notre taux de consommation des crédits du 9 e programme n'est que de 60 %. Nous prévoyons, dans le cadre du 10 ème programme, de consacrer 42 millions d'euros à la mise en conformité par les éleveurs de leurs stockages, dans les zones vulnérables existantes, mais aussi dans les nouvelles zones vulnérables, ainsi qu'en dehors de ces zones. Le comité de bassin a émis le voeu que nous aidions les éleveurs déjà situés en zone vulnérable et déjà aidés dans le passé, mais obligés de construire des capacités de stockage supplémentaires en raison du renforcement de la réglementation. Notre taux d'aide est de 40 %, soit le maximum autorisé par Bruxelles. Si un taux supérieur était autorisé, nous aurions les capacités budgétaires pour y répondre. Le taux moyen d'aide que nous apportons à l'ensemble des projets que nous subventionnons est d'ailleurs plus élevé, de l'ordre de 60 %.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Connaissez-vous des exploitations qui n'auraient pu, du fait de ce taux plafonné à 40 %, mener à bien leur programme d'assainissement ?

Mme Anne-Louise Guilmain . - Lors de la précédente mise aux normes, certains éleveurs ont choisi de cesser leur activité, à cause du coût des opérations qui ne pouvaient être davantage subventionnées du fait de l'encadrement du taux de subvention au niveau européen. Pour les mises aux normes imposées dans les nouvelles zones vulnérables, nous n'avons pas connaissance de cas de cessations d'activité pour cause de trop faibles soutiens publics.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons été avisés que les seuils de nitrates pourraient être relevés sans dommage. Est-ce raisonnable ou est-ce une façon, pour certains, de dégager leur responsabilité ?

Mme Michèle Rousseau . - J'ai des doutes sur cette affirmation...

M. François Fortassin . - Des études montrent qu'un taux de nitrate de 50 mg par litre aurait des effets positifs sur la santé...

Mme Michèle Rousseau . - Je n'ai pas de compétence en matière de santé, mais il existe aussi des études en sens inverse. Encore faut-il distinguer le seuil fixé pour la santé publique à 50 mg par litre et celui, inférieur, entre 20 et 30 mg par litre, qui convient à la protection du milieu naturel, en évitant l'eutrophisation du littoral. Un taux concerne les nappes souterraines, l'autre les rivières. Or plus de 90 % du bassin se trouve en zone vulnérable à cause de l'eutrophisation. Il faut donc veiller particulièrement aux conséquences sur le milieu naturel et le littoral, compte tenu de l'exposition de l'ensemble des côtes de la Manche et de la mer du Nord à l'eutrophisation. La presque totalité du bassin se situe en zone vulnérable.

Mme Anne-Louise Guilmain . - Les nappes souterraines et les eaux superficielles sont liées, ce ne sont pas deux milieux séparés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous en resterons donc aux seuils actuels, qu'il n'y a lieu, ni de baisser, ni de relever.

Mme Anne-Louise Guilmain . - Il n'y a pas beaucoup d'algues vertes en Normandie, mais des efflorescences algales et des phénomènes de mousse.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Certaines régions ont-elles besoin de davantage d'argent ?

Mme Michèle Rousseau . - Le total envisagé pour les aides aux agriculteurs dans le cadre du 10 e programme s'élève à 200 millions d'euros sur six ans, contre 90 millions d'euros distribués pour le 9 e programme. L'ensemble des agences de l'eau ont augmenté leur budget prévisionnel en direction des agriculteurs. Les aides sont censées compenser les pertes de production des agriculteurs sur les aires de captage. Mais pour certaines cultures, changer de pratiques culturales n'est pas intéressant si les prix mondiaux sont élevés et si la perte de production s'avère trop forte.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le verdissement de la PAC pourrait-il changer la donne ?

Mme Michèle Rousseau . - Très peu.

Mme Anne-Louise Guilmain . - Dans la mesure où il interdit le retournement des prairies permanentes, le verdissement peut être intéressant pour encourager l'élevage à l'herbe.

M. François Fortassin . - Je suis perplexe sur le sort réservé à l'amendement que j'ai eu l'honneur de faire adopter à l'unanimité, il y a quatre ans, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'inscrire dans la loi que « les herbivores sont exclusivement nourris à l'herbe », parce que la qualité de la viande et du lait sont meilleures quand c'est le cas...

M. René Beaumont . - Absolument !

M. François Fortassin . - ...et les prairies évitent le lessivage des sols...

Mme Michèle Rousseau . - L'herbe piège aussi le carbone...

M. François Fortassin . - Nous n'aurions jamais connu la vache folle si les herbivores avaient été nourris à l'herbe...

M. René Beaumont . - Sûrement !

Mme Michèle Rousseau . - Et l'on contrôlerait mieux l'alimentation...

M. François Fortassin . - Cet amendement est resté lettre morte. Pourquoi les agences de l'eau ne s'en sont-elles pas emparées ?

Mme Michèle Rousseau . - Les agences de l'eau agissent en distribuant des aides financières, dans le respect de l'encadrement communautaire.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Des aides incitent les agriculteurs à aller dans ce sens...

Mme Michèle Rousseau . - La PAC fournit des aides à l'hectare, sans tenir compte de l'utilisation des sols et du rendement des productions. Aussi des agriculteurs gagnent-ils mieux leur vie en cultivant des céréales, dont les cours sont élevés, qu'en se consacrant à l'élevage.

M. François Fortassin . - Je ne visais pas les céréales, mais ces élevages de mouton, dans le Limousin, qui ne voient jamais un brin d'herbe...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous emmènerai sur le plateau de Millevaches, où vous les verrez pâturer...

M. François Fortassin . - Il existe des troupeaux de 800 brebis qui ne pâturent jamais...

M. René Beaumont . - Bien qu'ayant été vice-président de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, j'avoue que je m'interrogeais ce matin sur la pertinence du lien entre les agences de l'eau et notre mission. Elle apparaît clairement après votre exposé. Je suis frappé de constater à quel point la biomasse est sous-utilisée dans notre pays quand nos voisins allemands ou d'Europe centrale exploitent la méthanisation pour produire de l'énergie, localement, à partir des déchets de l'élevage : toutes les porcheries sont branchées sur une marmite. Les agences de l'eau y réfléchissent-elles ? Il est vrai que nous avons en France un très grand producteur qui fait tout ce qu'il peut pour éviter toute production parallèle...

Mme Michèle Rousseau. - Notre nom indique notre vocation, nos aides vont à l'eau. La méthanisation concerne au premier chef l'élevage intensif ; or nous nous intéressons à l'élevage extensif. Parmi les opérateurs publics, seule l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) serait compétente pour accorder des aides financières à la méthanisation. Je crois que les aides reposent sur la contribution au service public de l'énergie prélevée sur la facture d'électricité. Les tarifs de rachat sont définis par le ministre chargé de l'énergie et le ministre du budget, pour EDF comme pour les autres producteurs d'électricité. L'équilibre économique de la filière méthane repose sur ces tarifs...

M. François Fortassin . - Ce n'est pas qu'un problème de tarif ! Mon département compte 474 communes, dont 78 seulement sont raccordés au gaz. Les tentatives de développer la méthanisation - comme celle que j'ai lancée en tant que président du syndicat départemental de l'énergie - ont tôt fait d'achopper sur le problème du non-raccordement au réseau de GDF.

Mme Michèle Rousseau . - La méthanisation pour produire de l'électricité est faisable à peu près partout, sous réserve que les tarifs de rachat la rendent rentable. Pour le biogaz, dont le rachat est beaucoup plus récent, il faut disposer d'un réseau, qui est coûteux à mettre en place. C'est pourquoi la couverture du territoire français est incomplète.

M. René Beaumont . - Dans l'ex-Allemagne de l'Est, en Hongrie, en Pologne, on trouve partout, dans les villages, de petites unités de production qui transforment la biomasse, non en kWh, mais en calories, pour chauffer le village...

Mme Michèle Rousseau . - Il existe des unités mixtes, qui produisent électricité et calories...

M. René Beaumont . - Ainsi le méthane est utilisé sur place.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Cela explique pour une part l'avantage compétitif de l'Allemagne. Elle dispose de 7 000 méthaniseurs, là où nous n'en avons que 90...

M. René Beaumont . - Il y a des raisons à cela... Depuis trois ans, je promeus, avec GDF-Suez, l'installation d'une unité de production sur une grande ferme de production de légumes de 3 500 hectares. A chaque fois que nous croyons toucher au but, de nouvelles normes nous en éloignent...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Voilà cinq ans que j'essaie d'installer un méthaniseur dans la région d'Ussel, avec les éleveurs, des producteurs de légumes, des commerçants...

M. René Beaumont . - EDF n'est peut-être pas un interlocuteur très favorable à ces initiatives.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'élevage en mode de production biologique est-il favorable à une meilleure qualité des eaux ?

Mme Michèle Rousseau. - Il y a peu de différences entre un élevage extensif bio et non bio en matière de répercussions sur la qualité des eaux. L'intérêt du bio est en revanche de consommer moins de médicaments vétérinaires. Dans notre bassin très urbanisé, la pollution est cependant probablement davantage imputable aux médicaments humains qu'aux produits vétérinaires.

En matière de pollution azotée, je ne puis rien dire sur la Bretagne, qui est surtout concernée. Pour le bassin Seine-Normandie, selon une étude du programme interdisciplinaire de recherche sur l'environnement de la Seine (Piren-Seine), les rejets azotés de source domestique s'élèvent à 5,4 kg par habitant et par an, ceux qui sont liés aux cultures à quelque 20 kg, tous systèmes de culture confondus.

J'ajoute un élément à votre réflexion : pour être produit, un boeuf consomme beaucoup de terre et beaucoup d'eau. Une approche rapide permet de dire que pour nourrir plus de population, on pourrait utiliser différemment la SAU, afin de produire plus de protéines végétales et moins de protéines animales. Cela aurait un effet positif sur l'eau.

M. François Fortassin . - Je ne partage pas votre analyse. Un boeuf a besoin de 50 litres d'eau par jour ; un hectare de maïs ou de blé consomme 1 800 mètres cubes par hectare ; et en élevage extensif, il faut compter un boeuf par hectare.

Mme Michèle Rousseau . - Mes chiffres sont différents...

Mme Anne-Louise Guilmain. - Il faudrait tenir compte de la nourriture du boeuf, pour déterminer son empreinte-eau au-delà de ce qu'il boit...

M. René Beaumont . - L'essentiel du poids de l'herbe est constitué d'eau...

M. François Fortassin . - S'il ne la broutait pas, qu'en ferait-on ? Une friche ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Revenons sur l'épandage, qui a une incidence considérable sur les nappes : les éleveurs se plaignent souvent des périodes d'épandage, qui seraient inadaptées dans certains départements. Sont-elles les mêmes partout en France, et si oui, pourquoi ?

Mme Anne-Louise Guilmain . - Elles dépendent d'arrêtés départementaux, dans un cadrage européen fixé par la directive nitrates. C'est l'un des points du contentieux de la Commission européenne avec la France.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les mêmes règles s'appliquent-elles du nord au sud de la France ?

Mme Anne-Louise Guilmain . - Les mêmes règles minimales : il peut y avoir des adaptations locales...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La France tend, en matière de directive européenne, à laver plus blanc que blanc... Dans certaines zones plus sèches, il semble que l'épandage ne soit pas toujours prévu au bon moment...

Mme Michèle Rousseau . - Les agences de l'eau sont peu consultées sur ce sujet...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Cela paraît paradoxal...

Mme Michèle Rousseau . - C'est un processus réglementaire qui implique le ministère, les préfets et les services de l'État.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous connaissance de la situation dans d'autres agences de l'eau, qui illustreraient mieux les relations entre élevage et qualité de l'eau ?

Mme Michèle Rousseau . - La situation en Artois-Picardie est comparable à la nôtre, la Bretagne est davantage concernée par les nitrates...

M. Jean-Jacques Mirassou . - Comment peut-on déterminer ce qui relève des agriculteurs et ce qui est imputable à l'urbain ? Cette question est posée par les éleveurs : ils ont le sentiment que toutes les pollutions leur sont imputées, alors qu'ils ne sont pas responsables de tout.

Mme Michèle Rousseau . - Je n'ai jamais dit que les éleveurs étaient responsables de tout. Se pose aussi le problème des pollutions diffuses : les effluents pluviaux peuvent devenir aussi importants que ceux qui sortent des stations d'épuration urbaines. En petite couronne parisienne, les rejets des stations d'épuration du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP), le service public de l'assainissement francilien qui traite une zone très urbanisée, sont du même ordre de grandeur que les effluents pluviaux. Si nous voulons respecter les normes européennes pour la Seine, il faudra fournir de gros efforts sur le traitement des effluents pluviaux. Notre politique est d'aider à la ré-infiltration des eaux de pluie dans les sols, pour lutter contre le ruissellement. Il faut ré-enherber. Notre taux d'aide en la matière, qui n'est pas limité par Bruxelles, est de 80 %. Nous allons également pousser à la construction de bassins de rétention. Mais infiltrer au maximum coûtera moins cher que de devoir traiter les eaux de pluie.

M. Claude Bérit-Débat . - C'est une solution...

M. Jean-Jacques Mirassou . - ...qui n'est pas applicable partout...

M. Claude Bérit-Débat . - ...mais intéressante.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il faut lutter contre l'imperméabilisation des sols.

Mme Michèle Rousseau . - Tout à fait !

Mme Bernadette Bourzai , présidente - Nous vous remercions.

Audition de M. Christophe Monnier, chef de service produits alimentaires Mmes Isabelle Bineau, chef de projet produits animaux et Marie-Paule Spiess, chef de projet produits avicoles et produits gourmets à UBIFRANCE (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information s'intéresse de près au commerce international, à plus forte raison depuis le scandale de la viande de cheval.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ubifrance accompagne les entreprises dans leur développement à l'export. Pouvez-vous nous brosser un état des lieux, et nous indiquer les forces et les faiblesses de la filière viande à l'international ? Vous pourrez également évoquer les enjeux de qualité et de traçabilité des produits, ainsi que ceux liées aux importations.

M. Christophe Monnier, chef de service produits alimentaires . - L'agriculture française est la première d'Europe et l'industrie agroalimentaire française est aussi la première, ex-æquo, avec l'Allemagne. Le rôle d'Ubifrance est de soutenir les exportations françaises. L'industrie agro-alimentaire constitue d'ailleurs l'un de nos points forts à l'export, en volume comme en chiffre d'affaires. L'exportation de viande se décompose en deux sous-secteurs : celle d'animaux vivants, et celle de viande - porcine, bovine, avicole, et dans une bien moindre mesure, chevaline.

Les atouts de l'offre française sont sa diversité et, précisément, son importance : nos interlocuteurs sont sensibles à notre position de leader en Europe. Nous disposons du premier troupeau de races allaitantes en Europe, et nos produits jouissent d'une très bonne image en termes de qualité et de traçabilité.

Nous avons toutefois des faiblesses. Depuis le milieu des années 2000, notre balance commerciale est déficitaire, toutes catégories de viande confondues. En 2012, notre déficit s'élève à un million d'euros. Pour les animaux vivants en revanche, nous enregistrons un excédent important de l'ordre de 1,7 milliard d'euros, mais il existe des risques qu'il baisse à l'avenir.

M. Claude Bérit-Débat . - Vers quels pays exportons-nous les animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau, chef de projet produits animaux . - Surtout l'Italie, notre premier client, où les animaux sont destinés à l'engraissement. Puis viennent l'Espagne et la Grèce, ainsi que les pays du pourtour méditerranéen, comme le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et le Liban - la Turquie a refermé récemment ses frontières. Dans les derniers pays cités, toutefois, les animaux vivants sont davantage destinés à l'abattage qu'à l'engraissement.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Ne pouvons-nous pas consommer notre production plutôt que d'importer de la viande ?

Mme Isabelle Bineau . - La situation est un peu plus compliquée. Nous exportons des quartiers arrière vers l'Allemagne, d'où nous importons des quartiers avant. Les flux se complètent, du fait de différences dans les préférences des pays.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Cela tient en définitive aux habitudes alimentaires des différents pays.

Mme Isabelle Bineau . - Exactement.

M. François Fortassin . - Il est aussi plus rentable d'exporter des animaux en Italie ou en Espagne pour les engraisser avec du maïs français, que de les finir, comme l'on dit, pour les vendre ensuite. Confirmez-vous que les exportations à destination de la Russie et de la Finlande sont en revanche destinées à constituer des élevages ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ou au Kazakhstan. Quel est le rôle du groupe d'intérêt économique (GIE) export ? Et quelles relations entretient Ubifrance avec Sopexa ?

M. Christophe Monnier . - Ubifrance est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances. La Sopexa est une société privée depuis 2007, titulaire d'une délégation de service public sur les activités liées à la promotion des produits alimentaires français. Elle passe des contrats avec les interprofessions et anime un réseau de bureaux à l'étranger. A l'inverse, Ubifrance a une mission générale : nous travaillons avec l'ensemble des exportateurs français, à qui nous proposons toute une palette de services d'accompagnement sur les marchés étrangers.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Et le GIE export ? Ne concerne-t-il que les animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau . - Il s'adresse à l'ensemble de la filière, y compris l'exportation de reproducteurs.

M. Claude Bérit-Débat . - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les importations d'animaux vivants ?

Mme Isabelle Bineau . - Elles sont négligeables. Cela concerne surtout les bovins reproducteurs.

M. François Fortassin . - Le taureau espagnol...

Mme Isabelle Bineau . - ... qui nous cause quelques soucis parce qu'il est porteur de maladies.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous pouvons nous rassurer en affirmant que l'on exporte plus d'animaux vivants et que l'on importe surtout des animaux morts. Est-ce à dire que l'on exporte ce que l'on n'est plus capable d'élever, pour le faire revenir une fois engraissé ?

Mme Isabelle Bineau . - Non, les exportations d'animaux vivants sont une caractéristique ancienne des échanges commerciaux, développée après la seconde guerre mondiale pour alimenter la filière d'engraissement italienne. Il y a même des sociétés italiennes implantées en France pour exporter. Si nous cessons d'exporter vers l'Italie, nous n'aurons pas la capacité d'engraissement en France pour renforcer le débouché italien.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qu'entendez-vous par là ? Nous avons le maïs, les élevages...

Mme Isabelle Bineau . - Nous avons de moins en moins d'éleveurs. Ils vieillissent et ne seront pas tous remplacés quand ils partiront à la retraite. Les capacités d'investissement vont décroître et les coûts de production grimper.

M. Christophe Monnier . - C'est le secteur de l'industrie agro-alimentaire dans lequel les marges sont les plus faibles.

Mme Isabelle Bineau . - D'où l'organisation d'Etats généraux de la filière viande par l'interprofession.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne faudrait-il pas simplement que les éleveurs vivent de leur travail ?

M. François Fortassin . - Les maïsiculteurs ne travaillent que trois ou quatre mois par an : ils n'ont aucune envie de devenir éleveurs. En plus, dans les zones de montagne, les éleveurs achètent la paille ou la luzerne espagnole, mais pas les céréales qui poussent dans leur département. Certaines pratiques relèvent plus de l'habitude que de la raison.

M. Claude Bérit-Débat . -Il y a aussi des problèmes de coût.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il faudrait regarder comment les céréaliculteurs procèdent. Il est vrai que la végétalisation progresse et que les éleveurs connaissent des difficultés qui laissent peu d'espoir de voir l'engraissement se développer en France.

M. François Fortassin . - Les maïsiculteurs seraient bien inspirés de faire de l'élevage.

Mme Isabelle Bineau . - Pour l'instant, c'est plutôt le contraire qui se produit : des éleveurs se font céréaliculteurs.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Et les éleveurs qui basculent dans le tout-végétal ne prennent jamais le chemin inverse.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - On exporte beaucoup d'arrières et on importe beaucoup de parties avant, dites-vous. Nous recevons sur ce point des informations contradictoires.

Mme Isabelle Bineau . - Cela dépend en réalité de la provenance des produits. Ce schéma est vrai par rapport à l'Allemagne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - On nous a expliqué que les Français aimaient les bons morceaux. Avez-vous des chiffres illustrant les flux de viande franco-allemands ?

Mme Isabelle Bineau . - Je vous communiquerai les éléments dont nous disposons. Nous exportons peu de désossé, surtout des carcasses, donc des produits à faible valeur ajoutée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - L'on exporte le bon et l'on importe le minerai ?

M. François Fortassin . - Nous importons les morceaux nobles, et nous exportons ceux que l'on consomme moins.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Est-ce exact ?

Mme Isabelle Bineau . - C'est à vérifier. Nous exportons en Italie des carcasses et quelques quartiers arrière. En Allemagne, les choses sont différentes. Les différents segments d'exportation et d'importation se complètent mutuellement en Europe.

M. Christophe Monnier . - L'émergence des pays d'Amérique latine comme fournisseurs de viande a suscité de nombreux commentaires. Or, en 2012, nos déficits en matière de viande se font surtout avec nos voisins européens : l'Espagne, les Pays-Bas, l'Irlande, l'Allemagne, la Belgique. Le solde vis-à-vis de l'Espagne, désormais négatif de plus de 20 millions d'euros, s'est fortement dégradé depuis la crise de 2007, en partie à cause des importations de viande porcine. Nous devons donc nous interroger sur la compétitivité de notre filière viande vis-à-vis de pays qui ont la même monnaie. Certes, avec un solde excédentaire de 1,7 milliard sur les échanges d'animaux vivants, contre 1 milliard d'euros de déficit commercial sur la viande, le solde global reste positif. Il y a toutefois une lueur d'espoir : les excédents se réalisent de plus en plus avec les pays tiers - Arabie Saoudite, Russie, Chine, Japon, Hong-Kong, Suisse, Yémen - sur lesquels la demande est dynamique.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Pouvez-vous préciser les volumes des échanges entre la France et l'Allemagne ?

M. Christophe Monnier . - Notre industrie de viande transformée est la deuxième d'Europe derrière l'Allemagne.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Je présume que la France et l'Allemagne sont loin devant l'Italie et les Pays-Bas ?

M. Christophe Monnier . - En effet. Notre filière de transformation de la viande pèse 33 milliards d'euros, contre 39 milliards d'euros en Allemagne.

M. François Fortassin . - L'Allemagne n'exporte pas d'animaux vivants, me semble-t-il.

Mme Isabelle Bineau . - C'est vrai pour la viande bovine. En revanche, l'Allemagne exporte de plus en plus de porc et de volaille vers la France.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous comparé les compétitivités allemande et française ?

M. Christophe Monnier . - Les organismes dont c'est la mission l'ont fait.

Mme Isabelle Bineau . - Le coût de la main d'oeuvre est moins élevé en Allemagne, qui fait largement appel à de la main d'oeuvre étrangère, polonaise et roumaine, recrutée par intérim et sous-payée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ils sont payés en fonction des salaires pratiqués dans leur pays d'origine ?

Mme Isabelle Bineau . - Oui, en outre, certaines sociétés, comme le groupe germano-hollandais Vion ou encore Tönnies, sont très grandes, ce qui leur permet de limiter les coûts et d'être très compétitifs.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Cela s'appelle du dumping . Ne peut-on faire jouer certaines clauses du droit européen pour lutter contre ces pratiques ? Si l'on ajoute à cela le bilan carbone désastreux lié au transport des produits, la situation est inouïe.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La Belgique a déposé un recours contre cette pratique dans les industries agroalimentaires auprès de la Commission européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces méthodes sont déloyales et humainement discutables. Il faut réagir.

M. Christophe Monnier . - Une autre organisation de la filière dégagerait des économies d'échelle. Le dilemme est le suivant : soit l'on maintient des petites structures, dans les zones de montagne par exemple, et le surcoût doit bien être payé par quelqu'un, soit l'on met en place des méga-fermes, au risque d'industrialiser l'élevage.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Ne perdons pas de vue la qualité des produits...

M. Claude Bérit-Débat . - Avons-nous des points forts sur des marchés de niche, où la qualité des produits prédomine ?

M. Christophe Monnier . - La France achète beaucoup de produits industriels originaires des pays voisins... On peut toujours expliquer aux autres que nous ne faisons que de la qualité, mais le prix reste un élément déterminant dans le choix des consommateurs. Les scandales sanitaires les ont certes ébranlés, en Europe comme en Chine, et nous pourrions mettre davantage l'accent sur la qualité de nos produits - bien que le scandale de la viande de cheval affaiblisse notre discours. Cela ne concernerait toutefois que de petits volumes, car tous les pays n'ont pas nos habitudes de consommation, loin s'en faut : la Russie consomme la viande sous forme de boulettes : la pièce de boeuf est un mets très français.

M. Claude Bérit-Débat . - Notre secteur exportateur n'occupe donc pas la moindre position de niche ?

M. Christophe Monnier . - Si, dans l'hôtellerie-restauration haut de gamme, à Singapour, aux Émirats arabes unis, en Russie. Nous sommes bien placés sur les produits gourmets et la restauration de luxe.

M. Claude Bérit-Débat . - De quels produits s'agit-il ?

M. Christophe Monnier . - Toutes les filières sont concernées, y compris le canard gras, la volaille label rouge...

M. François Fortassin . - La consommation de viande augmente avec le niveau de vie.

M. Christophe Monnier . - Nous avons un problème de communication à l'égard des consommateurs étrangers, qui ne connaissent pas la diversité des races à viande françaises.

M. Jean-Jacques Mirassou . - D'un côté on assujettit les éleveurs à de lourdes contraintes, de l'autre on piétine en plus le droit social. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis bien d'accord. Avez-vous des chiffres sur l'exportation de viandes abattues rituellement ?

M. Christophe Monnier . - Les statistiques douanières ne donnent pas ces détails. Nous travaillons depuis deux ou trois ans sur la viande halal et casher, car il y a une demande internationale. L'Italie vient d'ailleurs de créer un label halal italien. Mais nous butons toujours sur l'absence de données douanières exploitables.

Mme Marie-Paule Spiess, chef de projet produits avicoles, produits gourmets . - Ce sont les destinations qui donnent l'information : les produits à destination du Moyen-Orient ou de la Malaisie sont forcément issus d'abattage rituel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - L'étiquetage halal n'apparaît que lorsque le produit arrive à destination. Sur son lieu de production, l'information n'est pas disponible.

Mme Isabelle Bineau . - Si, le mode d'abattage y est indiqué, mais nous n'avons pas de chiffres consolidés sur les volumes en jeu.

M. Christophe Monnier . - Le code douanier ne précise pas le type d'abattage. Nous n'avons d'ailleurs pas plus d'information statistique sur les produits bio ou labellisés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelle est l'ampleur des échanges de viande entre la France et la Roumanie ?

M. Christophe Monnier . - Ils sont négligeables. Le solde est négatif : notre déficit est d'environ 1 million d'euros pour le cheval, et d'environ 2 millions pour la viande bovine congelée.

Mme Isabelle Bineau . - Il faudrait regarder précisément ce que la Roumanie fait transiter par les Pays-Bas ou l'Allemagne. Mais même ainsi, la filière roumaine reste de peu d'importance.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous n'avez aucun chiffre sur le bio ni sur les labels ?

M. Christophe Monnier . - Non. Les seules informations seraient de nature déclarative, collectées par les organismes interprofessionnels.

Mme Marie-Paul Spiess . - Comme le Syndicat national des labels avicoles de France (Synalaf).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et en matière d'importation de bio, et de labels qualité, que sait-on ?

M. Christophe Monnier. - L'Agence bio fait état d'un déficit d'approvisionnement. Celui-ci commence toutefois à diminuer : il est revenu de 40 % à 30 % en quelques années.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - On connaît pourtant les catégories de viande qui arrivent sur notre territoire : jambon italien...

Mme Isabelle Bineau . - Les étiquettes mentionnent le pays d'origine, mais les labels ne sont pas enregistrés par les douanes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette logique m'échappe.

M. François Fortassin . - On peut mettre beaucoup de choses dans le bio. L'agneau de Nouvelle-Zélande ne mange que de l'herbe, mais une partie des éleveurs utilisent des produits vétérinaires qui rendent leurs bêtes inéligibles au label bio. La tentation est forte en Nouvelle-Zélande de n'exporter que du bio, quitte à faire disparaître le reste du cheptel.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Vendre cette viande comme du bio est un pari.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En définitive, comment avoir la certitude que les consommateurs ne sont pas trompés ?

Mme Isabelle Bineau . - Les importateurs et les distributeurs ont ces informations : il y a une traçabilité.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Il faut aussi faire confiance à l'esprit critique des consommateurs. Il y a des garanties de qualité. L'affaire Spanghero a certes suscité beaucoup d'inquiétude. Tout le monde, moi y compris, a découvert à cette occasion l'existence de minerais de viande...

M. Christophe Monnier . - Nous serions très intéressés par la possibilité d'affiner les statistiques douanières.

Mme Marie-Paule Spiess . - Pour l'heure, la seule façon de procéder à l'analyse des marchés consiste à observer l'offre de détail d'un certain nombre de points de vente représentatifs. De telles études sont souvent réalisées, sur les marchés extérieurs comme en France.

Mme Isabelle Bineau . - Concernant les viandes issues de la filière rituelle, il est possible de manger sans le savoir des viandes halal ou casher car, dans ce dernier cas, seule la partie avant de la bête est utilisée. L'arrière est forcément utilisé à d'autres fins.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ubifrance a vocation à développer le commerce extérieur français. Vous avez souligné les faiblesses de l'exportation française d'animaux morts. Quelles actions menez-vous pour aider les entreprises ? Portent-elles leurs fruits ?

M. Christophe Monnier . - D'abord, nous fournissons des informations sur les marchés extérieurs. Nous analysons la concurrence et le potentiel de débouchés qu'ils présentent. Pour ce faire, nous travaillons étroitement avec le groupement export mis en place en viande bovine. Nous assurons en outre une veille importante des pays tiers.

Nous menons ensuite des actions de mise en relation commerciale. Celles-ci peuvent être individuelles, à travers des missions d'aide à la prospection durant lesquelles nous organisons des programmes de deux à trois jours de rendez-vous, avec un suivi de six mois. Elles sont également collectives : nous regroupons l'offre française, entreprise par entreprise ou en lien avec les interprofessions, dans des salons internationaux, comme nous l'avons fait à Dubaï il y a un mois et demi. Dans le secteur viande, ces événements sont très importants. La promotion commerciale et l'organisation de dégustations est une autre des nos activités, partagée avec Sopexa.

Enfin, nous menons des actions promotionnelles et de marketing, sollicitons la presse, et soutenons des campagnes publicitaires dans les pays étrangers. Bien que cela soit traditionnellement un point fort de Sopexa, nous sommes également sollicités. Deux salons sont particulièrement importants pour la filière viande : le salon des productions animales-carrefour européen (SPACE), à Rennes ; et le sommet de l'élevage à Clermont-Ferrand, haut lieu de la viande bovine et des races allaitantes, qui grandit chaque année. Nous y faisons venir des délégations étrangères pour promouvoir la diversité de nos espèces, la plus importante d'Europe. D'une manière générale, nous n'insistons pas assez sur le développement international. Il faudrait mobiliser les acteurs, à tous les échelons. Le sommet de Clermont-Ferrand reçoit par exemple peu ou pas d'aides régionales, ce qui est pour le moins surprenant.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je fréquente annuellement ce salon, et crois savoir que la région Auvergne le soutient, à la hauteur de ses moyens.

M. Christophe Monnier . - Sur sa partie nationale, sans doute. Ce n'est pas le cas pour son volet international.

Mme Isabelle Bineau . - L'aspect sanitaire est important à l'international. L'affaire de la vache folle a beaucoup nui au commerce français, tout comme la fièvre catarrhale ovine (FLO), la maladie de Schmallenberg et le récent scandale de la viande de cheval. Les frontières se sont à l'époque fermées, et certaines le sont toujours : c'est le cas en Turquie, au Maroc, en Russie, au Kazakhstan, en Chine. Le Japon ne s'est rouvert qu'il y a deux mois. Nous avons une épée de Damoclès sur notre tête, malgré l'action de la direction générale de l'alimentation (DGAL).

M. Claude Bérit-Débat . - La tuberculose bovine touche l'Ain et la Dordogne, qui ont mis en place un dépistage performant. Affecte-t-elle nos exportations ?

Mme Isabelle Bineau . - La France bénéficie pour l'instant du statu « indemne », car en deçà du seuil d'alerte. La situation n'en est pas moins préoccupante, car la France est proche du seuil permettant le maintien de ce statut.

M. Claude Bérit-Débat . - Le problème, c'est que les tests de dépistages varient selon les départements, et en Europe selon les pays. Les harmoniser serait sage, bien que cela puisse créer des drames, chez nous, comme ailleurs, si l'on découvrait de nouveaux cas. La Limousine n'est pas à l'abri...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le sud de la Corrèze non plus.

M. Claude Bérit-Débat . - Les blaireaux, vecteurs de la bactérie, ignorent les frontières entre les départements, tout comme les cervidés.

M. Christophe Monnier. - Malgré les obstacles, ce sont les pays tiers qui tirent la croissance de nos exportations. Une vision de long terme commanderait de travailler ces marchés en amont ! Or depuis quelques années, les exportateurs français s'engouffrent sur les opportunités offertes ponctuellement : la Turquie était devenue l'un de nos principaux clients. Or ses frontières se sont ensuite refermées... Veillons à ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.

Mme Isabelle Bineau . - La Turquie n'est pas à proprement parler fermée : elle a relevé ses droits de douane à 100 %.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour vos éclairages.

Audition de MM. Patrick Foubert, trésorier national adjoint et Stéphane Touzet, secrétaire national du syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture (SNTMA-FO) (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevons à présent M. Patrick Foubert, trésorier général adjoint chargé du secteur abattoir, et M. Stéphane Touzet, secrétaire national du secteur alimentation, du Syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture (SNTMA-FO).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Le ministère de l'agriculture est chargé de surveiller et de contrôler les denrées alimentaires. Le site internet du ministère précise que « la responsabilité appartient d'abord à ceux qui élaborent les produits et les proposent aux consommateurs. L'interdépendance des producteurs tout au long de la chaîne d'élaboration des produits crée une chaîne de responsabilité. Pour l'assumer, il leur appartient de développer des autocontrôles et de mettre en oeuvre de bonnes pratiques d'hygiène et des systèmes leur permettant de garantir la traçabilité des produits ». Les limites de ces autocontrôles sont manifestes. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui relève du ministère de l'Économie et des Finances, qui ne dispose que d'un agent par département pour effectuer ses missions, nous a fait part de ses inquiétudes. Quels sont les moyens mis en oeuvre par le ministère pour effectuer ces tâches de surveillance et de contrôle ? Sont-ils suffisants ?

M. Stéphane Touzet, secrétaire national du secteur alimentation du SNTMA-FO . - Je suis affecté à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations du Cher. Je suis en outre secrétaire national du Syndicat national des techniciens du ministère de l'agriculture, chargé de l'évolution des missions vétérinaires, de la formation continue des personnels, et des relations internationales : nous sommes en effet à l'origine de la création d'une association européenne regroupant les associations nationales des contrôleurs de l'alimentation, l' European Working Community for Food Inspection and Consumer Protection (EWFC). J'en ai été élu secrétaire général il y a quatre ans.

M. Patrick Foubert, trésorier général adjoint chargé du secteur abattoir (SNTMA-FO). - Je suis chef technicien à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine, inspecteur en protection animale dans la filière avicole, trésorier général adjoint du syndicat national, et trésorier de l'association EWFC.

M. Stéphane Touzet . - En tant que techniciens supérieurs de la spécialité alimentaire et vétérinaire, nous appartenons à un corps de catégorie B doté de pouvoirs de police et procédant à des inspections sur le terrain pour assurer la protection de la santé publique, de la fourche à la fourchette. En poste dans les abattoirs, les directions départementales interministérielles (DDI) ou les directions régionales, nous intervenons dans le domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire de la protection animale et de celle de l'environnement.

Nous nous inquiétons du projet de réforme de notre formation. Actuellement, nous consacrons 61 jours lors de notre formation initiale aux bases scientifiques nécessaires à l'inspection vétérinaire ; nous y apprenons, par exemple à distinguer à l'oeil et au toucher la viande de cheval de la viande de boeuf. Or, cette formation devrait être ramenée à seulement 4 jours.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Cette formation initiale peut-elle être complétée ?

M. Stéphane Touzet . - Un plan de formation à distance est prévu, avec des DVD ainsi que des tuteurs, parfois lointains et souvent happés par le quotidien. Il y a de quoi être inquiet. D'autant plus que depuis cinq ans, l'effectif total des techniciens stagne autour de 5 500. Nous sommes moins nombreux dans la spécialité vétérinaire et alimentaire, car les agents d'offices ou agences fermés ont surtout été reclassés dans les spécialités agricole et forestière.

M. Patrick Foubert . - Nous avons 2 500 techniciens dans la spécialité vétérinaire, dont la moitié en abattoir.

M. Stéphane Touzet . - Nous sommes revenus à 4 579 personnes contre 5 600 il y a dix ans.

M. Patrick Foubert . - Toutes catégories confondues, nous avons perdu un millier de personnes en cinq ans.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous ressenti l'effet de l'augmentation des crédits de 2013 ?

M. Stéphane Touzet . - On annonce 25 recrutements...

M. Patrick Foubert . - ... pour 100 départs à la retraite.

M. Stéphane Touzet . - On va remplacer le quart des départs. Je ne comprends pas cette arithmétique.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Ne laissons pas penser que cette problématique n'intéresse que les services de l'État.

M. Stéphane Touzet . - J'espère bien !

M. Jean-Jacques Mirassou . - Le laboratoire départemental d'analyses de Haute-Garonne a joué un rôle déterminant en matière de lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Travaillez-vous avec ces laboratoires ?

M. Stéphane Touzet . - Oui, depuis la séparation opérée en 1984, nous travaillons avec eux. Cependant, certains départements n'ont plus de laboratoire ; ailleurs, des lignes d'analyses sont régionalisées.

M. Jean-Jacques Mirassou . - La baisse des effectifs doit être replacée dans le contexte des diminutions opérées ces cinq dernières années.

M. Stéphane Touzet . - Nous en sommes au pic du baby boom .

M. Jean-Jacques Mirassou . - Le manque d'effectifs nous fait-il courir un risque de crise sanitaire ?

M. Stéphane Touzet . - Lors de l'épidémie de fièvre aphteuse, nous étions 30 dans les services vétérinaires du Cher. Nous avons travaillé 12 heures par jour, 7 jours sur 7 pendant un mois et demi. Si une telle crise se reproduisait, seulement 5 membres de l'équipe (4 techniciens et un vétérinaire) pourraient aller au feu.

M. Patrick Foubert . - Eh oui ! Nous fonctionnons comme une caserne de pompiers. Mieux vaut qu'elle ne soit pas déserte quand un incendie se déclare. A la diminution des effectifs, s'ajoute des pertes de compétences occasionnées par les départs en retraite. Certaines directions départementales interministérielles n'ont plus de vétérinaire, ce qui oblige par exemple les exportateurs à faire signer leurs certificats dans le département voisin. En cas de crise grave, nous gérerons le premier cas, pas les suivants. Nous avons alerté plusieurs fois le ministère.

M. Claude Bérit-Débat . - Quelle a été l'évolution des effectifs au cours des cinq dernières années ?

M. Patrick Foubert . - L'évolution du budget opérationnel de programme (BOP) n° 206, le programme de la sécurité sanitaire de l'alimentation, indique clairement la tendance à la baisse. En outre, les missions d'encadrement se sont alourdies au détriment des contrôles.

M. Stéphane Touzet . - Il y a 20 ans, un technicien faisait 80 % de contrôle pour 20 % de travail administratif. Nous en sommes aujourd'hui à 50-50. La pression des contrôles est pourtant un paramètre essentiel du niveau d'hygiène et du respect de la réglementation. Je comprends la nécessité de s'adapter aux nouvelles technologies ainsi qu'à l'évolution des règles du commerce, mais ce changement n'a jamais été pris en compte.

Le nombre de titulaires baisse. Mais nous travaillons encore beaucoup avec des vacataires, qui représentent parfois jusqu'à la moitié des effectifs dans un abattoir. Lors de la création du corps des techniciens supérieurs, celui des préposés sanitaires a été mis en voie d'extinction ; ils étaient encore 80. En 1998, ils étaient ...800, parce qu'on y avait intégré des vacataires qui ne pouvaient être titularisés comme techniciens, à l'occasion des différentes mesures de dé préconisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Concrètement, en quoi votre travail  consiste-t-il ? Est-il en voie d'être remplacé par les autocontrôles, ce qui me dérangerait ?

M. Patrick Foubert . -. Le paquet hygiène responsabilise les producteurs, mais les autocontrôles n'ont de valeur que s'ils sont validés par des contrôles officiels. On ne peut faire confiance aux seuls autocontrôles. Par exemple, les installations avicoles font l'objet une fois par an de contrôles physiques pour procéder à des prélèvements repérant d'éventuelles salmonelles.

M. Stéphane Touzet . - Les salariés des entreprises concernées sont très inquiets des conflits d'intérêts suscités par les autocontrôles. Les autocontrôles ne peuvent suffire. Il y a dix ans, notre administration avait donné la priorité au contrôle documentaire. A la grande époque du HACCP ( Hazard analysis critical control point ), nous allions très peu sur le terrain, ce qui allait bien entendu plus vite. Nous avions alors des problèmes avec des établissements qui avaient fait l'objet de rapports favorables, mais étaient souvent dans un état sanitaire lamentable. Notre travail consiste à chasser les fraudeurs et les contrevenants.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les salariés craignent peut-être de ne pas savoir réagir s'ils trouvaient du cheval à la place du boeuf  dans la mesure où c'est à leur directeur de l'entreprise qu'incombe la responsabilité des contrôles.

M. Stéphane Touzet . - Un manutentionnaire qui manipule des tonnes de produit n'est pas intégré dans un système d'assurance qualité. Mais dans tout plan HACCP, on doit contrôler les produits à l'arrivée et au départ. Certains salariés ne peuvent pas « ne pas savoir ». A l'occasion des travaux du Conseil national de l'alimentation sur l'articulation du paquet hygiène et du droit du travail français, les syndicats avaient demandé un droit d'alerte. Il leur a été refusé au motif que la responsabilité des contrôles était celle du directeur. Les salariés subissent des pressions terribles. Ils travaillent dans un secteur économique compliqué, très concurrentiel. Ils ont surtout peur de perdre leur emploi. De plus, le secteur alimentaire est le deuxième réseau de blanchiment d'argent, après les casinos.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Un rapport du Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a pointé les dérives de l'abattage en France. M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation, nous a déclaré que si ce rapport était partiel, il posait des questions pertinentes car nous sommes confrontés à une inflation du volume de bétail abattu de manière rituelle, sans étourdissement. Notez-vous une dérive des abattages sans étourdissement préalable, et présentent-ils un risque sanitaire accru ?

M. Patrick Foubert . - Oui, je pense qu'il y a inflation des abattages rituels, même si nous n'avons pas de données chiffrées. Cet abattage est même devenu la règle dans plusieurs abattoirs, puisque cette méthode évite aux industriels d'avoir à trier les carcasses. Il n'y a en effet pas de traçabilité du mode d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Vous qui êtes sur le terrain, pouvez-vous nous dire ce que l'abattage rituel représente ?

M. Patrick Foubert. - J'ignore si un chiffrage a été effectué.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - J'ai l'impression que c'est un peu l'omerta. Certains abattoirs censés faire peu de rituel ont-ils basculé sur la généralisation de cette pratique, par souci de simplicité ?

M. Patrick Foubert . - En Bretagne, cela représente une part non négligeable de l'activité d'abattoirs qui en faisaient peu il y a encore quelques années. Il nous serait possible de mener une enquête auprès de nos collègues. Sur le plan sanitaire, dans la mesure où l'oesophage n'est pas ligaturé, cette pratique n'est pas sans risque...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous confirmez que l'oesophage ne peut pas être agrafé dans le cadre d'un abattage rituel ?

M. Patrick Foubert . -  Il ne peut pas l'être... ou il ne l'est pas au moment de la saignée.

M. Stéphane Touzet . - La pratique de la saignée est différente.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ce n'est pas une saignée, c'est un égorgement.

M. Stéphane Touzet . - Notre syndicat n'a toutefois pas reçu d'alerte provenant de nos collègues.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne risque-t-on pas de contamination par l'escherichia coli ?

M. Patrick Foubert . - Il faudrait interroger l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES).

M. Stéphane Touzet . - J'ai travaillé dans un abattoir industriel qui pratiquait l'abattage rituel et je n'ai pas souvenir de problème particulier de contamination des carcasses. L'animal étant placé tête en bas, le sang monte à la tête. Il gicle à plusieurs mètres au moment de l'égorgement ; les choses ont donc davantage tendance à sortir qu'à entrer.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Dans certains abattoirs le rythme est rapide. Or le rite recommande de laisser l'animal tranquille pendant une certaine durée. Les animaux peuvent mettre de longues minutes à mourir. Lorsqu'il est pendu par les pattes de derrière, et peut-être encore conscient, il y a bien un risque d'écoulement du rumen sur la plaie ?

M. Stéphane Touzet . - Hors abattage rituel, lorsqu'on assomme un animal et qu'on ne le saigne pas, l'animal peut repartir ; si on le saigne mal, il gesticule...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le matador ne tue pas ?

M. Stéphane Touzet . - Non, car l'intérêt est de saigner un animal vivant pour qu'il saigne bien. Nous y veillons. Pour cela il faut bien régler le matador ou l'appareil d'électronarcose.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - En quoi le matador consiste-t-il exactement ?

M. Patrick Foubert. - C'est une tige en métal propulsée par une charge dans un tube, et qui percute le crâne de l'animal.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - C'est irréversible ?

M. Patrick Foubert . - Si l'animal n'est pas mort, il a des lésions au cerveau dont il ne se remettra pas. L'électronarcose, elle, est réversible.

M. Stéphane Touzet . - Nous sommes là pour éviter que des animaux soient mal tués. Nous n'avons pas reçu d'alerte particulière à propos des abattages rituels.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous eu connaissance de risques de contamination ?

M. Stéphane Touzet . - Quand vous saignez un animal, des matières sortent de l'oesophage, ce qui contamine. De même, lorsqu'on l'égorge, il y a contamination par les poils. C'est inévitable, même si la Commission européenne veut supprimer certaines incisions réglementaires des porcs afin de limiter les risques de contamination.

M. Patrick Foubert . - L'Anses a-t-elle été saisie ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous leur poserons la question lorsque nous les recevrons.

M. Patrick Foubert . - Dans les abattoirs, nous procédons à une inspection sanitaire. Systématique, l'inspection ante-mortem consiste en l'identification des animaux, souvent déléguée aux industriels, en une inspection de leur état et en un contrôle du respect des règles du bien-être animal aux différentes étapes. Ces deux dernières opérations requièrent un contrôle visuel permanent. L'inspection post-mortem est un examen des carcasses au regard des règles du paquet hygiène et en vue d'autoriser leur mise sur le marché.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Toutes les carcasses ?

M. Patrick Foubert . - Oui, sauf en volaille compte tenu des cadences : 80 bovins à l'heure, jusqu'à 850 porcs, et 10 à 15 000 volailles.

M. Stéphane Touzet . - En vitesse de pointe...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-ce le rythme de l'abattage ou bien celui des contrôles ?

M. Patrick Foubert . - Les deux, puisqu'il s'agit d'un travail posté ; nous sommes assis à côté de l'opérateur de l'abattoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et le lapin ?

M. Patrick Foubert. - C'est un lagomorphe que nous exportons dans le monde entier.

M. Stéphane Touzet . - Il relève de la réglementation applicable aux volailles. Dans certains abattoirs, nous ne sommes pas en mesure d'effectuer les contrôles règlementaires car les cadences sont trop rapides, ce qui n'empêche pas qu'un agent procède à l'inspection visuelle des carcasses. Un projet de règlement tend à officialiser l'inspection visuelle des porcs. Elle devrait en principe se limiter à des animaux élevés en milieu clos ou dans une exploitation bénéficiant d'une qualification particulière. L'objectif est d'assouplir le droit pour le mettre en conformité avec la pratique.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous mettez tout de même un tampon ?

M. Patrick Foubert . - Dans beaucoup d'abattoirs il est apposé par l'industriel. Selon les nouvelles règles, la redevance sanitaire est modulée en fonction du respect par l'abattoir du niveau d'hygiène correspondant à sa catégorie, de la délégation d'estampillage - l'industriel qui appose le tampon paye une redevance moindre -, et du respect du protocole-cadre signé entre les représentants du préfet et l'abattoir. Ces protocoles qui portent sur les équipements, les locaux ou les horaires de travail sont de véritables usines à gaz... Notre syndicat, qui s'était beaucoup impliqué dans leur négociation, regrette leur adoption précipitée à la fin de l'année dernière, sous la pression des entreprises.

Nos collègues en abattoirs travaillent 32 heures par semaine en raison de l'humidité, des horaires décalés, du bruit... Ces conditions difficiles expliquent que beaucoup souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS) qui imposent des reclassements.

M. Stéphane Touzet. - Les volailles ont servi de variable d'ajustement aux services vétérinaires à tel point que nous avons failli perdre notre agrément après une inspection de la Commission européenne. La France a demandé une dérogation : son projet de mode alternatif d'inspection des volailles a été validé par la Commission, qui a toutefois signifié qu'il manquait 160 agents équivalents temps plein (ETP) pour le mettre en oeuvre.

M. Patrick Foubert . - Ces règles ne concernent pour l'instant qu'une dizaine d'établissements-pilotes, mais le projet a vocation à être étendu.

M. Stéphane Touzet . - Nos collègues allemands et britanniques nous ont appris que toutes leurs inspections ante-mortem sont effectuées par des vétérinaires et que toutes les carcasses de bêtes abattues sont contrôlées par des inspecteurs officiels. La France n'est plus une référence.

Nous réalisons également des tests spécifiques (trichine, tremblante, ESB). Dans les abattoirs nous procédons aussi, dans le cadre des plans de surveillance et de contrôle, à des prélèvements par lesquels nous recherchons la présence de médicaments ou d'activateurs de croissance.

Outre ces contrôles systématiques, nous effectuons des contrôles aléatoires : utilisation des sous-produits, température des carcasses avant leur départ, locaux, bon fonctionnement du matériel d'abreuvage, d'arrosage, d'anesthésie..., conditions de transport et nettoyage des véhicules après le transport.

Appliquées quant à elle à la fois aux abattoirs et aux ateliers de découpe, les inspections complètes portent sur le respect des règles d'hygiène, du plan HACCP et des systèmes de traçabilité. Mené dans le cadre de plan de maitrise sanitaire associant contrôle documentaire et inspection sur place, ils donnent lieu à une visite tous les un ou deux ans.

M. Patrick Foubert . - La programmation des visites dépend de l'analyse des risques pour chaque établissement et des effectifs disponibles.

M. Stéphane Touzet . - Pour les établissements de troisième et de quatrième transformation, les contrôles s'effectuent dans le cadre du plan de maitrise sanitaire. La programmation des contrôles repose sur une formule de calcul prenant en compte plusieurs paramètres liés à l'établissement. Chacun d'entre eux est ensuite classé en fonction des axes de contrôles définies par le ministère, ce dernier privilégiant actuellement la prévention sur la répression et l'amélioration. Au final, nous visitons les établissements de catégorie 1 et 2, ceux qui présentent le moins de risques, une fois tous les trois ans, contre deux contrôles par an dans les établissements de la catégorie 4.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ces contrôles sont-ils inopinés ?

M. Stéphane Touzet . - Cela dépend du préfet, du contexte local ainsi que de la possibilité d'opérer les contrôles documentaire et physique lors de la même visite. Nos collègues ont parfois instruction de ne pas se rendre dans certains établissements sans avoir pris rendez-vous alors que nous pouvons aller où nous voulons quand nous le voulons. Les plannings sont toujours très tendus : en cas de maladie d'un collègue, les autres ne peuvent reprendre tous ses contrôles.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans la mesure où vous contrôlez chaque carcasse, vous avez toujours quelqu'un dans les abattoirs ?

M. Patrick Foubert . - Tout à fait.

M. Stéphane Touzet . - Avant la dérogation accordée en 2006, il aurait même fallu que nous soyons présents en permanence dans les ateliers de découpe. Nous n'y allons qu'une fois par an ou tous les 3 ans, avec les conséquences sur l'efficacité de notre travail que vous imaginez.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie de ces informations.

Audition de M. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir le Conseil national de l'ordre des vétérinaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il nous paraît très important d'avoir l'avis de scientifiques. Pourriez-vous d'abord nous décrire les missions et le rôle de votre organisme au sein de la filière viande, notamment en ce qui concerne les contrôles sanitaires, le bien-être animal, et l'abattage.

M. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires - Notre organisation rassemble les 17 000 vétérinaires qui exercent en tant que libéraux du secteur privé. Elle ne comprend donc pas les 2 000 vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui sont des fonctionnaires. Les 17 000 vétérinaires inscrits au tableau de l'ordre sont régis par un code de déontologie. 15 000 d'entre eux sont des médecins et chirurgiens des animaux, mais on trouve aussi des vétérinaires salariés dans les industries pharmaceutique et agroalimentaire, ainsi que dans la grande distribution, à titre de qualiticiens.

L'ordre des vétérinaires est l'un des 16 ordres professionnels français. Il bénéficie de prérogatives de puissance publique, son accès est réglementé et son code de déontologie a fait l'objet un décret en Conseil d'État. Les 20 conseils régionaux de l'ordre ont des liens étroits tant avec le préfet qu'avec le procureur de la République. Ils sont élus par les vétérinaires de la région, et comptent 6 à 14 membres eux-mêmes vétérinaires. Au niveau national se réunit un conseil national de l'ordre. Cette organisation, fixée par les lois du 23 août 1947 puis du 22 juin 1989 a vieilli mais la prochaine loi d'avenir de l'agriculture devrait intégrer des dispositions visant à la moderniser.

L'ordre a un rôle administratif, avec notamment l'établissement des tableaux de l'ordre. Il est systématiquement consulté par le Gouvernement pour l'élaboration de certains textes réglementaires, en particulier ceux qui ont trait à la santé animale. L'ordre a aussi un rôle disciplinaire puisqu'il est le garant de la bonne application du code de déontologie par les vétérinaires. Il agit sur plainte et peut être saisi par tout intéressé, même s'il l'est généralement par le ministre chargé de l'agriculture ou par les préfets. Dès 1947, ce sont des magistrats professionnels de l'ordre judiciaire qui ont dirigé ses chambres de discipline régionales et nationale. Dès 1989, ce n'est qu'après une large consultation des usagers - syndicats agricoles, associations de protection animale - de la profession que le code de déontologie a été adopté. Il a un rôle social qui prend davantage d'importance aujourd'hui avec la crise économique, car des drames, notamment des suicides, se produisent, avec une augmentation du nombre de liquidations judiciaires de cabinets vétérinaires. C'est pourquoi nous cherchons à mettre en place des systèmes de détection des vétérinaires en difficulté. Il a enfin un rôle de représentation.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous parler du dispositif de sécurité sanitaire ?

M. Michel Baussier . - En ce qui concerne la sécurité sanitaire de la viande, l'inspection dans les abattoirs est effectuée par les vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui sont des fonctionnaires et non par les vétérinaires que l'ordre a pour mission de représenter. Ce sont ces vétérinaires-inspecteurs de santé publique qui élaborent la réglementation sanitaires et la font appliquer aux niveaux départemental et régional. Depuis l'été dernier, les vétérinaires libéraux peuvent se voir confier des missions par l'État qui leur attribue une habilitation sanitaire ou mandat sanitaire. Ils accomplissent alors des missions de service public dans les exploitations agricoles, par exemples lors de campagnes de vaccination. Ils peuvent suivant les cas être rémunérés à l'acte par les éleveurs ou par l'État lui-même. Les vétérinaires sont donc de plus en plus conduits à intervenir en relation très étroite avec l'État.

Les vétérinaires interviennent aussi dans la sécurité sanitaire de la viande dans le cadre de leur activité libérale. Car bien avant l'inspection sanitaire des carcasses, les vétérinaires libéraux veillent au quotidien sur la santé des animaux, chez les éleveurs, à travers toutes les missions traditionnelles qui sont les leurs : diagnostic des maladies, prescription et administration des médicaments, en prenant garde à ce que la dose ne soit jamais excessive pour éviter les résidus médicamenteux. Ils entretiennent des liens très étroits avec les éleveurs dont ils assurent la formation et l'information. On trouve aussi des vétérinaires salariés dans des grosses coopératives de production. Les bonnes pratiques des vétérinaires ont un rôle déterminant mais méconnu dans la sécurité sanitaires des aliments et dans la santé publique. Ils interviennent par contre très peu sur les ovins puisque les éleveurs de cette filière font très peu appel à eux : il peut en résulter des risques pour la santé animale. Ils interviennent aussi assez peu dans les élevages porcins mais la sécurité sanitaire y est bien assurée grâce à des techniciens bien formés.

Je crois qu'aujourd'hui le vétérinaire se préoccupe encore plus de la santé humaine que de la santé animale. Lorsque le métier de vétérinaire est apparu sous le règne de Louis XV avec la création de l'école vétérinaire de Lyon, l'objectif de cette nouvelle profession était de lutter contre les maladies dont souffraient les animaux d'élevage, afin d'éviter les famines. A la fin du XIXème siècle, les vétérinaires ont pris conscience qu'il ne serait possible de garantir la qualité et l'innocuité de la viande que par une connaissance approfondie de l'animal et de ses maladies. C'est aussi à cette période que l'évolution des sensibilités conduit le Parlement à voter pour la première fois une loi de protection animale - la loi de Grammont - interdisant de leur administrer publiquement de mauvais traitements. Les deux objectifs de protection de la santé animale et de protection de la santé humaine ont donc toujours été indissolublement liés et sont au coeur des missions de notre profession.

Le bien-être animal est pour nous une problématique essentielle. Les animaux doivent être bien nourris, bien logés et bien soignés. Dans cette optique, il est capital pour les éleveurs de prendre le temps de choyer leurs animaux, ce qui était sans doute plus aisé par le passé, avant que le mouvement de concentration des élevages ne fasse sentir ses effets. Le problème du bien-être des animaux à l'abattoir n'est pas du ressort des vétérinaires libéraux, ce sont les vétérinaires inspecteurs de santé publique qui contrôlent dans les abattoirs la qualité du traitement des animaux et qui peuvent alerter les pouvoirs publics sur d'éventuels mauvais traitements.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous un droit d'alerte si vous constatez de mauvaises pratiques dans un élevage ?

M. Michel Baussier . - Les vétérinaires libéraux veillent bien sûr à la bonne qualité des soins reçus par les animaux dans les élevages, en faisant oeuvre de pédagogie vis-à-vis des éleveurs qui maltraiteraient leurs animaux, puis en alertant la direction départementales des services vétérinaires, devenue partie intégrante des Directions départementales de la protection des populations, en cas de persistance de ces mauvais traitements.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous parler du problème de la surconsommation d'antibiotiques par les animaux, qui peut donner lieu à la présence de résidus médicamenteux dans la viande ?

M. Michel Baussier . - Des problèmes de résidus peuvent se poser, mais ils sont lié avant tout à des fraudes, comme dans le cas de cette viande de cheval anglaise qui contenait de la phénylbuthazone.

En ce qui concerne la délivrance excessive d'antibiotiques aux animaux et le problème des résidus médicamenteux, je crois que les éleveurs et les vétérinaires constituent aujourd'hui des tandems efficaces, qui travaillent bien. Ils respectent les délais d'attentes pour ne pas administrer un médicament à un animal peu de temps avant son abattage, avec le risque de trouver des traces de ce médicament dans la viande. Ce type de difficulté se produit de moins en moins en France, de gros progrès ayant été accomplis depuis 30 ans.

L'enjeu crucial est de convaincre les pays les moins vertueux en matière d'utilisation excessive d'antibiotiques. Plus de la moitié des antibiotiques utilisés dans le monde le sont sans visée thérapeutique, tant pour les végétaux que pour les animaux, et ont une fonction d'accélérateur de croissance. Cela pose une vraie difficulté dans la mesure où les animaux sont ensuite plus résistants au traitement par antibiotique. Depuis 2006, l'utilisation des antibiotiques comme facteur de croissance est de ce fait interdite dans l'Union Européenne. Nous réclamons en outre leur retrait immédiat des programmes sanitaires d'élevage. Leur usage doit être réduit et exclusivement prophylactique ou curatif.

En France, les vétérinaires utilisent encore un peu trop les antibiotiques mais nous avons accompli d'importants progrès puisque nous utilisons 30 % d'antibiotiques en moins depuis le début des années 1990. Ces progrès ce sont accélérés récemment avec une baisse de 10 % en 2011 selon un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Notre objectif est de parvenir à une réduction de 25 % sur 5 ans. Les médecins et les vétérinaires ont longtemps trop utilisé les antibiotiques mais une vraie prise de conscience s'est opérée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelles sont les différences entre l'abattage avec étourdissement et l'abattage rituel ?

M. Michel Baussier . - Il existe deux grands modes d'abattage, avec et sans étourdissement. Dans les années 1960, un premier décret a imposé l'étourdissement et n'a accepté l'abattage sans étourdissement que comme une exception à titre rituel. Cette tolérance ne me paraît plus acceptable dans la France et l'Union Européenne de 2013. Il est possible aujourd'hui de respecter les rites tout en étourdissant les animaux. D'ailleurs, les populations musulmanes sont elles aussi hostiles à la souffrance animale et de nombreux pays musulmans pratiquent l'étourdissement.

L'abattage sans étourdissement existe depuis longtemps et il ne semble pas qu'il ait provoqué des désordres sanitaires. Toutefois, il est vrai que la souillure à l'encolure provoquée par le jus de rumen en cas d'égorgement peut présenter des risques. Cette tolérance pour des méthodes peu satisfaisantes m'apparaît comme une anomalie au regard des exigences présentes en matière d'hygiène à toutes les autres étapes de la production de viande. Il est en outre irréfutable que les animaux souffrent lors de ces mises à mort : des études de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sont venues le montrer, mais la simple observation des animaux est déjà éloquente.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Un directeur d'abattoir m'a dit qu'il avait vu des animaux égorgés sans étourdissement dans des conditions particulièrement pénibles. Qu'en est-il ?

M. Michel Baussier. - Ce type de scènes se produisent d'autant plus régulièrement qu'une dérive existe conduisant à abattre rituellement les animaux même lorsque la viande est ensuite consommée dans les circuits de commercialisation non rituels : les trois quarts des ovins sont aujourd'hui abattus rituellement. L'abattage rituel entraîne un nombre réduit de manipulations et permet une accélération des cadences. Cela peut donner lieu à des scènes insoutenables avec par exemple des animaux dépecés alors qu'ils sont encore vivants. Ce système tend hélas à se généraliser parce qu'il permet de produire plus vite, et par conséquent de faire plus de profits.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Ces situations entraînent un grand stress chez les animaux. Cette souffrance a-t-elle une incidence sur la qualité de la viande, risque-t-elle de contenir des toxines ?

M. Michel Baussier . - Tout surmenage de l'animal entraîne une dégradation de la qualité de la viande. C'est pourquoi les bons éleveurs s'attachent à ce que leurs animaux arrivent jusqu'à l'abattage sans stress. Il faut convaincre les populations concernées de France d'accepter les méthodes d'abattage qui se pratiquent partout ailleurs. De plus, les consommateurs veulent connaître les conditions de l'abattage des animaux et bénéficier d'un étiquetage complet. Au minimum, l'étiquetage doit permettre d'identifier le système d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela est vrai de tous les consommateurs, car nombre de consommateurs musulmans se plaignent aujourd'hui de ne pas avoir l'assurance que la viande qu'ils consomment est bien halal. Il faut restaurer la confiance de tous les consommateurs.

Audition de M. Jacques Roux, président, Mmes Carole Galissand, présidente de la commission nutrition, Sarah Etcheverry, membre de la commission de la sécurité alimentaire et M. Dominique Bénézet, délégué général du syndicat national de la restauration collective (SNRC) (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le Syndicat national de la restauration collective (SRNC) représente une activité qui fournit un débouché majeur à la production de viande. Nous sommes impatients de connaître leurs positions.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - La restauration collective fournit des repas dans les écoles, dans les hôpitaux et cliniques, dans les prisons, dans les entreprises. Combien de repas servez-vous au total chaque jour ? Quelle proportion de produits carnés les repas servis contiennent-ils ? Quelles garanties assurent-ils au consommateur, notamment s'agissant de la traçabilité des produits utilisés ?

M. Jacques Roux, président du SNRC . - Permettez-moi tout d'abord de vous présenter l'organisation du SNRC. Celui-ci est composé d'un président, d'un délégué général et de cinq collaborateurs. Ces collaborateurs sont placés à la tête de cinq commissions techniques (ressources humaines, formation, aspects juridiques et techniques, sûreté alimentaire, nutrition) et ont une expertise particulière dans chacun de ces domaines au sein de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. C'est au sein de ces commissions techniques que sont assurées l'instruction et la préparation des préconisations que nous formulons.

Le SNRC représente l'ensemble de la profession de la restauration collective, soit environ 90 000 salariés qui travaillent dans les hôpitaux et cliniques, les écoles, les prisons, les entreprises. La restauration collective présente quelques spécificités par rapport à la restauration commerciale : elle accorde une attention particulière à l'équilibre nutritionnel des repas qu'elle sert. Le prix de ces repas présente un caractère social. Sa restauration collective est soumise à un régime fiscal particulier. Elle doit aussi obéir à des obligations très strictes en matière de sécurité alimentaire. Il s'agit par ailleurs d'une restauration par délégation : nous travaillons en fonction d'un cahier des charges défini par nos clients.

Dans son ensemble, la restauration hors foyer (RHF) représente 7 milliards de repas par an pour un chiffre d'affaires de 67 milliards d'euros. La restauration commerciale et la restauration collective servent toutes deux 50 % de ces repas, pour un chiffre d'affaires respectif de 48 milliards et 19 milliards d'euros. Pour un nombre de repas servis équivalent à celui de la restauration commerciale, le chiffre d'affaires de la restauration collective est donc très inférieur, ce qui témoigne du caractère social de ses tarifs. Le coût moyen de revient hors taxes de nos repas s'établit à 4,70 euros, une partie de leur prix étant prise en charge par la collectivité ou par l'employeur pour lequel nous travaillons. 60 % du chiffre d'affaires de la restauration collective est réalisé en régie, tandis que les cuisines centrales n'en représentent que 10 %.

Mme Carole Galissand , présidente de la commission nutrition du SNRC . - Il est très difficile de vous donner un chiffre exact sur la proportion de produits carnés contenue dans nos repas, dans la mesure où nous ne disposons pas de chiffres compilés sur la RHF. Selon les estimations, la RHF ne représenterait au total que 25 % de la consommation de viande. La consommation de produits carnés en restauration collective représenterait quant à elle un quart de ces 25 %. La majorité de la consommation de viande passe par les achats des consommateurs en grandes et moyennes surfaces et en boucherie.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous avons reçu l'interprofession porcine Inaporc qui nous a indiqué que la restauration collective n'utiliserait plus de porc pour confectionner ses repas. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

Mme Carole Galissand . - Il est vrai que sur le terrain, il est parfois nécessaire de prévoir des régimes sans porc en raison des pratiques cultuelles, principalement en prison et en milieu scolaire. La problématique des produits halal constitue cependant une vraie nouveauté. Certains cahiers des charges demandent que la viande soit proposée à une fréquence moindre, ou même des menus sans viande. Dans les hôpitaux et cliniques ainsi que dans les entreprises, grâce à la variété des menus proposés, les demandes figurant sur ce point dans les cahiers des charges sont moins fortes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces pratiques ne favorisent pas la filière viande. Pourrait-on imaginer que l'on consomme davantage de viande en restauration collective si l'ensemble des produits utilisés étaient halal ?

Mme Carole Galissand . - Il faudrait pour cela que les collectivités acceptent de se confronter directement à la question religieuse. La prise en compte des pratiques cultuelles dans l'élaboration des menus est en réalité le plus souvent indirecte et n'est pas explicitement indiquée dans les cahiers des charges.

La baisse de la consommation de viande en restauration collective résulte également d'autres facteurs. Certains de nos clients qui se préoccupent du développement durable nous demandent ainsi des menus contenant moins de viande. Par ailleurs, en raison des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), la tendance est à la baisse des grammages de viande dans les repas. La consommation de viande hachée en particulier est en diminution car nous recevons davantage de demandes de viandes en morceaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La prise en compte des pratiques alimentaires cultuelles par les collectivités dépend de leur position ; certaines choisissent de privilégier la laïcité. Ce retour du religieux dans l'assiette est-il un phénomène récent ?

Mme Carole Galissand . - C'est un phénomène qui va en s'accentuant. Une modification de la consommation peut également concerner d'autres viandes pour des raisons différentes : suite au scandale de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), on nous a demandé des menus sans boeuf pendant des mois, parfois même pendant des années.

M. Jacques Roux. - La viande de porc représente tout de même un cas particulier. En restauration collective comme en restauration commerciale, nous avons toujours su que des réticences pouvaient s'exprimer sur cette viande particulière et qu'il fallait nous montrer prudent. Au-delà des raisons religieuses, ces réticences s'expliquent également par l'image négative du porc dans la population : on se le représente encore comme l'animal qui mange de tout.

Mme Carole Galissand . - Cette situation pose problème sur un plan nutritionnel. Certains enfants risquent de ne manger qu'une entrée et un fromage et d'aller en classe le ventre vide.

M. Jacques Roux . - Il faut souligner que nous avons une grande responsabilité en matière de nutrition : bien souvent, le repas pris en restauration collective est le seul repas équilibré de la journée. Devons-nous privilégier l'équilibre nutritionnel des enfants ou le principe de laïcité ? Voilà une question difficile à trancher.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Au cours d'une précédente audition, la Confédération française de la boucherie, charcuterie et traiteurs (CFBCT) nous a indiqué que les ventes de viande de cheval dans les boucheries étaient en hausse. Certains de vos clients vous demandent-ils de proposer de la viande de cheval dans vos menus ?

M. Jacques Roux . - En 45 ans de métier, je n'ai jamais reçu une telle demande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Vos clients vous demandent-ils de confectionner des menus bio ?

Mme Carole Galissand. - A l'heure actuelle, cette demande ne concerne que les fruits et les légumes, pour lesquels on a enregistré un très fort intérêt depuis le Grenelle de l'environnement. Cela s'explique sans doute par le fait que le caractère bio de ces produits peut-être constaté visuellement, alors que ce n'est pas le cas pour la viande. Cette demande émane davantage des collectivités que des entreprises, qui mènent plutôt des opérations ponctuelles de sensibilisation. Nous n'enregistrons en revanche aucune demande de ce type dans le milieu de la santé.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelles sont vos filières d'approvisionnement ?

Mme Sarah Etcheverry, membre de la commission de la sécurité alimentaire . - Les protéines animales que nous utilisons proviennent de France et de l'Union européenne (UE). Nos approvisionnements sont très majoritairement français pour le porc et la volaille lorsque le marché le permet. La viande de boeuf de nos repas est en revanche majoritairement d'origine européenne. La viande ovine est sans doute celle pour laquelle nous utilisons le plus de produits importés, principalement néo-zélandais. Nous définissons dans nos cahiers des charges les pays d'origine à privilégier pour des raisons de sécurité alimentaire.

M. Jacques Roux . - L'intoxication alimentaire est à éviter à tout prix pour une entreprise de restauration collective : un tel épisode peut en effet durablement ternir une réputation. C'est pourquoi nous sommes particulièrement vigilants dans le choix de nos fournisseurs. C'est la sécurité alimentaire davantage que la qualité des produits qui fonde nos choix.

Mme Sarah Etcheverry . - Dans ma société, nous utilisons deux circuits d'approvisionnement. Si nous avons une demande spécifique sur des produits régionaux, nous avons recours à des sociétés d'abattage et de découpe qui livrent directement nos restaurants. Nous disposons pour tous les autres produits d'une plateforme centrale par laquelle nos fournitures transitent et qui livre l'ensemble de nos restaurants.

M. Jacques Roux . - L'organisation logistique de la restauration collective est particulièrement délicate. Nous devons faire livrer chacun de nos restaurants en petites quantités dans la mesure où nos menus changent tous les jours. Le recyclage des produits est en outre impossible puisque la très grande majorité de nos restaurants ne fonctionnent que pour le repas de midi. De ce fait, nos livraisons sont très fréquentes : certains restaurants sont livrés tous les jours.

Pour autant, sur l'ensemble de leurs restaurants, les entreprises de restauration collective commandent des volumes importants d'un même produit, qu'il nous est parfois difficile de trouver à proximité. C'est pourquoi il nous faut parfois recourir à l'importation.

Mme Carole Galissand . - Ces difficultés d'approvisionnement concernent surtout les produits bio, bien que les filières s'améliorent.

M. Dominique Bénézet, délégué général du SNRC . - En outre, lorsqu'un producteur nous fournit certains morceaux de viande particuliers en quantité importante, il doit pouvoir écouler le reste de ses carcasses dans le même temps, ce qui n'est pas toujours facile.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vos approvisionnements passent-ils par des circuits courts ?

Mme Carole Galissand . - L'approvisionnement de nos restaurants par circuits courts est possible, mais souvent complexe. Il nécessite l'instauration de partenariats avec les éleveurs.

Mme Sarah Etcheverry . - Cette complexité résulte notamment du fait que les bassins de production ne sont pas les mêmes pour l'ensemble des restaurants.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelles tendances observez-vous en matière de consommation de viande, en quantité comme en qualité ? Estimez-vous que le poste viande est le premier pénalisé dans la confection de vos menus ?

Mme Carole Galissand . - Nous établissons nos menus en observant le cahier des charges défini par nos clients. Les grammages utilisés en pratique tendent à se réduire pour se rapprocher de plus en plus des standards préconisés par le groupement d'étude des marchés en restauration collective et nutrition (GEM-RCN), qui s'élèvent à 50 g pour un enfant de maternelle, 70 g pour un enfant à partir de l'école primaire et 100 g pour un adulte. Depuis les années 2000, le PNNS est utilisé comme référence par les collectivités.

Ces grammages ne correspondent pas aux attentes de nos clients, qui consomment des portions plus importantes dans le cadre de la restauration à domicile. Ils ne correspondent pas toujours non plus à la présentation des produits français ; c'est pourquoi nous sommes parfois contraints d'importer des produits.

Dans les entreprises, le plat garni reste un incontournable. Les évolutions concernent davantage la consommation des plats périphériques (entrée, fromage, dessert).

Au total, on peut considérer que l'utilisation de viande devrait rester importante en restauration collective dans la mesure où le point fort de celle-ci est de proposer le seul repas équilibré de la journée pour la plupart de ses clients.

S'agissant de la qualité des produits que nous utilisons, nous avons noté une évolution de la demande émanant de certaines communes depuis le scandale de l'ESB. Certaines réclament ainsi des races particulières pour la viande bovine (charolaise par exemple), ou des labels de qualité comme le label rouge pour la volaille.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelle est votre position en matière d'étiquetage des produits carnés ?

M. Jacques Roux . - Le terme d'étiquetage est impropre dans le cadre de la restauration collective. L'information du consommateur passe en effet par d'autres supports. Nous informons bien évidemment nos clients de l'origine des produits bruts que nous utilisons. Si cela nous était techniquement possible, nous ne serions pas opposés à indiquer également l'origine de nos ingrédients transformés - auxquels nous avons cependant peu recours - afin de rassurer nos consommateurs. Nous constatons cependant que nos clients ne lisent pas toujours les informations que nous affichons ...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'important est que cette information existe et qu'on puisse la trouver si on le désire.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons en effet l'impression qu'il existe un réel désir de transparence sur l'origine des produits transformés. Utilisez-vous du minerai de viande ?

M. Jacques Roux . - Nous n'achetons pas de minerai de viande pour l'utiliser directement dans nos cuisines : la viande que nous servons est achetée à la découpe. Certains des produits transformés que nous servons sont confectionnés à partir de minerai de viande, comme par exemple les raviolis de boeuf ou les nuggets de poulet. Nous commençons cependant à nous organiser pour ne plus être confrontés au problème de traçabilité de ces produits.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous décrire les contrôles effectués en restauration collective ? Comment contrôlez-vous vos fournisseurs ? Vos restaurants réalisent-ils des autocontrôles ? Quelle est la place des contrôles effectués par les administrations ?

Mme Sarah Etcheverry . - Nous avons un processus très rigoureux de sélection de nos fournisseurs qui inclut notamment des audits préalables sur place. Nous assurons ensuite un suivi tout au long de notre relation commerciale en effectuant des contrôles réguliers. Nous demandons en outre à nos fournisseurs de réaliser des autocontrôles régulièrement.

M. Jacques Roux . - Une société de restauration collective effectue environ 80 000 à 100 000 contrôles par an. 15 000 audits de fournisseurs sont également réalisés annuellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il est normal que la fréquence de vos contrôles soit aussi importante, puisque vous êtes le lien direct entre les filières de production et les consommateurs. En cas de problème, vous êtes placés en première ligne.

M. Jacques Roux . - Une partie de ces contrôles est prévue dans nos cahiers des charges. Les contrôles administratifs sont beaucoup moins nombreux. La France compte 70 000 entreprises de restauration collective, que les services administratifs n'ont bien entendu pas les moyens de contrôler régulièrement. De ce fait, une entreprise est contrôlée une fois tous les deux ans en moyenne.

Mme Carole Galissand . - Les contrôles administratifs peuvent être plus fréquents lorsqu'ils sont ciblés, par exemple sur les entreprises qui servent un nombre de couverts particulièrement important.

M. Jacques Roux . - J'aimerais aborder en dernier lieu la question des cuisines centrales. L'utilisation d'une cuisine centrale revient simplement à décaler géographiquement le lieu où l'on cuisine par rapport au lieu où les repas sont servis, le plus souvent en raison d'un manque de place. Il ne faut pas confondre le fonctionnement d'un restaurant en cuisine centrale et l'utilisation de plats cuisinés et surgelés : les plats livrés par ces cuisines sont confectionnés avec les mêmes ingrédients que dans une cuisine intégrée au restaurant et consommés le jour même où ils sont cuisinés.

Mme Bernadette Bourzai ., présidente . - Nous vous remercions pour ces précieuses informations et pour votre enthousiasme.

Audition de MM. Dominique Davy, président, Albert Merlet, vice-président, Pierre-Louis Gastinel, secrétaire général, Jean-Paul Guibert, administrateur de France Génétique Élevage (FGE) et Bernard Roux, vice-président de Races de France (jeudi 18 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre objectif est de faire la transparence sur la filière viande en raison du scandale récent résultant de la substitution entre les viandes de cheval et de boeuf. Il s'agit également, pour nous, de rechercher des pistes d'amélioration de la situation des éleveurs aujourd'hui en grande difficulté.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Comment se situe la France par rapport aux autres pays en matière de génétique animale ?

M. Dominique Davy, Président de France Génétique Élevage . - France Génétique Élevage (FGE) associe l'ensemble des acteurs du monde de l'élevage. Nous poursuivons six axes prioritaires : le traitement des données et les systèmes d'information sur les animaux, le soutien à la recherche et à l'innovation qui conditionnent la compétitivité de notre élevage, la communication et la reconnaissance de la génétique qui contribuent à répondre aux grandes questions posées à l'élevage par la société, la place de la génétique française à l'international et dans les partenariats européens, la défense des ressources nécessaires au fonctionnement de la mutualisation des données, pour garantir le caractère collectif de notre dispositif et enfin l'amélioration du fonctionnement interne de notre organisation interprofessionnelle.

M. Pierre-Louis Gastinel, secrétaire général de France génétique élevage. - Il est important de préciser que les utilisateurs de la génétique, c'est-à-dire les éleveurs, sont représentés FGE afin de prévenir toute déconnexion avec la réalité de terrain.

M. Dominique Davy. - Le fonds national de l'élevage, géré dans le cadre de la Confédération Nationale de l'Élevage (CNE), représente 70 à 80 % de nos sources de financement.

M. Pierre-Louis-Gastinel . - En 2006, l'évolution de nos statuts et de notre organisation s'est accompagnée d'une nouvelle répartition des charges financières. La ressource que constitue le prélèvement au moment de l'abattage a été augmentée, si bien qu'aujourd'hui un peu moins de 4 millions d'euros financent la gestion des outils communs de contrôle des performances et d'enregistrement des parentés : leur objectif consiste à homogénéiser ces actions sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Paul Guibert, administrateur de France génétique élevage . - Des générations d'éleveurs ont travaillé durement pour la conservation des races françaises d'animaux à travers nos territoires. Cette diversité est la richesse de l'élevage français. Un certain nombre de jeunes seraient aujourd'hui prêts à prendre la relève, mais la baisse des revenus et les conditions de travail des éleveurs sont dissuasives, à quoi s'ajoutent les incertitudes sur les soutiens de la PAC.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous soutenons l'élevage, comme en témoigne la proposition de résolution que nous avons déposée sur la réforme de la PAC. Je précise la question qui vous a été posée : la France conserve-t-elle des chances raisonnables de rester un réservoir mondial de races à viandes ?

M. Bernard Roux, vice-président de Races de France. - La race bovine Angus est notre principal concurrent sur les marchés étrangers qui s'ouvrent notamment en Europe de l'Est. Les opérateurs américains et canadiens y sont plus présents que les nôtres et interviennent avec des moyens importants en animaux et en personnels qualifiés pour accompagner les éleveurs locaux. Leur stratégie est particulièrement efficace, compte tenu du déficit de savoir-faire que connaissent ces marchés étrangers. Nous faisons également prendre conscience à nos clients de la nécessité de faire appel à un encadrement technique qualifié : certains acceptent mais d'autres refusent, comme parfois en Russie, parce qu'ils pensent détenir des connaissances suffisantes en matière d'élevage. Cela peut conduire à des échecs, avec des animaux placés en quarantaine, comme c'est arrivé récemment en Russie.

Je rappelle que la France est un des seuls pays ayant conservé des races pures et nos filières ont transformé ce réservoir génétique en atout. En revanche, les autres pays ont effectué des croisements et reviennent vers nous pour quand ils souhaitent réintroduire des animaux de race pure. Nous ne souhaitons pas, cependant, qu'on réduise notre rôle, dans ce domaine, à celui d'un « conservateur de musée ».

M. Pierre-Louis Gastinel . - L'Italie a également une grande diversité de race mais son organisation est moins perfectionnée que celle de la France. Nos pratiques collectives démontrent leur efficacité.

M. Jean-Claude Lenoir . - Le cheval n'est pas inclus dans votre champ d'activité ?

M. Bernard Roux . - Nous ne traitons que les ruminants.

M. Albert Merlet, vice-président de France génétique élevage . -  Pour ma part, je milite pour l'extension des soutiens européens à la jument allaitante. Ces aides représentent une proportion infime du budget européen et il est essentiel de les maintenir pour préserver la biodiversité.

M. Jean-Claude Lenoir . - Je défends également ce combat. Par ailleurs, vous entretenez un troupeau de qualité mais je constate qu'on mange moins de viande rouge aujourd'hui qu'hier en France : que faire, alors même que la France importe de la viande ? Enfin, êtes-vous impliqués dans la filière d'insémination ?

M. Pierre-Louis Gastinel . - Nos exportations, dans le secteur que vous évoquez, concerne 70 000 producteurs et sept millions de doses d'insémination. En France, nous utilisons vingt millions de ces dernières et sept millions sont exportées.

Mme Bernadette Bourzai . - En dépit d'un déficit global de notre commerce de viande, les exportations restent excédentaires en vif.

M. Pierre-Louis Gastinel . - Je fais observer qu'en réduisant la mortalité des veaux de 2 % on pourrait résorber le déficit que vous mentionnez. Il nous faut donc investir dans la recherche sur les causes génétiques de mortalité pour améliorer l'efficience économique de notre cheptel

M. Dominique Davy . - On a évoqué la difficulté du métier d'éleveur. Des écarts très importants subsistent néanmoins selon les exploitations en fonction de leur recours à la génétique et de la gestion du troupeau : dans certaines zones agricoles l'âge moyen au premier vêlage est de 36 mois alors qu'on peut descendre à 30 voire 24 mois. Des gains sont donc possibles en termes d'efficacité. Certains éleveurs ont pris conscience de la nécessité de prendre en compte le facteur génétique, tandis que d'autres sont restés en retrait.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Votre dernière remarque témoigne du fait que la relève des générations d'éleveurs est une de nos principales difficultés. Nous n'avons pas su motiver suffisamment les jeunes pour ce difficile métier et ceux qui prennent la suite, à la tète des exploitations, s'engagent aujourd'hui dans une sorte de sacerdoce.

Mme Bernadette Bourzai . - Pourtant, les jeunes s'intéressent vivement à l'agriculture.

M. Bernard Roux . - C'est un problème de revenus, mais aussi de moyens. Il est très difficile de trouver des sources de financement pour permettre à ceux qui ne viennent pas d'un milieu agricole de se lancer dans cette activité, d'autant que la taille des exploitations rentables a tendance à s'accroitre.

M. Dominique Davy . - Personnellement, je ne viens pas d'un milieu agricole et j'ai pourtant accédé à cette profession. Il y a donc des contre-exemples, mais je signale cependant que l'acceptabilité du métier d'éleveur me parait en déclin : dans les classes des lycées, certains jeunes n'osent pas mentionner l'activité agricole de leur parents.

M. Jean-Claude Lenoir . - J'observe sur le terrain que la situation est extrêmement contrastée. On constate, surtout dans l'Ouest, que le découragement frappe particulièrement les éleveurs laitiers.

M. Albert Merlet . - Il y a une dimension patrimoniale et passionnelle dans l'élevage de bovins-viande. Cette dimension est moins présente en élevage laitier. C'est ce qui permet aux éleveurs de bovins allaitants de tenir.

M. Dominique Davy . - Concernant les stratégies génétiques, certains comme l'Irlande, qui ont fait le choix des croisements reviennent vers nous pour acquérir des races pures. Cependant, pour pouvoir maintenir l'esprit collectif qui nous anime, nous avons besoin de soutiens.

M. Jean-Claude Lenoir . - Le risque de substitution entre des catégories de viande est-il envisageable dans votre filière ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La question mérite d'être posée parce que les représentants des circuits de commercialisation témoignent de la contraction de leurs approvisionnements en viande.

M. Bernard Roux . - Je rappelle que la boucherie traditionnelle ne permet pas de distribuer l'ensemble de la production. Toutefois, les grandes surfaces savent parfaitement différencier les produits de qualité, même s'ils ne valorisent pas suffisamment ces derniers en termes de prix.

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Le consommateur trouve toujours la viande trop chère, mais je souhaiterais que les producteurs qui font de la qualité puissent mieux vivre de leur profession. Nous voulons faire des propositions dans ce sens.

M. Bernard Roux . - La difficulté est que, dans une carcasse, certains morceaux se vendent à des prix élevés alors que d'autres parties, qui en représentent la moitié, ont du mal à trouver preneur.

Je souligne une particularité de notre pays. En France, c'est la viande de vache qui est la plus prisée alors que chez la plupart de nos voisins, la préférence va aux jeunes bovins. C'est une différence fondamentale qui explique, par exemple, que nous importions des vaches laitières en provenance d'Italie.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On nous a affirmé à plusieurs reprises que « les entrecôtes ne rentrent plus dans la barquette » : quelle est votre position à ce sujet ?

M. Bernard Roux . - Je rappelle que la génétique sert avant tout à mettre en adéquation les animaux avec les souhaits des éleveurs. Or les acheteurs sont prêts à payer plus cher les animaux les plus gros. Il ne faut donc pas s'étonner que les éleveurs en tirent les conséquences. Aujourd'hui, les petites carcasses sont, en règle générale, moins rémunératrice que les grandes.

S'agissant de votre question précise, il suffirait de proposer des barquettes un peu plus grandes pour y loger des morceaux de viande destinés à deux personnes, et cela permettrait d'améliorer la saveur du produit.

Je remarque, plus généralement, que les éleveurs reçoivent des indications contradictoires à la fois sur la taille des animaux et aussi sur l'opportunité ou non de croiser les races.

M. Albert Merlet . - Il nous semble, en tous cas, souhaitable de stopper la croissance vertigineuse de la taille des carcasses. Si la proportion actuelle de carcasses lourdes venait à s'accroitre, il deviendrait difficile de valoriser la filière.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On évoque la décapitalisation des troupeaux : quel est votre point de vue à ce sujet ?

M. Jean-Paul Guibert. - La profession d'éleveur est une des seules dans lesquelles le capital produit un chiffre d'affaires aussi modeste : le rapport est de un à deux (100 000 de capital pour 200 000 euros de chiffre d'affaires) par exemple, pour mon exploitation.

M. Pierre-Louis Gastinel. - La principale menace est la concurrence de la production de céréales.

M. Bernard Roux . - La décapitalisation est une des conséquences de la diminution du nombre d'éleveurs. Lorsque ces derniers agrandissent leur exploitation, en rachetant, par exemple, celle de leur voisin, ils ont tendance à privilégier la culture de céréales car l'autosuffisance est la clef de la rentabilité, beaucoup plus encore que les circuits courts.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les systèmes doivent cependant coexister et les circuits courts, s'ils ne sont pas une panacée absolue, doivent garder une possibilité de se développer. J'ai une dernière question : quelles difficultés de nature réglementaire ou sanitaire rencontrez-vous à l'exportation ? On a notamment évoqué des difficultés avec le Kazakhstan.

M. Bernard Roux . - Le Kazakhstan n'est toujours pas ouvert aux importations.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces précisions.

Audition de MM. Frédéric Gueudar Delahaye, directeur général par intérim, Michel Meunier, délégué filière viande, Yves Trégaro, chef de l'unité produits animaux et viande, et Mme Claire Legrain, chef du service entreprises et marché de FranceAgrimer (mercredi 24 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre mission d'information, constituée à la suite du scandale relatif à la viande de cheval.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - FranceAgrimer a notamment pour mission d'éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur la formation des prix et des marges au sein de la chaîne de commercialisation des produits issus de l'agriculture. La direction marché, études et prospective de FranceAgrimer produit régulièrement des données chiffrées pour l'ensemble des filières. Après nous avoir présenté vos activités et vos services, peut-être pourriez-vous évoquer la question des marges dans les filières viande en France ?

A ma connaissance, il n'existe pas en Allemagne de salaire minimum dans la filière agroalimentaire, ce qui peut expliquer la distorsion de concurrence qui existe entre nos deux pays. Avez-vous identifié d'autres sources de cette distorsion de concurrence ? Enfin, avez-vous des données comparatives sur la situation des filières viandes dans les différents pays de l'Union européenne ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye, directeur général par intérim de FranceAgrimer . - FranceAgrimer est un établissement public à triple vocation : d'abord, il doit fournir des éléments de connaissance et d'analyse sur l'économie des filières. Sa deuxième mission est d'animer la concertation avec les professionnels des différentes filières et élaborer des stratégies de filières. C'est le rôle de la direction filières et international. Enfin, FranceAgrimer met en oeuvre les actions qui résultent des stratégies de filière. Cette fonction est partagée par diverses directions.

FranceAgrimer assure aussi le secrétariat de l'Observatoire de la formation des prix et des marges, présidé par M. Philippe Chalmin , que vous recevrez prochainement. Je vous propose donc de lui adresser directement les questions qui s'y rapporteraient.

Les revenus de la filière viande rouge, ovine et bovine, sont notablement inférieurs à la moyenne de l'ensemble des exploitations françaises. Pourtant, le niveau des prix est relativement élevé. Si les marges sont faibles, cela s'explique par le coût des matières premières. Autre élément marquant : le cheptel se réduit rapidement, et de manière continue dans la filière laitière, du fait de l'augmentation de sa productivité, à production globale stable. Le cheptel allaitant, lui, se stabilise, mais sans compenser la diminution du cheptel laitier.

La production de viande blanche diminue. Le nombre de truies baisse et l'augmentation du coût des matières premières pèse fortement sur les revenus de la filière porcine. Dans la volaille, la baisse de production est sensible depuis une dizaine d'années, quoiqu'elle se soit stabilisée depuis 2006. Surtout, la concurrence s'est accrue sur le marché intérieur, fragilisant financièrement les entreprises.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et en matière d'ovins ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - La baisse est historique. Le cheptel ovin destiné à la production de lait est toutefois stable. La production française de viande ovine décroît régulièrement, mais nous importons également de moins en moins, ce qui, en définitive, améliore notre solde extérieur.

D'une manière générale, en viande, notre auto-approvisionnement se dégrade. Le solde de notre commerce extérieur s'est affaibli ces dernières années, surtout pour les viandes blanches, ce qui n'empêche pas notre balance de rester excédentaire sur ce segment. Sur les viandes rouges en revanche, nous sommes déficitaires. Les barrières non tarifaires, notamment sanitaires, sont pour nous un vrai sujet. La contrainte est bien plus lourde pour la viande que pour les produits végétaux. Certains marchés restent fermés depuis le scandale de la vache folle, et les démarches pour les faire rouvrir sont longues. FranceAgrimer travaille beaucoup sur ces questions, pour faire valoir la qualité des contrôles sanitaires et des procédures d'agrément français auprès de nos partenaires, accompagner les délégations, favoriser les discussions sanitaires.

Notons enfin que, sur le marché intérieur, la consommation globale de viande diminue, surtout celle de viande rouge.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelle est votre analyse de cette diminution ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - En matière de quantités, de tendances ?

M. Yves Trégaro, chef de l'unité produits animaux et viande de FranceAgrimer . - D'abord, les habitudes de consommation des Français ont changé : ils consomment globalement moins de viande. Ensuite, les produits sont élaborés différemment : les plats cuisinés, pizzas ou lasagnes, incorporent moins de viande. Enfin, la structure de consommation des ménages s'est modifiée : la part des loisirs et de la téléphonie a progressé au détriment du poste alimentation.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous chiffrer ces tendances, depuis dix ans par exemple ?

M. Yves Trégaro . - FranceAgrimer a produit de nombreuses statistiques sur ce sujet. Les filières bovine et ovine accusent une forte baisse. La consommation de volaille a progressé. Le porc s'est maintenu.

Les importations, enfin, ont augmenté. Celles de porc et de viande bovine portent sur des produits bruts ou transformés, essentiellement en provenance d'Espagne, des Pays-Bas ou d'Allemagne. Les importations de volailles concernent surtout les viandes fraîches, des Pays-Bas, d'Allemagne ou de Belgique, mais aussi les viandes crues du Brésil, et les viandes cuites en provenance de Thaïlande, utilisées comme minerai pour l'industrie de deuxième transformation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La viande fraîche est-elle aussi importée sous forme de minerai ?

M. Yves Trégaro. - Oui, ou sous forme de poulet entier, que vous trouverez en premier prix dans les grandes et moyennes surfaces.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - La consommation de porc décline alors que c'est une viande peu onéreuse. Comment l'expliquez-vous ?

M. Michel Meunier, délégué filière viande de FranceAgrimer . - C'est une tendance récente, due à la crise davantage qu'aux modes de consommation.

M. André Dulait . - Vous n'avez pas évoqué la filière équine.

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - La viande de cheval est extrêmement marginale dans la consommation des Français. Elle diminue en outre de manière constante depuis trente ans.

M. Yves Trégaro . - 300 grammes à peine, par personne et par an.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avions pourtant entendu que la consommation de viande connaissait un certain regain.

M. Yves Trégaro . - Ce regain est très faible. Il faut distinguer les circuits d'achat : dans les boucheries chevalines c'est le cas, beaucoup moins dans les grandes et moyennes surfaces et les marchés forains. Mais nous avons déjà vu des situations dans lesquelles, hors de tout contexte de crise, nous ne pouvions expliquer l'évolution différentielle entre deux circuits. Nous manquons de recul à ce stade. Nous en saurons plus dans deux ou trois mois.

Notez que 60 % de cette consommation dépend des importations, notamment d'Argentine, d'Uruguay et du Canada. Les défenseurs américains du bien-être animal ont en effet réussi à ce que les animaux y soient abattus, plutôt que sur le sol américain.

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - Les marges du secteur de l'abattage-découpe sont très faibles, ce qui le rend extrêmement sensible à l'évolution des volumes. En outre, la France enregistre par rapport à ses concurrents un déficit de compétitivité. Il faut trouver des solutions pour optimiser les charges et valoriser nos produits et nos coproduits, ce que l'Allemagne fait bien mieux que nous.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Combien y a-t-il d'abattoirs en France, et combien d'animaux sont-ils abattus ?

Mme Claire Legrain, chef du service « entreprises et marchés » de FranceAgrimer. - Nous comptons 280 abattoirs en France.

M. Yves Trégaro . - Soit 3,5 millions de têtes de bovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Combien d'abattoirs s'occupent de ces 3,5 millions de bovins ?

Mme Claire Legrain . - Sur les 280 abattoirs cités, 206 font du gros bovin, et éventuellement des ovins.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La filière a de faibles marges, dites-vous. De surcroît, les abattoirs allemands nous livrent une forte concurrence, grâce à l'application qu'ils font de la directive européenne sur le détachement de travailleurs. Comment rétablir notre compétitivité sur les outils d'abattage ? La restructuration des abattoirs, c'est-à-dire la fermeture de certains et la modernisation des autres, est-elle une solution ? Faut-il développer les circuits courts en développant des abattoirs de proximité qui associent mieux l'abattage et la découpe ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - C'est une question très complexe. Elle dépend en partie de la rentabilité de l'abattoir pris individuellement, et de sa proximité avec la zone de production. Le risque, c'est que la production décroisse et que l'outil de proximité ne soit plus alimenté, ou qu'à l'inverse les producteurs doivent supporter des coûts de transport plus élevés du fait d'une rationalisation du maillage des abattoirs, et que la compétitivité s'en ressente. Il faut raisonner localement. C'est l'objectif des commissions interrégionales d'abattoirs placées sous l'égide des préfets, et de l'Observatoire national créé il a quinze jours, dont FranceAgrimer assure le secrétariat.

Mme Claire Legrain . - Tout dépend de la taille des outils et de la production locale. Les grands outils industriels travaillent toujours sur des volumes importants pour comprimer leurs coûts fixes. Mais leur rentabilité se joue à peu de choses. En France, les abattoirs sont généralement de qualité, et souvent intégrés dans des circuits locaux. Mais les gros volumes sont majoritairement réalisés par des outils de taille industrielle qui connaissent de fortes difficultés, car les volumes ne progressent plus guère depuis 2005. Ils décroissent même légèrement depuis 2012.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le plan abattoirs est sous votre responsabilité, n'est-ce pas ?

Mme Claire Legrain . - Oui. Il a été mis en place par le ministère de l'agriculture, et nous le gérons. Une commission administrative d'attribution des aides a été créée pour étudier les dossiers, au sein de laquelle siège le ministère de l'agriculture, ainsi qu'un expert du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, M. Xavier Ravaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'État encourage-t-il le développement de chaînes d'abattages rituel ? Cela sous-entend-il que nous manquons d'abattoirs rituels en France ? Avez-vous des chiffres précis sur la question ?

Mme Claire Legrain . - L'abattage rituel ne fait pas partie des principaux objectifs et des orientations du plan abattoirs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On dit parfois qu'une chaîne d'abattage rituel est souhaitable pour que l'abattoir bénéficie d'une subvention. Est-ce exact ?

M. Michel Meunier . - Seule la direction générale de l'alimentation (DGAL) peut vous donner des informations chiffrées sur l'abattage rituel.

M . Frédéric Gueudar Delahaye . - Le plan abattoir ne contient aucune orientation sur l'abattage rituel. Il faut cependant prendre en compte la demande commerciale des entreprises. L'abattage rituel est, du point de vue de FranceAgrimer, un des types de présentation des produits possible, au même titre que le mode de découpe.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Savez-vous combien d'abattoirs pratiquent l'abattage rituel en bovin ?

Mme Claire Legrain . - La DGAL doit pouvoir vous fournir le chiffre.

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - Ce mode d'abattage nécessite désormais une autorisation : c'est le seul suivi officiel qui existe de ces pratiques. FranceAgrimer ne s'intéresse qu'à la dimension économique.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous devez donc connaître les tonnages concernés ?

Mme Claire Legrain . - Non, ce n'est pas une catégorie relevée dans nos enquêtes statistiques auprès des abattoirs. Nous connaissons les volumes par catégorie d'animaux en fonction des conformations mais pas du mode d'abattage. Mais nous pourrions mettre en place un tel décompte.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Donc personne ne connaît les chiffres. Ceux que l'on annonce ici ou là sont donc faux !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La DGAL évoque le chiffre de 14 %.

Mme Claire Legrain . - La DGAL suit les données statistiques relatives à chaque abattoir. L'administration n'a toutefois pas en sa possession de recensement exhaustif des pratiques d'abattage rituel. Cela ne peut être communiqué pour chaque abattoir, individuellement.

Mme Renée Nicoux . - Peut-on procéder à un abattage rituel dans n'importe quel abattoir ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - Oui, si l'on est équipé et autorisé à le faire. On dispose du nombre des abattoirs autorisés mais on ne sait pas dans quelles proportions ces abattoirs pratiquent l'abattage rituel.

Mme Claire Legrain . - Ce suivi statistique n'a pas été demandé à FranceAgrimer.

M. Gérard Bailly . - Notre production de viande s'érode. Nous avons perdu 50 % de notre production ovine depuis les années 1980. Nous importons 55 % à 60 % de notre consommation. Nous venons de perdre 300 000 bovins en deux ans. Les responsables de la filière volaille ont mis en évidence le volume élevé d'importations auquel nous sommes confrontés. Je ne veux pas cacher mon inquiétude. Si l'on ajoute à cela les contraintes spécifiques à la filière viande, que les céréaliers ne subissent pas, dans cinq, dix ou vingt ans, serons-nous entièrement dépendants des importations de viande pour nourrir notre pays ?

On parle de plus en plus de taxes sur les transports et l'approvisionnement, et du bilan carbone sur les étiquettes. Les exploitants agricoles sont en première ligne, tandis que les agriculteurs d'Amérique du Sud par exemple, dont nous sommes de gros clients, ne sont pas soumis aux mêmes règles. A force de laver plus blanc que blanc, que va-t-il rester sur notre territoire ? L'alimentation des volailles sud-américaines est à base d'organismes génétiquement modifiés (OGM) : sans être pro-OGM, il faut remarquer qu'il est paradoxal de s'y opposer chez nous !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les plans proposés pour l'élevage de volailles et l'élevage porcin ? Sont-ils en adéquation avec les problèmes que rencontre la filière ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - Pour tempérer le pessimisme ambiant, remarquons que la dégradation sur les filières viande est lente, ce n'est pas une catastrophe brutale. Mais un effet boule de neige peut se produire, la baisse de la production entraînant celui de l'équipement industriel. Ces dernières années, la viande ovine mise à part, la tendance a plutôt été à l'augmentation de notre production sur longue période, en viande porcine et de volaille. Nous avons encore le premier cheptel bovin d'Europe. Nous restons excédentaires en termes de commerce extérieur sur nos productions animales. Il ne faut pas se laisser aller au catastrophisme mais corriger les tendances. Deux plans ont été élaborés, sur la volaille et le porc. Ils ont été présentés la semaine dernière, par le délégué interministériel aux industries agroalimentaires. FranceAgrimer y a participé en amont à travers la concertation avec les professionnels.

Le porc est un enjeu majeur. Il faut éviter la décapitalisation du cheptel. La mise aux normes « bien-être truies » a fragilisé certaines entreprises. Malgré les aides, certaines ont disparu. Mais il faut aussi aider les élevages porcins à se moderniser et à se regrouper. Trop de contraintes administratives pèsent sur la filière, en matière environnementale notamment : les porcheries, installations classées comme polluantes, doivent faire l'objet d'autorisations attribuées au terme de procédures lourdes. L'idée du plan est de les alléger.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - La France se pénalise elle-même. Elle est moins compétitive que d'autres pays, car nombre d'entre eux font preuve de moins de scrupules. Il faut certes être exigeant en matière sociale et environnementale, mais pas au point de pénaliser ses propres éleveurs et sa propre industrie. Notre rapport devra répondre à la question de savoir pourquoi il est si compliqué pour un jeune éleveur de s'installer en France. Dans d'autres pays, on fait des ponts d'or à ceux qui veulent créer un élevage de porcs ! Cette situation est désastreuse pour notre économie.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il faut dire que l'opinion publique ne veut pas toujours entendre parler de porcheries industrielles. Les Allemands ont mis en place 7 000 unités de méthanisation : nous n'en avons que 90... Avec le plan méthanisation, les ministres de l'agriculture et du développement durable exploitent nos marges de manoeuvre.

M. André Dulait . - En France, l'équarrissage est pris en charge par la chaîne d'abattage. En Allemagne, les Länder s'en occupent. Y a-t-il là un élément d'amélioration de nos marges pour une réforme de l'équarrissage ?

Mme Claire Legrain . - Il faut distinguer ce qui relève des coproduits d'abattage et ce qui relève de l'équarrissage des cadavres d'animaux morts en exploitation. L'administration a fait un effort pour que la réglementation des coproduits ne soit pas plus contraignante que ce qu'impose le droit européen. Elle a de plus évolué ces dernières années, pour permettre la valorisation des coproduits issus des abattoirs.

A la demande des professionnels, nous avions créé un observatoire des coproduits pour étudier ces coûts. Fermé en 2010, il a été de nouveau présenté à notre comité spécialisé au sein de FranceAgrimer très récemment. La situation s'est améliorée, mais des efforts supplémentaires peuvent être faits.

M. Georges Labazée . - Nos sommes dans des sociétés de marché, de libre-concurrence. Beaucoup d'accidents économiques sont dus à des pratiques contestables de vente, de rachat, de regroupement. Sur quelles instances de régulation FranceAgrimer s'appuie-t-il ? Ce qui m'inquiète, c'est l'absence de médiation sur le marché français des abattoirs. La situation est effroyable, et les élus ne sont pas informés en amont de ce qui se passe.

M. Frédéric Gueudar Delahaye . - Il faut distinguer les irrégularités d'une part, et les restructurations, rachats ou regroupements d'autre part. Ces derniers sont étudiés par les commissions interrégionales des abattoirs, qui font le point avec les acteurs de l'économie locale. Les collectivités territoriales font partie de ces commissions.

Les dérives sont un tout autre sujet. Lorsque des dérives en matière sanitaire, de commercialisation, de traçabilité ou d'étiquetage sont constatées, elles sont sanctionnées, et c'est d'autant plus heureux en période de crise économique, où la tentation de s'affranchir des règles est plus forte.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous parler des volailles ?

M. Michel Meunier . - Concernant l'aviculture, nous agissons d'abord en amont pour moderniser les élevages. Nous cherchons à assouplir les dispositions contraignantes de protection de l'environnement, source de handicap par rapport aux concurrents européens. Nous soutenons l'agrandissement des élevages, qui restent de taille bien inférieure à ceux de pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas qui ont rationalisé tous les maillons de la chaîne de production, un élevage correspondant à un abattoir. Nous prenons en compte également les difficultés liées au renouvellement des éleveurs souvent âgés de plus de 50 ans. En outre, nous accompagnons les stratégies industrielles destinées à diminuer les coûts grâce à une utilisation optimale des infrastructures, notamment les abattoirs, par des regroupements ou des restructurations. Nous cherchons enfin à améliorer les relations entre l'industrie et le secteur aval - grande distribution, transformateurs -, afin que tous les membres de la filière contribuent à améliorer la valeur produite dans son ensemble.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous de la contractualisation ? Un éleveur a-t-il le droit d'acheter directement ses céréales à un agriculteur sans passer par un distributeur agréé ?

M. Frédéric Gueudar-Delahaye . - Oui. Mais les collecteurs sont contraints de payer comptant les céréaliers. FranceAgrimer gère un dispositif de garantie des collecteurs qui finance les coûts de stockage et de portage financier, dénommé « aval ». Des collecteurs agréés vendent des céréales produites et stockées selon des procédés standardisés, donc de qualité constante. Il est donc préférable pour l'éleveur de passer par un collecteur agréé. L'enjeu de la vente directe entre agriculteurs est d'échapper aux taxes car FranceAgrimer bénéficie de taxes et les interprofessions prélèvent également des cotisations à l'occasion de la vente de céréales. Mais ces taxes sont très faibles, de moins de un euro par tonne.

Mme Claire Legrain . - FranceAgrimer garantit l'obligation de paiement comptant par le collecteur qui a obtenu son aval. Ainsi les coûts financiers des collecteurs diminuent et la rentabilité de la filière est améliorée. L'encours garanti s'élève à 2,8 milliards. En outre les collecteurs sont soumis à des contrôles sur leurs stocks, sur la sincérité de leur comptabilité.

Mme Renée Nicoux . - Vous ne touchez pas de commission ?

Mme Claire Legrain . - Non.

M. Gérard Bailly . - Les opérateurs sont-ils libres d'importer ou d'exporter ou sont-ils soumis à des autorisations ? Quelle est l'étendue des contrôles sur les produits qui franchissent les frontières ? Quel est votre rôle ?

M. Frédéric Gueudar-Delahaye . - Les importations et exportations doivent respecter les règles sanitaires, contrôlées par les services vétérinaires aux frontières. De notre côté, nous gérons, pour le compte des autorités européennes, les contingents de produits importés exemptés de droits de douane. Pour les produits exportés, nous vérifions le respect des règles sanitaires européennes et des exigences sanitaires des pays de destination. Nous fournissons également un soutien logistique à la DGAL en accueillant les délégations vétérinaires étrangères afin d'obtenir les agréments et ouvrir les marchés à l'exportation.

M. Gérard Bailly . - Qui établit les cahiers des charges ?

M. Frédéric Gueudar-Delahaye . - Les importations sont soumises à des règles sanitaires européennes. Les contrôles relèvent de la responsabilité des Etats membres.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourtant il existe des distorsions, comme pour la cervelle de mouton. La France est peut-être trop tolérante en matière d'importations, ce qui pénalise nos éleveurs.

M. Gérard Bailly . - On l'a vu lors de la crise de l'ESB.

Mme Claire Legrain . - Un effort important d'harmonisation entre notre réglementation et la réglementation européenne a été accompli depuis ; il reste peu de divergences.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci de ces informations.

Audition de MM. Dominique Langlois, président, Yves Berger, directeur et Marc Pages, directeur adjoint de l'association nationale inter-professionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) (mercredi 24 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Interbev rassemble l'ensemble des acteurs de la filière bétail et viandes dans une organisation interprofessionnelle large. Nous sommes impatients d'entendre votre diagnostic et vos propositions.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans votre dernière lettre d'information électronique, vous souligniez que certains facteurs expliquant les différences de compétitivité entre les filières viande française et allemande relevaient de distorsions de concurrence très préjudiciables à la France. De même M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats exploitants agricoles (FNSEA), s'étonnait récemment de constater que, dans un abattoir employant 2500 personnes près de Düsseldorf, les travailleurs portaient des tenues différentes et étaient payés en fonction de leur pays d'origine. L'Allemagne qui se présente comme un modèle n'est apparemment pas un modèle social et exploite sans vergogne une main-d'oeuvre à bas coût. Comment sauver notre agriculture, dans un tel contexte ?

Vous avez réagi très vite après la découverte de la fraude à la viande cheval dont chaque jour révèle un aspect différent : découverte de viande de boeuf en provenance d'Espagne, emploi de viande avariée, présence de viande porc dans des préparations halal, etc. La France serait le pays le plus touché par la fraude : 13 % des échantillons ADN testés contiendraient de la viande de cheval et non du boeuf, soit trois fois plus que la moyenne européenne. Pourquoi ? Comment éviter de nouveaux scandales ? Pourquoi l'industrie refuse-t-elle d'améliorer l'étiquetage des préparations à base de produits carnés ?

M. Dominique Langlois, président d'Interbev . - Je parle aujourd'hui en tant que représentant des filières ovine, bovine, équine et la filière veau. La concurrence allemande est forte. En Allemagne, en effet, les salariés peuvent être rémunérés au salaire de leur pays d'origine. Les écarts de salaire sont supérieurs à neuf euros de l'heure dans un secteur où le coût du travail représente 55 % des coûts. C'est une distorsion de concurrence qui nous pénalise tant sur le marché européen qu'à l'exportation. Il n'est pas possible de réduire les salaires en France ni de les augmenter en Allemagne. Sans doute conviendrait-il de limiter le nombre de travailleurs transfrontaliers en Allemagne. En outre les conditions de travail dans les abattoirs allemands sont ne sont pas comparables à celles prévues par le droit du travail en France et par les conventions collectives. Une harmonisation sociale a minima est nécessaire.

La fraude à la viande de cheval dans les lasagnes n'est pas d'ordre sanitaire mais économique. Elle porte préjudice à l'image de l'élevage en France. En 1996, sous l'impulsion de M. Philippe Vasseur, alors ministre chargé de l'Agriculture, nous avons lancé le label Viande Bovine Française (VBF), repris par l'Europe en 2000. Aucune viande fraîche ne peut être aujourd'hui commercialisée sans indication d'origine. L'enquête en cours sur cette fraude déterminera quelles mentions figuraient sur l'étiquette. Les tests ADN montrent en effet que la France est le pays le plus touché par le « horse gate » . Sans doute est-ce en raison d'un biais dans la réalisation des tests, ciblés sur les clients en France des entreprises incriminées tandis qu'ils ont été réalisés de manière aléatoire dans d'autres pays. Mais l'essentiel de la viande de cheval semble avoir été destiné à la France.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment expliquer que malgré les contrôles la France, pourtant en pointe en matière de réglementation, soit le pays le plus touché ?

M. Dominique Langlois . - Dans cette fraude, un montage impliquant de nombreux opérateurs a permis de contourner les règles de traçabilité. Les viandes européennes doivent porter la mention du lieu de naissance, d'élevage et d'abattage. Interbev se portera partie civile. Dès le départ nous avons réclamé que les industriels indiquent de manière spontanée sur les étiquettes l'origine de la viande utilisée dans les préparations carnées. Nous avons trouvé une oreille favorable auprès du Président de la République et du Premier ministre. Notre législation est lacunaire à cet égard car aucune obligation n'existe. La crise de l'ESB en 1996 n'avait concerné que la viande fraîche, non les plats cuisinés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Pourquoi cette mention n'est-elle pas obligatoire ?

M. Dominique Langlois . - L'étiquetage relève du droit communautaire. La Commission européenne a avancé la remise d'un rapport sur le sujet d'août à juin, à la suite de l'intervention des ministres allemands et français. Elle ne semble pas favorable à une modification de l'étiquetage car certains pays y sont hostiles. Nous souhaitons, comme en 1996, une initiative volontariste des industriels.

Dans tous les cas, l'étiquetage ne pourra être immédiat car le label VBF suppose une démarche d'adhésion et des audits de contrôle des producteurs et des fournisseurs. Nous instruisons actuellement 25 demandes d'adhésion. Nous refusons les harmonisations a minima. Le label « VBF » est très bien perçu par les consommateurs. La consommation de viande fraîche, d'ailleurs, n'a pas baissé, à la différence des produits surgelés. La consommation de viande de cheval a même augmenté.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi ne pas appliquer cette procédure à la viande ovine et aux autres viandes ?

M. Dominique Langlois . - Notre production de viande ovine ne couvre que 40 % de nos besoins. Importer reste nécessaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tout le monde aurait à gagner à renforcer la qualité. Peut-on développer les signes de qualité et mieux valoriser les races à viande ?

M. Dominique Langlois . - Le consommateur est en effet sensible aux indications d'origine.

M. Jean-Claude Lenoir . - Quelle est la part de la viande provenant d'Amérique du sud dans la consommation française ? Dans l'Orne les abattoirs pâtissent de la baisse de l'activité et sont en difficulté. Nous vendons, en effet, de plus en plus de bétail sur pied à des pays qui nous achetaient autrefois des morceaux travaillés, les droits de douane étant parfois plus élevés pour ces derniers, comme en Turquie. Pourtant des responsables turcs reconnaissent notre savoir-faire en matière d'élevage et d'abattage. Peut-être reviendront-ils à l'achat de viande transformée.

M. Dominique Langlois . - Rappelons les chiffres. Nous abattons 1,4 million de tonnes en France, dont 1,3 million de gros bovins. Nous importons 300 000 tonnes de viande et en exportons 250 000. En France 55 % du cheptel est constitué de races à viande et 45 % de races laitières. La France est le premier producteur européen de viande bovine et son troupeau allaitant est le plus important d'Europe. Notre déficit vient du manque de viande issue des troupeaux laitiers et utilisée pour confectionner les steaks hachés et les plats élaborés. Les importations s'expliquent par ce déséquilibre.

La consommation de viande brésilienne est marginale. Le principal acheteur de viande brésilienne est l'Allemagne.

La Turquie avait instauré un embargo concernant l'importation de viande européenne après la crise de la vache folle en 1996. Mais en raison de l'augmentation de sa demande intérieure, elle a levé l'embargo en 2010. Les Allemands ont réagi en 15 jours, alors qu'il nous a fallu deux mois pour que le ministre signe un certificat sanitaire prévoyant des tests de dépistage de l'ESB sur les animaux de moins de 30 mois...

Au 1 er trimestre 2011, nous avons surtout exporté des carcasses de jeunes bovins à des prix rémunérateurs ; les cours ont augmenté de 25 centimes d'euros. En août 2011, la Turquie a demandé la signature d'un certificat sanitaire autorisant l'exportation de bovins finis, prêts à abattre. Interbev s'y est opposé, considérant qu'il s'agissait d'une délocalisation de l'abattage. Nos clients turcs appréciaient la qualité de nos carcasses malgré quatre jours de transport. Cette autorisation a malheureusement été donnée entraînant une hausse des exportations de bovins et une baisse de l'abattage de 6 % en 2012. Aujourd'hui la Turquie n'importe plus de viande en raison de la pression des éleveurs locaux et du bas prix de la viande issue des troupeaux laitiers turcs.

M. Yves Berger , directeur d'Interbev . - Il ne s'agit pas d'une interdiction formelle d'importer, mais les Turcs n'envoient plus d'équipes de vétérinaires pour signer les certificats de départ.

M. Dominique Langlois . - Nous étions les seuls à exporter du vif car les Allemands avaient refusé de signer le certificat sanitaire au nom du bien-être des animaux. La Turquie réfléchit néanmoins à une évolution, car le Brésil a réduit ses exportations et les autres fournisseurs n'apportent pas toutes les garanties sanitaires. Grâce à de bonnes relations avec la Turquie, un nouveau déplacement est programmé. Nous sommes d'accord pour exporter de jeunes animaux à engraisser et des carcasses, ainsi que pour contribuer à l'amélioration du savoir-faire en matière d'engraissement. Nous n'autoriserions en revanche l'exportation de produits finis que de manière marginale, notamment lors des fêtes religieuses où la demande est forte. Nous ne pouvons accepter de délocaliser notre activité d'abattage, secteur en crise, l'activité ayant chuté de 8 % au 1 er trimestre 2013. Les prix monteront moins vite, mais la hausse sera plus durable. Nous avons également des contacts avec la Tunisie et une délégation algérienne sera reçue en mai avec laquelle nous espérons conclure un accord.

M. Jean-Claude Lenoir . - Les droits de douane sont-ils différents selon qu'il s'agisse de viande ou de bétail vif ?

M. Dominique Langlois . - En effet. Les droits sur les carcasses ont été portés de 25 % à 100 %, contre 45 % sur les animaux vifs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous de la volatilité des prix  et de la contractualisation avec la filière aval ?

M. Dominique Langlois . - Malgré une hausse des prix importante du bétail en 2012, de l'ordre de 13 % en moyenne, les revenus des éleveurs n'ont pas augmenté. La rémunération moyenne de 15 000 euros par an n'incite pas les jeunes à s'installer, ce qui menace l'avenir de toute la filière.

Il est indispensable que la France ne cède rien sur la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC).

La volatilité des prix met également en péril l'industrie de transformation de la viande, comme l'a souligné le rapport Chalmin. L'année 2012 a été une mauvaise année, l'année 2013 sera pire encore car il n'est pas possible de répercuter les hausses de prix. Lors d'une réunion de suivi de l'accord du 3 mai 2011 sur la volatilité des prix conclu sous le patronage du ministre de l'Agriculture, il a été rappelé que le consommateur ne devait pas subir la hausse des prix du bétail. Mais ni les producteurs ni les industriels ne gagnent d'argent. La marge moyenne d'un abattoir est de 1,4 % net, ce qui pose des problèmes pour financer les investissements. Le rapport Chalmin a conclu que la grande distribution a une marge négative de 1,9 % sur la viande. Même si ces données sont des moyennes qui ne tiennent pas compte des promotions, la marge est faible.

A l'issue des États généraux de l'interprofession: un accord semble imminent sur la contractualisation. Il concernerait d'abord les jeunes bovins, mais servirait surtout de signal à l'attention des éleveurs et des autres filières.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La contractualisation est déjà à l'oeuvre pour la viande ovine.

M. Dominique Langlois . - L'accord conclu sur la filière ovine en 2011 est différent car il ne détermine pas de niveau de prix et prévoit une subvention de 3 euros par brebis.

L'accord sur les bovins s'adresse aux producteurs de plus de 20 animaux, définit des engagements réciproques de production et d'enlèvement des animaux. Les prix seront basés sur le système de cotation refondu par FranceAgrimer en 2012 qui fournit une vue très claire des prix payés et sur un indice de revalorisation évoluant en fonction des variations du prix de l'alimentation du bétail. Ce contrat sera fondé sur le principe de l'adhésion volontaire. Une caisse de sécurisation amortira les variations des prix. Elle sera abondée par un prélèvement lorsque les prix sont élevés ou par des fonds du deuxième pilier de la PAC. Des discussions sont en cours avec les céréaliers sur un concours du Fonds de mutualisation céréalier des éleveurs (FMCE). Les éleveurs ont besoin de perspectives.

M. Gérard Bailly . - Existe-t-il une volonté commune avec les organisations professionnelles agricoles des autres pays de l'Union européenne pour favoriser l'élevage au sein de la PAC ? Qu'en est-il du fonds céréaliers ? Les céréaliers ont-ils décidé de le financer ? Que pensez-vous des effets sur la compétitivité de l'écotaxe qui alourdira la charge des exploitants alors que nos voisins ne l'ont pas prévu, ou de l'inscription du bilan carbone sur les étiquettes, véritable casse-tête ? Nous sommes favorables à la contractualisation. Mais une part du commerce de bétail est réalisée sur les foirails ou sur des marchés au cadran.

M. Dominique Langlois . - Une volonté partagée apparaît pour que le FMCE soutienne l'élevage français. Mais la contractualisation constitue un préalable. Chacun a compris que tous les intérêts sont liés.

L'écotaxe pèsera sur tous les acteurs de la filière, éleveurs comme industriels et commerçants. Des aménagements semblent prévus pour certaines productions. Espérons que l'équité prévaudra. De plus, comme pour la hausse des carburants, les transporteurs publics pourront répercuter l'écotaxe, mais les transporteurs privés ne pourront le faire.

Les handicaps de compétitivité sont dus également à des mesures sanitaires franco-françaises. Ainsi les têtes d'ovins de moins de douze mois restent interdites alors que les scientifiques ont conclu à l'absence de risque sanitaire. Certes il ne s'agit que de 2 millions d'euros, mais dans la filière, chaque centime, voire chaque demi-centime, compte ! La jurisprudence des ris de veaux du conseil d'État est claire : si l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (EFSA) a conclu à l'absence de risques sanitaires, la réglementation française ne peut être plus dure que la réglementation européenne. De même la démédullation n'est justifiée par aucun élément scientifique. Enfin, alors que l'Europe s'est prononcée sur la suppression des tests ESB, le premier ministre n'a toujours pas rendu son arbitrage. Or, la réglementation communautaire autorise les Etats-membres, soit à tester de façon aléatoire, soit à tester les animaux à risque, ce que nous souhaitons. Il n'y a pas de raison que la France n'applique pas ce qui sera appliqué en Allemagne, en Angleterre, en Irlande. Nous avons respecté les règles, notre transparence nous a valu des embargos que les autres pays n'ont pas eu à subir, nous avons eu à nous battre pour rouvrir les frontières. Après dix ans de combat, le Japon s'ouvre enfin, alors que la viande américaine élevée dans des feed lots , hormonée, non tracée et non testée ESB y est vendue sans problèmes... Nous appliquons volontiers des règles justifiées, mais les agences française et européenne s'étant prononcées, le dispositif n'a plus de raison d'être.

Mme Renée Nicoux . - Qu'en est-il de la fièvre catarrhale ovine (FCO) ?

M. Yves Berger . - Il n'y a plus d'obligation de vaccination ; nous sommes reconnus indemnes, et les pays dans lesquels nous exportons, en particulier le pourtour méditerranéen, ont supprimé l'obligation de vaccination.

M. Dominique Langlois . - Les commerçants en bestiaux représentent 60 % de la commercialisation des animaux. Ces commerçants en bestiaux font pleinement partie d'Interbev. L'interprofession est en effet constituée de 13 familles : producteurs, marchands de bestiaux, commerçants de bestiaux, industriels, coopératives, distribution, boucheries traditionnelles, restauration collective ... qui fonctionnent selon la règle de l'unanimité. Lorsque nous arrivons à un accord, il a de la force. La commercialisation sur les marchés de bestiaux représente cependant une part faible des échanges d'animaux : moins de 10 %.

M. Yves Berger . - La PAC concerne en priorité les producteurs. Nous avons une unanimité interprofessionnelle au sujet des mesures demandées par la Fédération nationale bovine (FNB), essentiellement le couplage et une politique de l'herbe, et même par France Nature Environnement (FNE). A la demande de la FNB, nous avons participé à l'animation d'un groupe de plusieurs pays parmi lesquelles l'Italie, l'Irlande, l'Espagne et l'Angleterre, qui concentrent l'essentiel des vaches allaitantes européennes. Comme pour la réforme précédente, ces pays ont élaboré une plateforme commune qui a été adoptée lors du dernier sommet de l'élevage à Clermont-Ferrand. A l'issue d'un colloque, le président de la FNB et ses collègues présidents d'associations d'éleveurs ont signé un document qui a été adressé aux gouvernements de chaque pays ainsi qu'au Parlement européen. Une action a également été menée auprès de nos représentants français, l'un d'entre eux étant rapporteur au Parlement dans le cadre des trilogues.

Concernant le FMCE, des travaux sont en cours. Nous attendons le verdict de la Cour de justice européenne qui a été interrogée par le Conseil d'Etat français sur le caractère public ou privé des fonds collectés par les interprofessions. Le rapporteur général a conclu au caractère privé des contributions volontaires obligatoire (CVO). Cette décision importante doit intervenir d'ici le mois de juin.

Les aspects environnementaux sont importants en élevage. En ce qui concerne l'étiquetage du bilan carbone, nous avons saisi à plusieurs reprises le ministère de l'environnement et les services responsables : nous soulignons un problème de méthodologie et revendiquons que soient comparés des choses comparables. L'écoute du ministère de l'environnement semble s'améliorer. Au sein d'Interbev, nous avons désigné un responsable élu pour suivre le sujet et nous sommes dotés d'un référent technique. Le point central est le bilan carbone ; nous ne nions pas que les vaches émettent du méthane, mais le bilan doit aussi prendre en compte le rôle des prés comme puits de carbone, comme réservoir de biodiversité.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La commission des affaires européennes du Sénat a adopté une proposition de résolution européenne relative à la PAC qui va dans votre sens puisqu'il s'agit de sauver l'élevage français.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans un communiqué de presse du 8 mars 2012 adressé aux parlementaires, vous avez souhaité  « mettre un terme à la politique politicienne autour de l'abattage rituel ». Leur volume atteindrait, selon vous, 14 % des abattages totaux en France, et la viande issue de ce type d'abattage et potentiellement commercialisée dans les circuits classiques représenteraient moins de 3,5 % de la consommation française des viandes bovines et ovines. Nous confirmez-vous ces chiffres ?

M. Dominique Langlois . - Tout à fait. Nous abattons rituellement en France 226 000 tonnes, sur un abattage total de 1 600 000 tonnes, boeuf, veaux, et ovins. Nous exportons 40 000 tonnes de viande issue d'abattage rituel et en consommons 230 000 tonnes. Nous importons 108 000 tonnes de viande issue d'abattage rituel et la viande issue d'abattage rituel vendue dans le circuit hors-rituel représente 64 000 tonnes, soit 4 % du total.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Auriez-vous le tonnage abattoir par abattoir ?

M. Dominique Langlois . - Nous n'avons pas ces chiffres.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment obtenez-vous alors le chiffre de 14 % ?

M. Dominique Langlois . - Ce sont les remontées de la direction générale de l'alimentation (DGAL), qui dispose des tonnages exacts abattus. Depuis le décret de décembre 2011, les abattages rituels sont soumis à autorisation préfectorale. Les services vétérinaires départementaux font remonter les chiffres d'abattage rituel et la consolidation est réalisée au niveau du ministère. Nous avons anticipé l'application du décret en avril 2012 : en sus de l'autorisation préfectorale, il prévoit l'obligation de former des certificateurs et de tenir un registre permettant de vérifier le volume abattu par rapport aux commandes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous avions compris que vous aviez obtenu ce chiffre en sondant une quinzaine d'abattoirs.

M. Dominique Langlois . - Cette méthode a été suivie dans le cadre du rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), un rapport important et souvent cité, mais dont les conclusions ne peuvent s'étendre à l'ensemble de l'abattage : il ciblait en effet quinze abattoirs qui ne font que du rituel. Quant au communiqué, il a été rédigé en pleine campagne électorale, alors qu'une candidate à l'élection présidentielle avait déclaré que 100 % des Franciliens mangeait rituel. C'est un mensonge total : les quatre abattoirs de la région Ile de France ne représentent que 4 000 tonnes, pour une consommation totale de 160 000 tonnes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourtant, 100 % de ce qui est abattu en Ile de France est bien rituel.

M. Dominique Langlois . - Certes, mais 100 % d'abattage ne correspondent pas à 100 % de la consommation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le sujet n'est pas très clair...

M. Dominique Langlois . - Il est très clair, les statistiques existent. Cet abattage est réalisé conformément à un règlement communautaire très précis, permettant aux Etats-membres d'accorder une dérogation à l'étourdissement des animaux, sous réserve que l'abattage ait lieu dans un abattoir, ce qui évite les tueries clandestines ...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Surtout en ovin !

M. Dominique Langlois . - L'animal doit également être immobilisé et l'abattage réalisé par un sacrificateur habilité.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour tous ces éléments.

Audition de MM. Hubert Garaud, président du pôle animal, Gérard Viel, président de la filière porcine, Denis Gilliot, coordinateur des filières et Mme Irène de Bretteville, chargée des relations parlementaires de Coop de France (mercredi 24 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Coop de France est un acteur majeur de l'agriculture française. Quelle vision avez-vous sur la filière viande ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelles réformes préconisez-vous pour améliorer la filière viande en France ? Comment maîtriser les coûts de l'alimentation animale ? Faut-il aller plus loin sur l'étiquetage d'origine des viandes, y compris transformées ? Les plans destinés à la filière porcine et volaille de chair présentés par le gouvernement vous donnent-ils satisfaction ? Nous avons beaucoup de questions.

M. Hubert Garaud, vice-président de Coop de France . - Le pôle animal de Coop de France regroupe les cinq filières : porcine, bovine, volaille, ovine et nutrition animale. Les coopératives appartiennent à l'économie sociale et solidaire. Sur le terrain, la coopérative n'est que le prolongement des exploitations : nous sommes nous-mêmes agriculteurs. Les coopératives sont des acteurs importants : je suis responsable du groupe coopératif Terrena. Nous sommes n° 2 dans les filières bovines et volailles, et n° 1 sur le lapin en association avec la société Loeul & Piriot.

M. Gérard Viel, président de la filière porcine . - Je suis éleveur dans les pays de la Loire. Je suis responsable de la filière porc de Coop de France, et vice-président de la Cooperl Arc-Atlantique, structure spécialisée dans la production de porc et dont le chiffre d'affaires représente presque 2 milliards d'euros pour 5 000 salariés.

La filière est engagée dans tous les maillons, de l'éleveur jusqu'à la salaison. Nous avons en effet repris un outil de salaisonnerie, Brocéliande, et lancé une enseigne de petits boucheries-charcuteries : Aurélien.

La coopération représente 60 % de la production en aviculture, 33 % en viande bovine, 60 % en viande ovine et 90 % en viande de porc. Au total, la coopération représente 60 % de la production de viande.

L'abattage et la découpe constituent la partie aval de la coopération. En abattage découpe, la coopération représente 35 % en, volailles, 20 % en viande bovine, 30 % en viande ovine et 34 % en viande porcine.

Au total, la production représente environ les deux tiers de l'activité des coopératives et l'abattage-découpe un tiers.

Nous recensons 2 850 entreprises coopératives, sans compter les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), soit 160 000 salariés au total. Le chiffre d'affaires global de la coopération représente 84 milliards d'euros, la partie viande représentant 25 000 salariés pour un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros.

La part d'approvisionnement extérieur des coopératives est faible. Notre priorité est de valoriser les produits de nos adhérents. Un principe est inscrit dans nos statuts : nous ne devons pas dépasser 20 % de notre chiffre d'affaires avec des tiers non-adhérents, ce qui nous conduit à travailler essentiellement avec nos adhérents.

Toutes filières confondues, le secteur de la viande est aujourd'hui dans une situation de crise, pour des raisons de rentabilité : tous les maillons de la filière sont touchés. L'élevage est confronté à l'augmentation du coût des matières premières et des céréales. La hausse des prix de l'alimentation ne se répercute que très difficilement sur le maillon suivant, l'abattage-découpe, qui connaît une baisse de production. Les filières porcs ou bovins ne fonctionnent plus comme avant de manière cyclique, et connaissent une chute durable de la production.

Le maintien des niveaux de production est un défi que nous devons relever : s'il baisse, c'est l'emploi qui est menacé. Or, tous les voyants sont au rouge.

Nous avons cependant quelques pistes. Un phénomène est commun à toutes les filières : la difficulté à répercuter les évolutions de coûts de production sur l'aval des filières, essentiellement les coûts de l'alimentation. Certes, on observe une évolution plus favorable en ce qui concerne le lait, et la situation progresse aussi sur le porc. Un autre élément est à prendre en compte : la capacité à nous positionner sur les marchés d'exportation. En porc, toutes les pièces ne sont pas valorisées sur le marché français. Il faut exporter. La compétitivité est un enjeu majeur. La distorsion du coût de la main-d'oeuvre, notamment sur le bassin du nord, pose des problèmes récurrents. Le ministre de l'agriculture a été très clair : autant les ministres belges ont pu entreprendre un recours contre l'Allemagne auprès de la commission européenne, autant chez nous, le sujet est éminemment politique : les discussions avec l'Allemagne doivent avancer et elles ne sont pas de son ressort. Pour une activité comme le porc, cette distorsion représente 5 euros par porc : pour un atelier moyen de 30 000 porcs par semaine, cela représente 150 000 euros de différentiel !

M. Hubert Garaud . - Nous avons une conviction : plus qu'une crise, nous vivons la fin d'un modèle économique. Si nous ne sommes pas capables, dans les deux années à venir, de fournir à notre profession des éléments moteurs de croissance et de compétitivité, nous allons à la catastrophe, et les dégâts sociaux seront importants. Ce discours est alarmiste, mais nous avons aussi des rasions de garder espoir. Si la France a perdu sa place de leader dans la production alimentaire, c'est parce qu'elle n'a pas su accompagner les évolutions du marché, mondial, européen et français. Ces dix dernières années, la production de viande de volaille a augmenté de 54 % en Allemagne, la nôtre a régressé de 20 %. L'Espagne a gagné 27 %, l'Italie, 47 %. Une réforme s'impose donc.

Les Allemands sont les meilleurs de l'automobile avec Mercedes ; pourquoi ne serions-nous pas les meilleurs de la gastronomie et de l'agro-alimentaire ?

Il faut mettre fin aux distorsions sur les coûts de main-d'oeuvre, mais pas seulement. En amont, l'offre en bovins est insuffisante. Le marché a besoin d'une offre bovine de viande industrielle alors que c'est l'offre haut de gamme qui prédomine. Nous sommes capables, au niveau de la coopération, de réorienter l'offre : pour ce faire, nous devons procéder par contractualisation et engagements rémunérateurs. En ce qui concerne la volaille, c'est la compétitivité qui fait défaut. Nous ne voulons pas de clivage entre les céréaliers et les éleveurs : il est facile de dire aux éleveurs de faire un effort sur le prix, mais cela ne peut durer éternellement. Lorsque l'élevage diminue, la végétalisation gagne du terrain... 11 millions de tonnes de céréales françaises vont aujourd'hui directement alimenter le bétail. Si l'élevage quitte nos régions, il faudra aussi trouver d'autres débouchés pour les céréales. C'est pourquoi nous devons nous mobiliser.

Toutes les régions françaises veulent leur abattoir de proximité. C'est logique : là où il a de l'abattage, il y a de la production. Cependant, pour résister à la concurrence, nous avons besoin de gros outils, avec des performances industrielles élevées. En multipliant les petits abattoirs, on diminue la compétitivité des gros.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - N'y a-t-il pas deux formes d'élevage et de production ?

M. Hubert Garaud . - C'est le besoin du marché qu'il faut prendre en compte. Il faut être capable de répondre à une demande de produits bon marché ou de bêtes nourries à l'herbe. Il y a aussi plusieurs marchés : le marché intérieur et les marchés export.

Nous exerçons un métier de pauvres. Quand notre rentabilité atteint 1 % dans nos outils d'abattage, nous sommes contents. Nous voulons juste gagner assez d'argent pour innover. Nous sommes allés visiter nos concurrents anglo-saxons et allemands. Ils ont su croître en volume et mobiliser des fonds européens pour investir dans des outils de transformation.

Enfin, répondre aux demandes du marché est essentiel : il n'y a pas un, mais des consommateurs, et la demande n'est pas la même le lundi ou le dimanche. Nous devons être capables de faire face à toutes les demandes. C'est possible, pourvu que les pouvoirs publics se mobilisent, que l'investissement soit relancé, et qu'une remise à plat ait lieu. J'assistais lundi à une réunion des producteurs de volaille : ils réclament une augmentation des prix. A court terme, nous pouvons le répercuter sur la grande distribution ; mais à plus longue échéance, cela ne résout en rien les difficultés de la filière.

Mme Anne Emery-Dumas . - Il faudrait aller vers plus d'industrialisation pour baisser les prix. Cette politique du prix bas n'est-elle pas responsable de la crise ?

M. Hubert Garaud . - Si nous ne voulons pas aller dans le mur, nous devons rénover notre relation commerciale avec les grandes et moyennes surfaces (GMS). La guerre des prix bas entre Carrefour et Leclerc ne peut pas continuer. Elle va nous faire passer de 11 % de chômage à 13 %, et demain 15 %. « Ne comptez pas sur moi pour arrêter la guerre, car si j'arrête je perds des  parts de marché », nous répond-on.

L'industrialisation ne vise pas à faire baisser les prix, mais à avoir des coûts industriels compétitifs, et à renouveler notre offre. Nos distributeurs commencent à réaliser qu'ils n'ont plus de fournisseurs français, et réfléchissent à une meilleure relation avec eux, fondée sur une offre construite. Pour y parvenir, il nous faut des outils industriels performants et innovants.

M. Gérard Viel, président de la filière porcine . - Pour sortir de ce cycle infernal du prix toujours plus bas, nous sommes favorables à l'identification de l'origine des produits, avec un étiquetage identifiant l'origine nationale. Informer le consommateur sur la provenance du produit ne peut pas constituer une entrave au commerce ! Certains maillons traînent les pieds, notamment la salaison : ils craignent de perdre en compétitivité en étant obligés de s'approvisionner sur le marché français alors que la viande allemande est moins chère. Mais il s'agit-là de la liberté du consommateur et de la transparence. Pour moi, la mesure est fondamentale. A travers son acte d'achat, le consommateur peut orienter l'offre, car le distributeur suivra toujours le donneur d'ordres.

M. Denis Gilliot, coordinateur des filières de Coop de France . - Nous défendons l'étiquetage sur les produits bruts, ce qui existe déjà pour la viande bovine depuis la crise de la vache folle, mais qui devrait être étendu aux produits transformés. Quand il est écrit « transformé en France », on peut être certain que l'origine est douteuse. Nous voulons que l'étiquetage précise « transformé en France à partir de tel élevage » : l'origine doit également être mentionnée.

M. Alain Fauconnier . - Vous dites faire partie de l'économie sociale et solidaire. Les gens s'interrogent de plus en plus sur ces grandes structures coopératives. Comment conciliez-vous vos objectifs économiques avec les fondamentaux de la coopération, comme le principe «un homme, une voix» ? Un texte sur l'économie sociale et solidaire est à venir et les coopératives seront au centre du débat : comment vous positionnerez-vous ?

L'élevage représente environ un sixième du chiffre d'affaires général de la coopération. Les éleveurs sont confrontés au quotidien à des difficultés d'approvisionnement, aux fluctuations des prix. Comment la coopérative gère-t-elle les différences de situation entres les uns et les autres ?

Dans les scandales, les personnes attachées à la coopération regrettent que le secteur coopératif se soit fait prendre les doigts dans le pot de confiture... Comment vivez-vous cela ?

M. Georges Labazée . - La hausse du coût des matières premières est un souci majeur pour l'élevage. Coop de France est l'un des plus grands fédérateurs de production de céréales, en particulier de maïs, dont la valorisation a été remarquable depuis quelques années. Comment Coop de France joue-t-il les médiateurs ? Le problème des matières premières n'est pas extérieur, ce n'est pas la faute des autres ! Euralis ou Maïsadour sont des coopératives françaises...

Nous soutenons l'éthique du mouvement coopératif, mais les erreurs de stratégie y sont plus difficiles à admettre que dans le secteur privé, surtout dans le domaine de la restructuration des abattoirs. Les choix ne sont pas toujours heureux.

M. Gérard Bailly . - La diminution de la production dans l'élevage m'inquiète. Nous avons perdu 300 000 têtes de bovins, nous sommes passés de 12 millions de têtes ovines à 7,5 millions. Avec l'augmentation du prix des céréales, les pâtures deviennent des terres labourées ... C'est bien d'informer l'opinion publique de l'importance de l'élevage, mais il faut aussi alerter les commerçants et la grande distribution. Alors que notre sécurité alimentaire est plus forte qu'ailleurs, les consommateurs seront de plus en plus tributaires d'aliments importés. Nous ne voulons pas d'OGM, mais les poulets qui viennent du Brésil sont tous nourris avec...

Un pays doit nourrir ses habitants, d'autant que la population va augmenter. Mais la grande distribution ne peut augmenter les prix. Lorsque nous allons rencontrer les transformateurs, ils nous disent que chaque centime est pesé. Or, quand je compare la part du producteur et celle de la transformation dans la valeur finale du produit, il y a un problème de répartition des marges. Un exemple : je suis producteur de comté. Le prix de vente de la meule atteint, après l'affinage, 9,50 voire 10 euros. Ce prix rémunère les agriculteurs, les engrais, les vaches, le transporteur de lait, le fromager, l'affineur. Comment se fait-il que le comté soit ensuite vendu à 25 ou 28 euros au détail ?

Si tous les maillons de la filière sont en difficulté, la grande distribution va être obligée de changer, de même que nos concitoyens devront accepter de payer un peu plus cher. L'alimentation en produits agricoles non finis ne représente que 4 % dans le budget des ménages. N'y a-t-il pas à communiquer dans ce domaine ?

Jusqu'où aller dans la transparence ? Accepteriez-vous de mentionner « génisse alimentée à base d'ensilage » ?

Avec une meilleure rentabilité, davantage d'agriculteurs s'installeraient...

M. Hubert Garaud . - Les grands groupes coopératifs ont été créés par des hommes qui se sont battus, à partir de petites structures coopératives. Les dérives de la gouvernance, condamnables, font les choux gras des médias ... Je vous invite cependant à venir voir de près nos structures pour constater que nous restons dans l'économie sociale et solidaire. En 2008, lors de la crise, cette autre économie a été portée aux nues, beaucoup la découvrent aujourd'hui. La gouvernance d'une coopérative, ce sont les hommes. Nous avons 500 réunions par an ! Nous adhérons aux sept principes de Rochdale : un homme-une voix ; une société de personnes et non de capital ; nos valeurs sont la solidarité, l'engagement, le respect et la considération. Bien sûr, les dérives existent, dans certaines filiales. Quand je suis arrivé à la tête de Terrena en 2005, des directeurs ont été remplacés par des élus. Nous les avons formés pour qu'ils apprennent à travailler en respectant les valeurs de la coopération. Nous avons aussi des comités d'audit. Attention à l'amalgame : plus c'est gros, moins c'est bien. Venez assister à nos assemblées générales. ..

Comment les coopératives naviguent-elles entre les céréaliers et les éleveurs ? Lorsque les variations vont de quelques centimes à quelques euros, la coopérative fait le tampon. Quand elles atteignent 50 euros, c'est impossible. Nous avons des systèmes d'amortissement des prix. Si nous n'étions pas dans l'économie sociale et solidaire, avec les difficultés que nous connaissons, nous serions passés à l'ajustement social depuis deux ans. C'est parce que nous nous inscrivons dans la pérennité que nous arrivons, avec nos fonds propres, à passer ces moments difficiles. Sans cette économie, nous dépendrions des financiers. Nous avons décidé, nous, agriculteurs, de serrer les rangs et de faire le dos rond en attendant de trouver des solutions.

M. Gérard Viel . - Le monde des coopératives s'apparente à celui de la politique : il y en a qui trichent, mais il ne faut pas généraliser. Si l'on en trouve, il faut les retirer du jeu. Mais la plupart font du beau travail.

Avec les GMS, nous essayons de promouvoir ce qui parle au consommateur. Au-delà de l'origine des produits, nous insistons sur des critères sociaux - maintien de l'emploi de proximité -, environnementaux et sanitaires. Sur ce dernier point, nous avons d'ailleurs une longueur d'avance. Notre système de traçabilité fonctionne, le scandale récent en est la preuve.

Nous avons connu de nombreuses années où le prix des céréales était très bas. Comme sur tout marché, il dépend de l'offre et de la demande. On sait que la demande des pays émergents, notamment de la Chine, crée des déséquilibres. Les stocks mondiaux sont faibles, ce qui fait pression sur les prix. La hausse des coûts de l'alimentation animale sera durable, nous n'avons pas d'autre solution que de la répercuter. En réalité, le bas prix pendant de longues années des céréales a engendré des effets pervers : le prix de la viande a été longtemps fixé à un niveau qui empêchait toute réévaluation. Il faut désormais l'expliquer aux consommateurs.

Enfin, le transfert de l'élevage vers la production de céréales est aujourd'hui extrêmement rapide. Il est urgent de prendre le problème à bras-le-corps.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tout cela ne profite ni au producteur, ni au consommateur. Les jeunes ne s'installent plus parce que le métier a perdu en attractivité, il n'est plus rentable. La grande distribution ne se rend pas compte de l'enjeu : elle se dit qu'on ira bientôt chercher ces produits au Brésil ou en Chine. Mais en définitive, les coûts auront augmenté car les métiers connexes ont eux aussi disparu.

Le 23 février 2012, Coop de France a réclamé un étourdissement avant l'abattage rituel des animaux. Vous avez mis en garde les pouvoirs publics contre toute exagération possible. Vous avez en outre demandé que les services vétérinaires effectuent des contrôles sur les carcasses lors de leurs visites dans les abattoirs. Laissez-vous entendre qu'ils sont aujourd'hui insuffisants sur les chaînes d'abattage rituel ? Ne craignez-vous pas qu'un scandale éclate sur l'abattage rituel sans étourdissement ? Coop de France a indiqué que certains pays ont conclu des accords destiné à ne pratiquer l'abattage rituel qu'après étourdissement ou électronarcose. Est-ce la solution ?

M. Denis Gilliot . - Nous ne pensons pas que l'étiquetage de l'abattage rituel soit une bonne solution. En France, l'abattage rituel fait l'objet d'une dérogation pour le dispenser de l'étourdissement préalable. Coop de France se préoccupe d'abord du bien-être animal, qui ne sera pas réglé par l'étiquetage. C'est pourquoi nous défendons l'abattage précédé d'un étourdissement ou d'une électronarcose. Nous nous heurtons à un certain nombre de considérations culturelles pas forcément harmonisées. On ne voit pas bien comment échapper aux critiques sur les pratiques d'abattage sans étourdissement. Il faudra peut-être prendre la décision d'interdire l'abattage rituel sans étourdissement, comme certains pays l'ont fait, quitte à ce que certains marchés nous échappent.

Je souligne que l'étiquetage du mode d'abattage pose un problème de valorisation des produits. Dans le rite casher, comme dans le rite musulman, on n'utilise qu'une partie des carcasses. Nous aurions alors un problème de déclassement et de valorisation des carcasses. Les communautés musulmane ou juive n'accepteraient pas de payer le surcoût lié à ce déclassement. Sur ce terrain, on n'est pas à l'abri d'une attaque médiatique qui mettra nos filières dans une situation difficile.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et les contrôles ?

M. Denis Gilliot . - Nous y sommes favorables. On ne peut s'y opposer. Mais depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), l'Etat s'est désengagé des inspections sanitaires.

M. Gérard Bailly . - Quand le fonds de modernisation céréaliers éleveurs (FMCE) va-t-il se mettre en place ? Sera-t-il significatif ?

M. Hubert Garaud . - Le premier FMCE n'a pas été mis en place car il était fondé sur une contribution volontaire. Il est donc déjà mort. Le second FMCE est quant à lui fondé sur une contribution volontaire obligatoire. Reste la question de savoir à quoi est destiné ce fonds : redonner de la compétitivité à toutes les filières est nécessaire.

M. Gérard Bailly . - Vous n'êtes pas très optimistes quant à sa mise en oeuvre. M. Le Foll m'a indiqué que la fluctuation des aides en fonction des prix n'était pas envisageable dans le cadre de la PAC. C'est pourtant de ce type de fonds dont nous avons besoin.

M. Hubert Garaud . - Soyons honnêtes : 180 millions d'euros, ce n'est pas grand-chose. La seule incidence des matières premières sur notre activité animale nous a coûté 84 millions d'euros. Nous y voyons plutôt un accompagnement à la remise à plat de la filière animale.

Il y a un travail en profondeur à mener sur les coûts. Il faut notamment intégrer les différences de prix qui existent sur toute la chaîne, entre l'amont agricole et la distribution. La grande distribution fait 5,9 % de marges au rayon volaille. Ces derniers temps, ils auraient pu prendre sur leurs marges pour ne pas augmenter les prix.

M. Gérard Bailly . - En combien de temps les bâtiments de la grande distribution sont-ils amortis ? Cela dépend de la manière de faire un compte d'exploitation. Quelles sont les aides dont bénéficient les coopératives ?

M. Gérard Viel . - Les coopératives peuvent bénéficier du crédit d'impôt compétitivité emploi : à hauteur de 4 % sur 2013 et 6 % sur 2014. Mais ce dispositif aurait pu être davantage fléché vers nos industries.

Quant à l'écotaxe, elle va peser lourd sur nos entreprises. Son exonération a été décidée pour les activités laitières : pourquoi ne le serait-elle pas également pour la filière viande ? Nous sommes très dépendants des transports : presque toute notre production transite par camions.

M. Hubert Garaud . - Merci de nous avoir écoutés. L'élevage est en danger. Il doit être sauvé. Pour retrouver des raisons d'espérer, pour soutenir les jeunes, des décisions sont à prendre par les pouvoirs publics, comme au sein des entreprises. Quoi qu'il advienne, la coopérative restera présente sur le territoire, car c'est sa raison d'être. Nous sommes des acteurs non délocalisables.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci à vous.

Audition de M. Pierre Montaner, directeur des produits laitiers et carnés de SOPEXA (mercredi 24 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir Sopexa, groupe spécialisé dans le marketing international pour les produits alimentaires, le vin et l'art de vivre français.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le groupe Sopexa mène son action de promotion des produits agroalimentaires à l'international dans 43 pays. Il a ainsi une vraie légitimité pour apporter à notre mission des éclairages sur la performance des entreprises françaises à l'exportation. Quels sont actuellement les marchés porteurs et les marchés en croissance pour la production française de viande ? Quels sont les principaux concurrents de la France à l'exportation, et pourquoi ? Quelles sont les forces et les faiblesses des filières de production françaises face à la concurrence internationale ? Comment améliorer les performances françaises à l'exportation dans le contexte difficile que nos filières connaissent actuellement ?

M. Pierre Montaner, directeur des produits laitiers et carnés de Sopexa . - Créé en 1961 dans le cadre défini par la loi d'orientation agricole du 5 août 1961, le groupe Sopexa est fort d'une longue expérience dans le domaine des exportations de produits alimentaires.

L'action de Sopexa permet de mettre en avant l'image des produits français à l'étranger comme au niveau national. A quelques rares exceptions près comme les Pays-Bas, les acteurs puissants sur le marché international sont en effet souvent également des acteurs performants sur leur marché intérieur. Ils peuvent en effet répartir leurs risques et déployer leurs produits sur les marchés qui leur permettent d'obtenir les meilleures plus-values.

Le groupe bénéficie d'une nouvelle délégation de service public (DSP) pour le compte de l'État pour la période 2012-2017, grâce à laquelle il participe à l'effort public en matière d'amélioration des performances françaises à l'exportation. Créées en 2008 par Sopexa pour promouvoir l'image de la France dans le cadre de cette DSP, les marques « France » et « France Bon Appétit » sont également utilisées par les interprofessions pour permettre d'identifier l'origine des produits français.

Afin de faire connaître les produits français à l'étranger, nous organisons différents types de manifestations : nous participons à 38 expositions internationales ; nous organisons annuellement 10 000 actions en points de vente ; la manifestation « Apéritif à la française », qui se tient dans 10 villes à travers le monde, fête cette année son dixième anniversaire ; nous organisons des conférences de culture alimentaire. Nous organisons également des opérations de formation des personnels de la grande distribution ou des restaurants, ce qui nous paraît essentiel pour l'exportation de nos produits, et notamment de nos produits de qualité. A travers ces actions, nous insistons notamment sur la qualité de la production française et sur sa traçabilité.

Les dix premiers marchés sur lesquels nous échangeons nos produits représentent 75 % de nos exportations de viande en valeur, et 67 % de ces exportations en volume. Il s'agit de l'Italie, de l'Allemagne, de la Grèce, de la Belgique, de l'Arabie saoudite pour la volaille, du Royaume-Uni, de l'Espagne, de la Russie, des Pays-Bas et du Japon. Ces marchés ont des maturités différentes, notamment selon le type de viande que nous exportons.

La Grèce, l'Italie, l'Allemagne représentent nos marchés majeurs pour la viande bovine (de 75 à 80 % de nos exportations sur ce segment). Ces marchés hautement stratégiques, sur lesquels nous ne devons pas relâcher notre effort, se caractérisent par leur particulière solvabilité et par leur importance en volume ; nos produits sont de plus particulièrement adaptés à la demande. La Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni constituent quant à eux des marchés d'opportunité pour la production française : l'adéquation de nos produits à la demande n'y est pas aussi forte que sur les précédents, et la concurrence y est plus intense. On peut enfin identifier de nouveaux marchés en cours d'ouverture, tels que le Moyen-Orient depuis juin 2012 ou le Japon, qui constitue principalement un marché de très haut de gamme, depuis mars 2013. Bien que ce mouvement soit très progressif, nous nourrissons de grands espoirs sur ces derniers. Certains marchés comme par exemple la Russie sont en revanche très difficiles à pénétrer. Par ailleurs, l'exportation vers les pays tiers à l'Union européenne présente cet inconvénient que les marchés de ces pays peuvent se fermer à notre production du jour au lendemain.

S'agissant de la viande porcine, l'Italie, qui absorbe annuellement 160 000 tonnes de viande (essentiellement destinée à la transformation) et la Grèce, qui en absorbe 40 000 tonnes, constituent nos principaux débouchés. L'Europe constitue notre marché le plus important, mais nous y faisons face à une très forte concurrence allemande et espagnole. Nous fondons de grands espoirs sur le marché asiatique, sur lequel nous pouvons valoriser au mieux certains morceaux comme la queue ou les oreilles. Le marché russe présente également un fort potentiel. Très peu de programmes de communication sont lancés sur la viande porcine.

Pour l'exportation de volaille, on peut identifier deux grands marchés. Au Moyen-Orient tout d'abord sont principalement présents deux grands acteurs, les groupes Doux et Tilly-Sabco. Les grandes campagnes de communication qui y ont été menées pendant plusieurs années sont aujourd'hui à l'arrêt en raison des difficultés du groupe Doux, bien que Tilly-Sabco poursuive ses efforts. Sur ce marché, nous devons faire face à la concurrence brésilienne. En Europe ensuite, nous exportons principalement vers l'Allemagne et la Belgique, sur des volumes restreints et principalement sur des produits de label comme le label rouge. Sur le marché européen, la concurrence est principalement européenne et provient de Belgique, d'Espagne, d'Allemagne et de Grande-Bretagne.

M. Gérard Bailly . - Quelles ont été les répercussions de l'affaire de la viande de cheval sur des marchés lointains comme l'Asie : nos produits ont-ils perdu en crédibilité ? L'étiquetage des produits exportés indique-t-il l'origine française ou l'origine européenne de la viande ? Existe-t-il des produits qui pourraient trouver un débouché à l'étranger mais que nous ne produisons pas, ou pas suffisamment ?

M. René Beaumont . - Quelles différences notez-vous selon les pays s'agissant des contraintes auxquelles sont soumis nos produits à l'export ? La France est-elle comparativement particulièrement rigoureuse sur l'étiquetage des denrées ? Quels pays sont au contraire particulièrement libéraux sur leurs importations ? Afin que nous puissions comprendre ce qui fait la richesse de la France à l'exportation, pouvez-vous nous indiquez la part que représentent respectivement les vins, les végétaux et les animaux dans le chiffre d'affaires total de nos échanges extérieurs ? Enfin, vous n'avez pas mentionné le groupe LDC dans le tableau que vous nous avez dressé des exportations de volaille. Quelle est sa place dans nos échanges internationaux ?

M. Jackie Pierre . - Est-il possible de dresser une évaluation chiffrée de l'action de Sopexa en matière de promotion des produits français à l'étranger, afin que nous puissions nous faire une idée de la plus-value apportée par votre groupe ? Votre action se traduit-elle par des exportations supplémentaires ?

M. Pierre Montaner . - La répartition de l'activité de Sopexa s'établit comme suit : 41,4 % pour les vins et spiritueux, 14,6 % pour les fruits et légumes, 11,7 % pour les produits carnés, 5,9 % pour les industries alimentaires et les collectivités régionales, 5,1 % pour les produits laitiers et enfin 21 % d'actions multiproduits.

Toutes nos opérations de communication, qu'elles soient effectuées pour le compte de l'État, d'interprofessions ou d'entreprises, font l'objet d'une évaluation selon une procédure différente pour chacun des médias utilisés. Les résultats de cette évaluation nous permettent de réajuster constamment nos actions.

Si le groupe LDC est très présent en Europe, il l'est beaucoup moins au Moyen-Orient. Poids lourd sur le marché français, ce groupe est un petit Poucet au niveau mondial. Cependant, la taille d'une entreprise n'influe pas nécessairement sur ses performances à l'exportation. Ainsi, le groupe producteur de pintades Savel, qui est particulièrement dynamique à l'exportation et qui vend sa production dans 65 pays, reste une entreprise familiale de taille modeste.

Le scandale de la viande de cheval a eu très peu d'effet sur nos exportations. Nous avons eu de fortes craintes au début de cette affaire, dans la mesure où Spanghero est une entreprise très connue en Europe du Sud. Les acteurs ont cependant su distinguer un problème de fraude d'une crise sanitaire. Cette affaire a eu d'autres conséquences : la Grande-Bretagne fait ainsi désormais figurer la mention de l'origine britannique de la volaille sur ses plats préparés comme le coq au vin. En règle générale, on observe dans toutes les crises une tendance au repli sur l'origine locale.

Sur les normes en matière d'étiquetage, je peux évoquer devant vous l'exemple grec, où celles-ci sont très diversement appliquées selon le circuit de distribution. Dans le circuit traditionnel des boucheries, qui représente 60 % des ventes de viande dans ce pays, il n'est pas rare que la mention de l'origine disparaisse ou soit falsifiée. Dans le circuit de la grande distribution en revanche, la réglementation est davantage appliquée et un suivi plus important est pratiqué, ce qui conduit à limiter ce type de pratiques.

L'image des produits français à l'étranger est très forte : c'est l'idée de la bonne chère, de l'art de vivre et de la gastronomie qui est achetée par les opérateurs. La qualité constitue une promesse faite au consommateur, qui est prêt à la payer dans une certaine mesure.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - N'est-il pas difficile au consommateur de se repérer parmi la diversité de signes de qualité et de labels qui lui sont présentés ? Serait-il possible de mettre en place une étiquette unique indiquant l'origine française pour tous les produits de nos différentes filières viande, comme cela se fait déjà à l'étranger avec le « By British » au Royaume-Uni ? On pourrait imaginer que cet étiquetage figure sur l'ensemble de nos exportations, qu'elles soient ou non alimentaires.

M. Pierre Montaner . - On se heurte sur ce point à la réglementation européenne, qui interdit de faire figurer la mention de leur origine sur les produits européens en dehors des labels de qualité. Un signe tel que le Label rouge n'a cependant aucune signification sur des marchés lointains tels que le marché asiatique ; le symbole de la France à l'étranger, c'est principalement la Tour Eiffel. Les Anglais peuvent apposer un tel label parce qu'il est financé par des fonds privés ; mais il nous serait impossible de mettre en place un tel étiquetage s'il devait être financé par FranceAgrimer. C'est un réel problème, et les interprofessions ont interpellé les autorités européennes sur ce sujet.

Il nous paraît cependant plus important de parvenir à faire travailler ensemble les différentes filières et les différents acteurs du secteur, ce qui peut se révéler complexe. Il a été très difficile d'imposer la mention « France Bon appétit » aux entreprises, qui sont attachées à leur marque propre. La diffusion à la télévision d'une campagne multiespèces mettant en avant l'origine française des produits pour l'association de promotion de la volaille française (APVF), qui a lieu en ce moment, constitue une première. Le regroupement depuis deux ans sur un stand français commun d'Inaporc et Interbev dans les divers salons - auxquels nous espérons adjoindre les représentants de la production de volaille dans les trois prochaines années - marque déjà une étape importante dans ce travail de longue haleine. Par ailleurs, les labels doivent correspondre à une demande ; c'est le cas de la marque Charlux en Allemagne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On pourrait imaginer qu'un label commun figure sous des marques différenciées selon les marchés.

Mme Renée Nicoux . - Cela va dans le sens de l'action du club « Produire en France » que je préside, et qui travaille sur des labels et des signes qui soient identifiables en France comme à l'étranger. Cette démarche est très importante, d'autant qu'on ne dit pas suffisamment que les produits alimentaires français sont peut-être à la France ce que la Mercedes est à l'Allemagne.

M. Jackie Pierre . - Nous importons également des produits carnés, peut-être encore davantage que nous n'en exportons. Trouve-t-on dans d'autres pays européens une organisation telle que la vôtre pour la promotion des produits ?

M. Pierre Montaner . - Notre solde commercial s'est dégradé l'année dernière sur la viande, principalement sur la viande bovine, et sera négatif à partir de 2013 alors qu'il était excédentaire de 2 milliards d'euros il y a dix ans. Notre perte de compétitivité résulte surtout du prix de nos produits. Nous manquons également de production pour pouvoir fournir les marchés étrangers, non seulement dans le secteur de la viande mais également dans les fruits et légumes. Nos concurrents profitent de cette faiblesse : les Allemands sont ainsi devenus les premiers producteurs de porc et d'asperges. Ce problème majeur ne peut être réglé qu'au niveau français.

La plupart des pays européens disposent de structures comparables à Sopexa ou Ubifrance. Dans les années 1960 ou 1970, l'Espagne a mis en place un organisme dénommé Isex, qui constituait une sorte de combinaison entre ce que sont aujourd'hui Ubifrance et Sopexa. Il existait également un organisme comparable à Sopexa en Allemagne, CMA, qui a été dissous ; cette activité y relève désormais du niveau des Länder. Au Royaume-Uni, les attributions de la structure Food from Britain ont été reprises par des sociétés privées qui assurent des missions similaires au nôtres et à celles d'Ubifrance.

L'Irlande, le Brésil et l'Argentine ont également des programmes de communication centrés sur le consommateur et les chaînes de distribution. Certains pays en revanche ne communiquent pas sur leurs produits à l'étranger. C'est par exemple le cas de la Pologne, qui fonde sa compétitivité davantage sur le prix que sur la qualité des viandes exportées.

M. Georges Labazée . - J'ai noté que le Danemark exportait de la viande vers l'Espagne. Quelle est notre place sur le marché espagnol ? Les exportations danoises concernent-elles des morceaux particuliers ?

M. Pierre Montaner . - Nous exportons également des produits vers l'Espagne - environ 80 000 tonnes de viande -, notamment de la viande bovine et porcine, des abats ou encore du cheval. L'Espagne ne constitue cependant pas un marché prioritaire pour nous, d'autant qu'elle est aussi notre concurrente sur d'autres marchés. Il nous faut d'abord travailler sur les marchés sur lesquels nous pouvons obtenir la meilleure plus-value. Un outil informatique créé par Inaporc et repris par FranceAgrimer permet de collecter des informations précieuses sur ce point précis.

J'aimerais insister sur une autre question. La qualité et la traçabilité constituent aujourd'hui une condition nécessaire pour toute exportation. Elles ne sont cependant plus suffisantes : une qualité standard est attendue pour tous les produits et le contrôle sanitaire peut être revendiqué par la plupart des pays - bien que nous puissions avoir l'impression d'être le pays le plus strict en la matière. Nous devons dès lors mettre en valeur d'autres éléments de différenciation de nos produits, comme par exemple son prix ou ses qualités gustatives.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelle est la place des produits halal et casher dans nos exportations ?

M. Pierre Montaner . - Nos exportations de volaille vers le Moyen-Orient concernent bien sûr des produits halals. En dehors de ce cas, de faibles volumes vers la Malaisie, et de petites quantités de viande bovine vers les Émirats arabes unis, nous n'exportons pratiquement pas de viande halal et casher. Nous rencontrons globalement de grandes difficultés pour l'exportation des produits halals en raison des différentes obédiences des mosquées, notamment entre les mosquées lyonnaise et parisienne. L'Espagne rencontrerait moins de problèmes sur ce point en raison de l'aura particulière de la mosquée de Grenade.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces précieuses informations.

Audition de MM. Hervé Guyomard, directeur scientifique et Jean-Louis Payraud, directeur de la recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) (mercredi 24 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir l'Institut national de la recherche agronomique.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur. - En guise d'introduction, permettez-moi de citer l'une de vos consoeurs, Jocelyne Porcher, chargée de recherche à l'INRA : « Dans notre monde radicalement artificialisé, seuls les animaux, en nous rappelant ce qu'a été la nature, nous permettront peut-être de nous souvenir de notre propre humanité. Mais saurons-nous vivre avec eux ? Le voulons-nous encore ? Car l'abattage de masse des animaux, considérés comme de simples éléments des productions animales, leur inflige une terreur et une souffrance insoutenables qui désespère les éleveurs. L'élevage, après 10 000 ans d'existence, est aujourd'hui souvent décrit comme une nuisance pour l'environnement comme pour notre santé, une condamnation reposant sur une confusion entre élevage et production animale dont il nous faut comprendre les enjeux. » En tant que scientifiques, comment voyez-vous l'agriculture de demain ? Comment faire en sorte que les agriculteurs français puissent vivre décemment de leur travail, dans le respect de l'environnement, des animaux et des consommateurs ? Comment nourrir la planète en 2050 lorsqu'elle comptera 9 milliards d'êtres humains ?

M. Hervé Guyomard, directeur scientifique de l'INRA . - L'INRA mène des exercices de prospective intitulés « Agrimondes » sur la thématique « Nourrir la planète ». Nous étudions notamment la question de l'utilisation des terres, une problématique qui concerne directement l'élevage.

Nous avons acquis la conviction qu'il sera possible de nourrir 9 milliards d'êtres humains à la condition de jouer sur plusieurs leviers simultanément. Du côté de l'offre, il faudra augmenter la production sans augmenter la superficie des terres utilisées, car elles devront être préservées pour des raisons environnementales afin de préserver la biodiversité et le stockage de carbone. Il faudra augmenter les rendements dans les zones où ils sont faibles et les maintenir là où ils sont élevés. Il faudra aussi agir sur la demande, et notamment réduire les gaspillages. 30 % de la nourriture est perdue dans le monde actuellement, à parts égales au Sud et au Nord : au Nord lors de la distribution et de la consommation, au Sud lors des récoltes et après les récoltes.

Mais le principal levier d'action à long terme reste l'éducation. Il ne faut sans doute pas généraliser le modèle de consommation occidental à l'ensemble de la planète. Il faut donc réduire la consommation de produits carnés là où elle est excessive. Il faudra à l'inverse l'augmenter là où elle est insuffisante. Rappelons en outre que les productions animales assurent de par le monde de nombreux services, font vivre beaucoup d'agriculteurs, sont une source d'engrais mais aussi de patrimoine pour les pauvres de la planète.

Les filières animales connaissent aujourd'hui des difficultés liées à trois facteurs : le prix élevé de l'alimentation - c'est le point essentiel -, car le prix élevé des céréales grève les coûts de production. Le deuxième est la question environnementale. Le troisième est la diminution de la consommation de viande rouge en France et en Europe. La viande rouge est considérée comme chère et la société y est moins favorable car une surconsommation de viande rouge est perçue comme dangereuse pour la santé. Du coup, la consommation a diminué de 5 à 10 kg équivalent carcasse par personne et par an en France depuis 20 ans même si nous restons les plus gros consommateurs de viande rouge en Europe avec les Irlandais. Sur les quinze dernières années, la viande blanche tend à remplacer la viande rouge car elle est moins chère et bénéficie d'une meilleure image. Le point positif est que la demande mondiale est malgré tout en augmentation.

Les niveaux de prix des céréales resteront élevés, peut-être avec une volatilité plus importante. Les équations d'équilibre entre l'offre et la demande au niveau mondial ne nous conduisent pas à envisager que les prix puissent s'effondrer même si des accidents sont toujours possibles. Les phénomènes lourds de croissance démographique et d'urbanisation font que l'on consomme plus de produits carnés. La réforme de la PAC devra prendre en compte ces différents enjeux pour l'élevage.

M. Jean-Louis Payraud, directeur de recherche à l'INRA . - Le prix élevé de l'alimentation est une grande source de difficultés pour les éleveurs mais il est possible d'en atténuer les effets en diminuant par exemple la consommation de concentré par kilogramme de viande produite, car cette consommation est excessive aujourd'hui.

L'environnement est un problème au niveau global mais pas au niveau local : dans certaines zones, le vrai problème est celui de la productivité des surfaces.

La sinistrose dans les élevages français me paraît excessive car d'autres pays ont les mêmes difficultés que nous mais vont beaucoup plus de l'avant, par exemple les Irlandais qui connaissent actuellement une phase d'euphorie avec la fin des quotas laitiers. Les Hollandais sont eux aussi plus optimistes car ils croient davantage en la science pour trouver des solutions.

M. Hervé Guyomard . - Il ne faut pas oublier que les revenus de l'élevage ont déjà été moins bons par le passé qu'ils ne le sont aujourd'hui. Le problème vient de la comparaison avec les grandes cultures puisqu'il existe un écart de revenus de 1 à 3 voire 4 avec un travail beaucoup plus important à accomplir pour les éleveurs. Je crois vraiment que la comparaison avec ce que gagne le voisin pour un temps de travail inférieur a des effets dévastateurs sur le moral des éleveurs. C'est ce qui explique que des agriculteurs refusent aujourd'hui de se lancer dans la production animale se spécialisent dans les grandes cultures, s'ils en ont la possibilité.

M. Jean-Louis Payraud . - Une récente enquête de l'Institut de l'élevage dans une ferme de l'Est de la France pratiquant la polyculture montre que l'heure de production de céréales est rémunérée six fois plus que l'heure de production animale. C'est ce qui conduit les agriculteurs à cesser la production animale dès qu'il existe un problème de main d'oeuvre ou un changement de génération à la tête de l'exploitation. De gros élevages très performants décident de produire uniquement des céréales, ce qui est très symptomatique de la crise de l'élevage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pour mener un veau à l'âge adulte, l'éleveur doit accomplir un travail considérable et attendre plusieurs années avant de vendre son animal. Dans la production de céréales, les contraintes apparaissent bien moindres. Quelle est votre analyse sur ce point ? Les veaux français sont d'ailleurs engraissés en Italie avec du maïs français.

M. Jean-Louis Payraud . - Je ne pense pas qu'il s'agisse de maïs français. Vous évoquez le cas des broutards français, qui se font engraisser en Italie. Il s'agit d'un marché très lucratif, mais les Italiens de la plaine du Pô vont être rattrapés par les problèmes d'environnement. L'obligation de ne pas dépasser le seuil de 50 mg de nitrates par litre pour les eaux de surface va les contraindre à réduire leur utilisation d'azote organique. Cela risque d'ailleurs d'être un problème pour les éleveurs du Massif Central dont l'Italie constitue le débouché. Le renchérissement du coût des céréales affecte également considérablement la rentabilité de l'activité des engraisseurs italiens.

M. Gérard Bailly . - Nous évoquions à l'instant les exploitations laitières. De quelles projections disposez-vous concernant la disparition des quotas en 2015 ? Quand on voit le nombre de fermetures d'exploitations laitières, existe-t-il vraiment un risque de surproduction laitière ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En outre, cela risque de poser plusieurs problèmes pour la filière viande : afflux sur le marché de viande bovine de réforme, disparition de certaines races...

M. Hervé Guyomard . - Nous avons travaillé sur les conséquences de la sortie des quotas laitiers. Elle devrait être favorable aux revenus des producteurs laitiers en raison d'une demande européenne et mondiale en augmentation. Mais nous devrions assister à une concentration des exploitations, en particulier dans l'Ouest, le Nord et l'Est. Il est vrai que nos études ont été réalisées avant que les céréales atteignent les cours qui sont les leurs aujourd'hui. Les fermetures d'ateliers de production de lait avaient donc été sous-estimées. Les revenus des producteurs restant n'en seront que plus élevés. La réponse à la pénibilité du travail est l'agrandissement de la taille des exploitations et le recours aux robots de traite.

Il ne devrait pas y avoir d'afflux de viande sur le marché.

M. Georges Labazée . - Quel sera l'impact de la nouvelle PAC sur l'élevage ?

M. Hervé Guyomard . - La réforme de la PAC telle qu'elle se dessine pénaliserait les élevages intensifs de l'Ouest qui bénéficient de primes à l'hectare plus élevées que les céréaliers et leurs collègues du Massif central. Toute la question est de savoir dans quelle mesure le dispositif de surprime des 50 premiers hectares permettrait de contrebalancer ce phénomène. En tout état de cause, ces aides n'auront pas d'effets puissants sur les décisions des producteurs, même si elles viendront compléter leurs revenus.

M. Jean-Louis Payraud . - Avec la nouvelle PAC, les éleveurs vont globalement gagner en primes, mais la répartition des élevages sur certains territoires risque de changer, tant pour les producteurs de lait que de viande.

M. Hervé Guyomard . - L'élevage de ruminants français se caractérise par sa grande hétérogénéité. Certains agriculteurs peinent à passer le point mort. L'effort de restructuration des éleveurs a été plus tardif que celui des céréaliers. Il n'y a pas non plus de grands industriels capables de porter le secteur contrairement à ce qui existe pour le végétal, même s'il existe des acteurs forts dans le lait.

M. Georges Labazée . - Vous n'évoquez pas les productions spécialisées comme par exemple dans ma région la production de foie gras. Il y a là des sources de richesses non négligeables, qui vont bien au-delà de simples marchés de niches. La coopérative Euralis est partie en Chine avec le Président de la République et va créer une unité de production avec un million de canards chinois pour pouvoir exporter ensuite des produits en Chine.

M. Hervé Guyomard . - Euralis est déjà en Chine mais la vraie question est celle d'une éventuelle augmentation de la production locale en France, qui est tout sauf certaine. Les productions animales sont déjà très différenciées en France avec une grande richesse gastronomique, en matière de viande et de produits laitiers. La capacité à avoir une différenciation supplémentaire est assez mince. Arriverons-nous à vendre sur des marchés étrangers des produits différenciés et présentant une véritable valeur ajoutée ? Je pense qu'Euralis va produire ses canards en Chine.

M. Gérard Bailly . - Nous parlons des animaux, mais se pose aussi la question des carcasses. Des animaux très lourds sont présentés au Salon de l'Agriculture alors que cela ne correspond pas aux attentes du marché, qui souhaite des carcasses moins lourdes. La recherche doit-elle viser à réduire la taille des carcasses ?

M. Jean-Louis Payraud , directeur de recherche à l'INRA. - Il s'agit d'un problème de gestion des filières. Les grands industriels de la viande demandent avant tout des quartiers avant pour produire des steaks hachés : des carcasses de vaches laitières de réforme peuvent leur convenir. Ils ne recherchent pas nécessairement des carcasses très conformées.

Pour autant, on trouve toujours des éleveurs qui continuent à travailler sur des animaux de plus en plus lourds alors même que les consommateurs ne désirent pas acheter une côte de boeuf charolais, beaucoup trop grosse !

M. Gérard Bailly . - L'avenir de la filière viande dépend de la taille des carcasses.

M. Georges Labazée . - Faites-vous des recherches sur les circuits de commercialisation de la viande ? Quel est le rôle des traders ?

M. Hervé Guyomard . - Nous ne travaillons pas sur ces sujets. Nous étudions par contre l'efficacité des mesures de traçabilité. Nous étudions aussi l'économie des filières, y compris les cas de fraude.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les scientifiques recherchent-ils l'animal parfait qui consommerait peu et ne polluerait plus ? Peut-on envisager de produire de la protéine animale sans animaux ?

M. Jean-Louis Payraud . - Avec les progrès de la génétique et de la sélection génomique, il est possible de beaucoup mieux contrôler la longévité et la durabilité des animaux. Les recherches portent aussi beaucoup sur l'alimentation, afin de réduire les rations consommées et les rejets chez les monogastriques. Aujourd'hui une poule, qu'elle soit pondeuse ou qu'il s'agisse d'un poulet de chair, émet 60 % de phosphore en moins et 30 à 35 % d'azote en moins que dans les années 1980 pour une même production de viande. Des progrès manifestes ont été accomplis. Il sera difficile d'aller beaucoup plus loin mais on pourrait imaginer nourrir l'animal par des machines exactement selon son phénotype. Si la société l'accepte, la technique pourra le réaliser.

La question de cet animal idéal très efficient se pose en particulier pour les ruminants. Nous y réfléchissons actuellement à l'INRA. Quel animal efficient veut-on ? L'indice de consommation est-il si important pour une vache laitière ? Je pense que l'animal idéal sera un animal qui valorise très efficacement la cellulose, par des fourrages ou des coproduits variés. La qualité gustative peut être recherchée par les races et par les techniques de production.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut en effet accorder beaucoup d'importance à la qualité de la viande.

M. Hervé Guyomard . - On peut examiner la performance des éleveurs sous l'angle de la robustesse des animaux et de la qualité mais si on améliore l'un des critères, on détériore souvent l'autre. Parviendrons-nous demain, avec les progrès de la génétique, à réduire cet arbitrage entre qualités zootechniques et autres qualités des animaux ? Je crois que cela sera possible mais il s'agit d'un choix politique : quel animal veut-on, dans quels territoires, pour quelle consommation ?

M. Gérard Bailly . - L'élevage pollue-t-il la planète ? Les chiffres qui nous sont donnés sont-ils sérieux ?

M. Jean-Louis Payraud . - Les ruminants émettent du méthane. C'est la contrepartie de la digestion de cellulose. Les émissions de méthane par les ruminants français ont diminué en un siècle en raison de la réduction de la taille du cheptel. Accuser les ruminants d'être responsables du réchauffement de la planète est donc tout à fait excessif.

Il est possible de limiter les émissions de méthane par les ruminants grâce à des additifs alimentaires. Aujourd'hui, les graines de lin réduisent les émissions et ont aussi l'avantage d'augmenter la teneur en omégas 3 des viandes. Cette solution coûte cher et reste globalement marginale. Le seul autre additif qui pourrait avoir de l'effet serait le nitrate mais il faudrait des quantités très importantes susceptibles de mettre en danger la santé des animaux. On peut progresser sur l'efficience des rations mais les effets seront minimes. L'autre façon de réduire l'empreinte carbone est de considérer l'animal dans son système, en particulier dans la prairie, en étudiant les méthodes de culture permettant de stocker le carbone.

L'affichage environnemental pénalisera toujours la production animale si l'on s'en tient aux émissions de gaz à effet de serre car la production animale est une production secondaire qui par définition pollue plus que la production de végétaux, puisqu'il faut d'abord produire des végétaux pour nourrir les animaux. La piste d'affichages multidimensionnels de l'empreinte environnementale, étudiée notamment dans le cadre de programmes financés par le Compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR), serait à cet égard particulièrement intéressante.

M. Hervé Guyomard . - Il faut toujours vérifier, lorsque l'on met en place des affichages environnementaux, que la base de comparaison est bien valable. Certes, la taille du cheptel français conduit à afficher une plus grande pollution animale que chez nos voisins européens mais notre industrie nucléaire nous permet par ailleurs d'éviter beaucoup d'autres pollutions. Il faut regarder l'ensemble du tableau. Comment assurer un étiquetage aussi complet que possible qui puisse en même temps rester lisible ?

M. Gérard Bailly . - Pouvons-nous prévoir un étiquetage très exigeant en matière d'empreinte carbone pour les seuls produits français ? Cela ne risque-t-il pas de les pénaliser ?

M. Jean-Louis Payraud . - Tous les pays le font et les Irlandais ont déjà certifié 70 % de leurs élevages en matière d'empreinte carbone.

M. Hervé Guyomard . - Les difficultés viennent essentiellement des nouveaux États membres. Il faut arriver à ce que la réglementation soit européenne.

M. Jean-Louis Payraud . - Il faut aussi garder à l'esprit que le troupeau français est très atypique en Europe, avec un gros troupeau allaitant. Or l'empreinte carbone est très sensiblement plus forte sur le kilogramme de viande bovine que pour les autres animaux d'élevage.

M. Hervé Guyomard . - Le consentement à payer ou à ne pas payer du consommateur pour une viande plus respectueuse de l'environnement est très faible.

M. Jean-Louis Payraud . - La viande in vitro , sur laquelle vous nous avez interrogés, n'est pas un grand sujet d'études. Techniquement, on peut faire de la recherche sur les cellules indifférenciées du muscle des animaux, que l'on met en culture avec des hormones de croissance. Aujourd'hui on parvient seulement à réaliser des plaquettes d'un micron d'épaisseur et pas du tout un steak !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'ai relevé dans plusieurs rapports scientifiques concernant l'abattage sans étourdissement préalable que les bovins peuvent connaître une agonie avant perte de conscience allant jusqu'à 14 minutes. Quand on sait qu'on abat un bovin toutes les deux minutes dans les abattoirs, on peut s'interroger sur la souffrance des animaux ! Quelles sont les conclusions de l'INRA sur ce type d'abattage ? Quel est l'impact de cet abattage sur la qualité et la salubrité de la viande ? Des responsables religieux nous disent que les animaux ne souffrent pas, faut-il les croire ? Comment améliorer la situation face à ces pratiques qui paraissent inconcevables en 2013 ? D'après-vous l'étourdissement préalable pourrait-il être une solution pour lutter contre cette souffrance animale ?

M. Hervé Guyomard . - Notre étude sur la souffrance animale se basait sur la littérature scientifique. Nous allons interroger nos chercheurs spécialisés sur cette question pour vous renseigner davantage.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Merci pour cet intéressant échange.

Audition de Mme Anna Lipchitz, conseillère technique chargée de la politique commerciale au cabinet de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur (jeudi 25 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous avons conviée pour mieux appréhender la place de la filière viande dans nos échanges extérieurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous donner les chiffres clés sur les exportations et importations françaises en viande ainsi que votre analyse des forces et faiblesses de notre filière viande qui expliquent ces résultats ? Je m'interroge également sur les distorsions de concurrence avec nos voisins européens, notamment l'Allemagne qui rémunère ses salariés au salaire minimum de leur pays d'origine : comment réagissons-nous à cette forme de « dumping » ? Enfin, je souhaiterais connaître le volume global de notre commerce extérieur en viande casher et halal.

Mme Anna Lipchitz, conseillère technique chargée de la politique commerciale au cabinet de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur . - Je rappellerai tout d'abord le contexte général. Le Gouvernement s'est fixé un objectif de rééquilibrage du solde de notre balance commerciale. La contribution du secteur agroalimentaire y est essentielle. En 2012, il conserve son rang de deuxième secteur en excédent commercial avec une balance commerciale positive de 11,5 milliards d'euros, malgré des importations en augmentation légèrement plus rapide que les exportations (+ 2,7 % et + 2,3 %). La France était en 2011, avec 5,6 % des parts de marché, le cinquième exportateur mondial pour tous les produits agroalimentaires après les États-Unis, les Pays-Bas, l'Allemagne et le Brésil. Ce secteur fait partie des quatre familles prioritaires à l'exportation que le Gouvernement a choisi de développer. On note cependant un essoufflement de cette performance globale. Ce sont principalement les vins et spiritueux ainsi que les produits laitiers qui génèrent des excédents commerciaux tandis que les exportations de viande connaissent un déclin relatif. La viande représente 8,4 % du total des exportations et 12 % des importations de produits alimentaires. Depuis 2005, le commerce de la viande est déficitaire pour la France. En 2012, le solde s'est à nouveau détérioré atteignant près de - 686 millions d'euros, contre - 323,3 millions d'euros en 2011, ce qui s'explique par la combinaison d'une stabilité des exportations, malgré une dégradation notable dans le secteur de la volaille, tandis que les importations progressent de 7,5 %.

Or la filière viande est très importante au regard de la question de l'emploi. La production de produits carnés en France concerne 40 000 éleveurs dans le secteur viande bovine, 20 000 dans le secteur porcin et 20 000 dans la filière volaille. Pour sa part, l'industrie de la transformation de la viande emploie près de 50 000 salariés. Par ailleurs, la production de viande revêt une dimension territoriale. Enfin, elle est au coeur de la problématique de la sécurité sanitaire.

Dans ce contexte, le rôle du ministère du commerce extérieur est d'appuyer l'internationalisation des entreprises du secteur et de souligner que la qualité de la viande française est un avantage comparatif important alors que la demande mondiale est en hausse, avec une croissance des besoins des pays émergents. Nous avons identifié des pays à cibler de façon prioritaires à la fois au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde. Ces pays devraient représenter, en 2022, 53 % des exportations agroalimentaires, l'Asie occupant une place prépondérante au sein des pays tiers. C'est pourquoi un comité Asie a été mis en place conjointement avec le ministère en charge de l'agriculture pour réunir l'ensemble des acteurs afin de mieux les soutenir. Je souligne au passage l'importance de la composante génétique parmi les atouts de notre secteur de la viande.

La conduite des négociations commerciales constitue l'autre volet de notre action. L'Union européenne s'apprête à lancer des discussions de libre échange avec les États-Unis qui visent à une diminution des barrières tarifaires et non-tarifaires. Ces négociations sont particulièrement importantes dans le secteur de la viande, puisqu'après avoir conclu des accords plutôt bénéfiques avec la Corée, qui en importe beaucoup, l'Union européenne doit maintenant traiter avec des pays plus compétitifs que le nôtre dans le secteur de la viande, comme le Canada ou les États-Unis.

Par ailleurs, j'ajoute que 65 % de la valeur de nos exportations provient d'échanges d'animaux vivants qui incorporent bien entendu moins de création de valeur ajoutée que la vente de produits transformés. Ces exportations se heurtent à des barrières qui sont beaucoup plus fortes que dans les autres secteurs agroalimentaires. A l'inverse, les exportations de viande allemande sont très dynamiques - de l'ordre de + 10% par an environ - plus concentrées dans le hors sol - porc, volaille - et concernent des produits transformés.

Notre pays demeure le 7 e exportateur de viande, derrière les États-Unis, le Brésil, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Australie et le Danemark. Notre position est stable, mais nous perdons cependant des parts de marché, qui selon les données provisoires pour 2012 diminueraient à 3,9 %.

M. André Dulait . - On constate une chute brutale et rapide de nos exportations de volailles vers l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Avez-vous des explications à ce phénomène dont les facteurs semblent non seulement économiques mais aussi politiques.

Mme Anna Lipchitz . - Avant de répondre à votre question, très précise et très importante pour le secteur de la volaille, je rappelle au préalable que la viande s'échange globalement très peu puisque le commerce mondial porte sur seulement 6 % de la production de porcins, 11 % des bovins et 12 % des volailles. Les exportations mondiales de volailles augmentent fortement de + 18 %. Cette demande provient de pays comme le Japon, l'Arabie saoudite, Hong-Kong, l'Allemagne et le Royaume-Uni. La viande blanche bénéficie d'une image positive du point de vue de la santé. Malheureusement, au même moment, notre appareil de production décline.

Les exportations mondiales de viande bovine augmentent de 16 %, avec des marchés très porteurs comme le Japon, les Pays-Bas et le Canada. La production de viande de porc, qui est la deuxième consommée au monde, est en grande partie absorbée par l'Asie, mais il faut s'attendre à une demande croissante en provenance d'Afrique.

M. André Dulait . - J'observe que l'apparition d'un nouveau virus en Chine pourrait avoir un effet positif sur la demande de nos produits...

Mme Anna Lipchitz . - ...d'autant que les produits français bénéficient d'une réputation de sécurité sanitaire très forte.

Par ailleurs, s'agissant des explications de nos performances, on constate tout d'abord que notre tissu de production est composé d'entreprises de petite taille : on compte 68 % de très petites entreprises (TPE) dans l'agroalimentaire et 55 % dans la viande, ce qui a nécessairement des conséquences sur les capacités d'innovation et d'investissement du secteur. De plus notre appareil de transformation fonctionne en sous-capacité. En revanche, la petite taille des entreprises favorise la souplesse d'adaptation et le développement de produits de qualité.

En Allemagne, la pression des prix, poussés vers le bas par la grande distribution, a contraint les entreprises à industrialiser l'appareil de production et à innover. On constate aussi en France une tendance à la concentration mais qui est limitée par des préoccupations environnementales et en raison d'une transcription plus restrictive des normes européennes

M. André Dulait . - Notre stratégie n'est-elle pas un peu contradictoire ? En effet, nos petites entreprises portent une image de terroir, mais pour exporter, les grandes entreprises sont mieux armées. En Allemagne, les producteurs se regroupent pour favoriser les exportations : n'y a-t-il pas là une piste que nous pourrions suivre ?

Mme Anna Lipchitz . - Nous nous posons souvent la question. Je fais cependant observer qu'une concentration excessive peut parfois nuire à la compétitivité. D'autres facteurs que le prix entrent en ligne de compte dans les stratégies à l'export. Je signale qu'une très intéressante étude de FranceAgriMer évoque les menaces structurelles sur l'agriculture allemande, avec un modèle qui risque d'atteindre ses limites. Ainsi, les ministres allemands verts dans les Länders - en Basse-Saxe depuis février 2013, en Bade-Wurttemberg et en Rhénanie-Westphalie - pourraient promouvoir une politique plus restrictive en matière de construction d'élevages et d'abattoirs, avec un relèvement des normes de protection des animaux. La coalition des verts avec le SPD souhaite également l'introduction d'un salaire minimum légal de 8,50 euros de l'heure dans les entreprises agroalimentaires. Les abattoirs et entreprises de découpe sont nommément visés. Ils pratiquent des salaires de 4 à 5 euros aujourd'hui. Des crises sanitaires plus fréquentes ces dernières années sont apparues outre-Rhin et les capacités de réaction de l'administration allemande face à ces crises sanitaires sont parfois ralenties par le fédéralisme. La méfiance de la population est de plus en plus marquée vis-à-vis de l'élevage. Bref, le modèle allemand est menacé d'essoufflement.

En France, le coût du travail salarié a augmenté de 7 % entre 2008 et 2010, contre 2 % en Allemagne, qui a par ailleurs bénéficié de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Mais je ne crois pas que la diminution du coût de la main-d'oeuvre soit la bonne solution pour notre pays, bien au contraire. La France a aussi pris une longueur d'avance en matière de protection de l'environnement, ce qui pourrait finalement nous être bénéfique puisque les autres pays devront sans doute se hisser au niveau que nous avons atteint en termes de normes sociales et environnementales.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous n'envisageons pas du tout de prôner une baisse de salaires ! Vous nous dites que la situation devrait s'améliorer. Pourquoi ne pourrions-nous pas également tirer la sonnette d'alarme à propos des bas salaires versés dans les abattoirs allemands : le Gouvernement envisage-t-il d'agir ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On recense 7 000 méthaniseurs en Allemagne contre moins de 100 en France et il est difficile d'imaginer que les allemands pourraient remettent en cause le biogaz, or il assure une part importante du revenu des éleveurs.

Mme Anna Lipchitz . - Je suis convaincue que la France ne doit pas être complexée par rapport aux produits allemands. Nous pouvons nous appuyer sur d'autres facteurs que la compétitivité-prix et, comme vous le savez, la filière viande va elle aussi bénéficier du choc de simplification administrative que le Gouvernement met en place.

Nous disposons de vrais atouts. Notre potentiel d'exportation dans le domaine des semences et de la génétique animale est considérable. Il faut aussi développer de nouveaux segments de l'offre agroalimentaire. Par rapport à l'Italie, la France est peu présente sur les produits intermédiaires. Il nous faudrait combler ce retard en travaillant avec la grande distribution à l'étranger sur la distribution de tels produits.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi ne pas créer un logo « made in France » représentant, par exemple, une Tour Eiffel ?

M. André Dulai t. - Sur les produits canadiens, on peut lire : « Fait avec fierté au Canada ».

Mme Anna Lipchitz . - Nous avons effectivement besoin de réaffirmer la territorialisation de nos produits. On estime que les produits agricoles et alimentaires sous indication géographique (IG), qui répondent donc à un cahier des charges plus exigeant en termes de traçabilité, bénéficient d'une meilleure valorisation sur le marché européen, de l'ordre de 1,55 point. Les produits carnés sous IG sont encore mieux valorisés que la moyenne, avec un prix multiplié par 1,80, tandis que l'indication géographique est moins valorisante pour les viandes fraîches, avec seulement un facteur de 1,16.

M. Gérard Bailly . - Je partage votre point de vue sur l'orientation de nos produits vers le qualitatif. Je continue à penser que la France pâtit d'une certaine surenchère normative. Or pour exporter, il faut d'abord produire. Notre production décline, comme en témoigne les fermetures d'exploitations laitières. Il faut donc avant tout soutenir notre élevage. Je serai donc, dans l'ensemble, moins optimiste que vous. J'ajoute que la présence de prédateurs comme le loup décourage beaucoup d'exploitants. Enfin, je constate que les éleveurs allemands tirent quasiment la moitié de leurs revenus d'activités non directement liées à la vente de viande. L'agrandissement des exploitations est-il inéluctable ?

Mme Anna Lipchitz . - L'agrandissement des exploitations n'est pas une panacée. Il faut rechercher une taille optimale.

M. Alain Fauconnier . - C'est aussi un problème d'organisation. Certains éleveurs de mon département se sont, par exemple, fédérés pour produire de l'énergie, mais ils n'ont pas été soutenus. Il y a là un potentiel de réussite qui n'implique pas nécessairement l'agrandissement des exploitations agricoles.

Mme Anna Lipchitz . - Il faut aussi introduire dans le raisonnement les soutiens de la PAC. On estime qu'un éleveur français percevrait 50 % d'aides en moins que par rapport à ses homologues allemands.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous préciser la stratégie d'accompagnement de la filière à l'exportation ?

Mme Anna Lipchitz . - Je rappelle tout d'abord la mise en place d'un pilier export de la Banque Publique d'Investissement (BPI), qui vise à renforcer l'internationalisation des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ainsi la BPI disposera-t-elle de bureaux régionaux composés d'une équipe de développeurs à l'international, qui auront vocation à détecter, accompagner et suivre dans la durée des entreprises disposant d'un potentiel à l'exportation. Sur le modèle de ses ingénieurs d'affaires, des agents d'Ubifrance prendront leur place aux côtés des collaborateurs de la BPI chargés des financements, des fonds propres, des prêts et de l'innovation, dans ce qui constituera la porte d'entrée unique pour l'international, simplifiant ainsi la démarche pour les entreprises.

Le pacte national pour la croissance, la compétitivité de l'emploi a fixé à 1 000 le nombre de PME et d'ETI de croissance devant faire l'objet d'un tel accompagnement personnalisé. L'identification des entreprises qui bénéficieront du soutien personnalisé en croisant plusieurs critères susceptibles de définir leur potentiel exportateur - taille, secteur d'activité, caractère innovant, localisation régionale, indépendance vis-à-vis d'un grand groupe... -, est actuellement en cours, en lien avec les Régions, Ubifrance, la Coface, Oséo et le Fonds stratégique d'investissement. Ces ETI et PME devront en principe évoluer dans l'une des quatre filières considérées comme prioritaire par la ministre du Commerce extérieur le 3 décembre 2012 - « Mieux vivre en ville », « Mieux se nourrir », « Mieux se soigner », « Mieux communiquer » -. Pour ces entreprises, Ubifrance mettra en place des prestations sur mesure, inscrites dans la durée et répondant à leur projet personnalisé de développement international.

L'accent sera mis sur une meilleure articulation de l'offre des dispositifs actuels de soutien financer à l'export (Oséo, Coface, Ubifrance) afin d'exploiter les synergies commerciales permises par la création des bureaux régionaux de la BPI. Dans le prolongement des recommandations du rapport de l'Inspection générale des finances dédié à ce sujet, nous devrions aboutir à une rationalisation de la distribution des instruments existants ainsi qu'à la mise en place de produits complémentaires destinés à couvrir des domaines dans lesquels l'action du secteur privé apparaît aujourd'hui défaillante comme l'amélioration de la trésorerie des PME et ETI exportatrices.

Nous réexaminerons également la logique des soutiens publics dans l'agroalimentaire. Le manque de cohérence du dispositif est budgétairement coûteux, économiquement peu efficace et porteur de risque au regard du droit communautaire. Une des pistes éventuelles de progrès serait de constituer une agence spécifique.

Par ailleurs, le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) bénéficiera à hauteur de 700 millions d'euros aux industries agroalimentaires.

Enfin, la diminution des barrières non tarifaires est une de nos priorités : dans le secteur de la viande, 70 jours par an sont consacrés au traitement des divers documents requis pour exporter aux États-Unis suite à la maladie de la vache folle, des embargos ont été mis en place et n'ont pu être levés que très récemment.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne devrait-on pas, nous aussi, durcir les conditions d'accès à nos marchés intérieurs ?

Mme Anna Lipchitz . - Nous travaillons sur le thème de la réciprocité, notamment pour faire valoir nos préférences collectives d'alimentation non génétiquement modifiée.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour toutes ces indications.

Audition de MM. Jean-Pierre Kieffer, président, et Frédéric Freund, directeur de l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir (OABA) (jeudi 25 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir les représentants de l'OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir (OABA), association engagée dans la promotion du bien-être animal.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Votre association milite contre l'abattage rituel sans étourdissement. Appartient-elle à un mouvement d'écologie radicale ou à un courant d'extrême-droite ? Par cette question, j'espère couper court à toute polémique sur les raisons politiciennes qui, selon certains, animeraient ceux qui se préoccupent des conditions d'abattage des animaux. Pouvez-vous nous présenter les différentes techniques d'abattage des animaux destinés à la consommation ? Quels sont les changements pour lesquels votre association milite ?

M. Jean-Pierre Kieffer, président de l'OABA . - Créée en 1961, l'OABA a été la première association à se préoccuper de la protection des animaux de ferme, de l'élevage à l'abattage. Elle a été reconnue d'utilité publique en 1965. Nous considérons qu'il faut se préoccuper de l'animal vivant et sensible dont provient la viande.

Il s'agit d'une association complètement apolitique et non militante. Ce n'est pas l'abattage rituel qui nous préoccupe en lui-même, mais les conditions de réalisation de l'abattage, avec ou sans étourdissement des animaux. Les productions halal et casher ne requièrent pas nécessairement que les animaux soient abattus sans étourdissement. C'est la dérive que représente la généralisation de l'abattage sans étourdissement, qui conduit à ce que soient proposés des produits issus d'un tel abattage à des consommateurs qui ne souhaitent pas consommer des produits halal ou casher, que nous regrettons. Le 13 avril dernier a eu lieu une manifestation à Guéret contre un projet d'abattoir entièrement halal : nous n'avons pas souhaité nous y associer car nous savions que cet événement risquait d'être récupéré par certaines mouvances politiques.

Notre association a été créée dans le but de rendre les conditions d'abattage des animaux plus acceptables. Jusqu'en 1964, aucune réglementation n'existait sur l'étourdissement des animaux. Le décret du 15 avril 1964, obtenu à force de pressions et de persévérance, a prévu une obligation d'étourdissement des animaux de boucherie et de charcuterie avant abattage, avec une exception pour l'abattage rituel.

Notre association fonctionne avec un secrétariat réduit : elle compte quatre personnes chargées de l'administration, auxquelles s'ajoute un directeur. Son conseil d'administration est composé de douze membres, parmi lesquels cinq vétérinaires, dont deux issus de l'administration du ministère de l'agriculture, deux avocats et un magistrat. L'OABA revendique ainsi une compétence à la fois technique et juridique. Une équipe de six délégués, composée d'anciens vétérinaires ou de directeurs d'abattoir à la retraite, réalise des visites d'élevages et d'abattoirs dans le but de réaliser une forme d'audit et de faire de la prévention sur les éventuelles mauvaises méthodes utilisées.

Lorsque nous sommes informés, le plus souvent par les services vétérinaires, qu'un élevage se trouve en état d'abandon de soins ou fait l'objet de mauvais traitements, nous sommes en charge de recueillir les animaux. Il s'agit d'une activité très importante pour l'OABA. Les animaux ainsi recueillis, principalement des bovins, sont placés dans des fermes d'accueil auxquelles nous payons des frais d'hébergement et des frais vétérinaires. Le budget que nous consacrons au sauvetage d'animaux maltraités ou abandonnés s'élève à 250 000 euros. Nous assumons seuls cette charge, sans aucune aide de l'État, des collectivités ou des professionnels. Comme pour toute association reconnue d'utilité publique, notre financement provient de dons ou de legs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelles sont les différences concrètes entre un abattage conventionnel et un abattage rituel ? Pourquoi la France n'impose-t-elle pas l'étourdissement préalable dans l'ensemble de ses abattoirs, alors même qu'il est autorisé par certains pays musulmans ?

M. Frédéric Freund, directeur de l'OABA . - L'abattage rituel est doublement dérogatoire au droit commun.

D'abord parce qu'il déroge à la règle selon laquelle les animaux doivent être étourdis avant leur abattage dans un souci de protection animale. Un avis de décembre 2012 de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) préconise l'étourdissement avant l'incision des jugulaires comme le standard pour limiter la douleur au moment de l'abattage. Des études scientifiques démontrent que de l'abattage rituel pratiqué sans étourdissement résulte pour l'animal non seulement une douleur au moment où on lui tranche la gorge, mais également une agonie post-égorgement qui peut durer plusieurs minutes. Le rapport d'expertise sur les douleurs animales publié par l'institut national de la recherche agronomique (INRA) en décembre 2009 précise que l'agonie peut durer jusqu'à 14 minutes chez les bovins. Selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'agonie des gros bovins abattus dure en moyenne 126 secondes.

La deuxième dérogation est la suivante : l'abattage rituel consiste à trancher la gorge, la peau, les artères et surtout la trachée et l'oesophage des animaux. Il s'agit d'une exception aux principes généraux de l'hygiène alimentaire fixés par le règlement européen n° 853/2004 et applicables au sein des abattoirs européens. Ce règlement précise en effet que la trachée et l'oesophage doivent rester intacts lors de la saignée afin d'éviter la contamination des viandes, sauf dans le cas d'un abattage religieux. Des problèmes d'hygiène peuvent effectivement survenir dans la mesure où il est difficile de ligaturer l'oesophage lors de la saignée, ce qui peut en outre être fait avec retard ; il peut alors en résulter une souillure des viandes de tête et des viandes de gorge, qui sont utilisées dans les pot-au-feu ou pour fabriquer des steaks hachés. En 2008, le docteur Gilli-Dunoyer, chef du bureau des établissements d'abattage à la direction générale de l'alimentation (DGAL), mettait ainsi en exergue dans une communication publiée dans le bulletin de l'Académie vétérinaire française le risque de contamination de la viande par cette technique d'abattage.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, pays fortement exportateurs de viande halal vers le Moyen-Orient, les viandes produites proviennent d'animaux insensibilisés lors de la saignée. En France, seule une minorité de sacrificateurs accepte l'étourdissement avant abattage. On perçoit chez les sacrificateurs les plus modernes une conscience de la douleur occasionnée par cette technique d'abattage et une volonté d'amélioration du rite. Cette minorité concerne presque uniquement la filière halal, les sacrificateurs musulmans étant beaucoup plus ouverts que les rabbins sur cette question - bien que lors de la dernière convention du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) de janvier 2013, le rabbin Krygier ait déclaré qu'une réflexion sur l'évolution du rite d'abattage n'était pas exclue dans un souci de protection animale.

M. Gérard Bailly . - Les éleveurs peuvent-ils s'opposer à ce que leurs animaux soient abattus sans étourdissement ?

M. Frédéric Freund . - Certains éleveurs nous ont adressé des demandes sur ce point. Les éleveurs qui conduisent directement leurs bêtes à l'abattoir peuvent contrôler les conditions d'abattage de leurs animaux soit en assistant à l'abattage, soit en les dirigeants vers un établissement qui ne pratique pas l'abattage rituel. Nous avons dressé à partir des arrêtés préfectoraux une liste des abattoirs français qui pratiquent systématiquement l'étourdissement, à destination à la fois des consommateurs et des producteurs. En revanche, il est impossible pour les éleveurs qui passent par des négociants de contrôler le mode d'abattage de leurs animaux. En tout état de cause, même lorsque l'éleveur indique « abattage rituel exclu » sur le bordereau de l'animal, l'abattoir n'est pas obligé de suivre cette prescription. Il n'y a aucun moyen juridique permettant à l'éleveur de s'assurer que ses animaux ne sont pas abattus sans étourdissement, sauf à ce qu'une convention écrite soit passée entre l'abattoir et l'apporteur d'animaux.

M. Gérard Bailly . - Certains éleveurs particulièrement attachés à leurs animaux préfèrent les faire piquer que les voir abattus. Est-on certain qu'un animal que l'on pique ne souffre pas ?

M. Frédéric Freund . - Lorsque le T61 est correctement utilisé, l'animal meurt en trois secondes.

M. Jean-Pierre Kieffer . - L'abattage rituel sans étourdissement soulève deux problèmes majeurs : la tromperie du producteur et du consommateur, et la souffrance de l'animal.

Sur le premier point, comme vient de l'exposer M. Freund, l'éleveur ne sait pas toujours quel sera le sort de ses animaux. Nous avons reçu des lettres particulièrement émouvantes de professionnels qui appliquent des normes européennes très strictes en matière d'élevage et de transport et qui ne comprennent pas que leurs animaux puissent être abattus selon une procédure qui ne correspond pas à la réglementation - d'autant plus lorsque la production est destinée à des consommateurs qui n'ont pas une exigence halal ou casher. Nous constatons aussi des réactions très fermes de la part de la confédération des boucheries artisanales et des charcutiers traiteurs, qui se voient obligés de mentir à leurs clients, ainsi qu'il l'ont exposé dans un récent communiqué de presse. Les professionnels comme les consommateurs réclament de la clarté.

C'est pourquoi la liste des abattoirs pratiquant l'étourdissement que nous avons éditée constitue une défense des professionnels de l'élevage. Notre association ne prône pas le végétarisme et son but n'est pas de nuire à l'élevage français. Nous souhaitons indiquer aux consommateurs qui le souhaitent qu'ils peuvent consommer de la viande produite en France et issue d'un animal abattu avec étourdissement dans un abattoir respectant la réglementation qui prévoit l'étourdissement des bêtes. Selon cette liste, 44 % des établissements d'abattage sont dans cette situation. Cette liste a été établie sans l'appui du ministère de l'agriculture, à partir d'une compilation des arrêtés préfectoraux qui sont nécessaires depuis le mois de mars 2012 pour qu'un abattoir puisse exercer son activité sans pratiquer systématiquement l'étourdissement. Particulièrement complète, elle est très précise sur les espèces animales concernées dans chaque abattoir.

Sur la question de la souffrance animale, il faut se représenter concrètement la scène d'abattage afin de bien saisir les enjeux. L'animal immobilisé soit debout, soit renversé, a la gorge tranchée par un opérateur plus ou moins habile, le plus souvent avec plusieurs coups de couteau. Il en résulte une plaie béante puisqu'on a coupé la peau, les muscles, les vaisseaux, la trachée, l'oesophage. L'animal est alors toujours vivant, et après une première chute, il retrouve ses esprits, se relève est commence une douloureuse agonie qui dure en moyenne de deux à cinq ou six minutes - quatorze minutes étant une durée extrême, qui concerne plutôt les vaches laitières qui se saignent plus lentement. La bête étant debout, elle plie le cou, ce qui a pour effet de ralentir la fuite sanguine et prolonge d'autant l'agonie. Lorsque des caillots se forment, il est parfois nécessaire de soulever à nouveau son cou pour trancher de nouveaux vaisseaux.

Je ne souhaite pas faire de sensiblerie, mais il faut avoir conscience que la souffrance animale existe bel et bien. Une souffrance même de quelques minutes est inacceptable dès lors que nous considérons dans un texte de loi que l'animal est un être vivant sensible.

Il existe aujourd'hui une vraie dérive de l'abattage sans étourdissement. De nombreuses querelles de chiffres ont eu lieu à ce sujet, notamment lors de la campagne présidentielle. Le chiffre de 14 % alors avancé par l'ancien ministre de l'agriculture Bruno Le Maire est faux. Il renvoyait au tonnage de viandes issues des animaux abattus sans étourdissement, et non au nombre de têtes d'animaux abattus - la distorsion est importante, puisque les ovins pèsent beaucoup moins lourd que les bovins. Or ce n'est pas la viande qui souffre, mais les animaux que l'on abat ! Nous avons pu établir des chiffres réels et actualisés en visitant 225 des 280 abattoirs français. Selon notre enquête, 60 % des ovins, 35 à 40 % des veaux et 20 à 25 % des gros bovins sont abattus sans étourdissement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La DGAL nous a donné le chiffre de 14 % sur l'abattage rituel pour l'année 2010. Nous avons d'ailleurs eu beaucoup de mal à obtenir ce chiffre des différents interlocuteurs que nous avons auditionnés. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Kieffer . - La communication de Mme Gilli-Dunoyer publiée en 2008 dans le bulletin de l'Académie vétérinaire française, qui est une publication sérieuse, indiquait à partir de chiffres de 2007 que 49 % des ovins et caprins et 32 % des animaux toutes espèces confondues étaient abattus rituellement. Il serait plausible que le tonnage de viande correspondant à ce nombre de têtes d'animaux s'établisse à 14 %, puisque l'on exclut les os dans ce calcul. Le chiffre qui doit retenir notre attention est cependant bien celui du nombre d'animaux vivants abattus rituellement.

M. Frédéric Freund . - J'affirme que les chiffres donnés par cette enquête de la DGAL de 2010 sont faux et constituent un mensonge.

Dans une réponse du ministère de l'agriculture à une question posée par Mme Sylvie Goy-Chavent sur le bilan de la nouvelle réglementation applicable à l'abattage rituel des animaux de boucherie, publiée au JO du Sénat du 7 mars 2013, il est indiqué qu' « il est encore trop tôt pour savoir si ce dispositif a eu un effet sur le nombre d'animaux abattus sans étourdissement, dans la mesure où le système d'information de la direction générale de l'alimentation vient seulement de prendre en compte ce critère en vue de pouvoir effectuer une analyse sur un exercice civil ». Le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll indiquait ainsi clairement que ses services étaient incapables de fournir la moindre statistique sur ce point.

Il y a deux ans, lorsque la Commission européenne a interrogé l'ensemble des États membres de l'Union européenne sur la dérive de l'abattage sans étourdissement, un haut fonctionnaire de la DGAL m'a indiqué de manière officieuse qu'il avait été impossible aux services français de fournir des statistiques à la Commission, dans la mesure où ils ne disposaient pas alors d'une base réglementaire leur permettant de mener des enquêtes, et qu'ils s'étaient donc adressés aux professionnels, qui disposent eux de statistiques. Les chiffres communiqués à l'UE sur cette base n'étaient cependant que partiels dans la mesure où un grand groupe d'abattoirs avait refusé de fournir ses chiffres. Cela confirme bien que les services du ministère de l'agriculture ne disposaient d'aucune statistique fiable.

Le 19 août 2011, M. Daniel Causse, directeur de la société SODEM, indiquait dans La Nouvelle République que les trois quarts des moutons sont tués en France selon les principes de l'abattage halal. Il me semble difficile de mettre en doute la parole d'un professionnel, qui exerce de plus des responsabilités au sein du syndicat national des industries de la viande (SNIV).

Ces batailles de chiffres ne pourront donc être définitivement tranchées que lorsque les résultats de l'enquête de la DGAL, qui selon la réponse de M. Le Foll est actuellement en cours, auront été publiés.

M. André Dulait . - A mon avis, les pratiques diffèrent beaucoup selon les abattoirs. Il me semble que l'abattage sans étourdissement est beaucoup moins pratiqué dans les établissements les plus récents et les plus modernes, dans la mesure où l'étourdissement permet de parvenir à de meilleures cadences et à de meilleures performances. Selon votre enquête, 56 % des abattoirs français pratiquent l'abattage sans étourdissement ; l'activité de ces établissements représente-t-elle un volume important de produits ?

M. Jean-Pierre Kieffer . - Oui, puisque comme je vous l'indiquais, le nombre d'animaux abattus sans étourdissement varie selon les espèces. Le nombre d'ovins concernés est particulièrement important puisque les juifs et les musulmans consomment davantage de moutons que de bovins. Cependant, les chiffres que je vous ai communiqués sont très importants par rapport à la part de la population qui souhaite consommer des produits halal ou casher - exigence que nous comprenons et que nous respectons ; il existe une discordance entre le nombre de viandes halal et casher produites et la demande des consommateurs. Dans la mesure où les juifs ne consomment que les morceaux avant des animaux, la moitié des produits issus de l'abattage rituel se retrouve nécessairement dans le circuit de distribution classique.

C'est pourquoi nous demandons un étiquetage des produits issus de l'abattage rituel sans étourdissement, afin que le consommateur puisse bénéficier d'une réelle information. Il ne s'agirait pas d'insister sur le caractère rituel de la transformation, mais de faire porter une mention positive sur les produits indiquant que ceux-ci sont issus d'un animal abattu avec étourdissement. Nous ne souhaitons pas discriminer ni stigmatiser la partie de la population qui souhaite consommer des produits halal ou casher, mais insister sur le respect des principes fixés par la réglementation.

M. Alain Fauconnier . - Après votre présentation, nous ne pouvons qu'estimer souhaitable de distinguer l'abattage rituel de l'abattage sans étourdissement, voire la généralisation de l'étourdissement.

Certaines images d'émissions télévisées consacrées à l'abattage rituel peuvent en outre être dévastatrice pour la filière viande. Il faut aussi avoir conscience que les petits outils d'abattage spécialisés dans les ovins sont en concurrence avec de grosses structures pratiquant l'abattage multi-espèces, qui peuvent équilibrer leur production sur plusieurs chaînes d'abattage, et qu'il est nécessaire de préserver nos abattoirs de proximité.

M. Jean-Pierre Kieffer . - Nous sommes tout à fait d'accord avec vous. Il nous paraît nécessaire d'une part que les consommateurs soient informés des conditions de production de la viande qu'ils consomment, et d'autre part que les professionnels respectent les cadences. La perte de conscience est très rapide chez le mouton - environ 20 secondes - par rapport au bovin. Il faudrait normalement attendre, pour libérer l'animal du piège, que celui-ci ait perdu conscience. Or, pour respecter la cadence fixée (jusqu'à 60 bovins à l'heure !), certains professionnels ne respectent pas ce délai.

M. Alain Fauconnie r . - Ce problème renvoie à la question des contrôles opérés sur les chaînes d'abattage. Il faut définir qui contrôle et qui sanctionne ces pratiques, sans risque de confusion des pouvoirs.

M. Jean-Pierre Kieffer . - Si de nombreux contrôles sont effectués par des vétérinaires tout au long de la filière viande, aucun vétérinaire n'est présent sur les postes d'abattage, et très peu d'entre eux sont présents au moment du déchargement des animaux vivants.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Arrive-t-il fréquemment que des incidents se produisent au moment de l'abattage et de l'étourdissement des animaux ?

M. Jean-Pierre Kieffer . - Selon un rapport de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), on compte environ 4 % d'échecs à l'étourdissement avec le matador à tige perforante. Ces échecs sont essentiellement dus à des problèmes de matériel ou de formation des opérateurs. Il arrive notamment que les sacrificateurs n'aient pas une parfaite formation technique ; certains d'entre eux, qui bénéficient d'une expérience d'au moins trois ans, n'ont pas en effet à passer le certificat de capacité. Les problèmes de ce type sont en revanche extrêmement rares dès lors que l'on a recours à un personnel et à un matériel de qualité.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-il possible que certains animaux arrivent sur la chaîne de découpage alors qu'ils sont encore conscients ? Les chevaux de selle subissent-ils le même sort que les bovins lorsqu'ils sont abattus ?

M. Jean-Pierre Kieffer . - Les opérateurs doivent normalement attendre la perte de conscience des animaux ; ils ne respectent cependant pas toujours cette obligation afin de respecter les cadences qui leur sont imposées. Il arrive ainsi qu'ils libèrent les animaux de la zone d'affalage avant leur perte de conscience. Des animaux qui souffrent et se débattent peuvent alors présenter un danger pour les personnels des abattoirs. Les animaux étant ensuite hissés, ils ne partent pas immédiatement sur la chaîne d'abattage : un temps d'égouttage de trois minutes, au cours duquel la fin de la saignée doit s'opérer, doit alors être respecté avant le passage à la découpe. On peut donc estimer que 95 % des animaux ont perdu conscience au moment où les membres commencent à être découpés. Il existe cependant un petit risque que la situation que vous décrivez se produise, ce qui n'est pas acceptable.

Le cheval est le seul animal qui peut être exclu de la chaîne d'abattage par son propriétaire. Une mention figurant sur la page 22 du livret signalétique peut en effet indiquer qu'en raison de l'administration passée ou à venir de certains traitements comme la phénylbutazone, l'animal est définitivement exclu de la chaîne alimentaire. Il arrive cependant que cette mention ne soit pas correctement apposée ou que le cheval entre dans un abattoir sans ces papiers - parfois suite à un vol - et que l'abattoir se montre peu regardant.

M. Frédéric Freund . - En principe, il n'est pas possible d'abattre un cheval sans étourdissement, dans la mesure où ce n'est pas prévu par les textes. Ce n'est cependant pas non plus interdit, ce qui crée une certaine ambiguïté. Des directeurs d'abattoir nous ont rapporté que des demandes visant à opérer un abattage rituel sur des équidés leur avaient été faites - demandes qu'ils ont refusés dans la mesure où les installations destinées aux bovins ne sont pas adaptées aux chevaux.

M. Jean-Claude Lenoir . - Quelle est la proportion de chevaux destinés à la consommation, en particulier parmi les chevaux de course et les chevaux de trait ?

M. Jean-Pierre Kieffer . - En France, 17 000 chevaux sont abattus chaque année, et la production comme la consommation de viande de cheval sont en diminution. Les chevaux de trait sont fréquemment abattus.

J'aimerais enfin vous parler des suites que nous donnons aux manquements que nous constatons lors de nos enquêtes dans les abattoirs. Nous concevons notre rôle comme un rôle d'audit et de prévention. De ce fait, nous ne portons pas plainte lorsque nous recensons des manquements, mais nous essayons d'améliorer les procédures mises en oeuvre par le dialogue. Lorsque nous constatons des infractions importantes et répétées, nous les dénonçons aux services vétérinaires, et à la DGAL. Celle-ci n'est pas toujours réactive, et nous faisons parfois face à des pressions lorsque nous effectuons de tels signalements.

M. Frédéric Freund . - Outre ces pressions, les sanctions sont parfois rendues difficiles par le fait que la majorité des infractions commises dans ce secteur constituent des contraventions de quatrième classe, qui sont loin d'être prioritaires pour certains tribunaux très engorgés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces précisions.

Audition de M. Pierre Buisson, président et Mme Anne Daumas, directrice du Syndicat national des vétérinaires libéraux (jeudi 25 avril 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information s'intéresse à tous les aspects de la filière viande - production, abattage, transformation et commercialisation des viandes -, et notamment à la question de la sécurité sanitaire, suite au récent scandale de la viande de cheval étiquetée boeuf. Dans cette chaîne de sécurité sanitaire, vous jouez un rôle important.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les différents scandales survenus ces derniers mois pénalisent durement les professionnels de la filière viande et nuisent gravement à la confiance des consommateurs. Vous qui exercez au plus près du terrain, en tant que vétérinaires libéraux, auprès des animaux et des éleveurs, seriez-vous en mesure de nous expliquer votre rôle dans les processus de production et de nous dire ce que nous pourrions proposer pour améliorer la situation ? En ce qui concerne l'abattage, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'abattage sans étourdissement ? Il me semble avoir lu dans la presse que votre syndicat dénonce cette pratique. Pourriez-vous nous développer votre analyse sur ce point et revenir sur les propos de votre collègue vétérinaire M. Bruno Fiszon, conseiller en charge de l'abattage rituel auprès du consistoire central israélite de France, qui affirmait dans Casher magazine que non seulement l'abattage rituel n'entraîne pas de souffrance supplémentaire pour les animaux mais va au contraire dans le sens d'un plus grand respect ? D'un point de vue purement scientifique, pourriez-vous nous faire part de vos remarques sur ce point ? Nous aborderons enfin la question de la consommation d'antibiotiques par les animaux.

M. Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires libéraux . - Le SNVEL est issu de la fusion, il y a vingt ans, de deux syndicats de vétérinaires, le syndicat des vétérinaires urbains et le syndicat des vétérinaires français. Il s'agit du seul syndicat national des vétérinaires libéraux. Il regroupe environ 2 500 adhérents et est représenté dans la moitié des cabinets français - il existe en France environ 10 500 vétérinaires libéraux et 4 500 salariés. Il appartient à la section de l'union européenne des praticiens et par là-même à la fédération européenne des vétérinaires. Son conseil d'administration est composé de praticiens en exercice, élus par leurs pairs : j'exerce moi-même à mi-temps.

Notre rôle principal est la défense des intérêts économiques des vétérinaires, profession dont les revenus proviennent exclusivement de ses relations commerciales avec ses clients et qui ne bénéficie d'aucun soutien étatique. Nous intervenons dans tous les domaines qui concernent l'économie de la profession vétérinaire, en tant que syndicat d'employeurs mais aussi auprès de l'État pour discuter des prérogatives associées à notre diplôme. C'est par exemple notre syndicat qui a été le promoteur du diplôme d'auxiliaire spécialisé vétérinaire, une formation en alternance que nous gérons avec l'État dans le cadre d'un groupement d'intérêt économique.

Un peu moins de la moitié des vétérinaires praticiens sont impliqués dans les circuits de production animale. Leur rôle premier est de prévenir et de traiter les maladies des animaux. Un certain nombre d'entre eux, de moins en moins nombreux, certes, interviennent en abattoir. Mais depuis une vingtaine d'année, les inspections sont avant tout réalisées par un corps spécialisé de fonctionnaires de l'État, les vétérinaires inspecteurs de santé publique.

Je ne reconnais aucune valeur scientifique aux propos de M. Fiszon que vous avez cités. Nous ne partageons pas son analyse et je n'ai jamais rien lu susceptible de venir corroborer ses dires. De telles déclarations relèvent davantage de la croyance que de l'expertise.

Sur la question de l'abattage rituel, notre position - que vous avez rappelée - est constante et a été affirmée par les délégués de notre mouvement : nous souhaitons que la pratique de l'étourdissement soit généralisée et que des limites claires soient fixées à l'abattage rituel, qui ne doit pas aller au-delà des stricts besoins cultuels, ainsi que le réclame l'Union européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous parler des situations que vous rencontrez, alors que les éleveurs français sont aujourd'hui en grande difficulté ? Quelle est l'impact des problèmes des éleveurs sur les vétérinaires ?

M. Pierre Buisson . - Les vétérinaires sont en prise directe avec les difficultés des éleveurs. Il n'existe ni tiers payant, ni assurance, ni mutualisation dans notre profession. Chaque éleveur assure directement le paiement des frais liées aux pathologies qui se produisent dans son exploitation et rendent nécessaire des services vétérinaires. Lui seul arbitre entre ces différents postes de charge que sont la prévention, les traitements. Il est susceptible de prendre la décision de ne pas procéder à des mesures de prévention si ses moyens ne le lui permettent pas cette année-là...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Une bonne partie des revenus des vétérinaires provient du fait qu'ils sont à la fois prescripteurs et vendeurs de médicaments. Comment se répartissent les revenus des vétérinaires entre les soins et la vente de médicaments ? Si les vétérinaires rencontraient davantage de difficultés pour gagner correctement leur vie, quel serait l'impact de ces difficultés sur le nombre de vétérinaires dans les campagnes ? Je suis préoccupée par le risque de voir apparaître des déserts vétérinaires, à l'instar des déserts médicaux.

M. Pierre Buisson . - Les vétérinaires sont très dépendants économiquement de la délivrance de médicaments, qui représentent 60 % de leurs revenus. Les actes de prescription ou de délivrance, qui sont des prestations intellectuelles, ne sont aujourd'hui quasiment plus rémunérés. Ils sont souvent seulement inclus dans la marge commerciale. Il s'agit là d'un paradoxe. La réalité économique est que ce couplage entre prestation intellectuelle et vente de médicaments ne permet d'assurer aux vétérinaires que des revenus modestes par rapport aux autres professionnels de santé - 55 000 euros annuels, soit 30 % de moins que la moyenne des médecins généralistes - alors qu'ils assurent un service de proximité, en soirée, de nuit, le dimanche, sans que l'État n'intervienne ni recevoir de compensations, contrairement aux pharmaciens et aux médecins. Malgré ces difficultés, le réseau des vétérinaires reste toujours bien réparti sur le territoire, y compris dans des régions qui comptent désormais des déserts médicaux. Nous ne recevons pas de courriers massifs de collectivités territoriales ou d'éleveurs qui ne parviendraient pas à trouver de vétérinaire. Les problèmes se posent davantage en périphérie urbaine. Ce modèle économique original s'est construit au fil des ans.

En ce qui concerne les antibiotiques, je voudrais rappeler qu'ils ne sont pas le poste dominant des médicaments utilisés, en particulier dans la filière bovine où ils ne représentent que 20 % des médicaments. Les choses sont un peu différentes dans les filières porc et volaille. Pour l'immense majorité de mes adhérents, la consommation d'antibiotiques est quelque chose d'accessoire, qui ne revêt pas de caractère collectif massif contrairement aux aliments médicamenteux dans les filières qui les utilisent. Les aliments médicamenteux représentent la moitié de la consommation de médicaments vétérinaires. Ils sont prescrits sur ordonnance de vétérinaires mais les vétérinaires ne sont pas intéressés financièrement à cette prescription et c'est dans ces aliments médicamenteux que se trouvent 50 à 60 % des antibiotiques délivrés en France.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Où en est-on sur la question de l'antibiorésistance ?

M. Pierre Buisson . - Cette question fait l'objet de nombreux débats. Il existe en France un plan écoantibio 2017 qui fixe des objectifs de réduction et prévoit des mesures dont peu ont pour le moment un impact concret. L'une de ces mesures est incluse dans la visite sanitaire annuelle - le seul acte que l'État confie régulièrement aux vétérinaires qui ont en charge un élevage bovin. Depuis l'an dernier, est inclus dans cette visite un mémorandum sur l'antibiorésistance avec des questions à poser aux éleveurs : pourquoi utilisez-vous des antibiotiques ? dans quelles conditions ? que faites-vous des flacons ? Il s'agit d'expliquer aux éleveurs les enjeux de l'antibiorésistance.

L'évolution de l'antibiorésistance en médecine humaine comme en médecine animale sont encore en débat et se heurtent à des dogmes selon lesquels se poseraient de plus en plus des problèmes d'antibiorésistance parce que les vétérinaires utiliseraient beaucoup trop d'antibiotiques, ce qui aurait aussi des conséquences sur la santé humaine en renforçant l'antibiorésistance humaine. Scientifiquement, il y a très peu de preuves d'un passage de l'antibiorésistance animale à l'antibiorésistance humaine. Seuls sont concernés les quelques éleveurs de porcs qui portent des germes antibiorésistants.

Il existe aussi des informations complètement fausses selon lesquelles l'antibiorésistance serait acquise par la consommation de viande qui contiendrait des antibiotiques et des germes résistants. Il s'agit là d'assertions mensongères mais récurrentes qui reviennent sous la plume des journalistes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur. - Quel est l'impact de ces antibiotiques contenus dans l'alimentation sur l'environnement ?

M. Pierre Buisson . - Tout comme pour les humains, les antibiotiques pour animaux font l'objet d'une autorisation de mise sur le marché après notamment une étude d'écotoxicité. Cet impact doit être évalué et il est jugé acceptable ou non en fonction du devenir technique de la molécule dans son cycle de vie. Certains posent les mêmes problèmes que les médicaments consommés par les humains et que l'on peut retrouver dans les eaux. Les antibiotiques sont relativement sensibles à la lumière et se dégradent rapidement. Ils n'ont pas d'effet à des doses infinitésimales contrairement à des pesticides.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Quel est l'impact du coût de tous les soins sur les coûts des élevages ?

M. Pierre Buisson . - Il y a peu d'études sur la question car, dans les comptes de gestion, le poste des frais vétérinaires est souvent un poste « fourre-tout », dans lequel se trouvent des produits qui ne sont pas facturés par les vétérinaires. Une étude assez précise, qui a été effectuée par l'école vétérinaire de Nantes, montre que ces frais atteignent au plus 4 % des charges totales d'un élevage moyen de vache laitière, qui requiert beaucoup d'interventions. Sur ces 4 %, 50 % sont consacrés au médicament. Entre 30 et 40 % des vaches sont victimes d'infections mammaires et ont besoin d'un traitement. Conserver une grande majorité d'élevages en plein air est une bonne chose mais pose le problème du parasitisme et nécessite d'avoir recours à des traitements antiparasitaires. Cela représente une charge de 85 € par vache et par an.

M. Jean-Claude Lenoir . - Il existe un débat sur la viande aux hormones. Je vais régulièrement aux États-Unis et j'en apprécie la viande, qui y est hormonée. Un ancien ministre de l'agriculture me disait que cette viande était tout à fait propre à la consommation et que ces hormones étaient naturelles. J'aimerais avoir votre avis sur cette question que se posent beaucoup de consommateurs.

Par ailleurs, je voudrais souligner que votre profession s'est organisée pour assurer un accès aux soins pour les animaux beaucoup plus performant que ce qui existe pour les personnes habitant les territoires ruraux. J'ai le sentiment que les vétérinaires ont une grande capacité à s'organiser collectivement.

M. Pierre Buisson . - La viande hormonée a disparu en France depuis 30 ans. Les États-Unis peuvent se poser cette question car chez eux la consommation de viande bovine est une consommation de masse qu'ils cherchent à promouvoir à tout prix. En France, l'avenir est plutôt à un marché de niche haut de gamme qui n'est pas compatible avec l'utilisation de ce types d'artifices. Cela dit, il ne semble pas que la santé des Américains soit pénalisée par cette viande hormonée. Je ne connais pas rapport le bénéfice-risque en matière de santé mais en matière d'image pour la filière, le recours aux hormones serait dévastateur. Ce débat, qui a eu lieu aussi pour le lait, est cependant derrière nous. De plus, pour valoriser notre production, il est important que nos méthodes de production soient différentes de celles des Brésiliens ou des Américains.

Le modèle économique des vétérinaires libéraux est lié à beaucoup d'éléments, à commencer par l'absence d'hôpital, ce qui fait que chaque vétérinaire est depuis toujours dans son territoire obligé de se consacrer à l'ensemble des activités de la médecine. C'est un peu moins le cas aujourd'hui avec les animaux de compagnie puisque le vétérinaire peut avoir recours à un référent ou faire venir un expert s'il est confronté à une difficulté. Pour les animaux de ferme, le contrat tacite qui lie l'éleveur au vétérinaire repose sur la disponibilité du vétérinaire. Avec ce couplage du service et de la fourniture de médicament, nous disposons d'un continuum complet dans la relation avec l'éleveur. Nous avons un débat économique avec l'éleveur pour ajuster au mieux ses coûts, pour privilégier la vaccination par exemple.

M. Pierre Buisson , président du Syndicat national des vétérinaires libéraux - La contrainte de disponibilité devient acceptable quand les vétérinaires peuvent se relayer pour assurer des permanences grâce à leur regroupement dans un lieu unique.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Votre syndicat a-t-il des liens avec les autres syndicats vétérinaires d'Europe ? Pourriez-vous nous parler des exigences qui sont celles de nos voisins Européens ? Les Français sont-ils plus exigeants que les autres ? Existe-t-il des pays plus laxistes ?

M. Pierre Buisson . - La situation en Europe est très composite, avant tout parce que les cheptels ne sont pas composés de façon équivalente. Nous travaillons beaucoup avec les vétérinaires néerlandais et allemands et je n'ai pas le sentiment que les contraintes qui pèsent sur leurs éleveurs soient de nature très différente. Les contraintes sociétales sont les mêmes : ainsi au Pays-Bas, les éleveurs font actuellement face à des attaques sur l'élevage hors-sol et le bien-être animal. Je fais le même constat en Allemagne, avec toutes les problèmes liés aux exploitations de l'ex-Allemagne de l'Est. Dans ces pays existent la même pression sanitaire et les mêmes contrôles. En Europe du Sud et de l'Est, les exigences sont probablement moindres et la situation sanitaire moins maîtrisée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteur e. - Pourriez-vous nous parler des tests tuberculose, qui semblent varier suivant les départements ?

M. Pierre Buisson . - La réglementation européenne ne reconnaissait jusqu'ici que l'intradermo, c'est-à-dire l'injection dans le pli cutané d'une petite dose de tuberculine, qui est un allergène : on étudie la réaction allergique. Il s'agit d'une procédure très lourde et quasi incompatible avec les méthodes de contention des élevages allaitants. La fiabilité était très bonne tant que le taux de prévalence était très élevé - cet outil fonctionnait parfaitement dans les années 1960. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus complexe car les taux de prévalence sont très faibles et nos confrères sont soumis à des impasses car le système rend un diagnostic difficilement interprétable. D'où la recherche d'autre méthodes de dépistage comme les tests sanguins interféron, qui sont chers mais présentent des résultats bien meilleurs mais n'étaient pas reconnus jusque là par l'Union européenne, même si les choses évoluent actuellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure. - Existe-t-il en France une recrudescence de la tuberculose dans certains troupeaux ?

M. Pierre Buisson . - Oui, notamment en Côte-d'Or, Dordogne et Camargue, pour des raisons qui sont propres à chacun de ces trois territoires. Il est incroyable de constater qu'une maladie que l'on pensait éradiquée il y a trente ans menace aujourd'hui de s'installer de façon définitive. Les Anglais sont eux aussi sont confrontés à ce problème mais ils ont baissé les bras et attendent désormais le vaccin. Pour les éleveurs, cette maladie a peu d'impact car les animaux sont très peu touchés. Le seul risque pour les éleveurs est une saisie de l'animal tuberculeux à l'abattoir. Par contre, imposer des tests sur les animaux représente un danger explosif. J'aimerais enfin souligner que le lien entre tuberculose humaine et animale apparaît aujourd'hui inexistant.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous parler de la question de l'abattage et de ses risques sanitaires ?

M. Pierre Buisson . - Lorsque l'animal n'est pas étourdi et qu'il souffre, il existe un risque de purpura, c'est-à-dire de mini thromboses dans les capillaires des bovins au moment de la mort. Le stress, la durée de l'agonie sont des facteurs qui favorisent fortement ce type d'évènements et rendent la viande impropre à la consommation, car elle noircit durant son processus de maturation. Il s'agit avant tout d'un phénomène visuel : du sang coagulé se dissémine dans l'ensemble du muscle. Tous les facteurs qui majorent le stress favorisent ce genre de phénomène.

Je souhaiterais aborder avec vous le problème de l'abattage d'urgence, qui avait été interdit à l'époque de l'encéphalopathie spongiforme bovine, mais est de nouveau pratiquée en France. Ce type d'abattage s'applique à des animaux blessés ou victimes d'accidents mais il pose des problèmes de transports car celui-ci dure trop longtemps. De plus, l'industrie de la viande ne veut pas de ces animaux qui ne correspondent pas à ses cahiers des charges. A mon sens, l'abattage d'urgence constitue une persistance d'une période de disette d'après-guerre qui n'a plus grand sens. Bien qu'elle ait été reprise dans la loi en 2004, cette pratique est aujourd'hui peu utilisée.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Concernant le transport des animaux, la directive européenne est très précise sur la façon dont les animaux doivent être chargés, déchargés, abreuvés... Cette directive est-elle applicable ? Je pense notamment aux éleveurs du plateau de Millevaches qui vont vendre leurs animaux dans la plaine du Pô, ce qui nécessite plus de huit heures de transport.

M. Pierre Buisson . - Sur un trajet de huit heures, le bénéfice-risque de décharger des animaux est difficile à identifier. Je crois qu'il y a là beaucoup d'anthropomorphisme. Des animaux transportés en groupe sont davantage perturbés par les évènements imprévus que par une heure ou deux de plus dans le camion. Les chargements-déchargements sont des facteurs de stress très importants, surtout pour des animaux qui viennent d'être allotés et ne se connaissent pas.

Audition de MM. Philippe Chalmin, président, et Philippe Boyer, secrétaire général, de l'Observatoire des prix et des marges (mercredi 15 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevons aujourd'hui l'observatoire des prix et des marges pour nous aider à y voir plus clair sur la répartition de la valeur ajoutée entre les éleveurs, les abatteurs, les transformateurs et les distributeurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'observatoire des prix et des marges mesure en effet l'évolution entre les prix à la production et les prix à la consommation, rôle indispensable alors que le panier de la ménagère est de plus en plus cher, que la grande distribution affirme que ses rayons boucherie perdent de l'argent, et que les agriculteurs voient leurs revenus diminuer.

La vente à perte étant interdite, comment expliquer les résultats négatifs de la grande distribution ? Pourquoi les éleveurs servent-ils de variable d'ajustement lorsqu'il s'agit de rééquilibrer les marges ?

Peut-on connaître la décomposition des charges et marges brutes et nettes des acteurs intermédiaires, de l'abattage au négoce ?

La grande distribution ne paie-t-elle pas les problèmes de compétitivité de notre appareil de production et les distorsions de concurrence que font peser certains de nos concurrents comme l'Allemagne ?

M. Philippe Chalmin . - La structure que je préside a pour titre complet « Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ». Elle a été créée par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche de 2010, et existe formellement depuis l'automne de la même année. Elle remplace une structure gérée jusqu'alors par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT) du ministère de l'agriculture. Bien que nos moyens proviennent essentiellement de FranceAgrimer, nous sommes une structure totalement indépendante.

L'ambition de l'observatoire est d'être un vecteur de transparence, mais aussi de confiance entre les partenaires des différentes filières agricoles et agroalimentaires. Ceux-ci ont en effet une conception du dialogue souvent conflictuelle, ce qui impose souvent, en définitive, l'arbitrage des pouvoirs publics. Une structure comme la nôtre est unique en France, où la confiance est une « denrée rare », et où l'on préfère souvent laisser les crises éclater avant de les régler politiquement : nous offrons aux producteurs, industriels et distributeurs un lieu d'échange neutre, une enceinte de déminage des problèmes.

Notre comité de pilotage réunit l'ensemble des professionnels : syndicats agricoles, représentants des industriels, des distributeurs ainsi que des consommateurs. De manière parfaitement transparente, nous produisons un rapport tous les ans. Ceux de 2011 et 2012 ont fait l'objet de l'approbation générale des membres du comité de pilotage. Certes, nos analyses sur les marges nettes des rayons boucherie en grande distribution ont ainsi fait hurler certains, mais elles ont été validées par tous.

Nos missions sont essentiellement techniques : nous suivons l'évolution des prix à tous les stades du cycle de vie des produits - production, transformations successives, jusqu'à la commercialisation au détail.

Une autre particularité de l'observatoire est d'avoir à sa tête un universitaire.

Pour remplir nos missions, nous disposons d'un outil statistique de grande qualité. Nous pouvons suivre les prix aux différents stades de la vie des produits puis, par exemple, reconstituer, tous les mois, le prix d'une carcasse de viande bovine au stade de la consommation. En outre, nous analysons les coûts de production des différents systèmes de production agricole, ce qui nous permet d'appréhender la totalité du parcours des produits. Dans notre dernier rapport figure ainsi une analyse du chemin emprunté par chaque euro dépensé par un ménage en alimentation.

Notre comité de pilotage est secondé par des groupes de travail spécialisés par filière, et ouverts à l'ensemble des parties prenantes. Nous couvrons ainsi la viande bovine et porcine, la viande et le lait de mouton, les caprins - le lait de chèvre pose quelques problèmes , la volaille, les produits laitiers et les fruits et légumes. Nous espérons ajouter à notre prochain rapport le suivi de l'ensemble des produits aquatiques ; nous travaillons en outre sur les céréales et les pâtes alimentaires.

L'observatoire est une structure très légère. Elle n'est dotée que de 5 agents équivalents temps plein (ETP). Nous bénéficions du travail statistique du ministère de l'agriculture et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), et de la contribution des instituts techniques professionnels. Nous ne coûtons donc pas grand-chose au contribuable : nous faisons la synthèse des données existantes ou produites par les fédérations professionnelles. Ainsi l'analyse relative aux marges nettes de la grande distribution figurant dans le rapport 2012 n'a été réalisable que grâce à la contribution des sept grands groupes de ce secteur.

L'observatoire a vu le jour à l'automne 2010, en pleine crise de la viande bovine. J'avais alors été auditionné au Sénat, avant que l'observatoire ne rende un rapport en urgence. Un autre rapport a été rendu en 2012. D'ici à l'expiration de mon mandat, à l'automne 2013, nous aurons publié un troisième rapport. L'avenir de notre structure dépend du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ainsi que de celui de la consommation.

L'évolution des marges brutes et nettes est marquée par le contexte agricole dans lequel évoluent les acteurs économiques. Notre rapport pour 2012 contient toutes les données relatives aux marges brutes et nettes. Nous pouvons calculer le prix au détail d'une carcasse de vache moyenne, c'est-à-dire un mélange fictif entre une race laitière et une race allaitante. Nous analysons les évolutions du prix de la carcasse, les marges brutes de la première et de la deuxième transformation, les marges brutes de la troisième transformation et de la distribution. Ces deux dernières années, la situation a été difficile, surtout pour les viandes blanches, mais aussi pour les systèmes allaitants, essentiellement à cause de la hausse des coûts de l'alimentation du bétail. C'est le résultat de trois crises majeures survenues en cinq ans sur les marchés des céréales et du soja. Gardez à l'esprit que la production d'un porc nécessite trois mois d'engraissement à base de maïs et de soja, et qu'une volaille doit être nourrie pendant 45 jours... L'été dernier, les prix des céréales ont été portés à la hausse par la sécheresse historique survenue aux États-Unis, ainsi que par l'insuffisance de précipitations dans la région de la mer Noire. Le prix du blé atteint aujourd'hui 240 euros la tonne, contre la moitié en 2009. Quant au boisseau de soja, il vaut aujourd'hui environ 12 dollars, contre 5 ou 6 dollars en temps normal. Les variations de prix sont plus ou moins sensibles selon les filières. En 2011, l'impact de ces évolutions a été amorti par la hausse du prix de la viande bovine et porcine. Depuis, le marché du porc s'est retourné.

En matière de coûts de production, nous analysons les données annuelles, car les données mensuelles n'ont pas beaucoup de sens. Nous suivons néanmoins les variations des marchés au jour le jour.

Grâce aux données fournies par les industriels, nous avons pu ventiler les marges selon les niveaux de transformation des produits. En 2011, nous ne pouvions calculer qu'une marge agrégée industrie-distribution. C'était insuffisant. Nous avons isolé ces deux éléments. Un problème se pose toutefois dans la viande bovine, car le distributeur peut être également transformateur, comme c'est le cas des rayons boucheries des grandes surfaces. Les métiers s'interpénètrent. Comment savoir si une barquette de viande a été conditionnée sur place ou par l'industrie, ce que les professionnels nomment  une unité de vente consommateur fabriquée chez l'industriel (UVCI) ?

M. Philippe Boyer, secrétaire général de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires . - Dans le premier cas, ce sont des unités de vente consommateur magasin (UVCM).

M. Philippe Chalmin . - En 2011 en outre, nous n'avions que les marges brutes, soit la différence entre le prix de vente et le coût d'achat. La grande distribution s'est émue de ce qu'elle ne reflétait aucunement leurs bénéfices. Nous calculons désormais la marge nette, en déduisant du prix de vente le prix de la matière première (76 %), les frais de personnels spécifiques, élevés dans les rayons boucherie (plus de 10 %) car nous manquons de bouchers de qualité, les autres charges (autres personnels, caisse, coûts fonciers, frais financiers éventuels, soit environ 15 %). Le rayon boucherie dégage ainsi une marge nette négative de - 1,9 %. Dans la poissonnerie, elle est encore plus dégradée. Mais les autres filières, comme les fruits et légumes par exemple, affichent une marge nette équilibrée, car leurs rayons sont très vastes, ce qui allège comptablement les charges supportées par mètre carré. Les chiffres de marges nettes pour l'ensemble des rayons sont les suivants : 5,1 % pour la charcuterie, 0,6 % pour les légumes, 5,9 % pour la volaille, 1,9 % pour les produits laitiers.

La révélation du chiffre de marge nette négative de - 1,9 % pour la viande bovine en grande distribution, a fait hurler dans les campagnes, ce qui, à y regarder de près, n'est pas étonnant. Les hypermarchés sont peut-être surreprésentés par rapport aux supermarchés, qui gèrent peut-être leur rayon boucherie comme une boucherie indépendante. On peut penser que si les distributeurs étaient rationnels, ils supprimeraient leurs rayons boucherie... C'est ignorer toutefois que ceux-ci ont une image forte : les grandes enseignes ne peuvent raisonnablement se passer d'un rayon boucherie.

M. Philippe Boyer . - Rappelons que la grande distribution fonctionne selon un principe simple : les marges sont faibles, mais les volumes importants. L'ensemble des comptes de la grande distribution fait apparaître pour l'année 2011 un taux de profit net rapporté au chiffre d'affaires de 0,75 %. La plupart des rayons sont au-dessus de cette moyenne : imaginez le profit générés par la masse de produits vendus. Notez que ces moyennes cachent également les résultats disparates selon les enseignes.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Certaines enseignes s'en tirent mieux que d'autres. Lesquelles ?

M. Philippe Chalmin . - Nous sommes tenus par un secret total sur ce point. Le respect de la confidentialité est essentiel pour que les enseignes continuent à nous fournir leurs chiffres.

M. Philippe Boyer . - Les entreprises de grande distribution ne sont pas toutes organisées de la même façon : il existe un modèle intégré pour Carrefour ou encore Auchan, le magasin étant considéré comme un simple comptoir de vente dans lequel tous les comptes sont centralisés ; il existe aussi un modèle décentralisé, comme chez Intermarché, dans lequel des distributeurs indépendants sont fédérés autour d'un grossiste, ce qui rend complexe l'agrégation des données.

Il faut enfin faire attention aux illusions de la comptabilité analytique, bien qu'elle donne une bonne illustration de la contribution de chaque rayon à la rentabilité globale de l'enseigne. A la lecture des résultats nets rayon par rayon, il est tentant de vouloir remplacer les moins rentables par les plus rentables. En réalité, la boucherie draine de la clientèle vers les autres rayons : en un sens, elle est rentable. De plus, 90 % des charges d'un magasin sont communes à tous les rayons. Leur répartition chaque rayon se fait selon des clés de répartition somme toute assez contestables : nombre d'articles passés en caisse, valeur des articles,...

M. Gérard César . - Merci pour votre plaidoyer en faveur de l'observatoire : j'ai été rapporteur de la loi qui l'a créé. Y a-t-il des observatoires des prix et des marges dans les autres pays européens ? Tous les acteurs concernés jouent-ils tous le jeu ? Leurs comptes sont-ils fiables ? La comptabilité analytique et la certification des comptes devraient nous le garantir.

Depuis 2010, l'observatoire a fait du bon travail. C'était une demande des organisations professionnelles agricoles dans le but d'y voir plus clair dans la formation des prix et des marges. Ce qui compte désormais, c'est qu'il contribue à l'anticipation des crises.

M. François Fortassin . - Votre plaidoyer, ne m'a pas totalement convaincu. Il y a d'une part une population à nourrir à prix raisonnable et à qualité correcte, d'autre part des producteurs qui doivent vivre de leur activité. Un vieux proverbe dit que « Le soleil se lève pour tout le monde ». Il faut concilier ces différents objectifs.

Or, en tant que consommateur, je n'ai pas l'impression que les rayons boucherie perdent de l'argent... Mon souhait, c'est que la transparence soit faite : que l'on sache par exemple, pour une carcasse, combien touche l'éleveur. Certes, c'est difficile lorsque sa production est utilisée dans des lasagnes. Mais il n'y a pas de raisons de s'opposer à davantage de transparence.

Pendant longtemps, l'essence a coûté un franc le litre, voire moins. Puis les producteurs ont contraints les distributeurs à augmenter les prix. Cela a marché : nous nous sommes adaptés. Il n'est pas faux de penser que les consommateurs s'adapteront si les prix de la viande augmentent, mais il faut aussi éviter de faire disparaître les producteurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On s'y dirige tout droit !

M. Philippe Chalmin . - Ne mélangeons pas tout. Selon les produits, les systèmes de commercialisation sont très différents. La production de volaille s'inscrit dans un système assez intégré : un même acteur peut fournir les aliments pour le bétail, payer l'éleveur et avoir une relation directe avec la grande distribution. De ce fait, il n'y a pas de cotation du poulet à Rungis.

Pour le porc, la situation est différente. Il existe un marché au cadran qui détermine le prix du porc en fonction de l'offre et de la demande immédiates. On constate parfois des effets de ciseaux avec une baisse du prix du porc sur le marché alors que les prix de revient ont augmenté en raison de la hausse des prix de l'alimentation.

En viande bovine, la logique du marché est encore différente. D'abord, les systèmes de production sont diversifiés.

M. François Fortassin . - Lorsque j'achète ma viande, je choisis des races de viande, car je suis certain alors que les bêtes ont été nourries à l'herbe.

M. Philippe Chalmin . - Dans la viande bovine que nous mangeons, la moitié est issue de vaches laitières de réforme, l'autre de races à viande. Une partie est d'ailleurs de la viande de réforme allaitante.

La viande que vous mangez dans la restauration, y compris dans les circuits de qualité, est issue quasi exclusivement de vache de réforme laitière. Il y a donc des systèmes de production différents. Dans certains cas, la viande n'est qu'un sous-produit du lait. En viande bovine, les morceaux sont également valorisés très différemment.

En juillet 2012, le prix moyen d'une carcasse avoisinait les 6,5 euros le kilo au stade du consommateur. Le prix du steak haché issu du « minerai », totalement stable ces dernières années, avoisine les 10 euros le kilo. En revanche, le coût de l'entrecôte a bondi, pour atteindre au moins 16-17 euros le kilo.

La viande à braiser en revanche ne coûte guère plus de 6 euros le kilo. Bref, il y a une grande hétérogénéité de produits.

Le rapport de l'observatoire de 2012 présente l'évolution depuis 1998 des marges brutes agrégées des industriels et des distributeurs. Un choc a eu lieu au moment de la crise de la vache folle, car les coûts de production ont alors été grevés par les nouvelles exigences de traçabilité et d'évacuation des quartiers moins valorisés. Au même moment, le consommateur a modifié son comportement : alors qu'il se contentait, chez son boucher traditionnel, de ce que celui-ci pouvait lui vendre selon l'état des carcasses qui lui parvenaient, il veut désormais, chaque jour, le choix de n'importe quel morceau. Ainsi, tout est mis sous barquette et assorti d'une date limite de vente. Or, cette dernière génère 2 % à 3 % de perte supplémentaire. Ce qui n'est pas vendu est jeté.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Comment faisait-on avant  l'instauration d'une date limite de vente ?

M. Philippe Chalmin . - Avant, le boucher gérait ses carcasses. Nous achetons désormais un service, plus qu'un produit agricole. C'est ce qui explique la diminution de la part revenant à l'agriculture dans la décomposition de l'euro consacré à l'alimentation. Il y a une contradiction à vouloir en permanence un produit de qualité à bas prix. Les prix des morceaux les plus nobles ont augmenté, tandis que ceux des bas morceaux ont diminué : on mange moins de pot-au-feu, et plus de côtes de boeuf, c'est ainsi.

Je crois pouvoir dire que tous les acteurs du secteur jouent le jeu de la transmission d'informations à l'observatoire. J'ai été membre du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) : je connais donc bien les structures qui ne fonctionnent pas. Ce n'est pas le cas au sein de l'observatoire. Peut-être la distribution traînait-elle des pieds dans les premiers temps. Lorsque nous avons publié notre première analyse des marges brutes, les distributeurs n'étaient pas très contents. Ils ont été forcés de fournir leurs chiffres pour aboutir au calcul de marges nettes. Comparer les données entre distributeurs est toutefois difficile, d'autant que ces grandes enseignes ne sont pas unies. Aujourd'hui, il faut compter avec quatre enseignes au sein de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et trois groupes qui n'y sont pas : Système U, Leclerc et Intermarché. Mais tous les sept ont joué le jeu. Ceux relevant de la FCD ont demandé à KPMG, un cabinet d'audit, un travail d'harmonisation de leurs domaines de comptabilité analytique. Si une chaîne trichait, on s'en rendrait compte.

Notre observatoire est unique en Europe ; nous avons même fait l'objet d'un article dans une revue australienne !

L'observatoire peut avoir une fonction d'anticipation. Cela fait six mois que j'indique que le porc court à la catastrophe. L'année 2012 fut relativement tranquille car l'augmentation des cours de la viande bovine s'est poursuivie et parce que la sensibilité de la viande bovine à la baisse des coûts de l'alimentation du bétail est assez faible. Mais les problèmes de fond demeurent, notamment sur les races allaitantes. Voyez le rapport : si l'on prend en compte les coûts du travail et les coûts du foncier, le secteur est dans le rouge, même en tenant compte des aides directes de la PAC. Heureusement qu'elles existent d'ailleurs !

Une question se pose au secteur de l'élevage : quelle est la fonction d'une vache ? Est-ce produire du lait ? Ou de la viande ? Ou entretenir l'espace ? Si l'on n'élevait pas de moutons sur le plateau de Millevaches ou dans les Pyrénées, on en reviendrait vite à la sylve gauloise.

Le prix du porc a augmenté considérablement l'an dernier, jusqu'à deux euros le kilo au mois d'octobre. Cela a amorti la hausse du coût de l'alimentation animale, mais le prix est désormais redescendu à 1,40 euro. Il s'agit d'une production homogène, intensive.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les éleveurs de porcs réclament une hausse de trente centimes sur le prix du kilo, est-ce possible ? Ramené au prix de la tranche de jambon, c'est peu de choses...

M. Philippe Chalmin . - Certes, mais le prix du porc se forme sur un marché. Pour le lait, une relation contractuelle peut s'instaurer entre producteurs, industriels et distributeurs, avec un marché mondial influent mais lointain. Pour le porc il existe un marché au cadran, qui détermine le prix par confrontation entre offre et demande à l'échelle européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Alors, rien n'est possible ?

M. Philippe Chalmin . - Non... Il est plus difficile à la grande distribution de faire un geste sur le porc ou la viande bovine que sur le lait ou la volaille.

Sur le porc, la confrontation entre offre et demande détermine le prix. Le marché n'est qu'un thermomètre : brisez-le, il fera toujours la même température.

M. Georges Labazée . - Avez-vous constaté, lors du passage à l'euro, un effet psychologique d'augmentation des prix ?

M. Philippe Chalmin . - Le prix moyen du kilo en grandes et moyennes surfaces (GMS) de 1998 à 2012 a augmenté pour le filet, pour l'entrecôte et le rumsteak, il est resté stable pour le steak haché et a baissé pour le pot-au-feu... Je ne crois pas qu'il y ait eu un effet euro. Le vrai changement, c'est la fin de la gestion des prix de marché par la PAC. Autrefois les prix étaient décidés une fois par an par la Commission européenne. Le ministre revenait les annoncer aux agriculteurs, ce qui a assuré à certains un grand avenir politique... Le système actuel est instable, c'est tout le problème pour le lait. Actuellement le prix flambe à cause de la sécheresse en Nouvelle-Zélande : ce sont les enchères de Fonterra qui déterminent le prix du lait entre le producteur français et sa laiterie... Nous avons changé de paradigme, en passant de prix stables à des prix instables.

M. Philippe Chalmin . - C'est vrai pour tous les produits agricoles. Si les conditions climatiques sont bonnes, la tonne de blé se négociera à 150 euros à l'automne sur les marchés mondiaux. Mais les prévisions de récoltes sont sujettes à de forts aléas. La seule réponse à cette incertitude serait l'instauration de relations de confiance telles que dans certaines filières on puisse dépasser la logique de contractualisation, et à terme s'abstraire du marché. Soit on revient à une détermination politique des prix, soit l'on accepte le marché.

Mme Renée Nicoux . - Serait-il possible, par la contractualisation, de garantir un prix minimal ? La profession d'éleveur, seule dans ce cas, est confrontée à une stagnation de ses prix de ventes depuis trois décennies.

M. Philippe Chalmin . - Ce n'est pas exact. Le prix du kilogramme de carcasse de vache moyenne a baissé de 1998 à 2003, jusqu'à atteindre deux euros, mais il a remonté ensuite et s'établit aujourd'hui de 3,10 euros, après la crise de la vache folle, notamment du fait de la baisse de la demande mondiale de viande bovine et de l'ouverture de certains marchés, comme le marché turc, qui était fermé aux importations.

Or, même ainsi, les éleveurs s'en sortent à peine.

M. Philippe Boyer . - Pour qu'un maillon accepte la contractualisation, il faut qu'il soit sûr de pouvoir revendre le produit à un prix supérieur. Dans un marché atomisé comme celui des fruits et légumes frais, c'est difficile de contractualiser. La contractualisation doit ainsi avoir lieu à tous les niveaux de la chaîne. Plus il y a d'intermédiaires, plus c'est difficile.

M. Philippe Chalmin . - Entre le premier semestre 2011 et le premier semestre 2012, le prix des matières premières agricoles a augmenté. En viande bovine, la marge brute de l'industrie s'est réduite, ainsi que celle de la grande distribution. La hausse des prix de la viande bovine n'a donc pas été intégralement répercutée par l'outil d'industrie et de distribution : il faut tenir compte du pouvoir d'achat du consommateur.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Je suis d'accord avec une contractualisation qui concerne tous les maillons de la chaîne. Je suis convaincu qu'une baisse des prix n'est jamais intégralement répercutée au niveau du consommateur. Il y a donc des marges de manoeuvres pour les intermédiaires, qui recherchent évidemment le profit. Or nous ne pouvons pas faire l'impasse sur le pouvoir d'achat. Certaines personnes n'ont plus les moyens de choisir les morceaux qu'ils souhaitent. Sont pénalisées les deux extrémités de la chaîne : le producteur et le consommateur.

M. Philippe Chalmin . - Le producteur, oui, le consommateur, pas forcément : il demande des produits toujours plus élaborés, intégrant toujours plus de service, avec le maximum de sécurité alimentaire.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Les distributeurs s'ingénient à induire de nouveaux goûts : je serais curieux de savoir combien de yaourts sont encore consommés nature !

M. Philippe Chalmin . - C'est aussi le fait des industriels. Nous avons en France un déficit de confiance. Les négociations annuelles entre producteurs et distributeurs donnent toujours lieu à un psychodrame et l'encre de l'accord est à peine sèche qu'il est remis en cause. En Allemagne les distributeurs sont durs mais une fois l'accord signé il n'est pas remis en cause. Certes, l'élasticité des prix est toujours plus faible à la baisse qu'à la hausse, comme l'a bien montré l'évolution récente du prix de la baguette.

M. Jean-Jacques Lasserre . - La contractualisation est un rêve de longue date, mais qui s'éloigne toujours. Elle ne peut fonctionner que si nous approvisionnons intégralement nos industriels. S'ils se fournissent sur le marché mondial, c'est impossible. En ce qui concerne le prix de la viande bovine, j'ai le sentiment que ce n'est pas le prix de la viande de qualité qui a évolué, mais celui de la viande de « fin de carrière ». La consommation de viande bovine baisse de 7 % à 8 % par an depuis deux ans : le consentement à payer du consommateur a donc évolué.

M. François Fortassin . - Je suis partisan des solutions simples et intelligentes. Envoyer à Rungis, pour les vendre à Montpellier, des salades cultivées dans le Roussillon, ce n'est pas simple. De même, des abattoirs de proximité éviteraient d'avoir à transporter tant d'animaux sur nos routes, et d'ajouter à leur prix final le coût de transport - sans parler du bilan carbone. En France, il y a de l'élevage partout : le système intégré n'est donc pas le meilleur.

M. Philippe Chalmin . - Il s'agit d'un problème de sécurité alimentaire.

M. Philippe Boyer . - Et d'un problème de coût. Le profit des abattoirs est si réduit qu'il est difficile de le représenter sur nos graphiques : de l'ordre de 0,3 %. Dès lors, la seule solution est la concentration, qui aboutit à de grosses installations. Il reste quelques abattoirs performants de taille réduite, mais ils sont spécialisés dans le très haut de gamme. Pour le reste, c'est le steak haché qui rentabilise les installations, et il réclame des outils coûteux ainsi qu'une parfaite maîtrise de la chaîne du froid.

M. Philippe Chalmin . - Il est possible de mettre en place des contractualisations dans la filière laitière, par bassin, car les échanges de produits laitiers sur longue distance restent marginaux. Pour le mouton, le marché est très ouvert : nous importons 60 % de la consommation. Il faudrait un énorme effort européen pour nous doter de cotations de références suffisamment fiables. L'an dernier, la collecte du lait a baissé en France quand elle augmentait en Allemagne.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci. Quel avenir voyez-vous pour votre observatoire ?

M. Philippe Chalmin . - J'en suis très fier. Nous sommes utiles, peu coûteux. Malgré quelques tensions, nous avons réussi à bâtir une certaine affectio societatis , notamment grâce à la règle de l'unanimité, que j'ai imposée. Nous ne devons pas devenir un organisme coercitif.

Audition de M. Jean-Michel Serre, président et Mme Caroline Tailleur, chargée de mission - Fédération nationale porcine (FNP) (mercredi 15 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'origine de cette MCI est la fraude sur la viande de boeuf contenant en réalité du cheval, révélée au mois de février. Elle porte sur les productions animales, sur l'abattage et la transformation des produits, et sur leur commercialisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La FNP, dans une lettre ouverte à l'ensemble de la filière porcine française, a estimé que le scandale de la viande de cheval remet au coeur des débats la nécessité de mentionner, sur les étiquettes, l'origine nationale de la viande fraîche ou utilisée comme ingrédient dans les produits transformés. Alors que la FNP oeuvre depuis très longtemps pour une communication des filières sur nos produits et nos métiers français, elle souhaiterait que tous se positionnent clairement sur un tel étiquetage pour les produits transformés. La Commission européenne y semble opposée, et les transformateurs européens refusent un étiquetage faisant mention du pays d'origine, y préférant la mention « européen » ou « non européen ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Jean-Michel Serre, président de la Fédération nationale porcine . - L'étiquetage des viandes nous tient à coeur. Nous avons signé en 2010 avec les acteurs de la filière porcine un accord volontaire sur l'identification de l'origine de la viande de porc vendue fraîche ou dans des produits transformés : ces derniers représentent 75 % des débouchés de la production porcine, il ne suffit donc pas de parler de la viande fraîche. L'interprofession porcine, Inaporc, a décidé d'accompagner le financement de la promotion de la viande porcine française. Nous fonctionnons avec des cotisations volontaires et non obligatoires, ce qui est rare pour une interprofession, et nous autorise à financer une campagne de promotion de la « viande française » sans que Bruxelles n'intervienne. En début d'année, 40 % des références et 60 % de l'ensemble des produits de charcuteries étaient concernés par l'identification VPF (viande de porc française). Nous avons décidé de faire un effort pour que l'origine soit mieux identifiée, afin d'améliorer ce pourcentage.

Au sein du Comité des organisations professionnelles agricoles européennes (COPA-COGECA), nous n'avons jamais su trouver un accord entre producteurs et coopératives : les pays fortement exportateurs ne sont pas favorables à une identification du pays d'origine. Les Danois couvrent 600 % de leurs besoins, les Belges 250 % : ils sont favorables au statu quo défendu par la Commission européenne. Nous souhaitons au moins pouvoir indiquer « viande porcine française ». La mention « transformé en France » nous agace : elle trompe le consommateur. L'accord signé en 2010 est bon, il faut le faire vivre. Les distributeurs sont signataires de l'accord. Ils collectent 50 % des cotisations interprofessionnelles. Ils devraient contribuer davantage à mettre en évidence l'origine française ; il semble en particulier que le logo ne soit pas très parlant. Nous leur demandons d'identifier les produits français dans l'organisation de leurs rayonnages de manière durable. Un accord européen nous comblerait, mais il reste hypothétique : nous avons donc pris les devants.

La filière porcine est en mauvaise santé depuis cinq ans : depuis que le prix des aliments pour animaux a considérablement augmenté, malgré une baisse en 2009-2010. Les éleveurs français sont compétents, mais ils ont perdu en compétitivité. Le secteur abattage-découpe souffre, comme le secteur industriel. Les éleveurs porcins sont à 95 % organisés en groupements de producteurs, sans que cela suffise à nous rendre compétitif en Europe. Depuis sept ou huit ans, de nombreux regroupements ont eu lieu, mais sans restructuration : jusqu'en 2011 la production est restée stable, car la productivité des élevages s'est améliorée mais le nombre de truies à baissé. En 2012 la production a baissé de 2,5 %, et une baisse de 4 % est attendue pour 2013. La baisse sera sans doute aggravée par les mises aux normes obligatoires au nom du bien-être animal. Les tailles des élevages sont faibles : 200 truies en moyenne. Ce chiffre est comparable en Allemagne, mais avec des disparités considérables entre les anciens et les nouveaux Länder. Les Allemands parviendront cependant à maintenir leur production tout en effectuant la mise aux normes de leurs élevages. Au Danemark la taille moyenne des exploitations est de 600 truies par élevage, avec un objectif de mille élevages de mille truies. Le Danemark produit 29 millions de porcs et de porcelets. En France, nous en sommes à moins de 24 millions : nous perdons pied. En Espagne, la moyenne est de 700 truies par élevage, et aux Pays-Bas elle est de 350. Nous ne sommes pas obsédés par la taille mais la réglementation française est très pénalisante : à partir de 450 places de porcs charcutiers ou équivalents il faut passer par une procédure lourde d'enquête publique pour créer ou agrandir les installations, ce qui n'a pas son pareil pour animer les mouvements qui nous sont hostiles. La procédure est longue, coûteuse et décourageante. Le manque de restructuration qui en résulte est grave car les investissements suscitées par une restructuration améliorent la qualité environnementale, la performance énergétique, la compétitivité...

Le ministre de l'agriculture a réuni les acteurs de la filière porcine le 30 octobre dernier. Les conclusions qu'il a présentées le 15 avril préconisent de revenir à une production de 25 millions de porcs par an en France. A défaut d'alignement des règles relatives aux installations classées sur les seuils européens, un système d'enregistrement devrait être mis en place pour les élevages entre 450 et 2 000 places. Nous avons beaucoup discuté : cela semble un bon compromis, dans la mesure où le pouvoir des préfets sera encadré. Nous ne demandons aucune concession sur l'environnement, mais l'enquête publique est souvent un véritable défouloir, qui rend la situation invivable, en particulier dans certains départements comme la Saône-et-Loire. Dans mon département, la Somme, je n'ai pas de problèmes, mais dans le Pas-de-Calais c'est plus compliqué. La proposition du ministre nous intéresse, mais elle doit être mise en oeuvre rapidement, pour redonner l'envie d'investir. Les producteurs ont effectué les mises aux normes de bien-être des truies a minima , car la conjoncture était mauvaise, mais aussi car le traitement des dossiers d'extensions d'élevages aurait été trop complexe. C'est une occasion ratée de moderniser les élevages.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quel pourcentage de porcheries a réalisé ces investissements ?

M. Jean-Michel Serre . - Nous aurons les chiffres définitifs dans quelques semaines, mais ce pourcentage est très faible.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le refus d'investir est-il surtout le fait des petits élevages, pour lesquels la mise aux normes serait trop coûteuse ?

Mme Caroline Tailleur, chargée de mission . - Oui, mais les refus de mise aux normes viennent aussi d'exploitants qui disposent de possibilités alternatives.

M. André Dulait . - La modification des seuils d'application de la règlementation des installations classées ne conduira-t-elle pas à une augmentation du contentieux ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le plan de méthanisation annoncé par le ministre peut-il apporter une solution ?

M. Jean-Michel Serre . - Nous avons besoin d'une plus grande sécurité juridique en matière d'installations classées car les règles sont en permanence remises en cause. C'est la raison pour laquelle la FNSEA a fini par refuser de participer à ces réunions incessantes. Lorsqu'après 2 ou 3 ans d'instruction, un dossier finit par aboutir et que la réglementation a changé entre temps, c'est terrible pour l'éleveur. En Allemagne, nos homologues considèrent qu'une procédure qui dure 6 mois est déjà longue. Ici c'est quasiment le temps qu'il faut pour recevoir le récépissé de la préfecture...

Le plan de méthanisation annoncé va dans le bon sens mais sa mise en oeuvre risque d'être difficile, crise oblige. Pour que les banques accordent les prêts nécessaires au financement des installations, encore faut-il que les exploitations soient en bonne santé financière. Même si les éleveurs peuvent se regrouper à deux ou trois, l'investissement est tout de même compris entre 1 et 1,5 million d'euros. Tant que nous n'aurons pas procédé à une remise à niveau réglementaire ainsi qu'en matière de taille des élevages et tant que nous n'aurons pas développé la filière, la méthanisation ne pourra pas être perçue comme une solution réellement intéressante.

Mme Renée Nicoux . - J'ai bien noté la proposition de porter de 450 à 2 000 porcs le seuil des enquêtes publiques. La méthanisation ne peut-elle pas contribuer à une meilleure acceptation des élevages par les riverains ? Sinon, faute d'enquête publique, les populations confrontées à une augmentation du nombre de porcs et donc de l'épandage risquent de multiplier les recours.

M. Jean-Michel Serre . - La Bretagne est logiquement la région d'expérimentation de la méthanisation. Mais pour le reste, il existe d'autres solutions au problème des odeurs, tels que l'enfouissement du lisier.

Nous nous heurtons parfois à des oppositions injustifiées. A la moindre mauvaise odeur en période d'épandage, on désigne immédiatement les éleveurs de porcs. C'est par exemple le cas dans le Nord alors même qu'il s'agit de compost qui arrive de Belgique. Nous payons très cher cette mauvaise réputation alors que, dans la mesure, où il s'agit d'installations classées, nous faisons beaucoup d'efforts pour éviter les nuisances.

M. Gérard Bailly . - Combien faut-il de porcs charcutiers pour rentabiliser une unité de méthanisation ?

M. Jean-Michel Serre . - Je ne suis pas spécialiste de la méthanisation. Je sais toutefois que l'une des difficultés consiste à se procurer les autres matières premières, le lisier de porc n'étant pas très méthanogène. Nous ne sommes pas partisans de la méthode allemande d'alimentation des méthaniseurs au maïs car, pour nous, le maïs doit aller à l'alimentation des animaux. Une autre crainte existe lorsque les méthaniseurs sont aussi alimentés par des déchets des collectivités : il faut que les éléments aient la garantie d'être durablement approvisionnés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ajouter à l'étiquetage de l'origine un cahier des charges qualité serait-il un facteur supplémentaire de valorisation des produits ?

M. Jean-Michel Serre . - Si l'on excepte le label rouge ou quelques productions typées comme le porc basque, le porc gascon ou le porc noir du Limousin, la réponse est non. Nous avons fait l'erreur de nous engager dans une démarche de certificats de conformité des produits, assortis d'exigences règlementaires. Au début, la grande distribution, nous accordait quelques centimes supplémentaires. Après quelques années, cette rémunération déjà chiche a disparu, mais les contraintes sont restées.

Ainsi, sauf pour le soja, nous n'utilisons pas d'aliments pour animaux génétiquement modifiés. En outre, même si la Commission européenne autorise de nouveau les farines de viande, nous nous l'interdirons sans doute. Nous n'utilisons pas non plus de graisses animales. Nous n'avons pas touché au cahier des charges Viande porcine française (VPF) et nous ne l'alourdirons pas. Prise individuellement, chaque contrainte ne représente pas grand-chose mais leur addition devient vite pénalisante, surtout quand la compétition européenne est si dure.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pourrions-nous connaître sur la viande de porc un scandale comparable à celui que nous avons eu sur la viande de cheval ?

M. Jean-Michel Serre . - Un scandale résulte de tricheries qui ne sont jamais de notoriété publique. Bien que nous ne soyons jamais à l'abri, je suis raisonnablement optimiste.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Y a-t-il du minerai de viande de porc ?

M. Jean-Michel Serre . - Oui, bien que cette formule agace beaucoup les producteurs. La France produit deux millions de tonnes, en exporte 600 000 et en importe 500 000. Notre balance commerciale est excédentaire en volume, mais déficitaire en valeur de 100 millions d'euros. L'expression est dévalorisante pour des producteurs qui ont un haut niveau de performance, d'exigence et de compétence. Si les problèmes de rentabilité pèsent sur le renouvellement des générations, nous avons été pendant longtemps l'une des filières installant les jeunes disposant du plus haut niveau de formation.

La principale difficulté rencontrée par la filière porcine française reste la distorsion de concurrence avec un pays comme l'Allemagne, dans l'élevage comme dans l'industrie. Le coût de la main d'oeuvre allemande représente en effet le tiers de la nôtre ; nous ne pouvons pas lutter. Notre compétitivité souffre de ce mal profond.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je signale au passage que notre collègue Bocquet vient de présenter, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport sur les travailleurs détachés qualifiés de « low cost ».

M. André Dulait . - Le Danemark connaît aussi des difficultés. Les porcs danois sont désormais engraissés ailleurs ?

M. Jean-Michel Serre . - Oui, les porcelets danois le sont, pour partie en Allemagne, pour partie en Pologne. Il y a quelques années, des animaux étaient aussi engraissés dans les pays baltes ; c'est plus simple et moins cher.

M. André Dulait . - Et la pression de l'opinion publique y est moindre.

M. Jean-Michel Serre . - Si l'Allemagne abat chaque année 60 millions de porcs, le coût de la main d'oeuvre y est pour beaucoup.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Notre déficit commercial s'explique-t-il par le fait que nous importons des parties nobles ?

M. Jean-Michel Serre . - Il est lié à nos habitudes de consommation. Nous sommes de gros importateurs de jambons tandis que nous exportons vers la Chine et la Russie des produits à faible valeur ajoutée, à la différence de ceux que nous vendons, en bien moindre quantité, à la Corée ou au Japon. La baisse de notre production n'arrange rien.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous avez évoqué les protéines animales transformées (PAT), nouveau nom des farines animales. Voyez-vous d'autres pistes d'évolution de l'alimentation animale ? Un plan protéines dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) serait-il pertinent, sachant que nous ne souhaitons pas une culture des OGM en Europe ?

M. Jean-Michel Serre . - Nous sommes évidemment favorables à un plan protéines car, toutes espèces confondues, le déficit européen en protéines végétales atteint 70 %. La France n'est qu'à 40 % parce que nous sommes fortement producteurs de diester à partir du colza. Les OGM posent un problème de politique agricole générale et de société ; il faut faire avec la règlementation. Il s'agit d'un élément de distorsion de concurrence. Ceux qui répondent à la forte sensibilité du consommateur sont peu récompensés. Carrefour, qui a une filière sans OGM, verse un supplément de 2 centimes d'euros par kilo de carcasse. Le distributeur améliore son image ? Oui, mais à ce prix-là, dans ma région, on ne peut pas répondre.

M. Jean-Jacques Mirassou . - La présence des OGM apparaît-elle sur l'étiquette ?

M. Jean-Michel Serre . - Les bons de livraison consacrent une page entière à la composition du produit.

M. André Dulait . - Le consommateur n'en a pas tant sur l'étiquette.

M. Jean-Michel Serre . - Il y a un seuil...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les produits sans OGM peuvent contenir jusqu'à 0,9 % de traces d'OGM. On l'explique par le fait que les moulins utilisés dans la fabrication des aliments du bétail ont pu traiter des produits avec OGM. On dit la même chose pour la viande de cheval... Quelle est la part de l'alimentation dans vos coûts de production ? Comment avez-vous été affectés, ces cinq dernières années, par la volatilité des cours des céréales et du soja ?

M. Jean-Michel Serre . - L'alimentation du bétail représente environ 70 % de nos coûts, ce qui est énorme. Depuis cet hiver, les cours sont à un point haut, ce qui porte nos coûts de production à 1,80 euro par kilo, pour un prix de vente de 1,50 euro. Voilà pourquoi, les éleveurs manifestent pour une augmentation du prix de 30 centimes.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Quel est le prix moyen du kilo de porc à l'étal pour le consommateur ?

M. Jean-Michel Serre . - Comme nous le déplorons, la côte de porc en fond de rayon est proposée à 7 euros quand les promotions sont affichées à moins 3 euros ! Dans les deux cas, les niveaux de prix sont déraisonnables.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'Observatoire de la formation des prix et des marges a publié une étude sur l'évolution du prix du porc frais entre 2010 et 2012. Elle met en évidence l'importance du coût de la matière première.

M. Jean-Michel Serre . - Sans remettre en cause les compétences de l'Observatoire, j'ai du mal à croire que les produits de charcuterie laissent une aussi faible marge aux distributeurs. Les abattoirs sont en mauvaise santé, l'industrie de la charcuterie souffre, ce qui est particulièrement inquiétant parce que la filière emploie 80 000 personnes, le secteur commercial se porte bien et les grandes surfaces n'auraient qu'une marge de 5 à 6 % ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie.

Audition de M. Philippe Lecouvey, directeur général de l'Institut français du porc (IFIP) (mercredi 15 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission d'information s'intéresse à tous les secteurs producteurs de viande et notamment la viande porcine. Pouvez-vous nous présenter l'Institut française du porc (IFIP) ?

M. Philippe Lecouvey, directeur général de l'Institut français du porc (IFIP) . - Né du regroupement de l'Institut technique du porc et du Centre technique de la salaison, l'IFIP est l'un des rares instituts à disposer d'une vision complète de la filière. Peut-être est-ce plus facile parce que l'amont et l'aval s'équilibrent en termes de chiffre d'affaires. Nous sommes qualifiés au sein du réseau des instituts techniques agricoles comme dans celui des instituts techniques agro-industriels, deux réseaux qui gagneraient à fusionner afin d'adapter l'offre à la demande, en allant « de la fourchette à la fourche ».

Notre métier consiste à produire des connaissances et des références pour les acteurs de la filière. Nous sommes placés sous deux tutelles, l'une, ministérielle, qui vérifie la bonne utilisation des fonds distribués par le compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR), l'autre, professionnelle. Notre conseil d'administration, présidé par Jacques Lemaître, est composé à parité de mandataires issus du monde agricole et à l'exception de la distribution, des autres intervenants de la filière, de la génétique aux artisans-charcutiers. Nos moyens expérimentaux répondent à des questions très techniques ; notre laboratoire a une antenne au sein de l'École vétérinaire de Maisons-Alfort.

Notre institut est structuré autour d'un service économie, large et fort, qui a réalisé l'essentiel du dossier d'étude sur les distorsions de concurrence avec l'Allemagne, d'une activité génétique qui nous conduit à travailler en relation très étroite avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), ainsi que d'activités liées aux techniques d'élevage - énergie, eau, environnement, gaz à effet de serre, reproduction, aspects sanitaires - et d'actions dans le domaine de la viande et de la charcuterie, à la fois sous l'aspect technique et microbiologique. Nous sommes aussi en charge du code des usages qui fait référence en matière de fabrication de charcuteries.

Nous bénéficions de crédits de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), de FranceAgriMer ainsi que, pour 15 %, de financements liés à la réalisation d'études professionnelles. La part croissante de nos ressources propres soulève la question de l'articulation entre action collective et intérêts privés.

La consommation de viande de porc s'inscrit dans la tendance baissière qui affecte toutes les viandes. La consommation de porc est descendue à 32,5 kilos par an et par personne contre 36 il y a dix ans ; la moyenne européenne s'établit à 40 kilos, mais l'Allemagne est entre 52 et 55 kilos et l'Espagne à 56. Chez nous, la viande perd des parts de marché face aux produits élaborés. La charcuterie se maintient grâce à sa très grande diversité. Plus nous élaborons et plus nous consommons ; cependant, il n'y a pas corrélation entre valeur ajoutée et élaboration, celle-ci alourdissant les coûts.

La France présente une spécificité : la part du jambon cuit y est de 25 %, celle des produits secs de 13 % (4 % pour le jambon sec ; 9 % pour les saucissons). 90 % de la viande de porc est vendue en grande et moyenne surface (GMS), plus de la moitié sous forme de promotion. Le porc est, dit-on, une viande de petit budget, ce qui pose un problème de répartition de la marge brute : pour la distribution, le porc est une « vache à lait » qui amène beaucoup de profits. La tendance baissière de la consommation se retrouve globalement en Europe avec un déplacement vers les produits élaborés qui affecte dans une moindre mesure l'est du continent.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Puisque le porc est une viande abordable souvent vendue en promotion, ne bénéficie-t-elle pas d'un effet de report quand la consommation de boeuf, de volaille ou de mouton recule?

M. Philippe Lecouvey . - Il existe deux marchés de la viande fraîche et celui de la salaison. Lorsque vous n'avez pas vendu votre viande fraîche le vendredi aux grandes et moyennes surfaces (GMS), vous êtes contraint de la brader. Il nous faut donc rechercher davantage de valeur, soit par les exportations, soit par la valorisation de produits transformés. Ce n'est pas évident car, faute de main d'oeuvre dans la boyauderie, il devient difficile de fabriquer andouillettes ou andouilles, qui sont pourtant des produits nobles du patrimoine français. Il nous faut en outre travailler sur les questions de microbiologie et de santé liés à ces produits et les exporter vers l'Asie. Lorsque l'on voit comment les Chinois importent tous nos abats et nos déchets, on peut tout à fait espérer qu'ils puissent nous acheter cinq ou six fois notre production actuelle.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Pourquoi ce désamour pour les produits issus du porc ?

M. Philippe Lecouvey . - La viande de porc est encore trop peu élaborée. Il n'y a plus de pays où elle est proposée en côtelettes avec os. Nous sommes restés dans une logique jusqu'au-boutiste de rendement : « grammage, grammage », disait Jean Floc'h. N'arrivant pas à revaloriser la viande de porc, nous restons sur des produits standards. Qui, demain, cuisinera des côtelettes ? C'est un cercle vicieux.

M. Jean-Jacques Mirassou . - L'alternative au porc, c'est donc le steak haché ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - De boeuf !

M. Philippe Lecouvey . - Absolument. D'ailleurs le jambon se vend bien... jusqu'à un certain prix.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Qu'en est-il des aspects sanitaires, par exemple du taux de cholestérol ?

M. Philippe Lecouvey . - Il y a d'abord les préjugés selon lesquels le porc serait gras et favoriserait le cholestérol. L'erreur est grossière, car il est plus dangereux de consommer des viandes aux acides gras saturés ou même du saumon ou des oeufs. Le gras de la viande de porc est de bonne qualité. Ensuite, tout est question de quantité, qui n'est évidemment pas la même dans des rillettes, dans une Knack et dans un rôti. Le monde médical n'y connaît pas grand-chose.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Il suffit de voir un rôti, un filet ou une échine de porc, pour savoir que ce n'est pas gras...

M. Philippe Lecouvey . - A la limite, pas assez puisque le goût et les arômes se déposent dans les gras. La fabrication du jambon sec devient même problématique dans la mesure où nous sommes contraints de travailler sur des jambons cuits, où la moindre aponévrose effraie nos enfants qui ne sont plus habitués aux filets blancs. Il n'y a plus assez de gras pour faire de la charcuterie sèche.

Élaborer une formule d'aliment avec de l'énergie pour fabriquer du gras revient plus cher que de fabriquer du maigre avec des protéines. Nous sommes pris dans un étau économique mais aussi comportemental, puisque si le monde paysan peut se montrer solidaire, les choses se compliquent lorsque l'on est en concurrence pour l'attribution des mètres linéaires ou la répartition des marges brutes.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Quelles sont les tendances dans le monde en consommation de porc ?

M. Philippe Lecouvey . - L'Asie dope la demande.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Le reste du monde consomme de plus en plus de porc ?

M. Philippe Lecouvey , directeur général de l'IFIP. - Globalement oui. D'après les statistiques, les Chinois sont à 38 kilos de porc par personne et par an mais 4 kilos de viande bovine. Il en est de même en Asie du sud-est, cela fait partie de leur patrimoine

M. Jean-Jacques Mirassou . - Le cas du Japon est-il spécifique ?

M. Philippe Lecouvey . - Les Japonais mangent beaucoup moins de viande, de l'ordre au total de 40 kilos par personne et par an.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Comment résumeriez-vous la situation économique du secteur ?

M. Philippe Lecouvey . - Depuis dix ans, il n'y a plus de croissance et plus d'investissement ni en élevage ni en abattage-découpe.

M. Jean-Jacques Mirassou . - L'évolution des normes ne pousse-t-elle pas les éleveurs à investir ?

M. Philippe Lecouvey . - A la marge. Les normes auraient pu constituer un fantastique levier, à condition de rationaliser les élevages. Les éleveurs n'ont fait que répondre à l'évolution de la réglementation sans procéder à des réorganisations. Ils ont manqué l'occasion.

M. Jean-Jacques Mirassou . - On nous a dit que certaines techniques permettent de limiter les nuisances liées aux élevages porcins.

M. Philippe Lecouvey . - Les bonnes techniques parviennent à supprimer les odeurs, encore faut-il investir. Nous disposons de la technologie, les éleveurs n'ont pas toujours les moyens pour en tirer parti. Notre station de Villefranche-de-Rouergue est située à 80 mètres d'un hypermarché Leclerc. Sa partie nouvelle récupère les eaux de pluie et utilise des lits de roseaux qui absorbent l'azote ; rien n'est évacué, il n'y a aucun épandage. On sait aujourd'hui faire de la filtration ou du lavage d'air, mais uniquement dans un bâtiment neuf : les odeurs ont été supprimées quand il y a eu reconfiguration de l'élevage ; il reste quelques odeurs ailleurs.

Notre perte de compétitivité s'explique par des règles sur les installations plus strictes que dans le reste de l'Europe, par les coûts de main d'oeuvre, et par le manque d'investissements alors que les nouvelles technologies dégageraient d'importantes économies. Parallèlement l'Allemagne a connu un rebond que personne n'avait anticipé. La chute du mur de Berlin en 1989 avait été suivie d'une très forte décapitalisation mais, à partir de la fin des années 1990, le pays s'est doté d'élevages de grande dimension. De même, les Danois qui travaillaient il y a une quinzaine d'années comme en France, avec des élevages familiaux de 150 à 180 truies, sont passés à 800 par exploitation. Et nous, nous n'avons pas avancé.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Que pensez-vous de l'étiquetage de l'origine de la viande et des produits transformés ? Doit-on tout écrire ?

M. Philippe Lecouvey . - Voilà la question la plus difficile pour notre Institut. Actuellement, 85 à 90 % de la viande fraîche et 50 % du jambon cuit sont étiquetés « Viande de porc française » ou « Origine France ». La grande distribution est encore frileuse, de même que les industriels, contraints d'importer. Il faut s'engager dans cette démarche qui constitue une protection a minima en lui donnant un contenu à l'instar du standard Qualität und Sicherheit (QS) allemand. Nous ne devons pas nous contenter d'un acte politique, il convient de lancer une véritable dynamique : soyons force de proposition. Faisons-le avec une stimulation.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ce sera difficile !

M. Philippe Lecouvey . - Oui. Un groupe de distribution indépendant sera obligé d'importer des jambons. Comment mettra-t-il sur le marché 100 % de viande de porc française ?

M. Jean-Jacques Mirassou . - Nous ne produisons pas assez de pièces nobles, en particulier de jambons ; en revanche nous fournissons des pièces moins prisées, qu'il nous est difficile de vendre.

M. Philippe Lecouvey . - Nous avons un déficit structurel de jambons.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Si, pour répondre à la demande de jambons, nous augmentions la production porcine, nous nous retrouverions paradoxalement avec un reliquat très difficile à compenser. La viande de poulet revient-elle plus cher au consommateur ?

M. Philippe Lecouvey . - La viande de porc est très bien positionnée en termes de prix.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Nous vendons beaucoup plus de viande de poulet que de viande de porc.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La France ne produit plus de volailles de qualité moyenne, mais des volailles de grande qualité, labellisées (Loué, Bresse, etc.) et d'autres destinées à l'exportation, notamment vers le Moyen-Orient. Entre les deux, c'est l'Allemagne qui nous fournit. De même, nous importons des arrières de boeuf, et nous vendons des avants...Nous préférons en effet les grillades !

M. Georges Labazée . - Qu'en est-il des indications géographiques protégées (IGP) et de l'impact des labels ? Dans les Pyrénées-Atlantiques, le jambon de Bayonne est produit à dix kilomètres de chez moi. Oui. Les labels me semblent déterminants. Nous avons reçu de Bruxelles une IGP pour le jambon de Bayonne, puis pour le porc frais du sud-ouest. Pour la première, sont définies des zones de production, de transformation, de salaison. La consommation augmente. L'aval marche bien. C'est en amont que se situent les difficultés. Or, souvent, en agriculture, l'amont fonctionne mieux que l'aval ; là, c'est l'inverse. On ne produit pas suffisamment pour satisfaire la demande de jambon de Bayonne. On sait très bien qu'entre minuit et demie et une heure du matin, le dimanche, arrivent les jambons de Navarre qui sont transférés sur les lieux de séchage...

M. Jean-Jacques Mirassou . - Ils n'ont pas droit à l'appellation s'ils n'ont pas été produits en France...

M. Philippe Lecouvey . - La zone de production du jambon de Bayonne regroupe une quinzaine de départements du sud-ouest, jusqu'en Poitou-Charentes. Sa fabrication doit avoir lieu dans le pays de l'Adour. Se pose un problème de quantité et de qualité, en matière de jambons en général. Il faut des produits stables. Le label est une bonne idée, qui achoppe sur le déséquilibre du marché, lié à nos habitudes de consommation, qui ne changent guère...

M. Georges Labazée . - Le label « porc frais du sud-ouest » est aussi porteur...

M. Philippe Lecouvey . - L'IFIP a engagé de grands programmes impliquant des aspects génétiques, sur le porc gourmet, pour redonner du goût à certains produits. Même pour le jambon de Bayonne, je mets en garde contre le standard. J'ai jeté mon dévolu sur le sud-ouest et l'Aquitaine pour nous lancer sans effrayer la Bretagne...Nous travaillons sur le goût et la recherche de valeur. Nous n'avons pas été capables de valoriser la filière bio que j'ai lancée il y a quinze ans. Pourtant, les industriels veulent du jambon bio.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Découenné !

M. Philippe Lecouvey . - Les cinq D : découenné, désossé, dégraissé, dénervé, dépiécé !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelle est la quantité d'antibiotiques dans l'alimentation.

M. Philippe Lecouvey . - Le système français est celui du naisseur engraisseur. Il faut lutter contre les idées préconçues. Le plan officiel de surveillance et de contrôle des résidus d'antibiotiques dans la viande a mis en évidence un taux inférieur à 0,3 %. L'usage des antibiotiques comme facteurs de croissance a été interdit en Europe en 2006. La France avait amorcé leur retrait dès les années quatre-vingt-dix. Désormais, 60 % des dépenses de santé portent sur la prévention. On parle beaucoup des antibiotiques, mais cela fait quinze à vingt ans que la profession a pris conscience du danger. Il est faux de prétendre qu'elle les utilise. Il faut rendre hommage, à cet égard, aux politiques publiques sanitaires. Quelle différence avec la Chine !

Depuis plusieurs années, nous travaillons avec la profession autour de cinq axes : promouvoir les bonnes pratiques dans tous les corps de métiers, c'est en route ; développer les alternatives et les outils d'auto-évaluation, c'est fait ; renforcer l'encadrement des hommes et réduire les pratiques à risque, c'est globalement réalisé ; disposer d'un suivi, cela se fait avec les politiques publiques ; promouvoir les approches européennes d'initiative. Nous sommes très sensibles aux enjeux sanitaires. Un très gros travail a été accompli dans ce domaine, dont on tire peu parti. Les antibiotiques ne sont plus utilisés qu'à titre préventif et plus comme facteurs de croissance. Nous savons désormais intervenir au niveau de la salle, sinon de l'individu.

Nous devons maintenant travailler sur les vaccins. Mais attention aux distorsions de concurrence en Europe ! Ainsi, l'emploi du zinc peut supplanter celui des antibiotiques pour le porcelet à la naissance. Les Danois en utilisent jusqu'à 2 500 ppm (parties par million) avant 15 jours, les Espagnols beaucoup plus, sans le dire ; chez nous, on se limite à 140 ou 150 ppm, pour éviter des résidus de métaux lourds dans les terres : nous nous imposons ainsi des contraintes supplémentaires. Nous travaillons encore sur les nanotechnologies en substitut. Au total, nous utilisons 22 % de produits en moins au cours des dix dernières années. Le ministre a même félicité la profession.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous souhaitions aussi vous interroger sur l'organisation nouvelle de l'abattage et sur l'état des installations d'abattage.

M. Philippe Lecouvey . - Des investissements et des restructurations ont été et demeurent nécessaires pour mettre en place de nouvelles usines. Il convient de raisonner en fonction des réalités de l'économie du porc, qui est fondée sur les coûts et non pas sur les marges. L'indicateur prix sert de référence à toutes les transactions. La transparence est totale. Dans ces conditions, il est nécessaire d'optimiser en permanence la gestion.

Cette spécificité française impose de rechercher systématiquement la valeur, de valoriser les produits et les coproduits. Ceux-ci posent problème, car nous n'avons plus de main d'oeuvre ! Le cinquième quartier, qui a longtemps constitué le résultat des entreprises, n'est pas suffisamment valorisé - je vous invite à faire témoigner les entreprises concernées. L'abattage ne connaît pas la recherche et développement ; on ne travaille pas suffisamment sur l'innovation produit. C'est un débat permanent dans la profession : la recherche doit-elle être collective ou privée ? Les entreprises y voient un élément de différenciation.

Les GMS provoquent une véritable asphyxie : la distribution apparaît plus dure que dans d'autres pays : c'est ce que montrent nos études comparatives internationales...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La situation n'est guère florissante...

M. Philippe Lecouvey . - Pour la viande porcine, en effet. Il faut se poser en permanence la question : comment vend-on les produits, qu'en fait-on, sur quels créneaux ?

Un mot sur la Chine, où nous exportons nos technologies et notre savoir-faire depuis 2008. Il faut en avoir conscience : un porc sur deux dans le monde est en Chine. Nous avons créé un consortium avec des entreprises de la filière. Notre qualité technique y est reconnue. Nous sommes considérés comme l'un des meilleurs pays, avec une excellente image en génétique, processus, sécurité sanitaire, gestion durable. C'est un atout considérable. L'image de notre pays est meilleure à l'étranger que chez nous. Je me rends tous les deux mois environ en Chine. Les Danois et d'autres pays s'y investissent de façon considérable. Nous avons encore des marges de progression. Soyons conscients de notre potentiel et de nos atouts, sachons les valoriser ! Le cochon devrait être reconnu au même titre que l'aéronautique...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il y a également beaucoup à faire sur notre territoire.

M. Georges Labazée . - Les associations de défense des animaux devraient être plus attentives aux conséquences de leurs actions sur les circuits économiques. Les contraintes sont très fortes, des normes sont démentielles...

M. Philippe Lecouvey . - Nous risquons de mourir avec la meilleure technique. Songez à ceux qui, au XIX e siècle, refusaient que le rail passe chez eux... Le porc est un secteur passionnant, très technique, où les enjeux de gestion sont importants. Prenons garde à l'écologie dogmatique : il ne faudrait pas que des végétariens viennent influer sur une profession qui fait vivre beaucoup de monde. Les salariés ne sont pas responsables de grand-chose.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci.

Audition de M. Christophe Marie, directeur du Bureau de protection animale et porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot (mercredi 15 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes heureux de vous entendre devant cette mission commune dont vous connaissez l'origine et la portée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous disposez sans doute de chiffres, en particulier pour l'abattage rituel, sur lequel vous avez beaucoup travaillé. Vous avez mis en ligne des données, des rapports, qui semblent être contestés par le ministère de l'agriculture. Les chiffres se contredisent : la Fondation Brigitte Bardot diffuse-t-elle de fausses informations ou le ministère cache-t-il la vérité ?

M. Christophe Marie , directeur du Bureau de protection animale et porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot . - Nous travaillons avec l'OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), qui accède aux abattoirs. Il est vrai qu'il est difficile d'obtenir des chiffres officiels sur l'abattage rituel. Le dernier rapport officiel date de novembre 2011 ; nous l'avons mis en ligne sur le site internet www.abattagerituel.com : il estime qu'il y a 51 % d'abattages rituels en France. C'est un communiqué de la chambre interdépartementale d'agriculture qui donne le chiffre de 100 % d'abattage rituel en Île-de-France. Nous ne lançons pas des chiffres au hasard.

L'OABA a également étudié les abattoirs. La comparaison entre ces chiffres et les derniers pourcentages publiés, exprimés en tonnage de viande, en retirant le poids des carcasses et autres déchets, et non en nombre d'animaux, peut prêter à confusion. Le ministère de l'agriculture a fait état de 14 % du tonnage. Cependant, avec 3,5 millions de grands bovins, on arrive à 1,3 million de tonnes, contre 83 000 tonnes pour 4,4 millions d'ovins.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Et les pourcentages ? Cela n'est pas très clair...

M. Christophe Marie . - Le rapport de novembre 2011 donne ce détail : 40 % pour les bovins adultes, 26 % pour les veaux, 58 % pour les ovins et 22 % pour les caprins. Depuis la publication d'un décret encadrant l'abattage rituel, nous devrions disposer de chiffres actualisés et reconnus par le ministère. Ce matin même, la Direction générale de l'alimentation (DGAL) m'a indiqué qu'ils ne seraient pas connus avant la fin de l'année. Nous saurons alors quel est, officiellement, le pourcentage d'animaux abattus sous forme rituelle.

Tous les nouveaux projets d'abattoirs prévoient un abattage halal. Or le ministère persiste dans son refus de ne pas soutenir l'étiquetage du mode d'abattage que nous demandons. Il n'y pourtant aucune raison que la majorité de la viande soit distribuée ainsi sans que les consommateurs le sachent. De plus en plus d'éleveurs ne veulent plus être pris en otages. La Fondation, qui a un rôle auprès du public, constate la demande des consommateurs. Il n'est pas normal de devoir établir des guides pour les informer.

Selon un rapport officiel datant de 2005, intitulé « Enquête sur le champ du hallal », 80 % de l'abattage ovin en France se pratiquerait sans étourdissement préalable. Quoique commandé par le ministère de l'agriculture, ce rapport a été mis de côté parce qu'il ne plaisait pas. Nous l'avons mis en ligne...Au sein de l'Union européenne, la France et la Belgique sont pointées du doigt, pour leur manque de volonté de mieux contrôler l'abattage rituel. Le récent décret que j'ai évoqué témoigne d'une volonté de traçabilité, pour s'assurer que les bêtes abattues rituellement correspondent à une demande spécifique. Toutefois, une bonne partie de la bête se retrouvera dans le circuit classique, et il est légitime d'informer les consommateurs. Il est urgent de mettre cette traçabilité, cette information, cette transparence en place.

L'un des premiers combats de Brigitte Bardot, dès 1962, a été de limiter la souffrance de l'animal au moment de sa mise à mort. Nous demandons qu'il soit préalablement étourdi. Nous avons rencontré le recteur Boubakeur, alors président du Conseil français du culte musulman, en 2004, à la mosquée de Paris. Il nous a clairement indiqué que rien ne s'opposait à cet étourdissement préalable, du moment qu'il était réversible, ce qui n'est pas le cas du pistolet perforant Matador. C'est possible avec la technique de l'électronarcose, largement utilisée en Australie. Un abattoir doit y avoir recours en France.

Dans la réglementation européenne et française, il y a exception à l'étourdissement si le rite oblige à ce que l'animal soit conscient. Ce n'est pas le cas pour l'abattage musulman. Des autorités musulmanes nous l'ont dit et répété. Un groupe plus radical demande que l'animal soit conscient. Faut-il donner raison à ceux qui refusent le dialogue alors que la majorité souhaite que l'animal souffre le moins possible ? La nouvelle règlementation sur l'abattage apportera des améliorations, ainsi qu'en matière de formation des personnels des abattoirs, peu qualifiés et souvent originaires des pays de l'Est.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment expliquer une telle proportion d'abattage rituel, alors que notre pays ne compte que 5 à 7 % de musulmans pratiquants et 1 à 2 % de juifs pratiquants, selon mes informations ?

M. Christophe Marie . - Le secteur économique des abattoirs sait se faire entendre. Il refuse de se compliquer la vie, puisque l'étiquetage n'est pas obligatoire ; comme aucune traçabilité n'est exigée, les viandes issues d'animaux abattus rituellement peuvent être recyclées dans le circuit classique.

Non sans hypocrisie, les autorités prétendent que la législation européenne est en cause. Mais lorsque le débat a eu lieu, la France a fait barrage. Mme Alliot-Marie, par exemple, a pris fermement position contre l'étourdissement lors d'un dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). De plus les États membres de l'Union européenne sont libres de prendre des dispositions selon les accords passés avec les cultes. La volonté d'encadrement fait défaut. Le secteur économique a été entendu, les cultes un peu, les associations de défense des animaux pas du tout.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Des tests scientifiques ont montré que les bovins pouvaient ne perdre conscience qu'au bout de 11 à 14 minutes. Or les abattoirs en abattent un toutes les 45 secondes. La qualité de la viande doit pâtir de la souffrance des animaux.

M. Christophe Marie . - Nous demandons que l'animal reste un temps minimal dans le piège de contention, pour contraindre les abattoirs à diminuer les cadences. Cela inciterait à développer l'électro-narcose ou l'étourdissement juste après la saignée, même si nous souhaitons plutôt un étourdissement préalable. Il faut que l'animal passe un temps suffisant dans le box pour garantir l'étourdissement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de 2011 explique que l'égorgement est très douloureux, voire insupportable. Étourdir l'animal après est-il pertinent ?

M. Christophe Marie . - Nous ne cessons de revoir nos demandes à la baisse. Depuis toujours nous réclamons un étourdissement préalable. En dépit d'échanges intéressants avec les cultes et de promesses que M. Sarkozy a renouvelées quand il est devenu président de la République, rien n'a suivi.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'abattoir de Sablé pratique l'abattage rituel avec égorgement puis étourdissement dans les cinq secondes qui suivent. Son ancien directeur affirme que cette méthode ne cause aucune souffrance aux animaux.

M. Christophe Marie . - Cette méthode se développe dans plusieurs abattoirs, comme à Charal. Si l'étourdissement est immédiat, on peut considérer que le système nerveux n'a pas le temps de ressentir la douleur.

M. Jean-Jacques Mirassou . - C'est vrai. L'animal fonctionne différemment de l'homme. Quand l'animal réagit à la douleur, l'homme qui l'intellectualise, se lamente et elle augmente d'autant. Le délai de quelques secondes me paraît un compromis raisonnable.

M. Christophe Marie . - C'est juste. Il en va de même quand on se coupe : sauf si on voit la blessure, la douleur n'est pas immédiate. Souvent l'animal relève la tête au moment de la saignée et est étourdi à ce moment-là. Qu'il échappe ainsi à l'agonie est un moindre mal.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous connaissance d'incidents dans les abattoirs ? Portez-vous plainte dans ces cas ?

M. Christophe Marie . - Nous n'y sommes pas habilités. Nous intervenons sur les sites d'abattage rituels temporaires ou contre les abattoirs clandestins, parce que l'on peut retenir un acte de cruauté sanctionné pénalement. Le contrôle des abattoirs relève des services vétérinaires. Dans des cas particulièrement graves, par exemple d'animaux suspendus vivants, ils nous demandent de nous porter partie civile.

Il y a de grandes différences entre les abattoirs. Certes un taux d'erreur sur le système d'étourdissement de 1 à 2 % est acceptable, mais il peut monter à plus de 20 %. Les États-Unis ont établi un barème de contrôle pour évaluer les erreurs.

Nous espérons que les formations prévues par la nouvelle règlementation sur les abattages apportera des améliorations. Toutefois, les procédures simplifiées applicables aux personnes travaillant depuis trois ans, dispensées de formation, nous inquiètent. On peut commettre des erreurs pendant trois ans sans le savoir.

De plus les contrôles dans les abattoirs sont effectués post-mortem . Cela crée un risque sanitaire pour les consommateurs. Surtout, comment apprécier l'état des animaux à l'arrivée à l'abattoir ?

M. Jean-Jacques Mirassou . - Absolument ! Il faut surveiller ce qui se passe en amont des abattoirs. On découvrirait bien des manquements.

M. Christophe Marie . - Ainsi de l'abattage dit d'urgence quoique réalisé en dernier, pour des animaux qui arrivent dans un état lamentable !

M. Jean-Jacques Mirassou . - Le mauvais traitement à animal mène en correctionnelle. Je partage votre point de vue sur la formation. Celui qui est formé aura un geste un geste plus sûr.

M. Christophe Marie . - N'oublions pas que la règle est l'étourdissement. L'exception doit être justifiée par une demande spécifique. Or la pratique s'est inversée. Nous récupérons de nombreux animaux en souffrance : 600 bovins, 400 chevaux en situation de maltraitance. A cet égard de nombreux éleveurs en difficulté laissent leurs animaux dépérir et les syndicats agricoles témoignent de peu de solidarité.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Quelle technique concilierait-elle l'intérêt de l'animal, l'abattage à des fins rituelles et l'abattage destiné au circuit commun ?

M. Christophe Marie . - De nombreux pays musulmans pratiquent l'étourdissement. Certains abattoirs d'ovins usent de la saignée après étourdissement avec l'accord des autorités religieuses. En revanche, je ne connais pas d'exemple de pays ayant passé des accords avec les représentants du culte juif pour un abattage avec étourdissement.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions.

Audition de MM. Frédéric Gheeraert, directeur général, et Luc Horemans, directeur qualité, de Scamark, filiale de Leclerc (jeudi 16 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information, créée à l'initiative du groupe UDI-UC après le scandale de la viande de cheval s'intéresse à tous les maillons de la filière viande, et tout particulièrement à la distribution, que vous représentez.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans une tribune intitulée « viande de boeuf ou de cheval : grosses arnaques et pratiques mafieuses », Michel-Edouard Leclerc a récemment déclaré qu'il n'y avait pas de problème de traçabilité : « En quelques heures, les pouvoirs publics ont été capables de retracer l'itinéraire de la viande en question et de lister les nombreux intermédiaires impliqués. On n'aurait jamais pu faire cela il y a une quinzaine d'années. C'est donc que l'ensemble de la chaîne agro-alimentaire a tiré les leçons des crises plus anciennes et qu'elle s'est (de ce point de vue au moins) complètement réorganisée. Tant mieux pour le consommateur. Le problème, j'insiste, n'est donc pas un problème de traçabilité. Il s'agit d'une arnaque commerciale de grande ampleur. Le vrai problème est le traitement de la fraude et donc la vérification des allégations de marchandises entre professionnels. Ce n'est pas moins grave ». Il dénonce ensuite les traders , les insuffisances de l'Etat en matière de contrôle, et fait une demande d'étiquetage plus précis sur l'origine des viandes composant les produits transformés. La Scamark développe les produits de marque de distributeur : que pensez-vous de ces déclarations ? Y a-t-il des dérives dans l'industrie agroalimentaire ? Les contrôles ont-ils atteint leurs limites ? Peut-on simplifier les étiquetages, ou faut-il au contraire les rendre plus complets ?

M. Frédéric Gheeraert, directeur général de Scamark . - Je pense tout d'abord que les marques de distributeur ne fournissent pas exclusivement des produits d'entrée de gamme.

Au demeurant, chez Leclerc, la « marque repère » n'est pas une entrée de gamme.

Michel-Édouard Leclerc a parfaitement raison. L'enseigne Leclerc a été marquée par deux crises successives : celles des rillettes et celle du steak haché en 2005. Il y a eu un avant et un après steak haché. Le fondateur de l'enseigne, Édouard Leclerc, a toujours privilégié la dimension humaine, les réponses aux questions de société, et donné la priorité aux consommateurs : il n'aurait jamais vendu de produits présentant un risque quelconque. Depuis la crise de 2005, nous ne travaillons plus qu'avec un seul fournisseur de viande, dont nous connaissons les engagements en matière de qualité. Au-delà de la traçabilité, l'histoire du secteur témoigne que, de toute manière, les acteurs les moins bons ne peuvent que disparaître. Le scandale de la vache folle, qui a considérablement modifié les habitudes des professionnels, l'a bien montré.

Dans le cas du horsegate , il ne s'agit que d'un problème de fraude. C'est comme si l'on avait arrêté un conducteur sans permis.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut donc accroître la vigilance à l'égard des conducteurs sans permis...

M. Frédéric Gheeraert . - Certes, mais du fait des écarts de prix entre produits, il y aura toujours des tentations de fraude, malgré toutes les exigences de traçabilité et tous les contrôles.

L'enseigne Leclerc est peu intégrée, à l'exception de l'eau, à laquelle Edouard Leclerc attachait beaucoup d'importance, et des abattoirs, car le groupe avait racheté pour des raisons de circonstances les abattoirs Gilles, qui ont grandi et sont devenus Kermené. Chaque bête y est tracée avec précision. La technique du contrôle ADN y est utilisée. On ne recherchait pas spécialement à détecter la viande de cheval, car celle-ci était historiquement plus chère... Notez sur ce point qu'on effraie les consommateurs pour rien, comme l'a fait l'émission Capital récemment : des traces d'ADN d'un animal peuvent être déposées sur un autre par le couteau qui aura servi à les découper successivement. En Belgique, des retraits ont été ordonnés pour cette raison ! La technique n'est pas entièrement fiable, à plus forte raison sur les produits transformés. Une autre technique, celle des puces électroniques, permet d'identifier sept types de viande, mais elle reste marginale.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les tests ADN ne sont effectués qu'en un seul point sur des palettes d'un mètre cube.

M. Frédéric Gheeraert . - Lorsque vous faites un sondage, vous n'interrogez pas tous les Français ! Les procédures de test sont élaborées par les statisticiens de nos laboratoires. Les échantillons sont systématiquement conservés.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous appliquez la méthode HACCP ( Hazard analysis critical control point ) ?

M. Frédéric Gheeraert . - En effet. Mais ceux qui veulent tricher trouveront toujours des moyens de le faire.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les autocontrôles par les opérateurs sont-ils suffisants pour assurer la santé sanitaire ?

M. Frédéric Gheeraert . - Chacun ses responsabilités. Cela vaut dans tous les secteurs : Air France ne va pas chez Airbus pratiquer ses propres contrôles sur les avions. Nous exigeons de nos fournisseurs le respect d'un cahier des charges strict ; et ils appliquent la réglementation européenne. Ils nous transmettent à première demande tous les documents que nous leur réclamons, mais il n'est pas question de se substituer à eux dans la chaîne de responsabilités. Si la réglementation évolue, à eux de prendre leurs responsabilités. Nous pratiquons tout de même des contrôles aléatoires, pour lesquels nous dépensons 8 millions d'euros par an.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut donc faire confiance aux industriels ?

M. Frédéric Gheeraert . - C'est indispensable.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais la faute de l'un d'entre eux éclabousse toute la profession.

M. René Beaumont . - Il n'y a pas seulement les autocontrôles. Il y a aussi les trois services de l'Etat : les services vétérinaires, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et les douanes. C'est un système astucieux, qui distingue différents niveaux de contrôle - sanitaire, microéconomique, réglementaire - et qui fonctionne. Le niveau de contrôle exercé dans les autres pays européens m'inquiète bien davantage. Les services français ne sont d'ailleurs nullement en cause dans le scandale de la viande de cheval. On sait bien que dans certains pays, les activités véreuses s'épanouissent. Rn l'occurrence la viande provenait de Roumanie, et cela ne m'étonne pas ; mais elle avait transité par les Pays-Bas - c'est plus inquiétant !

Vétérinaire à Cuiseaux pendant de nombreuses années, je sais comment fonctionnent les contrôles. Je peux vous dire qu'ils sont très sérieux. Les grandes enseignes comme Bigard sont très suivies, les analyses auxquelles elles se soumettent sont nombreuses. Elles le sont d'autant plus que les consommateurs veulent désormais des steaks hachés à 10 % ou 0 % de matière grasse, ce qui demande des manipulations. A dire vrai, en France les contrôles sont presque trop nombreux, car les trois services de l'Etat sont en concurrence entre eux ! Le problème est davantage européen.

M. Frédéric Gheeraert . - Toutes les professions sont éclaboussées par les scandales qui éclatent en leur sein.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Faut-il renforcer les autocontrôles et les contrôles des services officiels ?

M. Luc Horemans , directeur qualité de la Scamark. - Entendons-nous sur la notion d'autocontrôle. Les contrôles a posteriori que nous réalisons sont de l'ordre de la surveillance. Lorsqu'un problème est détecté, c'est que le produit a été consommé. Les numéros verts que nous avons mis en place, destinés à recueillir directement l'avis des consommateurs, rentrent dans cette catégorie.

Le contrôle qualité dépend essentiellement du système de management de la qualité pratiqué dans les usines : la méthode HACCP, le contrôle des matières premières, la qualification des personnels, les machines, en sont des composantes parmi d'autres. Notre rôle est d'abord de ne pas nuire à la santé du consommateur, de ne pas le tromper, mais aussi de lui procurer du plaisir à la dégustation. Pour cela, nous nous sommes soumis à des normes strictes élaborées conjointement avec les professionnels allemands et adoptées depuis par les professionnels italiens : la norme IFS ( International featured standards ).

M. Frédéric Gheeraert . - Nous exigeons leur respect par toute entreprise qui souhaite travailler avec nous. Les plus petites peuvent bénéficier d'un délai d'adaptation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les sanctions sont-elles suffisantes ? Ne faut-il pas les renforcer, pour dissuader les professionnels de frauder ?

M. Frédéric Gheeraert . - Les sanctions sont terribles et immédiates. Voyez Spanghero, qui n'existe quasiment plus ! D'autres entreprises de la même chaîne de production sont menacées.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il ne s'agit pas de sanctions au sens juridique, les médias ont joué un rôle !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Jusqu'où faut-il aller dans l'étiquetage ? Michel-Edouard Leclerc demande que le pays d'origine soit mentionné sur les étiquettes des produits transformés.

M. Frédéric Gheeraert . - Les transformations sont parfois complexes : la provenance des composants d'un plat cuisiné peut varier chaque jour.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous pourriez modifier les étiquettes tous les jours. Il y a dans mon département une entreprise dont c'est le coeur de métier.

M. Frédéric Gheeraert . - Les étiquettes seraient illisibles ! Une anecdote : dans la brasserie où j'ai pris un café ce matin, les viandes étaient étiquetées « origine France et Union européenne ».

M. René Beaumont . - Origine France, cela veut dire quelque chose ! Ce n'est pas le cas de la mention « origine communautaire » : qui me dit que la viande en provenance de Roumanie n'a pas subi les pires transformations ?

M. Frédéric Gheeraert . - En Europe, la réglementation est supposée respectée par tous, ou par personne.

M. René Beaumont . - Non : nous sommes les seuls, en France, à appliquer la réglementation européenne tout de suite et tout le temps. Nous ne sommes pas comparables avec la Roumanie ou la Bulgarie.

M. Frédéric Gheeraert . - Notre cahier des charges couvre l'Europe des quinze ou seize.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Mais certains pays sont sans doute moins sûrs. Qu'en est-il de la Pologne par exemple ?

M. Luc Horemans . - Il y a des fournisseurs de très bonne qualité en Pologne. En outre nous avons des magasins dans ce pays et il serait malvenu d'exclure les professionnels polonais.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quels sont vos principaux fournisseurs de viande ?

M. Frédéric Gheeraert . - Notre viande est à 90 % d'origine française.

M. Luc Horemans . - Le boeuf vient également d'Allemagne et d'Italie.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il est donc possible d'indiquer ces origines sur l'étiquette. Ce n'est pas insurmontable.

M. Luc Horemans . - La mention d'origine est déjà obligatoire pour le boeuf. Elle devrait être étendue à toutes les viandes fraîches d'ici à la fin de l'année. Il s'agit d'indiquer le lieu de naissance, le lieu d'élevage, et le lieu d'abattage de la bête. La mention « Origine France » signalerait par exemple la viande des bêtes nées, élevées et abattues en France. A l'exception du porc, qui circule parfois dans différents pays du nord de l'Europe, l'étiquetage des autres viandes que le boeuf ne pose pas de problème car les animaux vivent peu de temps.

Le règlement européen sur l'information des consommateurs, dit « Inco », prévoit aussi l'indication d'origine des produits transformés. Prenez l'exemple d'une saucisse de Strasbourg, composée de gras et de maigre de boeuf et de porc en provenance de France, d'Allemagne et d'Italie, mais dont les fournisseurs respectifs peuvent changer chaque jour. S'il faut préciser tous les lieux de naissance, d'élevage et d'abattage des bêtes, vous imaginez la complexité de l'étiquette...

L'interprofession bovine plaide évidemment pour ces nouvelles contraintes, car celles-ci favoriserait la viande française, plus simple à étiqueter !

M. Frédéric Gheeraert . - Nous avons des alliances avec des entreprises belges, allemandes, italiennes, suisses : lors du scandale de la viande de cheval, toutes se sont repliées sur leur production nationale dans un réflexe chauvin.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les professionnels allemands travaillent dans de meilleures conditions, car ils ont des charges de main-d'oeuvre inférieures. Il n'y a pas de smic...

M. Frédéric Gheeraert . - Faisons alors l'Europe fiscale et sociale !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelles marges réalisez-vous sur les produits carnés ? Fournissez-vous plusieurs filières de consommation, en dehors de Leclerc ? Les produits sont-ils tous de même qualité ?

Quelles propositions de modification de la loi de modernisation de l'économie (LME) feriez-vous pour mieux répercuter sur le prix final les variations des coûts de production ?

M. Frédéric Gheeraert . - Nous ne produisons en marque de distributeur que pour Leclerc. La gamme est large. Le premier prix respecte normes et cahiers des charges applicables aux autres productions, mais il est certain que le plaisir gustatif est moindre. Un camembert premier prix est sain mais moins savoureux qu'un camembert au lait cru.

M. Luc Horemans . - Les emballages également sont moins beaux, donc moins chers.

M. Frédéric Gheeraert . - Une même usine peut par exemple fabriquer le même type de crème dessert pour différentes marques, mais en respectant la recette et le cahier des charges de chacune.

S'agissant des marges, je vous renvoie au rapport de l'observatoire des prix et des marges. Les rayons boucherie dégagent une marge négative de 1,9 %. D'ailleurs je vous le prédis : ils vont disparaître, car nous ne trouvons plus de bouchers qualifiés.

M. René Beaumont . - Chez Bigard, on manque aussi chroniquement de désosseurs.

M. Frédéric Gheeraert . - Ce n'est pas même une question de salaire, car les bouchers touchent le deuxième salaire le plus élevé de nos magasins, après le directeur.

M. René Beaumont . - Le métier est dur : les horaires, le froid...

M. Frédéric Gheeraert . - Il ne restera bientôt plus que la viande en libre service.

M. René Beaumont . - Où gagnez-vous de l'argent, si ce n'est dans la viande ?

M. Frédéric Gheeraert . - La grande distribution gagne plus d'argent dans le textile, les produits frais, l'épicerie...

M. René Beaumont . - Les produits laitiers rapportent-ils davantage que la viande ?

M. Frédéric Gheeraert . - Tout rapporte davantage que la viande, dont la marge est négative ! Les produits laitiers demandent moins de manipulations.

Nous avons besoin de lisibilité, c'est pourquoi j'ai une part de réticence à ce que l'on modifie une fois de plus la loi. L'indexation pose problème. La spéculation a contribué à la fluctuation des prix des matières premières. Or, si l'on garantit aux spéculateurs que les prix seront indexés, il n'existe plus de freins. Ma crainte, c'est qu'au final le consommateur paye la facture. Lorsque l'on a abrogé la loi Galland, il en a été le premier bénéficiaire, car le système des marges arrière lui coûtait cher ! Mais le lobby des consommateurs étant le moins puissant, des alliances se forment entre les deux autres acteurs. Il faut répartir plus équitablement les charges. Enfin, n'oublions pas que la concurrence continue à s'exercer sur les marchés. L'indexation pose un deuxième problème : si les prix augmentent trop, nous nous fournirons ailleurs. L'indexation est une fausse bonne idée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En avez-vous une meilleure ?

M. Frédéric Gheeraert . - Organisons des filières, engageons-nous dans la contractualisation. Il faut résoudre le problème là où il se trouve. Dans les charges ? Le secteur agricole ? Les successions ? Les regroupements ?

En France, la distribution est toujours mise au banc des accusés. Pourtant, elle est moins concentrée qu'en Allemagne ou dans d'autres pays d'Europe - en Finlande deux opérateurs se partagent 80 % du marché. Les problèmes de l'entreprise Doux ne sont pas imputables à la distribution française mais à des investissements hasardeux au Brésil. Ne demandons pas à la distribution de régler des problèmes qui ne sont pas de son ressort.

L'accord sur le lait est symptomatique : la production de lait française va pour moitié à l'industrie de transformation, l'autre moitié étant commercialisée par la distribution. Nous étions d'accord, pour notre part, pour signer un chèque directement aux éleveurs. Le médiateur en a décidé autrement en prévoyant 2 centimes de hausse au litre pour les produits transformés et 3 centimes sur le lait de consommation. Ce système, qui s'appliquera en « pied de facture », à partir du 3 juin, est cependant compliqué à surveiller : comment savoir combien de litres de lait entrent dans la fabrication de tel ou tel fromage ? En outre, les industriels on tendance à s'abriter derrière les origines du lait : ils affirment s'approvisionner beaucoup à l'étranger, ce qui est pratique pour ne pas contribuer à hauteur de 3 centimes le litre... Bref, l'intention est bonne au départ mais les résultats risquent d'être bien décevants tandis que la production de lait continue à diminuer en France.

M. René Beaumont . - Bientôt il n'y aura plus de production de lait en France ! Ce sera une perte énorme. Les producteurs de lait ne gagnent plus correctement leur vie et leurs contraintes professionnelles sont très lourdes. Un éleveur de Charolais dans la Somme, en comparaison, est bien mieux loti : il fait chaque jour un tour des écuries l'hiver, des prés l'été, pour voir si tout va bien et tire de sa production une rentabilité très correcte.

M. Frédéric Gheeraert . - Pour le lait, nous traitons avec les grands groupes comme Danone ou Lactalis, pas avec les producteurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Michel-Edouard Leclerc a déclaré que l'industrie de la viande doit réviser ses pratiques. Vous défendez le statut quo ?

M. Frédéric Gheeraert . - Le secteur de la viande est en train de s'assainir. Sur les trois entreprises françaises dont les pratiques laissaient gravement à désirer, une a disparu, une autre va suivre. Il en reste une...

M. Frédéric Gheeraert . - J'en termine en évoquant le « programme national nutrition santé » (PNNS). Nous nous sommes engagés dans ce cadre à diminuer la quantité de gras, de sucre et de sel dans nos produits. Nous l'indiquions sur les emballages, bien sûr. Nous avons ainsi réduit le sucre dans certains de nos yaourts, jusqu'à 28 % : le goût était différent, mais le consommateur savait pourquoi et faisait son choix. Et voilà que le Parlement européen décide que seule une réduction d'au moins 30 % pourrait ouvrir droit à une mention sur les étiquettes. Nous risquions de fortes amendes. Nous avons arrêté la distribution de ces produits. Les décideurs européens n'ont pas compris qu'acclimater les consommateurs à de nouvelles saveurs ne se fait pas brutalement.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour votre contribution.

Audition de MM. Gérard Durand, secrétaire national chargé de l'élevage, et Christian Drouin, responsable de la commission viande de la Confédération paysanne (jeudi 16 mai 2013)

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La Confédération paysanne a présenté plusieurs propositions pour la filière viande, notamment en matière d'abattage, de distribution et de contractualisation. Pouvez-vous nous les expliquer dans le détail ?

Vous préconisez des prélèvements de tissu sur les animaux avant l'abattage pour conserver les empreintes ADN. La traçabilité est-elle encore insuffisante ?

M. Gérard Durand, secrétaire général de la Confédération paysanne, chargé de l'élevage. - La crise de la vache folle a conduit à renforcer considérablement les contrôles et les exigences de traçabilité, jusqu'à l'excès, pour rassurer les consommateurs. Or dans le scandale de la viande de cheval, ce ne sont nullement les producteurs, mais les industriels de la transformation, qui sont en cause. Ce sont pourtant les producteurs qui sont pénalisés car le volume de consommation et les prix de la viande baissent. Les producteurs sont soumis à la conditionnalité des aides de la PAC tandis que les industriels peuvent faire de l'autocontrôle, ce que nous dénonçons. Nous demandons plus de contrôles par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), hélas victime ces dernières années de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Il y a une quarantaine d'années, l'époque était marquée par le règne du productivisme. On ne se souciait ni du consommateur ni de l'environnement. On se contentait de produire le plus possible. Aujourd'hui tout le monde est d'accord pour plus de transparence et de traçabilité. Mais il faut aussi mettre un terme à l'inflation des normes : les éleveurs n'en peuvent plus, ils passent beaucoup de temps à remplir des papiers. Trop de normes tuent l'élevage.

M. Christian Drouin, responsable de la commission viande de la Confédération paysanne. - Dans les entreprises, des services qualité sont mis en place. Ils n'auraient pas de sens dans les fermes où seulement une ou deux personnes s'occupent de tout. Les exploitants qui se sont lancé dans la vente directe à la ferme ne comprennent pas d'avoir à respecter autant de normes que les gros industriels : ils n'ont pas les mêmes risques de fraude ! Or ils perdent des jours entiers à s'occuper de paperasses.

M. Gérard Durand . - Le scandale de la viande de cheval est celui de l'industrialisation et de l'autocontrôle. Pour notre part, nous défendons la relocalisation de la production, au plus près du consommateur. Il est incompréhensible que les règles soient les mêmes pour les industriels et pour la transformation fermière relocalisée. Les consommateurs veulent savoir ce qu'ils mangent et ils se défient du modèle industriel. Les circuits courts sont un réel enjeu.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quel regard portez-vous sur la situation économique de l'élevage ?

M. Gérard Durand . - Nous avons élaboré un plan pour sauver l'élevage français. Fin 2012, les chiffres qui ont été publiés montrent de forts écarts de revenus entre les producteurs de viande et de lait et les céréaliers, le revenu allant de 14 000 euros par an pour les premiers à près de 80 000 euros pour les seconds. De plus, la flambée des prix des matières premières a eu une incidence sur les coûts de production et donc sur les revenus des exploitants. Il a fallu du temps pour en prendre conscience.

Avec la dérégulation à outrance, les éleveurs n'ont plus de vision à moyen et long terme. Comment assurer le renouvellement des générations, alors que 55 % des producteurs de viande bovine ont plus de 50 ans ?

M. Christian Drouin . - Dans le secteur de la viande bovine, il n'est même pas possible de se projeter à trois mois, du fait de l'absence d'indexation des prix de vente sur le coût des matières premières. Ce système très archaïque décourage les jeunes d'aller vers l'élevage, d'autant que le revenu annuel ne dépasse pas 20 000 euros...les très bonnes années. Ils préfèrent se tourner vers la production céréalière, bien moins contraignante.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Y a-t-il beaucoup d'abandons d'exploitation dans l'élevage ?

M. Gérard Durand . - Il y en a trop. Voulons-nous une France totalement végétalisée ? Dans mon canton, situé au sud de Nantes, une ferme par commune est passée de l'élevage aux céréales. Les statistiques nationales iront sans doute dans le même sens.

M. Christian Drouin . - L'écart des investissements entre les céréales et l'élevage va de un à trois : un pour les céréales, deux pour le lait et trois pour la viande. Quand un jeune exploitant va voir son banquier, il lui accorde un prêt à condition qu'il s'oriente vers la production végétale.

M. Gérard Durand . - Voulons d'une France d'élevage ou de grande culture ? Notre pays s'approvisionnera-t-il à l'avenir sur le marché mondial pour sa consommation de viande ? Si l'on veut éviter cela, il convient de réagir vite en prévoyant l'indexation des prix de vente de la viande sur le coût de l'alimentation animale. Il est faux de croire qu'avec moins d'exploitants, notre pays produira plus.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous des distorsions de concurrence en Europe ?

M. Gérard Durand . - Depuis longtemps, je me revendique citoyen du monde. L'Europe est une belle idée, mais pour l'instant, elle est libérale et libre échangiste alors que les États-Unis et la Chine ont décidé de protéger leurs marchés. La confédération paysanne prône la préférence communautaire. Les prix payés en Europe, et donc en France, sont fixés à partir de ceux pratiqués dans les échanges mondiaux. Pour le lait, seule 4 % de la production mondiale fait l'objet de transactions internationales. Et c'est en fonction de ces échanges que l'on fixe le prix du lait en France !

Les coûts de production des ovins en Nouvelle-Zélande ne sont pas du tout les mêmes qu'en France. Si l'on fixe les prix en fonction de ceux de ce pays, autant arrêter tout de suite l'élevage de moutons chez nous. Faut-il vraiment retenir le plus petit dénominateur commun pour fixer les prix ? En poursuivant sa politique de libéralisation à outrance, l'Europe risque de détruire l'élevage.

Pour l'alimentation mondiale, il est dramatique de s'aligner sur le moins disant : voyez les conséquences d'une telle politique sur les productions vivrières en Afrique. Nos ailes de poulet qui sont vendues sur les marchés africains provoquent l'effondrement des productions locales. Est-ce cela que l'on veut ?

M. Christian Drouin . - Il faudrait des incitations à la production locale. Pourquoi ne pas demander aux collectivités de consommer local ?

Comment comprendre que de la viande de cheval arrive dans nos assiettes alors que nous vendons des taurillons sur le fragile marché turc, taurillons qui pourraient parfaitement être transformés dans nos plats cuisinés ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - En l'occurrence, il s'agit d'une fraude : la viande de cheval était beaucoup moins chère.

M. Gérard Durand . - Les contrôles devraient être renforcés en cas d'approvisionnement sur le marché mondial.

M. René Beaumont . - Il y a trois ans, les prix étaient au plus bas et nous avons été bien contents de pouvoir exporter nos taurillons en Turquie, ce qui a d'ailleurs permis de faire remonter les prix en France. A contrario , nous importons de la viande de moins bonne qualité organoleptique - et donc moins chère que les taurillons - pour l'incorporer dans nos plats cuisinés. Utiliser des taurillons pour des lasagnes, ce serait du gaspillage !

M. Gérard Durand . - L'Allemagne vend des machines-outils et des voitures de qualité. En France, nous savons faire de très bons produits alimentaires : développons donc ce créneau qui est porteur plutôt que de courir après des productions de masse à moindre coût, au risque de tuer notre agriculture.

M. Christian Drouin . - La qualité des produits n'entraîne pas de surcoûts pour le consommateur. Mieux vaut acheter de bons aliments plutôt que des plats cuisinés, plus chers et de mauvaise qualité.

M. Gérard Durand . - La France restera-t-elle la première destination touristique mondiale si elle n'est plus qu'une grande plaine céréalière ?

M. René Beaumont . - N'exagérez pas ! Le Massif central ne sera jamais couvert de céréales.

M. Gérard Durand . - La diversité de nos paysages est un atout indéniable. Tous ceux qui vivent dans des zones escarpées n'auront effectivement pas le choix, mais ils devront se contenter de vivoter.

M. René Beaumont . - Dans le Cher, il n'y a plus beaucoup d'éleveurs : heureusement que je ne m'y suis pas installé en tant que vétérinaire !

La Nouvelle-Zélande est faite pour élever des moutons et la France ne pourra conserver ses ovins que s'ils sont d'excellente qualité, ce qui lui permettra de les vendre plus chers.

Je déplore que notre production de lait soit en train de disparaître. Enfin, je suis tout à fait partisan de la vente à la ferme, mais cela implique des investissements assez lourds.

M. Gérard Durand . - Une politique incitative est indispensable pour permettre de développer ces niches, et maintenir un élevage de proximité, qui crée de l'emploi, pas des élevages industriels de 1 000 vaches.

M. Christian Drouin . - Je crains que nous n'en prenions pas le chemin : les abattoirs de proximité sont en train de disparaître.

M. Georges Durand. - Nous n'allons pas enrayer la mondialisation : la seule solution consiste à jouer sur nos atouts. Et pourquoi ne pas réorienter les aides de la politique agricole commune (PAC) vers les productions fragilisées, comme la viande ou les fruits et légumes ? Pour moi, la proposition de prime aux 50 premiers hectares de Stéphane Le Foll va dans le bon sens, même si elle ne peut constituer qu'un début de mesures en faveur de l'emploi et d'exploitations à taille humaine. Je sais que nos adversaires n'y sont pas favorables, mais au vu des chiffres, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi : ceux qui travaillent 800 heures reçoivent cinq fois plus que ceux qui travaillent 3 000 heures...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le Sénat a adopté sur ce point une résolution européenne sur la PAC qui va dans notre sens.

M. Christian Drouin . - Le couplage des aides est primordial si nous ne voulons pas voir disparaître l'élevage. L'exemple de l'Irlande qui a mis fin au couplage est à cet égard frappant.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre proposition d'aller le plus loin possible dans le couplage des aides directes a été adoptée à l'unanimité.

Audition de M. Hervé Bélardi, chargé de mission de la confédération nationale des sociétés protectrices des animaux (SPA) (jeudi 16 mai 2013)

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Votre éclairage sur le bien-être animal nous sera utile, particulièrement dans le domaine de l'abattage.

M. Hervé Bélardi, chargé de mission de la confédération nationale des sociétés protectrices des animaux (SPA). - La confédération nationale des sociétés protectrices des animaux (CNSPA) représente 274 associations réparties dans 93 départements. Son sujet de prédilection n'est pas la viande, mais une dizaine d'associations orientent leurs activités vers les grands animaux (ânes, chevaux...) et le bétail. Les associations regroupées dans la confédération représentent environ 360 000 adhérents

Lors de notre dernière campagne sur la protection des animaux, la question du bien-être des animaux de vente et de consommation a été largement abordée. L'abattage est évidemment une question essentielle. L'expression d'abattage rituel n'est pas la plus pertinente. Je préfère parler d'abattage sans étourdissement, ce qui pose le problème de la souffrance animale. Mais l'absence d'étourdissement pose aussi un problème sanitaire, qui a été soulevé par certains scientifiques.

La CNSPA est membre d 'Eurogroup for animals , qui travaille aux côtés des institutions européennes pour définir des règles de transport et d'abattage des animaux. Nous avons aussi des contacts fréquents avec le ministère de l'agriculture et ses services déconcentrés. Nous participons régulièrement aux réunions des Conseils départementaux de la santé et de la protection animales (CDSPA). Une réforme est en cours ; elle doit rendre les régions compétentes sur la question et instituer, dans chacune d'entre elles, un fonctionnaire chargé de suivre la problématique du bien-être des animaux.

Nous avons également un rôle d'alerte, comme dans l'affaire du jeune homme décédé après un repas dans un restaurant Quick . Y a-t-il eu un problème sanitaire lors de l'abattage ? D'après le professeur Mouthon, de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, la bactérie e-coli peut se transmettre par l'oesophage. D'autres spécialistes contestent cette affirmation. Si les steaks hachés en question provenaient de bêtes abattues sans étourdissement, il se peut que la bactérie leur ait été transmise. C'est à ce titre que nous réclamons, à défaut de l'étourdissement de tous les animaux, un étiquetage clair du mode d'abattage.

Il existe peu d'incidents lors de l'étourdissement ; encore faut-il que le matador  soit bien utilisé. En revanche, de nombreux incidents ont lieu avec les pinces d'électronarcose.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pour quel type d'animaux ?

M. Hervé Bélardi . - Pour les ovins principalement. En outre, il y a beaucoup plus d'abattages sans étourdissement aujourd'hui qu'il y a vingt ans. En Ile de France, les abattoirs ne sont plus équipés pour étourdir.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi l'abattage sans étourdissement se développe-t-il ?

M. Hervé Bélardi . - Pour des raisons économiques par rapport à l'abattage avec étourdissement : cela permet de gagner du temps. En outre, pour toute la production en abattage sans étourdissement, cela évite de mettre en place deux chaînes d'abattage, ce qui accroît la rentabilité.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Si un bovin ou un ovin mettent 14 minutes à mourir, cela signifie donc qu'ils sont découpés vivants ?

M. Hervé Bélardi . - En effet. Moins de 10 % de la viande abattue est destiné au marché halal ou cascher, alors qu'un animal sur deux est abattu sans étourdissement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourtant, on pourrait envisager un abattage rituel avec étourdissement ?

M. Hervé Bélardi . - Effectivement. Il y a quatre ans, nous avons rencontré des responsables religieux ; étourdir un animal ne semblait pas poser de problème pour l'islam. Mais peut-être le discours s'est-il depuis radicalisé... Quelques associations essayent aussi de mettre bon ordre dans l'abattage clandestin, qui s'est énormément développé.

Un abattage sans étourdissement n'est pas nécessairement rituel. D'autres règles sont à respecter pour un abattage rituel : présence d'un sacrificateur, orientation de la tête de l'animal...

La souffrance animale est difficile à mesurer. Les défenseurs de la tauromachie  prétendent que l'animal ne souffre pas, tant est grand son taux d'adrénaline. Pour autant, il est indéniable que l'animal souffre.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Un rapport du Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) établit clairement que l'égorgement est un moment de souffrance.

M. Hervé Bélardi . - Accepterions-nous de nous faire arracher une dent sans anesthésie ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Portez-vous plainte contre les exploitants d'abattoirs lorsque vous constatez des manquements à la réglementation de l'abattage ?

M. Hervé Bélardi . - Systématiquement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette souffrance animale imposée de façon non justifiée peut avoir un impact négatif sur la consommation. C'est le constat fait par le rapport de la DGAL : la souffrance animale cohabite mal avec l'éthique des consommateurs. Cela risque d'avoir à terme un impact sur les producteurs.

M. Hervé Bélardi . - Effectivement. La majorité des producteurs travaillent dans des conditions difficiles : il faut les protéger. Le discours sur le bien vivre et le bien mourir animal prend de l'ampleur ; je me suis rendu en mars 2012 à une réunion à Nîmes sur la protection animale. Dans le bus, cinq ou six personnes sur 45 déclaraient ne jamais manger de produits carnés. Cela n'était pas pensable il y a vingt ans.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut rassurer le consommateur dans tous les domaines : qualité de la viande, origine, souffrance de l'animal...

M. Hervé Bélardi . - L'étiquetage constitue un bon moyen de garantir la sécurité des consommateurs. Si un animal sur deux est abattu sans étourdissement, c'est un argument pour demander l'étiquetage. On a connu un problème analogue avec les oeufs de poulet en batterie.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions de votre contribution.

Audition de Mme Nicole Sugier, présidente de la société nationale de défense des animaux (SNDA) et de M. Ghislain Zuccolo, directeur de la protection mondiale des animaux de ferme (PMAF) (jeudi 16 mai 2013)

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Notre mission sur la filière viande va « de la fourche à la fourchette ». Or, le consommateur s'intéresse de plus en plus à ce qu'il mange et aux conditions d'élevage ou d'abattage. Avant d'en venir à ces questions, pouvez-vous présenter votre association ?

M. Ghislain Zuccolo . - Fondée en 1994 et reconnue d'utilité publique, notre association pour la protection mondiale des animaux de ferme (PMAF) remplit plusieurs missions. Nous conseillons d'abord tous ceux qui sont chargés de mettre en oeuvre la réglementation qui protège les animaux d'élevage. Nous surveillons particulièrement l'application des normes pour le transport des animaux et avons publié un guide pratique sur ce sujet ; en complément, nous intervenons régulièrement à l'école de formation des gendarmes située à Fontainebleau. Nous travaillons ensuite avec l'industrie agro-alimentaire, la grande distribution et les éleveurs pour accompagner les initiatives favorisant le bien-être animal (BEA). L'association gère également un département éducation, qui intervient de l'école primaire à l'enseignement supérieur agricole, ainsi qu'une ferme d'animation de 44 hectares dans la Meuse qui recueille en priorité des animaux d'élevage au passé difficile.

Sur le fond, nous pensons, en premier lieu, que le BEA est perçu, à tort, comme antagoniste avec les impératifs de rentabilité économique, les éleveurs y voyant trop souvent une source de surcoûts et de distorsion de concurrence. Plus généralement, en France, le BEA ne fait pas suffisamment partie de notre culture, à la différence des pays du nord de l'Europe. Notre association estime au contraire que le BEA est un atout pour inciter les consommateurs et les importateurs à choisir des produits français.

Historiquement, c'est le modèle de la petite exploitation de polyculture-élevage qui a dominé dans notre pays jusqu'en 1945. Puis il a quasiment disparu par la suite avec la volonté d'intensifier la production, ce qui a eu des conséquences néfastes pour le BEA. Fort heureusement, à partir des années 1960, les labels se sont développés avec le succès particulièrement notable des poulets de chair élevés en plein air. Cette politique de labellisation a eu de nombreux effets bénéfiques et nous apparait comme un véritable rempart contre la délocalisation de nos élevages : on peut délocaliser la production de poulets standards mais pas des animaux élevés selon un cahier des charges impliquant une localisation géographique précise. La France a également des atouts considérables pour favoriser le BEA et les élevages de qualité avec des conditions climatiques et de vastes herbages qui facilitent l'élevage des animaux en plein air, bien plus que dans les pays du Nord. Ces derniers sont néanmoins sensibles au BEA et c'est la raison pour laquelle ils importent 4 % de la production de poulets élevés en plein air. Les producteurs français sont néanmoins de plus en plus concurrencés par les labels BEA des pays du Nord : les SPA allemande, hollandaise et britannique en ont créé et je fais observer que le label « Freedom food » correspond à des exigences moins strictes que l'élevage en plein air, avec un abattage des animaux à l'âge de 55 jours contre 81 pour nos poulets fermiers.

A mon sens, l'insuffisance de la communication sur nos savoir-faire dans le domaine du BEA nous fait perdre des parts de marché ou manquer des opportunités de développement.

Notre association n'est pas favorable à la création d'un label BEA spécifique qui s'additionnerait à l'existant et risquerait d'introduire une confusion dans l'esprit des consommateurs. Nous préférons faire évoluer les labels existants pour qu'ils intègrent les exigences de BEA et communiquent mieux sur ce point. Tel est le cas, en particulier, des labels AOP fromagers qui pourraient mettre en relief l'accès garanti des animaux aux pâturages pendant au moins six mois. Nous avions réalisé dès 1997 une étude sur les cahiers des charges du label rouge au regard du BEA qui montraient ces atouts. Au demeurant, en France, contrairement aux pays du Nord, on associe la qualité du produit au BEA et au respect de l'environnement. Il serait donc inadapté de multiplier les labels, qu'il convient simplement de perfectionner.

Nous estimons également nécessaire de développer des systèmes d'élevage innovants économiquement viables et avec une meilleure prise en compte du BEA. Par exemple, nous travaillons depuis 2008 avec le groupe Carrefour, qui de façon générale s'efforce de proposer une alternative aux aliments issus de l'élevage intensif. En ce qui concerne les lapins, nous nous sommes heurtés à une difficulté puisque seuls des animaux élevés en cage sont proposés. Carrefour vient donc de lancer un appel d'offre pour la production de lapins élevés en parc et sans antibiotiques. Pour l'instant, aucune réponse ne s'est manifestée. C'est regrettable puisque cette forme d'élevage répond à une véritable attente.

La coopérative Terrena a répondu, mais sans aller assez loin dans le respect du cahier des charges. Par ailleurs, seuls 1 à 3 % des porcs sont aujourd'hui élevés en plein air : l'idéal serait de développer cette forme d'élevage mais nous sommes bien conscients des divers obstacles qui s'y opposent. La quasi-totalité des porcs sont élevés sur caillebotis et environ 5 % sur paille. Nous souhaitons promouvoir cette dernière modalité et avons lancé depuis plusieurs années diverses actions : des campagnes d'information destinées aux éleveurs et l'élaboration d'une brochure technique qui sera publiée en juin prochain. La PMAF mène également une action conjointe avec le groupement de producteurs Cooperl ainsi que le groupe Carrefour pour l'élevage de porcs non castrés, afin d'éviter des souffrances à ces animaux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il existe un risque que le porc soit ladre et donc impropre à la consommation !

M. Ghislain Zuccolo . - Le risque de l'odeur désagréable de la chair existe mais Carrefour a pris des mesures pour limiter cet inconvénient en éliminant certaines carcasses. Dans les pays du Nord, la viande de porc provient d'animaux non castrés. Nous avons lancé des études pour tenter de savoir si une signalétique « élevage de porc sur paille » serait efficace pour le consommateur. D'après les premiers résultats, il est plutôt souhaitable d'associer ce terme à celui de « plein air » car les consommateurs sont beaucoup plus réceptifs à cette image. Il convient donc de prendre en compte simultanément les points de vue et les efforts conjoints des éleveurs, des distributeurs et des consommateurs car, à l'heure actuelle, la difficulté consiste surtout à réunir les bonnes volontés. Je rappelle également que 80 % des chèvres - sur environ un million de chèvres et chevreaux en France - n'ont pas accès au pâturage.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Qu'en est-il de l'élevage bovin ?

M. Ghislain Zuccolo . - En ce qui concerne les bovins, nous sommes particulièrement préoccupés par le projet de ferme à « zéro pâturage » en Picardie. Cette intensification de la production ne nous parait pas opportune. S'agissant des vaches laitières, nous soulignons également que, physiologiquement, une vache qui produit dix mille litres de lait par an est nécessairement surmenée. C'est pourquoi il est souhaitable de promouvoir les labels pour échapper à ce modèle de production intensive.

La PMAF fait plusieurs propositions. Tout d'abord, dans le cadre du second pilier de la Politique agricole commune (PAC) consacré au développement rural, les régions pourront soutenir des mesures spécifiques en faveur du BEA. Ensuite, il est envisageable de faire entrer le BEA dans les actions comme la formation professionnelle, la modernisation des installations agricoles ou les incitations agro-environnementales. Nous préconisons également un étiquetage sur les modes de production ainsi que l'intégration dans les marchés publics de critères de BEA. Enfin, nous proposons d'intégrer cette préoccupation dans l'enseignement agricole.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Si je comprends bien votre exposé, le BEA est un atout pour nos filières agricoles alors qu'il est souvent assimilé à un handicap.

Mme Nicole Sugier, présidente de la société nationale de défense des animaux (SNDA. - Alors que la PMAF conduit plutôt des actions de terrain, la société nationale de défense des animaux (SNDA), qui a quarante ans d'existence, a plutôt un rôle au niveau de la réflexion institutionnelle.

Nous assurons une mission de veille de la réglementation existante sur la protection de l'ensemble des animaux, proposons d'éventuelles modifications à cette dernière et informons les citoyens sur ce thème.

Les actions de la SNDA s'appuient sur des enquêtes réalisées par les directions départementales de la protection de la population (DDPP), les forces de l'ordre, d'autres associations ainsi que par des journalistes. Lorsque des anomalies nous sont rapportées, nos propres enquêteurs vont sur le terrain et les signalent aux administrations compétentes. Je précise que nous n'avons pas accès aux abattoirs.

L'association déplore un certain laxisme dans l'application des normes relatives au BEA et les sanctions prononcées ne sont pas suffisamment dissuasives par rapport aux bénéfices réalisés par ceux qui y contreviennent. Par ailleurs, l'Etat ne nous semble pas contribuer suffisamment à la valorisation des modes de production respectueux du BEA et porteurs d'avenir.

Il serait souhaitable que les DDPP publient chaque année un rapport sur le suivi de l'application des normes relatives au BEA, car les investigations conduites restent à l'heure actuelle recensées dans des documents internes. On pourrait alors distinguer les infractions accidentelles des dysfonctionnements qui résultent d'une inadaptation normative. Il s'agit pour nous d'une demande forte pour disposer d'instruments de pilotage et pour crédibiliser les actions conduites.

Nous tenons à attirer l'attention sur les méthodes barbares d'élimination de plusieurs millions de poussins et lapereaux surnuméraires au moyen de broyeurs, de rouleaux compresseurs, lorsque les animaux ne sont pas jetés à la poubelle. Nous préconisons une nouvelle réglementation permettant l'euthanasie de ces quelques cinquante millions d'animaux par an. Nous soulignons par ailleurs le recours excessif aux antibiotiques et l'insuffisance de la formation des personnels techniques des abattoirs

En ce qui concerne l'étourdissement avec l'usage du matador, nous avons eu connaissance d'un certain nombre d'incidents qui s'expliquent par un manque de qualification des opérateurs, la vétusté des outils ou encore des cadences trop rapides. Nous constatons aussi des incidents avec la technique de l'électronarcose. Par exemple, certains animaux sont mal assommés à la première tentative ou bien on laisse à l'animal assommé le temps de reprendre conscience : on les tue alors sans les insensibiliser.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Y a-t-il une formation spécifique et obligatoire d'abatteur ?

Mme Nicole Sugier . - D'après les témoignages que nous avons recueillis, il n'y a pas de formation obligatoire.

M. Ghislain Zuccolo . - Une nouvelle réglementation européenne relative aux abattoirs, entrée en vigueur en 2013, impose la présence d'un référent qui devra être formé au BEA dans chaque abattoir. La filière viande est en train d'élaborer un guide pratique à l'intention des opérateurs qui prévoit des formations d'accompagnement au BEA.

Mme Nicole Sugier . - Si on désigne un responsable sur ce thème, il est fondamental non seulement de le former mais aussi de garantir son indépendance par rapport à sa hiérarchie.

En ce qui concerne les modalités d'abattage nous pouvons témoigner de la diversité et de l'inadaptation des pratiques existantes. L'abattage rituel varie selon les espèces. Dans le cas des bovins, l'animal est conduit dans le box rotatif puis il y est compressé par des volets ; sa tête est maintenue par une mentonnière mécanique et le box effectue une rotation pour positionner l'animal sur le dos ; l'animal est alors égorgé en pleine conscience. Les étapes qui précèdent l'égorgement provoquent un stress considérable chez l'animal. Pour leur part, les volailles sont suspendues par les pattes puis égorgées les unes à la suite des autres.

Fondamentalement, nous demandons que les animaux soient assommés ou étourdis avant d'être égorgés de façon rituelle. A défaut, nous souhaitons que l'étiquetage des viandes soit plus précis sur le mode d'abattage. Je signale que nos adhérents souhaitent savoir de quels abattoirs proviennent l'animal qu'ils consomment.

Notre refus éthique de la souffrance animale sous-tend notre position. Or aujourd'hui, non seulement l'abattage rituel est toléré mais encore, pour des raisons de rentabilité économique, les quartiers de viande issus d'abattage rituel sont recyclés dans le commerce non rituel. Au total, nous mangeons à notre insu des animaux abattus dans la douleur tout en étant contraints de financer l'extension d'un processus que nous désapprouvons. Certains éleveurs sont d'ailleurs prêts à s'adresser à des abattoirs éloignés pour que leurs animaux soient abattus dans des conditions convenables mais ils ne le peuvent pas toujours. Il serait plus juste et plus logique que ceux qui souhaitent consommer des viandes issues d'abattage rituel acceptent de payer plus cher pour satisfaire leurs exigences. Les défenseurs des animaux ont accepté un supplément de prix pour les oeufs à condition que les volailles soient élevées en plein air. Alors que des dérogations à l'abattage classique ont été demandées et obtenues, il nous parait contestable et peu démocratique de ne pas informer les citoyens des conséquences qui en résultent, c'est-à-dire de la mise en vente dans le circuit classique de viandes issues d'un abattage dérogatoire. Les consommateurs de viande halal ou casher ne peuvent pas être les seuls correctement informés du mode d'abattage.

N'étant pas habilités à contrôler les abattoirs, nous ne sommes pas en mesure de déclencher des procédures judiciaires contre les abattoirs : c'est du ressort de l'OEuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs (OABA).

A notre connaissance, il n'existe pas d'instrument de mesure de la souffrance animale mais les observations de bon sens suffisent à en démontrer l'existence.

En conclusion, nous demandons que l'État veille à l'application des normes relatives au respect de l'animal, et en particulier de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime. La confiance du consommateur repose sur l'efficacité des contrôles dans ce domaine et sur l'instauration d'un système d'information fiable accessible à tous les acteurs.

Il faut veiller à ne pas multiplier les dérogations. Nous dénonçons les dérogations en cascade qui, au départ, ne concernent qu'un petit nombre de cas, comme l'illustre l'exemple de la tauromachie où on autorise la consommation de viande tuée dans les arènes au titre de la dérogation relative à l'abattage d'urgence.

M. Ghislain Zuccolo . - J'ajoute, en ce qui concerne les antibiotiques, que l'élevage intensif a été historiquement rendu possible grâce au recours à ces derniers ainsi qu'à la Vitamine D.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces informations.

Audition de Mme Deborah Infante, vice-présidente, et M. Benoît Assemat, administrateur du Syndicat national des inspecteurs en santé publique (SNISPV) (jeudi 16 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission s'intéresse à la question de la sécurité sanitaire, suite au récent scandale de la viande de cheval devenue boeuf. Dans l'organisation du système de santé sanitaire, les contrôles vétérinaires jouent un rôle majeur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je souhaiterais commencer cette audition en évoquant l'émission Envoyé spécial  diffusée récemment et intitulée « La viande dans tous ses états », qui montrait comment des personnels non qualifiés de certains abattoirs étaient chargés des contrôles officiels en lieu et place des agents habilités à les réaliser. Je souhaiterais aussi aborder la question de l'abattage rituel : il semblerait que vous ayez trop peu de personnel pour vérifier la qualité de l'égorgement et les quantités réelles d'animaux abattus selon ce type d'abattage. Votre syndicat a déploré la réduction massive de ses effectifs depuis 2004. Selon vous, cette réduction ne vous permet-elle plus de mener à bien vos missions, notamment le contrôle de la chaîne de l'abattage et de l'industrie ? L'insuffisance des contrôles a en effet été signalée par plusieurs rapports de la Commission européenne mais aussi par la Cour des comptes, dans un rapport provisoire qui n'a malheureusement jamais été publié. Selon vous, s'agit-il simplement d'un manque de moyens ? Une réorganisation interne de vos services serait-elle nécessaire ? Que faire pour restaurer la confiance du consommateur, en prise à l'opacité du système ?

M. Benoît Assemat . - Je crois qu'il est nécessaire, avant toute chose, de préciser la nature de l'inspection ante-mortem des animaux. Il s'agit d'une inspection visuelle de leur état de santé, des conditions de stabulation, de transport à l'abattoir, de saignée. Cette inspection ante-mortem fait probablement l'objet de défaillances. Le manque d'effectifs fait qu'il n'y a pas d'inspection systématique sur l'ensemble des heures d'ouverture des abattoirs. La présence d'un vétérinaire officiel ou d'un agent placé sous son autorité pour vérifier la bonne santé des animaux est un point essentiel et c'est ce point qui était évoqué par l'émission d'Envoyé spécial.

Après la deuxième crise de la vache folle, au début des années 2000, des mesures très fortes ont été mises en place pour renforcer l'inspection sanitaire - avec des recrutements importants - pour que l'inspection ante-mortem , ce moment clef, soit renforcée. Malheureusement, depuis dix ans, la situation s'est beaucoup dégradée. Nous avons analysé les crédits qui ont été votés depuis six ans dans les lois de finances initiales pour le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation » du budget de l'État. Une baisse sensible peut être constatée. Les dépenses de personnel exceptées - elles sont demeurées relativement stables - on est passé de l'indice 100 à l'indice 72 entre 2009 et 2012 ! Il s'agit peut-être d'une coïncidence mais c'est précisément lors de l'année 2009, année où ce programme a été rattaché à la mission agriculture et non plus à la mission interministérielle de sécurité sanitaire portée par le ministère de la santé, que ces crédits se sont mis à diminuer. Les arbitrages financiers au ministère de l'agriculture sont particulièrement difficiles et certains nous ont été défavorables. La situation actuelle est sans précédent, particulièrement critique, et les agents nous disent tous les jours que certaines missions ne peuvent plus être réalisées.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je constate tout de même une remontée des crédits de + 4% en 2013.

M. Benoît Assemat . - Tout à fait. Cela est lié à la volonté du ministre, M. Stéphane Le Foll, de mettre davantage l'accent sur la sécurité sanitaire. Mais il est difficile de rattraper dix ans en six mois et il existe un important écart entre les crédits votés par le Parlement et les fonds effectivement employés en raison des gels de crédits.

Mme Déborah Infante, vice-présidente du Syndicat national des inspecteurs en santé publique . - Une bonne partie de ces 4 % d'augmentation s'explique par l'adoption de crédits d'intervention pour indemniser les éleveurs victimes de la tuberculose bovine. D'ailleurs, je tiens à souligner que cette épidémie de tuberculose n'est pas sans lien avec le manque d'investissement dans la prévention depuis 10 ans dû aux baisses.

M. Benoît Assemat . - En effet d'une manière générale, mieux vaut prévenir que guérir. Nous estimons qu'un euro consacré à la prévention permet d'économiser cinq euros en traitements curatifs. Depuis 2007, il y a davantage d'emplois qui sont supprimés que de départs à la retraite chaque année - 600 réductions d'emplois pour 500 départs à la retraite ces six dernières années : cette réduction drastique est une aberration ! Nous rencontrons tous les ans les rapporteurs du budget qui ne peuvent que constater que notre situation est très difficile - les rapports parlementaires en font état - mais nous n'observons aucun changement, même si les parlementaires ont un rôle d'alerte crucial vis-à-vis du Gouvernement sur ce sujet.

Dans le même temps, la réglementation sanitaire ne fait que s'étoffer, par exemple dans le domaine du bien-être animal : concernant l'abattage rituel, un décret imposant de vérifier que le volume d'abattage rituel correspond bien aux besoins des commandes religieuses a été publié l'an dernier mais il est difficile de l'appliquer en raison du manque de moyens matériels et humains.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quel est le volume d'abattages rituels ?

Mme Déborah Infante . - Nous n'avons pas de chiffres issus de nos services. Les seuls dont nous ayons eu connaissance sont ceux qui ont été rendus publics suite à un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER).

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La viande abattue rituellement correspond-elle toujours à une demande préexistante ?

Mme Déborah Infante . - Il est inévitable que de la viande abattue rituellement soit partiellement vendue au-delà des populations qui observent des principes religieux. Par exemple, dans le rituel casher, la partie basse du bovin - à partir de la septième côte - ne peut être consommée. En outre, des rabbins inspectent les carcasses et peuvent décider que certaines d'entre elles ne peuvent être consommées par les fidèles juifs, même si elles nous paraissent sanitairement commercialisables. Au final, une carcasse sur deux est écartée ; aussi les consommateurs juifs ne consomment-ils que la moitié d'une carcasse sur deux ! Il est malgré tout nécessaire de vendre le reste de la viande...qui se retrouve dans le circuit classique de commercialisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Certes, mais il y a là tout de même un problème de liberté de conscience car les consommateurs ne savent pas comment l'animal qu'ils mangent a été tué, et peuvent être amenés à acheter de la viande casher ou halal alors même qu'ils n'en sont pas informés.

Mme Déborah Infante . - En effet. Permettez-moi de revenir sur l'appellation de service vétérinaire, qui est souvent employée. On peut regretter que cette terminologie ait disparu en France dans la mesure où les Directions départementales des services vétérinaires n'ont plus d'existence autonome et font désormais partie des Directions départementales de la protection des populations (DDPP). Elle est par contre toujours employée par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et nous tenons beaucoup à ce terme.

Historiquement, après les dernières crises sanitaires, il y a toujours eu une volonté, tant au niveau européen que français, de séparer le soutien économique aux filières et le contrôle sanitaire. C'est dans ce contexte qu'ont été créés, pour isoler clairement la fonction de contrôle vétérinaire, la Direction générale de la santé et des consommateurs au sein de la Commission européenne et les Directions départementales des services vétérinaires. L'État a renoncé à cette organisation en 2010 avec la création des DDPP. Au niveau régional, surtout, les Direction régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF) regroupent désormais toutes les missions du ministère y compris les anciens Services régionaux de l'alimentation (SRAL).

M. Benoît Assemat . - Le manque de reconnaissance des enjeux de sécurité sanitaire a pendant longtemps été un gros problème au ministère de l'agriculture. En 1998 puis 2002, suite à la crise de la vache folle, les réformes adoptées ont enfin été à la hauteur des enjeux et ont entendu réellement réformer le dispositif de sécurité sanitaire, avec notamment la création de l'Agence sanitaire de l'évaluation, devenue depuis l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Ces réformes avaient été adoptées suite au remarquable rapport Leyzour-Chevallier de mars 2000 sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France. Ce rapport très fouillé et pertinent est pour l'essentiel toujours d'actualité. Mais depuis 2010, la révision générale des politiques publiques (RGPP) telle qu'elle a été conduite n'a pas retenu les modalités administratives les plus efficientes. Les DDPP, qui regroupent aussi les directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne fonctionnent pas. Au niveau national, les champs de compétence entre la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n'ont jamais été clarifiés. Au niveau régional, il existe deux structures totalement distinctes, sans aucun outil commun de travail, sans compétences clairement délimitées : le dispositif ne peut pas fonctionner. Pour toutes ces raisons, la question de l'organisation de l'inspection et du contrôle sanitaire se pose avec beaucoup d'acuité en ce moment.

Mme Déborah Infante . - Nous nous sommes penchés récemment sur une question aujourd'hui très sensible pour les services, qui est celle du lien entre l'organisation administrative et les moyens. Il n'est plus possible aujourd'hui de continuer à réorganiser les services en entretenant l'illusion qu'il sera possible d'accomplir certaines missions sans moyens supplémentaires. Nous sommes à l'os. C'est pourquoi nous avons réfléchi à des scénarios qui pourraient être mis en place, aux conséquences qu'ils pourraient avoir et aux principes fondateurs qu'ils devraient respecter. Nous avons dégagés six grands principes, notamment la responsabilité de l'État en matière d'alimentation et de bien-être animal ainsi que l'importance de disposer d'une chaîne de commandement unique, et surtout d'un ministère unique qui soit vraiment responsable de l'alimentation, car aujourd'hui les directeurs départementaux sont placés sous l'autorité du préfet mais reçoivent des instructions de plusieurs directions générales et de plusieurs ministères qui ne sont pas toujours en phase au niveau national. Il faut absolument une responsabilité unique.

Une autre question essentielle est celle du travail de l'État avec des partenaires, car il ne peut pas travailler seul en matière de sécurité sanitaire. Il existe par exemple en France un système très particulier de partenariat public privé entre les vétérinaires de l'État et les vétérinaires libéraux avec un système d'alerte qui permet à l'État d'être informé en amont sur les maladies animales dans les élevages qu'il faudrait absolument préserver. C'est ce système qui permet à la fonction publique de compter si peu de vétérinaires puisque nous ne sommes que 500 titulaires et 300 contractuels. Sur la base de ces principes, nous avons travaillé sur quatre scénarios.

M. Benoît Assemat . - Le premier scénario que nous avons identifié, dans la continuité de la RGPP, serait de faire en sorte que les DDPP prennent en charge l'ensemble du dispositif, en matière de qualité de l'eau et de santé animale, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Cette solution ne règlerait pas pour autant le problème de l'organisation en tuyaux d'orgues de l'administration française aux niveaux national et régional. Il s'agirait donc de renforcer le dispositif existant, dispositif qui a été très critiqué, notamment par la Cour des comptes. Deuxième scénario, une structuration régionale déclinée en unités territoriales mais cette solution risquerait de provoquer un conflit d'intérêt entre la prise en charge des intérêts économiques des filières agricoles et agroalimentaires et les enjeux sanitaires de santé publique. Troisième scénario, la création d'une structure propre à la protection des populations avec une animation qui ne soit assurée ni par les Directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ni par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECTTE). Il existe enfin un quatrième scénario : créer un opérateur de l'État pour la gestion des risques sanitaires, à l'instar de ce que beaucoup d'autres pays ont déjà mis en place. Cet organisme aurait l'avantage de regrouper les laboratoires d'analyse officiels qui relèvent des conseils généraux depuis une vingtaine d'année mais connaissent aujourd'hui des difficultés dans de nombreux départements, car la logique des appels d'offre les fragilise face à d'énormes laboratoires installés à Luxembourg qui concentrent les analyses de contrôle officiels.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Lorsque vous effectuez des prélèvements dans les abattoirs ou chez les industriels, où se font exactement les analyses ?

M. Benoît Assemat . - Dans le réseau de 75 laboratoires officiels présents dans les départements. Rien que pour l'application des plans de surveillance et de contrôle, plus de 60 000 analyses sont effectuées chaque année.

Mme Déborah Infante . - Ce réseau est aujourd'hui en très grande difficulté : il y avait autrefois un laboratoire officiel par département. Ce réseau de laboratoires au niveau du département est indispensable car lorsque surviennent des crises, des urgences, les personnels très qualifiés de ces laboratoires sont immédiatement disponibles. Nos collègues qui travaillent dans des départements qui n'ont plus de laboratoires nous ont indiqué que cela rendait leur travail beaucoup plus difficile.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous savez que la Commission européenne a autorisé les États à ne plus pratiquer de façon systématique les tests encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui sont effectués dans les laboratoires départementaux sur les bovins de plus de 72 mois. Que pensez-vous de cette décision qui n'est pas appliquée en France pour le moment ?

Mme Déborah Infante . - Si les scientifiques considèrent que le risque est très faible et le coût élevé, la décision à prendre finit par s'imposer d'elle-même. La fin de ces tests, si elle survient, sera un coup très dur porté aux laboratoires et conduira beaucoup d'entre eux à fermer. D'un autre côté, on ne peut faire des analyses uniquement pour maintenir en vie des laboratoires.

M. Benoît Assemat . - Cette situation difficile provient du fait qu'avec la décentralisation, le ministère de l'agriculture ne savait pas quelles compétences transférer aux départements. Les enjeux sanitaires sont probablement apparus comme secondaires et l'on a décidé de transférer la responsabilité des laboratoires d'analyse sanitaire aux départements. Ces laboratoires ont été de facto mis en concurrence les uns avec les autres et la logique des appels d'offre, notamment pour les analyses de l'eau, les a considérablement fragilisés. Un ou deux gros opérateurs ont fait s'effondrer les prix et ont procédé aux analyses au Luxembourg. Mais un laboratoire à Luxembourg ne remplacera pas le besoin qu'ont chaque département et chaque préfet de disposer d'un laboratoire ! Dans aucun pays l'autorité compétente ne se prive de laboratoires d'analyse officiels car elle ne peut fonctionner sans eux.

Mme Déborah Infante . - La possibilité de percevoir des taxes et des redevances pour financer les contrôles sanitaires est aussi un point capital. Que l'impôt finance les contrôles officiels, c'est normal. Lorsque des établissements sont visités cinq fois parce qu'ils ne respectent pas les règles du jeu, est-ce vraiment aux contribuables de payer ? Une réglementation européenne impose précisément de financer les contrôles officiels par des taxes et des redevances. Cette réglementation n'est absolument pas appliquée car la France a adopté des seuils inférieurs aux minima communautaires. La seule réorganisation qui permettrait de donner un peu d'air aux services de contrôle serait d'affecter ces taxes et redevances directement aux tâches de contrôle officiel.

Le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a proposé la création d'un établissement public qui intégrerait les laboratoires départementaux. Malheureusement il semblerait que l'on s'oriente, à la demande d l'Assemblée des départements de France (ADF) vers un transfert du contrôle sanitaire aux départements, notamment pour la remise directe et la restauration collective. Nous estimons que cette solution sera beaucoup moins efficiente car elle conduira à ce que nous devions faire face à des dizaines d'autorités compétentes. D'autant plus qu'il n'y a plus de moyens matériels et humains à transférer.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On tend de plus en plus vers les autocontrôles. Pensez-vous que nous allions vers la fin des contrôles officiels ?

Mme Déborah Infante . - Non, pas du tout. Les autocontrôles sont indispensables car c'est celui qui met une marchandise sur le marché qui doit s'assurer qu'elle est saine. Mais il faut ensuite un contrôle externe. Il y a une dizaine d'année, quand les effectifs des services étaient plus nombreux, on pouvait imaginer que les agents connaissaient bien les entreprises car ils pouvaient aller sur le terrain. Aujourd'hui, les fréquences d'inspection sont devenues tellement faibles que les mailles du filet se sont élargies et que, du coup, un industriel ne recevra la visite d'un inspecteur que tous les trois ou quatre ans.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Faites-vous l'objet de pressions lors de ces contrôles ?

Mme Déborah Infante . - Pas au moment des contrôles. Par contre, quand nous imposons des travaux lourds ou proposons des fermetures d'établissements, avec des conséquences sociales, il peut y avoir des pressions, bien que ce soient surtout les directeurs et les préfets qui les subissent.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pensez-vous que les produits français soient davantage contrôlés que les produits issus des autres pays de l'Union ou des pays tiers ?

M. Benoît Assemat . - La viande produite dans l'Union fait l'objet de contrôles à destination qui doivent être non discriminatoires. Pour les pays tiers, il s'agit d'un système appliqué de manière homogène à toutes les frontière extérieures de l'Union mais il a été démontré qu'en France, trois fois plus de contrôles étaient opérés par heure par les agents : cela signifie probablement que nos contrôles ne sont pas aussi approfondis que ceux de nos voisins...

D'ailleurs, précisément parce que les contrôles en France sont très inférieurs à ce qui est mis en oeuvre dans d'autres pays, la Commission européenne a menacé à plusieurs reprises d'interdire l'exportation de viande de volaille française dans les autres pays de l'Union. Or quand on connaît l'importance de la viande de volaille à l'exportation, une interdiction de sortie serait une catastrophe. Des secteurs entiers ne sont pas surveillés. L'Union européenne a donné à la France les clefs en matière d'organisation et de financement des contrôles sanitaires sur la chaîne alimentaire mais la France n'a pas fait le nécessaire.

La représentation nationale doit vraiment se saisir de ce sujet, car, s'il s'agit de questions de santé publique, il s'agit surtout de la santé économique des filières car elles ont besoin à l'exportation d'avoir de bons contrôles sanitaires garantis par l'Etat.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il vaut donc mieux des contrôles par l'État que des autocontrôles.

Mme Déborah Infante . - Les deux sont complémentaires, on ne peut avoir l'un sans l'autre. Mais il faut que l'État soit en mesure de procéder à des contrôles avec une fréquence suffisante et puisse nouer avec les entreprises une relation de confiance, ce qui est impossible quand elles ne sont contrôlées que tous les trois ans.

La grande tendance aujourd'hui est de transférer des compétences aux collectivités territoriales ou de les déléguer au secteur privé. En réalité, déléguer revient trop souvent à abandonner sans assurer de supervision. En outre, lorsque les agents se rendent trop peu sur le terrain, ils finissent par perdre leurs compétences. Nous avons obtenu du ministre qu'un bilan complet des délégations soit établi avant de poursuivre cette fuite en avant idéologique. Je pense que le ministre de l'agriculture est sensibilisé à ces problèmes mais l'administration est tellement prise à la gorge financièrement qu'elle cherche tous les moyens pour s'en sortir.

M. Benoît Assemat . - Pour de multiples raisons, nous n'avons pas mis en place un système efficient et conforme aux grands principes qui serait au service de la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, car ce sont elles qui sont les premières pénalisées par la faiblesse de ce dispositif. Mais nous connaissons la solution, et elle sera moins coûteuse que le maintien de la situation actuelle. Il existe des sureffectifs considérables dans les laboratoires des conseils généraux. Il faut que les grands principes soient respectés et que les taxes et redevances prévues par la réglementation européenne soient bien perçues.

Audition de MM. Henri Demaegt, président, et Hervé des Deserts, directeur général de la fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros de viandes (FNICGV) (jeudi 16 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes très heureux d'accueillir les représentants de l'industrie de la viande, pour évoquer la situation de la filière viande, en France et en Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les récents scandales émoussent la confiance du consommateur dans les produits carnés. La rétablir est notre préoccupation. Y-a-t-il suffisamment de contrôles sur les produits carnés, ne faut-il pas renforcer encore l'information des consommateurs ? Celle-ci est-elle un gage de succès ?

M. Henri Demaegt, président de la FNICGV . - Dans les crises, les médias jouent un rôle important. La crise de la viande de cheval n'a pas entraîné de problème sanitaire en France, mais elle a eu un fort retentissement sur les produits transformés, avec 60 % de consommation en moins sur les boulettes et les lasagnes. Les consommateurs ont un comportement de précaution.

La France propose d'étiqueter l'origine des viandes, y compris comme ingrédient des produits transformés. Mais cela bloque à Bruxelles. Certaines démarches volontaires ont été mises en oeuvre. La crise de la viande de cheval a renforcé ces démarches qui, compte tenu des délais pour mettre en place les instruments de contrôle, ne pourront véritablement être opérationnelles qu'en octobre ou novembre 2013. Un tel étiquetage est techniquement possible. Mais pour que l'origine France soit indiquée, il faut que la bête soit née, élevée et abattue en France. Il est donc très difficile voire impossible de mettre en place un étiquetage de l'origine pour les produits issus de mélanges de viandes, comme les saucisses et merguez. Les industriels procèdent souvent à des mélanges entre gras et maigre de différentes provenances.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On arrive pourtant à indiquer les colorants, les émulsifiants, et de nombreuses autres informations sur les étiquettes !

M. Henri Demaegt . - Nous ne sommes pas opposés à un étiquetage intégral de l'origine, mais cela me semble très compliqué à réaliser.

M. Hervé des Desert, directeur général de la FNICGV . - La traçabilité et l'étiquetage des viandes fonctionnent en France de manière remarquable depuis une quinzaine d'années sur la viande non transformée. Les industriels de l'abattage-découpe apposent sur tout ce qu'ils vendent des étiquettes de traçabilité. Nos clients ont donc l'information. Ils ne s'en servent pas, car cela n'est pas obligatoire.

M. Henri Demaegt . - Pour résumer, nous sommes favorables à l'affichage de l'origine, y compris en produits transformés, même si ces mesures paraissent compliquées.

J'ai omis de présenter la FNICGV. Je souligne que nous représentons les petits industriels de l'abattage-découpe, le syndicat national des industries de la viande (SNIV) représentant pour sa part des entreprises de taille plus importante.

Aujourd'hui, notre fédération lance un cri d'alarme. Sans production, il n'y aura plus de filière viande. Or le cheptel est en baisse rapide. Il faut arrêter cette spirale du déclin, faute de quoi il sera définitif. Le cycle de production de la viande bovine est un cycle long, avec en moyenne cinq ou six ans pour amener une bête à l'abattoir. L'élevage bovin, qu'il soit laitier ou allaitant, rend des services à la collectivité : il permet d'exploiter les surfaces en herbe, évite la désertification des campagnes et fournit la matière première de l'industrie agroalimentaire.

La France possède 30 % du cheptel allaitant de l'Europe des 27. C'est un atout car les projections actuelles laissent penser que l'on manquera de viande dans le monde en 2020 et plus encore en 2050. Il est rassurant de constater que le prix européen de la viande est concurrentiel au niveau mondial, ce qui n'a pas toujours été le cas. Les prix de la viande au Brésil ont rattrapé les prix européens. Nous avons la possibilité de conquérir des marchés à l'exportation.

Malgré ces atouts, le secteur de la viande reste en difficulté : il est concurrencé par les céréales, qui ont fait des progrès considérables en termes de machinisme agricole et de rendement. L'élevage est également plus contraignant pour l'agriculteur. Les effets sont visibles : la Sarthe, qui était un département d'élevage, commence à basculer vers les grandes cultures. La viande est également contestée au nom du bien-être animal.

La filière viande est bien structurée : l'interprofession de la viande regroupe les treize familles. Mais Interbev reste régie par la règle de l'unanimité, qui peut être parfois bloquante.

La réforme de la politique agricole commune (PAC) a été bien négociée par le Gouvernement, mais sa mise en oeuvre devra favoriser l'élevage.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - C'est le sens d'une récente résolution adoptée par le Sénat sur la réforme de la PAC.

M. Henri Demaegt . - Cet aspect est fondamental, car s'il n'y a plus de production, il n'y aura plus de filière viande en France. Je précise que je dirige un abattoir qui traite 700 bovins par semaine, soit 1 % de la production nationale et je mesure au quotidien la pression sur l'approvisionnement.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il est indispensable de conserver un élevage français puissant, qui est aussi un réservoir de biodiversité, avec des races autres que les Angus et Hereford, qui conquièrent la planète.

M. Henri Demaegt . - Nous avons les meilleures races de vaches à viande en France. Mais sur le plan de la consommation, il est difficile de les valoriser. La consommation est marquée par une pression vers les produits les moins chers. Il existe aussi une substitution des protéines animales par des protéines végétales. Je prends un exemple : celui du hamburger. Ce produit est en plein développement, presque 10 % de plus par an. Or il contient aussi des protéines végétales ajoutées. Ce n'est pas un produit « pur boeuf ». Pourtant, son concurrent, le steak haché n'est pas si cher.

Les filières viandes sont assez différentes : le porc et la volaille sont très industrialisés. La volaille est une production intégrée. L'industriel fournit les poussins et l'aliment à l'aviculteur et lui reprend les poulets une fois finis. Le porc est moins intégré, les éleveurs étant organisés en organisations de producteurs. En viande bovine, la production est plus atomisée, avec des élevages de petite taille. Il n'existe pas en France d'élevages bovins industriels, comme les feed lots américains de 5 000 têtes.

L'industrie de la transformation de la viande bovine intervient à différents stades : la première transformation est l'abattage, et la deuxième est le désossage, qui consiste à transformer la carcasse en muscle. La troisième transformation consiste à transformer le produit en pièces ou steak haché. Dans la quatrième transformation, on ajoute des ingrédients : légume, sauce, et éventuellement, on cuit la viande. L'avantage des industriels spécialisés sur les deux premières transformations vient du fait que nous travaillons un produit frais, et que nous revoyons nos clients toutes les semaines. Il est possible de réajuster les prix rapidement. Ceci est moins vrai en steak haché où les marchés ont en général une durée de trois mois.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Rencontrez-vous des difficultés pour vous réapprovisionner ?

M. Henri Demaegt . - Oui. Pendant quelques années, la viande bovine n'était pas chère. La situation a changé. Le marché de la viande bovine est un marché très sensible aux variations de disponibilité de la marchandise : une baisse de 2 % de l'approvisionnement peut entraîner des hausses considérables de prix. On est passés en dix-huit mois de 3,30 € à 4,60 € le kilo de race à viande. On rencontre des difficultés cependant sur le jeune bovin, qui est un jeune mâle non castré, dont le débouché vif en Italie et Grèce se porte mal.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Abattez-vous beaucoup de vaches laitières de réforme, correspondant à une liquidation de cheptel suite à une cessation d'activité laitière ?

M. Henri Demaegt . - Les prix du lait sont basés sur ceux du marché mondial. Ils ont augmenté. Mais la production laitière est aussi très dépendante des coûts de l'alimentation animale, qui évoluent encore plus vite. Certains éleveurs parviendront peut-être à améliorer leur autosuffisance alimentaire, avec la luzerne, et moins dépendre des cours du blé. Mais cela n'est pas encore le cas. Les solutions alternatives comme le recours à de la pulpe de betterave ont été expérimentées, mais les prix de la pulpe évoluent comme ceux du blé !

Un autre élément joue dans les cessations d'activité : les jeunes agriculteurs sont moins enclins à accepter les contraintes de l'exploitation laitière. La culture de céréales est moins astreignante. Certaines solutions techniques comme les robots de traite sont mises en oeuvre - dans certaines exploitations les vaches vont toutes seules à la traite - mais elles restent très coûteuses.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Faut-il réduire le nombre des abattoirs ? Peut-on envisager de développer les petits outils d'abattage ? Ceux-ci peuvent-ils être viables ?

M. Henri Demaegt . - Si le cheptel bovin se réduit encore, nous aurons trop d'abattoirs en France. À titre personnel, j'estime que nous disposons aujourd'hui de suffisamment d'outils d'abattage en France. Mais il est souhaitable que les gros abattoirs assurent un service minimum d'abattage pour les bouchers ou les abattages familiaux ou encore pour les agriculteurs voulant effectuer des ventes directes à la ferme. Concernant les abattoirs de montagne, il faut être attentifs à la compétitivité des outils, l'enjeu essentiel étant celui de la valorisation des coproduits. Il serait inacceptable de construire des petits outils de proximité dont l'équilibre économique serait assuré par les collectivités territoriales.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Valorisez-vous correctement les produits de triperie et le cinquième quartier ?

M. Henri Demaegt . - Il faut savoir que nous ne consommons que 50 % des animaux de ferme. La moitié de la matière première restante est exploitée comme coproduit. Il ne faut rien perdre. La méthanisation constitue une piste de valorisation de ces coproduits. Les suifs d'abattoir sont revendus. Le ramassage des coproduits est d'autant plus facile que les volumes sont importants. Il est nécessaire de maintenir une température constante à 12 degrés, afin de pouvoir exploiter correctement les coproduits, comme les os, servant ensuite à la production de gélatine. Le nerf de collier part en Chine. Il existe beaucoup de parties de l'animal à récupérer. Les farines animales que l'on brûlait trouvent de nouvelles utilisations. La valorisation des coproduits est l'un des moyens d'améliorer la rentabilité de l'activité d'abattage. Il faut aussi traiter les abats, sachant que la consommation en France de langue de boeuf est importante, mais pas celle des foies.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On a coutume de dire que le cinquième quartier fait la marge des abattoirs.

M. Henri Demaegt . - C'est très juste : si l'on ne se soucie pas des coproduits, il est impossible de réaliser des résultats économiques corrects.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons été alertés par la fédération nationale bovine sur la plus grande sévérité des normes nationales par rapport aux normes européennes. Je pense notamment à l'interdiction de commercialisation des cervelles d'agneau de plus de six mois et l'obligation de démédullation avant fente de la carcasse.

M. Henri Demaegt . - Il faut mettre fin à ces normes franco-françaises qui sont autant de contraintes supplémentaires pour la filière. Nous devons détruire les têtes d'agneaux de plus de six mois, mais nous trouvons des cervelles d'agneaux issus d'animaux importés de plus de six mois au marché de Rungis ! Concernant les tests de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), ils n'ont plus mis en évidence de cas positifs depuis 2010. 65 000 bovins sont testés par semaine. Nous pourrions nous en passer.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La réglementation européenne a été assouplie, n'exigeant plus de tests ESB que sur les animaux de plus de 72 mois.

M. Henri Demaegt . - Il faudrait s'en tenir à la seule réglementation européenne. Depuis l'affaire du sang contaminé, la France applique de manière excessive le principe de précaution, par manque de courage politique. Un autre exemple : la démédulation reste obligatoire avant fente, ce qui n'est plus utile, du fait de l'absence désormais de risque ESB.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'affaire de la viande de cheval vendue comme boeuf a révélé une fraude de grande ampleur. Elle n'aurait pourtant pas dû être possible. Comment les entreprises sont-elles organisées pour contrôler leur approvisionnement ? Comment empêcher la triche ?

M. Henri Demaegt . - Certains trichent en effet. Pour ma part, je ne vends que de la viande bovine française donc ne suis pas concerné.

M. Hervé des Desert . - Celui qui triche ne va pas faire d'autocontrôles. Il est donc très compliqué de se reposer sur l'entreprise. Lorsque la viande n'est pas étiquetée correctement, par exemple lorsqu'il est indiqué « origine UE » et non « né, élevé, abattu », l'entreprise Comigel aurait dû se méfier. Un prix anormalement bas constitue aussi un indicateur de fraude, qui peut être visible pour les organismes de contrôle.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quel rôle joue le « minerai de viande » dans l'économie de la filière viande ?

M. Henri Demaegt . - La terminologie n'est pas positive. Lorsque l'on désosse des avants, on récupère des muscles. Il reste des morceaux gras et des morceaux maigres, qui sont mélangés et servent à produire du steak haché et des produits industriels. Ces produits sont fabriqués avec beaucoup de précautions, notamment du point de vue bactérien.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les contrôles effectués par les vétérinaires publics sont-ils suffisants.

M. Henri Demaegt . - Les contrôles vétérinaires en abattoirs sont de grande qualité et systématiques. Notre entreprise assure par ailleurs la formation de son personnel. Les premières certifications de qualification professionnelle (CQP) de la FNICGV ont été effectuées dans mon entreprise. Nous sommes aussi attachés à la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS), par exemple en faisant changer les opérateurs de poste de travail, toutes les semaines. Des ergonomistes ont permis d'adapter la chaîne de production. J'estime que pour être bons, il faut s'occuper des personnels. Nous pratiquons aussi l'intéressement pour motiver nos salariés.

M. Hervé des Desert . - La FNICGV a mis en place son propre organisme de formation et organise des formations à la prévention du risque escherichia coli .

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Existe-t-il davantage de risques de contamination par l' escherichia coli lorsque l'abattage comporte un égorgement complet ? Il m'a été indiqué que la bactérie se développait dans les viscères et non dans l'estomac ; L'égorgement ne générerait donc pas de risques supplémentaires ?

M. Hervé des Desert . - Je ne suis pas vétérinaire, donc il m'est difficile de répondre. Lorsque nous rencontrons un accident d'éviscération, la bête est écartée et saisie.

M. Henri Demaegt . - Lors des abattages rituels, la trachée est fermée avant d'arracher le cuir. L'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a indiqué qu'il n'y avait pas de risque sanitaire particulier. À mon sens, l'abattage rituel ne pose pas de problème sanitaire mais plutôt un problème de bien-être animal. La consommation de viande abattue rituellement représente tout de même 12 % de la consommation de viande.

Dans mon abattoir, nous nous sommes mis à l'abattage rituel, tout en cherchant à respecter l'animal. La certification de l'abattage est effectuée par les organismes religieux. En casher, la certification est très concentrée. En halal, en revanche, la certification est beaucoup plus atomisée. Certains opérateurs ont des exigences très fortes. Les tarifs diffèrent aussi fortement. Mon entreprise a passé un accord avec la Mosquée de Paris, qui prélève 3 centimes par kilo. Nous formons les sacrificateurs. L'égorgement des bêtes sera suivi d'un assommage.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Comment assurer une meilleure répartition de la valeur dans la filière viande entre les différents intervenants ? Faut-il modifier la loi de modernisation de l'économie ?

M. Henri Demaegt . - La contractualisation est une piste intéressante. Nous avons besoin de production et les éleveurs ont besoin de visibilité sur leurs prix. L'interprofession a beaucoup travaillé sur ce sujet, en particulier sur le jeune bovin. Il est cependant nécessaire de mettre en place des caisses de régulation pour que le système fonctionne. La grande distribution doit aussi jouer le jeu. Or, dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), la viande est, comme le carburant, un produit d'appel, qui doit rester peu cher. Mais cela va bien aux industriels car nous pouvons vendre davantage de volumes.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour ces précisions.

Audition de Mme Anne-Marie Vanelle et M. Philippe Fourgeaud, membres du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) (mercredi 22 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir deux des auteurs du rapport de novembre 2011 du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) intitulé « La protection animale en abattoir : la question particulière de l'abattage rituel ».

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Plusieurs aspects de ce rapport ont été contestés par le ministère de l'agriculture. Comment les données chiffrées relatives à l'abattage rituel ont-elles été collectées ? Comment expliquer l'écart, s'agissant du volume d'animaux concernés par l'abattage rituel, entre le chiffre de 51 % qui figure dans votre rapport et celui de 14 % qui nous a été transmis par la Direction générale de l'alimentation (DGAl) du ministère de l'agriculture ?

Votre rapport relève que l'agonie des animaux abattus rituellement peut durer jusqu'à 14 minutes dans le cas des bovins. Pouvez-vous nous décrire précisément le déroulement d'un abattage rituel ? Pensez-vous que ce mode d'abattage entraîne une souffrance de l'animal ? Existe-t-il des dérives liées à ce mode d'abattage ? Le règlement européen n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort prévoit que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes ». Cette prescription est-elle vraiment respectée dans le cas de l'abattage rituel ?

Mme Anne-Marie Vanelle, présidente de la section alimentation et santé du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) - Ce rapport a en effet été à l'origine d'échanges nourris, notamment sur la question des chiffres relatifs à l'abattage rituel, dans un contexte où très peu de données sont disponibles. J'aimerais tout d'abord apporter quelques précisions à propos de ceux qui figurent dans notre enquête. Les chiffres présentés ont été recueillis auprès d'un échantillon d'environ 15 abattoirs tirés au hasard, situés dans 8 départements différents et pour la plupart multi-espèces, auprès desquels des audits ont été effectués. La production de ces structures représente un faible pourcentage des animaux abattus en France chaque année : 7,5 % des bovins et 16 % des ovins (je parle ici en nombre d'animaux abattus et non en tonnage). Ces chiffres sont donc faiblement représentatifs d'un point de vue statistique. Or, cette précision a été portée dans une partie du rapport seulement, et, en raison d'une erreur technique, ne figure pas dans celle qui a été reprise et diffusée et qui a été à l'origine de la polémique à laquelle vous faites référence. Je regrette ce manque de précision.

Notre enquête s'inscrivait dans le cadre de la réflexion engagée à la suite de la publication du rapport de 2005 intitulé : « Enquête sur le champ du halal » réalisé en collaboration et l'Inspection générale de l'administration (IGA), l'inspection générale de l'agriculture et le Conseil général vétérinaire qui a avancé des chiffres fortement contestés. Selon ce rapport, l'abattage rituel concernerait 80 % des ovins et 20 % des bovins et des volailles.

Les chiffres de la DGAL de 2010, collectés à partir des données provenant des services d'inspection des abattoirs et que l'on peut donc considérer comme exhaustifs, sont très différents : le volume d'animaux concernés par l'abattage rituel s'élèverait à 14 % en tonnage et à 26 % en nombre de têtes. Il est important de prendre en compte les données exprimées en nombre de têtes dans la mesure où c'est bien l'animal qui souffre.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - De quels éléments disposez-vous sur la question des cadences d'abattage ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Un abattoir moyen observe une cadence d'environ 45 à 50 bovins par heure. Notre enquête avait mis en rapport ces cadences avec le temps nécessaire à un abattage rituel, de l'immobilisation puis de la jugulation jusqu'à la perte de conscience. Le temps nécessaire à la perte de conscience s'établirait chez les bovins de 20 secondes à 6 minutes, pour une moyenne de 2 minutes, chez les veaux de 35 secondes à 11 minutes, tandis qu'il est plus rapide chez les ovins, de 17 secondes à 5 minutes. On ne peut qu'en déduire que les cadences actuelles des abattoirs ne permettent pas d'attendre le temps nécessaire à une perte de conscience totale et que certaines étapes de l'abattage sont sans doute effectuées trop rapidement.

D'autres études, et notamment le rapport d'expertise collective sur les souffrances animales publié en décembre 2009 par l'institut national de recherche agronomique (INRA), ont également fourni une estimation du délai nécessaire à la perte de conscience des animaux. Ce délai varie selon les espèces considérées, mais également selon les modalités d'abattage, c'est-à-dire selon la formation reçue par le personnel, le matériel utilisé et l'état de stress de l'animal.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous décrire concrètement les étapes d'un abattage rituel entre l'immobilisation de l'animal et sa perte de conscience ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - L'immobilisation constitue une étape fondamentale de l'abattage : l'animal ne doit pas pouvoir bouger au moment de la jugulation et doit être maintenu immobile jusqu'à la perte de conscience.

Ce n'est cependant pas au moment de la saignée, mais à compter du départ de l'élevage que débute la phase d'abattage. La démarche entreprise autour des conditions d'abattage, qui s'articule autour de la notion européenne de « souffrance évitable », ne porte en effet pas seulement sur les modalités de l'abattage, mais sur l'ensemble de la chaîne de vie l'animal. Celui-ci peut faire l'objet de mauvaises manipulations tout au long des phases qui précèdent la saignée et se trouver ainsi stressé au moment de l'entrée dans la cage de contention.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-il possible que certains animaux sortent de la cage de contention et partent sur la chaîne de découpage sans avoir perdu conscience ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Non : un animal qui n'aurait pas perdu conscience continuerait à s'agiter. Il faut donc attendre la perte de conscience pour procéder à l'ouverture de la cage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le personnel des abattoirs qui manipule les animaux encourt-il des risques importants ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Ces personnels exercent un métier difficile et dangereux, particulièrement lorsqu'ils sont mal formés. Par exemple, lorsque le tir du matador échoue, ce qui se produit dans environ 15 % des cas, il est nécessaire d'effectuer un second tir et l'animal constitue alors une source de danger.

Un arrêté du 31 juillet 2012 a fixé une liste d'obligations pour les personnels travaillant en abattoir. Le responsable de la protection animale, désigné par le responsable d'abattoir, doit suivre une formation d'une durée de 14 heures pour une catégorie d'animaux dispensée par des prestataires habilités par le ministère de l'agriculture. En outre, tous les agents qui interviennent dans la mise à mort des animaux doivent désormais détenir un certificat de compétence délivré par le préfet après une formation dispensée par des prestataires répondant à la même condition. Cette formation, d'une durée de 7 heures pour une catégorie d'animaux et pour une modalité d'abattage, est sanctionnée par un examen prenant la forme d'un questionnaire à choix multiples (QCM). Ce certificat est valable 5 ans et peut être retiré lorsqu'une conduite répréhensible est constatée par les inspecteurs en charge du contrôle sanitaire et de la protection animale.

Ces mesures me semblent de nature à permettre que de nets progrès soient constatés. Les actes générateurs de souffrance résultent en effet bien souvent d'une méconnaissance du comportement animal. Or, les difficultés de recrutement en abattoir se traduisent notamment par des difficultés de recrutement de personnels qualifiés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Que répondez-vous à l'affirmation selon laquelle un bovin, quand bien même son agonie durerait 14 minutes, ne souffre pas lors de l'abattage ? L'abattage sans étourdissement est-il conforme aux prescriptions de la réglementation européenne ?

M. Philippe Fourgeaud, inspecteur général de la santé publique vétérinaire. - L'animal souffre toujours lors de l'abattage. Notre enquête a porté sur la souffrance évitable, ce qui explique que nous ayons notamment travaillé sur la question de l'étourdissement.

Mme Anne-Marie Vanelle . - La notion de souffrance évitable renvoie aux conditions d'attente en bouverie, au bon fonctionnement du matériel, ou encore à la qualité de la formation des agents qui procèdent à la mise à mort. Il s'agit d'un ensemble de choses qui doivent être vérifiées aussi bien pour un abattage traditionnel que pour un abattage rituel. Malgré toutes ces précautions, on ne peut cependant jamais éviter complètement le stress et la souffrance des animaux.

Le stress des bovins provient en partie du fait que, dans les logettes individuelles des bouveries, ainsi conformées car plus faciles à nettoyer, ils se trouvent isolés des congénères auxquels ils sont habitués. Il est nécessaire de choisir dans une certaine mesure entre les objectifs de garantie sanitaire et de compétitivité et ceux de protection animale. De nombreux travaux de recherche et développement industriel devront être menés pour améliorer le matériel d'abattoir.

Dans le cas où la souffrance d'un animal se prolonge pendant 14 minutes - ce qui me semble incompatible avec les prescriptions européennes -, il faut s'atteler à rechercher les causes d'une telle durée. Une mauvaise section du collier, entraînant un ralentissement de l'écoulement du sang, peut provenir de l'utilisation d'un couteau mal aiguisé ou d'une mauvaise position de la tête de l'animal lors de la jugulation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Comment l'activité des abattoirs est-elle organisée entre abattage conventionnel et abattage rituel ?

M. Philippe Fourgeaud . - On observe, en raison de considérations économiques, une tendance à produire davantage de viande issue d'un abattage rituel que provenant d'un abattage conventionnel. Le premier permet en effet une commercialisation plus large, facilitée en outre par les normes existant en matière d'étiquetage. Les opérateurs ont ainsi l'opportunité de gagner quelques parts de marché sur un marché du halal en pleine expansion. C'est contre ce phénomène que l'arrêté du 28 décembre 2011 vise à lutter, en prévoyant de limiter l'abattage rituel au minimum nécessaire pour répondre aux commandes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous le sentiment qu'il existe une dérive de l'abattage rituel ? Y a-t-il un avantage financier quantifiable à abattre en rituel plutôt qu'en conventionnel ?

M. Philippe Fourgeaud . - L'abattage sans étourdissement mal conduit, c'est-à-dire celui qui ne respecte pas le temps d'immobilisation jusqu'à l'inconscience, présente l'avantage de la rapidité. Les cadences observées laissent supposer que les animaux ne sont parfois pas immobilisés aussi longtemps qu'ils devraient l'être.

Mme Anne-Marie Vanelle . - Si avantage financier il y a, il n'est lié qu'à la cadence et à l'opportunité de gagner des parts de marché sur le marché du halal .

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - L'abattoir de Sablé pratique une méthode d'abattage rituel incluant un étourdissement dans les cinq secondes qui suivent l'égorgement, ce qui permet d'éviter la souffrance animale. Cela se pratique-t-il ailleurs ? Que pensez-vous de ce procédé sous l'angle de la souffrance évitable ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - C'est une méthode que l'on voit se mettre en place dans certains abattoirs. Elle permet de pratiquer un abattage répondant aux prescriptions rituelles, puisque l'animal est égorgé vivant, tout en recourant à l'étourdissement par matador. Elle est utilisée en Nouvelle-Zélande, en Autriche et en Belgique. Certains pays musulmans autorisent par ailleurs l'abattage avec étourdissement, la tolérance étant plus ou moins grande selon les espèces. Il est ainsi davantage accepté pour les volailles par le procédé de l'électronarcose que pour les ovins. Les exigences cultuelles varient donc selon les espèces et selon les pays.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Il nous a été indiqué que les consommateurs de viande casher ne consomment pas la partie arrière des animaux, à partir de la septième côte. Savez-vous combien de tonnes représentent ces morceaux non consommés ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Nous ne disposons pas de données chiffrées sur ce point. La non commercialisation des parties arrières dans le circuit casher est liée à la présence du nerf sciatique.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La consommation de ces morceaux est en revanche possible si ce nerf peut être retiré par un boucher compétent. Il existe un décalage important entre le nombre de consommateurs juifs ou musulmans et le nombre d'animaux abattus rituellement. Qu'en pensez-vous ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Ce décalage est en effet incontestable. La dérive de l'abattage rituel n'a pas été niée dans notre rapport ; c'est son amplitude qui a été remise en question. C'est pourquoi la réponse apportée par le décret du 28 décembre 2011 consiste à lier la production issue d'un abattage rituel avec le nombre de commandes reçues, même s'il n'existe pas actuellement de traçabilité de cette production jusqu'au consommateur.

Mme Renée Nicoux . - L'augmentation des volumes de produits issus d'un abattage rituel peut s'expliquer aussi par celle des exportations de ces produits.

Mme Anne-Marie Vanelle . - En effet, notamment pour la volaille.

M. Gérard Le Cam . - Comment le degré de conscience de l'animal est-il évalué ? Dispose-t-on d'éléments scientifiques sur ce point ? Je suis surpris que les animaux fassent l'objet d'une contention, qui ralentit la perte de conscience.

Mme Anne-Marie Vanelle . - Nous avons préconisé dans notre rapport une saisine de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) afin que soit établie une synthèse des éléments objectifs permettant de caractériser la perte de conscience et la mort, tels que les vocalisations, les réflexes oculo-palpébraux ou encore les pédalages. Cette synthèse devra être simple d'application pour les grands volumes traités par les abattoirs. D'une manière générale, il est absolument indispensable de mener davantage de travaux sur la douleur des animaux afin de progresser dans la connaissance objective de leur stress et de leur souffrance et d'améliorer le fonctionnement et l'aménagement des abattoirs. De tels travaux, qui relèvent de la recherche appliquée et non de la recherche fondamentale, s'insèrent cependant difficilement dans la politique de recherche.

M. Philippe Fourgeaud . - Afin de prendre position de manière éclairée sur la question de l'abattage rituel et de l'étourdissement, il est nécessaire de disposer de données objectives d'un point de vue scientifique.

M. Gérard Le Cam . - Qu'en est-il de la souffrance des personnels des abattoirs ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Ces personnels sont soumis à une souffrance à la fois psychique et physique en raison de leurs conditions de travail qui impliquent la réalisation de gestes répétitifs, qui entraînent des troubles musculo-squelettiques, dans un environnement froid et humide. Cette souffrance explique les problèmes de recrutement constatés.

Mme Anne Emery-Dumas . - Selon vous, le matériel actuellement utilisé dans les abattoirs est-il prévu pour la protection des animaux ou pour celle des personnels ? Comment serait-il possible de conjuguer ces deux exigences ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'étourdissement obligatoire permettrait sans doute une telle conciliation.

Mme Anne-Marie Vanelle . - En effet. Les box tournants, par exemple, sont plus utiles aux ouvriers qu'aux animaux. Le retournement des animaux est en effet à l'origine de souffrance, et notamment de fractures, particulièrement lorsque les mêmes box sont utilisés pour des animaux de taille différente. Il ne me paraît pas souhaitable de continuer à utiliser ce type de matériel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En l'absence actuellement d'une évaluation précise de la douleur animale, pensez-vous qu'il faille différer les décisions ou au contraire imposer dès aujourd'hui l'étourdissement systématique ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - La méthode de l'étourdissement après égorgement m'apparaît une bonne solution, en ce qu'elle permet de minimiser la souffrance animale tout en respectant les exigences cultuelles. On pourrait également envisager de dédier les abattoirs à un seul type d'abattage, afin d'éviter que le procédé de l'abattage rituel soit poursuivi sur plus d'animaux que nécessaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Votre rapport, bien que confidentiel, a fait couler beaucoup d'encre. Pourquoi a-t-il été enterré pendant si longtemps ? Avez-vous subi des pressions ?

Mme Anne-Marie Vanelle . - Il n'a pas été enterré : il a été achevé dans le cadre de la préparation des textes réglementaires précédemment évoqués. Il n'a donc pas été vain, puisqu'il a accompagné l'élaboration d'une réglementation d'encadrement. Plus largement, c'est un contexte général, caractérisé par l'attente des citoyens et les avancées de la réglementation européenne, qui a permis de progresser dans le champ de la souffrance animale. Nous n'avons pas subi de pressions particulières.

Mme Bernadette Bourzai ., présidente . - Nous vous remercions pour votre utile contribution.

Audition de M. Bertrand Oudin, directeur des études de Blezat Consulting (mercredi 22 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes heureux d'accueillir Blézat Consulting, qui couvrait bien le secteur de la viande bovine pour avoir déjà conduit de nombreux travaux d'audit.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Bien que nos éleveurs produisent une viande de qualité, nous assistons aujourd'hui à une baisse de la production de viande bovine qui s'accompagne d'une baisse de revenus pour les éleveurs. Quelles en sont les causes ? Et d'où proviennent les difficultés des abattoirs ? Sont-ils trop nombreux ? Mal répartis sur le territoire ? Faut-il augmenter leur taille ? Que faut-il penser des circuits courts, dont il est beaucoup question depuis qu'a éclaté le scandale de la viande de cheval devenue boeuf ? Faut-il des labels pour valoriser la production française ?

M. Bertrand Oudin, directeur des études de Blezat Consulting . - Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis un ingénieur spécialiste du secteur de l'agroalimentaire. J'exerce depuis treize ans le métier de consultant. Auparavant, j'avais travaillé deux ans dans le secteur de la grande distribution. J'ai conduit une mission sur la réforme des cotations des animaux de boucherie pour France Agrimer et une autre consacrée à la valorisation du cinquième quartier. J'ai été expert lors des états généraux d'Interbev. J'observe les filières viande avec un regard à la fois extérieur et critique et je vous exposerai les préconisations que j'en ai tiré. Les difficultés qui se posent aujourd'hui à elles sont à la fois sociales et sociétales, mais aussi et avant tout économiques, avec la question de leur compétitivité.

La France est un pays qui produit beaucoup de viande et en consomme beaucoup. Petit à petit, avec les grandes et moyennes surfaces, le monde de la viande a vu apparaître un nouveau modèle économique de la distribution, au détriment des boucheries traditionnelles. L'autre tendance forte est à la segmentation des produits, dans une logique d'assemblage désassemblage de la viande pour constituer des lots homogènes.

Au niveau des élevages, on observe une hausse des coûts de production depuis 20 ans qui s'est accentuée, depuis 2 ans, avec + 20 à 30 % de hausse des coûts d'achat à l'entrée dans l'abattoir. Cela est dû avant tout à l'augmentation des postes de charge des exploitations agricoles. En 2012, il y a eu des interrogations sur la rentabilité des exploitations de viande bovine. En outre, il existe une extrême variabilité entre les systèmes d'exploitation et les revenus dans la filière bovine. Mais globalement, la rentabilité est faible alors que la charge de travail de l'éleveur reste importante, creusant un fort différentiel avec les producteurs de céréales.

Il existe plusieurs leviers pour permettre aux éleveurs d'augmenter leurs revenus. Premièrement, obtenir davantage d'aides, qui représentent déjà 40 % de leurs revenus nets. Deuxièmement, favoriser l'écoulement de la production par des industriels qui peuvent faire face à l'éclatement de la demande et être sensibles aux signes du marché. Troisièmement, vendre des coproduits de l'exploitation qui sont encore trop peu valorisés, tels que les déchets ou la méthanisation.

Au niveau des charges, le premier poste de charge des exploitations est la mécanisation et il est sans doute possible de le réduire. Le deuxième poste de charge, l'alimentation, doit aussi être réduit. Il faudra diminuer l'alimentation en céréales nobles et augmenter la consommation d'herbe et de coproduits alimentaires. Le troisième poste de dépense est la main d'oeuvre, qui doit être rendue plus productive grâce à la formation et aux investissements. Nous disposons enfin d'outils permettant de comparer les systèmes de production entre eux : le modèle « coût-prod » développé par l'Institut de l'élevage permet de disposer de chiffres précis pour conduire des analyses dépassionnées. Mais quel que soit le maillon de la chaîne de production, à partir du moment où existe une destruction de valeur, il y a une réduction du nombre d'acteurs, à tous les échelons. Le mouvement de concentration va donc se poursuivre.

Existe-t-il trop d'abattoirs ? Votre rapport de 2010 montrait clairement que le réseau était en surcapacités. Avec une offre agricole qui baisse, cela signifiera nécessairement à terme des restructurations. Pour l'instant, cette restructuration s'effectue à petit feu et correspond à une mort lente mais personne ne veut prendre l'initiative de faire évoluer les choses. La grande question qui se pose actuellement est la suivante : comment procéder à cette restructuration ? En Irlande, aux Pays-Bas, il existe des fonds pour favoriser les restructurations et permettre de réinvestir dans les outils de production afin de les maintenir au niveau technique suffisant.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Faut-il réinvestir dans de très grosses structures ou dans de petits abattoirs de proximité ? Par ailleurs, les normes appliquées en France dans les abattoirs sont-elles trop draconiennes ?

M. Bertrand Oudin . - En ce qui concerne les normes, je crois qu'elles sont assez dans l'ensemble bien adaptées, même si elles imposent parfois des contraintes supérieures à celles qui existent dans d'autres pays européens. Mais nos marges de manoeuvres se trouvent surtout au niveau de notre système de surveillance et d'inspection sanitaire, qui pourrait être davantage professionnalisé. Les consommateurs et les collectivités sont prêts à payer davantage pour obtenir des produits plus surs.

En ce qui concerne les types d'abattoirs, je crois qu'il est pertinent d'avoir deux types d'outils. Il est utile de disposer d'abattoirs de proximité, dégagés du champ concurrentiel, pour les circuits courts. Mais il faut une forte valeur ajoutée, une grande qualité pour compenser le surcoût à l'abattage. Par exemple en Corse, il existe un syndicat mixte qui gère les outils d'abattages selon cette logique de niche. Dans des régions enclavées, les petits abattoirs peuvent permettre de maintenir en vie des élevages. Mais il ne faut pas non plus dissimuler que, si les filières courtes correspondent à une demande sociétale forte, elles ne représentent au plus que 2 à 3 % des volumes globaux de la filière viande. En outre, il est important de faire diminuer les pressions politiques qui s'exercent pour maintenir en activité des outils de taille intermédiaire qui devraient disparaître mais sont maintenus artificiellement en vie grâce à des aides publiques.

L'autre type d'outil doit être de grande taille pour être compétitif dans le secteur privé et être le plus saturé possible. Les industriels qui réussissent sont ceux qui sont à 110 voire 120 % de leurs capacités de production.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous nous dites donc que les deux modèles sont nécessaires pour que notre agriculture se porte bien ?

M. Bertrand Oudin . - Il convient de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. De façon plus générale, il convient de respecter la rationalité industrielle qui correspond à la rationalité du pouvoir d'achat. Par exemple, dans la région Provence Alpes Côte d'Azur, on trouve deux abattoirs à 40 km l'un de l'autre qui survivent et coûtent très cher en investissement courant : l'un des deux doit disparaître.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que pensez-vous des labels ?

M. Bertrand Oudin . - Au sein de la filière viande, la filière volaille constitue une filière remarquable puisque 20 % de ses volumes sont produits sous label. Cependant, ces labels montrent des signes d'essoufflement en matière de structures de commercialisation. La priorité pour un groupe comme LDC est de vendre des produits économiques avec des carcasses lourdes à bas prix : c'est ce que réclame la grande majorité de la population. En bovin, la moitié de la carcasse est facilement valorisable, car elle est constituée de produits nobles, l'autre l'est beaucoup moins.

Labelliser des produits permet de disposer de locomotives en termes de qualité et de favoriser la contractualisation. Cette image d'excellence est très positive pour la filière dans son ensemble. Le consommateur veut savoir ce qu'il achète et les producteurs français doivent montrer que leurs produits sont sanitairement de grande qualité car nous connaîtrons d'autres scandales alimentaires, d'autres fraudes, en raison des difficultés à nourrir la population croissante de la planète. Les scandales sanitaires qui secouent régulièrement la Chine en sont une illustration éloquente. Les exigences de qualité qui sont celles de la France - elle est un des seuls pays à nourrir les bovins à 100 % avec des végétaux et non avec des graisses animales- doivent lui servir à valoriser sa production.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'étiquetage est-il un plus pour l'agriculture française ? Jusqu'où aller dans l'information du consommateur ?

M. Bertrand Oudin . - Je me suis toujours demandé pourquoi les industriels français ne disent pas davantage que leurs concurrents sont moins vigilants qu'eux en matière sanitaire. Il faut communiquer auprès des consommateurs pour leur montrer ce que peuvent leur apporter les produits français, sans quoi les français s'en tiendront à ce qui est la plupart du temps leur premier critère de choix, le prix. Imposer des mesures de transparence ne pourrait qu'être profitable aux producteurs français.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'étiquetage viande bovine française (VBF) est déjà généralisé mais il paraît plus difficile d'indiquer l'origine de la viande contenue dans les plats transformés. Comment y parvenir ?

M. Bertrand Oudin . - Il paraît en effet difficile d'indiquer l'origine de tous les ingrédients si l'on veut conserver des étiquettes lisibles.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il vous paraît vraiment très difficile d'indiquer l'origine de la viande sur les plats transformés, comme nous le disent les industriels ? Ne serait-il pas possible d'indiquer le pourcentage de viande française ?

M. Bertrand Oudin . - Il est très difficile de disposer d'une indication globale indiquant le pourcentage d'origine française. Il ne faut donner le label que si la viande est à 100 % d'origine française. Quand l'industriel utilise du minerai de viande, la viande est souvent à 100 % issue d'une même origine même si cette origine peut varier au jour le jour.

M. Gérard Le Cam . - En ce qui concerne la traçabilité, je crois qu'il serait indispensable de disposer d'un suivi informatique de la viande. La semaine dernière, les éleveurs bretons qui ont arrêté des camions ont trouvé du porc espagnol dans plusieurs d'entre eux. En Bretagne, c'est une aberration ! Il faut que nous puissions connaître en temps réel les mouvements de la viande. Comme le révélait récemment un article d'AgraPresse, les Chinois ont réussi à commercialiser du renard et du rat, ce qui est scandaleux.

Nous avons parlé des abattoirs. Il est vrai que la production de viande en Bretagne a baissé et que le Gouvernement a pour volonté de relancer cette production. Pour autant, ce processus prendra du temps et je crois que dans l'immédiat, nous devrions travailler sur la transformation de nos produits car nous exportons trop souvent directement des carcasses alors que nous pourrions effectuer la transformation chez nous.

Vous avez évoqué les charges de mécanisation. Je ne sais pas si vous tenez compte des déductions pour investissement car c'est ce mécanisme fiscal qui incite les agriculteurs à renouveler régulièrement leur matériel. C'est un système qui est voulu.

Lorsque l'on évoque les revenus des exploitations, on se trouve au milieu d'une guerre des centimes. Nous ne parvenons pas à régler ce problème alors même que si le surcoût était transmis au consommateur, il ne s'en rendrait même pas compte. Il s'agit là d'une équation qu'il faudra bien finir par résoudre.

M. Bertrand Oudin . - Pour les consommateurs, se pose un vrai problème d'effet ciseau avec un budget alimentaire qui avait plutôt chuté et un revenu qui avait augmenté. Mais la Chine est entrée à l'OMC en 2001, ce qui a entraîné une flambée des matières premières agricoles, qui sera amenée à se poursuivre. La flambée des matières premières n'a pas été répercutée dans le prix des produits alimentaires et les producteurs ont dû compenser le différentiel par des gains de productivité. La vraie problématique en France est que nous payons trop cher pour notre logement et pas assez pour notre alimentation, en dépit de notre culture gastronomique. L'alimentation ne fait même plus partie des dépenses contraintes selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) ! Les choses se jouent en effet à quelques centimes près mais le consommateur a souvent tendance à acheter le produit le moins cher.

Je pense qu'il est fondamental de retrouver de la valeur ajoutée dans la filière viande. Ce qui caractérise notre filière bovine, c'est l'absence quasi-totale d'innovations car le produit brut de départ est un produit noble. Mais les choses évoluent : par exemple, on ne mangeait presque pas de carpaccio de boeuf il y a quinze ans alors qu'on en trouve de plus en plus désormais dans les rayons. Une entreprise du Sud-Ouest a développé des flashcodes pour que le consommateur puisse voir la tête de l'éleveur lorsqu'il achète sa barquette. Voilà des exemples d'innovations dont la filière manque cruellement ! Il faut recréer de la valeur pour que le consommateur accepte de payer davantage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut peut-être aussi changer les comportements alimentaires des Français, les inciter à manger moins souvent de la viande mais de meilleure qualité.

M. Bertrand Oudin . - Oui, mais la question de la qualité de la viande fait l'objet de débats sans fin.

M. François Fortassin . - Je voudrais vous poser une question sur la traçabilité, qui a pour objectif l'information du consommateur. Qu'est ce qui s'oppose à ce que l'on précise sur les étiquettes de la viande s'il s'agit d'une race à viande ou pas ? Pour moi la traçabilité est avant tout utile sur le plan gustatif et il est capital que l'animal ait consommé de l'herbe, ce qui est beaucoup moins sûr s'il s'agit d'une vache laitière de réforme, a fortiori si elle est importée.

M. René Beaumont . - Je ne suis pas d'accord. Les vaches qui sont produites dans mon département sont des vaches laitières de réforme - les montbéliardes- qui alimentent 50 % de la production française. Une viande de vache de réforme conservée correctement dans une chambre froide pendant 10 ou 15 jours, même si elle a plus de 10 ans et a effectué sept ou huit lactations, est bien meilleure qu'une génisse charolaise ou d'une autre race à viande tuée trois jours plus tôt !

M. François Fortassin . - C'est faux, elle sera moins bonne sur le plan gustatif.

M. René Beaumont . - C'est un sujet que je connais bien puisque je lui ai consacré ma thèse.

M. François Fortassin . - En outre, les vaches laitières n'ont souvent pas du tout connu les pâturages. Le muscle de l'animal n'est pas mis à l'épreuve et la viande sera moins bonne. Certes la viande de vache de réforme sera plus tendre, mais elle aura moins de goût. Je veux savoir si la viande que je consomme est issue d'une charolaise, d'une limousine, d'une blonde d'Aquitaine...

M. Bertrand Oudin . - Le troupeau de vaches allaitantes est devenu majoritaire, ce qui modifie complètement le système industriel. Avant, la viande bovine était un coproduit du lait. Aujourd'hui, elle devient un produit à part entière. La logique économique est complètement différente. 55 à 60 % du potentiel de viande est issu du cheptel allaitant. Sur la question de la qualité de la viande bovine, il existe un excellent rapport de l'Institut de l'élevage.

M. René Beaumont L'une des qualités essentielles de la viande est la tendreté. Elle provient essentiellement de la mise en chambre froide pendant dix, quinze jours voire trois semaines. Le problème, aujourd'hui, vient du fait que le nombre d'abattoirs s'est restreint, le nombre de chambre froides aussi, ce qui fait que les animaux sont tués, conservés deux ou trois jours puis distribués. Le résultat est très pauvre.

M. Bertrand Oudin . - Il y a là une question de distribution qui est lié à la commercialisation majoritairement en GMS.

Je souhaiterais vous signaler trois chantiers que vous pourriez mettre en avant. Il s'agit tout d'abord de l'innovation et de la recherche et développement (R et D). Si 1 % des aides étaient consacrées à la R&D, les résultats de long terme seraient spectaculaires. La R&D dans la filière viande est extrêmement faible et il faut lui réaffecter des ressources humaines. Notre système de recherche existe mais je ne suis pas tout à fait sûr qu'il fonctionne bien. La totalité des entreprises agroalimentaires dépenses 400 à 500 millions d'euros par an pour la recherche quand l'INRA utilise 800 millions d'euros, pas forcément en lien avec les besoins de l'industrie. Les centres de ressources sont trop dispersés et travaillent trop peu ensemble, dans une relative inefficacité. Il convient enfin de faire en sorte que la filière s'approprie ce système de R&D. L'Institut de l'élevage est très performant mais au niveau industriel, le compte n'y est pas et nous ne sommes ni au niveau des Allemands, ni à celui des Hollandais. Il faut ensuite miser sur le marketing pour faire en sorte que le consommateur accepte de payer davantage et éviter de sombre dans une logique de réduction de la valeur et de destruction d'emploi. Il faut agir sur le marché national mais aussi sur le marché international. Troisième point, il faut revoir la gouvernance de la filière qui a trop besoin d'unanimité pour avancer et parvenir à des plans d'action efficaces.

Audition de M. André Eloi, directeur de la fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services (FNEAP) (mercredi 22 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir la fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services (FNEAP).

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Selon vous, les abattoirs de proximité sont-ils l'avenir de la filière viande ? Les petits et les grands abattoirs offrent-ils les mêmes garanties en termes de sécurité sanitaire ? Quelle est la part de la main d'oeuvre dans la structure de vos coûts de production ? Quelle proportion d'abattages rituels pour chaque espèce les abattoirs rattachés à votre fédération réalisent-ils ? Pensez-vous que les personnels d'abattoirs ont une formation suffisante ? Faites-vous face à des difficultés de recrutement ?

M. André Eloi, directeur de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services . - J'aimerais tout d'abord vous rappeler le statut de nos outils d'abattage et vous brosser ainsi le portrait des 110 adhérents de notre fédération. Ce sont pour la plupart des outils de petite taille, c'est-à-dire des abattoirs de proximité. Ces structures étaient principalement publiques jusqu'en 1993, avant que n'intervienne une vague de privatisations qui a conduit à la disparition de nombre d'entre eux. Particularité française, ces outils ne commercialisent pas la viande qu'ils produisent. Ils ont pour mission exclusive d'abattre les animaux et doivent ainsi être regardés comme des prestataires de services. Cette absence d'opérations commerciales les distingue des abattoirs de taille moyenne et des grands groupes industriels. L'activité de nos adhérents représente un volume d'environ 400 000 tonnes, soit une activité assez modeste. Ce sont pour la plupart des abattoirs polyespèces, qui disposent dès lors d'au moins trois chaînes d'abattage. Nous ne nous considérons pas comme concernés par la sous-utilisation de l'outil d'abattage mise en évidence par plusieurs rapports.

S'agissant de la situation économique des abattoirs affiliés à notre fédération, nous n'avions que peu d'inquiétudes jusqu'au printemps 2012, bien que les années 2011 et 2012 aient vu la disparition de plusieurs structures. Nous avons alors été alertés sur les difficultés économiques rencontrées par certains de nos adhérents, qui se traduisaient notamment par un chômage partiel, et qui résultaient de la raréfaction de la matière première. Celle-ci s'explique à la fois par les incitations des pouvoirs publics et par l'orientation actuellement prise par le monde agricole, qui se dirige davantage vers les cultures végétales, moins contraignantes et plus rémunératrices que l'élevage. La situation est telle qu'elle a poussé certains grands industriels à venir chercher de la matière première en dehors de leur région et à la faire abattre dans nos outils. Après une courte amélioration à la fin de l'année 2012, de nouvelles difficultés sont apparues et nous avons connu un premier trimestre 2013 catastrophique.

Il est à noter que, de manière étonnante, le scandale de la viande de cheval a eu des répercussions positives sur la filière chevaline. Certains outils de petite taille ont ainsi pu bénéficier d'un regain de production dans cette filière. Ces outils bénéficient également de la valorisation de produits de qualité, notamment d'origine locale.

125 abattoirs ont été fermés entre 2002 et 2010 au niveau national, ce qui traduit un mouvement de concentration industrielle certain. Une douzaine de structures supplémentaires ont disparu en 2011 et 2012, et pas seulement des structures de petite taille : les abattoirs de Blois, Pau et Castelnaudary, par exemple.

M. André Dulait . - Combien d'abattoirs soutenus par des collectivités publiques ont été contraints à la fermeture par manque de travail ou de clients ?

M. André Eloi . - Le mouvement de fermetures a concerné 80 abattoirs privés, 37 abattoirs publics, auxquels il faut ajouter 8 abattoirs de chevreaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces fermetures sont-elles dues à un manque de volume ou aux contraintes liées à des mises aux normes ?

M. André Eloi . - Ces deux aspects entrent en jeu. L'application du paquet hygiène de 2005 a entraîné de lourdes contraintes d'investissement, qui se sont révélées insoutenables pour certaines structures.

M. René Beaumont . - Selon moi, tous les abattoirs ne peuvent pas faire face de la même manière, en fonction de leur taille, aux obligations de mise aux normes. Dans mon département se trouvaient un très gros abattoir reconstruit il y a quinze ans qui fonctionne bien et une petite structure située à une vingtaine de kilomètres. Cette structure a été fermée car le rythme de mise aux normes n'était pas soutenable.

M. Charles Revet . - Les abattoirs qui subsistent aujourd'hui permettent-ils de couvrir les besoins à l'échelon national ? Le maillage est-il comparable à celui observé en Allemagne, qui nous fournit désormais alors que c'était autrefois le contraire ?

M. André Eloi . - Nous avons suffisamment d'abattoirs industriels pour couvrir nos besoins d'abattage. Nous sommes cependant confrontés à un problème de désertification. Celle-ci pousse à la modernisation des structures et même à la construction actuellement de sept abattoirs de moins de 3000 tonnes. Ces constructions sont le fait d'opérateurs qui n'appartiennent pas à la sphère industrielle : ce sont notamment des bouchers et des éleveurs qui ont été confrontés à des conditions de travail inacceptables dans les abattoirs industriels après le mouvement de privatisations et qui veulent assurer leur propre production.

Je pense que les structures de proximité ont un avenir - même si elles ne pourront jamais afficher un tarif concurrentiel par rapport aux grands abattoirs industriels. L'abattage de proximité favorise en effet l'implantation de petites et moyennes entreprises (PME) de production de viandes, ce qui favorise l'emploi dans les territoires ruraux. Il offre en outre un support intéressant à la boucherie traditionnelle : l'achat sur pied garantit une bonne rémunération à ces distributeurs et une rémunération stable et pérenne aux éleveurs. Il constitue enfin un appui indispensable pour les circuits courts actuellement en développement.

M. René Beaumont . - On assiste à une modification de la carte des abattoirs, qui tend à se réduire à quelques grosses structures. Or, la disparition des petits abattoirs, même si ces outils ont un coût élevé, pose plusieurs problèmes : elle rend impossible l'abattage familial ainsi que l'abattage d'urgence pour les bêtes accidentées. Les gros abattoirs sont indispensables, mais il est nécessaire de conserver des structures de proximité. Il faut exiger qu'un abattoir au moins soit accessible dans chaque département.

M. André Eloi . - Les abattoirs de proximité ont en effet des fonctions à la fois économiques et sociales. Ils ne sont pas concurrents mais complémentaires des abattoirs industriels, qui sont indispensables, notamment pour les exportations.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis d'accord avec M. Beaumont. On pourrait proposer une mise aux normes à deux vitesses selon la taille des abattoirs.

M. André Eloi . - Il ne faudrait pas que coexistent deux niveaux parmi les abattoirs, et une telle solution risquerait de poser problème par rapport au droit de l'Union européenne. Notre fédération exclut les structures qui ne respectent pas la réglementation ; ce fut le cas récemment pour un abattoir situé dans le Val d'Oise. C'est sur la flexibilité qu'il faut jouer.

Le problème que nous rencontrons actuellement est celui du raccourcissement des cycles de mise aux normes, qui résulte à la fois de l'application de la réglementation et de l'obsolescence plus rapide des outils. Le nettoyage fréquent des outils imposé par la réglementation oblige en effet à les renouveler plus fréquemment.

S'agissant de votre question relative aux coûts de main d'oeuvre en abattoir, l'abattage est en effet une activité dont les principaux coûts sont liés aux charges de personnel. Ces coûts représentent 45 à 55 % des charges d'exploitation, en fonction notamment des espèces travaillées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne faites-vous pas face à une concurrence déloyale de la part des opérateurs allemands, qui emploient une main d'oeuvre à faible coût ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ce problème résulte de la directive « Détachement » de 1996, à laquelle un rapport a été consacré par notre collègue Éric Bocquet, au nom de la commission des affaires européennes.

M. André Eloi . - Il apparaît difficile de faire évoluer cet état de fait, qui est lié à la législation sociale allemande. Il est en revanche possible d'intervenir sur l'application des normes européennes, que la France a tendance à durcir, ce qui rend la situation des abattoirs frontaliers particulièrement difficile.

M. Charles Revet . - Ce durcissement est constaté dans tous les domaines, et nous le dénonçons régulièrement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quel est le volume de production issue d'abattages rituels ?

M. André Eloi . - Je ne peux pas vous fournir de chiffres sur ce point dans un si court délai. La certification halal ou casher n'existe pas en matière d'abattage. Certains de nos salariés ont une carte de sacrificateur, qui s'obtient auprès de l'une des trois mosquées habilitées, mais je ne connais pas la part de la production de nos adhérents concernée par ce type d'abattage. L'abattage sans étourdissement constitue aujourd'hui une possibilité juridique et économique qui se développe beaucoup.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis surprise que vous ne puissiez pas nous communiquer de chiffres alors que le Gouvernement a pu nous en transmettre.

M. André Eloi . - Ces chiffres proviennent sans doute des contrôles opérés auprès des opérateurs commerciaux, dans le cadre prévu par le décret du 28 décembre 2011.

M. René Beaumont . - Il est impossible d'effectuer de tels contrôles au stade de la distribution. Ils ne sont réalisables qu'au niveau des abattoirs. Existe-t-il une différence de coût entre un abattage rituel et un abattage conventionnel ?

M. André Eloi . - Le coût de l'abattage rituel comprend seulement les frais liés à l'obtention de la carte, soit environ 150 euros, et le coût du matériel. Les abattoirs affiliés à notre fédération ne pratiquent pas de différence de tarif entre les abattages rituel et conventionnel, dans la mesure où ce sont les mêmes chaînes et les mêmes opérateurs qui sont utilisés. Nous travaillons en séquences distinctes.

Le secteur de l'abattage souffre d'une mauvaise image de marque, en raison à la fois d'aspects sociétaux et du lobbying croissant exercé par les associations de protection animale. Nous avons créé un organisme de formation des personnels d'abattoir, qui est à ce jour unique en France, et qui couvre l'ensemble des métiers liés au fonctionnement quotidien des abattoirs. Nous avons le projet de créer une école de formation pour les métiers d'abattage. Il est nécessaire de faire à la fois de la formation initiale et de la formation continue. Nous avons été habilités l'été dernier comme organisme autorisé à dispenser des formations sur le bien-être animal au moment de l'abattage, avec notamment un module consacré à l'abattage sans étourdissement.

Sur la question des incidents d'abattage, un règlement européen de 2009 nous oblige à mettre en place un plan d'action sur le bien-être animal depuis le 1 er janvier 2013, alors qu'il n'y avait auparavant aucun suivi. Nous sommes actuellement en train de mettre en place ce plan d'action, ce qui nécessite une formation des personnels. Ce plan sera complété par un guide des bonnes pratiques transmis pour validation au ministre de l'agriculture.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions pour ces très intéressantes précisions.

Audition de MM. Jean-Paul Bigard, président, et Pierre Halliez, directeur général du syndicat des entreprises françaises des viandes (SNIV-SNCP) (mercredi 22 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous allons écouter avec beaucoup d'intérêt M. Jean-Paul Bigard , président du syndicat national des entreprises françaises des viandes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure - Alors que le scandale de la viande de cheval est de nature à entamer un peu plus la confiance des consommateurs, nous constatons que nos filières viandes produisent des denrées de qualité. En même temps, les difficultés des éleveurs s'aggravent et le pouvoir d'achat des consommateurs diminue. Nous cherchons, dans ce contexte, quelques pistes pour valoriser les différents maillons de la chaine des filières viande.

M. Jean-Paul Bigard, président du syndicat des entreprises françaises des viandes . - Globalement, la production et la consommation de viande sont en retrait de quelques points de pourcentage cette année, le chiffre étant variable selon les espèces et les produits.

M. Pierre Halliez, directeur général du syndicat des entreprises françaises des viandes . - Je précise que le déclin de la consommation de viande s'est manifesté dès le milieu des années 1990 dans l'ensemble des pays industrialisés. Cela impose aujourd'hui une adaptation des modes de production, de transformation et de distribution car, en même temps, la viande reste une denrée très prisée avec un taux de pénétration exceptionnel de 95 % dans la consommation des ménages. Nos études démontrent, en particulier, qu'il faut faire progresser le professionnalisme dans le commerce de détail et surtout dans la grande distribution. Dans les grandes surfaces, le consommateur passe souvent plus de temps au rayon viande que dans les autres et il faut tirer parti de cette donnée de base pour rendre plus attractives les conditions de vente des produits.

M. Jean-Paul Bigard . - A votre question relative aux déterminants de l'évolution des prix du kilo de boeuf depuis deux ans à l'entrée de l'abattoir et sur les étals, je répondrai tout d'abord que nous constatons, dans la viande bovine et depuis le début de 2011, une hausse comprise entre 30 et 50 % selon les catégories d'animaux. Aujourd'hui le bétail a atteint un niveau de prix inédit dans l'histoire. Cela s'explique en partie par la baisse de la production : c'est la loi de l'offre et de la demande qui s'impose. J'ajoute que les exportations d'animaux en vifs, comme vers la Turquie au cours de l'année dernière, ont lourdement diminué l'offre disponible. Je rappelle qu'à cette période, dix abattoirs du groupe Bigard avaient étés bloqués par le syndicalisme agricole qui demandait des prix plus élevés et, six mois plus tard, en dépit des hausses consenties, les abatteurs se sont trouvés privés d'approvisionnement suffisant en matière première. En ce qui concerne la viande porcine, la transparence du marché est presque totale. Je rappelle que les abattoirs ne sont jamais décisionnaires sur la mise en place d'élevages pour les espèces bovines et porcines : les éleveurs restent maitres des choix effectués dans ce domaine. Cependant, pour les veaux, ce sont les abattoirs qui financent la production avec la contractualisation et le schéma est encore plus répandu dans la filière volaille.

Ayant le premier cheptel bovin d'Europe, la France subit au premier chef les variations de prix du marché dans ce secteur. La tendance est très fortement à la hausse à l'heure actuelle et il ne faut pas oublier que le marché de la viande bovine dépend aussi du prix du lait. Ce cheptel laitier a cependant été divisé par deux depuis les années 1990 où il représentait six millions d'animaux.

En ce qui concerne les conclusions de l'observatoire des prix et des marges, je rejoins les indications du rapport de M. Philippe Chalmin quand il affirme que les marges sont extrêmement faibles dans le secteur de la viande. Elles continuent à baisser, à tel point qu'on risque de s'interroger à l'avenir sur la viabilité économique des abattoirs pris entre la nécessité de mieux rémunérer les éleveurs et l'impossibilité de répercuter en aval les hausses qu'il consent à ces derniers. A tel point que l'une des seules possibilités qui restent à l'abatteur pour limiter ses pertes est parfois de ne plus livrer ses clients, lesquels se retournent vers d'autres fournisseurs.

Il convient, à cet égard, de s'interroger sur les différences de statut qui subsistent dans notre secteur avec trois types d'entreprises : celles du secteur privé, celles du secteur coopératif et le cas, qui est une singularité française, des distributeurs qui remplissent à la fois les fonctions d'abattage, de découpe et de salaison. La part de marché de ces derniers avoisine 35 %. On peut imaginer que ces distributeurs utilisent cet outil industriel en complément de rayons de vente et j'observe que les distributeurs peuvent procéder à des péréquations avec d'autres produits pour pouvoir afficher des prix de vente de la viande inférieurs à ceux des autres opérateurs. J'insiste sur ce point car la production porcine est aujourd'hui mise à mal dans ce système et on commence également à voir apparaître des prix bloqués dans la filière bovine sur des produits dont la matière première peut représenter plus de 85 % du prix de revient. Pour maintenir de tels prix attractifs, le distributeur est sans doute contraint de procéder à des péréquations avec des produits à plus forte marge.

J'attire donc l'attention des pouvoirs publics sur ces différences statutaires dans la transformation de la viande car elles ne sont pas sans conséquences sur la situation de l'élevage.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Cela concerne plus particulièrement quels produits ?

M. Jean-Paul Bigard . - Le steak haché surgelé et la charcuterie salaison ainsi que les cotes de porcs en produits frais.

Vous évoquez, dans votre questionnaire, les incidences de l'industrialisation de l'alimentation et je souligne, à ce sujet, que les produits industriels peuvent être d'une qualité remarquable alors que des produits artisanaux peuvent soulever des difficultés en matière de sécurité alimentaire.

Par ailleurs, comme vous le suggérez, le scandale Spanghero, qui est une escroquerie, est effectivement le résultat de la course aux prix les plus bas. De façon générale, on ne se pose pas assez de questions sur la logique et la vérité des prix. Par exemple, nous avions observé que depuis plusieurs mois, le prix des carcasses de viande montait en Irlande, en phase avec la hausse du marché. En revanche, le prix des  boîtes de viande désossée et, de façon encore plus frappante, celui du steak haché ne suivait pas cette progression. On a fini par découvrir des phénomènes comparables à celui du scandale Spanghero. Je rappelle au passage que les opérateurs irlandais ont remporté beaucoup d'appels d'offre passés par les collectivités. J'ajoute que l'incidence des normes appliquées de façon moins stricte qu'en France joue également dans le différentiel de prix.

Malgré la pression des distributeurs sur les prix, qui amène certains opérateurs à diminuer la rigueur des contrôles qu'ils exercent, la viande conserve un niveau de qualité élevé dans notre pays.

M. Charles Revet . - Vous confirmez donc qu'en Irlande aussi on a constaté des substitutions de viande d'espèces différentes ? Quelles mesures préventives avez-vous prises ?

M. Jean-Paul Bigard . - Il a été démontré que l'affaire de la viande de cheval relevait d'un phénomène d'ampleur européenne. Je fais observer que l'utilisation des tests ADN a des limites car ils participent d'une démarche parfois excessivement simpliste et, dans ce contexte, ces tests risquent de poser plus de problèmes qu'ils n'apportent de solutions.

Pour ma part, j'avais déploré les dégradations tarifaires constatées à l'étranger mais que mon entreprise n'a pas suivies. Par ailleurs nous avons alerté nos clients et attiré l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité d'opérer des contrôles, mais nous étions loin d'imaginer qu'on fabriquait des steaks avec de la viande de cheval.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Je rappelle que la fraude a porté sur 800 tonnes de viande pour Spanghero et sur 50 000 tonnes de viande de cheval dans l'ensemble de l'Europe dont « beaucoup sont devenus du boeuf », selon les termes précis employés par le représentant de la direction en charge de la répression des fraudes que nous avons entendu.

M. Rémy Pointereau . - Compte tenu du déclin du cheptel français vous serez sans doute contraint de vous porter acheteur sur les marchés étrangers. Comment contrôlez-vous la nature de vos achats, dans une telle hypothèse ?

M. Jean-Paul Bigard . - Nous traitons un million de tonnes de viande par an dont 260 000 tonnes de produits élaborés et 150 000 tonnes de steak haché frais et surgelé, mais nous abattons 40 % du cheptel français. Lorsque nous achetons des carcasses à l'étranger, nous n'avons aucune hésitation sur la nature de nos achats. Toutefois, la question peut se poser lorsqu'on achète de la viande emballée - on emploie le terme de « minerai » que je préfère éviter. Nous aurions pu, dans un tel schéma, nous retrouver en difficulté comme les autres opérateurs si nous en avions acquis. Je me serais néanmoins posé des questions sur le prix du produit. N'oublions pas que notre but principal est d'apporter une valeur ajoutée aux produits que nous traitons, sous forme d'abattage, de découpe et de transformation : nous n'avons donc pas particulièrement intérêt à acquérir de la viande emballée. Nos achats se limitaient à deux opérateurs agrées et régulièrement contrôlés. A la suite de l'affaire Spanghero, j'ai immédiatement interdit l'acquisition de tout « minerai » à un opérateur extérieur au groupe.

Les « traders » jouent, en réalité, un rôle secondaire dans ce schéma général et je fais d'ailleurs observer que le circuit de commercialisation de la viande est moins complexe que celui des céréales - le produit pouvant dans ce secteur changer quarante fois de main entre la première commercialisation et la livraison définitive. La filière viande est très loin de telles pratiques.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Michel-Édouard Leclerc avait indiqué que la filière viande devrait « toiletter » ses pratiques.

M. Rémy Pointereau . - Où en êtes-vous de la contractualisation avec les producteurs pour travailler en harmonie avec ces derniers, en jouant « gagnant-gagnant » ?

M. Jean-Paul Bigard . - Je rappelle que le prix de la viande bovine est en France l'un des plus élevés d'Europe. On parle beaucoup de contractualisation, mais, dans la pratique, certains éleveurs ne souhaitent pas s'engager dans cette procédure. La volaille se prête bien à la contractualisation puisque l'élevage dure quatre semaines ; en revanche, pour les bovins le processus s'étale sur plusieurs années. De plus si le producteur est aujourd'hui en difficulté, il me parait fondamental de s'interroger sur le prix des céréales servant à l'alimentation animale, dont le prix a doublé au cours des dernières années. Or les abattoirs ne me paraissent pas en mesure d'apporter des solutions dans ce domaine. Quel que soit leur statut, les abattoirs connaissent des difficultés : la situation est désastreuse pour les abattoirs publics, il y a de moins en moins d'abattoirs privés et les coopératives doivent compenser les pertes des abattoirs par des gains sur d'autres activités.

M. Jean-Claude Lenoir . - Vendez-vous du minerai de viande et dans quelles conditions ? Confirmez-vous que la crise de la vache folle a eu pour effet d'améliorer la qualité de la viande ? Enfin, le prix de la viande est-il comparable aujourd'hui par rapport à 1980, à qualité égale.

M. Jean-Paul Bigard . - Lorsque nous vendons des « cartons » de viande - du minerai - nous exigeons de connaître sa destination finale car nous avions décelé antérieurement des abus. S'agissant de votre deuxième question, depuis vingt ans, la viande n'avait jamais atteint des niveaux de prix aussi élevés. Enfin, en ce qui concerne l'ESB, il y a en France, au plan sanitaire, des règles qui garantissent la sécurité des produits mais, du point de vue qualitatif et gustatif, on trouve de tout et on ne peut pas affirmer que la viande est, de manière générale, meilleure ou moins bonne qu'il y a vingt ans. Toutefois, la qualité gustative se paye aujourd'hui très cher.

M. Jean-Jacques Lasserre . - On s'abrite souvent derrière la traçabilité et l'étiquetage. Jusqu'où peut-on aller dans l'étiquetage des plats cuisinés ?

M. Jean-Paul Bigard . - Tout animal est aujourd'hui « tracé » et la destination de toutes ses parties est connue. Dans n'importe quelle barquette de viande la traçabilité est parfaitement assurée. Le fabricant de produit transformé peut parfaitement identifier le lot qu'il utilise mais, si ce dernier le précise sur l'étiquetage, il risque alors de perdre sa liberté de manoeuvre en matière d'achat et craint la diminution de sa capacité de négociation du prix.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans un plat cuisiné on pourrait, à tout le moins, chiffrer le pourcentage de viande française qu'il contient. Certains rétorquent que c'est difficile dans le cas où les fournisseurs changent presque quotidiennement.

M. Jean-Paul Bigard . - C'est tout-à-fait possible. La plupart des fabricants de produits transformés sont aujourd'hui, à la suite du scandale Spanghero, dans une demande d'achat de viande 100 % française.

M. René Beaumont . - Compte tenu du déclin de l'élevage, avez-vous des problèmes d'approvisionnement en viande ? Dans quels pays vous fournissez-vous et exportez-vous ?

M. Jean-Paul Bigard . - Tout d'abord, la viande que nous traitons aujourd'hui provient à plus de 90 % d'animaux que nous abattons. Ces derniers sont à 99 % français, soit 25 000 à 28 000 bovins par semaine. Ensuite, nous avons effectivement des difficultés d'approvisionnement avec des prix en hausse. Nous achetons donc des viandes de qualité en Irlande, en Allemagne, ainsi que des animaux de réforme provenant d'Italie ou de Hollande et également du muscle pour approvisionner par exemple des collectivités qui lancent des appels d'offres avec le prix comme principal critère de sélection.

Par ailleurs, nous exportons plus de 15 % de nos productions. Les quartiers avant issus de jeunes bovins sont exportés essentiellement vers les pays du bassin méditerranéen. Globalement, nous achetons plus de quartiers avant que nous n'en vendons.

Je rappelle que la plus grosse difficulté d'un abatteur est de compenser le déséquilibre permanent entre la production qui résulte de carcasses entières d'animaux et la demande différenciée de certains morceaux.

M. Jean-Claude Lenoir . - Vous rappelez les lois de l'offre et de la demande mais on constate aujourd'hui qu'un certain nombre d'animaux exportés en vif échappent au circuit de transformation en France : quelle est la mesure de ce phénomène ?

M. Jean-Paul Bigard . - Il y a, en viande bovine, une recherche constante des débouchés les plus rémunérateurs, avec, en particulier, un syndicalisme qui milite pour la vente de broutards vifs. Dans la viande porcine, certaines coopératives disposent d'abattoirs, et pourtant elles organisent la sortie des animaux de leur périmètre afin de faire monter les prix sur le marché.

Ceci rejoint la problématique de la contractualisation : elle ne fonctionne que si le producteur réserve l'intégralité de sa production à un distributeur, l'abattoir devant être rémunéré pour son intervention. Dans des cycles longs, la contractualisation n'est pas opérationnelle en raison de la variabilité des cours.

En réponse à votre questionnaire, je précise qu'en viande bovine, la main-d'oeuvre représente 60 % du coût de la fonction d'abattage ; cette proportion est de 85 % pour le désossage avec des couts horaires qui varient entre 25 et 30 euros. Vous comprenez donc notre détresse face au dumping allemand.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-on plus souple en dehors de la France pour les normes applicables à la construction ou la rénovation des abattoirs ?

M. Jean-Paul Bigard . - J'ai récemment rappelé au ministre en charge de l'agriculture plusieurs données de base. La première est que les gros abattoirs peuvent subir d'énormes pertes alors que des petites entités sont parfois rentables. En second lieu, lorsque nous construisons des abattoirs neufs, on est accablé de normes, alors qu'à quelques kilomètres de distance des établissements fonctionnent dans des conditions archaïques.

Plus généralement, nous souhaiterions qu'on « lave très blanc, mais pas plus blanc que blanc ». L'interdiction de travailler sur les têtes de moutons que l'on importe par ailleurs depuis l'Espagne illustre les excès dans ce domaine.

M. René Beaumont . - Il me parait nécessaire de conserver deux types d'abattoirs en France, en particulier parce que certains petits opérateurs n'ont pas toujours accès à vos grands abattoirs et cela me parait difficilement acceptable. J'observer également que l'abattage d'urgence n'existe quasiment plus en France, faute d'abattoirs de proximité.

M. Jean-Paul Bigard . - Les véritables difficultés naissent quand des installations d'abattage qui ne sont pas aux normes fonctionnent de manière industrielle. Vous évoquez également les circuits courts et, dans ce domaine, j'apporterai un bémol en matière de risque sanitaire. Les abattoirs de mon groupe traitent environ 40 % de la viande bovine française et ce niveau me parait extrêmement élevé, ce qui me vaut une attention toute particulière de l'Autorité de la Concurrence. Cependant, il faut aujourd'hui trouver des solutions face aux difficultés puisque des abattoirs sont en train de péricliter. Les producteurs risquent de se trouver sans débouchés. Aujourd'hui, si notre groupe souhaite se développer, il est plus rentable de le faire en dehors de la France, ce qui pourra soulever d'autres difficultés puisque, pour un même animal, il existe des différences de prix notables d'un pays à l'autre. Un pays comme la Pologne consomme peu de boeuf et exporte la plus grosse partie de sa production, avec des prix moins élevés qu'en France.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quels sont les volumes d'abattage rituel ? L'abattage rituel sans étourdissement entraine-t-il, au-delà de la souffrance animale, des problèmes de sécurité pour le personnel des abattoirs ?

M. Jean-Paul Bigard . - Nos établissements ne présentent pas de particularité par rapport aux autres abattoirs français et, en pourcentage, nous sommes dans la moyenne nationale. A l'abattoir de Cuiseaux, qui sera visité par la mission sénatoriale, la proportion de halal est à peu près de 15 %, en viande bovine.

M. Pierre Halliez . - Le pourcentage peut atteindre 30 ou 40 % au maximum pour les ovins, mais jamais on n'a atteint les proportions qui ont circulé dans la presse.

M. Jean-Paul Bigard . - Je ne suis pas un défenseur de l'abattage rituel, qui représente un épisode très difficile pour les animaux et nous demandons un aménagement des normes avec un étourdissement concomitant à l'égorgement pour diminuer les souffrances animales. Ce sera sans doute assez difficile à imposer à toutes les communautés. Pour le culte israélite, l'organisation de l'abattage est extrêmement normée, avec cependant certains conflits internes. Pour le hallal, on constate une certaine adaptabilité. Nous procédons à des expérimentations mais rencontrons des obstacles administratifs pour l'usage de tables et d'outillage qui sont utilisées dans d'autres pays. Il s'agit d'une problématique complexe, juridiquement dérogatoire et avec de forts enjeux politiques.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La transparence est souhaitable dans le domaine de l'abattage rituel sans quoi le consommateur peut avoir le sentiment qu'on lui cache la réalité, à quoi s'ajoutent des enjeux financiers qu'il convient de clarifier.

Audition de Mmes Brigitte Gothière et Johanne Mielcarek, porte-parole de l'association L214 (jeudi 23 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information sur la filière viande souhaite entendre tous les interlocuteurs et prendre en compte toutes les opinions.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous présenter rapidement l'association L214, en précisant ses activités et ses préconisations pour l'avenir ?

Mme Johanne Mielcarek, porte-parole de l'association L214 . - Notre association L214 tire son nom de l'article 214 du code rural qui a reconnu en 1976 les animaux comme des êtres sensibles. Dans le code rural, mais non dans le code civil... Quoi qu'il en soit, c'est en constatant que les pratiques ne prenaient pas en compte la sensibilité des animaux que nous avons créé l'association, en 2008.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qu'entend-on par « sensibilité des animaux » ?

Mme Johanne Mielcarek . - Les animaux ont la capacité de ressentir la douleur, la souffrance, la joie et le plaisir. Ils ont un intérêt à vivre et poursuivent des buts qui leur sont propres. L'association L214 veut montrer au consommateur ce que les animaux de boucherie vivent, dans le but d'éliminer les pratiques qui leur causent du tort. Elle réalise des campagnes d'information et entend susciter le débat sur la légitimité des pratiques humaines envers les animaux.

Mme Brigitte Gothière, porte-parole de l'association L214 . - Nous avons bien compris que votre mission fait suite à divers scandales, celui de l'abattage sans étourdissement, celui de la viande de cheval. Mais quel est son objectif : s'agit-il de remettre des oeillères au consommateur et de passer sous silence les pratiques de l'industrie de la viande ? Le but est manifestement d'augmenter la consommation de viande, la filière étant largement déficitaire et ne survivant qu'à coups de subventions : aides au fourrage, aides indirectes pour l'eau... sans compter la prise en charge des conséquences néfastes de l'élevage par la collectivité, je songe au traitement des algues vertes notamment.

Mais il y a aujourd'hui surproduction et surconsommation de viande. Alors que la tendance commençait enfin à s'inverser, pourquoi faire marche arrière ? Les conséquences négatives de la consommation de viande sont pourtant avérées, qu'il s'agisse de l'effet de serre, de l'eau ou des importations massives d'aliments pour bétail en provenance de pays lointains, alors qu'un milliard d'individus ne mangent pas à leur faim dans le monde. On sait que la surconsommation de viande accroît la prévalence de certaines maladies, connues mais pas combattues. En outre, la recrudescence de grippes aviaires en Asie est due aux conditions d'élevage - le confinement des animaux - qui favorisent le développement des maladies et agents infectieux.

Plus grave, on veut restaurer la confiance en passant sous silence la souffrance des animaux. En France, on tue chaque année 1 milliard d'animaux terrestres et 17 milliards d'animaux marins. Nous sommes face à une question sociétale : accepte-on de mettre à mort des animaux sans nécessité nutritionnelle ? Nous aurions aimé que le débat s'ouvre enfin, or nous assistons à une énième tentative d'étouffer les scandales à répétition.

M. François Fortassin . - J'entends, dans votre longue litanie, certaines affirmations inacceptables. Si vous voulez manger des graines, grand bien vous fasse. Personnellement, je préfère le tournedos, et j'estime que c'est mon affaire.

Parler de gaspillage de l'eau du fait de l'élevage est un non-sens. Pour tenir de tels propos, vous devez méconnaître la réalité du terrain, à moins que vous ne la déformiez volontairement : ce sont les pâturages qui protègent les nappes phréatiques !

Mme Johanne Mielcarek . - Ce que vous mangez n'est pas seulement « votre affaire » car cela a un impact sur des êtres vivants, sur l'environnement.

Mme Brigitte Gothière . - Nous avons le droit de demander l'ouverture du débat sur l'eau, d'autant que le problème est mondial : l'ONU et la FAO viennent de tirer la sonnette d'alarme. Ce n'est pas un problème franco-français.

M. François Fortassin . - La pluie du sud-ouest ne résout pas la sécheresse au Sahel.

Mme Johanne Mielcarek . - Les calculs font apparaître que l'on consomme beaucoup plus d'eau pour produire des calories d'origine animale que végétale.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous connaissez mon attachement à la sensibilité animale et ma démarche sur l'abattage sans étourdissement. Depuis un siècle, la nature a été davantage bousculée qu'en un millénaire. Mais nous sommes des mammifères qui nous inscrivons dans une chaîne alimentaire. Avant de redevenir poussière, nous nous nourrissons. J'ajoute que l'économie agricole est une réalité. Si nous arrêtions la production de viande, nous jetterions dans le chômage et la misère des milliers de personnes. C'est toute une économie qui s'effondrerait.

M. François Fortassin . - Et les paysages se dégraderaient.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En effet, c'est un tout. Je suis fille d'agriculteur, je sais comment les animaux sont traités. Mais si l'on supprime la consommation d'animaux, comment préserver les espèces ? Certaines races de chevaux qui ne sont plus consommées sont en voie disparition. Comment dans votre logique préserve-t-on l'équilibre écologique de la planète ?

Mme Brigitte Gothière . - Nous ne souhaitons pas que la production s'arrête du jour au lendemain. Quoique... Nous demandons que l'on réfléchisse à une transition, afin de sortir de l'impasse. Votre mission en est sans doute consciente : il n'existe pas de mort douce. Nous connaissons votre combat contre l'abattage sans étourdissement, mais l'étourdissement pose aussi des problèmes. La seule mort respectueuse est l'euthanasie, qui n'est même pas acceptée pour les humains.

C'est l'industrialisation qui a fait disparaître des espèces : on a sélectionné génétiquement les animaux, comme les poulets de chair, qui « poussent » en un temps record, 42 jours, jusqu'à devenir énormes. Veut-on préserver les vaches laitières génétiquement déformées ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Préconisez-vous également l'arrêt de la consommation de produits laitiers ? Comment nourrissez-vous le bébé dont la mère n'a pas de lait ?

Mme Brigitte Gothière . - Oui, nous espérons l'extinction progressive de toute production d'aliments d'origine animale. Il est possible de s'en passer sans recourir aux produits chimiques.

Mme Johanne Mielcarek . - Certains bébés sont allergiques au lait d'origine animale et ils survivent.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Recentrons le débat sur notre sujet. Notre objectif est que les gens qui ont envie de manger de la viande puissent le faire dans de bonnes conditions, que chacun sache ce qu'il a dans son assiette. Le but, c'est la transparence. Le bien-être animal progresse-t-il dans les élevages ?

Mme Johanne Mielcarek . - Parler de bien-être animal est presque un abus de langage au regard de la situation : les animaux sont à 80 % élevés dans des élevages intensifs et hors-sol, ils ne verront jamais un pré. Cochons, poules pondeuses, canards et veaux subissent des mutilations, souvent à vif. Ces animaux sont niés dans leur qualité d'êtres sensibles, conscients, intelligents et joueurs. La petite basse-cour familiale n'est plus une réalité.

Il serait plus approprié de parler de diminution du mal-être animal. Y a-t-il eu des progrès ? Aucun, malgré quelques règlementations européennes encadrant les pratiques actuelles, donc les reconnaissant. Ces obligations, au mieux, tendent à limiter la souffrance animale. La France n'a pris aucune initiative sur la question au plan européen, au contraire, elle est debout sur le frein.

Une réglementation européenne de 1999 a agrandi la taille des cages de l'équivalent de deux tickets de métro par poule pondeuse. Une directive de 2007 a encadré la pratique de l'élevage intensif des poulets de chair, posant une limite de 42 kilogrammes, soit environ 20 oiseaux, au mètre carré. Depuis le 1 er janvier 2013, il est interdit de maintenir en cage les truies gestantes, qui doivent être placées en parc. Pendant une partie de leur vie, elles quittent donc leur cage individuelle. Quantité d'espèces ne font en revanche l'objet d'aucune réglementation : les dindes, les pintades, les lapins, les vaches laitières.

Mme Brigitte Gothière . - A cela s'ajoutent les carences en matière de contrôle. L'office alimentaire et vétérinaire (OAV) européen évalue à moins en 1 % le taux de contrôles en France. Et encore ceux-ci ne sont-ils assortis d'aucune sanction dissuasive, proportionnelle et effective. Entre deux visites, rien n'est modifié. Un élevage de cochon ne respectait pas les normes et laissait les animaux baigner en permanence dans leurs excréments. Il a fallu la médiatisation de l'affaire et la mobilisation de la population pour provoquer un changement.

Mme Johanne Mielcarek . - Non seulement la France est en retard, mais, contrairement à ses voisins, elle s'oppose à toute évolution de la réglementation sur le bien-être animal. En Allemagne, les poules pondeuses en cage représentent seulement 15 % de la production d'oeufs, contre 80 % en France. En Italie la proportion a baissé de 85 % à 58 % en seulement quatre ans. En Belgique, l'initiative est venue de la grande distribution. Les cochons ne sont plus castrés sans anesthésie, comme c'est systématiquement le cas en France. L'Autriche interdit d'élever les lapins en batterie ; chez nous, 100 % des lapins vivent dans des cages au format A4... La grande distribution, aux Pays-Bas, a relevé ses critères d'achat. Aucun supermarché n'accepterait plus de vendre des animaux tels qu'ils sont élevés en France, coincés à vie dans leur cage ...

Mme Brigitte Gothière . - Dans les négociations européennes, la France freine, notamment sur les poulets de chair : c'est elle qui a bataillé pour maintenir les 42 kilos d'oiseaux par mètre carré. Elle s'oppose également à la mention du type d'abattage - avec ou sans étourdissement - sur les étiquettes.

Mme Johanne Mielcarek . - C'est notamment M. Hortefeux qui a pris cette position au Parlement européen.

M. François Fortassin . - Y a-t-il des pays européens dont l'étiquetage spécifie le type d'abattage ? Cela a-t-il une influence sur le comportement du consommateur ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quand on achète du halal en France, on sait que l'animal a été abattu sans étourdissement.

Mme Johanne Mielcarek . - Pas forcément. On fait souvent l'amalgame entre viande halal et abattage sans étourdissement, d'autant que la loi prévoit une exception pour l'abattage rituel de la viande casher ou halal. Or l'abattage rituel n'est pas incompatible avec l'étourdissement : les poulets notamment sont étourdis électriquement.

Mme Brigitte Gothière . - Une note de service circule en France concernant les normes à appliquer pour la viande à destination de l'Indonésie. Ce pays importe de la viande de bovin étiquetée halal. La note précise que les animaux peuvent être étourdis avec le matador.

Mme Johanne Mielcarek . - D'autres pays musulmans acceptent l'étourdissement : il existe en Jordanie un abattoir pratiquant l'étourdissement. L'assimilation de l'abattage rituel avec l'absence d'étourdissement est abusive ; et elle fausse le débat sur la suppression de cette pratique.

M. François Fortassin . - Vous dites que la France s'oppose à l'étiquetage mais vous n'avez pas répondu à ma question. Y a-t-il des pays dans lesquels l'étiquette mentionne le type d'abattage ? S'il n'y en a pas, pourquoi accuse-t-on la France d'être en retard ?

Mme Johanne Mielcarek . - Le Parlement européen a demandé cet étiquetage, la France s'y est opposée. Il a été voté à quelques voix d'écart...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - ...puis le Conseil des ministres l'a rejeté. Au Conseil les délibérations ne sont pas publiques, on ne sait pas qui s'est opposé.

M. François Fortassin . - La France n'est pas responsable.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans de nombreux pays, l'abattage sans étourdissement est interdit : l'étiquetage y serait inutile ! La France est un des rares pays d'Europe à l'autoriser.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - D'autres pays sont revenus sur cette législation : les Pays-Bas, la Belgique et la Pologne. Comment est pratiqué l'abattage halal avec étourdissement ? S'agit-il bien d'assommer la bête avec un matador dans les cinq secondes suivant l'égorgement ?

Mme Brigitte Gothière . - Non. L'étourdissement précède l'égorgement. Pour les poulets, il y a électronarcose puis égorgement. En Indonésie, il s'agit d'un étourdissement au matador, suivi par l'égorgement. Le post stunning s'est développé dans certains abattoirs où les animaux sont étourdis après avoir été égorgés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'Australie refuse d'exporter ses animaux vers des pays pratiquant l'abattage sans étourdissement.

Mme Brigitte Gothière . - Oui, et ce depuis les campagnes d'information d'associations qui ont filmé des animaux tout au long de leur voyage, de leur départ jusqu'à la fin, à l'abattoir.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La formation du personnel des abattoirs est-elle suffisante ? Y a-t-il des incidents d'étourdissement ?

Mme Johanne Mielcarek . - L'OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) serait mieux à même de vous répondre. Les défaillances humaines sont nombreuses : étourdissement mal effectué, temps excessif entre l'étourdissement et la saignée, aiguillon électrique utilisé de façon abusive dans le couloir avant le poste d'abattage, couteaux mal aiguisés,... Nous le savons d'expérience mais un rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) en fait aussi état. L'étourdissement échoue pour 6 % des génisses et 16 % des taureaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La formation est peut-être insuffisante ? On peine à recruter dans ce secteur.

Mme Johanne Mielcarek . - Les principales raisons sont techniques : le système d'électronarcose est mal réglé, la taille de l'animal varie. Les poulets sont abattus toutes les secondes : pas le temps de vérifier qu'ils sont bien étourdis. Il y a aussi des arrêts techniques sur la chaîne, pour un changement d'outillage. Les animaux sont stoppés un moment entre l'étourdissement et la lame ; ils arrivent conscients dans le bac d'échaudage.

L'abattage rituel suit les mêmes cadences. En théorie l'animal doit être immobile jusqu'à la fin de saignée, mais ce n'est pas toujours le cas.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous avons rencontré les représentants de l'OABA.

Mme Brigitte Gothière . - L'agonie des bovins peut prendre 14 minutes. Celle des poissons dure 4 heures.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous nous concentrons sur la viande. Il y a déjà tant à dire !

Mme Brigitte Gothière . - Nous avons réalisé une enquête pendant les fêtes de l'Aïd-el-Kébir et constaté que certaines villes mettaient des bennes à disposition des habitants, pour qu'ils y déposent les restes des animaux qu'ils ont abattus chez eux.

Mme Johanne Mielcarek . - Pendant l'Aïd, l'abattage rituel à domicile est courant. A Roubaix, à Tourcoing, dans ma région, les moutons sont livrés sur le trottoir, dans l'indifférence des autorités. Tourcoing a mis en place cinq ou six bennes : en l'espace d'une journée, elles étaient remplies à ras bord de restes de moutons. Cette action de la ville est-elle légale ? Car c'est un encouragement à l'abattement à domicile, en principe interdit.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quand vous constatez de tels phénomènes, portez-vous plainte ?

Mme Brigitte Gothière . - L'association L214 existe depuis 2008. Nous avons commencé par effectuer des signalements auprès des directions départementales de la protection des populations (DDPP). Mais nous constatons le plus souvent une absence de réponse et c'est alors que nous nous tournons vers le tribunal. La plupart de nos plaintes sont classées sans suite, alors que nous apportons des preuves incontestables des manquements à la réglementation, par exemple des vidéos.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous porté plainte à Tourcoing ?

Mme Johanne Mielcarek . - Nous avons constaté la présence des bennes l'année dernière seulement, et nous n'avons pas eu le temps d'entreprendre les démarches, souvent complexes.

Mme Brigitte Gothière . - Certaines directions départementales prennent des mesures immédiatement, en Haute-Loire notamment. D'autres sont dans le déni, et défendent résolument les abattoirs dont nous dénonçons les pratiques. Peut-être parce que les services vétérinaires sont souvent présents au moment des faits...

Mme Johanne Mielcarek . - Nous avons des difficultés à connaître les suites apportées à nos signalements. Une relance ne suffit pas. Nous devons systématiquement passer par la commission d'accès aux documents administratifs (Cada) pour avoir accès aux documents, qui ne sont jamais mis spontanément à notre disposition.

Mme Brigitte Gothière . - Et encore ! Nous avons dû saisir le tribunal administratif. La procédure a pris deux ans. Le juge nous a donné raison, et depuis, nous montrons le jugement pour obtenir rapidement les documents administratifs.

Mme Johanne Mielcarek . - L'équipe de campagne de François Hollande avait pris des engagements auprès de nous mais depuis, plus de nouvelles...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - M. Hollande, en mai 2012, s'était engagé à ce qu'il n'y ait plus de viande halal dans les écoles françaises. Je lui ai posé récemment la question, il ne m'a pas répondu.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ce n'est pas lui qui dirige les cantines de France...

Mme Brigitte Gothière . - Nous avions aussi évoqué le texte sur la restauration scolaire qui impose un certain rythme de consommation de viande, sans proposer d'alternative végétale. L'équipe de campagne l'avait jugé « aberrant ». Mais là non plus, pas de nouvelles...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Peut-on mesurer la souffrance des animaux ?

Mme Brigitte Gothière . - Il existe une abondante littérature scientifique à ce sujet. Le débat porte sur l'interprétation des mouvements des animaux. Sont-ils conscients, ou s'agit-il de réflexes ? Il existe des outils qui permettent d'évaluer la reprise de conscience.

Souvenons-nous que la souffrance des nourrissons a été reconnue tardivement. Nous savons identifier la souffrance chez nos chats et nos chiens, mais feignons d'ignorer la terreur, le stress et la souffrance des animaux à l'abattoir.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il est vrai qu'au Salon de l'agriculture, la vache Marguerite côtoie le plateau de viande... On a vulgarisé la mort et on a tendance à ignorer les étapes intermédiaires entre la vache et le steak haché. Peut-on parler de défaut de pédagogie ?

Mme Brigitte Gothière . - Je le crois. La plupart des publicités sont cofinancées par les collectivités territoriales ou l'Europe. L'animal y est représenté sur fond de pâturage, ce qui correspond assez peu à la réalité. Or, on promeut cette image sur fonds publics.

En Angleterre, les enquêtes des associations de protection animale ont montré la cruauté de certains employés envers les animaux et des caméras ont été installées dans les abattoirs.

J'ignore qui a accès à l'enregistrement : les services de l'État, les associations de protection animale, les consommateurs ? Quoi qu'il en soit, restaurer la confiance du consommateur, c'est aussi instaurer une transparence sur l'élevage, le transport et l'abattage des animaux qui sont mangés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne serait-ce que par l'étiquetage, une mesure simple et pédagogique...

Mme Johanne Mielcarek . - Une précision : en France, aucun vétérinaire ne supervise tous les postes d'abattage comme cela devrait être le cas. Quand il y a un vétérinaire, il se concentre sur le post mortem et les analyses après abattage, jamais sur l' ante mortem . Le décret du 9 février 2012 a autorisé une quinzaine d'abattoirs pilotes, spécialisés dans les lapins et les volailles, à fonctionner sans vétérinaire. La pénurie d'effectifs y est sans doute pour quelque chose. Mais nous ne comprenons pas que la Commission européenne ait validé ce texte alors que la réglementation européenne impose la présence de vétérinaires.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous vous remercions.

Audition de M. Mohammed Moussaoui, président du conseil français du culte musulman (CFCM), de M. Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon, M. Kahlil Merroun, recteur de la mosquée d'Evry et de M. Cheikh Alsid, responsable du service halal de la mosquée de Paris (jeudi 23 mai 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition permettra d'aborder les questions d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Merci pour votre présence : j'attends beaucoup de nos échanges. La France garantit à tous la liberté de conscience et de culte ; elle permet donc aux musulmans et aux juifs de s'alimenter selon leur culte, en produits halal ou casher, élaborés selon leur loi religieuse et issus de filières d'abattage rituel. Je précise d'emblée que je n'ai rien contre l'abattage rituel, mais je m'interroge sur la pratique d'abattage rituel halal sans étourdissement préalable : de nombreux pays musulmans imposent l'étourdissement préalable à l'abattage des animaux de boucherie, et la France importe de la viande certifiée halal d'animaux abattus après avoir été étourdis ; rien dans le Coran n'interdit l'étourdissement préalable, et la jurisprudence islamique n'apporte pas de réponse tranchée sur ce point.

Pourquoi la pratique de l'abattage sans étourdissement préalable est-elle répandue en France, sinon pour répondre aux souhaits des musulmans radicaux ? J'ai lu que seul un musulman sur deux était très attaché à l'étourdissement préalable.

Contrairement à ce que le Consistoire central israélite a mis en place pour le casher, il n'existe pas de label halal unifié en France : en créer un était l'une des missions confiées au Conseil français du culte musulman (CFCM) lors de sa création en 2003 ; elle n'a pas été accomplie. Trois mosquées, celles de Paris, Lyon et Évry sont habilitées à délivrer des cartes de sacrificateurs, mais ensuite une multitude d'organismes effectuent les contrôles, dans des abattoirs qui fonctionnent selon des protocoles différents ; certaines entreprises se certifient elles-mêmes ou emploient leur contrôleur, et certains organismes de certification appartiennent à des non-musulmans... Le rite halal appartient à une religion, mais la certification halal n'est-elle pas avant tout un marché juteux qu'il convient de réguler ? Un ami musulman me confiait récemment que sa femme souhaiterait être sûre, lorsqu'elle achète halal, que les produits le sont réellement.

Pour des raisons religieuses et pratiques, les musulmans ne consomment pas l'arrière des animaux : ces parties sont donc écoulées dans le circuit de distribution classique.

M. Cheikh Alsid, responsable du service halal de la mosquée de Paris . - Vous confondez avec les Juifs !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faudrait pouvoir identifier, sur les barquettes de viandes ainsi commercialisées, l'origine rituelle de la viande. J'ai lu sur le site Internet Al kanz : « La filière cacher va souffrir de cette mesure, tout comme certains organismes de certification musulmans qui ont entretenu, avec les industriels, une opacité sur la viande qu'ils certifient. Les juifs, parce que la plus grande part des carcasses de bête casher passe dans le circuit traditionnel, certains organismes de certifications musulmans parce qu'ils ont noué des partenariats économiques sur le laxisme et la permissivité à l'égard de pratiques islamiquement inacceptables. »

Qu'en pensez-vous ? Vous êtes, je n'en doute pas, très attachés - comme nous - à la liberté de conscience. Êtes-vous favorable à ce que le consommateur soit clairement informé sur l'origine rituelle d'une viande, ou non ? Nous accordons ce droit au consommateur musulman, pourquoi ne pas l'accorder aux autres ? Une telle différence de traitement ne serait-elle pas de nature à accroître la stigmatisation des musulmans ? Tout ce qui tend à la transparence est efficace pour lutter contre la montée du racisme à laquelle nous assistons.

De nombreux pays musulmans ont accepté l'étourdissement préalable : y êtes-vous favorable ? Si vous ne l'êtes pas, pourquoi ?

M. Mohammed Moussaoui, président du conseil français du culte musulman (CFCM). - Je note avec satisfaction votre attachement au principe de la liberté de conscience - je n'en attendais pas moins de vous - que nous partageons.

Il n'y a pas de parties non consommables par des musulmans : la bête est consommée en entier. Le CFCM a mis en place depuis 2008 un groupe de réflexion sur l'abattage rituel et la certification halal, qui a pris part, aux côtés du Consistoire central israélite de France, au travail sur le Grenelle de l'animal et à l'élaboration de la réglementation européenne en 2009. Bien sûr, vous trouverez dans la tradition musulmane des avis selon lesquels l'étourdissement préalable est acceptable. Ils sont ultra minoritaires. La position officielle des quatre ou cinq écoles juridiques musulmanes est que l'étourdissement ante mortem n'est pas compatible avec l'abattage rituel. Sur ces questions nous ne différons de la religion juive que par quelques détails, comme par exemple le degré de rotation de l'animal. Certains organismes prennent des positions qui leur sont propres, et qui s'appuient sur les pratiques d'autres pays musulmans, mais elles seraient difficiles à défendre devant des consommateurs musulmans : il suffit de consulter des forums Internet, notamment du Proche-Orient, pour s'en apercevoir. Lorsque le bruit se répand que la viande française est abattue avec étourdissement préalable, les appels au boycott se multiplient : cela ne serait pas rendre service aux professionnels ou aux producteurs que de dire que nous sommes favorables à l'étourdissement. N'ébranlons pas notre filière halal !

Je ne sais pas ce qui vous permet d'affirmer qu'aucun verset coranique n'interdit l'étourdissement préalable. Rapporteure d'une commission au Sénat, vous n'êtes pas une spécialiste de l'exégèse du Coran. Quelle est votre source ? Les cinq écoles juridiques musulmanes sont toutes sur la même ligne : l'étourdissement préalable n'est pas admissible. Bien sûr, les textes peuvent être interprétés dans le contexte français, et donner lieu à des assouplissements, comme l'étourdissement post mortem . Mais le respect de la liberté de conscience et de religion impose de mettre en place les conditions d'un abattage rituel conforme aux textes, et si l'on impose aux musulmans des contraintes qui ne seraient pas imposées aux juifs cela générera des frustrations et l'impression d'un traitement différencié contraire aux principes de la République.

Je ne puis vous répondre sur la question de la viande halal qui serait écoulée dans les circuits classiques, faute de disposer de chiffres. Depuis 2003, le CFCM a travaillé à l'élaboration d'une charte halal ; à ce stade nous avons un document de travail, pas encore validé car nous avons connu en 2008 des difficultés pour renouveler nos instances. Ces difficultés nous ont contraints à réformer notre mode de gouvernance : nos statuts ont été revus le 23 février. Le dossier de la charte halal, qui avait été ajourné pour cette raison, va pouvoir être traité, comme l'a récemment été celui du calendrier lunaire.

M. Cheikh Alsid . - Nous ne disposons d'aucun chiffre officiel sur le tonnage abattu, mais d'estimations : sur 1,6 million de tonnes de bêtes abattues, 14 % le sont selon un abattage rituel, sans que l'on sache quelles sont les parts respectives du casher et du halal. Et le halal représente 21 % de nos importations, soit 108 000 tonnes.

Poser la question de l'information du consommateur, c'est poser la question de l'étiquetage. S'il est imposé en France, il ne le sera pas dans les autres pays de l'Union européenne : les consommateurs ne pourront pas faire la différence. C'est le sens du communiqué d'Interbev du 8 mars 2012 : « Les viandes importées hors de l'Union européenne pourront être issues d'abattage rituel et resterons non étiquetées comme telles, générant ainsi une distorsion de concurrence.  Ce nouveau dispositif constituera ainsi un handicap à la compétitivité de la filière viande française »

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Sur quel tonnage d'importations est calculé le chiffre de 21 % que vous évoquez ?

M. Cheikh Alsid . - Sur un tonnage de 521 000 tonnes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous ne connaissez pas les chiffres de l'abattage rituel en France : légalement, celui-ci ne peut être fait que sur commande.

M. Cheikh Alsid . - Oui, une loi va l'imposer...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Elle est déjà en vigueur !

M. Cheikh Alsid . - Depuis quelques mois seulement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Connaissez-vous le montant des commandes ?

M. Cheikh Alsid . - Les sacrificateurs doivent suivre avant la fin de l'année une formation au bien-être des animaux et obtenir un certificat de compétence auprès du ministère de l'agriculture. Toute commande d'un abattage rituel doit être soumise à la Préfecture, et doit porter sur un tonnage strict, qui ne peut être dépassé - afin d'éviter que d'éventuels surplus ne soient écoulés dans le circuit standard. Cela complique les choses pour les abattoirs : utilisation des premières plages horaires, où les chaînes sont propres, chambres froides spécifiques, sacrifice à la suite de centaines d'animaux, avant de revenir à des modalités classiques d'abattage....

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi est-ce compliqué ? Je ne comprends pas.

M. Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon . - Nous avons eu ce débat au niveau européen. Je regrette que la communauté juive, qui était à nos côtés, ne soit pas là aujourd'hui, puisque nous parlons de l'abattage rituel en général. Il ne s'agit pas que d'un problème religieux : d'après une étude du cabinet Solis, le halal représente un chiffre d'affaires de plus de cinq milliards d'euros. Nous sommes aussi sensibles que vous au bien-être animal. Il faut donc que nous réfléchissions ensemble à la manière d'en finir : à chaque nouvelle législature, le halal est remis en question ; il fait l'objet d'une stigmatisation permanente. Il faut trouver une solution ! Je suis heureux que votre mission s'y consacre, car il y a cinq millions de musulmans en France, et plus de 2 500 mosquées, dont la représentation nationale doit tenir compte ! Ce sujet concerne toute une panoplie de métiers : éleveurs, abattoirs, industriels. Les musulmans ne sont pas des barbares. Le Coran parle de l'objet sacrificiel et de la manière de le traiter en des termes précis : l'animal doit être traité avec respect. Nous souhaitons que votre mission prenne des initiatives dans ce domaine, afin que les musulmans, qui sont des citoyens français, aient les mêmes droits que les autres, et que leur liberté de conscience soit respectée.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Soyez rassurés !

M. Kamel Kabtane . - Je sais que nous sommes d'accord, mais je préfère le redire : votre sujet, c'est la filière viande, pas la viande halal.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission porte sur la production, l'abattage, la transformation et le transport, ainsi que sur la commercialisation des viandes animales. Nous n'ignorons pas le nombre de personnes musulmanes présentes en France et susceptibles de consommer de la viande halal ; j'ignorais en revanche le chiffre de cinq milliards d'euros de chiffre d'affaires que vous avez mentionné. Nous savons aussi que cela concerne de nombreux emplois. Mais la société française s'interroge sur des méthodes qui pourraient infliger des souffrances animales évitables. Vous connaissez la législation européenne, à laquelle vous avez travaillé ; nous devons essayer de concilier les points de vue, tout en respectant la liberté de conscience et de culte reconnue par la Constitution française. Nous avons donc le devoir de vous interroger, et nous prendrons en compte vos réponses, comme pour toutes les parties prenantes que nous avons auditionnées : ce n'est pas facile !

M. Mohammed Moussaoui . - En ce qui concerne le tonnage, nous n'avons aucun moyen, en tant qu'organisation religieuse, de collecter de l'information. Nous ne disposons pas d'un registre central des commandes : il faudrait consulter les registres de chaque établissement d'abattage, ce que rien ne nous autorise à faire.

Chaque consommateur a le droit de savoir ce qu'il consomme, c'est vrai. Mais de quel type d'information sur l'animal a-t-il besoin ? Sur sa nourriture ? Sur son transport ? Sur son traitement ? La manière dont il a été abattu n'est qu'une information parmi d'autres. Et comment faut-il la formuler ? Étourdi ? Insensibilisé ? Tué à vif ? Il existe plusieurs formulations possibles. Nous ne sommes pas opposés à l'information du consommateur, mais il faudrait d'abord prouver la pertinence ou l'importance des informations qu'il faudra lui apporter. Actuellement, il ne dispose pas de toutes les informations, et celle sur la méthode d'abattage n'est pas la seule qui manque ! Si l'on décide que l'information sur les modalités d'abattage est primordiale, quelle forme lui donner ? Il existe plusieurs méthodes d'étourdissement : pistolet à tige perforante, asphyxie par gaz, électrocution...

La seule raison pour laquelle le culte musulman est contre l'étourdissement préalable est que nous considérons que c'est une souffrance supplémentaire infligée à l'animal. C'est notre conviction, libre à vous de ne pas la partager ! La manière dont les musulmans et les juifs procèdent à l'abattage est plus respectueuse du bien-être animal que l'abattage standard. Les études scientifiques sur la question sont loin d'être univoques, d'ailleurs. Il y a des arguments dans les deux camps. Il faut conduire des études sur la souffrance animale, sérieuses, impartiales...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Elles existent déjà. Des études scientifiques prouvent que si l'animal n'est pas étourdi il peut mettre jusqu'à quatorze minutes à perdre connaissance.

M. Mohammed Moussaoui . - Il existe des études de toutes sortes !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il y a la religion, et il y a la science.

M. Mohammed Moussaoui . - Les scientifiques se sont penchés sur la question de la souffrance animale. Mais si les musulmans étaient sûrs que l'abattage standard fait moins souffrir l'animal, ils l'adopteraient.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous partagez notre attachement au principe de liberté de conscience garanti par la Constitution. Les musulmans voient sur l'emballage que la viande est halal, mais les autres peuvent acheter de la viande halal sans le savoir. Qu'en pensez-vous ?

M. Kahlil Merroun, recteur de la mosquée d'Evry. - Nous parlons de l'abattage, et non du sacrificateur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela viendra !

M. Kahlil Merroun . - Les hadiths du prophète sur la souffrance animale sont clairs, et nous sommes parfois nous-mêmes effrayés, en visitant les abattoirs, de constater qu'ils ne sont pas respectés. L'animal ne doit pas voir l'outil tranchant. Il faut donner un seul coup, sans faire un aller-retour. Le couteau doit être bien aiguisé, pour minimiser la souffrance. Les conditions de transport doivent être particulières.

Nous sommes stigmatisés à chaque campagne électorale. Nous n'avons été reçus l'année dernière par le Premier ministre que parce que l'abattage rituel juif avait été remis en cause. Si l'abattage musulman avait été concerné, nous aurait-on ouvert la porte ? Certains partis politiques stigmatisent notre abattage rituel, comme vous l'avez souligné.

Vous avez parlé de laxisme : je suis pratiquant, et je suis tout-à-fait rassuré. Lorsque je vais chez Carrefour, et que je trouve de la viande contrôlée par des institutions reconnues, comme la mosquée de Lyon, avec un étiquetage affichant une traçabilité, je suis rassuré, et j'achète, devant les autres musulmans. Je connais aussi des non-musulmans qui viennent à la mosquée d'Evry acheter de la viande halal ; de même, lorsque je vais dans les magasins discount, je vois des non-musulmans se précipiter sur la viande halal, car elle est bon marché ! Pour autant, je suis d'accord avec vous, il ne faut pas imposer à des non-musulmans de consommer halal. Mais je ne veux pas être moi-même victime d'une double mesure. Nous demandons que le marché de la certification du halal soit réglementé : même les sachets Knorr au poisson sont certifiés halal !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Comment sont organisées les structures de certification ? Qu'en pensez-vous ?

M. Kahlil Merroun . - La mosquée de Paris, celle d'Evry et celle de Lyon, ont un organisme de contrôle. Leur numéro de téléphone figure sur l'étiquetage. Mais l'on trouve dans le commerce divers types d'estampillages halal... Nous demandons une réglementation du halal, assortie de contrôles efficaces, pour rassurer le consommateur.

M. Kamel Kabtane . - Trois mosquées - Paris, Lyon et Evry - ont reçu un agrément du ministère de l'Agriculture et du ministère de l'Intérieur, mais il ne porte que sur les sacrificateurs. Ce sont elles qui font la plus grande partie des certifications. Une vingtaine d'organismes - dont Veritas ou Socotec ! - font aussi de la certification. Les entreprises qui veulent certifier en halal trouvent ainsi quelqu'un pour leur apposer un cachet, une signature, qui fait office de certification. Le système industriel encourage le développement de ces structures. Peut-on empêcher cela ? Nous respectons la liberté du commerce. Seule la mise en place d'une charte précise règlera ce problème.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je comprends qu'une telle charte est en cours d'élaboration et qu'elle débouchera sur un cahier des charges dont le respect sera contrôlé par les trois mosquées que vous avez citées.

M. Kamel Kabtane . - Tout à fait.

M. Mohammed Moussaoui . - Comment envisageons-nous la certification ? Le cahier des charges définira l'abattage halal, et la charte précisera les caractéristiques des organismes de vérification, ainsi que le mécanisme par lequel le CFCM leur donnera son agrément. Nous envisageons aussi un comité de suivi qui fera des audits pour s'assurer que les engagements seront réellement respectés, et qui pourra éventuellement retirer les agréments. La charte est prête : il s'agit d'un texte d'une trentaine de pages. Mais les problèmes de gouvernance du CFCM, jeune institution, nous ont contraints de différer sa validation, car celle-ci réclame une large concertation et une large adhésion. Je suis convaincu que c'est à présent une question de mois.

Les citoyens peuvent ne pas souhaiter consommer halal. C'est leur droit absolu. La réglementation européenne considère que l'abattage rituel est une dérogation par rapport à l'abattage standard : nous pourrions imaginer de les placer sur un pied d'égalité. D'un point de vue scientifique, la qualité de la viande est la même. Le consommateur a le droit de savoir, mais il faudrait que l'information donnée soit équitable, et ne stigmatise pas les musulmans ou les juifs. La mention « abattue de façon rituelle » me paraît meilleure que « non étourdie ».

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La mention « étourdie » ou « non-étourdie » pourrait convenir.

M. Mohammed Moussaoui . - Non : dire « étourdie » ou « non-étourdie » serait stigmatisant.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pas forcément !

M. Mohammed Moussaoui . - Ce n'est pas un étourdissement, mais un assommage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi pas ? Vous évoquiez la crainte que l'étiquetage ne stigmatise une religion et n'affaiblisse la filière française. Pourtant, vous dites que les musulmans achètent du halal sans trop y regarder... La transparence n'est pas une stigmatisation, bien au contraire : au lieu d'entretenir le vivre à côté des autres, travaillons sur le vivre-ensemble, qui réclame la transparence. Si je veux acheter un gigot halal, je dois pouvoir le faire en conscience. Si ma religion me l'interdit, je veux pouvoir le faire en conscience

M. Kahlil Merroun . - Auparavant, les musulmans devaient aller chez des bouchers juifs. Ils pouvaient aussi aller chez des bouchers chrétiens, ce qui n'est plus possible aujourd'hui : ceux-ci ont modifié leur manière d'abattre. Les bouchers musulmans de Barbès ont beaucoup fraudé sur le halal : ce sont les musulmans qui ont été les premiers à les dénoncer. Si nous décidons d'étiqueter, il faut aussi étiqueter l'abattage traditionnel, ...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi pas ?

M. Kahlil Merroun . - ...pour que les musulmans ne tombent pas dans ce piège, ainsi que le casher.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi pas ?

M. Kahlil Merroun . - Quand je vais au centre commercial proche de la Mosquée d'Evry, je m'aperçois que des viandes traditionnelles sont présentes sur les rayons halal, car certains consommateurs, voyant leur prix, les y déposent. J'aimerais que le magasin différencie mieux les rayons casher, halal et traditionnel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous avez raison.

M. Cheikh Alsid . - Le problème de l'étiquetage devrait être confié aux professionnels. C'est à eux de s'en occuper, notamment pour identifier les surplus.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous avons déjà du mal à obtenir les chiffres...

M. Cheikh Alsid . - Il faut que les professionnels valident la charte du CFCM et que le CFCM agrée des organismes certificateurs. Dans son communiqué de mars 2012, Interbev souligne que si jamais l'étiquetage était appliqué, cela nuirait à la compétitivité de la filière viande française, car les viandes importées ne seront pas étiquetées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il n'y en a pas beaucoup...

M. Kahlil Merroun . - Lundi j'ai refusé de passer une convention avec une société française qui va abattre aux Pays-Bas. Nous voulons promouvoir et encourager, face à la crise, une consommation française de produits français.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les 21 % d'importation proviennent souvent de pays qui interdisent l'abattage sans étourdissement.

M. Kahlil Merroun . - Pas tous !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La Nouvelle-Zélande pour le mouton...

M. Kamel Kabtane . - Il n'est pas consommé essentiellement par les musulmans. La plus grande partie du mouton consommée par les musulmans est abattue en France. De plus en plus de boucheries traditionnelles ferment leurs portes et sont remplacées par des boucheries halal. Les personnes âgées y font leurs achats : la viande halal est consommable par tous !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous ne parlons pas de l'aspect sanitaire !

M. Kamel Kabtane . - Elle a les mêmes qualités. Nous consommons la bête entière. Certains professionnels vendent la partie avant aux musulmans car elle est peu onéreuse, et gardent l'arrière pour le reste de leur clientèle. Nous avons discuté de tout cela à Bruxelles et avec M. Le Foll, qui avait compris l'intérêt économique que cela pouvait représenter. Reste que les musulmans sont favorables à la mention du type d'abattage sur les étiquettes pour rassurer les consommateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Un étiquetage transparent et clair ne poserait donc pas de problème.

M. Mohammed Moussaoui . - Mais l'information destinée au consommateur doit être précise.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela doit être faisable.

M. Mohammed Moussaoui . - Indiquer si l'animal a été étourdi ou non n'a pas de sens : le terme est impropre.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Que faut-il indiquer dès lors ?

M. Mohammed Moussaoui . - Si c'est à la souffrance animale que l'on veut s'en prendre, autant mentionner « assommé avec une tige perforante », et préciser s'il a fallu un ou deux coups pour y parvenir, ou bien indiquer que la bête a été gazée, ou électrocutée. Pour la viande transformée, il faudrait préciser le pourcentage de viande abattue rituellement. Mais alors c'est un cahier entier qui devra accompagner les produits, et non plus une étiquette.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - S'il y avait plus de cahiers dans la filière viande, aucune viande de cheval n'aurait pas été prise pour de la viande de boeuf.

M. Mohammed Moussaoui . - C'était un problème de contrôle de l'espèce, pas un problème d'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais derrière cela, il faut poser la question des pratiques religieuses.

M. Mohammed Moussaoui . - Les musulmans n'ont pas été mis en cause dans le scandale de la viande de cheval.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'entends bien. Pourquoi autorisez-vous l'étourdissement de certaines espèces, comme la volaille ?

M. Kamel Kabtane . - L'électronarcose permet en principe de calmer la bête. Mais à fortes doses, elle peut en mourir. Certains abattoirs utilisent l'électronarcose de façon mesurée, ce qui conserve la bête en vie.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Est-il envisageable d'utiliser ce type d'étourdissement réversible sur d'autres espèces ?

M. Kamel Kabtane . - L'essentiel, c'est de savoir comment la bête est morte.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Sans prétendre me substituer aux spécialistes ou sortir en quoi que ce soit de mon rôle, je me suis documentée sur la position de l'islam sur ces questions. J'ai trouvé une fatwa égyptienne de Jad Al-Haq Ali Jad Al-Haq rendue le 18 décembre 1978, ainsi qu'une fatwa saoudienne de 1977. Elles stipulent que « si l'animal a été abattu par un pistolet ou par un choc électrique, et que l'animal a été égorgé pendant qu'il était encore en vie, après avoir reçu le coup sur la tête, alors sa viande est licite en raison de la parole de Dieu ». Ces fatwas, parmi d'autres, démontrent que les autorités musulmanes admettent le recours à l'étourdissement à condition qu'il ne provoque pas la mort de l'animal. Elles disent encore que « les autorités musulmanes sont plus larges que certaines autres autorités puisqu'elles admettent l'étourdissement des animaux avant la saignée, soit par électronarcose soit par pistolet, à la seule condition que l'animal soit encore vivant lorsqu'il est saigné, donc que son coeur batte ». Ne croyez-vous pas que les autorités religieuses doivent s'adapter à l'évolution de la société ?

Un hadith dit en outre ceci « Dieu a prescrit la bonté en toute chose. Si vous tuez, faites-le avec bonté, et si vous saignez un animal, faites-le avec bonté ». De ce fait, les autorités ne s'opposent pas, dans certains pays, à l'étourdissement des animaux à condition qu'il ne provoque pas la mort avant qu'ils soient saignés.

M. Cheikh Alsid . - Vous citez des fatwas qui vont dans le sens de ce que vous souhaitez démontrer.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Bien évidemment.

M. Cheikh Alsid . - Nous pourrions vous en citer d'autres, plus nombreuses encore, disant exactement le contraire. Tous les conseils des oulémas des pays musulmans organisent leur forum halal pour élaborer leur propre norme : c'est leur interprétation du Coran qui fonde les pratiques légitimes. La seule chose que l'on peut envisager aujourd'hui est d'éviter l'étourdissement. Les associations de défense des animaux font tout pour cela, et nous ferons tout pour que cela n'arrive pas, car il y a autant de références religieuses qui vont dans le sens contraire de celles que vous citez.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous demande de ne pas poursuivre sur le terrain religieux, qui n'est pas dans le champ de notre mission. Recentrons le débat sur la question de la souffrance animale. Vous avez parlé des études scientifiques sur la question : l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) a notamment publié un rapport qui reconnaît que l'abattage fait souffrir les animaux, qu'il soit effectué par électronarcose, par matador ou rituellement. Avez-vous de votre côté des éléments scientifiques qui mesurent la souffrance animale, notamment en fonction du moment de l'étourdissement ? Je connais un abattoir qui tue les animaux rituellement, mais en les étourdissant dans les cinq secondes suivant l'égorgement. Les consommateurs ont le droit de savoir si la méthode d'abattage utilisée heurte leur conscience.

M. Mohammed Moussaoui . - Il existe aussi des études démontrant que l'abattage rituel fait moins souffrir les animaux que l'abattage classique. Le CFCM est prêt à faire le recensement de toutes les études disponibles pour les départager.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le ministre de l'agriculture en a déjà fait plusieurs, avec des scientifiques.

M. Mohammed Moussaoui . - Je me borne au constat qu'il existe des études démontrant les deux positions.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous fournir les études démontrant que l'abattage rituel fait moins souffrir les animaux ?

M. Mohammed Moussaoui . - Oui. Il y a même une thèse de doctorat à l'Inra qui va dans ce sens. A nouveau, la seule raison pour laquelle les musulmans défendent l'abattage rituel, c'est la conviction qu'il fait moins souffrir les bêtes. Le hadith que vous avez cité va dans ce sens.

Un mot sur ce qui peut heurter le consommateur : si l'animal se débat après la première incision, c'est en raison de ce que les études appellent des mouvements inconscients. L'animal égorgé est en effet en état de mort encéphalique : ces mouvements, destinés à irriguer son cerveau, permettent de le vider plus rapidement de son sang. De manière analogue, on prélève bien des organes chez des personnes hospitalisées et déclarées en état de mort encéphalique sans que cela vous choque.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Admettons. Mais pourquoi ne pas utiliser le matador pour étourdir la bête préalablement à son égorgement ?

M. Mohammed Moussaoui . - L'étourdissement serait une source de souffrance supplémentaire ! Ce n'est pas une question de réversibilité de l'étourdissement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tous les syndicats de vétérinaires sont favorables à l'étourdissement préalable.

M. Mohammed Moussaoui . - Les syndicats de vétérinaires ne font pas la religion musulmane.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous n'êtes donc pas si soucieux de la souffrance animale, que les vétérinaires connaissent mieux que vous et moi.

M. Mohammed Moussaoui . - Le CFCM, seule institution représentative des musulmans de France, n'a jamais changé de position : il est défavorable à l'étourdissement, à quelque moment que ce soit, comme le Consistoire central israélite de France.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pensez-vous que les consommateurs, musulmans ou non, soient rassurés de savoir que l'animal égorgé mais non étourdi peut se débattre pendant quatorze minutes ?

M. Mohammed Moussaoui . - Nous sommes convaincus que l'abattage rituel est ce qui fait le moins souffrir les animaux. Prouvez-nous le contraire et nous en tirerons les conséquences.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cette preuve existe.

M. Kahlil Merroun . - M. Moussaoui vous l'a dit : des études démontrent le contraire. Nous sommes prêts à faire une étude commune avec les vétérinaires et les professionnels de l'abattage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - De telles études ont déjà été faites !

M. Kahlil Merroun . - Elles n'impliquaient pas toutes les parties prenantes. Nous avons nos propres spécialistes. Avançons vers une synthèse. La fatwa que vous citez a été rendue par un homme mort il y a vingt ans. Elle appartient à son auteur, et a été contredite depuis. Croyez-le bien : nous sommes à la recherche d'une solution technique pour ne pas faire souffrir les animaux, et pensons que les méthodes rituelles, juive ou musulmane, sont les plus avancées en la matière. Vous dites le contraire...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les scientifiques, pas moi.

M. Kahlil Merroun . - Les scientifiques ne sont pas unanimes. Faisons une étude commune.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ce qui recule d'autant la conclusion de ce débat.

M. Mohammed Moussaoui . - Vous avez une vision partiale des choses. Les études que nous invoquons sont tout aussi scientifiques que les vôtres.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous inviterons prochainement les vétérinaires qui ont travaillé sur le rapport de l'Inra en 2009, et les confronterons le cas échéant avec les spécialistes que vous nous aurez recommandés.

M. Kamel Kabtane . - Toutes ces questions sur l'abattage sont-elles liées aux problèmes globaux que pose la filière viande, ou cherche-t-on simplement limiter voire interdire l'abattage rituel ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Cette mission d'information porte sur les productions animales, leur abattage et leur transformation, ainsi que sur leur commercialisation. L'abattage s'analyse sous l'angle qualitatif, économique, mais aussi au prisme des questions de société. L'objectif est de rétablir la confiance des consommateurs.

M. Kamel Kabtane . - N'oublions pas que certains pays importateurs de viande française imposent chez eux l'abattage rituel. L'Arabie Saoudite a récemment découvert que Doux lui vendait du poulet non halal. Comment l'économie française compte-t-elle répondre à la demande des pays musulmans si l'on restreint la possibilité de pratiquer les méthodes d'abattage rituel ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes conscients que le problème n'est pas simple, mais nous voulons lui apporter une solution, comme à tous ceux qui se posent dans la filière viande française.

M. Kahlil Merroun . - Nous ne voulons rien imposer à personne. Mais il ne faut pas nous accuser de mettre dans le circuit commercial classique le solde de la viande halal ! Et si nous sommes favorables à l'étiquetage, celui-ci doit être imposé à tous les types de viande, halal, casher ou traditionnel. C'est un problème de liberté de conscience et de liberté de choix des consommateurs.

M. Mohammed Moussaoui . - En tant que président du CFCM, je suis incapable de vous dire combien les musulmans consomment de viande. Nous sommes favorables à l'information transparente des consommateurs, mais il faut qu'elle se fasse de façon équitable, sans stigmatiser les musulmans.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Personne ici ne le souhaite. Nous souhaitons tous mieux vivre ensemble.

M. Mohammed Moussaoui . - J'ai vu des campagnes d'affichage dénonçant les méthodes d'abattage rituel. Il faudrait montrer également les véritables conditions d'abattage traditionnel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Plus il y a de transparence, moins l'on stigmatise qui que ce soit.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Y a-t-il une taxe halal sur la viande abattue rituellement dans le culte musulman ?

M. Kamel Kabtane . - La certification halal est une industrie qui emploie beaucoup de monde. A la mosquée de Lyon, 80 personnes y sont affectées, soit une masse salariale de l'ordre de 80 % à 85 % du chiffre d'affaires. Lorsque l'on avance le chiffre de 5,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est de la filière halal entière que l'on parle. La certification a une place minime dans ce total : elle n'équivaut qu'à 1 à 3 centimes par kilo.

M. Cheikh Alsid . - La taxe représente en effet 1 à 3 centimes par kilo. Elle est reversée à tous les acteurs de la chaîne de production, « de la fourche à la fourchette ».

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais au bout du compte, la viande n'est pourtant pas plus chère. Et d'où viennent exactement ces 1 à 3 centimes le kilo ? S'agit-il de centimes équivalent-carcasse sortie d'abattoir ?

M. Cheikh Alsid . - Oui. C'est le coût de la certification.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qui les paye et à qui sont-ils destinés ?

M. Kamel Kabtane . - L'industriel les verse à l'organisme de certification. Le casher coûte 50 centimes à 1 euro le kilo.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - A combien s'élève le tonnage total ?

M. Mohammed Moussaoui . - L'abattage rituel en équivalent-carcasse représente 14 % du tonnage total soit 226 000 tonnes sur 1,6 millions de tonnes.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - A un centime le kilo, les montants générés par la certification ne sont pas négligeables.

M. Cheikh Alsid . - Mais il est reversé à tous les acteurs, de la fourche à la fourchette ! Dans le prix, la certification représente 0,01 centime. Multiplié par 226 000 tonnes, vous ne trouvez pas 5 milliards d'euros.

Mme Anne Emery-Dumas . - Le sacrificateur est-il salarié de l'abattoir ou de l'organisme de certification ?

M. Kamel Kabtane . - Il est salarié de la société d'abattage. Nous avons mis en place un organisme chargé de les former.

M. Cheikh Alsid . - Un certificat de compétence est exigé des sacrificateurs par le ministère de l'agriculture. Les certificats déjà délivrés courent jusqu'à la fin de l'année. Pour en obtenir un, il suffit de répondre à un questionnaire à choix multiples. J'ai demandé que l'on y ajoute une épreuve pratique : le ministère a estimé cela trop compliqué à mettre en oeuvre, mais a demandé aux responsables des abattoirs d'instaurer pour ses salariés une formation à la langue française. Ceux qui échoueront à cette épreuve se verront retirer leur droit d'exercer, ce qui serait une terrible sanction.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut bien évidemment qu'ils passent une formation pratique.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous recevrons prochainement les représentants du ministère.

M. Kahlil Merroun . - A Evry, l'abattoir doit faire la demande de délivrance des cartes de sacrificateur à ses salariés. Nous demandons que le candidat passe un test devant vétérinaire, puis nous le convoquons pour lui faire passer un test de moralité.

Nous manquons de certificateurs. La mosquée d'Evry en avait 355 en 2012. Seuls 130 ont pour l'instant été renouvelés pour l'année 2013. A Lyon, seuls 42 ont été renouvelés. A Paris enfin, 429 personnes ont l'autorisation d'exercer. Or cette profession est capitale, puisque le sacrificateur est chargé de veiller à ce que les animaux ne souffrent pas. La vue de ses congénères au moment de l'abattage est un autre facteur de souffrance animale : il faut donc également travailler sur les cadences et sur la configuration des bâtiments, pour isoler autant que possible les bêtes les unes des autres au moment de l'abattage.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous arrivons au terme de cette audition. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

M. Mohammed Moussaoui . - Je ne remets pas en cause le besoin de clarifier les choses dans le domaine du halal. Mais proposition de loi après proposition de loi, il ne faudrait pas donner le sentiment de s'acharner sur l'abattage rituel. Nous faisons confiance aux institutions de la République pour combattre ce sentiment. J'appelle de mes voeux un débat serein portant sur les vraies questions. Les musulmans de France, pour leur part, ne souhaitent qu'une chose : pouvoir consommer de la viande abattue selon leurs rites, et ne souhaitent rien imposer à personne.

M. Kahlil Merroun . - Certains musulmans que je rencontre, fatigués d'entendre parler de halal, envisagent de devenir végétariens... Travaillons ensemble pour trouver de vraies solutions. Notre souci est d'abord de servir notre pays : en promouvant l'élevage français, en consommant français.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous demanderons une enquête commune sur la souffrance animale, en dépit du risque qu'il y aurait à allonger les débats. J'ai noté également que vous n'étiez pas opposés à un étiquetage juste et équitable des produits issus de la filière halal.

Bien que tolérante et très attachée au vivre-ensemble, je ne peux m'empêcher de vous dire que les religions ont toujours évolué. Par exemple aujourd'hui, on ne brûle plus les sorcières...

M. Kamel Kabtane . - Nous ne brûlons pas les sorcières !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Si nous devions appliquer certains textes religieux, nous serions confrontés à quelques difficultés. Aucun de nous n'a envie de voir des femmes lapidées en France. Convenez qu'il faut faire évoluer les religions, notamment sur les questions d'abattage.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous remercie. Nous attendons vos références en matière de souffrance animale, dans l'optique de la confrontation que nous organiserons entre scientifiques. Soyez assurés que nous n'avons pas la volonté de stigmatiser qui que ce soit, et que nous ne cherchons qu'à assurer la plus grande transparence sur l'ensemble de la filière viande et à promouvoir le bien-être animal.

M. Mohammed Moussaoui . - Madame la rapporteure , quelle est votre position sur la tauromachie ou sur la chasse ? Cela fait partie de la souffrance animale.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela déborde le champ de nos travaux, mais j'évoquerais avec grand plaisir tous ces sujets avec vous en d'autres occasions.

Table ronde avec représentants des syndicats de salariés de l'agro-alimentaire (mercredi 5 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous souhaite la bienvenue. Notre mission d'information qui a d'ores et déjà effectué une cinquantaine d'auditions, a été créée à la suite de l'affaire Spanghero dont nous déplorons les conséquences sur le sort de l'entreprise ainsi que celui des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Nous attendons beaucoup de votre audition. Je souligne particulièrement notre souhait de prendre l'exacte mesure des menaces sur l'emploi dans votre secteur d'activité. Pouvez-vous, par ailleurs nous livrer votre analyse des mécanismes de « dumping social » mis en place chez nos voisins européens, en particulier en Allemagne. Pensez-vous enfin que des formations spécifiques plus nombreuses devraient être mises en place, en particulier dans l'abattage et la boucherie, pour améliorer l'attractivité des emplois.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Plusieurs entreprises du secteur de la transformation de la viande connaissent des difficultés économiques importantes (Gad, Doux, Spanghero). Disposez-vous d'un panorama global des risques qui pèsent sur l'emploi dans le secteur de la transformation de viande ?

M. Patrick Massard, secrétaire général FGA-CFDT . - Il est difficile de dresser un bilan global mais nous avons une bonne connaissance de certains dossiers particuliers. 240 emplois sont directement menacés chez Spanghero et on ne sait pas à l'heure actuelle si des offres de reprise vont se manifester.

En ce qui concerne le groupe Doux, le tribunal de commerce ne s'est pas définitivement prononcé mais on semble s'acheminer vers une reprise, ce qui, à notre sens, ne résoudra pas tous les problèmes. Ce groupe ferme, en moyenne, un abattoir par an depuis une quinzaine d'années. Au cours de cette période, notre syndicat s'est évertué à demander aux dirigeants d'anticiper la baisse - programmée depuis 1994 - des restitutions aux exportations versées par l'Union européenne, mais rien n'a été fait. Le choix stratégique de ce groupe se dégage très clairement : il consiste à maintenir sa présence à l'exportation tant que les restitutions perdurent, or ces dernières ont chuté de 50 % ces cinq dernières années et on s'oriente vers leur extinction. 1 500 à 2 000 emplois directs disparaîtront alors, en même temps que les restitutions. Nous attirons l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de réorienter cet outil de travail à l'horizon de cinq à dix ans.

S'agissant de l'abattoir porcin de Gad SAS GAL, on se dirige vraisemblablement non pas vers une reprise mais plutôt vers un plan de continuation qui comportera d'importantes mesures de restructuration et la fermeture d'au moins un abattoir. Entre 1 400 et 1 800 salariés sont ici concernés.

En dehors des dossiers qui sont sous le feu de l'actualité, beaucoup de petites entreprises souffrent. Au moins trois grandes tendances suscitent des inquiétudes. Tout d'abord, dans la filière bovine, la raréfaction du bétail vif a pour conséquences à la fois la hausse des prix et la baisse de la consommation : ce phénomène pourrait, à terme, menacer les emplois existants. Ensuite, dans la viande porcine, on constate que les distorsions de concurrence jusqu'alors imputables aux pays tiers sont aujourd'hui également intra-européennes. Les surcapacités sont importantes dans les abattoirs le porc, ce qui pourrait se traduire, ici encore par des restructurations et des pertes d'emplois. Le plan stratégique de filière qui a été présenté par le Gouvernement au mois d'avril dernier a cependant le mérite d'actionner les deux leviers que sont, d'une part, la relance de la production de porcs pour atteindre un objectif chiffré à 25 millions et, d'autre part, la revalorisation des produits français, à travers le logo Viande de porc française (VPF). Nous espérons que ce redressement pourra intervenir rapidement, avant que des restructurations soient annoncées car les mesures de soutien arrivent souvent trop tard.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous soulignez la nécessité de revaloriser les produits français et il est important, pour nos travaux, que vous puissiez préciser les modalités de cette revalorisation.

M. Patrick Massard . - Cela passe par la labellisation des productions porcines ou un étiquetage VPF alors même que le porc reste aujourd'hui un produit de moyenne gamme avec peu de labels rouges. Nous avons d'ailleurs suggéré d'introduire des critères sociaux dans les cahiers des charges de la labellisation. Au niveau européen, on évoque souvent le bien être animal. Il nous parait nécessaire de penser à celui des salariés, en se souvenant que ces derniers contractent des maladies professionnelles. Il a été répondu favorablement à notre demande mais la réflexion ne semble pas aboutie à ce sujet.

En ce qui concerne la filière avicole, la principale inquiétude concerne le taux d'importation qui a très fortement augmenté ces dernières années pour atteindre 44 %. Par ailleurs, la filière dinde connait de très graves difficultés : dans les années 2000, la France était en tête de l'Europe dans ce secteur, puis nos voisins allemands ont fortement développé leur production et nous en subissons, de plein fouet, les conséquences. J'ajoute que, paradoxalement, alors que la demande européenne et mondiale est en expansion dans la filière avicole, la France ne parvient pas à en tirer parti.

M. Joseph d'Angelo, secrétaire général de la FNAF-CGT . - En préambule, je rappellerai que la filière viande a connu beaucoup trop de scandales au cours des dernières années. L'affaire de la viande de cheval, qui n'est qu'un exemple parmi d'autres, va malheureusement pénaliser non seulement Spanghero mais aussi de nombreuses entreprises, en portant le coup de grâce à celles qui étaient déjà fragilisées.

En ce qui concerne le groupe Doux, nous avons demandé au Gouvernement de prendre des mesures énergiques qui pourraient aller jusqu'à la mise sous tutelle. Les difficultés sont également nombreuses dans les entreprises du secteur de la transformation. Dans tous les cas, ce sont les salariés qui subissent les principales conséquences des stratégies patronales défaillantes. Nous souhaitons que soient accordées aux salariés les protections dont ils manquent aujourd'hui ainsi que les moyens d'agir, par la voie de leurs institutions représentatives, sur le plan sanitaire et de la qualité de l'alimentation. Nous demandons, en particulier, l'élargissement des droits des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

S'agissant du coût du travail, il faut apporter plusieurs précisions. Certes, ils sont moins élevés en Allemagne qu'en France, mais ceux de la Belgique sont supérieurs aux nôtres et ce pays parvient pourtant à exporter ses produits en volaille en France. Je rappelle que la main d'oeuvre ne représente que de 20 à 25 % du total des coûts de l'industrie agro-alimentaire. La robotisation, moins développée en France qu'en Allemagne, est un facteur important de diminution de ces coûts industriels : le patronat et l'État doivent prendre en considération ce constat. Dans le même sens, nous estimons nécessaire la modernisation de la filière porcine, tout en rappelant que les gains de productivités doivent, au moins partiellement, être redistribués aux salariés et ne pas s'accompagner de pertes d'emplois.

Nous dénonçons enfin l'insuffisance des auto-contrôles qui s'explique par des considérations de rentabilité et amène les catastrophes que nous connaissons : il faut donc accroitre les moyens des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des autres acteurs des contrôles publics externes.

M. Michel Kerling, secrétaire fédéral chargé du secteur « viande de boucherie », FGTA-FO . - Nous ne disposons pas non plus d'un panorama économique complet au niveau national mais le secteur de la viande souffre de manière évidente. Le secteur porcin est le plus fragile et il est en surcapacité depuis une dizaine d'années. Il n'a pourtant pas été redimensionné, comme nous l'avions suggéré, en particulier dans le domaine de la première transformation qui enregistre constamment des pertes. Plus généralement, le secteur agroalimentaire a pour caractéristique de subir les crises avec un décalage temporel et on peut s'attendre à des plans drastiques de réduction des effectifs dans les prochains mois.

La fermeture de deux sites de GAD ayant été évoquée, le Gouvernement nous a indiqué que des propositions de reclassement seront faites aux salariés sur l'un des deux sites et que la production porcine devrait se redresser. Mais nous pensons, pour notre part, que cette vision est trop optimiste et constatons que certains producteurs vont désormais livrer leur viande à d'autres acteurs de la filière : il faut donc s'attendre à des pertes d'emploi importantes. Le secteur porcin a été marqué depuis trois années par une forte volatilité des prix des matières premières. Nous avons souligné à plusieurs reprises l'écart qui se creuse entre les productions végétales et animales. La baisse de production d'animaux de boucherie est régulière et certaines entreprises ont du mal à s'approvisionner.

En ce qui concerne les solutions, l'étiquetage de l'origine française des viandes constitue, à notre avis, un bon moyen de valoriser les productions nationales mais je rappelle qu'un grand acteur de la viande porcine a refusé de communiquer sur ce point, sans doute parce qu'il s'approvisionne avec de la viande de provenance étrangère.

Au-delà du scandale de la viande de cheval, la crise est aujourd'hui avant tout économique et il faudrait que les divers maillons de la filière - la production, la transformation, et la grande distribution - s'organisent, sinon pour mutualiser les bénéfices et les pertes, du moins pour mieux se comprendre. Au moment de la crise de la vache folle, la filière a démontré sa capacité à surmonter les difficultés de façon coordonnée. Il faudrait s'inspirer de cet exemple.

Nous n'avons jamais été opposés au principe de la contractualisation, bien au contraire, mais le contexte de financiarisation et de libéralisme qui prévaut dans le domaine alimentaire n'y est pas favorable. Certaines avancées nous paraissent souhaitables mais les industriels indiquent qu'ils ne peuvent répercuter, auprès de la grande distribution alimentaire, que la moitié des hausses de prix qu'ils subissent, ce qui constitue une difficulté majeure.

S'agissant, enfin, du problème du dumping social, le fait que les directives laissent place une certaine marge d'interprétation ne facilite pas les choses : l'instauration d'un salaire minimum de branche en Allemagne nous parait peut-être une solution aux Etats membres de l'Union européenne envisageable pour remédier aux distorsions de concurrence actuelles.

M. Didier Pieux, secrétaire fédéral chargé de l'industrie avicole et charcutière, FGTA-FO . - L'industrie agricole ne prend aujourd'hui pas assez en considération la nécessité de renforcer les politiques sociales, et en particulier la formation. Il conviendrait de mettre en place un Organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de branche pour financer des stages et nous y travaillons depuis plusieurs années. La grande majorité des salariés de notre secteur sont recrutés au bas de la grille salariale et ils ne bénéficient presque jamais de possibilités de formation au cours de leur vie professionnelle : pourtant, au moment des restructurations, ce sont les emplois de ces salariés les plus fragiles qui sont le plus souvent supprimés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les industriels sont pourtant tenus d'organiser des formations pour le personnel en charge de l'abattage, comme l'ont confirmé plusieurs auditions : quel est leur nature précise ?

M. Didier Pieux . - Les formations obligatoires concernent l'hygiène et la sécurité : ce ne sont pas, pour la plupart, des formations qualifiantes qui améliorent les perspectives de carrière des salariés.

M. Philippe Soulard, délégué CFTC . - Je partage ce qui vient d'être dit sur la formation. Nos délégués de sites constatent que les stages se limitent par exemple aux « gestes et postures » ou au maniement du couteau, si bien qu'on pourrait se demander si les entreprises ne tentent pas simplement de récupérer les fonds de la formation professionnelle sans pour autant délivrer des formations qualifiantes et alors même que l'obtention de certains certificats de qualification professionnelle harmonisés (CQP) faciliterait la réembauche de leurs titulaires dans d'autres branches d'activité, comme par exemple les transports, en cas de suppression de poste.

La presse régionale a tout récemment évoqué la fermeture de plusieurs sites en Bretagne. Le nombre important de restructurations en cours empêche les salariés licenciés de retrouver un emploi dans une implantation voisine, contrairement à ce qu'on leur laisse parfois envisager. S'agissant de l'affaire Spanghero, je souligne à mon tour que les salariés en seront les premières victimes. J'ajoute que nous doutons de l'efficacité des autorités de contrôle ainsi que des services vétérinaires, dotés de moyens insuffisants. Nous estimons que les gains qui ont pu être retirés de telles tromperies devraient être redistribués aux salariés qui ont perdu leur emploi.

M. Gautier Bodivit, délégué CFE-CGC Agro . - Je représente, pour ma part, les personnels d'encadrement dans l'ensemble des maillons de la filière. Tout d'abord, il ne faut pas tenter de masquer les graves difficultés des groupes industriels de l'agroalimentaire en matière de coût du travail. On vient d'évoquer les distorsions de concurrence dans les abattoirs, mais en Allemagne, les charges patronales sont deux fois moins importantes qu'en France. En Roumanie, que nous venons de visiter, c'est également le cas et un consensus existe, entre les partenaires sociaux de ce pays, pour réduire les charges pesant sur le travail. Pour cette raison, nous nous sommes prononcés en faveur d'une hausse du taux de TVA sur les produits agro-alimentaires compensant la baisse des charges sociales, le but étant de permettre aux entreprises de moderniser leur outil de travail.

En ce qui concerne le dialogue social, nous soulignons la nécessité d'une responsabilisation des organisations d'employeurs et de salariés, sans quoi on ne parviendra pas à surmonter les blocages, comme en témoigne l'échec de la dernière négociation salariale dans la filière volaille.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Serait-il envisageable que les employés d'une entreprise constatant une manipulation par leurs dirigeants bénéficient d'un droit d'alerte et qu'ils puissent être protégés ?

M. Frédéric Malterre, secrétaire national chargé des questions économiques, FGA-CFDT . - Nous soulevons depuis longtemps la question du droit d'alerte. Une avancée réelle a été introduite par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, mais ce texte d'initiative parlementaire ne semble pas prévoir le cas des fraudes. Nous préconisons, pour notre part, une triple procédure : à l'alerte interne de la hiérarchie du salarié et à celle des institutions représentatives, toutes deux prévues par le droit en vigueur, il est souhaitable d'ajouter la possibilité d'un contact direct du salarié avec les organismes externes de contrôle. Il faut, en effet, tenir compte de la nécessaire protection des lanceurs d'alerte qui, en pratique, risquent d'être rapidement exclus de l'entreprise s'ils déclenchent des procédures internes.

M. Philippe Soulard . - En matière d'alerte, nous nous interrogeons également sur l'application du droit de retrait du salarié qui ne peut être, en principe, invoqué que si c'est le salarié lui-même qui est en situation de danger et non pas pour protéger la santé des autres. Je souligne également que la protection du salarié qui dénonce des dysfonctionnements est essentielle car nous constatons des cas concrets de licenciement.

M. Joseph d'Angelo . - Le droit de retrait est effectivement encadré par des conditions trop restrictives ; pourtant, je témoigne que les salariés qui sont obligés, contre leur gré, de participer à des processus de production répréhensibles en souffrent. J'ajoute qu'il est également fondamental de protéger les représentants syndicaux.

M. Michel Kerling . - Dans les cas de fraudes, comme dans l'affaire Spanghero, le droit en vigueur semble perfectible. L'article L. 4133-1 du code du travail, introduit par la nouvelle loi du 17 avril 2013, prévoit, en effet, que le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime que la production de son entreprise fait peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement. Outre la reconnaissance du droit de retrait du salarié dans un tel cas, il faudrait, d'une part, compléter le texte en introduisant la notion de fraude et, d'autre part, prévoir que l'alerte puisse être lancée auprès des services publics concernés.

M. Gautier Bodivit . - Il convient à notre avis de réaménager et de simplifier les classifications des emplois de la filière agro-alimentaire. Je fais observer par exemple que la convention applicable à la filière volaille comporte à elle seule 32 coefficients différents avec 3 euros brut d'écart de rémunération dans les onze premiers niveaux. Une telle complexité est-elle vraiment nécessaire ? De plus, la part de l'encadrement est insuffisante dans ces classifications, ce qui s'accompagne nécessairement d'une insuffisante attention portée à la stratégie de long terme et à l'innovation, essentielle pour améliorer la valeur ajoutée.

Le développement du logo « viande française » avec des critères simples et précis pour le consommateur nous parait souhaitable, ce qui inclut, par construction, le respect des critères sociaux prévus par notre réglementation nationale.

Mme Vanessa Perottin, secrétaire fédérale chargée des branches viande et volaille de la FGA-CFDT . - Je souhaiterais tout d'abord vous rappeler la distinction au sein de la filière viande, entre les première, deuxième et troisième transformations - l'abattage et la découpe - et la quatrième transformation - c'est-à-dire la préparation de produits élaborés -, qui dispose de sa propre convention collective.

Je souhaiterais revenir sur les difficultés de l'entreprise Elivia, filiale viande du groupe Terrena. A l'époque où le groupe Bigard a voulu racheter Socopa, peu après avoir acheté Charal, un énorme groupe, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est intervenue en expliquant que Bigard devenait trop important : elle a donné comme consigne à ce groupe de céder un certain nombre de sites de production. La coopérative Terrena a récupéré certains sites dans l'est de la France. Depuis que le protocole de cession est arrivé à son terme en juin 2013, les relations commerciales entre les deux groupes ont cessé et l'entreprise Elivia doit désormais se débrouiller seule alors qu'elle n'a pas conçu de véritable stratégie commerciale au moment du transfert de site. Je regrette que lors de son intervention, la DGCCRF n'ait pas poussée sa réflexion au-delà du protocole de cession entre Bigard et Elivia. Dès avant la fin du protocole, tout le monde savait qu'Elivia connaîtraient des difficultés : elles étaient largement prévisibles.

M. Michel Kerling . - En ce qui concerne les prérequis pour travailler dans le secteur de la viande de boucherie et la politique de formation, le profil des salariés a complètement changé depuis 30 ans avec l'industrialisation des outils. Autrefois, les salariés devaient posséder un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de boucherie. Aujourd'hui, la politique de formation, qui a été mise en place un peu tardivement mais qui donne satisfaction aux entreprises - un peu moins aux salariés, en raison de la faible rémunération de ces qualifications - est celle du certificat de qualification professionnelle (CQP). Aucun prérequis n'est nécessaire, nous embauchons des salariés sans qualification et qui proviennent d'horizons divers. Avec cette politique du CQP, nous pouvons valoriser les métiers propres à la viande de boucherie mais aussi créer des CQP transversaux qui permettent aux salariés de pouvoir changer d'activité au sein du secteur agroalimentaire de manière plus facile. Il convient toutefois de veiller à ce que les entreprises ne cherchent pas seulement à récupérer ce qu'elles ont été versé pour la formation professionnelle, notamment par des allègements de charges sociales, sans réel projet. La qualification des salariés ne doit pas être galvaudée, même en période de crise économique.

M. Joseph d'Angelo . - Je voudrais faire deux remarques. La première concerne l'emploi, et en particulier l'emploi au sein du groupe volailler Doux. Sur 800 suppressions d'emplois dans le pôle frais, 176 salariés ont trouvé une solution d'emploi ou de formation, mais seulement 18 en contrat à durée indéterminée (CDI). Second point, concernant la question du coût du travail : nous avons cherché dans le cas de l'entreprise Phénor, qui connaissait des difficultés, la part qui était due au coût du travail et la part due à la mauvaise gestion de l'entreprise. Qu'avons-nous constaté ? L'entreprise n'était pas compétitive car l'employeur n'avait pas fait les investissements nécessaires pour se mettre au niveau de la concurrence et rester à la pointe de la technologie. Le problème est toujours lié à un manque d'investissement, jamais au coût de la main d'oeuvre.

M. Patrick Massard . - Sur le droit d'alerte, ce qui nous inquiète, c'est la privatisation des contrôles de premier niveau dans les abattoirs, qui peut conduire à multiplier des cas de fraude analogues à celui de Spanghero. Concernant la formation professionnelle, il a été constaté, dans le cadre du comité stratégique de filière, que 15 % des salariés de l'agroalimentaire ne possèdent pas les savoirs fondamentaux alors que la moyenne nationale est de 9 %. Une bonne partie de ces salariés relèvent des filières viande et volaille.

Sur la formation professionnelle, nous distinguons les filières viande et volaille car il s'agit de deux conventions collectives distinctes. L'approche patronale est différente. Sur les CQP transversaux, la filière viande est signataire des accords alors que la filière volaille, depuis 1995, ne dispose d'aucune politique de formation professionnelle de branche malgré les demandes des représentants des salariés. Pourtant, les salariés de cette branche ont un besoin criant de qualifications, comme on peut le constater avec les salariés de Doux dont beaucoup ont pour toute qualification les années passées au sein de cette entreprise. Mais il faut savoir que les directions des ressources humaines des entreprises estiment que si les salariés acquièrent des qualifications, ils partiront immédiatement en raison du manque d'attractivité du métier et des difficultés de fidélisation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourriez-vous développer davantage ce point ? Que voulez-vous dire lorsque vous expliquez que, si l'on qualifie les gens, ils partiront ?

M. Patrick Massard . - Le turn-over dans la filière viande est aujourd'hui de 1,8 %. Avec la crise économique actuelle, les salariés peuvent difficilement partir. Mais je me souviens de 2001 où il y avait eu une bouffée d'oxygène sur l'emploi : la filière volaille n'arrivait plus à recruter au point qu'une agence de recrutement du Morbihan offrait un téléphone portable à tout salarié qui parrainait un nouvel arrivant dans l'entreprise de production de volaille du secteur ! Quand une entreprise de volaille ferme et qu'on propose un emploi dans le même groupe à 10 km, les salariés ne veulent pas y aller car les conditions de travail sont trop difficiles. Dans les abattoirs de volaille, 80 % des gens sont payés au SMIC ou à un niveau proche du SMIC. Il existe donc un vrai problème d'attractivité, de fidélisation et d'image du secteur de la viande.

Mme Vanessa Perottin . - Je voudrais revenir sur les propos de M. Massard concernant l'absence depuis 1995 de politique de formation dans la filière volaille. Nous nous trouvons confrontés au manque de bonne volonté du collège des employeurs qui se retrouve également sur le volet de la protection sociale. Quel que soit le domaine, les employeurs refusent de mettre en place un système mutualisé au niveau de la branche. D'où une prise en charge dans les entreprises, qu'il s'agisse de la prévoyance ou de la formation.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quels motifs invoquent les employeurs ?

Mme Vanessa Perottin . - Ils ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la politique à mener au niveau national et n'arrivent pas à s'entendre pour mutualiser des moyens, pour les verser au pot commun afin de développer une véritable formation professionnelle.

M. Patrick Massard . - Cette façon de procéder se retrouve dans la façon dont ils gèrent leurs entreprises. J'ai vécu la fin de l'entreprise Bourgoin : tout le monde se regardait dans le blanc des yeux pour savoir qui allait mourir en premier et qui allait ramasser les morceaux ! Ils sont engagés dans une politique du moins-disant sur les prix qui nous mène à la catastrophe. Je me souviens de cuisses de poulet vendues sur le marché à 6 francs le kg car le concurrent les vendait à 6,50 francs ! Bien sûr il ne doit pas y avoir d'entente sur les prix, mais ils se concurrencent à tous les niveaux alors que la convention collective doit définir des minima au profit des salariés.

M. Jean-Jacques Lasserre , sénateur. - J'aimerais être éclairé sur la question de l'expression des salariés au sein de l'entreprise. Avez-vous des propositions à nous faire pour améliorer l'expression des salariés, qu'il s'agisse d'entreprises familiales ou de sociétés, ou bien encore de coopératives ?

M. Philippe Soulard . - Je pense que cette expression des salariés va être difficile à mettre en place. Les entreprises ne veulent pas révéler leur business plan à moyen terme, car c'est lui qui doit leur permettre de gagner de l'argent, si bien que les salariés n'ont pas d'informations sur la stratégie de l'entreprise en matière de développement de l'activité et des emplois. Peut-être faudrait-il améliorer la communication entre les dirigeants et les salariés, ce que nous préconisons depuis très longtemps.

M. Jean-Jacques Lasserre , sénateur. - Y a-t-il un souhait des centrales syndicales de parvenir à une meilleure communication ?

M. Michel Kerling . - Il est toujours difficile de faire monter les salariés à bord quand le bateau est en perdition. En outre, les institutions représentatives du personnel existent et les employeurs peuvent s'adresser à elles. Si leur mise en place est difficile dans les petites entreprises, dans les entreprises de plus grande taille, elles existent depuis plusieurs années et des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), qui permettent de prévoir la stratégie de l'entreprise à horizon 3 - 4 ans et de former les salariés en cas de baisse d'activité ont été mis en place. Les délégués syndicaux nous expliquent cependant qu'ils ont beaucoup de mal à faire appliquer ces accords dans les entreprises.

M. Patrick Massard . - Plusieurs de nos syndicats ont signé l'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi qui prévoit la présence de salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises. Nous espérons que cela permettra aux salariés d'exprimer leur point de vue sur la stratégie de l'entreprise. Une base de données unique va être mise en place qui devrait permettre de disposer de toutes les informations pour comprendre la stratégie de l'entreprise.

Sur le dialogue social, deux niveaux doivent être distingués, celui de la branche et celui de l'entreprise. Au niveau de la branche, le dialogue social n'existe pratiquement pas dans le secteur de la volaille. C'est le ministère qui arbitre car le recours à un tiers était devenu indispensable. Le patronat veut nous en faire sortir mais nous ne voyons pas comment nous pourrons avancer même si ces dernières années ont été signées quelques accords relatifs aux salaires. Dans la branche viande, le dialogue social existe même si ce n'est pas la panacée. Au niveau de l'entreprise, il faut regarder au cas par cas. Chez Doux, le dialogue social s'est un peu amélioré. Il ne fonctionne pas trop mal non plus chez LDC. Mais en ce qui concerne les qualifications et la formation professionnelle, leurs salariés n'ont pas accès aux CQP en raison du refus du patronat d'y adhérer au niveau national. Dans le cadre du plan stratégique pour la filière volaille, le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll a demandé à la Fédération des industries avicoles (FIA) de signer au plus vite l'accord sur les CQP transversaux. La FIA a reconnu qu'elle n'était pas allée assez loin dans la formation professionnelle et qu'elle allait étudier cette question de très près.

M. Gautier Bodivit . - Nous sommes dans un contexte tendu et les cadres constatent un manque de communication entre les ouvriers et les directions des entreprises. La part de l'encadrement est très faible voire inexistante dans certains grands groupes, ce qui crée des crispations. Je constate que lorsqu'ils sont présents, les cadres et les agents de maîtrise servent d'intermédiaires entre les directions et les ouvriers pour apaiser le dialogue social.

M. Joseph d'Angelo . - Mon propos sera succinct : les salariés subissent les stratégies patronales et personne ne leur demande leur avis à leur sujet. Dire le contraire revient à se raconter des histoires. Nous avons beau faire partie d'un conseil d'administration, nous n'avons pas d'influence sur les stratégies des entreprises, et ce n'est pourtant pas faute d'idées.

M. Michel Kerling . - Le nombre des abattoirs en France est passé en quelques années d'un peu moins de 400 à un peu moins de 300 et il est difficile de poursuivre une activité en l'absence d'adossement à un groupe industriel. Lorsque les médias montrent des abattoirs qui ne répondent plus aux normes sanitaires, une très mauvaise image est donnée au consommateur, et nous ne pouvons pas non plus cautionner de tels outils. On s'aperçoit qu'il y a une érosion lente mais continue des effectifs chez le plus gros industriel du secteur, le groupe Bigard, d'environ 1 à 1,5 % avec des départs non remplacés. Le salaire brut moyen de base pour les ouvriers de l'industrie agroalimentaire va de 8 % seulement au-dessus du SMIC à 1 545 €. Les salariés acceptent de plus en plus mal aujourd'hui de subir la modération salariale et la perte d'accessoires au salaire comme la participation aux bénéfices et l'intéressement. Nous considérons que ces accessoires font partie de la vie de l'entreprise. Toucher aux salaires ou vouloir une modération trop importante ne se justifie pas, a fortiori si la participation ou l'intéressement diminuent.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Quel est le rôle exact dans votre filière du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Comptez-vous beaucoup d'accidents du travail ?

Mme Vanessa Perottin . - L'activité dans nos entreprises est de plus en plus soutenue, avec des cadences élevées, en raison d'une pression de la part de nos clients, notamment la grande distribution. L'environnement dans lequel évolue le salarié est agressif. Au niveau des branches, les accords sur la pénibilité du travail ont peine à voir le jour. Il faut d'abord mener un diagnostic sur la pénibilité puis mettre en oeuvre des actions pour résoudre les problèmes qu'il aura mis au jour. Un accord sur la pénibilité a été signé dans la filière viande. Il contient surtout une déclaration de bonnes intentions sur la prévention des risques. Sur les réparations proprement dites, les salariés qui ont aujourd'hui 55 ans et plus ne bénéficieront que de quelques allègements et de quelques aménagements de fin de carrière. Les employeurs signent des accords mais ont du mal à les mettre en oeuvre dans les entreprises afin que les process prennent davantage en compte le bien être des salariés. Les modifications de chaîne, d'outils ont surtout pour vocation d'améliorer la rentabilité. Je ne connais qu'un seul exemple ou l'employeur a pris en compte les conditions de travail de ses employés lors de l'installation d'une nouvelle ligne de désossage, après mise en place d'un groupe de travail avec le CHSCT et des ergonomes.

Les troubles musculo squelettiques (TMS) sont la première cause d'arrêts de travail et de maladies professionnelles dans les filières viande et volaille. Rien n'est fait dans la branche volaille même s'il existe deux conventions qui ont été signées avec la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et la mutualité sociale agricole (MSA), sur lesquelles nous ne bénéficions hélas d'aucun bilan qualitatif mais seulement d'un bilan quantitatif.

Les chiffres que je vais vous donner sont ceux de la CNAM. Le taux de maladies professionnelles dans la filière viande est de 13 %, 14 % dans la filière volaille et 5 % pour les produits élaborés, issus de la quatrième transformation. Pour la viande de boucherie, le taux d'accidents du travail est de 10 %.

M. Joseph d'Angelo . - Deux lois doivent impérativement évoluer : celle qui concerne la faute inexcusable de l'employeur et celle qui porte sur l'indemnisation des maladies professionnelles. Il y a beaucoup de TMS dans la filière viande. Dans le groupe Bigard, 45 maladies professionnelles sont reconnues mais aucun salarié n'a pu utiliser la loi sur la faute inexcusable de l'employeur, qui est inadaptée. Cette loi devrait évoluer vers une action collective, du CHSCT ou de la CPAM par exemple. Concernant la réparation intégrale, un excellent rapport avait été fait par M. Jean Massé. Il avait été débattu au Conseil économique, social et environnemental (CESE) mais avait été enterré sous la précédente majorité. La loi sur les maladies professionnelles date de 1898, il serait temps de la toiletter sinon nous pourrions connaître des cas comme celui d'AZF où ceux qui travaillaient dans l'usine n'avaient droit qu'à une réparation forfaitaire alors que ceux qui passaient sur la route avaient droit à une réparation intégrale.

M. Michel Kerling . - Les dernières données de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) concernant le monde de la viande, qui datent de 2008, montrent qu'il y a 150 accidents du travail avec arrêt pour 1000 salariés, soit 4 fois plus que la moyenne des autres secteurs d'activité, ce qui révèle un haut niveau de pénibilité, en raison des troubles musculo-squelettiques causés par les cadences, du froid et du taux d'hydrométrie. Nous sommes en négociation sur la pénibilité. Des institutions de prévoyance pourraient être mises en place pour les petites et moyennes entreprises. Nous cherchons à développer une politique de prévention et de réparation dans cette branche, mais elle n'est pas toujours relayée par les employeurs. Nous sommes très attachés au dialogue social de branche pour éviter que ne se creusent le fossé entre les salariés des grandes entreprises, relativement mieux protégés, et ceux des petites et moyennes entreprises, qui bénéficient de trop peu de garanties.

M. Philippe Soulard . - Les chiffres qui ont été cités sont malheureusement exacts. Les salariés continuent souvent à travailler jusqu'à ce qu'ils soient victimes d'une invalidité de catégorie 2. Il est moralement très difficile pour un salarié qui a travaillé pendant 30 ou 40 ans dans une entreprise d'être licencié pour invalidité et de ne plus pouvoir travailler. La politique de branche doit être très forte pour pouvoir être imposée à l'ensemble des salariés de la branche.

M. Gérard Bailly . - Dans l'agroalimentaire, de gros efforts été faits dans certains secteurs pour remplacer des métiers très pénibles par des machines. Serait-il possible de prévoir ce type de solutions dans le secteur de la viande ? Je voudrais aussi évoquer les distorsions de concurrence dont nous sommes victimes de la part de l'Allemagne. Comment se fait-il que les normes européennes ne soient pas appliquées de la même manière partout ?

M. Michel Kerling . - Concernant la pénibilité, on est passé avec l'industrialisation d'une cadence de 10 bovins à l'heure à une cadence de 28 bovins à l'heure en 30 ans. La productivité a donc été multipliée par 2,8. Autrefois la fatigue physique était sans doute plus fréquente mais aujourd'hui, la fatigue nerveuse et le stress causés par les cadences et les impératifs de rentabilité sont plus forts.

On pourrait mieux former les salariés et favoriser leur mobilité au sein de l'entreprise pour éviter de laisser un même salarié pendant de longues années dans des conditions difficiles de froid et d'hydrométrie.

M. Patrick Massard . - Des efforts ont été fait dans les filières viande rouge et porc sur les conditions de travail ces 10 dernières années avec la mécanisation et la robotisation. Dans la volaille, beaucoup reste à faire car de très nombreuses tâches sont toujours manuelles. Il est sans doute possible d'améliorer les choses. Mais il est vrai que la marge de manoeuvre financière des entreprises est aujourd'hui limitée, ce qui a un impact sur les salaires, sur les conditions de travail, sur les investissements et sur la recherche et développement. Il faut donc redonner de la valeur à la volaille et au porc, comme l'a annoncé le ministre en avril. Concernant le dumping social, les syndicats européens se sont saisis de la question. Nous portons la revendication d'un salaire minimum dans tous les pays européens et nos homologues allemands la partagent. La confédération européenne des syndicats (CES) s'est aussi saisie de la question et sa présidente l'abordera prochainement avec le président de la République française. C'est un vrai souci dans la mesure où des producteurs français vont faire abattre leurs animaux en Allemagne parce que c'est moins cher. Le ministre nous a dit qu'il aborderait la question une fois les négociations sur la politique agricole commune (PAC) terminées, mais qu'il serait difficile pour la France d'affronter seule l'Allemagne sur cette question. Je ne suis pas convaincu que le recours intenté en Belgique aboutira, mais au moins le problème est désormais ouvertement évoqué, ce qui est une bonne chose.

Mme Vanessa Perottin . - En Allemagne, on est sur un mode d'abattage et de transformation standardisé à grosse échelle. En France, on développe différents niveaux de gammes. Quand les entreprises françaises cherchent à s'adapter au modèle allemand, cela pose des problèmes de conditions de travail avec la production de poulets lourds : c'est le format de l'animal qui change ! Si on remodifie la structure de la chaîne d'abattage, cela risque de pénaliser les salariés dont les conditions de travail pourraient se dégrader.

Audition de MM. Jean-Louis Hurel, président et Léonidas Kalogéropoulos, conseiller du syndicat des industries françaises des coproduits (SIFCO) (mercredi 5 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Les coproduits jouent un rôle non négligeable dans l'équilibre économique de la filière viande, ce que vous allez nous expliquer.

M. Jean-Louis Hurel, président du SIFCO. - J'aimerais tout d'abord apporter une précision sur la notion de coproduits, qu'il faut distinguer des sous-produits, qui peuvent provenir d'animaux issus de l'équarrissage. Au sens strict, les coproduits sont les produits issus d'animaux sains dont nous consommons la viande mais qui ne sont pas utilisés pour l'alimentation humaine. Ce sont par exemple le cuir, les os, le sang, les plumes, soit ce que l'on appelle le « cinquième quartier ». Les adhérents de notre syndicat travaillent aussi bien les coproduits que les sous-produits issus de l'équarrissage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quels volumes les coproduits représentent-ils ? Comment sont-ils valorisés et à travers quels débouchés ? Les substances contenues dans la panse des animaux sont-elles considérées comme des coproduits ? Qu'en est-il de la méthanisation ? Comment les coproduits sont-ils traités dans les pays voisins ? Des modifications législatives vous semblent-elles nécessaires ?

M. Jean-Louis Hurel . - 2,8 millions de tonnes de coproduits et sous-produits sont collectées chaque année par les adhérents du SIFCO, qui réalisent un chiffre d'affaires global d'environ 800 millions d'euros. En application du règlement n° 1774/2002 complété par le règlement n°1669/2009, les sous-produits animaux sont répartis en trois catégories. Pour tous ces produits, le but est de rechercher la meilleure valorisation possible.

La première catégorie rassemble les produits issus d'animaux impropres à la consommation, envoyés à l'équarrissage, ainsi que les matériels à risques spécifiés (MRS) provenant d'animaux sains abattus. Ces produits sont systématiquement détruits par incinération à 1 600 degrés en cimenterie, le résidu étant utilisé comme combustible dans le ciment. L'avantage de cette matière est qu'il n'y a pas de résidu de combustion à récupérer. La graisse, longtemps utilisée comme combustible dans les chaudières de nos usines, peut désormais être utilisée dans la production de biocarburants. Une usine va ouvrir au Havre.

La deuxième catégorie correspond aux produits issus d'animaux morts en élevage. Ces produits sont détruits ou leurs farines sont utilisées pour faire de l'engrais pour les grandes cultures ou des biocarburants. Il arrive que des produits des catégories 1 et 2 se trouvent mélangées ; dans ce cas, tout est détruit.

La troisième catégorie, enfin, rassemble les produits valorisables issus d'animaux sains, que l'on utilise pour la production de graisses, de gélatine et d'alimentation animale pour animaux de compagnie ( pet food ), l'aquaculture, les détergents ou encore pour des utilisations en cosmétique.

M. Gérard Bailly . - Les produits relevant de la deuxième catégorie ne seraient-ils pas mieux valorisés s'ils étaient utilisés pour l'alimentation animale ? Je pense en particulier aux animaux saisis en abattoir. Un animal abattu en urgence parce qu'il s'est cassé les reins n'est pas impropre à la consommation et ne présente pas de danger pour la santé.

M. Jean-Louis Hurel . - Il s'agit d'un sujet sensible depuis la crise de la vache folle. La production d'engrais est actuellement la seule destination possible des produits relevant de la deuxième catégorie. Les abats sont difficiles à vendre pour la consommation humaine et sont principalement utilisés pour la production de pet food . Ces produits empruntent des circuits très spécifiques.

M. André Dulait . - N'importons-nous pas des coproduits ? La méthanisation ne serait-elle pas envisageable pour les produits des catégories 1 et 2 ?

M. Jean-Louis Hurel . - Si la méthanisation avait existé au moment de la crise de la vache folle, on y aurait probablement recouru. La même réglementation s'impose à l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Il n'existe à ma connaissance aucune importation de coproduits bruts. Cela s'explique aussi par des raisons économiques : on ne transporte pas des produits de peu de valeur sur une longue distance.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Contrairement à la viande de cheval, qui elle a parcouru un long trajet à travers l'Europe ...

M. Gérard Le Cam . - De quelle catégorie le minerai de viande relève-t-il ?

M. Jean-Louis Hurel . - Ce que l'on appelle le minerai de viande ne constitue pas un coproduit, puisqu'il est directement consommé. Le minerai de viande ne rentre pas dans nos usines.

M. Gérard Bailly . - Comment assurer la traçabilité du cinquième quartier, en particulier la catégorie 3 ? Lorsque la carcasse est traitée en abattoir, ce n'est qu'après un certain nombre d'opérations que les services vétérinaires la contrôlent et éventuellement l'écartent du circuit.

M. Jean-Louis Hurel . - Les sous-produits sont orientés dans des bacs de réception. Ils ne sont pas individualisés pour chaque animal. Ils sont cependant identifiés et il est possible de déclasser l'ensemble d'un bac, en cas de problème. Deux inspections vétérinaires sont réalisées : l'une ante mortem et l'autre post mortem . Elles permettent de déterminer la destination des différents produits.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Que fait-on des matières stercoraires ? Et du sang ?

M. Jean-Louis Hurel . - Celles qui proviennent de ruminants sont des MRS. Elles peuvent faire l'objet de méthanisation, comme le lisier. Le sang en revanche, produit à haute valeur protéique, peut partir dans l'alimentation des poissons d'élevage. Il en va de même des plumes.

M. Gérard Bailly . - Que fait-on du foie, de la langue, du coeur des animaux abattus ?

M. Jean-Louis Hurel . - Les abats peuvent être consommés en alimentation humaine, mais les consommateurs n'en veulent plus.

M. Gérard Bailly . - Les chinois achètent bien des oreilles de cochon.

M. Jean-Louis Hurel . - La filière viande a, depuis quelques années, mieux organisé sa découpe, et congèle des abats qu'elle expédie en Asie.

M. André Dulait . - Le prix payé pour un animal à l'éleveur intègre-t-il la valorisation du cinquième quartier ?

M. Jean-Louis Hurel . - Oui, le prix du cinquième quartier est intégré dans la valorisation totale de la bête, même si l'on ne spécifie pas cette valorisation.

M. François Fortassin . - Lorsqu'il existe de la triperie, on peut valoriser les abats. Là où il n'y en a pas, aucune valorisation n'est possible.

M. Jean-Louis Hurel . - Encore faut-il qu'il y ait des consommateurs derrière.

M. Gérard Le Cam . - Les cuirs sont-ils suffisamment exploités ?

M. Jean-Louis Hurel . - Les abatteurs collectent les cuirs et les vendent à des spécialistes. Ensuite, les cuirs sont exportés, essentiellement en Asie, car il n'y a plus de tannerie en France. On exploite par ailleurs beaucoup les boyaux de porc pour les préparations pharmaceutiques. Je précise que le cinquième quartier est constitué de tout ce qui n'est pas valorisé en consommation humaine directe. Lorsque les abats sont consommés, ils ne font pas partie du cinquième quartier.

M. François Fortassin . - Pour moi, le cinquième quartier est constitué de tout ce qui est retiré de la carcasse. Et je maintiens qu'il n'est pas payé à l'éleveur. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs les abatteurs n'ont pas cherché à le valoriser.

M. Jean-Louis Hurel . - Les produits relevant du cinquième quartier ne sont pas forcément retirés de la carcasse. Le sang et les plumes font partie du cinquième quartier, et sont produits avant la découpe. Les suifs et gras de porcs sont aussi enlevés avant la découpe.

M. André Dulait . - Les gras de porcs sont aussi utilisés dans l'alimentation humaine. Ils servent parfois à ré-engraisser les poudres de lait.

M. Jean-Louis Hurel . - Les gras de porc peuvent aussi servir à fabriquer le saindoux. Mais ce n'est pas la totalité des utilisations des gras de porc.

Tout ce qui est utilisé directement en consommation humaine ne relève pas du cinquième quartier : les pieds et paquets, les ris de veau ...

Les os, en revanche, relèvent du cinquième quartier : ils subissent un dégraissage dans un bain d'acide et sont utilisés pour la production de gélatine.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Quels sont les circuits de valorisation des coproduits animaux ?

M. Jean-Louis Hurel . - La valorisation se fait auprès des utilisateurs des produits que nous récupérons : nos clients sont les fabricants d'aliments pour animaux de compagnie ou encore les fabricants d'engrais, qui utilisent nos produits comme composants des produits qu'ils commercialisent.

Les industries du cinquième quartier produisent en réalité de la protéine ou de la graisse. Ces protéines ou graisses rentrent ensuite dans la composition de différents produits. Le retour des protéines animales transformées (PAT) dans l'alimentation des animaux est actuellement en débat. Les PAT ne résultent que de la transformation des coproduits de catégorie 3. Elles ne peuvent pas résulter de MRS, classées en catégories 1. Il n'y a donc rien à voir entre les PAT et les farines animales d'autrefois.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Exporte-t-on et importe-t-on des PAT ?

M. Jean-Louis Hurel . - A ma connaissance, il n'existe aucune importation de coproduits animaux bruts. Il est possible qu'il existe des importations indirectes, c'est-à-dire que certaines usines intègrent des coproduits en provenance de l'étranger dans leurs produits finis, en particulier en ce qui concerne l'alimentation des animaux de compagnie. De même, beaucoup de poissons d'élevage sont importés. Or, ils ont été alimentés par les PAT.

Dans ce contexte, il importe avant tout de ne pas prendre de dispositions qui aboutiraient à pénaliser la France par rapport à ses voisins, même si de telles dispositions pourraient être de nature à rassurer les consommateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ne devrait-on pas étiqueter le mode d'alimentation des poissons d'élevage ?

M. Jean-Louis Hurel . - Il s'agit là d'une problématique complexe. La pisciculture française pourrait se trouver en difficulté par rapport aux autres pays européens si les poissons devaient être nourris sans PAT. Immanquablement, le poisson français sans PAT sera plus cher.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - La France applique-elle la réglementation européenne sur les coproduits de manière plus stricte que nos voisins ?

M. Jean-Louis Hurel . - Les règlements que j'ai évoqués s'appliquent dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Il arrive que la réglementation française soit plus stricte que la réglementation européenne, par exemple sur les récupérations de suifs : les graisses pouvant être contaminées au moment de la découpe de la carcasse, la réglementation française prévoyait ainsi que ces suifs ne pouvaient pas être valorisées dans la filière alimentaire. Nous étions alors en situation de sur-réglementation. L'interdiction de la consommation de ris de veau, au moment de la crise de la vache folle, était franco-française.

M. André Dulait . - Il faudrait appliquer les mêmes règles à tous.

M. Jean-Louis Hurel . - Je rappelle que le poulet brésilien, importé en France, est nourri à base de PAT.

M. François Fortassin . - Je crois qu'il ne faut pas abuser les consommateurs. Je me permets de vous livrer une anecdote à ce propos : le « bar de haute mer » que j'ai un jour acheté était en fait un bar élevé dans une cage en haute mer.

M. Jean-Louis Hurel . - Il faut faire la part des choses entre le risque sanitaire et les circuits de distribution et la perception de l'alimentation. Il faut prendre des réglementations dures pour protéger le consommateur contre des risques réels mais pas contre des risques imaginaires car, alors, nous pénalisons notre propre production ?

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Quel a été l'impact sur votre secteur de la crise de la vache folle ?

M. Jean-Louis Hurel . - Au moment de la crise de la vache folle, il a bien fallu continuer à alimenter nos animaux en protéines, alors même que l'on avait interdit les farines ; c'est pourquoi nous avons eu recours à des importations de soja. Ces importations ont un impact important sur le prix des produits avec des écarts pouvant aller jusqu'à 90 à 100 euros de moins par tonne de tourteau par rapport aux PAT. Or, les PAT viennent d'animaux dont nous consommons la viande ! Nous nous privons de capacités de meilleures valorisations des coproduits, qui permettraient aussi de nourrir le bétail pour moins cher.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Comment peut-on être sûrs que les coproduits soient sains. Le problème de la filière viande est la perte de confiance du consommateur.

M. Jean-Louis Hurel . - Je suis persuadé qu'aujourd'hui, en raison des mesures prises à la suite de la crise de la vache folle, la traçabilité des produits fabriqués à partir d'animaux est extrêmement forte, y compris concernant les coproduits. Cette traçabilité est même plus forte que pour d'autres produits alimentaires. Il existe des contrôles très poussés, sur l'ensemble des matières qui rentrent et sortent des abattoirs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - La transparence est un sujet fondamental. A mon sens, la valorisation des produits passe également par l'information des consommateurs et par un étiquetage transparent.

M. Jean-Louis Hurel . - Le manque de connaissance crée chez les consommateurs une inquiétude justifiée, qui pourrait être levée par la pédagogie. Je vous invite au demeurant à visiter une usine de coproduits pour vous rendre compte de la qualité de nos processus.

M. Léonidas Kalogéropoulos, conseiller au SIFCO . - Imposer l'étiquetage de l'origine pourrait cependant avoir un effet pervers : s'il n'était obligatoire que pour les produits français, l'absence de précision sur les autres produits pourrait devenir anxiogène.

M. Jean-Louis Hurel . - Nos coproduits sortent des abattoirs avec un document d'accompagnement en trois exemplaires, les flux sont tracés systématiquement, les transporteurs sont enregistrés, les échantillonnages avant expédition sont effectués systématiquement. Un système informatique relevant de la direction générale de l'alimentation (DGAl) existe également. Nous sommes très contrôlés.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Quelles modifications législatives vous paraissent nécessaires ?

M. Jean-Louis Hurel . - Je pense qu'il ne faut pas de législation nationale spécifique, sinon, nous pénaliserons nos filières. Il faut laisser l'Union européenne définir les règles du jeu. Je prends un exemple : alors que la directive déchet ne devait pas s'appliquer aux produits régis par le règlement n° 1774/2002, la transcription de cette directive n'a pas repris l'exclusion des sous-produits de son champ d'application. Je n'ai pas eu de réponse du ministère de l'écologie sur ce point.

M. Léonidas Kalogéropoulos . - Il existe aussi une anomalie fiscale sur l'application d'une taxe aux graisses utilisées dans nos usines, comme combustible.

M. Jean-Louis Hurel . - Notre syndicat a adressé au Gouvernement une lettre pointant les risques de pénalisation de la filière viande en France en listant l'ensemble des particularités réglementaires françaises pénalisantes.

Audition de M. Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie (DIIAA) (mercredi 5 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui le délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie, qui est au coeur de la réflexion sur le lien entre la production agricole et sa transformation industrielle.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - En effet, nous sommes impatients d'entendre vos préconisations pour la filière viande, qui est aujourd'hui en graves difficultés.

M. Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie . - J'ai été nommé dans les fonctions de délégué interministériel par un décret du 19 juillet 2012. La délégation interministérielle aux industries agroalimentaires avait été créée en 2005. Elle est aujourd'hui placée sous la tutelle de trois ministres : celui chargé de l'agriculture, celui chargé du redressement productif et enfin, le ministre délégué à l'agroalimentaire. La fonction principale du délégué interministériel est de coordonner l'action des différents services de l'État intervenant dans le domaine de l'agroalimentaire, qu'il s'agisse de commerce extérieur, de recherche, ou même de santé. Le délégué interministériel doit veiller à la cohérence de l'action de l'État dans le domaine qui lui est confié.

Depuis juin 2012, le Gouvernement présente la particularité de compter un ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. Dès lors, en tant que délégué interministériel, j'ai été amené à me concentrer sur des missions particulières portant sur la filière avicole et sur la filière porcine.

Je souligne l'importance du secteur des industries de la viande en France. Il est fondamental au demeurant de raisonner au niveau des filières, car il existe un continuum entre agriculture et industrie. Nous avons une politique agricole. Nous avons une politique industrielle. Nous devons avoir une même politique pour ces deux secteurs.

Le revenu des agriculteurs est d'ailleurs dépendant des rapports avec la transformation. Il résulte de moins en moins des négociations menées à Bruxelles. Il faut donc mieux connecter l'amont agricole avec l'aval, pour créer de la valeur collective tout au long de la filière. C'est là une des premières fragilités du système aujourd'hui : le problème de compétitivité n'est pas d'abord celui de l'agriculture ou d'abord celui de l'industrie, c'est celui de la filière dans son ensemble. La qualité des rapports d'échange entre acteurs est également fondamentale : si l'un des maillons de la chaîne crée de la valeur, et qu'ensuite il y a destruction de valeur, l'ensemble de la filière est affaiblie.

Il est donc fondamental de définir une stratégie collective de filière. Or, nous constatons trop de conflits aujourd'hui entre les différents maillons des filières. La grande distribution est de ce point de vue au banc des accusés. On peut créer de la valeur en amont et la détruire en aval. Lorsque la grande distribution fait des promotions massives, vendant un produit qui vaut 4 € le kilo à 1,50 € le kilo pendant une semaine, elle détruit le référentiel de prix du consommateur.

La France dispose d'un potentiel agricole fantastique, d'un potentiel industriel incontesté, et de réelles opportunités pour conquérir des marchés à l'international. Les appellations d'origine contrôlée (AOP) constituent un bon modèle de création de valeur sur l'ensemble d'une filière. Le champagne était pauvre avant d'être riche. C'est l'unité de vue, l'unité de stratégie entre acteurs qui a permis de créer une valeur collective pour la filière.

Il est certes important de régler les problèmes de compétitivité des outils industriels et des élevages, de mettre fin aux distorsions de concurrence, notamment avec l'Allemagne en matière de coûts de main d'oeuvre, mais nous ne gagnerons pas la bataille par une stratégie de compétitivité orientée uniquement vers la baisse des coûts. Il faut sortir des difficultés par le haut, par la création de valeur collective.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La France ajoute-t-elle une couche de normes nationales aux normes européennes, pénalisant les acteurs économiques ?

M. Alain Berger . - L'exemple de la filière porcine est de ce point de vue significatif. Le problème le plus criant de cette filière réside dans la surcapacité des abattoirs, dans un contexte où la production a baissé de 2 millions de porcs depuis 2010, soit l'équivalent de la capacité d'un gros abattoir industriel. Cette baisse de la production s'explique par l'insuffisante modernisation des élevages, en partie à cause de la réglementation environnementale. Il est légitime de disposer d'un encadrement réglementaire pour protéger l'environnement mais le régime d'autorisation des constructions ou agrandissements d'élevages, considérés comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), est trop contraignant.

Or moderniser les élevages est indispensable sur le plan économique pour gagner en compétitivité, mais aussi sur le plan environnemental. J'ai la conviction que des outils de production plus modernes permettront de mieux gérer les effluents. Ce n'est pas facile à faire comprendre. Le carcan réglementaire du régime d'autorisation doit être desserré, au profit d'un régime d'enregistrement, qui est permis par le droit communautaire. Il ne s'agit pas d'aller vers des élevages de 1 000 truies, mais d'offrir aux éleveurs la possibilité de s'agrandir avec des cheptels de 30, 40 ou 50 truies supplémentaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Dans mon département, les jeunes qui veulent s'installer se plaignent de procédures compliquées mais aussi très longues.

M. Alain Berger . - C'est la réalité. Avec le dispositif d'enregistrement, les délais seront raccourcis à cinq mois. La procédure reste transparente, avec affichage des projets dans les mairies concernées. Les éleveurs devront apporter toutes les garanties environnementales requises. On n'a pas encore bien mesuré les efforts faits par les éleveurs depuis 20 ans. En Bretagne, je constate que de nombreuses exploitations recyclent totalement leurs effluents. Certains voudraient encadrer aussi le droit au recours contre les projets de construction ou d'agrandissement d'élevages. Or, le droit au recours est un droit fondamental garanti par la Constitution. On ne peut donc pas aller trop loin sur ce point.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Des procédures compliquées et longues en France sont sources de surcoûts des projets. Comment aider financièrement les jeunes à s'installer ?

M. Alain Berger . - Les professionnels de la filière porcine m'ont indiqué que la question du financement n'était pas le problème principal. Bien sûr, des aides publiques peuvent accompagner la modernisation des élevages. Mais le principal point de blocage reste réglementaire. La mise en place d'une procédure d'enregistrement permettra de stopper l'hémorragie de la production et de remonter à 25 millions de porcs produits par an en France pour réalimenter les outils d'abattage.

Un autre point essentiel pour améliorer la situation de la filière porcine relève d'une meilleure gestion collective de l'abattage-découpe. Les opérateurs sont en conflit les uns avec les autres et la coordination entre eux est très difficile. Certains éleveurs vont même faire abattre leurs porcs en Allemagne, alors qu'ils ont un abattoir porcin à quelques kilomètres.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Concrètement, comment faire ?

M. Alain Berger . - Dans la filière porcine, la transformation est un maillon essentiel et très fragile : 70 % du porc est transformé. Or, la plus grande entreprise de salaisonnerie ne représente que 8 % du marché. Pendant plusieurs années, ces entreprises n'ont pas répercuté sur leur aval leurs hausses de coûts de production. Les industriels devraient pouvoir davantage objectiver les hausses de leurs charges, avec des indicateurs sur les pièces de découpe porcine. Des clauses devraient être intégrées dans les contrats avec la distribution.

Une autre action à mener en viande porcine est de développer le label viande porcine française (VPF). Les transformateurs ne veulent pas de ce label car d'une part, cela complique leur gestion de la matière première, et d'autre part, leurs marges de transformation, déjà très contraintes, pourraient être encore rognées, s'il n'y a pas de hausse des prix des pièces de découpe, qui sont plus chères en France. Pour acheter français, il faudra que le consommateur accepte de payer un peu plus cher.

Cela me permet d'aborder un sujet fondamental : il me semble essentiel d'arrêter de détruire la valeur de l'alimentation. On arrive aux limites de l'exercice aujourd'hui. Les prix de détail posent de véritables problèmes en termes de rémunération de l'amont agricole et industriel. Quand un opérateur économique est soumis à des contraintes de prix aussi fortes, il développe des stratégies de survie en dégradant ses produits, en mettant par exemple plus de gras à la place du maigre, en allant chercher ses ingrédients là où c'est moins cher. Certaines alertes remontent. Est-ce scandaleux de payer ses cerises 4 € le kilo, lorsque l'on sait qu'en une heure, on en ramasse 10 kilos ? Dans son budget, le consommateur a des postes contraints. Pourquoi l'alimentaire serait la variable d'ajustement ? Rappelons-nous qu'au sens large, le secteur alimentaire en France représente 2 millions d'emplois.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Peut-on faire partager cette idée au niveau européen ?

M. Alain Berger . - Le dialogue a lieu au niveau européen, notamment avec l'Allemagne, mais il ne réglera pas tout. Il faut sortir de la logique de destruction de valeur des produits alimentaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On nous dit que l'on ne sert plus de porc en restauration collective scolaire, expliquant une baisse de la consommation de cette viande.

M. Alain Berger . - C'est inexact. La consommation de viande porcine ne cesse d'ailleurs de progresser. C'est une viande accessible, bon marché, et qui doit le rester, sans aller en-dessous d'une certaine valeur.

Lors de la crise de la vache folle, la filière viande bovine française a mis en place une vraie stratégie de valorisation de la production nationale à travers le label viande bovine française (VBF). Nous devons nous inspirer de cette expérience.

Dans la filière avicole, la situation est assez claire : la France perd des parts de marché à l'exportation mais aussi sur son marché domestique. Le diagnostic est cependant différent que celui porté sur la filière porcine. A mes yeux, la compétitivité de la filière avicole passe par celle de l'outil industriel d'abattage-découpe. Il faut développer des stratégies porteuses sur le marché à partir d'une amélioration de la compétitivité du maillon industriel. Notre potentiel avicole est tel que l'on peut mettre en oeuvre toutes les stratégies : développer les produits d'entrée de gamme, avec beaucoup de pièces découpées, les produits d'export, mais aussi les poulets sous label. Il est nécessaire d'ailleurs de jouer sur tous les tableaux. La spécialisation de notre production avicole serait une erreur. Pour réoccuper notre marché intérieur, il faut développer les poulets d'entrée de gamme et les pièces de découpe. Mais il ne faut pas pour autant négliger les produits labels qui sont une locomotive. L'amélioration de notre position sur les produits d'entrée de gamme passe par la mise en place d'outils industriels très performants, capables de rivaliser avec les autres acteurs du marché, en particulier les belges et les néerlandais. Rappelons-nous que nous importons 44 % de notre consommation, surtout depuis les autres pays européens.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les éleveurs de poulet ont autant de difficulté à s'installer que les éleveurs de porcs.

M. Alain Berger . - Dans la filière avicole, il existe une tradition de contractualisation entre l'industrie et les producteurs. Mais les outils ne sont pas encore assez modernisés. Il faut probablement rendre les producteurs un peu moins dépendants de l'industrie, tout en conservant la logique de contrats pluriannuels. Le poids des importations en France s'explique par la faiblesse de nos outils industriels. Sur les poulets d'entrée de gamme, il est difficile de gagner de l'argent, sauf si l'on a de gros volumes. Gagner de l'argent dans l'entrée de gamme est plus facile lorsque l'on fait aussi du poulet label. La force de la France réside dans la diversité de ses productions avicoles, qui n'existe pas dans les autres pays et permet à la France de disposer d'une compétitivité spécifique.

Comme dans d'autres filières, la filière poulet doit revoir ses rapports à la grande distribution. Les promotions sont destructrices de valeur car elles laissent penser au consommateur que le poulet doit avoir un prix très bas. Les distributeurs n'ont d'ailleurs pas intérêt à long terme à cette spirale des prix bas. Si l'on détruit les emplois de l'agroalimentaire, les consommateurs risquent d'être d'ailleurs demain moins nombreux ou moins riches.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les distributeurs nous disent que le rayon viande est déficitaire, comment inverser cette tendance ?

M. Alain Berger . - Les travaux de l'Observatoire des prix et des marges sont remarquables. Je constate que les distributeurs ne ferment pas leur rayon boucherie. Il en va de même pour les rayons de produits de la mer dans les supermarchés : ils sont déficitaires, mais ils augmentent la fréquentation du magasin. On ne peut pas raisonner sur chaque rayon sans prendre en compte l'ensemble.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les filières viande ne sont-elles pas marquées par un trop grand éclatement des interlocuteurs et un trop grand nombre d'intermédiaires ?

M. Alain Berger . - L'outil de transformation dans l'agroalimentaire est très éclaté, ce qui fragilise les entreprises dans leurs rapports de négociation avec l'aval. Pour autant, nous n'avons pas intérêt à n'avoir que des grosses entreprises dans ce secteur. Il en va de l'aménagement du territoire, mais aussi de l'efficacité des entreprises. Certaines PME sont très performantes, et exportent.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pourquoi n'existe-t-il pas d'interprofession unifiée dans le secteur de la volaille ?

M. Alain Berger . - Le secteur de la dinde et celui du poulet dialoguent depuis peu. Le secteur de la dinde est en grande difficulté, avec un marché qui s'effondre, au profit du poulet lourd. La mise en place d'une interprofession unifiée est en marche. C'est la clé du succès. L'interprofession pourra élaborer une démarche de type « volaille française ».

A mon sens, un signe de l'origine doit être accompagné d'un cahier des charges imposant des normes de qualité, à la fois organoleptique, sociale et environnementale, ou encore sur le plan du mode de production. Le consommateur ne peut pas être rassuré que par une indication de provenance. C'est une démarche similaire à celle du commerce équitable.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La transparence peut-elle restaurer la confiance du consommateur ou cette idée est-elle un leurre ?

M. Alain Berger . - Il est difficile de modéliser le comportement du consommateur. Il est évidemment légitime que le consommateur sache ce qu'il consomme. Mais un produit alimentaire est complexe. Le maximum d'information doit être donné, à condition qu'elle soit claire.

Méfions-nous des fausses bonnes idées. L'équilibre alimentaire est complexe. Pour ma part, je ne suis pas un grand défenseur des taxes comportementales, qui ne modifient pas beaucoup le comportement du consommateur et conduisent à se focaliser sur un ingrédient particulier. Il faut se méfier des campagnes sur le zéro sucre ou zéro matière grasse. Il s'agit le plus souvent de marketing. Prenons un exemple : la composition des vins. Peut-on réduire un vin à sa formule chimique ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Sur les produits transformés à base de viande, nous n'avons pas assez d'information tout de même. L'affaire de la viande de cheval l'a démontré.

M. Alain Berger . - L'affaire de la viande de cheval est une affaire de fraude. On a indiqué au consommateur que le produit était « pur boeuf » alors qu'il contenait du cheval.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Indiquer l'origine française de la viande utilisée contribuerait à rassurer le consommateur, même si seulement la moitié de la viande utilisée dans un plat préparée est d'origine française. C'est un début.

M. Alain Berger . - J'y suis plutôt favorable. Mais nous devons en mesurer les conséquences, notamment en salaisonnerie. D'une manière générale, les français ne sont pas très chauvins en matière d'alimentation, contrairement aux anglais par exemple qui sont très sensibles aux labels comme le « buy british ». Or, il faut être fiers des produits français, qui devraient être étiquetés comme tels, en garantissant une qualité à côté de l'origine. Les enseignes françaises sont parfois frileuses.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le chauvinisme alimentaire existe dans de très nombreux pays. Je l'ai constaté en Roumanie.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelles mesures préconisez-vous pour la filière bovine ?

M. Alain Berger . - Agir sur la filière bovine est plus compliqué que sur les filières avicole et porcine. Une partie du marché de la viande bovine est alimenté par le troupeau laitier. Il existe cependant un point commun : le salut viendra d'une véritable stratégie de filière. Que les opérateurs se fassent concurrence et ne coopèrent pas entre eux n'est pas efficace.

L'objectif doit être d'augmenter la valeur ajoutée produite sur notre territoire. Le marché demande des produits de plus en plus transformés. Autant qu'ils le soient en France.

Pour conclure, je voudrais indiquer que je reste optimiste pour la filière viande en France. Les acteurs doivent simplement davantage dialoguer et retrouver la confiance. Les plans proposés pour la filière porcine et la filière volaille n'ont pu être élaborés qu'en faisant travailler tous les acteurs de chacune de ces filières ensemble. Ces plans ont été validés par eux. C'est la condition du succès.

Audition de M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes au ministère de l'intérieur (mercredi 5 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , président. - Notre mission commune d'information s'intéresse à tous les aspects du fonctionnement de la filière viande

Nous vous avons plus particulièrement sollicité à propos de l'abattage rituel, qui relève de votre domaine de compétences.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La mission du bureau central des cultes du ministère de l'intérieur est de permettre le libre exercice des cultes, tout en veillant que les droits attachés soient accompagnés par le respect des devoirs qui y sont associés, notamment le principe de laïcité. Je rappelle que la France ne reconnaît aucune religion, mais garantit la liberté de conscience et donc de culte.

C'est dans le cadre de cette garantie qu'une dérogation permet aux Juifs et aux Musulmans d'égorger les animaux rituellement, sans préalablement les avoir étourdis, comme le prévoit la loi. Mes questions ne porteront pas sur la liberté de culte, ni sur l'opportunité ou non d'interdire l'abattage sans étourdissement, mais sur le financement.

Combien les filières d'abattage rituel rapportent-elles chaque année aux cultes juifs d'une part et au culte musulman d'autre part ?

Les abattoirs reversent-ils de l'argent aux différents cultes ? Dans ce cas, pouvez-vous nous en indiquer les montants ? Le Consistoire juif de Marseille, qui regroupe un millier de fidèles, percevrait chaque année plus d'un million d'euros par le biais de ces filières d'abattage rituel. C'est ce que j'ai pu voir sur son site Internet. Pouvez-vous nous le confirmer et nous indiquer les sommes perçues par les autres consistoires et par les organisations islamiques ? Le ministère de l'intérieur trace-t-il cet argent ? A qui est-il destiné ? Ne craignez-vous pas des abus ?

Compte tenu des sommes en jeu, n'existe-t-il pas des risques de financement d'organisations à l'étranger, voire d'organisations extrémistes, j'ose le dire, voire paramilitaires ou terroristes sur notre sol ?

La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui dépend de votre ministère, suit-elle la piste de l'argent issu de filières casher ou de l'argent halal ?

Nous recevons après vous M. Michel Turin, écrivain et journaliste, auteur de l'ouvrage intitulé « Halal à tous les étals ». Je lui poserai également la question, puisqu'il fait mention du travail de la DCRI dans son livre...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous avez la parole...

M. Louis-Xavier Thirode . - Je vous remercie d'avoir proposé au bureau des cultes de participer aux travaux de cette mission, qui est importante pour la filière viande et qui, dans un certain nombre de ses aspects, concerne la modalité particulière de l'abattage rituel.

Ceci entre pour partie dans les attributions du bureau central des cultes, puisque nous suivons notamment les conditions d'habilitation des sacrificateurs religieux, et que nous participons, en lien étroit avec le ministère de l'agriculture, au travail commun entre les participants de la filière viande, les représentants des cultes, les autorités communautaires, et les différents appareils réglementaires organisant l'abattage rituel.

Je précise que je ne suis absolument pas compétent en pour parler de l'activité de la DCRI, ou des services de la sous-direction de l'information générale (SDIG) concernant le financement ou les activités d'ordre terroriste.

Quels pays en Europe, mis à part la France, autorisent l'abattage sans étourdissement pour raison religieuse ? Pour ce que nous suivons des travaux communautaires, je peux vous indiquer que tous les pays européens autorisent l'abattage sans étourdissement, à l'exception de la Suède et de la Lettonie.

En Europe, deux cas méritent toutefois d'être signalés plus particulièrement, celui de la Pologne, d'une part, et celui des Pays-Bas, d'autre part. En Pologne, une loi de 2004 interdisant l'abattage rituel a en effet été suspendue par le gouvernement de ce pays. Cette décision d'abrogation a été déféré à la Cour constitutionnelle, qui l'a annulée. Le Gouvernement polonais réfléchit à une nouvelle loi ou à de nouvelles initiatives. Beaucoup d'abattages rituels se pratiquent en Pologne, donnant lieu à un certain nombre d'exportations. Pour faciliter la vie de ses exploitants, la Pologne a donc décidé de réfléchir à sa législation.

Aux Pays-Bas, beaucoup de débats ont eu lieu, notamment en 2011, à propos de l'abattage rituel sans étourdissement. Une loi a été votée par la Chambre basse, en juillet, infirmée par la Chambre haute, à la fin de la même année. Les discussions se sont prolongées en 2012, et un accord entre professionnels et représentants religieux est intervenu sur les possibilités d'un étourdissement post-saignée, déterminant les conditions dans lesquelles celui-ci pouvait avoir lieu. Mis à part ces deux cas, il existe donc, partout en Europe, une autorisation pour l'abattage sans étourdissement.

Quels sont les chiffres relatifs à la pratique de l'abattage relevant des rites halal ou casher en France ? Ces chiffres ont donné lieu à beaucoup de discussions. Comme le ministère de l'agriculture, nous travaillons sur les enquêtes réalisées en 2008 et 2010 à propos du tonnage abattu rituellement, chiffres rendus publics en mars 2012 par le ministère. Nous parvenons ainsi à 14 % de tonnage rituel, soit environ 26 % de nombre de têtes abattues, la différence s'expliquant par un plus grand nombre de petits animaux que de bovins.

Sur 226 000 tonnes d'abattage rituel, hors volailles, on compte environ 20 000 tonnes d'abattage casher et 200 000 tonnes d'abattage halal, ce qui correspond aux proportions des deux religions concernées.

Ces chiffres doivent être complétés et améliorés. Un dispositif de suivi a été mis en place en juillet 2012 par le ministère de l'agriculture au sein de l'Observatoire national des abattoirs. Il va donc falloir compléter les études produites l'an passé, basées sur des chiffres de 2008 et de 2010.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les commandes doivent-elles correspondre aux abattages ou vice versa ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Oui.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne disposez-vous pas de quelques approches par rapport aux commandes ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Pas pour l'instant. Ce sont les services vétérinaires et les services du ministère de l'agriculture qui récupèrent les données. Nous n'avons pas vocation à suivre les tonnages d'abattage rituel. Les premiers résultats devraient pourvoir émerger d'ici quelque temps.

Quel est le poids économique de la certification des viandes rituelles, qu'elles soient halal ou casher ? Il existe des informations de trois ordres au sujet de ces filières de certification. En premier lieu, certains universitaires travaillent sur ce sujet. La meilleure spécialiste est Mme Bergeaud-Blackler, qui a réalisé plusieurs études sur l'organisation du système de contrôle. Des cabinets de conseil se penchent par ailleurs sur l'organisation des filières. L'un des plus connus est Solis, petit cabinet qui s'est spécialisé dans le halal. Enfin, les organismes de contrôle eux-mêmes communiquent sur ce sujet, comme « A votre service » (AVS), qui a publié un livre en 2010. Le marché de la certification est un marché libre et ouvert à la concurrence ; il comporte trois étages de réglementation - sanitaire, habilitation sacrificielle, et suivi, celui-ci étant laissé à des organismes de contrôle.

Les trois mosquées qui bénéficient d'autorisations de délivrer des cartes de sacrificateurs ont pu faire état devant vous du nombre de sacrificateurs dont elles disposent. Les organismes de certification sont tous un peu différents, mais toutes les structures ont été dupliquées.

Je retiendrai l'exemple d'AVS, un des principaux acteurs de la filière, qui déclare employer cent-cinquante personnes, et qui propose un coût de certification de 0,1 euro par kilo de viande de boeuf à 0,05 euros pour la volaille, soit un coût moyen d'environ 0,8 euros par kilo. Lors des auditions, je crois que les représentants musulmans ont parlé d'un chiffre de 0,3 euros par kilo...

Dans la religion juive, ce coût est d'environ 1 euro par kilo, avec un système bien plus centralisé, dépendant essentiellement d'une commission interrabbinique dont le siège est à Paris, et qui rémunère les contrôleurs.

Il faut évacuer certaines idées à propos des circuits de financement. Il n'existe pas de redevance religieuse à proprement parler sur l'abattage rituel. On trouve deux types de flux financiers. Les cartes de sacrificateurs sont vendues par les mosquées. Mme Bergeaud-Blackler a chiffré le prix d'une carte annuelle à environ 150 euros par sacrificateur. Ensuite, le coût de la certification, quant à lui avoisine, on l'a vu, quelques centimes d'euros par kilo. Cet argent rémunère les organismes mais non le culte.

S'il existait une véritable manne financière liée à l'abattage rituel, le culte musulman aurait certainement moins de difficultés à financer un certain nombre de ses activités, ce qui n'est pas forcément le cas !

Il pourrait être intéressant de connaître le profit réalisé par les organismes de certification et de disposer d'une étude de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou des services fiscaux pour en évaluer les recettes - mais elles ne sont guère gigantesques.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous confirmez donc que cet argent n'est pas destiné aux cultes, mais aux seuls organismes de certification ?

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est ainsi qu'ils financent leurs salariés, pour l'essentiel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le rabbin Bruno Benjamin, sur le site du Consistoire juif de Marseille, affirme que la viande casher est au coeur des préoccupations du président délégué du Consistoire israélite de Marseille : « Elle fournit, à travers la taxe rabbinique, perçue pour l'attribution du certificat de cacheroute, 40 % de son budget annule de 3 millions d'euros ». Bruno Benjamin détaille les conditions dans lesquels est produite la viande destinée à la communauté juive de Marseille : il faut abattre environ deux-cents bêtes pour en obtenir cinquante à soixante... Il parle de 40 % d'un budget de 3 millions d'euros pour faire fonctionner sa synagogue, et explique même où va l'argent lorsqu'il existe un surplus. Je suis donc quelque peu surprise...

M. Louis-Xavier Thirode . - Ce n'est pas surprenant : l'argent payé sur les kilos de viande sert essentiellement à rémunérer les personnels chargés de la certification, qui dépendent des consistoires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il n'y a finalement pas grande séparation.

M. Louis-Xavier Thirode . - L'activité de certifications, dans la religion juive, dépend des consistoires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - 1,2 million d'euros par an pour deux-cents moutons ! Ce n'est pas mal !

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est à peu près 1 euro par kilo.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ce sont eux qui l'affirment. Vous pourrez le trouver sur Internet...

M. Louis-Xavier Thirode . - Il existe un certain nombre de vérificateurs, ce qui nécessite de payer des salaires, des charges sociales, etc... Ce ne sont donc pas des montants extravagants pour une société de cent-cinquante personnes, comme AVS. Je ne connais pas le nombre de leurs sacrificateurs. Il faudra le demander au responsable de l'abattage. L'essentiel des coûts est consacré à la rémunération du contrôle et de l'autocontrôle de la viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je suis surprise : vous affirmez qu'il faut financer les certificateurs. Or, on nous a soutenu que les sacrificateurs étaient payés par les abattoirs...

M. Louis-Xavier Thirode . - Oui, ils le sont, mais les abattoirs rémunèrent un organisme de certification. Dans la religion juive, il s'agit des consistoires. Dans la religion musulmane, il existe plusieurs organismes. Certains sont totalement privés, comme AVS ; d'autres sont liés aux mosquées, mais comprennent également des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - D'où vient l'argent et où va-t-il ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Le coût final est répercuté sur le consommateur. Les bouchers achètent de la viande certifiée, ce qui représente un léger surcoût, dû à l'existence d'organismes chargés de la certification.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - M. Benjamin explique : « Nous avons agréé un abatteur, Bigard en l'occurrence, chez lequel se rendent nos trois sacrificateurs, chaque semaine - à Castres et à Dijon pour les ruminants, à Valence pour la volaille - sous le contrôle du dayan, le juge rabbinique. La consommation de la communauté marseillaise est de 50 à 60 bêtes par semaine mais, pour obtenir cette quantité, il faut en égorger 200, car les rabbins refusent les animaux dont les poumons présentent des adhérences ». Cette taxe porte-t-elle sur deux-cents ou cinquante à soixante bêtes ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Elle porte sur la viande revendue in fine . C'est pourquoi la tarification est plus importante dans la religion juive que dans la religion musulmane. Le paiement est acquitté par le consommateur final, au moment où il achète la viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Si l'on compte 50 moutons par semaine, cela représente 2 500 moutons par an. Ils empochent donc 1,2 million d'euros ! Cela fait cher le mouton !

M. Louis-Xavier Thirode . - Je ne connais pas ces chiffres. Il m'est donc extrêmement difficile de réagir à chaud...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela relève de votre ministère. Je m'étonne que vous ne soyez pas allé sur ce site !

M. Louis-Xavier Thirode . - Ainsi que je l'ai dit au début, l'organisation des systèmes de certification s'inscrit dans le cadre du principe de liberté du commerce et de l'industrie. Dans la religion juive, le système est assez codifié, et centralisé par les consistoires. Dans la religion musulmane, il existe beaucoup plus de sociétés, mais l'appréciation relève de la relation entre le producteur, le boucher et le consommateur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela signifie-t-il que l'agriculteur sait où va son mouton ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, je parle ici de l'industriel ou de celui qui achète la bête pour la vente. Je ne peux me prononcer à propos du Consistoire de Marseille en particulier...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Je voulais savoir si vous étiez au courant...

M. Louis-Xavier Thirode . - Le système est centralisé dans les consistoires. Nous n'étudions pas leurs comptes : il s'agit d'associations.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - On nous a dit que la viande casher n'était considérée comme telle que jusqu'à la septième côte, les arrières n'étant pas consommés, mais réintroduits dans le circuit de commercialisation courant. Le coût porte-t-il sur la partie considérée comme casher ou sur la totalité de l'animal ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Le coût ne porte que sur la partie déclarée casher.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais l'ensemble de la bête est cependant certifié...

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, la viande qui correspond à la partie irriguée par le nerf sciatique n'est pas casher. En Israël, il existe des systèmes permettant de dénerver autorisant la consommation de l'ensemble des bêtes. Dans ce cas, la viande est déclarée entièrement casher. Dans les autres cas, la partie arrière n'est pas considérée comme casher.

Pour ce qui est de l'organisation plus précise des dispositifs de financement et de certification, en particulier s'agissant du Consistoire juif de Marseille, je vous invite à questionner les autorités juives, qui seront sans doute plus précises sur ce point.

Quoi qu'il en soit, l'essentiel des ressources de financement sert à faire vivre le système de certification et les sacrificateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On pourrait donc imaginer qu'un autre culte souhaite apposer sa certification sur d'autres animaux : il n'y aurait donc pas de problème.

M. Louis-Xavier Thirode . - Les seuls cultes présents en France qui imposent des interdits alimentaires sont les cultes juifs et musulmans. La viande casher ou halal n'a de valeur religieuse que parce que les autorités compétentes les ont déclarées casher ou halal. La déclaration casher ou halal par un autre culte n'aurait aucune valeur.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On peut donc imaginer qu'on consomme un gigot d'agneau de Pâques casher, les arrières partant dans le circuit !

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, ce ne sera ni casher, ni halal, puisque ce n'est pas déclaré comme tel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est donc subliminal !

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, au contraire, c'est très explicite !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Lorsqu'on remet dans le circuit une partie d'un animal tué selon un rite, sans étourdissement préalable, pour répondre à un culte, n'avez-vous pas l'impression que la liberté de conscience des autres cultes est mise à mal ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, absolument pas ! Retournons la question : un musulman ou un juif ne consommera pas la partie d'un animal s'il n'est pas sûr que celui-ci n'a pas été abattu rituellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Parce qu'il a la chance de savoir si la partie est halal ou casher ou pas. Mais comment ceux qui ne le savent pas arrêtent-ils leur choix ? Ils n'ont pas de choix à exercer ? C'est noté !

M. Louis-Xavier Thirode . - Pas du tout ! Cela n'a pas de valeur !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est vous qui le dites !

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, une viande n'est halal ou casher que si elle a été déclarée comme telle. Dans le cas contraire, cette viande n'a aucune valeur religieuse.

C'est comme si vous parliez de l'agneau de Pâques ou des troupeaux qui se font bénir avant d'aller faire du fromage dans les montagnes : pour celui qui n'y croit pas, cela n'a aucune incidence.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il y a une incidence pour l'animal qui est étourdi ou non auparavant ! Si le choix n'est pas religieux, il peut être philosophique.

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est un autre débat.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est quelque peu lié !

M. Louis-Xavier Thirode . - Sur le plan religieux, cela n'a pas de valeur. L'abattage sans étourdissement correspond à une évolution des modes d'abattage. Il y a plusieurs années, tout le monde abattait sans étourdissement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il y a quelques siècles de cela !

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, il y a quelques dizaines d'années !

M. Joël Labbé . - Au siècle dernier !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On a mis en place l'étourdissement parce qu'il présentait un intérêt à plusieurs titres.

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est un autre débat. On ne mange pas halal à son insu. On ne mange halal que si on le sait. Cela n'a de valeur que parce que c'est certifié -ou parce que c'est dit ! La valeur religieuse ou de l'aliment disparaît s'il n'est pas déclaré par quelqu'un de compétent.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La valeur de l'aliment disparaît, mais pas celle des euros !

M. René Beaumont . - Je considère que l'abattage, halal ou casher est, au sens propre du terme, une valeur ajoutée incontestable. Est-elle justifiée par des coûts de fabrication ? Non, le seul coût spécifique de fabrication étant le coup de couteau pour l'égorgement, les appareils étant fournis gracieusement par l'abattoir : le passage des animaux à abattre par le système de contention particulier à l'abattage sans étourdissement ne présente en effet pas de surcoûts et s'amortit dans le temps, sur l'ensemble du fonctionnement de l'abattoir.

La seule valeur ajoutée réside donc dans le coup de couteau et dans la certification, vous avez raison de le souligner. Il semble évident - ce sont d'ailleurs les consistoires qui le disent - que ceci vient alimenter les caisses des consistoires et des mosquées. C'est une évidence, on le sait tous ! Où est l'égalité, dans un pays où tout le monde recherche celle-ci ? On pourrait demander que les mêmes sommes soient accordées aux autres cultes pour alimenter leurs chapelles. Si l'on veut être honnête, il faut que l'égorgeur soit un fonctionnaire. Un de plus ou de moins, au point où l'on en est, ce n'est pas grave ! Ce serait là une économie importante et d'une équité totale. Un bénévole pourra tamponner les carcasses. S'il faut le payer, les cultes enverront quelqu'un pour le faire ! Il y a une injustice notoire dans ce système. Il faut essayer de la considérer comme il convient. Cela irrite beaucoup de gens, croyez-moi ! La viande, produit de grande consommation, est la même, quelle qu'elle soit. Or, l'une coûte plus cher que l'autre, du fait de frais qui ne concernent pas le travail de la viande. C'est une injustice notoire. On va me rétorquer que les non-croyants ne demandent rien, mais un certain nombre de croyants vont réclamer, et l'on va au-devant d'une situation qui va se révéler très vite inabordable !

M. Louis-Xavier Thirode . - Pourquoi est-ce une injustice, puisque c'est le consommateur qui veut consommer ce type de viande qui paye ? Il paie la certitude de consommer une viande qu'il considère comme casher ou comme halal. C'est à lui qu'incombe le coût et non à la société dans son ensemble.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais aujourd'hui, vous n'êtes pas capable de mettre en face les commandes et les abattages. Qu'est-ce qui nous dit qu'il n'existe pas aujourd'hui une injustice ?

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est précisément pour cela que le nouveau règlement a été adopté. Il a été mis en place l'an dernier : regardons, par rapport aux chiffres précédemment cités, l'état des commandes et de l'abattage. Je pense qu'il y aura des remontées assez précises. J'ai du mal à voir où est l'injustice !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Beaucoup la voient !

M. René Beaumont . - Je ne suis d'ailleurs pas sûr que le kilo de viande halal ou casher soit plus cher que les autres !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Non, il existe des exemples où il ne l'est pas.

M. René Beaumont . - Il y a donc là un vrai problème !

M. Louis-Xavier Thirode . - Le consommateur paie une certification, un label. On peut critiquer la manière dont ce label est élaboré. Les processus de certification manquent certainement de transparence. L'Association française de normalisation (AFNOR) a mené des réflexions à ce sujet. Le consommateur choisit entre plusieurs types de viande et accepte d'en payer le prix.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Rassurez-moi : la République ne reconnaît-elle toujours aucune religion ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Elle ne reconnaît aucun culte !

M. Louis-Xavier Thirode . - Elle ne reconnaît aucun culte...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Sauf en Alsace-Moselle !

M. Louis-Xavier Thirode . - Il existe dans le droit français un dispositif permettant d'organiser ce libre exercice des cultes. C'est une obligation de la République laïque, qui figure dans la loi de 1905. L'article premier garantit le libre exercice du culte. C'est pourquoi il existe des formes associatives spécifiques pour les associations cultuelles, qui leur permettent de bénéficier d'importants dispositifs de soutiens fiscaux, par exemple.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelle est la garantie réelle qu'ont les Musulmans et les Juifs de consommer des viandes halal ou casher ?

M. Louis-Xavier Thirode . - L'organisation de l'abattage comporte trois étages. Le premier est celui que vous a présenté la Direction générale de l'alimentation (DGAL), qui organise la dérogation qui se met en place, dont il faudra tirer le bilan, j'en suis d'accord.

Le second étage remonte, pour le culte juif, à un arrêté de 1982 pour le territoire national, et qui est plus ancien pour les territoires alsacien et mosellan. Il en existe un autre, symétrique, pour le culte musulman. Il précise que, dans le culte juif, en vertu du principe de libre administration des cultes, la commission interrabbinique est la seule habilitée à désigner les sacrificateurs. Ce sont eux - et eux seuls - qui ont droit d'intervenir dans l'abattage.

Pour les musulmans, ce système a été reproduit de manière un peu différente, puisqu'il n'existe pas de monopole. Trois mosquées sont seules habilitées à délivrer des cartes de sacrificateurs, celles de Lyon, Evry et Paris, que vous avez reçues. Ce sont ces autorités qui garantissent ce qui est casher ou halal. Il s'agit de règles religieuses.

Il existe enfin des organismes qui certifient que les processus suivis sont bien halal ou casher. Cette compétence est laissée à des organismes privés, liés ou non à des organismes religieux. Ce système fait appel à l'autocontrôle, beaucoup de gens se connaissant. Par ailleurs, si des organismes certifient sans vérifier ou se livrent à une quelconque fraude, on tombe alors sous le coup du droit commun, qui interdit d'apposer un label s'il ne correspond pas à la réalité d'un contrôle ou d'une production.

Ceci doit-il demeurer dans le droit commun ? Ne doit-on pas imaginer un accord pour harmoniser les procédures de contrôle entre les différents organismes ? Certainement ! Des réflexions ont d'ailleurs été émises en ce sens, notamment par l'AFNOR, en liaison avec le Comité européen de normalisation, qui recommande un cahier des charges destiné à vérifier que la politique de certification répond à certaines qualités. C'est une hypothèse de travail qui est peut-être à renforcer...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - L'idée de M. Beaumont de fonctionnariser ces sacrificateurs n'est peut-être pas mauvaise : on coupe ainsi court à tout problème !

M. Joël Labbé . - Il y a à cela des objections majeures, à commencer par la laïcité de notre République !

M. René Beaumont . - Vous payez bien tous les curés et tous les pasteurs d'Alsace et de Moselle !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Depuis que l'Alsace et la Moselle sont redevenues françaises, en 1918 !

M. René Beaumont . - Ce n'est pas un crime pour la République. La République subventionne bien la construction des mosquées et des synagogues !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ce n'est ni obligatoire, ni automatique !

M. René Beaumont . - La laïcité donne à tous l'autorisation d'exister. Cela n'a rien à voir avec l'absence de confessions religieuses. C'est souvent une confusion que l'on commet volontiers dans notre pays - et de plus en plus !

La loi de 1905 porte sur la liberté de tous les cultes, quels qu'ils soient. Il ne s'agit pas de l'absence de cultes.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il est dit que l'Etat ne subventionne aucun culte !

M. René Beaumont . - Mais il paye les prêtres et les pasteurs depuis 1918 !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je vous rappelle que, lorsqu'un certain candidat à l'élection présidentielle a proposé d'inscrire la laïcité dans la Constitution, nous ne nous sommes pas déclarés contre, contrairement à vous !

M. René Beaumont . - C'est possible, mais cela ne passera jamais, sauf à se mettre à dos tous les Alsaciens et les Lorrains !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous pouvez poursuivre...

M. Louis-Xavier Thirode . - Il existe une demande très nette des consommateurs qui veulent voir plus clair parmi les organismes de certification. Le halal est par ailleurs un marché important, ce qui ne signifie pas qu'il soit une source importante de financement pour les cultes. Cette labellisation des produits peut en effet avoir beaucoup de succès commercial. On parle de 5 à 6 milliards d'euros pour les industriels ou les professionnels, et non pour le culte. Les acteurs peuvent donc avoir parfois intérêt à jouer le flou et la souplesse de réglementation.

D'autre part, à qui confier la certification en cas de monopole ? Il imposera alors un certain nombre de tarifs, risquant ainsi de renchérir le coût de la vente. Il peut également exister des différences d'approche entre les courants musulmans sur la manière d'appréhender le halal. C'est sur ces désaccords théologiques qu'avaient butés les discussions du groupe de travail de l'AFNOR.

Si cela doit passer par une réflexion collégiale, le Conseil français du culte musulman (CFCM) paraît l'organe indiqué pour y réfléchir, mais ce ne sera guère facile, chacun ayant ses intérêts, et chaque opérateur voulant récupérer des parts de marché de certification, ce qui est normal s'agissant d'entreprises faisant vivre des salariés.

Concernant la question relative à l'assommage post-égorgement, celle-ci devra être adressée aux instances musulmanes. Je crois qu'ils ont déjà commencé à le faire. Celui-ci pose quelques difficultés. Ainsi, dans le processus AFNOR, une référence théologique s'était imposée, celle du Conseil européen de la fatwa, assez rigoriste en la matière. Je ne pense pas que l'assommage post-égorgement soit d'actualité chez les responsables musulmans.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il est déjà pratiqué en France, dans certains abattoirs, comme à Sablé-sur-Sarthe.

M. Louis-Xavier Thirode . - Il peut se pratiquer pour les volailles. Il y a parfois des étourdissements avant égorgement. C'est assez variable, mais les musulmans sont globalement sur une ligne assez stricte.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourtant, beaucoup de pays hors d'Europe étourdissent les animaux avant abattage et exportent chez nous des viandes certifiées halal et vendues comme telles.

M. Louis-Xavier Thirode . - Le fait d'encadrer trop strictement l'abattage halal risque de conduire à des positions théologiques bien plus strictes qu'elles ne pouvaient l'être.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - N'avez-vous pas l'impression qu'elles le sont déjà ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Elles se durcissent de plus en plus.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ce pourrait être pire ?

M. Louis-Xavier Thirode . - On peut évoluer vers une véritable « cachérisation » du halal, avec des normes bien plus fines qu'elles ne le sont actuellement. Le halal a moins de codifications juridiques que le casher et devient un élément de définition de l'identité. Plus on en parlera, plus on durcira la réglementation, plus on aura de produits en dehors des produits carnés -voyages halal, boissons halal...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est déjà le cas ! On trouve des rayons entiers de produits halal dans les grandes surfaces. N'est-ce pas une manne financière intéressante pour beaucoup ? Faire l'autruche est-elle la meilleure solution ? Il faut au contraire parler des choses !

M. Louis-Xavier Thirode . - Il ne s'agit pas de faire l'autruche, loin de là ! Il faut se poser la question de la qualité de la certification, notamment en réfléchissant à un cahier des charges commun sur les processus, les règles et l'organisation à respecter pour l'obtenir, la consolider et la crédibiliser. C'est la démarche qu'avait entamée le CFCM.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - 26 % des animaux abattus le sont selon un rituel halal ou casher, alors qu'on compte 7 % à 8 % de pratiquants musulmans et juifs en France. Ne trouvez-vous pas que cet écart est important ?

M. Louis-Xavier Thirode . - C'est précisément pour cela qu'il y a eu toute cette réflexion sur l'encadrement de l'abattage. Les chiffres cités sont ceux d'enquêtes de 2008 et de 2010. Il faudra voir ce que donne le nouveau système.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Je ne crois pas que l'on puisse diviser des animaux par des habitants. C'est plutôt le tonnage qu'il convient de rapprocher de la proportion de la population.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est vrai, mais cela représente beaucoup d'animaux qui meurent dans des conditions assez difficiles. Peut-être faudrait-il participer à l'évolution !

M. Louis-Xavier Thirode . - Il existe des obstacles juridiques à ce que la France interdise l'abattage sans étourdissement des bêtes d'abattoir. Il en existe un assez sérieux, pour des raisons de libre exercice du culte. L'interdiction d'un abattage devra être mise en balance avec d'autres droits, de manière proportionnée au but recherché. Etant donné l'évolution jurisprudentielle, je doute qu'une interdiction générale puisse tenir le choc devant les juridictions européennes.

Nous avons été condamnés pour moins que cela, si j'ose dire, notamment à propos de la question de l'imprévisibilité de la loi fiscale dans une affaire de redressement fiscal qui avait conduit une association de Témoins de Jéhovah à fermer boutique. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a considéré que la sanction fiscale privait de réalité l'exercice de la liberté religieuse. On voit donc bien que l'on risque d'encourir une censure à tout le moins conventionnelle !

Certaines idées également émises sur des quotas de viande rituelle sont à proscrire : on tombe là sur un autre obstacle constitutionnel, qui ne permet pas de distinguer en fonction de la race et de la religion. C'est l'article premier de la Constitution. Pour avoir des quotas, il faut évaluer une population ; pour cela, il faut des statistiques, et ceci a déjà été jugé par le Conseil constitutionnel. Une interdiction générale et absolue serait donc selon moi inconstitutionnelle.

Quant à l'étiquetage, il présente également un risque sérieux. Il est difficile de se prononcer sans une rédaction précise d'un projet ; néanmoins, la question de l'étiquetage doit être réfléchie au plan européen. Les modalités d'organisation de l'étiquetage sont assez encadrées. L'Espagne avait ainsi avancé une proposition, refusée par la Commission européenne.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Portait-elle aussi sur cette question ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Oui. Il existe là aussi un risque juridique. Les dispositifs juridiques mis en place sont, à mon sens, une des seules réponses sur l'abattage sans étourdissement à l'échelon européen, et permettent d'encadrer les abus, puisque l'étiquetage lie les productions aux commandes. Pour quel motif pourrait-on souhaiter étiqueter ? Je ne crois pas que cela puisse éviter de manger halal à son insu ; en effet, je l'ai dit, n'est pas halal ce qui n'est pas explicitement précisé. L'animal sera peut-être abattu sans étourdissement, mais la viande ne sera ni halal ni casher.

Si on ne se réfère pas à un motif laïc pour interdire l'abattage sans étourdissement, on peut se placer sur le terrain de la protection animale, et cibler les conditions dans lesquelles a été abattu l'animal. Les résultats des expertises montrent que la souffrance ne se limite pas forcément à l'abattage, et qu'il existe tout un ensemble de motifs de souffrance pour l'animal : conditions de transport, voire modalités d'organisation de l'abattage. Focaliser la question de la souffrance sur l'abattage constitue-t-elle une information pertinente pour le consommateur en matière de protection animale ?

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quelle est votre réponse ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Je ne pense pas que ce soit le seul motif à cibler.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous déjà assisté à un abattage rituel sans étourdissement ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Oui, ainsi qu'à des abattages conventionnels.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Faites-vous partie de ceux qui pensent que l'égorgement n'est pas douloureux ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Non. Je ne le pense pas.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Tous les scientifiques prétendent le contraire ! Peut-être avez-vous un autre avis ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Non, le rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) n'apporte pas de réponses si tranchées que cela.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est-à-dire ?

M. Louis-Xavier Thirode . - Il existe aussi des étourdissements classiques qui se passent mal. L'abattage en lui-même est un facteur de stress pour l'animal. Cela dépend de l'organisation de l'abattoir, et de la manière dont l'abattage est réalisé.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous êtes en train de dire qu'un mauvais abattage avec étourdissement n'est guère mieux qu'un bon abattage sans étourdissement...

M. Louis-Xavier Thirode . - Il s'agit de questions d'organisation, de cadences et de rentabilité des abattoirs. Si l'on mène une réflexion sur la souffrance animale, l'abattage n'est peut-être pas le seul point de focalisation. Quel effet l'étiquetage aurait-il sur les autres paramètres ? Quelles en seront les conséquences pour la filière ? Si la formation des sacrificateurs au bien-être animal a été négociée l'an dernier, c'est après des échanges avec les professionnels de la filière, et les responsables des cultes. Tirons-en le bilan et étudions s'il y a moyen de progresser.

Contrairement à ce qui peut être dit ici ou là, normer excessivement le halal ou le casher conduirait peut-être à fragmenter davantage les choses et à accompagner une tendance, qui est nourrie à la fois par certains besoins identitaires - on se définit parce qu'on pratique sa religion via le halal, et on étend un peu le domaine du halal pour se distinguer des autres - mais aussi par des intérêts commerciaux. Légiférer sur un étiquetage des viandes halal n'accompagnerait-il pas ce mouvement au lieu de le ralentir ?

Il ne s'agit pas de faire la politique de l'autruche, au contraire. Le dispositif qui est mis en place a un an d'existence. Il n'existe pas encore de bilan et d'analyse précise de ce qu'il a apporté. Il est certain qu'il y a eu des abus dans le passé, mais regardons ce qu'il donne.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - L'évolution des mentalités fait qu'à l'heure actuelle, la souffrance animale est prise davantage en considération qu'il y a dix, vingt, trente ans et plus.

Nous entendrons tout à l'heure l'INRA à propos du rapport qu'ils ont produit sur la question. Il nous faut aussi respecter l'article premier de notre Constitution, qui assure la liberté du culte.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La liberté de conscience figure également dans la Constitution - et j'y tiens énormément !

M. Louis-Xavier Thirode . - Nous y tenons tous. C'est l'une des pierres angulaires de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de nos valeurs républicaines !

Audition de M. Michel Turin, écrivain journaliste, auteur de l'ouvrage « Halal à tous les étals » (mercredi 12 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le Sénat a mis en place une mission sur la filière viande, suite au scandale lié à la viande de cheval. Nous avons collecté un certain nombre d'informations intéressantes, à Bruxelles, la semaine dernière.

M. Michel Turin . - Êtes-vous allés aux Pays-Bas ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous y sommes également allés.

M. Michel Turin . - Avez-vous rencontré M. Jan Fasen, personnage au centre du scandale de la viande de cheval, et qui était déjà au centre d'un autre scandale, deux ans auparavant, portant sur du faux boeuf halal ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous n'avons pas rencontré les traders au coeur du scandale, mais des professionnels du secteur industriel.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Vous avez été dix ans journaliste au journal « Les Echos » et chroniqueur économique sur Radio Classique. Vous êtes notamment l'auteur de « La planète bourse », mais également de l'ouvrage : « Le grand divorce : pourquoi les Français haïssent-ils leur économie », ou encore de « Profession escroc », dans lequel vous tracez le portrait de grands escrocs de la finance, et, plus récemment, de « Halal à tous les étals ». Pourquoi un journaliste économique tel que vous s'est-il intéressé au champ du halal ? Les services de l'État nous disent que la part d'animaux abattus rituellement ne dépasserait pas 10 à 15 %. Ces chiffres sont-ils justes ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Comment expliquer le déni des pouvoirs publics ? Vous dénoncez une certaine dérive du halal, mais cette dérive met-elle en danger notre modèle républicain ? Pourquoi selon vous ? Y a-t-il un risque que les filières d'abattage rituel financent des organisations terroristes ? A votre connaissance, les services du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense suivent-ils la piste de l'argent du halal ? Pourquoi ces derniers ne réagissent-ils pas ? Enfin, que faut-il faire ?

M. Michel Turin . - J'espère qu'à l'issue de vos travaux, le législateur pourra faire quelque chose, car on manque cruellement de cadre légal. Fin 2006, une amie vétérinaire, chef de service dans une préfecture de l'Ouest, effectuait des patrouilles avec des gendarmes pour inspecter le coffre des voitures afin de rechercher des moutons abattus clandestinement. Il se trouve que cette fin d'année coïncidait avec l'Aïd el-Kébir. On a tous entendu parler de mouton égorgé dans la baignoire, mais je ne connaissais pas l'histoire du mouton dans le coffre de la voiture ! C'est elle qui m'a parlé des sacrificateurs qui opéraient dans les abattoirs, et des contrôleurs chargés de la certification. J'ai ainsi découvert l'existence d'une économie dont j'ignorais pratiquement tout. Etant journaliste économique, j'ai déroulé le fil : voilà où cela m'a mené !

Je ne me suis pas attelé tout de suite au sujet. J'ai d'abord mené plusieurs travaux sur des thèmes différents puis y suis revenu. J'ai présenté un projet de synopsis à mon éditeur. Ce thème l'a intéressé immédiatement.

J'ai signé en juin 2001, pour une remise de manuscrit en juin 2012, bien avant la polémique qui a eu lieu pendant la campagne présidentielle. Quand la polémique s'est développée, j'étais désespéré : en effet, le peu de chose que je croyais avoir appris et que les gens ne savaient pas, je les voyais s'étaler jours après jour dans la presse, et à la radio !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qu'avez-vous appris ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous y avez contribué ! Votre titre choc laisse penser que toutes les boucheries vendent du halal...

M. Michel Turin . - Avec l'éditeur, nous avons voulu prendre le mot « étal » au sens large. Il ne s'agit pas seulement de la viande : je parle également du grand intérêt que montre la grande distribution pour des produits estampillés halal. C'est un marché qui se développe considérablement et qui a pris des proportions étonnantes. On trouve, en France, dans un pays occidental, une gamme de produits halal qu'on ne trouve pas, m'a-t-on dit, dans des pays musulmans !

Le titre qui avait ma préférence et celle de l'éditeur était celui de « halal business ». Je voulais en effet raconter le business du halal, qui constitue, selon moi, une composante du débat qui nous occupe. Or, le service des droits de Calmann Lévy a découvert qu'une entreprise avait déposé le titre, y compris pour des ouvrages. Nous sommes donc revenus au premier titre auquel j'avais pensé.

Un autre titre était également : « Enquête sur une névrose française ». Tout ceci relève presque en effet de la pathologie, personne n'est à sa place, chacun joue à contre-emploi, défend des intérêts individuels économiques qui peuvent être certes légitimes, mais qui vont à l'encontre du « vivre ensemble », compliquent la vie de tout le monde et créent des situations impossibles !

On est au milieu de compromissions, de malentendus entretenus. Il y a quelques années avait été créée la Fondation pour les oeuvres de l'Islam, sur une idée de Dominique de Villepin, dont le but était de collecter l'argent de la taxe halal pour financer le culte musulman en France. Aussitôt, l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (InterBev) est montée au créneau, en arguant du fait qu'il n'était pas question de la transformer en collecteur d'impôts ! Pourtant, elle accepte de faire de l'abattage rituel, de jouer sur la complémentarité des circuits et de vendre dans les circuits traditionnels de la viande abattue rituellement. Il paraîtrait pourtant légitime que les Musulmans pratiquants qui tiennent à obéir à certains préceptes religieux et ont envie de respecter les interdits alimentaires correspondants puissent le faire, les autres n'ayant aucune raison d'y être obligés !

Sans aller jusqu'à dire que l'argent du halal finance le terrorisme, on peut avoir de bonnes raisons de refuser d'acquitter indirectement une taxe qui ne correspond pas à ses convictions personnelles !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Avez-vous une idée du nombre d'animaux abattus rituellement en France ?

M. Michel Turin . - Selon les chiffres de l'OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), sur 231 abattoirs de ruminants agréés, 129 ont obtenu des dérogations à la suite du décret du 28 décembre 2011 concernant l'abattage rituel, soit 56 % des abattoirs. D'une façon générale, on peut considérer que, sur trois animaux abattus rituellement, deux sont achetés par l'ensemble des consommateurs, - 60 % pour la viande halal et 70 % pour la viande casher, écoulée dans le circuit classique.

Il s'agit certes d'une proportion très importante, mais on ne connaît pas les véritables chiffres. Lors de la table ronde organisée par votre mission, réunissant les représentants des trois mosquées et le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), le recteur Kabtane a estimé que le marché halal, dans son ensemble, représentait un chiffre d'affaires de 5,5 milliards d'euros. Cette estimation est en fait sortie du chapeau de M. Bendali, qui dirige le cabinet Solis, et dont le métier consiste à vendre des études... Ce chiffre remonte d'ailleurs à 2011. Depuis cette date, on est toujours resté sur le même ! Ce chiffre représenterait le double du marché bio, mais sur quoi est-il basé ? Combien y a-t-il de Français musulmans, combien sont-ils pratiquants, combien consomment-ils halal ? On ne peut le savoir, puisqu'on ne peut disposer de statistiques ethniques ! Cela renvoie donc à cette névrose, à ce flou, et à cette ambiguïté que je dénonçais tout à l'heure. On ne sait en fait pas de quoi on parle !

Toutefois, la grande distribution s'est intéressée depuis peu au marché du halal ; généralement, lorsqu'elle se penche sur un marché, c'est que celui-ci arrive à maturité...

Les seuls chiffres fiables, qui sont un peu anciens, paraissent dérisoires. Il s'agit d'une étude du très sérieux cabinet Nielsen, qui a relevé les tickets à la caisse des supermarchés pour déterminer le nombre de produits halal vendus. Pour le reste, on est dans le flou le plus total !

Les acteurs du business du halal ont intérêt à surévaluer le marché. Les chiffres mondiaux de la société « A votre service » (AVS) sont colossaux, avoisinant plusieurs millions de dollars, mais tout ceci reste en grande partie construit « au doigt mouillé ».

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Vous avez parlé de taxes permettant de financer le culte, alors qu'on nous affirme que ces taxes sont destinées à payer les certificateurs qui interviennent en cours d'abattage. N'y a-t-il pas là une confusion ?

M. Michel Turin . - C'est ce que disent les certificateurs indépendants. Il existe une cinquantaine d'agences de certification mais il en existe de deux sortes, celles qui sont proche des trois Grandes Mosquées que vous avez reçues, et les agences indépendantes. Elles ont des statuts d'association, pour des raisons de facilité de tenue de comptes évidentes et de moindres obligations juridiques.

AVS, la plus importante, qui employait 150 personnes est réputée la plus sérieuse. Je ne sais si elle emploie toujours 150 personnes, car elle est en pleine crise. AVS, depuis le départ, contrôlait la société Isla Délice, qui appartient à la société Zaphir, dont vous vous souvenez peut-être de la campagne d'affichage sur lesquelles était inscrit : « Fièrement halal ! ». Certains considèrent que c'est Isla Délice qui a fait AVS. Quoi qu'il en soit, Isla Délice et AVS se sont séparées, semble-t-il à la suite d'un différend à propos des méthodes d'abattage.

Il existe une sorte de surenchère permanente entre les agences à ce sujet. Même s'il s'agit de convictions religieuses, c'est aussi un métier et il s'agit de convaincre les consommateurs pour remporter un marché. AVS a bâti son image là-dessus.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qui en est le patron ?

M. Michel Turin . - Leur porte-parole est dans tous les séminaires. Il s'agit de M. Fethallah Otmani, coauteur d'un livre intitulé « Le marché du halal. Entre considérations religieuses et contraintes industrielles », bréviaire d'AVS. Qu'Isla Délice ne se fasse plus certifier par AVS est donc une catastrophe pour cette agence. Il existe une compétition permanente entre certificateurs. C'est la Grande Mosquée de Lyon qui a décroché le contrat. Lyon est pourtant réputé pour être laxiste dans la certification, mais le pire est la Société française de contrôle de viande halal (SFCVH), proche de la Grande Mosquée de Paris.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Selon vous, existe-t-il un dérapage du halal ? Risque-t-il de nous échapper ?

M. Michel Turin . - Il nous échappe déjà complètement, en particulier en matière de quantité de viandes ! La filière viande a un comportement légitime économiquement, mais complètement hypocrite lorsqu'elle affirme respecter les règles et les lois. Elle trouve en fait son compte dans le « tout rituel », assurée qu'elle est de tout vendre. Il n'existe pratiquement pas d'abattoirs mixtes ; un seul doit faire de la volaille, celui de Laguillomie. Ceux qui font seulement du halal sont de tout petits abattoirs. Dans les établissements mixtes, le but est d'éviter la contamination croisée, c'est-à-dire la présence de traces d'animaux abattus non rituellement sur des carcasses d'animaux abattus rituellement.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Existe-t-il un moyen scientifique de faire la différence ?

M. Michel Turin . - Je pense que non...

Les abattoirs mixtes commencent l'abattage halal très tôt le matin, puis nettoient les chaînes et passent ensuite à l'abattage traditionnel. Cela fait toutefois perdre du temps et coûte plus cher. Ils font donc du « tout halal », et y trouvent leur compte ! Le point le plus important est d'être assuré de débouchés pour l'ensemble des animaux abattus et des carcasses commercialisées.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Lors de votre enquête, avez-vous pu déterminer la somme globale encaissée par les cultes concernant le halal ?

M. Michel Turin . - On peut essayer de réaliser des extrapolations. On est souvent dans le domaine du fantasme, les sommes n'étant pas considérables. Une boucherie en ligne appelée Dinan a procédé à un calcul, à partir de 0,10 euros par kilo. Cela représente 40 millions d'euros. Ce n'est donc pas grand-chose, même si c'est important pour ceux qui sont dans cette activité.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ce n'est pas mal ! Si tout est halal, cela change toutefois le chiffre ! Pensez-vous que les ministères de l'intérieur et de la défense suivent l'argent ?

M. Michel Turin . - Ce sujet est très suivi par les gens du ministère de l'intérieur. Il existe également un rapport émanant du ministère de l'agriculture, le rapport du COPERCI, qui remonte à 2005, et qui porte sur le champ du halal. C'est le seul document sérieux sur le sujet. Sa publication a d'ailleurs été interdite à l'époque, mais il a finalement été rendu public. C'est un rapport que j'ai beaucoup utilisé et cité. Il a fallu, pour qu'il soit publié, qu'un adhérent à l'OABA intervienne auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). L'OABA s'est empressée de le mettre alors sur son site et a remarqué que certaines expressions avaient été « caviardées », en particulier l'une faisant référence à l'abattage rituel, qui parlait d'images difficilement supportables, ce qui renvoie à la souffrance animale. Ces mentions ne figurent pas sur le document tel qu'il est disponible aujourd'hui.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pourquoi les pouvoirs publics ne réagissent-ils pas davantage ?

M. Michel Turin . - Ce serait vite répondre que de dire que c'est par lâcheté...

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - On ne peut dire cela !

M. Michel Turin . - Non, on ne peut le dire. Par faiblesse, peut-être... Les pouvoirs publics - et d'autres - ne veulent pas relancer la polémique après celle de l'année dernière.

On ne peut toutefois s'enfermer dans ce mensonge, qui alimente les rancoeurs et compromet la possibilité de vivre les uns avec les autres. Nombre d'acteurs économiques - ainsi que les pouvoirs publics - ont cependant tout intérêt à cultiver cette hypocrisie.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'ai le sentiment que les non-dits et le manque de transparence entretiennent la peur de l'autre. C'est un terreau sur lequel on peut cultiver n'importe quoi.

M. Michel Turin . - Dans un reportage passé sur une chaîne chrétienne américaine, un présentateur se trouvait sous la Tour Eiffel et commentait : « A Paris, la grande peur, c'est la halal, qui finance le terrorisme international ! ». Le public peut adhérer à ce genre de choses. Lors de la table ronde que vous avez organisée, le Président du CFCM a expliqué que la charte halal progressait. J'ai été étonné par ses prises de position. Il est d'habitude bien moins téméraire ! Est-ce que parce qu'il est en fin de mandat ? Cela peut jouer. C'est Dalil Boubakeur qui le remplace d'ici quelques semaines. Le CFCM étant à la fois juge et partie, comment ces personnes parviennent-elles à s'entendre ?

Un polémiste de talent, Daniel Youssof Leclercq, un Français d'une soixantaine d'années, converti à l'Islam depuis longtemps, qui intervient sur les sites de défense des consommateurs musulmans, ainsi que sur les télévisions et les radios communautaires, est à l'origine de la création de la première Fédération des Musulmans de France et prétend qu'il existe une solution. Un des problèmes résidant dans l'absence de certification nationale, que la République française, laïque, ne peut organiser, Daniel Youssof Leclercq conseille de monter une coopérative à but non lucratif, dont les adhérents s'entendront sur un cahier des charges. Seul problème : c'est la disparition du métier de certificateur !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pensez-vous que la difficulté à faire avancer le sujet vient du besoin de maintenir la paix sociale ou est-ce un vaste problème d'argent et de business, ainsi que vous le disiez ?

M. Michel Turin . - Je pense que cela provient des deux ! J'ai, il y a longtemps, publié un article dans « Libération » sur les accidents de la route disant que la société doit les accepter, ceux-ci étant une façon de libérer la violence et éviter ainsi qu'elle ne se traduise autrement. Je me demande s'il n'en va pas de même pour le halal ? Comment être directif en la matière ? Il faut que les pouvoirs publics le soient d'une façon ou d'une autre.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Que faudrait-il faire aujourd'hui selon vous ? Quelles propositions cette mission pourrait-elle avancer pour inciter au vivre ensemble ?

M. Michel Turin . - C'est aux Français musulmans d'en prendre l'initiative. L'idée de coopérative est une solution. Les consommateurs musulmans sont scandalisés par le fait qu'on ne puisse décider d'une norme, dans un pays où il en existe pour tout. Elle ne peut émaner des pouvoirs publics, mais il serait normal d'encourager la constitution d'une telle structure. Je ne sais si le CFCM est capable de la mettre en place. Manuel Vals a essayé de ressusciter la Fondation pour les oeuvres de l'Islam, dont l'objectif affiché était d'organiser le marché du halal, et à partir de la taxe, de financer le culte musulman pour répondre aux nécessités des Français de cette religion qui n'ont à leur disposition que 2 500 mosquées, alors qu'ils en ont besoin d'environ 4 000. Une autre voie, pour éviter des scandales comme ceux que l'on vient de connaître avec la viande ce cheval, réside dans l'étiquetage. Dans un article d'un périodique gratuit qui décrivait la situation de cette filière, et mettait en avant les solutions qui pouvaient exister, Daniel Youssof Leclercq s'était amusé à remplacer le mot « cheval » par le mot « haram » - le contraire de halal. Cela fonctionnait parfaitement ! Cela signifie bien, selon moi, qu'il s'agit du même problème de traçabilité. L'étiquetage des barquettes de viande est heureusement devenu relativement complet. Il suffirait donc d'y ajouter une ligne, mais l'interprofession le refuse ! On renvoie la responsabilité sur Bruxelles.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - C'est ce qu'on nous dit !

M. Michel Turin . - Chacun ouvre son parapluie, et on n'avance pas. Or l'étiquetage paraît indispensable ! Le chantage à l'emploi n'est jamais loin. On le brandit en permanence. Il est vrai que les abattoirs sont en crise. Certains Français musulmans disent que sans le halal, la filière viande n'existait plus en France.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Cela reste à prouver. Les représentants des cultes disaient, lors de la table ronde, que si l'on se lançait dans un étiquetage du produit halal, ils boycotteraient la viande française. Qui tient l'autre ?

M. Michel Turin . - Depuis le scandale de la viande du cheval, tous les distributeurs et les transformateurs de viande affirment que leur viande vient de l'hexagone ! On prétend que les consommateurs réclament de la viande française, et on menace ensuite de ne plus acheter de viande française ! C'est un nid de contradictions !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - La transparence paraît la meilleure solution pour donner le choix, respecter la liberté de conscience, et permettre à ceux qui souhaitent consommer des viandes issues d'un abattage ou d'un autre d'avoir le choix. Cela ne peut passer que par là !

M. Michel Turin . - En effet, mais l'argument de l'emploi est ici brandi en permanence. A Guéret, il existe un débat autour de l'abattoir municipal, qui donne lieu à des manifestations, un des candidats à la reprise voulant en faire un abattoir halal. Les seules images d'abattoirs que l'on ait ont été prises en caméra cachée, par de faux techniciens d'abattoirs.

Je connais bien l'entreprise de salaisons Mazières, à Brive-la-Gaillarde ; j'ai ainsi cru pouvoir rencontrer certaines personnes. L'abattoir de Brive a été repris par le groupe Arcadie, qui a le même actionnaire que Spanghero : Lur Berri. A chaque fois que j'ai demandé à pouvoir le visiter, on a refusé que j'y pénètre en ma qualité de journaliste ! La seule personne qui ait accepté de me parler est quelqu'un rencontré lors d'un salon de l'agriculture, responsable d'un abattoir de l'Est, qui faisait à la fois du halal, du casher et du traditionnel. Cette personne voulait me raconter certaines choses contre rémunération ! Mon actionnaire n'était pas d'accord pour payer... Cela signifie bien que l'on doit cacher ce qui s'y passe ! Cela peut paraître exagéré, mais on visite plus facilement une centrale nucléaire qu'un abattoir !

Pour en revenir à la souffrance animale, l'abattage industriel traditionnel n'est guère mieux que l'abattage rituel. Mais ajouter une souffrance supplémentaire ne me paraît pas acceptable. Ces interdits alimentaires reposent sur des principes religieux qui renvoient à la nuit des temps. Le seul personnage politique important qui ait dit des choses censées durant la polémique de l'an dernier est François Fillon, pour qui les religions doivent s'adapter, les progrès de la science et de la technologie faisant que certaines choses ne s'imposent plus.

J'ai été stupéfait d'entendre les propos tenus par l'un de vos interlocuteurs, lors de la table ronde : la physiologie nous a appris que la fonction circulatoire continue à s'exercer après que la bête ait été insensibilisée ! Le principe veut que la bête soit saignée le plus vite possible afin que la viande soit consommable. Il faut donc que la bête soit vivante, consciente et que le coeur fonctionne - mais le coeur continue à fonctionner après insensibilisation !

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Quand les textes ont été écrits, il ne fallait pas consommer la viande d'un animal blessé ou malade. C'était à l'époque évident, afin d'éviter les maladies. Aujourd'hui, ces raisons n'existent plus.

M. Michel Turin . - Les religions devraient tenir compte des progrès de la science ! Mon éditeur voulait que l'on fasse référence à la religion catholique, qui a fait son aggiornamento , en invitant les religions juive et musulmane à faire de même - mais mon livre devait sortir au moment de la vidéo américaine sur le prophète, que je trouve totalement scandaleuse et mon but n'était pas de faire un brûlot islamophobe. Ce qui m'intéressait, c'était une lecture économique des choses. Je suis tombé sur un autre sujet, celui de la souffrance animale. Selon les autorités juives, l'abattage rituel n'est pas négociable. Les autorités musulmanes, quant à elles, s'abritent derrière les autorités juives.

Un autre aspect me paraît tout aussi scandaleux et me révulse, celui de l'instrumentalisation, par un certain nombre d'acteurs économique, d'un précepte religieux pour en faire un business, sans se soucier des conséquences que cela peut avoir. La religion, pour les croyants, est un domaine essentiel, qui peut conduire à des comportements dangereux -l'histoire l'a démontré ! On ne devrait donc pas jouer avec ces arguments et récupérer un interdit alimentaire.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - En somme ceux qui y gagnent le plus sont ceux qui en font le commerce !

M. Michel Turin . - C'est ce que m'avait dit Frédéric Freund, directeur de l'OABA, à qui j'avais envoyé mon livre. Il m'a répondu par ce petit mot : « Si j'ai bien compris, le pire ennemi de l'animal, c'est l'argent ! ».

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Merci beaucoup.

Audition de M. Pierre Le Neindre, ancien chercheur et de Mme Claire Sabbagh, ancienne responsable de la cellule expertise à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) auteurs du rapport d'expertise collective de l'INRA sur les douleurs animales (mercredi 12 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Notre mission reçoit aujourd'hui deux des auteurs du rapport d'expertise de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la souffrance animale, que nous remercions de bien avoir voulu répondre à notre invitation. Nous nous intéressons dans le cadre de nos travaux à la question de l'abattage rituel et de la souffrance animale. Vous avez travaillé sur ce sujet en 2009, en produisant ce rapport commandé par les ministres en charge de l'agriculture et de la recherche.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Le rapport d'expertise scientifique collective auquel vous avez contribué constitue une référence en matière de souffrance animale. Les représentants du culte musulman, que nous avons auditionnés, nous ont affirmé que les animaux souffriraient davantage lors d'un abattage conventionnel avec étourdissement que lors d'un abattage rituel, en s'appuyant sur des études scientifiques qu'ils se sont engagés à nous transmettre. De votre point de vue, comment peut-on éviter, ou du moins minimiser, la souffrance animale lors de l'abattage ? L'animal est-il un être sensible capable d'éprouver de la souffrance ?

Mme Claire Sabbagh, ancienne responsable de la cellule expertise à l'INRA. - Le rapport d'expertise de 2009 a réalisé un état des connaissances internationales, fondé sur environ 2 500 références de la littérature scientifique. Il a permis de révéler les points de consensus, mais aussi, ce qui est peut-être plus important encore pour les décideurs, les controverses, les points de dissension et les lacunes en ce domaine.

J'aimerais insister sur la caractère pluridisciplinaire de l'expertise qui a été réalisée. Elle a rassemblé des représentants de disciplines biotechniques et de sciences humaines et sociales, et a ainsi permis de confronter des jugements de valeur propres à chaque domaine. Au total, cette expertise se situe bien dans le registre de la science : on ne peut pas opposer expertise et publications scientifiques.

M. Pierre Le Neindre, ancien chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). - Ce rapport est très complet, mais des travaux sont encore en cours. Une étude de l'Anses se penche sur les douleurs chez les veaux en fonction du type d'abattage.

Lorsqu'on étudie la question de la souffrance animale, il faut bien définir les termes du débat. Il faut ainsi commencer par distinguer les notions proches que sont la souffrance et la douleur. La douleur est définie comme l'expérience sensorielle et émotionnelle aversive représentée par la conscience que l'animal a de la rupture de l'intégrité de ses tissus. Les mécanismes physiologiques et neurophysiologiques de la douleur sont assez bien répertoriés. La notion de souffrance est plus vaste : elle englobe à la fois la douleur et la souffrance de nature psychologique. Enfin, l'animal est en mauvaise situation du point de vue de son bien-être par exemple lorsqu'il est privé de contexte social, ou qu'il est laissé sans aucune activité. La notion de bien-être renvoie à la manière dont l'animal ressent une situation, et non à cette situation en elle-même. L'animal doit être considéré comme un être sensible avec des émotions et des réactions à son milieu.

La notion d'animal doit également être précisée. D'un point de vue taxinomique, l'animal va de l'éponge au bonobo ; or il n'est pas certain que l'éponge soit un être sensible. Les travaux de la phylogenèse permettent d'identifier l'apparition de la douleur chez les espèces. Il est certain que les mammifères et les oiseaux sont des êtres sensibles. Les poissons, les invertébrés et les céphalopodes en revanche n'ont sans doute pas le même degré de sensibilité, même s'ils ont d'importantes capacités cognitives. Au total, on a des certitudes pour certaines classes d'animaux, mais seulement des incertitudes pour les classes intermédiaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Qu'en est-il plus précisément des animaux destinés à la boucherie ?

M. Pierre Le Neindre . - Tous les mammifères sont susceptibles de ressentir de la douleur au sens où je l'ai définie.

Mme Claire Sabbagh . - Les recherches sur la douleur sont assez récentes : pour l'homme, elles datent d'une trentaine d'années. Il s'agit donc d'un champ de recherche émergent. Il s'inscrit dans l'évolution des sciences cognitives, qui cherchent à déterminer les compétences des animaux. La compétence douleur semble être présente chez ces animaux d'un point de vue phénoménologique, sans qu'on puisse en rendre compte par des mécanismes clairs. Ce domaine d'étude est à l'heure actuelle assez mouvant et nous en apprendrons probablement davantage au cours des 20 prochaines années.

M. Pierre Le Neindre . - Nous avons pu bénéficier de la contribution de cliniciens humains, qui nous ont mené à estimer que la douleur n'est pas quelque chose d'évident. Le champ des êtres susceptibles de ressentir de la douleur s'est étendu au cours des dernières années : on considère désormais que les nourrissons sont capables de ressentir de la douleur, de même que les handicapés mentaux depuis 1987. On n'attribuait auparavant la compétence douleur qu'aux êtres humains adultes, pensants et capables de s'exprimer.

Ce travail d'expertise collective a permis d'identifier toutes les sources potentielles de douleur en élevage. Notre parti pris est qu'il est possible d'agir pour limiter les souffrances des animaux, même si nous ne disposons que de connaissances partielles en la matière. Nous avons proposé une stratégie en trois volets. Il faut d'abord éliminer toutes les causes flagrantes de douleur inutile. En deuxième lieu, lorsqu'on a le choix entre plusieurs techniques, il faut choisir la moins douloureuse. Enfin, lorsqu'il est inévitable d'infliger des douleurs aux animaux, il faut s'employer à les soulager à la fois par des moyens thérapeutiques et par des soins attentifs. Chez les animaux comme chez les hommes, le contexte n'est pas indifférent : la douleur est plus fortement ressentie dans un contexte hostile que dans un milieu compatissant.

M. Gérard Bailly . - Les animaux souffrent au même titre que les êtres humains, cela ne me paraît pas pouvoir être mis en doute.

M. Pierre Le Neindre . - Vous avez raison, cela paraît relever du bon sens. Néanmoins, il a fallu attendre 1987 pour que les scientifiques écrivent que les nourrissons et les handicapés mentaux ressentent la douleur. Cette question a souffert pendant trop longtemps d'un manque d'attention.

Le rapport dont l'INRA avait reçu commande devait identifier les points négatifs en matière de douleur animale - dans les domaines de l'alimentation, du logement, de la génétique -, sans aborder les éléments positifs qui auraient pu être mis en valeur, comme par exemple la relation des éleveurs à leurs animaux. Notre tâche était de percevoir tout ce qui pouvait être cause de douleur pour les animaux. Je dois toutefois préciser que nous n'avons pas inclus le transport dans nos travaux, même s'il s'agit d'un sujet très important. Nous nous sommes naturellement fortement concentrés sur l'abattage. Cette étape cruciale ne se réduit pas à la mise à mort. Elle commence lorsque le camion vient prendre les animaux à la ferme et ne s'achève que lorsque l'on hisse le cadavre de l'animal. Nous avons auditionné une réalisatrice américaine, Madame Temple Grandin, auteure d'un film sur l'amélioration des systèmes d'abattage. Elle montre qu'en matière de mise à mort, mais aussi de chargement, de déchargement, de transport, de logement, les douleurs subies par les animaux peuvent être substantiellement réduites. De fait, nous avons visité un abattoir dans l'ouest de la France dont le dispositif technique est très bien organisé pour réduire la souffrance animale.

En ce qui concerne la mise à mort proprement dite, il existe plusieurs façons d'abattre les animaux. Soit l'étourdissement avec choc sur le crâne, avec ou sans perforation, soit l'électroinsensibilisation, dite aussi électronarcose, soit l'utilisation de gaz. A titre dérogatoire, il est possible de ne pas étourdir des animaux pour des motifs religieux. Les techniques d'étourdissement sont utiles, mais dans le contexte de la mort, il est très dur de disposer de données quantifiées sur la douleur. Par contre, nous disposons de données sur l'insensibilité, c'est-à-dire l'état où se trouve un animal lorsque son cerveau est « hors-circuit » et qu'il ne peut plus rien percevoir ni ressentir. La douleur est une notion moins précise que l'insensibilité car elle dépend de la façon dont le cerveau ressent la blessure. Mais l'insensibilité est clairement distincte de la mort, l'animal insensibilisé demeure vivant même si son fonctionnement biologique est réduit au minimum.

La percussion et l'électronarcose entraînent une perte de sensibilité immédiate. Cela ne signifie pas que l'étourdissement est toujours parfait mais il permet de passer à la phase de jugulation ou d'égorgement sans que l'animal ne soit conscient. La jugulation consiste à couper l'artère carotide et les jugulaires. L'égorgement quant à lui implique de sectionner la trachée, les artères et, dans une moindre mesure, des muscles. La technique du gaz est utilisée dans les pays du nord de l'Europe, mais elle pose des difficultés en matière de dosage des quantités utilisées. Il s'agit principalement de gaz carbonique, additionné d'oxygène et de gaz neutres comme l'argon, qui est utilisé pour éviter l'effet perçu du gaz carbonique. Les animaux entrent dans des bassins qui contiennent différents gradiants de gaz et perdent conscience au bout de 30 secondes environ sans souffrir. Cette technique est un peu utilisée en France pour les volailles, elle l'est surtout pour les porcs en Europe du Nord.

En ce qui concerne l'abattage religieux, nous avons réalisé un rapport pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur l'abattage des veaux qui aboutit à des conclusions très claires : premièrement, la technique qui minimise la douleur est l'étourdissement ; deuxièmement, parmi les techniques visant à minimiser la douleur tout en ménageant les susceptibilités religieuses, la meilleure consiste à étourdir les animaux après égorgement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - L'égorgement étant en lui-même l'étape la plus douloureuse, cela en vaut-il la peine ?

M. Pierre Le Neindre . - La douleur peut être mieux acceptée si elle est de courte durée. L'égorgement est certes ressenti par le cerveau comme une douleur intense. Mais si on n'étourdit pas l'animal immédiatement après, celui-ci peut rester conscient puisque 10 % des animaux sont encore conscients après 40 secondes. Une autre préconisation pourrait donc être d'étourdir les animaux toujours conscients après 40 secondes. Mais ces animaux ne peuvent plus dans ce cas être certifiés casher ou halal. La dernière solution consiste à attendre la perte de conscience de l'animal mais celle-ci peut prendre jusqu'à 5 minutes...

Nous avons eu des surprises lors de la réalisation de notre rapport sur la douleur animale. Ainsi, nous avons rencontré un chercheur néozélandais qui nous a expliqué que son pays exportait beaucoup de viande de mouton en Arabie Saoudite et vers les pays du Golfe et que les animaux étaient systématiquement étourdis. Un pays comme l'Autriche impose l'étourdissement après l'égorgement. Comme vous le voyez, les solutions sont variées, elles ne sont pas utilisées de manière homogène, même en France, et il convient de négocier les conditions de mise à mort des animaux avec les communautés religieuses après avoir établi un constat scientifique sur les douleurs et les souffrances. Il s'agit vraiment d'une négociation sociale, d'où l'importance pour nos travaux de l'éclairage apporté par les sciences sociales.

Dans l'abattoir de l'ouest que nous avons visité, l'égorgement selon le rite halal est pratiqué mais les animaux qui sont encore conscients sont « soulagés » par un choc non pénétratif qui entraîne l'inconscience et qui peut être répété en cas d'échec. Une telle technique peut être acceptée par certains musulmans, même si elle ne l'est pas par tous.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Il semble bien en effet qu'il existe plusieurs lectures différentes de ce que permet le rite halal ou non. Nous confirmez-vous que l'égorgement seul est plus douloureux que l'égorgement avec étourdissement préalable ? Certains de nos interlocuteurs nous ont soutenu le contraire...

M. Pierre Le Neindre . - L'étourdissement préalable permet indéniablement de faire diminuer la douleur, les électroencéphalogrammes permettent de le mesurer scientifiquement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Cela paraît en effet du bon sens mais le rabbin Fiszon indique détenir des études américaines qui attesteraient que l'égorgement seul fait moins souffrir qu'un égorgement avec étourdissement préalable. Les représentants du culte musulman que nous avons reçus nous soutiennent la même chose. C'est pourquoi nous sommes à la recherche d'éléments scientifiques irréfutables.

M. Pierre Le Neindre . - Je crois que le rabbin Fiszon se réfère davantage à sa foi qu'à la science. Pour notre part, nous vous fournissons des éléments scientifiques. Ceux qui contestent notre recherche doivent nous répondre sur le même terrain scientifique.

Mme Claire Sabbagh . - De nombreux animaux sont mal abattus dans l'abattage traditionnel, notamment en raison des cadences, ce que pointent du doigt les associations de protection des animaux. Ceux qui promeuvent l'abattage rituel s'en servent comme d'un argument pour défendre leurs idées.

M. Pierre Le Neindre . - L'Union européenne a mis en place un nouveau règlement n° 1099/2009 très structurant qui prévoit un renversement de la charge de la preuve. Ce sont à présent les opérateurs qui doivent prouver qu'ils ont agi convenablement et non plus le régulateur. Cette nouvelle règlementation impose que les États mettent en place des législations spécifiques ou que les professionnels élaborent des guides de bonnes pratiques, sous le contrôle de l'autorité publique compétente. C'est cette seconde solution qui a été retenue en France, sous l'égide de l'ANSES. Les opérateurs doivent contrôler si l'étourdissement est bien efficace et peuvent le renouveler en cas d'échec de la première tentative.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Le problème est que personne n'est là pour opérer de vérification.

M. Pierre Le Neindre . - Il faut en effet des contrôles internes mais aussi des contrôles externes. Le système américain est beaucoup plus efficace que le système européen car il fonctionne selon une toute autre dynamique. Des règlementations sont élaborées et les entreprises sont libres d'y adhérer ou non. Si elles adhèrent, elles ont l'obligation de se conformer à des guides exigeants. De fil en aiguille, ce système a permis d'étendre cette réglementation à de très nombreux professionnels de la viande aux États-Unis, comme MacDonald's par exemple.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - La souffrance et la douleur animales ont-elles un impact sur la qualité de la viande ?

M. Pierre Le Neindre . - On sait depuis environ 30 ans que les mécanismes du stress entraînent une dépréciation des qualités organoleptiques et bactériologiques de la viande. On parle de coupe sombre pour la viande bovine lorsque, le glycogène étant en quantité insuffisante, la destruction du collagène ne se fait pas et la viande reste pour ainsi dire à l'état de cadavre ; la viande ne peut pas maturer dans ces conditions. Pour la viande de porc, on parle de viande pisseuse.

M. Gérard Bailly . - Dans les campagnes, on avait autrefois l'habitude de venir chercher les bêtes la veille ou l'avant-veille de l'abattage pour qu'elles soient moins stressées.

M. Pierre Le Neindre . - De telles précautions sont aujourd'hui moins répandues en raison du développement des processus industriels : on a moins connaissance de ces phénomènes.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Existe-t-il des risques sanitaires liés à l'abattage rituel ?

M. Pierre Le Neindre . - Il existe un doute sur un point particulier : lorsque l'on tranche l'oesophage, cela peut permettre la libération du contenu gastrique, ce qui peut souiller les plaies.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Cela nous a été confirmé par l'association Eurogroup for animals que nous avons rencontrée à Bruxelles.

M. Pierre Le Neindre . - J'aimerais ajouter que l'on dispose depuis 2009 de nouvelles études - je vous citais tout à l'heure le rapport de l'ANSES. La science avance et on a des outils de plus en plus précis : on utilise aujourd'hui des électroencéphalogrammes, qui permettent d'identifier les structures physiologiques qui se mettent en alerte lors de l'égorgement. Pour autant, il n'y a pas de remise en cause des principales conclusions mises en évidence par l'expertise scientifique collective de l'Inra.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Si nous ne devions retenir qu'une seule proposition pour limiter la souffrance animale dans le cadre de notre rapport, quelle devrait-elle être à votre avis ?

M. Pierre Le Neindre . - Ce serait de sensibiliser l'ensemble des opérateurs de la chaîne à cette question. Les systèmes techniques qui ont été bâtis ont oublié les éleveurs. Des expériences de sensibilisation des personnes travaillant en élevage ont eu des résultats étonnants : les truies produisaient un porcelet de plus par an et la satisfaction plus importante des opérateurs se traduisait par le fait qu'ils restaient deux ans de plus à leur poste. Il faut aujourd'hui dépasser l'aspect strictement technique dans la filière viande et passer du savoir-faire à une forme de savoir-être.

Mme Claire Sabbagh . - L'expertise scientifique collective cite une étude qui montre que la France se situe en queue de peloton sur la question de la formation et de la sensibilisation des opérateurs au bien-être animal.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Je n'ai pas le sentiment que la plupart des éleveurs ne soient pas conscients de la souffrance animale. Il me semble que dans leur grande majorité, ils sont attachés à leurs bêtes. En outre, ils n'ont pas intérêt à ce que leurs animaux ne soient pas rentables.

M. Pierre Le Neindre . - Je ne jette pas la pierre aux éleveurs : ils sont pris dans une spirale technique qui ne les laisse pas entièrement libres. L'organisation du système industriel, entre opérateurs et donneurs d'ordre, peut amener à faire des choses qu'on souhaiterait éviter. Les éleveurs peuvent se trouver dépossédés de ce qui fait leur âme, c'est-à-dire de leur relation avec leurs animaux. Il faut remettre l'éleveur au centre de dispositif.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure . - Ils perdent le contrôle sur le bien-être de leurs animaux au moment où ceux-ci montent dans le camion qui les emmène à l'abattage.

Mme Bernadette Bourzai, présidente . - Nous vous remercions pour ces précisions passionnantes.

Audition de M. Julien Bigand, trésorier adjoint, responsable du dossier viande, et Mme Suzanne Dalle, conseillère en production animale, du syndicat professionnel des jeunes agriculteurs (JA) (mercredi 19 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information, constituée à la suite du scandale de la viande de cheval s'intéresse à tous les aspects de la filière viande, et nous sommes particulièrement inquiets sur la question de l'installation et du renouvellement des générations en élevage.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Qu'est-ce qui, selon vous, rend l'installation des jeunes agriculteurs si difficile en France, notamment dans l'élevage. Les contraintes sont-elles plus lourdes dans notre pays qu'ailleurs ? Que faut-il faire pour redonner de la jeunesse à notre agriculture ?

M. Julien Bigand, trésorier adjoint, responsable du dossier viande du syndicat professionnel des jeunes agriculteurs . - Je commencerais par la polémique de la viande de cheval.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Ce n'est pas une polémique mais un scandale ! Il y a eu tromperie, et par conséquent la confiance des consommateurs a subi une grave atteinte.

M. Julien Bigand . - Les conséquences ont été faibles sur la consommation de viande de boeuf. Les restaurants et boucheries hippophagiques ont, elles, attiré les foules.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Le tonnage de viande de cheval n'a toutefois pas considérablement augmenté pour les éleveurs français.

M. Julien Bigand . - C'est un autre problème. Les producteurs et les consommateurs ont été, il est vrai, trahis. Nous rejoignons là les questions de traçabilité et d'installation, car en définitive la question qui se pose est celle du sens que l'on donne au métier d'éleveur. Nous produisons pour satisfaire la demande du consommateur. Le consommateur a le droit de savoir ce qu'il achète. De la même façon, le producteur doit savoir à qui il vend sa production, qui la transforme, et qui la consomme. Nous sommes allés trop loin dans l'opacité. Améliorer la traçabilité des produits, c'est le sens de l'histoire. D'importants progrès ont été réalisés à la suite du scandale de la vache folle : bouclage des bêtes, généralisation des passeports sanitaires des animaux, traçabilité des différentes parties des bêtes abattues. Cela participe de la valeur ajoutée de la production animale.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous sommes d'accord. La traçabilité des viandes fraîches a été un grand progrès pour tous. La question est de savoir s'il faut aller plus loin, en appliquant les mêmes règles aux produits transformés à base de viande.

M. Julien Bigand . - En parlant, à juste titre, de scandale de la viande de cheval, vous avez-vous-même répondu... La balle est désormais dans votre camp !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous ferons le maximum.

M. Julien Bigand . - Il faudra peut-être faire encore plus...

M. Gérard Bailly . - Tout le monde est favorable à davantage de transparence. Mais laquelle ? L'origine des bêtes ne pose pas de problème. Faut-il indiquer la race - race à viande, race laitière, race mixte ? Les transformateurs et l'Union européenne défendent la mention « viande européenne ». Qu'en pensez-vous ?

M. Julien Bigand . - Je suis favorable à l'idée d'indiquer la race. Ceux qui s'y opposent se disent libéraux, mais ne cherchent qu'à protéger des minerais sur lesquels ils ont tout pouvoir. Nous avons en France la plus grande variété de races bovines, donc les moyens de nous différencier. Confondre d'excellentes races comme la montbéliarde ou la normande avec le premier minerai venu, c'est saccager le travail des syndicats de race depuis leur création - et les livres généalogiques des races existent depuis plus de cent ans.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les transformateurs, lorsqu'ils fabriquent du minerai, et nous l'avons constaté, ont les plus grandes difficultés à distinguer les races. Ils ne peuvent faire la différence qu'entre le veau et la bête adulte. Je partage votre souci de restaurer la confiance du consommateur, mais comment faire ?

M. Julien Bigand . - Chacun son problème ! Aux transformateurs de trouver une solution. Lorsque l'on abat 40 000 à 50 000 tonnes d'un coup, il y a bien un moyen de faire des lots, quitte à ce que les produits transformés d'une même marque, pris séparément, ne soient pas tous composés de viande de la même race bovine. En tant que consommateur, ces informations me suffiraient.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Sans oublier la mention du pays d'origine.

M. Julien Bigand . - C'est un minimum.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Mais chez certains transformateurs, l'origine des viandes change tous les jours, dans des proportions elles-mêmes variables. C'est pourquoi j'avais proposé que l'on impose pour chaque produit un pourcentage fixe de viande française.

M. Julien Bigand . - Il ne faut pas sous-estimer la puissance des industriels, et donc ne pas avoir peur d'aller trop loin. Ceux-ci ajustent la composition de leurs produits en fonction de leurs stocks de matière première et de son coût. On pourrait à la rigueur l'accepter, à la condition qu'ils s'engagent à être transparents : si le lundi ils transforment de la viande allemande, le mardi de la viande polonaise, le mercredi de la viande française, qu'ils changent alors chaque jour l'étiquette. On arrive bien à aller sur la lune : on doit pouvoir mentionner ces informations.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelle est l'état de santé économique des éleveurs ?

M. Gérard Bailly . - Et quelles sont les conditions d'installation ?

M. Julien Bigand . - Vous connaissez les chiffres de la statistique agricole de décembre 2012 : la santé des éleveurs est mauvaise. L'écart est important avec les céréaliers, et la situation est en outre très hétérogène. Les revenus annuels des éleveurs de porcs subissent d'immenses fluctuations, entre une perte de 4 000 euros pour les plus malheureux et un gain de 40 000 pour les plus performants. Les professionnels de la filière acceptent cette volatilité, inscrite dans le marché depuis toujours, mais ils auraient besoin d'outils pour la gérer.

Les éleveurs de vaches laitières et allaitantes perçoivent un revenu de l'ordre de 5 euros de l'heure. Quand on connaît les contraintes auxquelles ils sont soumis, ce n'est pas admissible. Certes, le prix de la viande a beaucoup augmenté, mais il demeure au même niveau, en monnaie constante, qu'il y a vingt ans. Les subventions et primes de l'Union européenne déversées sur les exploitations ont donc été absorbées par les autres acteurs de la filière, puisqu'elles ne vont pas dans la poche des producteurs.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Dès lors, comment convaincre les jeunes agriculteurs de reprendre des exploitations dédiées aux productions animales ?

M. Julien Bigand . - Il y a des bassins de production animés d'une vraie dynamique : les producteurs de lait à comté n'ont par exemple pas de mal à trouver un repreneur. De même pour l'AOC reblochon. Dans ces deux cas, les aides à l'installation et le prix de vente sont élevés. Les productions moins rémunératrices suscitent moins d'engouement.

Faire venir des jeunes dans nos métiers est compliqué. Il ne faut pas se limiter au métier d'éleveur, car nous avons aussi besoin de gens dans les abattoirs et les industries de transformation. Il faut travailler sur la promotion du métier. Au Salon de l'agriculture, nous tenons des stands dans le cadre de l'opération « demain je serai paysan ». Nous intervenons dans les lycées pour présenter le métier de producteur, et essayons ainsi de soustraire une partie de la communication sur notre secteur à ceux, souvent anti-viande, qui s'y emploient le plus fréquemment.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Lorsqu'un jeune s'oriente vers une filière de qualité, il a moins de difficulté à gagner sa vie ?

M. Julien Bigand . - Il n'est pas plus facile de s'installer, mais l'existence d'un noyau dur de passionnés qui font le maximum pour reprendre les exploitations crée une dynamique positive. Le niveau de revenu est quant à lui assuré par la qualité de la production, et la faculté qu'ont les exploitants à gérer leur production en fonction de ce qu'ils sont capables de vendre.

M. Gérard Bailly . - Ceux qui proposent de déménager le site de l'Institut national des appellations d'origine (Inao) de Poligny à Dijon, parce que c'est une capitale régionale, n'ont rien compris.

M. Julien Bigand . - Il y a certes peu d'agents à l'Inao de Poligny, mais le nombre important d'AOC fromagères de qualité dans le Jura et le Doubs justifierait de l'y maintenir.

M. Gérard Bailly . - Fromagères, et viticoles !

M. Julien Bigand . - Elles sont plus dispersées.

M. Jean-Jacques Lasserre . - Le ministre de l'agriculture actuel, comme son prédécesseur, ou comme Jean-Paul Bigard, vont répétant que le prix de la viande payé au producteur a augmenté considérablement depuis deux ou trois ans. Ces affirmations camouflent des réalités très disparates, et ne servent pas le combat que les agriculteurs mènent pour s'assurer un niveau de revenus décent. Qu'en pensez-vous ?

On ne pourra pas dire que le Sénat traite ces sujets avec légèreté... Nous avons déjà effectué beaucoup d'auditions. Nos travaux m'ont rendu inquiet de la position qu'occupe Bigard sur la chaîne de production. L'entreprise accapare entre 55 % et 65 % du marché de la viande en grande surface. Cela me semble dangereux. Le secteur coopératif, pas assez puissant, a été lessivé, et ne peut plus être tenu pour une référence alternative. Quelle est la position de votre syndicat sur cette question ?

M. Julien Bigand . - Il y a quelques années, les prix de la viande étaient si bas qu'ils ne pouvaient qu'augmenter. Cette évolution a en effet été rapide au cours des vingt-quatre derniers mois. Une vache de réforme se vendait alors entre 2,50 et 2,70 euros, contre 3,50 à 3,70 euros aujourd'hui, et plus de 4 euros pour une vache allaitante.

Mais il faut compléter l'information, en mettant en parallèle la hausse des charges imposées aux exploitations : hausse du prix du pétrole, des céréales, exigence de mise aux normes des bâtiments, des équipements, augmentation des charges sociales. Entre 2002 et 2006, le coût des bâtiments a augmenté de 55 %. L'investissement dans des bâtiments performants peut se justifier, mais il faut pouvoir le consentir... Le capital à mobiliser pour un jeune qui s'installe en lait ou en viande bovine est aujourd'hui estimés entre 300 000 et 400 000 euros, 500 000 dans le porc.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ces normes vous sont imposées lorsque vous agrandissez votre exploitation ?

M. Julien Bigand . - Oui, mais aussi lorsque vous vous installez. La reprise d'une exploitation est assortie d'un délai de trois ans de mise aux normes.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Avez-vous des statistiques précises sur le coût d'une installation selon le type de production ?

M. Julien Bigand . - Une installation coûte environ 378 000 euros en viande bovine. Il est difficile d'avoir des chiffres précis, qui agrègent ceux que l'on peut collecter à l'échelle d'une exploitation. J'en profite pour attirer votre attention sur le manque de moyens des organismes chargés de récolter ce type de données, comme Agreste, le service statistique du ministère de l'agriculture, dont le budget recule chaque année.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Au niveau syndical, vous avez sans doute des études ou des informations permettant de se faire une idée.

M. Julien Bigand . - Au Congrès des jeunes agriculteurs, le président des jeunes agriculteurs François Thabuis a demandé que les jeunes agriculteurs animent l'Observatoire national de l'installation, dont les informations ne permettent pas aujourd'hui de dépasser l'échelle régionale à laquelle nous sommes encore cantonnés.

M. Gérard Bailly . - Les services statistiques des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) fournissaient dans le passé de telles informations.

M. Julien Bigand . - Pourquoi ne le font-ils plus ? Il faut préserver ces outils.

Nous avons rencontré Jean-Paul Bigard, qui nous est un excellent professionnel. Il nous a déclaré détenir 40 % du marché de la viande française, et 80 % des steaks hachés, issus des vaches de réforme laitières. Mais ce n'est certainement pas de lui qu'il faut attendre une augmentation des prix payés aux producteurs ! Ce sont les exportations vers les pays tiers, comme la Turquie, dont la demande a mis notre offre sous tension, qui ont poussé les prix à la hausse.

Si Bigard fait 40 % du marché, la coopération représente tout de même 30 % de celui-ci. Nous lui avons demandé pourquoi elle ne parvenait pas à faire augmenter les prix : elle nous a répondu que son pouvoir de marché n'était pas suffisant. Il y a peut-être un problème de répartition de la valeur. Ces deux acteurs sont mus par des logiques différentes. Lorsque j'achète de l'aliment à ma coopérative, l'une de ses entités achète des céréales, une autre revend des aliments, or elles ne se font pas forcément de cadeaux. Il y a peut-être également un problème de connivence entre le maillon qui vend les bêtes vivantes, et celui qui les vend une fois abattues.

M. Jackie Pierre . - Les coopératives vous appartiennent !

M. Julien Bigand . - Certes. Cela ne veut pas dire qu'elles sont toujours bien gérées. Bigard a repris et redressé des coopératives qui étaient dans le rouge. Inversement, si le groupe Bigard était en vente demain, la profession saurait-elle le reprendre ? Laisser partir le centre de décision dans un autre pays aurait des conséquences nettement plus graves que celles que l'on prête aujourd'hui au poids de ce groupe sur le marché.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . -. Spanghero appartenait à la coopérative Lur Berri. Cela pousse à s'interroger sur leurs pratiques.

M. Julien Bigand . - Une coopérative reste une entreprise privée. Elle appartient à des coopérateurs, mais ceux-ci attendent d'elle qu'elle soit puissante et qu'elle ramène de l'argent. Je délègue à la mienne la commercialisation de ma viande bovine ou de mes céréales, et j'entends qu'elle le fasse au meilleur prix. Lorsqu'une entreprise périclite, on frappe souvent à la porte de la coopérative pour qu'elle la reprenne. La coopérative étend son activité, ce n'est pas un mal mais complique l'appréciation de son fonctionnement par les adhérents, à plus forte raison lorsqu'ils n'ont pas accès aux comptes des filiales.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il y a tout de même un problème de gouvernance.

M. Jackie Pierre . - Pourquoi les comptes des filiales ne sont-ils pas accessibles ?

M. Julien Bigand . - Il n'y a aucune obligation dans ce sens. Les administrateurs n'ont pas de droit de regard sur la gestion des filiales.

M. Jackie Pierre . - C'est pire que ce que je pensais ! Un groupe industriel publie les comptes des ses filiales, et pas les coopératives ? J'ai travaillé dans l'Aisne plus de trente ans. Les coopératives devraient apporter un plus à l'agriculture. Or certaines souffrent financièrement !

M. Jean-Jacques Lasserre . - Il y aurait un effort à accomplir, y compris sur la situation des filiales. Elles devraient publier des comptes consolidés. Mais les coopératives s'enferment dans le ronronnement de leur fonctionnement quotidien, et leurs adhérents ont d'autres priorités, ils sont le nez sur le guidon dans leur exploitation. Les torts sont partagés.

M. Julien Bigand . - En matière de gouvernance des coopératives, les propositions de notre rapport d'orientation se sont davantage portées sur le cumul des mandats, et sur la longévité de certains administrateurs ou présidents. Nous défendons le renouvellement des générations de dirigeants, pour redonner de la dynamique au secteur.

M. Gérard Bailly . - Mais y a-t-il des candidats ? Les éleveurs ont d'autres préoccupations, rechignent à abandonner leur ferme le temps d'une réunion, il faut supplier certains de se présenter, et ce ne sont pas toujours les plus compétents qui acceptent.

M. Julien Bigand . - Absolument. Le problème est amplifié dans l'élevage, métier dans lequel il est extrêmement difficile de se libérer de ses obligations professionnelles. Il faudrait un système de remplacement de l'éleveur sur l'exploitation.

M. Gérard César . - Etes-vous stagiaire dans le conseil d'administration de votre coopérative ? Le syndicat des jeunes agriculteurs postule-t-il pour occuper ces fonctions ? Vous critiquez la coopération, mais encore faut-il connaître son fonctionnement, et oser s'y engager.

M. Julien Bigand . - Encore faut-il que les anciens laissent la place ! La question s'est déjà posée : y va-t-on parce que l'on a une casquette syndicale, ou parce que l'on est jeune et désireux de s'investir ? Allons ! Les jeunes, même syndicalistes, ne sont pas entendus.

M. Gérard César . - J'ai commencé comme stagiaire, et je suis devenu président de ma coopérative cinq ans plus tard ! J'ai ouvert la porte moi-même !

M. Julien Bigand . - En tant que paysan ou en tant que syndicaliste ?

M. Gérard César . - Paysan.

M. Julien Bigand . - Et voilà : vous avez répondu vous-même à la question...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Le maintien du crédit d'impôt remplacement suffit-il pour vous rendre plus disponible et vous investir dans les coopératives ?

M. Julien Bigand . - Au risque de vous offenser, je serais partisan de le doubler. L'enveloppe est la même depuis dix ou vingt ans.

M. Jackie Pierre . - Le nombre d'agriculteurs a diminué d'année en année.

M. Julien Bigand . - Pas celui des organismes qui les entourent, et qu'il faut financer et animer, cela ne vous a pas échappé.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il faut reconnaître que l'organisation de la filière est confuse.

M. Julien Bigand . - On nous demande de plus en plus : cela explique qu'il y ait de plus en plus d'organismes à nos côtés. Nous ne pourrions pas faire autrement.

Un mot pour finir sur la promotion de l'installation des jeunes agriculteurs. Il faut d'abord parler du métier de manière positive. Ensuite, la visibilité des prix pose problème. Nous pourrions y remédier par la contractualisation. Nous sommes capables aujourd'hui d'acheter des engrais un an à l'avance. Sauf que l'on ne connaît alors pas encore le prix de la viande. Nous pourrions fixer un prix en fonction de ce que l'on est capable de produire, donc de ce que l'on achète. Connaissant le prix des engrais, on sait que l'on peut vendre, en céréales, deux ou trois campagnes à l'avance. Si vous connaissez votre coût de production, que vous vous couvrez sur vos intrants, vous êtes capable de vendre et d'acheter à deux ans à des prix connus : quel risque courez-vous ?

M. Jackie Pierre . - Le prix des céréales, c'est la bourse !

M. Julien Bigand . - Si vous vendez dix-huit mois à l'avance pour 200 euros, et achetez pour un coût de production de 150 euros, vous ne risquez rien. Vous prenez un risque en revanche si vous vendez à 200 euros mais ne savez pas à quel coût vous allez produire.

M. Jackie Pierre . - Le jour de la vente, le prix peut se situer à 250 et vous y perdez.

M. Julien Bigand . - C'est un manque à gagner, pas une perte.

M. Jackie Pierre . - Vous boursicotez !

M. Julien Bigand . - Boursicoter, c'est ne pas savoir. Dans ce cas, il ne s'agit que d'anticiper.

M. Jackie Pierre . - Certains profiteront de la situation mieux que vous !

M. Julien Bigand . - En quoi cela est-il gênant ? Le marché est libre.

M. Jackie Pierre . - Si vous vous en accommodez, n'allez pas ensuite accuser les grands groupes de vous faire de la concurrence !

M. Julien Bigand . - En viande bovine, le drame consiste à ne pas connaître le prix de vente. La solution consiste à anticiper : vous pouvez acheter à terme du tourteau de soja au mois de mars pour le mois de novembre de la même année. L'un de mes collègues proposait à l'abattoir un contrat à 1,70 euro le kilo de cochon, sachant qu'il achetait à terme l'aliment à 1,50 euro. L'abatteur a refusé. Puis le prix du porc est passé à 2 euros, et l'aliment à 1,80 euro : avec un contrat, le producteur aurait pu connaître sa marge à l'avance, le transformateur aurait acheté le cochon moins cher, et le consommateur aussi !

Pour aider à la reprise des exploitations, nous proposons d'abord de doubler la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA), qui date de 1976. Depuis, le niveau des prix a été multiplié par cinq. Il ressort du rapport que nous avons publié il y a deux ans sur le sujet que l'installation est plus fréquente là où elle est soutenue financièrement. Dans les zones de plaine, il n'y a plus d'aide à l'installation : on dénombre peu de nouvelles exploitations. Certains crédits européens apportent leur concours. Nous proposons aux entreprises, fondations, associations, coopératives, et aux collectivités territoriales d'y joindre leur soutien. Nous souhaitons réaliser un portail des aides à l'installation, que nous avons baptisé « mur bancaire » car nous le souhaitons solide. Nous pensons que les financements publics ne suffiront bientôt plus.

M. Jackie Pierre . - Les collectivités territoriales contribuent déjà.

M. Julien Bigand . - Certes. Nous souhaitons regrouper tous ces financements et les rendre plus transparents pour le jeune qui souhaite s'installer.

M. Jackie Pierre . - Demander à une coopérative de participer à ce type de financements, c'est la mettre en difficulté par rapport à ses concurrents industriels.

M. Julien Bigand . - C'est mal connaître le marché actuel : nous sommes en sous-production. Le marché de demain appartient à ceux qui seront capable de capter la production, donc à ceux qui aident les plus jeunes à se lancer ! Le fonds national de l'élevage finance déjà l'achat de vaches allaitantes par de nombreux jeunes agriculteurs : ceux qui les ont aidés font tourner plus facilement leurs outils d'abattage et de transformation...

M. Gérard Bailly . - La production ovine a baissé de moitié en vingt ans, la production porcine de 8 % à 10 %. Nous venons de perdre 300 000 bovins lors du dernier exercice. Ne parlons pas de la volaille. Si vous aviez les manettes, que feriez-vous pour enrayer cette crise de production ?

On ne devrait plus parler de zone de plaine à propos de la DJA, mais plutôt de zone céréalière ou zone d'élevage. Dans certaines plaines en effet, les céréaliers n'ont pas de problèmes pour produire, tandis qu'il en est d'autres, dans le Morvan par exemple, où l'on doit faire de l'élevage comme en montagne, faute de pouvoir mettre en marche la charrue et espérer les mêmes rendements. Il y a là deux politiques différentes à mener.

Réformée en 2014, la PAC ne sera pas revue avant 2020. Nous souhaitions moduler les aides selon la conjoncture - bonnes ou mauvaises années - mais le ministre nous a dit que c'était impossible.

Mme Bernadette Bourzai . - Tous les ministres le disent.

M. Gérard Bailly . - Ne peut-on au moins avancer sur la question de l'installation ?

M. Julien Bigand . - Le rapport d'orientation du syndicat l'a montré, là où il n'y a pas d'aides à l'installation, personne ne s'installe et ce sont les exploitations existantes qui s'agrandissent. Demain, si un jeune céréalier n'a que 100 hectares, il se posera peut-être la question de cultiver des légumes de plein champ, et plus seulement le triptyque colza-blé-orge.

La Marne est un bon exemple de la marche à suivre. Il y a quelques années, sur le plan agricole, le département n'existait pas. Il a fallu défricher de nombreux hectares, comprendre que le sol était une éponge calcaire mais que la luzerne permettrait de s'en sortir. Une filière de déshydratation de luzerne a été construite. Puis une catastrophe climatique a conduit le département à se réorienter sur l'orge de printemps brassicole. Lorsque les brasseurs leur en ont demandé à nouveau, ils se sont mis à commercialiser du malt...

M. Gérard Bailly . - Les volumes de céréales ne cesseront d'augmenter.

M. Julien Bigand . - Prenez un agriculteur disposant de 150 hectares : il peut valoriser son blé à 196 euros au marché à terme, le transformer en lait, en viande bovine, en porc. L'éleveur, lui, valorise sa production à 160 euros, c'est-à-dire travaille 365 jours par an pour trente euros de moins. Heureusement que les gens ne réfléchissent pas trop !

M. Jackie Pierre . - Contrairement à vous !

M. Julien Bigand . - Je devrais en effet réfléchir davantage, puisque je fais de l'élevage. Mais j'ai 40 hectares de terres inondables et 70 % d'herbe, sur du sol sableux. Il faut soutenir l'élevage, mais non opposer l'élevage aux grandes cultures.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Peut-on en venir aux normes qui s'appliquent aux exploitations et contraignent les jeunes agriculteurs ?

M. Julien Bigand . - Mettre son exploitation aux normes, lors de l'installation ou progressivement, cela coûte cher. Lorsque les normes rendent le travail de l'exploitant et la vie des animaux plus confortables, elles sont bienvenues. Reste que l'administration les applique de façon un peu rigide.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Elle manque de bon sens paysan !

M. Julien Bigand . - Se mettre aux normes n'est pas toujours facile, mais l'agriculteur est le premier à en bénéficier. S'il ne le fait pas, c'est qu'il en est empêché. Idéalement, il faudrait garantir la stabilité des normes, et se garder de vouloir en faire plus que nos voisins. L'installation de porcs est soumise à déclaration à partir de 450 têtes en France, contre 2 000 en Allemagne.

Nous sommes sur les mêmes marchés, les prix sont identiques, mais pas les conditions de travail, ce qui n'est pas acceptable. Enfin, le consommateur doit savoir ce qu'il achète.

M. Gérard Bailly . - Nous allons bientôt examiner un projet de loi sur les retraites. Pensez-vous que les cotisations versées par les jeunes agriculteurs soient au bon niveau ?

M. Julien Bigand . - En cas de bonne année, les agriculteurs cotisent plus, du fait de la suppression d'un certain nombre de mécanismes régulateurs. Le niveau de retraite n'est pas élevé, mais au bout de 10 à 15 ans de retraite, l'agriculteur récupère l'essentiel de ses cotisations. Pendant les premières années d'installation, il n'est cependant pas envisageable de cotiser plus qu'aujourd'hui.

M. Gérard Bailly . - Si l'on veut que les agriculteurs touchent des retraites semblables à celle des autres Français, faut-il augmenter les cotisations ?

M. Julien Bigand . - Certes, le montant des retraites doit être revalorisé, mais les jeunes ne peuvent cotiser plus qu'aujourd'hui. En outre, l'effet démographique ne permet pas de faire payer les actifs agricoles pour les retraités actuels.

M. Gérard Bailly . - Faut-il conserver le régime de la Mutualité sociale agricole (MSA) ?

M. Julien Bigand . - Pendant les élections aux chambres d'agriculture, j'ai croisé le président des anciens qui avait demandé à sa ministre de tutelle si une pension mensuelle de 700 euros lui semblait acceptable. Elle lui a répondu : « Combien de terres agricoles possédez-vous ? » Cette réponse en dit long. Certains agriculteurs bénéficient effectivement d'une capitalisation foncière, mais pas tous. Si le montant de la retraite était calculé en fonction de la richesse de chacun, les agriculteurs seraient loin dans le bas du tableau...

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour votre dynamisme et pour la qualité de vos réponses.

Audition de MM. Michel Prugue, président, et Christian Marinov, directeur, de la Confédération française de l'aviculture (mercredi 19 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . -. Nous avons effectué la semaine dernière une longue visite en Bretagne, nous avons beaucoup appris sur les filières porcine et avicole. Vous allez nous apporter des informations complémentaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . -. Quelles sont les pistes pour sauver cette filière avicole, qui semble en perdition ? Nous importons 45 % de notre viande de poulet.

M. Michel Prugue, président de la Confédération française de l'aviculture . - La filière volaille française a été très puissante lorsqu'elle bénéficiait d'un avantage concurrentiel et investissait massivement à l'exportation, tout en satisfaisant la demande du marché intérieur. Celui-ci est très segmenté, notamment du fait des labels.

Aujourd'hui, le marché international reste en plein développement et le marché intérieur continue à croître lentement, mais nos positions s'affaiblissent, car depuis l'époque des investissements massifs, les années soixante-dix et quatre-vingt, notre appareil productif a vieilli. Et les marchés que nous avions pris en Allemagne et en Grande-Bretagne se réduisent car les producteurs de ces pays, plus performants, ont réussi la reconquête de leur marché intérieur.

La grande distribution en France a été un formidable moteur pour l'agro-alimentaire pendant des années mais, depuis quelque temps, elle capte les marges sur les acteurs de l'amont de la filière. La perte de marchés à l'étranger a exacerbé la concurrence entre les entreprises.

La segmentation de l'offre a un coût. Or le consommateur souhaite désormais dépenser le moins possible. Les importations de volailles européennes se sont considérablement accrues ces dernières années, ce que confirme une récente étude de FranceAgriMer. Dans la restauration collective, les importations représentent 84 % des achats. Ce phénomène se retrouve dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), qui ont voulu pratiquer les mêmes prix que les hard discounters allemands.

Il y a encore dix ans, notre filière se préoccupait essentiellement des segments export et label ; le coeur de gamme a été délaissé. Les pays du nord de l'Europe, eux, ont travaillé sur l'environnement et sur le bien-être animal. La France n'a pas su le faire, peut-être parce que la production bretonne, la principale en volume, était focalisée sur l'exportation, même si d'autres régions de France, Pays-de-Loire, Grand Sud-ouest, étaient tournés vers le marché intérieur.

Les labels ont fait notre force, mais ce n'est plus le cas puisque désormais c'est le prix qui fait la différence pour le consommateur. Il est dommageable que les opérateurs milieu de gamme ne puissent pas mentionner sur les emballages le mode d'élevage.

M. Gérard César . - Qui l'interdit ?

M. Michel Prugue . - Les pouvoirs publics, et la profession, laquelle est très organisée, mais par segments. Nous travaillons sur une interprofessionnalisation globale, car aujourd'hui, chacun défend l'intérêt de son segment et oublie celui de la filière.

En 2000, le groupe Bourgoin a fait faillite : on aurait pu en profiter pour restructurer l'ensemble, mais un nouvel opérateur a émergé. Ce fut la même chose récemment avec le groupe Doux.

Ces derniers temps, la situation s'est aggravée du fait du dumping salarial auquel se livrent les Allemands. Les porcs bretons sont envoyés à l'abattage outre-Rhin ! Je comprends que l'on ne doive pas, par des subventions à un secteur, créer des avantages illégitimes, mais ici, il s'agit simplement de compenser les effets du dumping, qu'il soit salarial en Allemagne ou monétaire au Brésil !

Quand les revenus ne sont pas suffisants, il n'y a pas d'investissements et la compétitivité s'érode. Dans les pays concurrents, les bâtiments d'élevage sont souvent producteurs et non consommateurs d'énergie - mais cela suppose des équipements coûteux...

En outre, l'opinion française préfère le petit au grand. Or, les élevages compétitifs allemands couvrent 10 à 12 000 mètres carrés tandis que les nôtres plafonnent à 3 000. Les Hollandais et les Allemands ont convaincu les protecteurs de l'environnement que la taille des exploitations n'était pas la vraie question, mais qu'il fallait en revanche maîtriser les conséquences de la production, nuisances, effluents, etc... Dans le cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), le secteur de la volaille a servi de monnaie d'échange. La France, elle, résiste à cette logique.

Comme l'avait annoncé un ministre à l'époque : « il y a maintenant un trou dans la coque, le bateau finira par couler... » Ce n'est pas encore le cas, mais il a parfois du mal à flotter. Les négociations du Gatt ont entraîné des dérèglements dans la production. Deux plans de cessation d'activité se sont soldés par des milliers de mètres carrés de bâtiments d'élevage perdus, et ce sont souvent les meilleurs qui se sont retirés, ayant les premiers amorti leurs investissements. Comment faire aujourd'hui pour retenir les plus performants et faire progresser les autres ? Comment rationaliser la production afin de réduire les coûts ?

Les industriels ne restent pas inactifs. Certains se restructurent dans le but d'attaquer le segment du coeur de gamme. Aujourd'hui, les exportations sont menacées et notre marché intérieur est envahi par les importations. Or, quand on exporte de la volaille, on exporte aussi des céréales et de l'emploi.

Nos importations en provenance de l'Asie, notamment de Chine, augmentent très rapidement, même si les volumes ne sont pas considérables. Tout de même, quand on connaît la situation sanitaire dans ces pays, cela fait frémir. Notre système sanitaire fonctionne très bien ; il en va autrement là-bas.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - J'ai vu un reportage sur un élevage chinois, dans un bâtiment à étages à claire voie : les canards sont placés sous les porcs. Nous pouvons donc retrouver dans nos assiettes des canards nourris de la sorte...

M. Michel Prugue . - Il y a des modèles d'élevage qui fonctionnent par recyclage permanent. Je ne suis pas sûr que la société française les accepte.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Elle accepte l'importation de canards élevés sous des porcs !

M. Michel Prugue . - Nous importons à prix bas sans regarder comment les aliments sont produits, pendant que nous nous imposons des règles de production très strictes.

Je le dis à des patrons de grande distribution : « Arrêtez de vouloir réduire toujours plus les prix payés aux éleveurs ! » Il y a quinze ans, un ministre voulait réunir les producteurs laitiers pour résoudre une crise du lait : d'accord, avons-nous répondu, si tous les coupables sont présents autour de la table. Je pensais aux distributeurs...

L'an dernier, les prévisionnistes annonçaient une récolte de céréales normale. Les prix ont été négociés, mais des conditions climatiques extrêmes ont touché les États-Unis et l'Europe de l'est, d'où une spéculation inattendue. Mais pour les producteurs eux-mêmes, les hausses de prix, qui auraient dû être de 15 ou 16 %, n'ont pas dépassé 8 à 9 %. Pour faire pendant à ce retard, nous avions proposé que, lorsque les cours des céréales reflueraient, on attende six à huit mois pour réduire les prix des volailles, afin de protéger nos entreprises. Hélas cela n'a pas été possible, en raison d'une concurrence exacerbée. De fait, les prix ont immédiatement recommencé à baisser.

Le système est déréglé. Que faire ? Je n'ai pas de solution clé en main, mais voici des pistes de réflexion. Sur le court terme, il faut alléger les contraintes administratives et réduire le poids des normes. Par exemple, nous n'avons plus le droit de stocker les fumiers de volaille aux champs, en attendant le résultat d'études de sol : soit, mais dans l'intervalle, nous sommes pénalisés. Il faut aussi veiller à ce que les règlementations provenant des ministères de l'agriculture et de l'environnement ne se contredisent pas. La complexité de cette réglementation est difficilement supportable.

La France veut-elle rester un pays exportateur de volailles ou veut-elle recycler sa production sur le marché intérieur ? La question ne peut se poser ainsi, car il ne s'agit pas des mêmes marchés : les circuits, les produits et les entreprises diffèrent. Les distorsions de concurrence pourraient être compensées grâce à la promotion de l'exportation : cela coûterait 40 à 50 millions d'euros à l'Europe, sur le budget de la PAC, et ce serait une manière habile de soutenir les exportations de céréales transformées dans la production de poulet.

Pour inciter les entreprises à se restructurer et les producteurs à investir, encore faut-il avoir une bonne visibilité sur le marché intérieur. Le ministre de l'agriculture avait proposé de communiquer sur la volaille française en mettant en avant les logos commerciaux, le bien-être animal et le caractère local de la production. Nous y sommes bien évidemment favorables. Nous sommes aussi d'accord aussi pour privilégier la sécurité et le plaisir gustatif.

Sur le moyen et long terme, nous proposons de repenser nos schémas d'amélioration de la productivité par la génétique et la nutrition animale. En partant des produits dont nous aurons besoin demain, nous pourrions définir les types de volailles à retenir. Les Etats-Unis se sont déjà lancés dans cette voie et ils proposent des volailles de bonne qualité, nourries à base de maïs et de soja. Nous devons aussi veiller à remettre notre société de consommation en phase avec la réalité de la production. On ne nourrira pas les 60 millions de Français avec des poulets élevés dans des cours de ferme. L'élevage de volaille, c'est de la transformation de céréales en protéines animales, ce qui n'empêche pas de travailler sur l'immatériel et l'imaginaire de nos concitoyens. Il y a une grande différence entre le poulet rôti du dimanche et les nuggets de la restauration collective, ce que l'on appelle le minerai, terme que je n'aime pas, car il dévalorise le travail des éleveurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Faut-il oublier les labels et les produits bio, qui pourraient améliorer l'image du secteur ?

M. Michel Prugue . - Il ne faut pas les laisser de côté, bien sûr. Le bio doit se développer à son rythme. Les poulets produits sous label ont longtemps dominé le marché du poulet entier. La situation est aujourd'hui plus difficile : la découpe et le prix bas l'emportent.

M. Gérard César . - N'y a-t-il pas deux marchés : un marché intérieur avec des produits labellisés et un marché export où le label n'a pas prise ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Il y aurait aussi un troisième marché : le poulet standard importé.

M. Michel Prugue . - Oui, car le critère essentiel aujourd'hui, je le répète, est le prix.

M. Gérard César . - Quelle est à présent la part du poulet label ?

M. Christian Marinov, directeur de la Confédération française de l'aviculture . - Sur le poulet entier, le label représente 15 % de la production totale, mais 45 % des ventes en GMS. Sur la découpe, le label n'a pas une place importante.

M. Michel Prugue . - On achète les découpes pour cuisiner : la différence gustative est alors moins perceptible qu'avec un poulet entier.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Il y a le sapin et le chêne : l'un pousse plus vite que l'autre. Pour les poulets, c'est la même chose.

M. Michel Prugue . - Chacun ses qualités. On a trop eu tendance à dénigrer le produit standard. Je le dis bien que mon entreprise soit spécialisée en volaille à label.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La France importe-t-elle des poulets label ?

M. Michel Prugue . - Les labels n'existent pas à l'étranger. En revanche, nous exportons environ 10 % de notre production de poulets label. Dans d'autres pays, on produit néanmoins des poulets élevés en free range , qui vivent à l'extérieur.

En France, le label est attribué aux poulets élevés en 80 jours minimum, qui vont dehors à partir de 40 jours et qui sont nourris selon des formules spécifiques. Dans le nord de l'Europe, certaines catégories de poulets sont élevés dans les bâtiments non claustrés, ouverts sur une courette ; ils grossissent en 56 jours et sont nourris aux céréales.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Y a-t-il une différence entre poulet fermier et poulet label ?

M. Michel Prugue . - Le « fermier » est défini au niveau communautaire tandis que le label rouge est une réglementation française qui date des années soixante.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Notre pays importe-t-il des poulets fermiers ?

M. Michel Prugue . - Non, nous importons des poulets entiers standards et des pièces de découpe.

M. Christian Marinov . -Nous avons réussi à restreindre les échanges de poulets entiers, au plan européen, aux poulets de 80 jours. La révision actuelle comporte un risque car ce critère pourrait être abandonné.

M. Gérard César . - Où en est le groupe Doux ?

M. Michel Prugue . - Je n'en sais pas plus que vous. Nous attendons de voir ce que vont faire la famille et les actionnaires. Accepteront-ils de perdre le contrôle de l'entreprise ? Un redressement est-il possible ? Ne faudrait-il pas réunir les deux sociétés qui font de l'export, Tilly-Sabco et Doux, avec des capitaux venant des grands industriels de la volaille, des céréaliers, de la Banque publique d'investissement (BPI), pour créer une grande structure spécialisée sur les marchés extérieurs, centralisant les aides ? Celles-ci doivent irriguer toute la filière, avec une contractualisation de bout en bout, voire une indexation. La filière souffre cependant d'un manque de transparence généralisé. Il faudrait reconstruire le modèle en définissant pour chaque maillon le bon niveau des marges, afin que celles-ci ne soient nulle part confisquées. Ce dossier est difficile à faire avancer. Serge Papin, au nom des distributeurs, est d'accord pour en parler, mais le sujet fait peur aux autorités de la concurrence.

M. Gérard César . - On l'a vu, pareillement, pour le lait.

M. Gérard Bailly . - Je ne suis pas un chaud partisan des organismes génétiquement modifiés (OGM) : mais sur ce sujet, ne sommes-nous pas un peu hypocrites ? Nous refusons d'en cultiver mais nous importons des porcs et des volailles nourris à base d'OGM. Les sojas que nous importons ne sont-ils pas non plus génétiquement modifiés ?

Ne pourrions-nous pas vanter davantage nos produits qui, tout chauvinisme mis à part, sont excellents ? Notre marché intérieur est-il suffisamment rémunérateur ? Les volumes de production animale chutent de façon vertigineuse. Ce sont les grandes surfaces qui sont responsables. Leclerc ne jure que par les prix bas ! Quelques centimes de plus à l'achat par les distributeurs et l'on pourrait assurer le renouvellement des exploitations !

M. Michel Prugue . - Nous nourrissons nos volailles et nos bovins avec du soja OGM puisque provenant d'outre-Atlantique. Les experts estiment que le processus de production des tourteaux, lors du chauffage, enlèvent toute nocivité aux OGM.

Certains pensent que faire de l'Europe une zone sans OGM serait une belle opération marketing et aurait pour vertu de protéger notre marché contre les importations. Je serais plus prudent. Il est regrettable que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ait cédé aux pressions et renoncé aux travaux qu'elle menait pour éclairer le législateur et l'opinion publique sur les OGM. C'est comme si nous avions refusé, il y a dix ou vingt ans, les recherches sur la génétique animale et végétale. Bien sûr, comme père de famille et comme citoyen, je m'interroge sur les risques à long terme, mais ce n'est pas en fermant les yeux que l'on règlera le problème. Il est vrai qu'un certain nombre de pays ont acquis, grâce aux OGM, un avantage concurrentiel.

Les enseignes de la GMS ne cherchent pas le prix le plus bas, mais un prix plus bas que celui du concurrent. Sur la volaille, la marge est importante...

Quand les prix des céréales ont flambé, les grands distributeurs ont tout de suite voulu répercuter la hausse sur le consommateur de volaille. Ils affirment vouloir avant tout défendre le pouvoir d'achat des Français, ce qui est faux. Je ne veux pas rejeter sur eux toute la responsabilité, mais ils en portent une lourde part. Une réflexion générale sur les marges s'impose si l'on veut éviter un effondrement du système.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Les modes de consommation ont beaucoup évolué en quelques décennies : on mange de la viande non plus une ou deux fois par semaine mais à tous les repas. Ne faudrait-il pas consommer moins et mieux ? Cela éviterait une fuite en avant vers une production bas de gamme. Comment aller vers une meilleure qualité ?

M. Michel Prugue . - Attention : la consommation de volaille de label ne peut augmenter à l'infini ; son prix de revient est élevé, puisqu'il faut deux fois plus de temps, donc de grain, par kilo de poulet. Nous avons besoin de protéines animales. La question est donc : comment les produire le moins cher possible ? Les Français ont réduit leurs achats de viande bovine à cause des prix. La consommation de dinde recule parce que le poulet de qualité standard est meilleur marché.

A travers le monde, la consommation de volaille se développe car c'est la protéine animale la moins chère et elle ne souffre pas d'interdits religieux. Dans le bassin méditerranéen, la population augmente. Or les pays concernés n'ont pas les capacités de production animale correspondantes, les ressources en eau sont limitées et les températures excessives. N'est-il pas de notre responsabilité collective d'exporter vers ces pays ? Jusqu'à présent, l'agriculture a été la variable d'ajustement dans les négociations internationales. N'est-il pas temps de penser autrement ?

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Merci pour votre contribution, qui a utilement complété ce que nous avons appris lors de notre déplacement en Bretagne.

Audition de M. Gilles Rousseau, président, et Mme Aurore Guénot, conseillère, de la Fédération française des marchés de bétail vif (FMBV) (mercredi 19 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Notre mission commune d'information s'intéresse à tous les aspects de la filière viande, et notamment à la commercialisation des animaux de boucherie.

M. Gilles Rousseau, président de la Fédération française des marchés de bétail vif (FMBV). - C'est pour nous très importants d'être auditionnés par votre mission. Les marchés aux bestiaux que nous représentons existent dans notre pays depuis très longtemps, et la France est le seul Etat membre de l'Union européenne où ces marchés fonctionnent encore. On en dénombre 53. Ces marchés ont une utilité : en leur sein sont assurés les arbitrages entre acteurs de la vente d'animaux de boucherie. Ces échanges permettent d'établir des indicateurs de prix et constituent donc des repères pour les consommateurs, pour les industriels, comme pour les éleveurs. La tradition sur ces marchés est celle d'une faible formalisation. Les accords sont souvent conclus en « topant » Les transactions sont parfois encore exprimées en francs. Un tiers des ventes de broutards français destinés à l'export s'effectuent sur les marchés aux bestiaux.

Mme Aurore Guénot, conseillère de la Fédération française des marchés de bétail vif . - Sur les marchés aux bestiaux transitent 15 % de l'ensemble des échanges de bétail en France.

M. Gilles Rousseau . - On en est même à 50 % pour les veaux de qualité comme par exemple les veaux de l'Aveyron, qui sont des animaux de très haute qualité. Globalement, sur les veaux, les marchés aux bestiaux assurent 15 à 20 % de la commercialisation. Mais cette part est en baisse car, du fait du développement de la politique de filières, les animaux ne viennent plus sur les marchés. Les industriels, pour avoir de l'approvisionnement régulier, préfèrent contractualiser. La conséquence en est simple : il n'y a plus de discussion directe sur les prix et les indicateurs de prix deviennent plus difficiles à établir. Ce qui n'est pas commercialisé sur les marchés aux bestiaux l'est directement par les coopératives, les négociants ...

Il existe des marchés aux bestiaux de toutes tailles : en Normandie, par exemple, existent encore beaucoup de petits marchés aux bestiaux. Mais ils ne relèvent pas tous de notre fédération. On va de marchés rassemblant 2 500 à 3 000 animaux toutes les semaines, comme à Bourg-en-Bresse, qui est le plus important, à des marchés de 200 animaux. Les marchés de Cholet ou encore de Chateaubriand sont aussi de taille importante.

Mme Aurore Guénot . - En 2012, 1,3 millions d'animaux se sont échangés sur les marchés aux bestiaux relevant de notre fédération.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - D'où viennent les animaux présentés sur les foirails : peuvent-ils venir d'autres pays européens ?

M. Gilles Rousseau . - Non.

Les marchés aux bestiaux se divisent en deux types : les marchés de producteurs - essentiellement de producteurs ovins - et les marchés au cadran. Les négociants jouent un rôle essentiel sur nos marchés. Ils vendent pour leur propre compte ou pour le compte des éleveurs, souvent à d'autres négociants. Les foirails jouent un rôle important de deuxième mise en marché. Les négociants passent aussi par les marchés aux bestiaux pour vendre des animaux maigres, qu'ils ont allotés, à des engraisseurs. Il existe aussi des variations saisonnières dans l'activité de nos marchés.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les conséquences pour vous de la mise en place de l'écotaxe poids lourds ?

M. Gilles Rousseau . - C'est une catastrophe pour la filière. Cela représentera 12 à 15 centimes du kilomètre. Si ce n'est pas l'éleveur qui paiera, c'est lui qui en supportera le coût, qui lui sera répercuté.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Toutes les routes ne sont pas concernées.

M. Gilles Rousseau . - Les négociants estiment que cette taxe représentera environ 15 % de leur marge. Ils seront obligés de répercuter cette charge nouvelle sur les éleveurs lors de la discussion sur le prix des bêtes. Vous devez vous battre pour trouver une solution. Des investissements lourds ont été effectués sur les routes pour permettre de recouvrer l'écotaxe poids lourds. Elle doit être rentable pour l'Etat.

M. Jackie Pierre . - Tout ne sera pas prêt cet été.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ceux qui fabriquent et installent sur les routes les équipements comme les capteurs sont ceux qui gagneront le plus d'argent.

Pouvez-vous nous indiquer ce que vous pensez du dispositif français de traçabilité des animaux ?

M. Gilles Rousseau . - On a une traçabilité forte en France qui fonctionne bien. Actuellement, il est question de dématérialiser le passeport des animaux. Cela nous pose problème car les marchés aux bestiaux devront les réimprimer.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Y a-t-il des acteurs qui cherchent à écouler des bêtes sur les foirails sans respecter les règles, notamment de traçabilité ?

M. Gilles Rousseau . - Non, nous contrôlons beaucoup les acteurs des marchés. A l'entrée, la carte d'opérateur est contrôlée. Ensuite, les documents d'accompagnement de chaque bête sont lus. Il arrive, sur des marchés frontaliers, que des bêtes provenant de pays voisins soient échangées, mais c'est marginal.

M. Gérard César . - Les services vétérinaires sont-ils présents sur les marchés aux bestiaux ?

M. Gilles Rousseau . - Oui. Je souligne que, comme centres d'allotement, tous les marchés aux bestiaux sont soumis à un agrément sanitaire français et européen. Nous sommes très contrôlés, par exemple sur la concordance entre les boucles des animaux et les passeports.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Aucun animal ne vient d'Italie sur vos marchés ?

M. Gilles Rousseau . - Non, c'est l'inverse : nos broutards partent en Italie pour être engraissés et sont abattus en Italie, où ils sont consommés, car en France, on ne mange pas de jeunes bovins.

M. Jackie Pierre . - Je viens de faire un rapide calcul du coût du l'écotaxe poids lourd au kilomètre. J'arrive à un coût de 0,01 € le kilo.

M. Gilles Rousseau . - Même à ce niveau, cela reste un coût supplémentaire. Les marges des négociants ne sont pas énormes.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - La contractualisation va-t-elle fragiliser les marchés aux bestiaux ?

M. Gilles Rousseau . - Cela ne va pas nous aider. Notre fédération a signé l'accord interprofessionnel sur la contractualisation dans l'intérêt collectif de la filière. Tout le monde ne passera pas par la contractualisation. Il faut conserver des échanges significatifs sur les marchés aux bestiaux pour disposer de références de prix sérieuses, fondées sur un nombre suffisant de transactions. Le jour où ces références disparaîtront, ce seront les gros industriels seuls qui fixeront les prix et les éleveurs seront perdants.

M. Jackie Pierre . - Ces industriels, comme par exemple le groupe Bigard, achètent-ils aujourd'hui sur les marchés aux bestiaux ?

M. Gilles Rousseau . - Oui, et ils doivent se battre avec les autres acheteurs. Mais les industriels ont parfois des arguments qui permettent de ne pas avoir à se battre sur les marchés aux bestiaux. Le groupe Bigard peut ainsi promettre de payer les bêtes à leurs apporteurs un franc de plus au kilo.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Pouvez-vous nous indiquer ce que vous pensez de la récente réforme des cotations ?

M. Gilles Rousseau . - On a voulu simplifier le système à l'extrême. Les marchés aux bestiaux permettent un classement plus fin. On dispose encore de quelques agents de FranceAgriMer sur nos marchés. C'est important car c'est par ce contact avec le terrain qu'ils connaissent bien leur métier. En outre, l'avantage des marchés aux bestiaux, par rapport au système des cotations, c'est qu'ils donnent des prix sur toute la France.

La machine à classer ne donne qu'une indication. L'oeil d'un professionnel expérimenté est plus précis. Les négociants sont des professionnels aguerris. Ils vendent les bêtes aux abattoirs au classement donc ne se trompent pas entre un animal classé O, classé R ou classé U.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Quelles pistes suggérez-vous pour les marchés aux bestiaux au sein de la filière viande ?

M. Gilles Rousseau . - Notre fédération cherche à améliorer le fonctionnement des marchés aux bestiaux. Nous travaillons à un dispositif de garantie de paiement, avec un paiement rapide à trois jours.

M. Jackie Pierre . - Quels sont les délais aujourd'hui.

Mme Aurore Guénot . - Ils sont d'environ 15 à 20 jours.

M. Gilles Rousseau . - Nous rencontrons quelques soucis de paiement avec les acheteurs italiens, à cause de la crise. Nous sommes probablement à la veille d'avoir de sérieux soucis sur ce plan.

M. Jackie Pierre . - Ne faudrait-il pas s'inspirer des dispositifs existants pour le marché du bois.

M. Gilles Rousseau . - Peut-être. Je souligne un autre point : les marchés aux bestiaux ont besoin de représenter une part significative de la commercialisation car plus il y a d'animaux sur un marché, plus il y a de concurrence.

J'ajoute que la piste consistant, dans le cadre de la réforme de la PAC, à majorer la prime pour les premiers hectares, va dans le bon sens. Mais il faudrait réserver cette aide à ceux qui ont une certaine surface en herbe. Les céréaliers sont aujourd'hui bien lotis. Il faut avantager l'élevage, d'autant que les conditions de travail y sont terribles.

Il est également nécessaire de trouver des solutions pour la transmission des fermes, qui sont devenues grandes. Le droit fiscal français n'est pas adapté aux cas de transmissions de fermes comptant plus de 250 vaches.

Enfin, les éleveurs doivent retrouver de la rentabilité pour sortir de la dépendance aux primes. Le secteur de la viande bovine a vécu pendant 25 ans grâce aux primes. Il faut trouver les moyens de sortir de ce système.

M. Jackie Pierre . - La PAC a permis à certains d'acheter des tracteurs neufs.

M. Gilles Rousseau . - Oui mais payés par des emprunts, qu'il faut un jour rembourser. L'enjeu aujourd'hui est celui du maintien de l'élevage en France. Nous sommes à la veille d'un affaiblissement durable de l'élevage au profit des grandes cultures. Pour s'en sortir, les prix de la viande à l'étal doivent être augmentés. Les industriels et les distributeurs doivent aussi pouvoir gagner leur vie sur la viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure . - Ne devrait-on pas encourager les filières de qualité ?

M. Gilles Rousseau . - La viande française est de qualité. Lorsqu'elle ne l'est pas, ce n'est pas toujours la faute de l'élevage. Il faut savoir travailler la viande, la faire maturer.

M. Jackie Pierre . - Il faut aussi apprendre au consommateur à mieux choisir.

M. Gilles Rousseau . - La bonne viande bovine risque de devenir un produit rare. Nous perdons du cheptel et la fin des quotas laitiers aura encore un impact négatif. La PAC permet d'avoir des aides directes couplées pour le secteur de l'élevage, utilisons ces possibilités !

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - C'est ce que nous entendons défendre. Il faut sauver notre modèle d'élevage.

M. Gilles Rousseau . - Le risque, en effet, c'est de transformer notre modèle d'élevage extensif par des feed lots à l'américaine, comme j'ai pu en visiter lors d'un voyage d'étude récent d'Interbev.

M. Jackie Pierre . - L'élevage est incontestablement l'échelon fragile de notre agriculture.

M. Gilles Rousseau . - N'oublions pas que l'alimentation du bétail constitue l'un des débouchés majeurs de notre production céréalière. Il faut conserver une agriculture diversifiée, qui repose sur les cultures mais aussi les productions animales. Nous ne mangerons pas demain des biftecks de blé.

Mme Bernadette Bourzai , présidente . - Nous partageons votre préoccupation sur ce point.

Audition de MM. Joël Mergui, Président du consistoire central israélite de France et Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle, conseiller auprès du grand rabbin de France sur l'abattage rituel viande (mercredi 26 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous accueillons aujourd'hui M. Joël Mergui, président du consistoire central israélite de France et M. Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle, conseiller sur l'abattage rituel auprès du grand rabbin de France et du président du consistoire central, et par ailleurs vétérinaire. L'audition des représentants des cultes par notre mission d'information n'a pas pris la forme d'une table ronde, comme nous l'aurions souhaité : je tiens à préciser que cela s'explique par des incompatibilités d'agenda, et non par le fait que nous y aurions été opposés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La communauté juive est présente en France depuis 2000 ans, et le judaïsme français fait partie de notre identité nationale ; il n'est jamais inutile de le rappeler.

Les lois alimentaires juives de la cacheroute concernent tout autant le choix des animaux que leur mode d'abattage. Elles interdisent notamment de consommer le sang, le nerf sciatique et certaines graisses. L'animal ne doit être ni mort ni blessé au moment où il est égorgé. C'est pourquoi vous refusez l'étourdissement au moment de l'abattage, ce qui vous est accordé par dérogation à la loi. L'abattage rituel juif, la shehita , est pratiqué par des sacrificateurs juifs. Il consiste entre autres à trancher la veine jugulaire, l'artère carotide, l'oesophage et la trachée d'un seul geste continu et à vider l'animal de son sang. La défaillance d'un seul de ces critères rend la viande impropre à la consommation pour les Juifs. La carcasse doit en outre être examinée après l'abattage afin de s'assurer que l'animal n'était pas atteint d'un défaut, comme une blessure ou une adhérence, et que l'égorgement a été correctement pratiqué. Les parties interdites à la consommation doivent ensuite être retirées. Pour des raisons pratiques, plutôt que de retirer le nerf sciatique, les sacrificateurs préfèrent souvent retirer l'ensemble des gigots et des cuisses, qui sont ensuite vendus à des non pratiquants dans des circuits de distribution classiques.

La viande casher est au coeur des préoccupations des consistoires juifs. A travers la taxe rabbinique perçue pour l'attribution du certificat de cacheroute , elle fournit par exemple 40 % du budget annuel de 3 millions d'euros du consistoire juif de Marseille. Pouvez-vous nous indiquer le montant exact de la taxe rabbinique au niveau national ? À quoi et à qui cet argent est-il destiné ?

Selon son site Internet, le consistoire israélite de Marseille fait abattre 50 à 60 bêtes par semaine et déclasse 70 % des animaux jugés impropres à la consommation pour les Juifs. Ces animaux sont donc vendus dans le circuit classique, tout comme les parties arrière. Vous défendez la liberté de conscience des consommateurs juifs, ce qui est tout à fait légitime. Mais la République ne doit-elle pas veiller à garantir la liberté de conscience des autres consommateurs ?

M. Joël Mergui , Président du consistoire central israélite de France - Cela fait maintenant quelques années que j'occupe mes fonctions, et je dois dire que je n'imaginais pas passer autant de temps dans ma responsabilité à défendre un des principes élémentaires de notre liberté de conscience, c'est-à-dire de pouvoir manger casher . Bien sûr, nous sommes dans un État de droit, ce qui suppose une certaine transparence : c'est pourquoi nous avons accepté que cette audition fasse l'objet d'une captation et d'une retransmission télévisée. Comme vous le souligniez, Madame la rapporteure, cela fait 2 000 ans que le judaïsme existe ; il est impliqué dans la Cité et n'a rien à cacher. J'aimerais tout d'abord apporter quelques précisions. En premier lieu, l'abattage rituel juif ne représente qu'1 % de la consommation de viande en France, soit quelques dizaines de milliers d'animaux par rapport aux 3 millions de bêtes abattues chaque année.

Par ailleurs, le circuit de la viande casher nécessite des moyens. Les sacrificateurs, ou plutôt les opérateurs d'abattoirs - je préfère employer ce terme car celui de sacrificateur, comme le mot « rituel », génèrent leur lot de fantasmes dans un débat largement public - sont payés par les consistoires et non par les abattoirs. Le coût de l'abattage rituel (environ 1 à 1,50 euro par kilo selon les consistoires) est donc assumé par les consistoires et non par l'ensemble des consommateurs, et ce coût est reporté sur le prix de la viande vendue. Les ressources dégagées par l'abattage, c'est-à-dire les redevances versées, permettent simplement de couvrir les frais, notamment ceux qui concernent la surveillance de l'abattage. Certains consistoires importants comme celui de Paris parviennent à dégager par ce biais des ressources plus importantes qui permettent de mieux faire fonctionner l'ensemble de nos services. Il faut aussi signaler que ce système assure une complète traçabilité de la viande.

Vous avez soulevé la question des animaux déclassés lorsqu'ils ne sont pas reconnus par les sacrificateurs comme casher . Ceux-ci sont alors consommés par l'ensemble des consommateurs, alors que le coût de l'abattage est supporté par le consistoire et par les seuls consommateurs de produits casher . Nous n'avons jamais demandé à ce que les sacrificateurs soient rémunérés pour l'abattage des animaux qui ne se retrouvent pas dans le circuit casher : d'une certaine façon, nous contribuons donc au circuit conventionnel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous m'apprenez que les consistoires participent à la production de viandes destinées aux consommateurs non pratiquants. Il nous avait été dit par les professionnels de l'abattage que les sacrificateurs étaient des personnes embauchées par les abattoirs.

M. Joël Mergui - Les sacrificateurs juifs sont bien rémunérés par les consistoires, et non par les abattoirs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je vous remercie pour cette précision. Je continue cependant de m'interroger sur la question des animaux abattus selon le rite casher et qui sont distribués dans le circuit traditionnel. Vous venez de nous indiquer que ces animaux sont abattus par des personnes à qualification religieuse selon une méthode religieuse. Ne pourrait-on pas au moins indiquer le mode d'abattage sur l'emballage afin que les consommateurs puissent faire leur choix en toute conscience ?

M. Benoît Huré - Je trouve plutôt positif que les quartiers arrière, qui sont les morceaux nobles, soient distribués dans le circuit classique, où se pose plutôt le problème de la valorisation des autres quartiers. On récupère ainsi un volume de viande intéressant. Je m'interroge en revanche sur les garanties sanitaires des abattages réalisés selon la méthode casher .

M. René Beaumont . - Le contrôle sanitaire est effectué de la même façon et par les mêmes inspecteurs vétérinaires sur les animaux issus du circuit d'abattage classique et du circuit d'abattage rituel. S'agissant du financement, l'investissement dans la cage utilisée pour l'abattage rituel est effectué par l'abatteur, et non par les consistoires. C'est à mon avis le seul aspect de l'abattage casher financé par les abatteurs. Le système est sans doute différent pour l'abattage halal . Comme vient de le signaler mon collègue, il me semble en définitive que tout le monde se retrouve dans le système casher : les morceaux nobles sont distribués dans le circuit classique, les contrôles sanitaires sont du même niveau que ceux du circuit classique, et l'effort de financement porte principalement sur les consistoires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je voudrais revenir sur le chiffre de 70 % d'animaux déclassés au consistoire de Marseille. En Israël, 5 % des abattages seulement sont déclassés. Par ailleurs, certains bouchers spécialisés savent dégager le nerf sciatique, ce qui permet de préserver davantage de viande pour le circuit casher . N'y a-t-il pas des progrès à faire de ce point de vue en France ?

M. Joël Mergui - Je ne sais pas d'où proviennent ces chiffres. Je peux seulement vous dire que c'est la même méthode qui est employée par l'ensemble des sacrificateurs juifs.

La distribution des parties arrière dans le circuit classique répond à une question pratique. Il est très difficile de dégager le nerf sciatique et la plupart des consistoires n'ont pas entrepris de former du personnel sur ce point sur ce point alors que la filière, et notamment la garantie de traçabilité du casher , nous coûte déjà très cher. C'est pourtant une demande fréquente de la communauté juive que de pouvoir disposer de ces morceaux nobles, mais les impératifs techniques associés conduiraient nécessairement à une augmentation du prix de la viande.

S'agissant des conditions sanitaires liées à l'abattage casher , si l'abattage rituel constitue une dérogation aux règles en vigueur, il est soumis aux mêmes contrôles sanitaires que le reste de la filière ainsi qu'à des obligations de formation des abatteurs. Tous nos opérateurs sont formés aux techniques et à l'hygiène de l'abattage, et nous continuons à mettre de nouvelles formations en place.

Sur la question de l'information du consommateur, celle-ci ne me semble pas nécessaire. Tout d'abord, il n'y a pas de différence de qualité entre une viande casher et une viande non casher . Ensuite, nous ne faisons pas manger de viande casher au consommateur non pratiquant à son insu : la viande qui se retrouve dans le circuit général est une viande qui a été reconnue non casher , la seule viande casher étant celle qui est estampillée comme telle.

Ce que mange alors le consommateur du circuit classique, c'est une viande issue d'une méthode d'abattage spécifique dont il n'a pas été prouvé qu'elle impose une souffrance plus importante que les autres aux animaux - puisque je devine que c'est là la question sous-jacente à tout notre débat. Le judaïsme a toujours porté une attention particulière aux animaux : nous ne faisons pas travailler les animaux le jour du shabbat , nous ne pratiquons pas la chasse, nous donnons à manger aux animaux avant de nous nourrir nous-mêmes. La technique d'abattage consistant à trancher la gorge des animaux d'un seul coup, avec de longs couteaux à lame fine, a été élaborée justement pour éviter de faire souffrir les bêtes.

En revanche, selon l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), des incidents d'abattage surviennent pour 15 % des animaux abattus avec étourdissement préalable. Ce sont ainsi 400 000 à 500 000 bêtes sur 3 millions que l'on considère comme assommées et que l'on saigne ensuite sans aucune précaution. En comparaison, la méthode casher , qui comprend très peu de ratés, concerne quelques dizaines de milliers de bêtes seulement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - J'ai du mal à comprendre votre raisonnement : parce que la méthode d'abattage conventionnel comprendrait 15 % d'incidents d'étourdissement, cela justifierait que 100 % des animaux abattus selon la méthode casher souffrent ? Nous nous penchons sur la question des ratés dans l'abattage conventionnel, et nous ferons des propositions sur ce point dans notre rapport, notamment sur la question de la formation.

Nous avons reçu plusieurs scientifiques, qui considéraient unanimement qu'un animal étourdi ne souffre que le temps de l'étourdissement, qui se compte en secondes, tandis qu'un animal non étourdi avant la saignée peut souffrir pendant un quart d'heure dans les cas extrêmes. Le déclassement de certains animaux abattus selon la méthode casher s'explique par le fait qu'ils se sont infligé des blessures en se débattant au cours de l'abattage tant leurs souffrances sont difficiles à supporter. Le rapport d'expertise collective de l'INRA de 2009, qui se fonde sur plus de 2 500 travaux scientifiques, dit clairement qu'un animal étourdi souffre moins qu'un animal non étourdi.

M. Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle - Le rapport de l'INRA que vous citez met aussi en évidence deux chiffres importants : 16 % des animaux abattus de manière conventionnelle sont mal étourdis et sont donc saignés conscients ; 17 % d'animaux issus d'un abattage rituel perdent conscience après un délai de plus de 30 secondes que l'on peut qualifier d'inacceptable, en raison de faux anévrismes. Cela représente bien moins d'animaux que le nombre de bêtes concernées par les ratés de l'abattage conventionnel.

Par ailleurs, les conclusions du rapport de l'INRA sur les souffrances liées à l'abattage rituel ne sont pas tout à fait scientifiques, dans la mesure où les scientifiques qui les avancent ont été choisis. D'autres scientifiques, dont j'ai ici une liste et qui ne sont ni juifs, ni religieux, sont d'un autre avis. Les scientifiques sont en réalité très partagés sur cette question. Mme Temple Grandin, de l'université du Colorado, déclare ainsi que « les animaux n'ont pas conscience que leur gorge est incisée ». Le docteur Harold Burrow, du royal veterinary college de Londres, déclare quant à lui que « ayant observé la méthode juive sur des milliers d'animaux, je me suis persuadé qu'il n'y a aucune cruauté à cette technique. En ami et propriétaire des bovins et en tant que vétérinaire, je n'ai aucune objection à ce que l'un de mes bovins doit abattu ainsi ». Le professeur Milhaud de l'Académie vétérinaire de France a également pris position en ce sens. Vous n'avez pas auditionné l'Académie vétérinaire de France ; à mon avis, c'est une lacune.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous avons auditionné de nombreux vétérinaires qui étaient tous du même avis.

M. Bruno Fiszon - La référence aux animaux qui mettent 14 minutes à mourir est à mon sens quelque peu démagogique : un seul cas de ce type a été rapporté par la littérature. Les durées généralement observées sont de 14 secondes pour les ovins et 30 secondes pour les bovins. Mme Temple Grandin parle de 10 secondes lorsque l'abattage rituel juif est bien exécuté.

M. Joël Mergui - Le grand rabbin Fiszon est aussi vétérinaire, ce qui témoigne de notre attachement à la question animale.

M. Bruno Fiszon - Nous avons certes un parti pris dans ce débat ; mais vous en avez également un quand vous n'interrogez que les scientifiques qui vont dans votre sens. Je constate de plus, Madame la rapporteure, que vous avez déposé plusieurs propositions de loi visant à interdire l'abattage rituel. Vous n'êtes donc pas neutre dans ce débat et je suis étonné que l'on vous confie la fonction de rapporteure de cette mission alors que vous avez clairement pris position sur ce point.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je trouve inadmissible que des animaux souffrent.

M. Joël Mergui - Les débats se sont concentrés au cours des dernières années, de manière stigmatisante, sur la question de l'abattage rituel. On entend beaucoup moins parler des souffrances liées aux autres méthodes d'abattage.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nos auditions n'ont pas été orientées dans un sens particulier, et notre mission d'information s'est rendue dans des abattoirs. Nous nous efforçons d'avoir la plus large vision possible sur ces sujets : à ce titre, nous sommes preneurs de tous documents que vous voudrez bien nous fournir et nous pouvons organiser des auditions supplémentaires. Nous sommes aussi préoccupés par le pourcentage d'incidents dans l'abattage conventionnel que nous sommes sensibles à la question de l'abattage sans étourdissement. Mon opinion n'est pas faite a priori sur ce sujet. Par ailleurs, nous nous efforçons de réfléchir autant à l'échelle française qu'à l'échelon européen.

M. Benoît Huré - Il ne s'agit pas aujourd'hui de faire une audition à charge ni de mener un débat contradictoire, mais d'obtenir des précisions techniques qui nous permettront d'orienter notre rapport dans un sens ou dans l'autre.

J'ai le souvenir d'avoir assisté dans mon enfance à des abattages de porcs qui n'étaient ni étourdis ni égorgés avec une lame très fine, et j'ai pu constater que l'agonie durait un certain temps.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous soulignez très justement, mon cher collègue, que des animaux étaient autrefois étourdis dans des conditions qui nous semblent inacceptables aujourd'hui.

M. Joël Mergui - A ma connaissance, ni la chasse ni la corrida ne sont interdites en France aujourd'hui. Avez-vous abordé ces sujets lors de vos auditions ? Il y a en France moins de viande casher que de gibier, et les producteurs de ce dernier ont un cahier des charges moins strict que nos sacrificateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Notre mission d'information ne s'intéresse qu'aux viandes de boucherie classiques.

M. Joël Mergui - J'aimerais que les responsables politiques trouvent des solutions pour que les Juifs pratiquants, qui consomment très peu de viande, puissent continuer à manger de la viande casher sans être stigmatisés. S'ils ne le peuvent plus, ils seront peut-être contraints de quitter la France ou l'Europe. La fondation Brigitte Bardot a commis des campagnes contre l'abattage rituel qui donnent à penser que les Juifs seraient des barbares : c'est insupportable.

Nous affirmons que l'abattage rituel juif ne fait pas souffrir les animaux. Ce n'est pas une conviction, mais un fait étayé par des preuves scientifiques. Nous utilisons un matériel particulier : un couteau très fin, qui doit être aiguisé et changé régulièrement. Ainsi, au moment où la lame passe, l'animal ne sent rien, de même que l'on ne sent rien lorsque l'on fait passer une feuille de papier sur notre doigt. En outre, lorsque les jugulaires et les carotides se vident, le cerveau n'est plus irrigué, ce qui fait que l'animal ne souffre pas davantage. Cette interruption de l'irrigation du cerveau résulte d'une petite anomalie anatomique propre aux bovins, ovins et caprins à l'exclusion des porcs et des chevaux, le polygone de Willis.

Nous sommes très préoccupés par la souffrance animale. C'est pourquoi nous avons collaboré avec les ministères de l'intérieur et de l'agriculture pour mettre en place des règles plus contraignantes, notamment s'agissant de la formation des opérateurs d'abattoir et du renforcement des contrôles - ce qui nous coûte très cher. Nous souhaitons que vous soyez aussi à l'écoute de nos arguments.

M. Bruno Fiszon - Il faut également préciser que les travaux scientifiques ne mesurent pas la douleur animale, que l'on ne sait pas évaluer, mais le degré de conscience. Plusieurs travaux, parmi lesquels ceux que je vous citais tout à l'heure, ont clairement établi que le délai de perte de conscience des animaux abattus rituellement était tout à fait acceptable.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ces scientifiques sont-ils juifs ?

M. Bruno Fiszon - Non, ils ne le sont pas tous. Et quand bien même, penseriez-vous qu'un scientifique juif ne pourrait pas conduire ses travaux de manière objective ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Pouvez-vous nous parler du contrôle exercé pour déterminer si une bête est casher ou non ?

M. Bruno Fiszon - Le contrôle effectué après l'abattage vise à détecter un état pathogène ou les séquelles d'un état pathogène passé, comme par exemple une adhérence entre les lobes du poumon qui signent une pathologie respiratoire ancienne.

La viande de volaille ne pose pas de problème à ce titre : le taux de rejet est extrêmement faible pour les poulets. En outre, nous consommons l'intégralité de la viande des poulets.

Le contrôle est réalisé par des personnes spécialement formées. Généralement, l'opérateur qui réalise l'abattage, le shohet, est également formé pour assurer cette forme de contrôle vétérinaire, la bédika . Ce contrôle spécifique se superpose parfois au contrôle vétérinaire classique : un animal atteint de tuberculose n'est évidemment consommable ni par le consommateur juif pratiquant, ni par les autres consommateurs. Il s'en détache sur le point des états pathogènes passés, qui ne rendent pas les animaux impropres à la consommation pour les non pratiquants. Ce sont ces carcasses, tout à fait propres à la consommation humaine, qui partent dans le circuit général.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Si j'ai bien compris vos explications, une partie des animaux abattus par des sacrificateurs juifs sont consommés par des personnes qui ne sont pas de religion juive. Cela signifie donc qu'une partie des ressources des consistoires provient de consommateurs non pratiquants. Où va cet argent ?

M. Joël Mergui - La redevance touchée par les consistoires sert à financer le circuit de surveillance des abattages, qui permet de garantir la sécurité sanitaire des produits et de faire en sorte que nous ne retrouvions par exemple pas de viande de cheval dans nos assiettes.

M. René Beaumont - La viande casher est une viande qui répond à deux critères : elle provient d'animaux abattus selon une méthode particulière par des gens ayant reçu une habilitation spécifique ; elle doit avoir reçu une certification. De mon point de vue, c'est tout simplement une viande abattue et saignée selon des modalités particulières, et je ne me préoccupe pas de savoir si la viande que je consomme provient d'animaux tués par tel ou tel couteau.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le fait que les animaux soient abattus selon une méthode religieuse peut déranger les consommateurs athées. Soyons bien clairs : ce qui me dérange, ce n'est pas le fait que le sacrificateur soit juif, mais le fait qu'il accomplisse un geste religieux.

Mme Bernadette Bourzai , présidente - Il nous a indiqué lors de nos précédentes auditions qu'une pratique consistant à étourdir les animaux immédiatement après les avoir égorgés rituellement, dans le but d'éviter que la souffrance ne se prolonge au-delà de 5 ou 10 secondes, était de plus en plus répandue en Europe. Cette pratique vous paraît-elle acceptable dans votre rite ?

M. Joël Mergui - La religion juive ne prévoit pas la possibilité d'étourdir les animaux, que ce soit avant ou après l'abattage. Nous considérons que la lame tenue par un expert formé pendant plusieurs années, selon les prescriptions d'un cahier des charges élaboré avec le ministère de l'agriculture, ne fait pas souffrir les bêtes et qu'il n'y a donc pas lieu de procéder à un étourdissement. Cela n'exclut pas qu'il puisse y avoir des échecs ou des incidents, tout comme dans l'abattage conventionnel. Je rappelle encore une fois que nous avons accepté toutes les actions de formation et d'amélioration du niveau d'hygiène qui nous ont été demandées par les pouvoirs publics.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Êtes-vous d'accord pour préciser le mode d'abattage sur l'étiquetage des produits carnés ?

M. Joël Mergui - Nous ne sommes pas opposés à l'information du consommateur. Nous avons même été parmi les premiers à oeuvrer en ce sens en apposant le label casher sur nos produits. Nous refusons cependant qu'à cet étiquetage soit associée une image stigmatisante, qui ne correspond pas à la réalité que nous vivons. C'est pourquoi nous sommes opposés à un tel étiquetage dans les conditions actuelles du débat sur l'abattage rituel. L'abattage casher est un geste religieux, mais c'est avant tout une méthode d'abattage. Nous souhaiterions qu'elle soit reconnue comme telle et ne constitue plus une dérogation à l'échelon européen.

M. Benoît Huré - Vous avez tout à l'heure adopté une position extrême en disant que si vous n'aviez plus accès à de la viande casher , vous pourriez vous voir contraints de quitter la France ou l'Europe. Ce n'est évidemment pas le but de cette mission. Cela me fait cependant penser qu'il faut peser les conséquences économiques de nos propositions : il n'est pas souhaitable que l'approvisionnement en viande casher résulte uniquement des importations.

M. Joël Mergui - La tournure prise par le débat public depuis quelques années sur les questions religieuses peut conduire certains pratiquants à souhaiter quitter leur pays. On parle en Allemagne d'interdire la circoncision ! La laïcité est entendue de manière de plus en plus rigide. La France doit faire en sorte que la liberté de conscience d'une communauté présente depuis 2000 ans ne soit pas remise en cause.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous sommes bien d'accord, mais votre liberté de conscience n'est pas plus forte que celle d'un athée ou d'un pratiquant d'une autre religion.

M. Joël Mergui - Je n'ai jamais demandé que la fête de Noël ne figure plus dans le calendrier ; je souhaite simplement que ceux qui veulent observer le shabbat ou manger casher puissent le faire. Je regrette de voir déposer des propositions de loi visant à l'interdire et je considère que ce n'est pas à l'honneur de la France.

M. Gérard Bailly - En faisant une simple recherche sur internet, je tombe sur des titres tels que « l'abattage rituel, un business florissant pour une cruauté inacceptable ». J'imagine bien que cela doit vous interpeller.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Il faut avoir la plus grande méfiance quant à ce qu'on peut lire sur internet, où l'on trouve tout et son contraire.

M. Joël Mergui - On donne aujourd'hui l'impression d'opposer deux modes d'abattage, l'un qui serait normal et l'autre qui ferait montre d'une cruauté extrême. Avant d'imposer un étiquetage du mode d'abattage, il faut réussir à faire comprendre, en s'appuyant sur des travaux scientifiques, que l'abattage rituel juif est avant tout une modalité d'abattage qui n'est pas empreinte d'une particulière cruauté.

Par ailleurs, savez-vous que des dérogations aux règles d'abattage de droit commun sont prévues par la réglementation pour l'abattage des animaux de ferme et notamment des lagomorphes, qui représentent un tonnage bien plus important que la production de viande casher ? J'espère que vous vous intéressez également à cette question dans le cadre de vos travaux, à moins que la souffrance d'un lapin soit plus acceptable à vos yeux que celle d'une vache ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je vous rassure : on n'abat plus aucun animal dans les fermes.

Mme Renée Nicoux - Sur la question de l'étiquetage, vous pouvez comprendre que certains consommateurs ne souhaitent pas consommer de viande provenant d'un abattage rituel, qu'elle soit halal ou casher , tout comme vous souhaitez avoir la garantie que la viande que vous consommez provient d'un abattage particulier. C'est une simple question de transparence, qui ne peut pas aller que dans un sens ; il ne s'agit pas de savoir si un mode d'abattage est plus cruel que l'autre.

M. Joël Mergui - La question se pose en des termes binaires : soit la viande est casher , soit elle ne l'est pas. Il en va de même pour la viande halal . Il n'y a donc aucune raison d'informer davantage les personnes qui ne consomment pas de casher ou de halal , d'autant que la viande issue d'un abattage rituel est de la même qualité que celle issue d'un abattage conventionnel. Ne parler sur l'étiquetage que de certains animaux - les bovins et les ovins - et de certains modes d'abattage - alors que le gazage des porcs, par exemple, peut poser question - revient à nos yeux à pratiquer une stigmatisation insupportable. Quant au consommateur juif, il paie pour une certification casher .

M. Bruno Fiszon -Pour avoir régulièrement croisé le fer au Parlement européen, avec l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) ou avec la fondation Brigitte Bardot, je sais que l'étiquetage que vous préconisez va inévitablement conduire à désigner le mode d'abattage rituel comme étant plus cruel, dans la mesure où ces organismes mèneront une campagne massive de dénigrement.

À mes yeux, il y a une sorte de malhonnêteté dans le fait de vouloir étiqueter spécifiquement le mode d'abattage. Il s'agit en réalité d'essayer par ce biais d'interdire l'abattage rituel, qui est inscrit dans la Constitution et que l'on ne peut pas empêcher par d'autres moyens. Je sais que personne ici n'est antisémite ; mais cette focalisation me gêne. Si l'on veut véritablement donner des informations aux consommateurs sur le bien-être animal, il faut réfléchir à l'ensemble des étapes qui ont conduit la viande dans notre assiette, et pas seulement à celle de l'abattage.

M. Benoît Huré - On pourrait imaginer d'apposer sur l'étiquetage une mention qui dirait simplement : « cette viande ne répond pas aux conditions requises pour être qualifiée de casher ou de halal ». Un tel procédé, qui ne stigmatise personne, vous heurterait-il ?

M. Joël Mergui - La seule chose qui importe au consommateur, c'est de savoir si la viande qu'il consomme a été produite dans des conditions légales et dans des conditions d'hygiène suffisantes. La viande casher répond à ces deux conditions, avec un effort particulier entrepris depuis plusieurs années sur les questions d'hygiène. Nos sacrificateurs doivent tous passer des examens, le volume d'abattage rituel est limité en fonction des commandes : tout cela va dans le sens de ce que vous recherchez sans qu'il soit besoin de prévoir un étiquetage spécifique qui pourrait entraîner des polémiques et des campagnes de boycott .

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je trouve la proposition de M. Benoît Huré excellente. Nous allons réfléchir à un étiquetage modéré.

Audition de MM. Patrick Jankowiak et Gil Lorenzo, chefs de bureau à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) (mercredi 26 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - La Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est la dernière administration que nous n'avions pas encore auditionnée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La mission commune d'information sur la filière viande vise à établir un diagnostic des difficultés de la filière et à dresser une liste de propositions tendant à répondre aux attentes tant des consommateurs que des acteurs économiques du secteur de la viande, car nous savons malheureusement que nos éleveurs servent trop souvent de variable d'ajustement au système.

La décision de mener cette mission a été prise à la suite du scandale des lasagnes contenant de la viande de cheval étiquetée boeuf. Un tel scandale n'est pas de nature à rassurer les consommateurs et nuit gravement aux intérêts de nos filières viande. Est-il appelé à demeurer une exception ? La DGDDI est bien placée pour dresser un état des lieux des fraudes au sein de la filière viande.

Nous voudrions également savoir quels sont les moyens qui sont mis à votre disposition pour lutter contre ces tromperies et protéger les consommateurs. Que pensez-vous des autocontrôles ? Sont-ils suffisants ? Efficaces ?

Dans le cadre de votre mission, vous devez également veiller au respect de certaines normes. Sont-elles selon vous adaptées ou, au contraire, permettent-elles parfois de tromper le consommateur sur l'origine et la qualité de certaines denrées alimentaires ?

M. Patrick Jankowiak, chef du bureau prohibition, agriculture et protection du consommateur de la DGDDI - Je suis le responsable du bureau prohibition et protection du consommateur, qui a en charge l'ensemble des réglementations qui portent restriction aux échanges, qu'il s'agisse des matériels de guerre, des restrictions sanitaires, des restrictions en matière de biens à double usage, de biens culturels, de médicaments, de produits industriels...

La douane exerce la police de la marchandise en mouvement. Depuis la réalisation du grand marché intérieur le 1 er janvier 1993, les contrôles systématiques aux frontières intérieures des pays de l'Union européenne ont été supprimés et il n'y a plus de contrôles aux frontières pour ce qui concerne les échanges intracommunautaires.

En revanche, à l'importation comme à l'exportation, les flux des pays tiers font obligatoirement l'objet d'une déclaration aux douanes par les opérateurs économiques : c'est une obligation qui résulte du code des douanes. La déclaration aux douanes prend la forme d'un document administratif unique. Dans le système français, elle est déposée électroniquement via le téléservice de dédouanement en ligne qui s'appelle Delta et c'est le dépôt de la déclaration aux douanes qui fonde l'intervention de la DGDDI pour les flux internationaux de marchandises. La DGDDI exerce des contrôles principalement à l'importation. Il existe également des contrôles à l'exportation. Son action au niveau de la circulation sur le territoire douanier de l'Union est très limitée.

A l'importation, il existe un certain nombre de restrictions et de prohibitions sanitaires qui conditionnent la réalisation des formalités douanières. Il existe ainsi en matière sanitaire des autorisations qui prennent la forme de documents obligatoirement produit à l'appui de la déclaration aux douanes et qui doivent être présentés par les déclarants au moment où ils déposent leur déclaration aux douanes. L'absence de ces documents sanitaires, que la réglementation européenne rend obligatoires, a pour effet le cas échéant une violation de prohibition. Il existe ainsi en matière sanitaire, pour tout ce qui est viande et produits à base de viande, des textes communautaires et notamment une directive n° 97/78 qui a été transposée en droit interne et qui indique : « l'autorité douanière n'autorise l'importation de lots de produits que si la preuve est apportée que les contrôles vétérinaires requis ont été effectués avec des résultats satisfaisants ». Ces mêmes dispositions sont reprises dans des règlements communautaires, notamment le règlement n° 136/2004 et le règlement n° 282/2004 qui indiquent « le vétérinaire officiel, l'importateur ou l'intéressé au chargement notifient aux autorités douanières la décision vétérinaire prise pour le lot sur présentation de l'original du document vétérinaire commun d'entrée - c'est le document sanitaire que j'évoquais tout à l'heure - ou de sa transmission par voie électronique ». Nous disposons d'une réglementation spécifique d'origine communautaire qui vise les animaux vivants et les produits d'origine animale.

A l'importation, la compétence de réalisation de ces contrôles revient à la Direction générale de l'alimentation (DGAL) - le document est le document vétérinaire commun d'entrée. Pour ce qui est de l'alimentation animale, un autre document sanitaire est obligatoire à l'importation, le document commun d'entrée (DCE). Les autres produits qui sont destinés à l'alimentation humaine mais qui ne sont pas d'origine animale font l'objet, dans certains cas, de mesures spécifiques et de réglementations plus ponctuelles et, à ce moment-là, le contrôle sanitaire avant la réalisation des opérations de dédouanement revient à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). C'est le cas notamment pour certains fruits secs qui présentent un risque, notamment de contamination par des aflatoxines, pour lesquelles il existe un contrôle sanitaire préalable au dédouanement. Ces documents d'entrée sont d'ordre public, ils sont obligatoires pour le dépôt de la déclaration aux douanes. Il existe aussi des contrôles à l'exportation, notamment au titre de la politique agricole commune (PAC).

En ce qui concerne les contrôles que sont susceptibles d'effectuer les services douaniers et leur articulation avec ceux de la DGCCRF d'une part, et ceux des services vétérinaires d'autre part, le contrôle sanitaire, lorsqu'il est requis, est préalable au contrôle douanier. Dans un premier temps, les services sanitaires délivrent un document. Ce document est produit à l'appui de la déclaration aux douanes. Outre les contrôles visant à s'assurer de la présence des documents sanitaires obligatoires, le contrôle douanier stricto sensu porte sur trois aspects : la nomenclature tarifaire qui permet la codification des marchandises, l'origine et la valeur. L'article 38 du code des douanes indique que lorsque l'importation ou l'exportation n'est permise que sur présentation d'une autorisation, la marchandise est prohibée si elle n'est pas accompagnée d'un titre régulier. Il existe ensuite des textes sectoriels, notamment pour les produits d'origine animale, qui posent ce principe de prohibition.

Les services douaniers ont la possibilité d'échanger des informations avec la DGAL et la DGCCRF et peuvent leur transmettre des informations sur la base de l'article 59 ter du code des douanes qui indique que « l'administration des douanes est autorisée à transmettre les informations qu'elle détient en matière de commerce extérieur et de relations financières avec l'étranger aux services relevant d'autres départements ministériels et de la Banque de France, services qui par leur activité participent aux missions de service public auxquels concourt l'administration des douanes ». Les informations communiquées doivent être nécessaires à l'accomplissement de ces missions ou à une meilleure utilisation des dépenses publiques consacrées au commerce extérieur. La communication de ces informations se déroule selon des conditions énumérées par cet article 59 ter puisqu'il est précisé que la communication ne peut être effectuée qu'à des fonctionnaires du grade d'administrateur civil ou des agents qui remplissent des fonctions de même importance et que les personnes qui ont à connaître et à utiliser ces informations sont, dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, tenues au secret professionnel pour tout ce qui concerne lesdites informations. Il s'agit d'un transfert de responsabilité vis-à-vis du code pénal dès lors qu'il y a un transfert de ces informations. Ce que je peux également préciser, c'est que la coopération avec la DGAL et la DGCCRF est encadrée par des protocoles nationaux de coopération qui sont conclus entre les directeurs généraux et qui font l'objet d'une déclinaison opérationnelle au niveau des services déconcentrés entre les directeurs régionaux des douanes et leurs homologues.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ressentez-vous ces dernières années une tendance à la hausse ou à la baisse du nombre de fraudes ?

M. Patrick Jankowiak - Sur le positionnement de la douane aux frontières tierces, je dirais que l'on a de plus en plus de textes qui permettent des interventions qui constituent une prohibition à l'importation. Concernant les fraudes, le système est encadré au niveau communautaire, même s'il peut toujours y avoir des chargements qui passent entre les mailles du filet.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - De quels moyens de contrôle disposez-vous ? Qu'est ce qui permettrait d'éviter ce qui s'est produit avec la viande de cheval - un scandale qui concerne 50 000 tonnes de viande ? On nous a en effet dit à Bruxelles qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène isolé.

M. Patrick Jankowiak - La prohibition et les autorisations dont j'ai parlé concernent l'aspect sanitaire des produits. Dans le cas que vous évoquez, il s'agit d'une tromperie et non d'un risque sanitaire. Les textes qui ont été mis en place évoquent bien le risque sanitaire. C'est à ce titre que des progrès ont été accomplis.

Sur la tromperie et le dispositif de régulation du marché intérieur, il est vrai qu'une action en matière de coopération entre les administrations, c'est-à-dire entre les administrations qui sont aux frontières et celles qui sont responsables de la surveillance du marché intérieur pourrait être entreprise, notamment par la communication d'informations. C'est à ce titre que j'ai évoqué l'article 59 ter qui autorise cette communication et que j'ai évoqué les protocoles de coopération qui existent au niveau national et sont déclinés au niveau régional. Beaucoup d'échanges d'informations statistiques sont effectués au niveau déconcentré entre les services des douanes et ceux de la DGAL et de la DGCCRF.

M. Gil Lorenzo, chef du bureau politique des contrôles de la DGDDI - En ce qui concerne les fraudes sanitaires au niveau international, la situation s'est améliorée dans les dispositifs de contrôle. La coopération en Europe au sein des administrations des douanes, le rôle que peut jouer également l'administration mondiale des douanes, fait que nous sommes alertés immédiatement dès que des détections sont effectuées par des administrations douanières dans un autre État. Dès qu'il reçoit une alerte, le bureau prohibition gère les crises, notamment sanitaires. Il transmet immédiatement l'information dans notre intranet douanier. Pour ma part, je mets aussitôt en place les dispositifs de contrôle dans notre système informatique de déclaration aux douanes, le système Delta. Je mets alors en place des profils de contrôle qui vont déclencher systématiquement le contrôle d'un certain nombre de déclarations aux douanes qui remplissent les critères qui peuvent correspondre à l'alerte, ce qui fait que l'on peut basculer sur du 100 % de contrôle dans des situations d'alerte maximale : toutes les déclarations aux douanes qui sont susceptibles de remplir le profil vont être alors forcément contrôlées.

Dans le domaine sanitaire, il existe un double contrôle des flux internationaux de marchandises : le contrôle d'une autorité sanitaire puis le contrôle d'une autorité douanière. Néanmoins, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de fraudes. Lorsque nous avons connu la prohibition en matière aviaire avec la Chine, nous avons eu des cas de fraudes. Nous avions constaté rapidement que des volailles chinoises étaient vendues sur le marché à Paris. Nous avons immédiatement déclenché notre système d'alerte dans la mesure où il y avait un produit prohibé qui avait déjà passé nos frontières et se trouvait dans nos rues. Il fallait identifier la filière d'entrée. Grâce à l'alerte que nous avons pu donner et aux éléments que nous avons transmis, ce sont nos collègues belges qui ont mis à jour chez eux la filière, puisque des entreprises françaises dédouanaient à Anvers. Comment dédouanaient-elles pour éviter tous les contrôles sanitaires et douaniers ? Elles utilisaient une autre nomenclature douanière. Elles écartaient une nomenclature de viande, a fortiori de volaille de Chine, et utilisaient des nomenclatures de légumes congelés par exemple. Cette technique est redoutable puisque vous éliminez pratiquement tout risque de contrôle, car il s'agit de produits globalement peu contrôlés, tant sur le plan tarifaire que sanitaire.

On voit donc bien que lorsque l'on parle de glissement tarifaire - c'est le terme que nous autres douaniers utilisons pour frauder en basculant d'une nomenclature à une autre -, le fraudeur va probablement ne pas utiliser une nomenclature de viande pour la substituer à une autre nomenclature de viande, puisque il y a là toujours le risque d'avoir un autre contrôle sanitaire puisqu'il s'agit toujours de viande, mais utiliser une nomenclature de légumes à la place de la viande.

En revanche, dès lors que l'on a franchi le premier cordon, et que le produit n'est pas prohibé, ce qui est le cas dans notre affaire, la circulation au sein de l'Union est libre. Il n'y a plus du tout de contrôles aux frontières, même s'il peut y avoir des contrôles à la circulation - nous en avons le pouvoir, et en cas de crises sanitaires, nos services à la circulation sont sensibilisés sur certains types de camions à contrôler.

Si demain une alerte sanitaire grave est lancée, par exemple sur de la viande, il est évident que nous demanderons le renforcement des contrôles sur les camions frigorifiques car on peut y trouver ce type de produits. Cela ne signifiera pas que nous aurons tous les pouvoirs du code des douanes mais nous pourrons effectuer des contrôles à la circulation, immobiliser le véhicule et appeler les services vétérinaires qui pourront intervenir. Notre rôle ne peut en effet aller au-delà de la simple immobilisation de la marchandise. Cela signifie que si les services vétérinaires ne viennent pas, nous devons libérer la marchandise car nous ne pouvons pas la bloquer indéfiniment. Il s'agit là de situations délicates, en particulier à certains endroits et à certaines heures. Si vous immobilisez un camion le week-end ou la nuit, il n'est pas sûr que quelqu'un pourra venir rapidement même si nous pouvons garder le véhicule un certain nombre d'heures. Nous avons donc des pouvoirs qui viennent en complément de ceux que nous avons abordés précédemment et que nous pouvons mettre en oeuvre lorsque se produisent des situations extrêmement sensibles.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Avez-vous le sentiment que tous les pays européens jouent le jeu de la même manière ou que certains pays européens sont davantage des portes d'entrée de produits non conformes ? Tous les pays ont-ils le même niveau d'administration et de contrôle aux frontières ?

M. Patrick Jankowiak - Concernant les importations en provenance des pays tiers, autant la réglementation est communautaire, autant la mise en oeuvre dépend des moyens de chacun des États. Le régime des sanctions dépend également du droit national de chacun des États. Il y a quand même en matière sanitaire le règlement n° 882/2004 qui dispose que les autorités douanières et les autorités compétentes coopèrent pour éviter que n'entrent des produits prohibés en provenance de pays tiers.

Il existe en matière sanitaire un office, l'office alimentaire et vétérinaire (OAV), situé en Irlande, qui dépend de la Direction santé et protection du consommateur de la Commission européenne. Cet office réalise des inspections dans l'ensemble des États membres, ce qui entraîne l'envoi de ses inspecteurs selon un programme de travail qui fait l'objet d'une communication de l'office à tous les États membres. À plusieurs reprises, il nous est arrivé de participer à ces missions communautaires d'inspection pour apprécier la coopération qui existe entre les autorités douanières et chacune des autorités compétentes. Les résultats des contrôles sont publiés sur le site de la Commission.

En intra-communautaire, dès lors qu'une marchandise est communautaire, elle bénéficie de la liberté de circulation. Il n'y a pas de contrôle douanier. Nous disposons de pouvoirs, prévus par le code rural, qui nous autorisent par simple inspection visuelle à réaliser la concordance entre les documents et les certificats et les marchandises qui sont transportées, puisque les agents des douanes ont le droit de visite des marchandises, et d'immobilisation des moyens de transport. C'est là que la coopération avec les autorités compétentes prend tout son sens puisque nous avons le droit d'arrêter les marchandises, et le cas échéant de les consigner et de dresser une contravention de première classe qui peut être notifiée à l'opérateur. En matière sanitaire sur les flux tiers, une violation de prohibition est un délit.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Pensez-vous que nous sommes assez sévères ? Les sanctions sont-elles exemplaires et suffisamment dissuasives ?

M. Gil Lorenzo - Pour une prohibition à l'importation, les sanctions sont très dures puisque l'article 414 du code des douanes prévoit la saisie des marchandises, une amende allant jusqu'à deux fois la valeur des marchandises et une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans. Nous disposons en outre de l'ensemble des pouvoirs qui nous sont conférés par le code des douanes. Nous pouvons entrer dans des locaux, effectuer une visite domiciliaire, c'est-à-dire des perquisitions avec l'autorisation d'un juge, placer des personnes en retenue douanière, l'équivalent de la garde à vue : il s'agit de pouvoirs coercitifs importants.

Pour le commerce intra-communautaire, nous ne disposons pas du tout de ces pouvoirs-là. L'incrimination n'est plus un délit mais une contravention relativement faible. Lors de ces contrôles, nous avons besoin de rechercher l'appui d'une autorité sanitaire dès lors que nous immobilisons un moyen de transport. C'est cette autorité qui pourra saisir les marchandises et mettre en oeuvre ses propres pouvoirs, notamment de sanction. En ce qui nous concerne, nos pouvoirs sont très limités.

D'un point de vue douanier, nous avons dans un cas les pleins pouvoirs pour faire notre métier et pas du tout dans l'autre.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les douaniers disposent-ils partout en Europe des mêmes pouvoirs ? Sommes-nous, ou non, particulièrement sévères en matière de sanctions ?

M. Gil Lorenzo - Au niveau douanier, les pouvoirs sont certes nationaux mais la panoplie de pouvoirs de contrôle est pratiquement la même partout ailleurs en Europe : accéder aux moyens de transports, accéder aux locaux où se trouve la marchandise, pouvoir faire des perquisitions sous l'autorité d'un juge. Dans certains pays, certains pouvoirs ne sont pas exercés par les douaniers mais transférés à d'autres corps de contrôle. Ainsi, en Italie, c'est souvent la garde des finances (guardia di finaja) qui va avoir des pouvoirs équivalents aux nôtres. Mais globalement la panoplie des pouvoirs de contrôles vis-à-vis des importations est partout la même.

Dès lors que la marchandise a passé le premier filtre - ou dans le cadre d'échanges purement communautaires - le cadre est tout autre. Dans l'affaire qui nous occupe, il s'agit de viande de Roumanie, un État membre de l'Union européenne et la circulation des marchandises est libre au sein de l'Union.

Mme Bernadette Bourzai , présidente - À quel niveau s'effectue la fraude ? Du cheval est parti de Roumanie et il est devenu du boeuf ultérieurement.

M. Gil Lorenzo - Au départ de Roumanie, il s'agissait de cheval, et il n'y a pas de prohibition sur cette marchandise.

M. Patrick Jankowiak - Il n'y avait pas de risque sanitaire mais il y avait bien une tromperie, une substitution de marchandise dans une même catégorie.

Si je comprends bien ce qu'ont expliqué nos collègues de la DGCCRF et de la DGAL, la viande a été correctement déclarée au niveau de la nomenclature. C'est après, au moment où il y a eu transformation, qu'il y a eu substitution d'étiquettes. Nous ne sommes plus du tout dans une problématique de nomenclature tarifaire. D'ailleurs, d'un point de vue douanier, dans le cas d'une importation de viande depuis un pays tiers, les fraudeurs pourraient avoir intérêt à faire passer de la viande pour des fruits mais pas à remplacer un type de viande par un autre, puisque cela ne leur permettrait pas d'échapper aux contrôles sanitaires.

M. Gil Lorenzo - Dans cette affaire, nous avons aidé nos collègues de la DGCCRF tout au long de l'enquête. Nous leur avons communiqué toutes les statistiques relatives aux échanges intracommunautaires, que nous établissons. En effet, nous recevons des déclarations d'échanges de biens, y compris pour le commerce intracommunautaire, qui nous permettent de produire les statistiques du commerce extérieur. C'est à partir des noms qui apparaissaient dans l'enquête de la DGCCRF que nous leur avons communiqué toutes les déclarations de mouvements de marchandises et tous les flux financiers, puisque nous gérons également dans une base de donnée les mouvements financiers relativement aux questions de TVA. Dans toute la phase d'enquête, nous les avons donc alimentés au fur et à mesure de leurs besoins. Lorsque des noms de traders apparaissaient, nous leur communiquions les éléments nécessaires.

Dans cette affaire, de la viande de cheval a circulé librement - ce qui est parfaitement légal - mais une nomenclature cheval a été remplacée par une nomenclature boeuf. Cette fraude a été préparée, puisque le processus de transport a été interrompu à un moment donné afin de changer les documents. Le risque pour les fraudeurs d'être repérés est faible car la marchandise circule librement dans la mesure. Il n'y a pas de postes frontaliers qui imposeraient des contrôles sanitaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Existe-t-il des contrôles volants ?

M. Gil Lorenzo - Non, les contrôles douaniers s'effectuent uniquement aux frontières extérieures de l'Union européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Cette viande est partie au prix du cheval puis elle est devenue plus chère en passant au prix de la viande de boeuf. N'y avait-il pas de possibilités de le voir ?

M. Gil Lorenzo - Vous touchez du doigt une de nos difficultés statistiques. Nous réfléchissons actuellement à la façon dont nous pourrions mieux analyser nos chiffres - c'est un exercice très difficile dans la mesure où les mouvements de marchandises représentent tous les jours des milliers de statistiques. Nous souhaiterions, peut-être d'ici le début de l'année 2014, mettre en place dans nos systèmes informatiques des déclenchements d'alertes permettant d'identifier des mouvements de marchandises anormaux. Mais il est très difficile de déterminer ce qu'est un mouvement anormal de viande de cheval. Il aurait d'ailleurs été possible de voir dans cette affaire qu'il y avait une augmentation du nombre de transactions sur la viande de cheval. Mais il faut bien imaginer que mettre en place ce système sera compliqué car nous risquons d'avoir des alertes tous les jours. Il va falloir réfléchir à la manière de caractériser des transactions anormales du point de vue statistique.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Existe-t-il des contrôles sur les animaux vivants lorsqu'une frontière intérieure de l'Union européenne est franchie ?

M. Patrick Jankowiak - Il peut y avoir des contrôles à la circulation, contrôle et vérification de la cohérence des documents sanitaires par simple inspection visuelle, avec le droit de consignation, comme le précise le code rural. C'est pourquoi il est si important pour nous d'avoir une bonne coopération opérationnelle avec les autorités sanitaires.

Ces contrôles ne sont nullement systématiques mais s'il y avait une alerte par exemple en raison d'un foyer de grippe aviaire quelque part en France, le ministère de l'agriculture nous signalerait ce foyer et nous demanderait de mettre en place des contrôles à la circulation dans cette zone afin de pouvoir lui signaler l'ensemble des flux suspects de marchandises.

M. Gil Lorenzo - Lorsque nous avons vécu la crise de l'ESB, la douane avait été sollicitée pour des contrôles à la circulation et tous les camions frigorifiques qui arrivaient du Royaume-Uni étaient contrôlés à la descente des ferrys. Lorsque nous nous trouvons dans une crise sanitaire grave, il est évident que l'on peut activer la douane et qu'elle va renforcer ses contrôles à la circulation. Dans l'affaire de la viande de cheval, rien de tel n'a été entrepris, puisqu'il s'agissait d'une fraude. C'est une situation qui est plus difficile à maîtriser pour nous.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - D'où vient précisément la viande de cheval roumaine incriminée ?

M. Gil Lorenzo - Nous n'avons pas d'informations précises sur ce point. D'après ce que j'ai compris, les autorités roumaines certifient que les chevaux étaient en bonne santé et que leurs lieux d'élevage étaient sous contrôle vétérinaire.

M. Gérard Bailly - De plus en plus, il y a des mouvements de produits au sein de l'Union européenne. Quand il n'y a pas de liaison directe entre le lieu d'abattage et le lieu de transformation et que la viande circule de Roumanie en Hollande avant de venir en France, avez-vous des moyens d'être alertés ?

M. Gil Lorenzo - Nous nous posons cette question tous les jours dans d'autres domaines douaniers. Nous sommes beaucoup plus à l'aise pour surveiller les flux avec les pays tiers que pour surveiller les flux intracommunautaires. Nous voyons cette difficulté dans tous les domaines. Ainsi, lorsque les autorités communautaires mettent en place une procédure anti-dumping contre les panneaux solaires photovoltaïques chinois, immédiatement nous regardons dans les flux ce qui va se passer. Vu la hausse des tarifs, nous pouvons imaginer qu'il n'y aura plus de panneaux en provenance de Chine mais nous pouvons surveiller si des panneaux indonésiens ou vietnamiens ne vont pas tout d'un coup faire leur apparition. Nous effectuons donc une surveillance statistique.

Au sein de l'Union européenne, nous disposons des déclarations d'échanges de bien mais elles sont beaucoup moins détaillées et les transports circulent très rapidement. On constate dans la filière agroalimentaire une industrialisation des filières et une segmentation des processus de production. Autrefois, l'abattage et la transformation s'effectuaient à proximité de la zone d'élevage. Aujourd'hui, ce n'est plus vrai. Dans le but de faire des économies d'échelles, les circuits sont devenus plus complexes et sont parfois dépourvus de toute logique économique. Il n'est malheureusement pas surprenant pour nous de voir circuler des marchandises qui vont faire l'objet de manipulations, de stockages, de transformations au sein des pays de l'Union car les distances sont courtes et les frontières ouvertes. C'est d'ailleurs tout l'objet de l'Union européenne mais il est vrai que cela peut faciliter certaines dérives.

Nous croyons beaucoup aux échanges d'informations entre administrations. C'est la réactivité qui importe dans ces affaires et il faut renforcer les dispositifs d'alerte pour que dès qu'un cas est identifié, l'information remonte le plus rapidement possible aux autorités de l'Union, afin de pouvoir détecter l'ensemble de la fraude. Nous nous sommes dotés de protocoles de coopération et de pouvoirs de communication spontanée avec les autres administrations nationales et avec les autres administrations douanières, notamment au sein de l'Union. Nos systèmes d'alerte fonctionnent plutôt bien mais il faut que quelqu'un tire le signal d'alarme.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Avec ce scandale, les Français ont découvert la présence de traders, du minerai de viande... Peut-être y aurait-il moyen de renforcer notre système douanier ?

M. Gil Lorenzo - Dans le domaine alimentaire, le trading a toujours existé. Il existe une bourse des céréales très ancienne à Chicago. En matière de sucre aussi, une cargaison de sucre est vendue quatorze ou dix-huit fois avant d'atteindre son port de destination. Je considère les traders comme un métier dans la chaîne et nous devons faire avec. Faut-il mieux les encadrer ? Oui, c'est évident.

Mais ils ont un rôle important et il ne faudrait pas penser qu'ils ne font que de la spéculation. Ils permettent par exemple de conquérir des marchés en les prospectant pour des entreprises. Ils ont aussi un rôle d'amortisseur des variations de prix.

Nous avons communiqué à la DGCCRF toutes les données relatives au trading en leur fournissant un descriptif du circuit financier et du circuit physique, qui ne se rejoignaient pas du tout.

M. Gérard Bailly - Aujourd'hui, beaucoup d'alimentation animale, notamment le soja, arrive d'Amérique du Sud et nous prétendons en France que nos produits ne contiennent pas d'OGM.

M. Gil Lorenzo - Dans des fonctions passées, j'ai fait du contrôle sur du maïs importé, OGM et non OGM. Par rapport à la déclaration aux douanes et aux documents qui l'accompagnent, les produits sont identifiés OGM et non OGM. Ce qui m'avait choqué, c'est que les tapis de déchargement des marchandises et les zones de stockage n'étaient pas isolées. Nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas de fraudes mais des contaminations croisées. Dans ce type de contrôles, la douane doit faire des contrôles documentaires puis elle peut appeler la DGCCRF si elle estime qu'il peut y avoir des fraudes sur le sujet en question.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - C'est en raison de ces contaminations croisées que la réglementation européenne prévoit qu'il peut y avoir des traces d'OGM jusqu'à 0,9 %.

M. Gérard Bailly - Existe-t-il des statistiques sur les produits garantis sans OGM qui arrivent dans les ports français ?

M. Gil Lorenzo - Pas d'un point de vue douanier car nous ne disposons pas de nomenclatures spécifiques distinguant les OGM des non-OGM. Les nomenclatures ne permettent pas non plus de savoir si une viande est halal ou casher.

M. Gérard Bailly - Je vous pose cette question car je trouve qu'il serait ridicule de ne pas autoriser les OGM dans notre pays tout en en important sous d'autres formes.

M. Patrick Jankowiak - Il n'existe pas de nomenclature tarifaire concernant l'abattage rituel et il ne pourrait être mis en place qu'au niveau international, ou, à défaut, au niveau européen. L'alimentation bio pose le même type de difficultés.

M. Gil Lorenzo - Je dois pourtant commencer à faire des contrôles bios, ce qui est très compliqué car je n'ai pas de moyens d'un point de vue tarifaire de repérer les produits bios. Nous allons devoir progressivement contrôler des documents nous certifiant que les produits sont bien bio.

Audition de MM. Gilles Salvat, directeur de la santé animale et Franck Foures, directeur adjoint du service de l'évaluation des risques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) (mercredi 26 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Merci d'avoir répondu à cette invitation de la mission commune d'information sur la filière viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les missions de l'ANSES couvrent l'évaluation des risques dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en vue d'éclairer la politique sanitaire des pouvoirs publics. Placée sous la tutelle des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement, de la santé, du travail et de la consommation, votre agence met en oeuvre une expertise scientifique indépendante et pluraliste. Elle contribue à garantir la sécurité sanitaire humaine dans le domaine de l'alimentation. Elle assure notamment une veille sanitaire et une pharmacovigilance sur les médicaments vétérinaires, une épidémiosurveillance en santé animale et gère l'observatoire sur les résidus de pesticides. Autant de sujets que nous avons peu abordés lors des précédentes auditions et dont nous sommes heureux de pouvoir parler aujourd'hui avec vous.

En ce qui concerne plus particulièrement la pharmacovigilance, plusieurs scientifiques ont dénoncé les dangers pour la santé humaine de certains médicaments ou cocktails de médicaments, dont on retrouve des traces dans la viande de certaines espèces animales. Pourriez-vous nous en parler, je l'espère pour nous rassurer ? Pouvez-vous aussi nous parler des résidus de pesticides dans les viandes ?

M. Gilles Salvat, directeur de la santé animale à l'ANSES - Je vais commencer par la question des résidus de médicaments, pour lesquels il existe un plan de contrôle européen dans le cadre d'une directive de 1996. Ce n'est pas l'ANSES qui est chargée de l'application en France de cette directive mais le ministère de l'agriculture, qui diligente un plan de contrôle tous les ans au cours duquel plusieurs dizaines de milliers d'échantillons sont analysés pour détecter un certain nombre de résidus de médicaments vétérinaires et de produits qui contaminent l'environnement. En 2010, un peu plus de 20 000 analyses ont été réalisées chez les bovins, 12 500 chez les porcins, 2 600 chez les ovins et caprins, 500 chez les chevaux et 8 500 chez les volailles.

Les recherches portent sur certains médicaments prohibés, comme le chloramphénicol, qui est interdit depuis 25 ans dans les productions animales. Or, il nous arrive d'en trouver des traces dans des viandes. Des cas se sont notamment produits au Brésil, où des quantités non négligeables de cette molécule ont été retrouvées dans des élevages où les médicaments étaient administrés par l'eau des abreuvoirs. Les canaux étaient entartrés et il y aurait eu un relargage de tartre conduisant à l'apparition de résidus, selon les autorités brésiliennes. Il existe en outre un certain nombre de pays dans le monde pour lesquels ce médicament n'est pas interdit, ce qui nous oblige à faire preuve de vigilance.

Parmi les missions de l'agence, je rajouterais celle de recherche et notre fonction de laboratoire de référence, qui est peut-être un peu moins connue mais qui occupe la moitié de nos effectifs. Nous disposons de onze laboratoires répartis sur dix-huit sites sur le territoire national, y compris dans les départements d'outre-mer, puisque nous avons un laboratoire à la Réunion. Ces laboratoires travaillent sur la santé animale, ainsi que sur la sécurité sanitaire des aliments et des végétaux. Nos laboratoires sont des laboratoires de référence pour une soixantaine de maladies comme les salmonelles, dont l'identification est obligatoire en vertu de la réglementation européenne.

Dans ces laboratoires, nous cherchons à mettre au point des méthodes de détection plus fiables, plus rapides et plus sensibles des pathogènes et des résidus de médicaments vétérinaires. Nous effectuons aussi des recherches pour savoir comment circulent ces agents pathogènes : c'est là tout l'objet de notre mission d'épidémiosurveillance. Ces laboratoires de recherche, qui emploient 700 personnes, produisent des publications scientifiques mais se préoccupent aussi beaucoup de recherche appliquée, puisqu'ils établissent des méthodes qui sont ensuite transmises aux laboratoires départementaux pour qu'ils se les approprient et qu'elles puissent servir aux plans de surveillance sanitaire.

Dans ce cadre, nous savons doser un certain nombre de molécules que nous recherchons spécifiquement. Mais nous essayons aussi de plus en plus de doser des molécules que nous ne connaissons pas grâce à des méthodes multianalyses qui dosent simultanément une centaine de contaminants. Nous utilisons principalement pour ce faire la spectrométrie de masse, ce qui nous permet de détecter un certain nombre de substances qui ne devraient pas se trouver dans les aliments. Nous pensons que dans les cinq à dix ans, à partir d'un échantillon, nous pourrons déterminer l'ensemble des substances que l'on trouve dans un aliment et qui ne devraient pas s'y trouver.

Même chose pour les pathogènes : nous allons développer dans les cinq ans qui viennent un séquençage profond qui permettra de connaître tout ce qui se trouve dans les échantillons - bactéries, parasites - pour peu que l'on sache en faire le traitement biomathématique. Ainsi, nous serons capables assez rapidement de donner la carte d'identité de ce que l'on appelle le microbiome d'un aliment ou d'un prélèvement quelconque.

M. Franck Foures, directeur adjoint du service de l'évaluation des risques à l'ANSES - En ce qui concerne les produits phytosanitaires, nous menons régulièrement des études sur l'alimentation totale : nous en sommes actuellement à la deuxième, qui a été rendue publique en 2011. L'objet de ces études est de reconstituer le panier alimentaire d'un Français sur la base d'enquêtes représentatives et d'établir un échantillonnage de tous les produits et de toutes les marques puis de mener des analyses afin de rechercher 450 substances dans plus de 20 000 échantillons, ce qui nous permet de faire le point sur l'exposition des Français à certains risques. Notre première étude ne portait pas sur les produits phytosanitaires mais nous les avons intégrés dans la deuxième étude. Les viandes et les abats sont un assez faible contributeur à l'exposition chimique des Français pour la plupart des contaminants chimiques, contrairement aux poissons et aux crustacés.

Dans la deuxième étude, nous avons exclu les médicaments vétérinaires car leurs contrôles sont réglementés par l'Union européenne. Un gros pool d'analyse avait été constitué avec des résultats assez faibles, c'est pourquoi, lors des arbitrages budgétaires du phytosanitaire, les médicaments vétérinaires n'ont pas été retenus. Nous le regrettons, mais nous travaillons néanmoins sur des méthodes qui pourraient nous permettre d'intégrer tous les résultats de ces plans de surveillance et de contrôle dans les études sur l'alimentation totale, de manière à pouvoir établir des conclusions sur l'exposition des Français à l'ensemble des substances chimiques contenues dans l'alimentation.

Mme Bernadette Bourzai , présidente - Globalement, pensez-vous quand même que l'utilisation des antibiotiques dans les élevages diminue et que les campagnes en leur défaveur sont efficaces ?

M. Gilles Salvat - Le risque que présentent les résidus d'antibiotique est extrêmement faible et le problème de l'utilisation des antibiotiques dans les filières animales ne vient pas de la présence de résidus dans les viandes. Dans l'immense majorité des cas, les temps d'attente sont respectés et l'on est en dessous de la limite maximale de résidus (LMR). En tout état de cause, il s'agit d'un épiphénomène et en aucun cas d'un problème de santé publique.

Ce qui nous préoccupe dans l'utilisation des antibiotiques, c'est la sélection de bactéries résistantes chez les animaux, bactéries qui peuvent ensuite servir de porteurs de gènes de résistance chez les humains, soit en contact direct avec les animaux, notamment les animaux domestiques et les animaux d'élevage, soit par la chaîne alimentaire puisque l'on sait que toutes les bactéries ne sont pas détruites par la cuisson. Une contamination croisée par des produits animaux ou par des produits végétaux, pour lesquels ont été utilisés des engrais organiques qui peuvent être eux-mêmes contaminés par des bactéries animales, peut aussi se produire. Nous nous intéressons à la circulation entre les différents maillons de la chaîne alimentaire des facteurs d'antibiorésistance, y compris dans l'environnement, car ils peuvent être transmis par l'eau que nous buvons - et ce, même si l'eau est potable en France - mais aussi par l'eau d'arrosage des légumes, les engrais organiques...

Il s'agit de notre préoccupation majeure. Depuis trois ans, nous organisons une réunion en octobre-novembre à laquelle nous invitons toutes les parties prenantes, les professionnels de l'élevage, les associations de consommateurs et les élus, lors de laquelle nous communiquons nos résultats. Nous possédons deux réseaux, un réseau qui surveille l'antibiorésistance des bactéries pathogènes de l'animal en examinant les résultats de 25 000 antibiogrammes par an et un réseau qui analyse la consommation d'antibiotiques. En comparant les deux, nous regardons si des augmentations de consommation d'antibiotiques sont à l'origine d'augmentations de résistance.

Il y a quatre ans, nous avons commencé à voir des augmentations, que nous avons jugées inquiétantes, de résistances à des antibiotiques critiques, comme les fluoroquinolone et les céphalosporines de troisième génération. Nous les qualifions de « critiques » car ils sont utilisés chez l'homme en avant-dernière intention : c'est ce qu'on appelle les carbapenem . Ils sont utilisés uniquement à l'hôpital et par injection et absolument pas en médecine vétérinaire. Ils sont parfois utilisés en médecine de ville. Ces céphalosporines de troisième génération sont utilisées pour soigner des maladies graves à l'hôpital et la présence de gènes de grande résistance chez les animaux nous a préoccupés parce qu'il nous semblait que le risque était non négligeable de voir apparaître chez l'homme des résistances liées à l'utilisation des antibiotiques dans les élevages. Nous avons alerté nos partenaires des filières animales et des organisations de consommateurs et avant même la mise en place du plan écoantibio du ministère de l'agriculture l'an dernier. La filière porcine a mis en place un moratoire sur ces antibiotiques critiques qui étaient utilisés dans les phases difficiles de la vie des animaux comme le sevrage, où l'on fait passer l'animal de l'alimentation lactée à l'alimentation solide ce qui génère des déséquilibres. Plutôt que d'utiliser des antibiotiques pour réguler ces déséquilibres digestifs, les éleveurs se préoccupent désormais d'utiliser de bonnes méthodes d'élevage et une alimentation mieux équilibrée pour assurer cette transition - le sevrage est une étape critique et beaucoup de précautions doivent être prises. Les résultats sont là : en une année, les céphalosporines ont diminué de 60 %.

Notre rôle à l'ANSES est d'alerter, de conseiller les éleveurs, de leur dire de s'orienter vers d'autres méthodes d'élevage plus respectueuses de l'animal, de diminuer les densités, d'éviter les mélanges d'animaux venant de mères différentes, pour faire en sorte de ne pas mélanger les microbismes. La prise de conscience est aujourd'hui très bonne puisque la diminution des consommations est très nette et se reflète, avec un décalage d'un ou deux ans, dans la diminution de l'antibiorésistance. Ce décalage s'explique par les aptitudes à la survie de certaines bactéries qui résistent mieux que d'autres dans l'environnement. L'antibiorésistance a un coût biologique différent d'une bactérie à l'autre, certaines résistent mieux que d'autres dans l'environnement. Il y a donc un décalage entre la diminution de l'utilisation d'une molécule et la réelle diminution du nombre de bactéries porteuses de gènes de résistance.

M. Gérard Bailly - Y a-t-il une production en particulier - bovins, porcins, volaille - qui serait plus sensible à ces problèmes d'antibiorésistance ? Je crois que les choses vont dans le bon sens aujourd'hui car les vétérinaires font très attention, l'animal est identifié, la posologie est bien déterminée. Les vétérinaires utilisent les antibiotiques quand ils ne peuvent pas utiliser autre chose, alors qu'il y a vingt ans, leur utilisation était systématique. Quelle espèce serait la plus concernée par ces problèmes aujourd'hui selon vous ?

M. Gilles Salvat - Chaque filière a ses propres problèmes en matière de phases physiologiques difficiles. En porcs, il s'agit du sevrage, en volaille, ce moment intervient après huit jours - ce qui conduisait les accouveurs à injecter des antibiotiques en prévention sur le poussin de un jour, typiquement le genre de pratiques pour lesquelles nous avons donné l'alerte et pour lesquelles la diminution est vraiment notable. Sur le veau de boucherie, le problème est qu'il s'agit d'un jeune animal qu'on va réalloter avec des animaux qui viennent d'élevages différents, or il s'agit d' animaux qui ont des troubles digestifs du jeune âge assez fréquent. La filière de production de lapins était aussi réputée très consommatrice puisque c'est la filière qui au poids produit consommait le plus d'antibiotiques et c'est l'une des premières qui a réagi avec un plan de démédication qui porte très largement ces fruits depuis deux ans et demi. Il y avait des problèmes dans toutes les filières mais toutes ont pris avec plus ou moins de rapidité les mesures qui s'imposaient car toutes ont senti le risque, y compris pour les éleveurs, de ces traitements. On a vu en Hollande des éleveurs porteurs de staphylocoques dorés résistants à la méticyline qui venaient de leurs cochons, ce qui conduisait les autorités sanitaires hollandaises à isoler les éleveurs de porcs lorsqu'ils arrivaient à l'hôpital.

Au final, nous devons mettre en place des pratiques raisonnées car nous avons quand même besoin des antibiotiques dans les filières animales pour soigner les animaux malades.

M. Franck Foures - On parle souvent de la séparation entre évaluation et gestion des risques mais il y a évidemment des interfaces. Notre tutelle nous soumet par exemple, dans le cadre de l'évaluation des risques, tous les textes importants destinés à être adoptés sous forme réglementaire ou à être intégrés dans un projet de loi. Nous sommes aussi régulièrement saisis pour donner un avis sur les feuilles de route qu'établit la Commission européenne en matière de réglementation.

Ainsi, nous avons été saisis du problème des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST), sur lequel nous avons formulé six avis, dès que les feuilles de route ont été émises. Nous avons analysé à la fois la question des protéines animales transformées mais aussi celle de la surveillance des EST à l'équarrissage, celle des politiques de sélection génétique des petits ruminants, celle des tests à l'abattoir et celle des matériels à risque spécifié (MRS) des petits ruminants.

Si l'on reprend la question des protéines animales transformées (PAT) qui me paraît intéressante, où commence et où s'arrête le rôle de l'ANSES en matière de politique de contrôle ? Globalement, les experts de l'ANSES, après avoir évalué le rôle de la barrière d'espèce dans l'arrêt possible de la transmission de l'EST, ont estimé que cette barrière était effective mais incomplète. Ils ont donc considéré que, sous réserve de se conformer aux conditions strictes qui étaient proposées par la Commission européenne - ne pas nourrir une espèce avec des PAT issues de la même espèce - il était possible de penser que, sur la base des connaissances actuelles, le risque était négligeable. Mais il était indispensable de respecter strictement cette interdiction et les experts ont souhaité qu'on puisse documenter la façon dont ce respect serait assuré en France. Ils ont notamment demandé qu'un rapport soit commandé au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) pour que soit dressé un état des lieux de la spécialisation des filières et de leur organisation en France, afin de déterminer si cette spécialisation suffisait à garantir une étanchéité complète entre les filières. Ils ont reçu les différents scientifiques pour évaluer les protocoles de tests existants. La particularité des farines animales, c'est qu'elles sont chauffées très fortement, ce qui dégrade l'ADN. Du coup, il est difficile d'établir le diagnostic d'espèce une fois que ce procédé a été mis en oeuvre. C'est pourquoi nous avons estimé que les conditions n'étaient pas réunies et que le risque ne pouvait pas être considéré comme négligeable.

Si nous vérifions que les conditions sont réunies pour qu'un contrôle soit possible, nous ne disons jamais quel type de contrôle il faudrait entreprendre ni à quel rythme, car cela relève vraiment de la gestion. Il n'y a que pour les plans de surveillance et les plans de contrôle que nous donnons notre avis sur le nombre d'analyses qu'il faudrait réaliser et sur les types de contaminants, car nous avons des compétences fortes dans ce domaine. C'est de cette façon que nous gérons l'interface entre la gestion et l'évaluation des risques. En ce qui concerne les EST, notre dernier avis, qui porte sur les MRS des petits ruminants, sera publié cet été. Sur cette question, nous nous montrons plus stricts que l'Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - C'est toute la question des cervelles d'ovins de plus de six mois qui peuvent être importés depuis les pays voisins alors que chez nous il n'est pas possible de commercialiser les cervelles de nos agneaux qui ont plus de six mois. C'est un exemple criant de distorsion de concurrence et je pense qu'il faudrait se mettre d'accord au niveau de l'Europe, pas forcément en nivelant par le bas d'ailleurs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Il y a aussi la question de la démédullation après qui doit être faite par l'aspiration de la moelle épinière, technique qui reste obligatoire en France et ne l'est plus au niveau de l'Union européenne.

M. Franck Foures - Nous avons été de nouveau saisis sur cette question récemment et nous rendrons prochainement un avis. De manière générale, en ce qui concerne les EST, notre objectif est de favoriser l'harmonisation des réglementations qui est incontournable pour permettre la circulation des marchandises au sein de l'Union Européenne. C'est pourquoi nos experts fournissent à nos autorités de tutelle des arguments permettant de nous diriger vers l'une des deux options suivantes : soit nous aligner sur la position de l'Union, compte tenu de la situation épidémiologique française et européenne, soit plaider en faveur d'une position plus stricte au niveau communautaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je ne pense pas que nous devions baisser la garde mais il ne faut pas non plus que la France pénalise ses producteurs et sa filière viande.

M. Franck Foures - Pour notre part, nous fournissons une évaluation scientifique sans prendre en compte les aspects économiques. C'est quelque chose qui est très clair dans l'esprit de nos experts. Ils l'ont d'ailleurs dit très clairement dans leur avis sur l'arrêt des tests à l'abattoir.

D'un point de vue sanitaire, nous estimons qu'il peut être justifié d'arrêter une seule carcasse contaminée au prix d'un million et demi de tests très onéreux, même si nous admettons parfaitement que, d'un point de vue socioéconomique, nos tutelles puissent décider de ne pas procéder à ces tests. C'est pour cette raison qu'il peut y avoir des distorsions entre les pays, certains choisissant des niveaux de sécurité plus exigeants que d'autres.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - J'ose espérer qu'il existe un équivalent de l'ANSES dans tous les pays de l'Union européenne. Y a-t-il des échanges scientifiques entre vous ?

M. Gilles Salvat - Il n'y a pas d'agence sanitaire dans tous les pays européens, même s'il y en a une dans tous les grands pays de l'ex-Europe des quinze.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je connaissais la réponse mais je voulais que ce soit dit !

M. Gilles Salvat - En ce qui concerne nos relations avec des agences étrangères, nous avons une direction des relations internationales et européennes au sein de l'ANSES qui est très active et signe régulièrement des accords de coopération scientifique.

J'étais moi-même hier à Copenhague pour le colloque annuel d'une association qui s'appelle MedVetNet et qui est issue d'un réseau d'excellence européen que nous avions créé et dirigé pendant cinq ans. Il s'agissait d'un appel d'offre européen lancé dans le cadre du sixième programme-cadre, de recherche et développement (PCRD), qui était destiné à financer l'animation scientifique entre des instituts de recherche. MedVetNet est un institut virtuel qui s'est créé autour des zoonoses. Il s'agit d'une communauté scientifique d'instituts et d'agences de recherche qui travaillent à la fois sur les conséquences sur l'humain et sur l'animal des zoonoses et qui pratiquent la recherche collaborative. Nous étions hier à la Danish Technical University à Copenhague et nous venons de nous mettre d'accord sur le principe d'encadrer en commun un doctorant qui va venir 1 an et demi chez nous et 1 an et demi au Danemark et travaillera sur un sujet relatif à l'hystéria monostogénèse, qui est un contaminant de l'alimentation de plus en plus rare parce que l'on a bien réussi à le maîtriser depuis une trentaine d'années.

Il existe aussi un autre groupe qui s'appelle le club Cinq auxquels nous participons avec les Allemands, les Danois, les Suédois et les Anglais, qui est aussi très actif et cofinance des programmes de recherche pour essayer de promouvoir des collaborations entre nos équipes.

Nous répondons aussi à beaucoup d'appels d'offres de l'Union européenne. Depuis le début de l'année, trois de nos programmes européens ont été acceptés dans le cadre du septième PCRD et nous espérons être aussi performants dans le cadre d'horizon 2020, le prochain PCRD.

Faire de la recherche collaborative fait partie de notre métier de chercheur. En termes d'évaluation des risques, nous avons aussi beaucoup d'échanges. Lors de la crise Escherichia coli O104:H4 en Allemagne, les morceaux d'ADN qui ont servi à identifier le O104:H4 en Allemagne ont été produits dans notre laboratoire de Maison Alfort parce que nos deux agences, le BFR en Allemagne et l'ANSES en France collaboraient beaucoup et se connaissaient bien. Il se trouve que, dans notre banque de gènes, nous possédions ce O104:H4, ce qui nous a permis de transférer la méthodologie à une petite société bretonne qui a mis au point le kit de détection en une dizaine de jours puis l'a transféré aux Allemands, ce qui leur a permis de gagner beaucoup de temps dans l'identification de ce nouveau pathogène. Accessoirement, cela nous a aussi permis de gagner beaucoup de temps quand 10 cas se sont produits à Bordeaux avec le même lot de graines contaminées car que nous avions déjà la méthode. Cette collaboration européenne est donc très importante.

Nous avons aussi une collaboration avec l'Association francophone des soigneurs animaliers (AFSA). Un certain nombre de nos experts font partie des panels permanents de l'AFSA, dont au moins deux en santé animale. Un certain nombre d'experts de nos laboratoires y collaborent et nous participons à sa gouvernance à travers des forums de coordination. Je participe moi-même au groupe Animal health and welfare qui travaille sur la santé et le bien-être des animaux. Il s'agit de groupes interagences coordonnés par l'AFSA qui échangent des informations sur les évaluations des risques sur lesquelles nous comptons travailler dans nos programmes à venir de façon à ne pas dupliquer pas au niveau européen ce qui est fait au niveau national et inversement : nous essayons d'améliorer notre coordination. Même s'il y a certainement des améliorations à apporter, c'est quelque chose qui se met en place depuis que l'AFSA existe, lentement au départ mais les choses se sont accélérées depuis quatre ou cinq ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Conduisez-vous des travaux sur les risques de déséquilibres nutritionnels liés à la sur- ou à la sous-consommation de viande ? Quels sont les apports essentiels en nutriments résultant de la consommation de viande ?

M. Franck Foures - Nous disposons en effet d'une unité qui travaille sur les bénéfices et les risques nutritionnels de l'alimentation. Elle s'est beaucoup investie en 2001, dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS), dans la construction des premiers repères de consommation pour la population générale et les différents types de populations spécifiques.

Beaucoup d'évolutions se sont produites depuis et nous avons de nouveau été saisis en avril dernier pour réactualiser ces données. Il s'agit d'un travail considérable car il implique de procéder, pour tous les nutriments et tous les types de population à la réalisation d'une bibliographie relative à leurs associations potentielles avec des pathologies et à leurs bénéfices, afin de réviser nos recommandations nutritionnelles. Ce travail est en cours et devrait aboutir normalement vers juin 2014.

La question de la viande sera évidemment abordée. Dans l'actuel PNNS, la viande ne fait pas l'objet d'une étude spécifique, elle est traitée avec les poissons et les oeufs. Depuis, la recherche, notamment à l'ANSES, a beaucoup progressé, notamment sur la question des rapports entre nutrition et cancer. Elle pointe notamment un possible impact de la consommation de viande rouge sur le risque de développer un cancer colorectal, ce qui nous a conduit à émettre des recommandations supplémentaires de ne pas dépasser 500 grammes de viande rouge par semaine. Cette recommandation peut ne pas paraître très exigeante, dans la mesure où, aujourd'hui, la consommation moyenne de viande rouge est de 320 grammes par semaine mais certains consommateurs se situent largement au-dessus de ces 500 grammes.

La viande contient-elle des nutriments essentiels ? Pas véritablement. La viande ne contient aucun nutriment qu'on ne puisse trouver dans les autres produits animaux. Même s'il existe un certain nombre de débats par rapport à la question du fer, nous considérons globalement qu'il n'y a pas, par rapport aux autres produits animaux, de différence substantielle des nutriments qui devrait nous conduire à dire qu'une sous consommation de viande pourrait nuire à la santé humaine.

En revanche, nous mettons souvent en garde contre les dangers des régimes sans produits animaux, en particulier pour les personnes qui n'ont pas un historique familial ou culturel de nutrition sans produits animaux et nous insistons pour qu'elles se fassent accompagner afin qu'elles soient très attentives à l'apport en vitamine B12. Cette attention doit être forte chez tous les végétaliens et en particulier chez la femme enceinte parce que la carence en vitamines B12 chez des femmes végétaliennes peut avoir des conséquences très fortes sur leurs enfants. Nous avons publié récemment un communiqué de presse à l'attention des futures mamans végétaliennes sur la nécessité de veiller à leur alimentation en vitamines B12.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous estimez que la consommation de viande n'est pas dangereuse pour la santé. Faudrait-il en manger moins mais de meilleure qualité ?

M. Franck Foures - Pour l'instant, nous attendons la révision des repères du PNSS. J'attire votre attention sur l'un des travaux qu'a produit l'ANSES sur l'impact de l'alimentation animale sur la santé humaine et qui concernait la question de l'impact qu'aurait l'arrêt de certaines graisses saturées comme l'huile de palme dans l'alimentation animale sur la qualité des viandes, du lait et des autres produits animaux et donc de l'impact en termes nutritionnels pour les êtres humains. Sur la question de la viande rouge, il existe effectivement des éléments qui sont très objectifs dans la littérature scientifique sur l'existence de corrélations entre nutrition et cancer. En ce qui concerne les autres viandes, nous sommes en train de faire le bilan de toute la littérature sur l'apport protéique. Il est trop tôt pour vous dire ce qui figurera dans les recommandations du PNNS qui seront publiées en juin 2014. Beaucoup d'études épidémiologiques sont produites aux États-Unis avec des viandes qui n'ont pas du tout la même qualité qu'en France, aussi devons-nous beaucoup peser les études européennes vis-à-vis des études américaines, afin de déterminer à partir de quels seuils le risque de cancer ou de maladies cardio-vasculaires augmente. La qualité de la viande n'est pas neutre non plus, c'est pour cela que j'ai attiré votre attention sur la nutrition des animaux. Nous constatons que pour certaines espèces, en fonction de la quantité de fourrage par rapport à la quantité de concentré, on agit sur les acides gras essentiels qui sont dans la viande et nous savons que certains acides gras essentiels ont des répercussions sur la santé qui sont importantes. Il est donc difficile d'avoir une réponse univoque sur l'impact de la consommation de viande sur la santé, même s'il est possible de dire que la qualité de la viande peut avoir un impact important en termes nutritionnels.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La qualité de ce que l'on donne à manger aux animaux que nous consommons ensuite nous-même a donc quand même une incidence.

M. Franck Foures - Cela a une incidence, c'est ce que montre ce rapport. Pas dans toutes les espèces, car le cas des monogastriques est différent de celui des ruminants.

Mme Bernadette Bourzai , présidente - Avez-vous prévu de faire des études sur les conséquences de l'alimentation animale avec OGM sur la qualité des viandes ?

M. Gilles Salvat - Nous avons demandé, suite aux articles du professeur Seralini, qu'il y ait des études complémentaires pour essayer de qualifier les risques éventuels liés aux OGM, avec des protocoles qui soient bien éprouvés en amont, afin qu'on ne puisse pas les critiquer. Il faut en effet se souvenir qu'un certain nombre de critiques ont été apportés à ces études par différentes agences de sécurité sanitaire. Nos scientifiques ont rendu un avis équilibré au sens où, certes, nous avons considéré que l'étude du professeur Seralini présentait quelques défauts méthodologiques mais nous avons aussi estimé qu'elle soulevait un certain nombre de questions auxquelles il va bien falloir répondre. Aussi avons-nous suggéré que des études soient conduites et soient financées par l'État et non par des associations ni par des industriels.

Nos chercheurs ne sont pas forcément spécialisés dans ces domaines-là et je pense qu'il y a des gens plus compétents que nous pour effectuer ces recherches, à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ou au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Sur ces sujets, les polémiques sont très nombreuses. Un article a été publié avant-hier dans une revue scientifique sur l'agriculture biologique : une équipe australienne et néo-zélandaise montre qu'alimenter des porcs avec du maïs et du soja OGM conduit à une augmentation des inflammations gastriques et du poids de l'utérus chez les truies. Il y a donc des répercussions possibles. Mais ces études présentent de nombreuses faiblesses méthodologiques. Il suffit que la granulométrie de l'aliment ne soit pas tout à fait la même pour provoquer des ulcères : changer la machine qui fabrique les granulés peut faire mourir un porc d'un ulcère performant, car ces animaux sont très sensibles aux ulcères gastriques ! Plusieurs études qui posent question commencent à sortir et il convient donc de lever les doutes et de dire s'il existe ou non un risque. Promouvoir un certain nombre de programmes de recherche sur ce sujet fait partie de nos attributions.

M. Franck Foures - On a aujourd'hui très peu de données sur ces questions. Nous savons, en ce qui concerne les souris, que l'alimentation par OGM pendant deux ans peut avoir un impact sur la transcription des protéines au niveau hépatique, ce qui peut aussi avoir une incidence sur les acides gras et donc sur la qualité des viandes. Mais ce sont plutôt des supputations car nous disposons de très peu d'études. Nous les appelons de nos voeux en termes de suivi épidémiologique.

Il est vrai que nous ne savons pas vraiment quels sont les animaux qui consomment des OGM, en quelle quantité, ni d'où ils viennent. Aussi avons-nous souhaité que soient conduites des études de type épidémiologiques, qui suivent à la fois la santé des animaux et la qualité des produits qui en sont issus dans la mesure où ils sont consommés par l'homme. Le programme européen Marlone va s'intéresser à ces aspects épidémiologiques chez l'animal, puisque chez l'homme en Europe la consommation directe d'OGM est très faible.

Audition de M. Daniel Perron, conseiller du ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la Forêt, chargé de l'agroalimentaire, en charge des relations avec les partenaires (mercredi 26 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous avons le plaisir de recevoir M. Daniel Perron, conseiller en charge des relations avec les partenaires auprès du ministre délégué chargé de l'agroalimentaire, M. Guillaume Garot.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La découverte de viande de cheval dans des produits censés ne contenir que de la viande de boeuf a mis au jour l'existence de pratique commerciales opaques et a sérieusement émoussé l'image des filières viandes. Les consommateurs ont découvert à cette occasion l'existence du minerai de viande, ces bas morceaux invendables autrement que sous forme hachée ou élaborée. En outre, on découvre régulièrement de nouvelles fraudes.

Afin de restaurer la confiance des consommateurs, le ministre chargé de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, a rendu publics deux objectifs fixés par le gouvernement et les professionnels : progresser sur l'étiquetage en indiquant l'origine des viandes ; rédiger une charte prévoyant la mise en place de davantage de contrôles afin d'éviter de nouvelles fraudes. D'après M. Guillaume Garot cependant, la France ne peut obliger les industriels à modifier leur étiquetage, puisqu'une telle mesure ressort de la compétence de l'Union européenne. Toute démarche en cette matière ne pourrait donc être que volontaire. Que faut-il en définitive penser sur ce sujet ? La France pourra-t-elle imposer ses vues à l'échelle européenne, comme elle l'a déjà fait par le passé dans d'autres circonstances ?

Il faut sans doute faire preuve d'une grande fermeté sur ce point très important pour les industries agroalimentaires françaises, qui comptent plus de 13 500 entreprises et plus de 400 000 salariés, qui représentent le premier secteur industriel français et, au plan mondial, la quatrième industrie des pays exportateurs de produits alimentaires. De nombreuses entreprises françaises du secteur élaborent des produits alimentaires de très grande qualité mais sont aujourd'hui mises en difficulté faute d'un étiquetage adapté qui permettrait aux consommateurs de distinguer les produits de qualité des produits médiocres dans un contexte de soupçon généralisé. L'opacité contribue au climat de défiance qui nuit à nos filières viandes. Je suis plutôt libérale et je pense qu'il ne faut pas tout réglementer ; pour autant, je pense qu'il faut assurer une grande transparence sur les produits alimentaires et donner enfin au consommateur une information complète sur les produits qu'il achète.

M. Stéphane Perron, conseiller en charge des relations avec les partenaires auprès du ministre délégué chargé de l'agroalimentaire - J'aimerais tout d'abord vous dresser un rapide panorama de la filière agroalimentaire. Cette filière représente 500 000 emplois, et même près de 600 000 si l'on prend en compte les artisans charcutiers et les boulangers. Dans la mesure où ce n'est pas une industrie de haute technologie, on oublie souvent son importance dans notre économie nationale : comme vous l'avez dit, Madame la rapporteure, c'est pourtant la première industrie française. C'est également une industrie structurante pour les territoires ruraux. La Bretagne, avec 11 % de la valeur ajoutée nationale, et la Loire-Atlantique sont les premières régions du secteur agroalimentaire. J'insiste sur le fait que les deux ministres en charge respectivement de l'agriculture et de l'agroalimentaire considèrent ces deux secteurs d'un point de vue systémique : on ne peut parler de l'un sans prendre en considération l'autre, et la fragilité de l'un de ces deux maillons, très interdépendants, impacte l'ensemble du système.

La filière viande doit également être considérée d'un point de vue systémique et intégré. Il s'agit d'une filière plurielle : si les objectifs de qualité et d'emploi sont les mêmes pour l'ensemble du secteur, les enjeux et les difficultés ne sont cependant pas identiques pour la filière porc, la filière volaille ou la viande bovine. Au sein des industries agroalimentaires, la filière viandes représentait en 2010 2 462 entreprises, 27 % des salariés (41 % si on ajoute les produits laitiers), 11,1 % des exportations et 20,8 % du chiffre d'affaires. Son chiffre d'affaires est donc faible par rapport à son poids relatif dans la filière agroalimentaire, ce qui met en lumière un problème de valorisation des produits autour duquel tourne tout notre travail.

Ce problème de valorisation concerne l'ensemble de l'industrie agroalimentaire. Depuis 2000, la valeur ajoutée dans ce secteur a stagné et a même légèrement régressé, puisqu'elle est passée de 30,7 à 30,1 milliards d'euros entre 2000 et 2010. Bien que cette industrie soit la première industrie française, elle contribue seulement à 1,7 % de la valeur ajoutée totale au plan national en 2011.

Toujours en 2010, les entreprises de plus de 250 salariés ne représentaient que 2 % des industries agroalimentaires, qui comptent 69 % de très petites entreprises (TPE) et 29 % de petites et moyennes entreprises (PME). On a affaire à des entreprises certes de petite taille, mais qui appartiennent pour la plupart à des groupes importants : les effectifs des entreprises de 20 salariés et plus contrôlés par des groupes dépassent 80 % dans une région sur cinq. Il s'agit donc d'une économie de filialisation par PME, dont Spanghero, filiale d'un grand groupe coopératif, offre un exemple fameux. Les coopératives, qui représentent 2 266 entreprises et 57 956 salariés en 2010, jouent un rôle majeur dans le secteur. On a au total une structuration assez équilibrée de la filière entre le secteur privé et le secteur coopératif, qui est particulièrement implanté dans le lait.

On ne peut pas considérer qu'un secteur particulier de l'agroalimentaire soit plus en difficulté qu'un autre : il y a des difficultés dans certaines entreprises de chacune des filières. On peut cependant reconnaître que la filière volaille export traverse de graves difficultés en raison de la situation du groupe Doux. Dans la mesure où, comme l'ont bien précisé les ministres, les restitutions à l'exportation ne seront pas éternelles - elles sont pour l'heure maintenues mais sont en baisse -, l'objectif est de construire un système qui puisse être pérenne sans restitutions. Les ministres continuent cependant de se battre très fermement à Bruxelles pour leur maintien. Le problème principal du secteur est celui de la structuration et de la destination de la production, alors que nous importons près de 30 % de la volaille que nous consommons, et même 44 % du poulet. Nos principaux concurrents sur le marché européen de la volaille sont l'Allemagne et les pays du Bénélux. Afin d'aider le secteur à faire face à cette concurrence, un plan pour la filière a été adopté, dont la baisse du coût de la main-d'oeuvre à travers le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) constitue l'un des principaux instruments. Cette baisse atteindra par exemple 6 % l'année prochaine pour les 2 200 salariés du groupe Doux.

Mme Sylvie Goy-Chavent , rapporteure - Face au dumping social allemand, cette mesure est cependant de peu de poids. Ne faudrait-il pas plutôt faire pression sur l'Allemagne pour qu'elle mette fin à ces pratiques ?

M. Stéphane Perron - Il est clair que la directive sur le détachement des travailleurs pose un vrai problème. Ce sujet doit être négocié avec l'Allemagne. Mme Merkel vient d'annoncer qu'elle était favorable à l'instauration d'un salaire minimum, ce qui constitue une vraie avancée ; cependant, la structuration sociale est particulière en Allemagne, où les salaires sont définis par les secteurs professionnels. Plusieurs rapports ont travaillé sur ce sujet, qui est certes très important.

Il ne faut cependant pas oublier la question des outils de production et de l'investissement. Certains opérateurs n'ont pas investi dans leurs outils depuis 10 ans, tandis que nos concurrents disposent de poulaillers et d'usines neufs ainsi que d'abattoirs robotisés. Il est vrai qu'il est sans doute plus difficile de changer un système qui fonctionne depuis le début des années 1960 que d'en créer un de toutes pièces. Il faut également faire un vrai effort de formation des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il nous a été signalé qu'il était difficile de recruter des bouchers. Il faut mettre en place des formations aux métiers de l'abattage et de la boucherie afin de valoriser ces métiers.

M. Stéphane Perron - Je partage complètement cette orientation, qui constitue d'ailleurs l'un des axes du contrat de filière alimentaire signé la semaine dernière. Des formations de premier niveau, insistant sur la lecture et l'écriture, sont également nécessaires : on s'est rendu compte, au moment de la mise en oeuvre du plan social du groupe Doux, que certains salariés étaient incapables de remplir les fiches qu'on leur présentait. De nombreux personnels sont d'origine étrangère et ne sont pas francophones.

Il est essentiel que les salariés soient en capacité d'exercer un autre métier. C'est en ce sens que le volet emploi et formation du contrat de filière prévoit la mise en place de contrats de qualification professionnelle (CQP) transversaux qui permettraient aux employés de passer d'un secteur à l'autre au sein de la filière agroalimentaire. Les employés de la filière lait, qui travaillent derrière un ordinateur sur des outils entièrement automatisés, de la charcuterie, qui travaillent à la main, et des chaînes d'abattage, ont des métiers très différents. Aussi la mise en place de CQP constitue-t-elle un travail de structuration générale de la filière, qui est absolument essentiel pour l'attractivité et l'image des métiers, et dans lequel tous les acteurs sont bien conscients de leur responsabilité.

Le contrat de filière comprend au total quatre points relatifs à l'emploi et à la formation : consolider et créer des emplois, notamment en attirant les jeunes ; sécuriser les parcours professionnels grâce à la formation ; améliorer l'attractivité des métiers de l'alimentaire ; renforcer le dialogue social dans les territoires, dans les branches et dans les entreprises. La filière s'est engagée à recruter 150 000 jeunes sur la période 2014-2017, c'est-à-dire 10 000 jeunes de plus que le flux habituel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Afin d'atteindre ces objectifs, allez-vous créer des formations ?

M. Stéphane Perron - Il y aura à la fois de la formation en alternance, des CQP et des contrats d'apprentissage. D'ici à la fin du mois de juillet sera en outre signé un accord interbranche sur les contrats de génération. Par ailleurs, 5 000 salariés auront accès dans les trois prochaines années à des formations sur des savoirs fondamentaux, soit 10 fois plus que ce qui a été fait au cours de l'année dernière ; il s'agit d'une vraie demande constatée sur le terrain à l'occasion des plans de sauvegarde pour l'emploi (PSE). Certains salariés de l'agroalimentaire exercent un travail davantage subi que choisi. Notre objectif est de redonner de la noblesse aux métiers de l'agroalimentaire.

Il s'agit plus généralement de redonner à l'industrie agroalimentaire la vision d'un futur dont nous pensons qu'il peut être florissant. La France a toute sa place dans la production agroalimentaire mondiale qui devra relever le défi alimentaire des prochaines années. Nous disposons en effet à la fois d'un savoir-faire qui nous est envié par les autres pays et de produits de grande qualité. De ce point de vue, il est fort dommageable que ce soit de la France que provienne le dénigrement permanent de la qualité de nos produits. Il y a des raisons à cela : vous évoquiez tout à l'heure les différentes fraudes qui ont touché le secteur. Pour autant, un seul fraudeur ne doit pas cacher la grande masse des producteurs vertueux.

M. Gérard Bailly - Lorsque le ministère de l'agriculture produit un fascicule intitulé « Agriculture : produire autrement », contre lequel j'ai fermement pris position, il me semble que c'est du ministre lui-même que provient le dénigrement.

M. Stéphane Perron - Cela signifie simplement que l'on essaie de produire avec moins de pesticides et que l'on applique les préceptes du Grenelle de l'environnement. Une telle production permettra en outre à nos éleveurs de rattraper une partie de notre retard de compétitivité par rapport à l'Allemagne, notamment à travers la mise en place d'un plan de méthanisation.

Le maintien de la production agroalimentaire est intimement lié au maintien de la production primaire. Il faut ainsi produire au moins 25 millions de porcs pour pouvoir maintenir nos outils industriels d'abattage-découpe. Une baisse importante de la production entraînera une restructuration d'autant plus sauvage des outils.

M. René Beaumont - Sur la question de la production de porcs, il faut commencer par le début, c'est-à-dire autoriser la construction de porcheries. Dans mon département, la Saône-et-Loire, premier département de France pour ce qui est de la surface agricole utile (SAU), il est complètement impossible de construire une porcherie, notamment en raison de la mobilisation de mouvements écologistes. C'est principalement à cela que tient la baisse de la production de porcs. Il est urgent de trouver des solutions sur un problème qui est pointé depuis dix ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le ministre de l'agriculture a déclaré le 18 avril dernier que les procédures relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) allaient être assouplies.

M. Stéphane Perron - Nous sommes tout à fait conscients de ce problème et nous nous efforçons depuis un an d'avancer sur ce sujet. Il existe aujourd'hui une très forte volonté politique pour avancer sur la question des ICPE. La production de porcs souffre cependant d'une image négative liée à l'hyperconcentration bretonne. Cette production suscite en outre des peurs parce qu'elle est mal connue : il semble plus facile d'implanter un poulailler qu'un élevage de porcs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ce n'est pas certain !

M. Stéphane Perron - Nous allons non seulement avancer sur la question des ICPE, mais également sur celle de l'augmentation de la taille des élevages. Pour cela, il faudra travailler sur l'image de la filière : l'éleveur de porcs ne doit plus être considéré comme un pollueur. La reconquête de la production nous permettra ensuite de reconquérir la transformation et de travailler sur les outils de transformation. Il faut bien reconnaître que la filière porcine est particulièrement complexe : elle est marquée par une forte concurrence entre les acteurs et comprend des acteurs plus petits que la moyenne européenne. Il faut donc mener une restructuration du secteur, qui ne devra pas être faite au détriment des éleveurs, ou des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Que proposez-vous en matière d'étiquetage et de transparence pour restaurer la confiance du consommateur ? Envisagez-vous une évolution de l'information fournie pour les produits bruts et surtout transformés ?

M. Stéphane Perron - La traçabilité est un sujet qui relève du droit de l'Union européenne et toute évolution sur la question de l'étiquetage obligatoire nécessite un accord à l'échelon européen. Cela étant dit, il est possible que les acteurs nationaux décident de manière volontaire de modifier l'étiquetage des produits. Il n'est aucunement interdit aux opérateurs de décider de préciser le pays d'origine de leurs produits ; cette démarche fonctionne d'ailleurs bien dans la filière porcine avec le logo VPF (viande porcine française).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le volontariat est-il suffisant s'agissant des produits transformés ?

M. Stéphane Perron - Non, en effet. Le 21 mai dernier a eu lieu une réunion à la suite de l'affaire de la viande de cheval dans le but d'améliorer les contrôles, la qualité et la traçabilité des produits industriels à base de viande. Le gouvernement a retenu plusieurs orientations à la fois nationales et européennes. A l'échelon national, il est prévu de mettre en place une charte antifraude visant à instaurer des contrôles renforcés entre fournisseurs et acheteurs de viandes destinées à la transformation. Les opérateurs devront rendre public leur engagement dans cette démarche. Il est également prévu d'adopter un code des usages permettant de définir des standards professionnels pour la qualité de la viande utilisée pour la confection des plats préparés et de fixer les contrôles physiques et analytiques à effectuer. Ce code des usages sera applicable dès l'automne 2013. Nous devrons aussi anticiper le renforcement de la réglementation communautaire et mettre en oeuvre le plus rapidement possible le renforcement des contrôles portant sur la qualité des viandes. Nous allons enfin promouvoir les démarches volontaires en matière d'étiquetage du type VBF (viande bovine française) et VPF sur l'ensemble des filières, y compris l'ovin et la volaille. Cette démarche va de pair avec le travail que nous effectuons sur la valeur ajoutée : nous considérons que les acteurs ont tout intérêt à dire qu'ils produisent français.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il n'est donc pas prévu d'imposer un étiquetage de l'origine pour les produits transformés. C'est pourtant la valorisation des produits français, qui sont de grande qualité, qui est ici en jeu.

M. Stéphane Perron - En l'état actuel du droit, il ne nous est légalement pas permis de l'imposer. Cependant, même si l'État n'a pas le pouvoir de l'imposer aujourd'hui, un industriel a tout à fait le droit de le faire en tant qu'acteur économique. Pour autant, nous avons la volonté de progresser sur ce sujet tant par la négociation au niveau européen que par l'incitation au niveau national. Nous allons construire un logo général, le label « viande de France », qui permettra de regrouper l'ensemble du secteur et d'harmoniser les conditions sociales des différentes filières.

Au niveau européen, le gouvernement s'est engagé à promouvoir les codes des usages relatifs à la qualité dans les différentes filières viande. Nous poursuivons également le dialogue avec les autorités européennes pour obtenir un étiquetage de l'origine des viandes jusque dans les plats transformés. Il s'agit d'une demande très forte des trois ministres en charge de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la consommation. Nous avons par ailleurs demandé la création d'un réseau antifraude alimentaire et nous allons veiller à ce que les obligations en matière d'enregistrement préalable, de traçabilité et d'accès aux informations pour les autorités de contrôle soient étendues aux sociétés de trading de viande. Le trading de la viande fait en effet partie, avec le minerai de viande, des réalités de la filière que le grand public a découvertes à l'occasion de la crise de la viande de cheval.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous avons eu l'occasion de voir du minerai de viande à l'occasion de notre visite à l'abattoir de Kerméné et je vous avoue que j'imaginais pire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il existe cependant plusieurs sortes de minerais.

M. Stéphane Perron - L'utilisation du minerai montre que l'on pousse au maximum la rentabilité des appareils industriels et des animaux que l'on abat sous la pression économique. Les fraudes alimentaires sont sans doute en partie le résultat de la course aux prix les plus bas : certains acteurs économiques qui ne peuvent plus résister à cette pression se trouvent sans doute contraints de recourir à des pratiques qu'ils réprouvent. La recherche des bas prix ne peut que produire des effets négatifs sur la qualité des produits. C'est pourquoi nous souhaitons, à travers le projet de loi sur la consommation, réformer la loi de modernisation de l'économie (LME) afin d'accroître la répercussion de la volatilité des cours des matières premières sur les prix, à la hausse comme à la baisse pour l'ensemble des acteurs. Cependant, il y aura toujours des fraudeurs qui estimeront qu'ils ne font pas assez de bénéfices, même dans un système économique florissant.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il est essentiel que cette répercussion concerne les éleveurs, qui constituent souvent la variable d'ajustement du système. On voit plus souvent un éleveur qu'un industriel mettre la clé sous la porte.

M. Stéphane Perron - La grande distribution a le rôle que les autorités politiques ont bien voulu lui donner. La LME visait à faire baisser les prix ; il ne faut pas s'étonner ensuite que nombre d'entreprises se trouvent aujourd'hui en grande difficulté. Chacun des opérateurs de la chaîne, de la production primaire à la distribution, doit pouvoir faire une marge qui lui permette de vivre, et pas seulement de survivre. Cela signifie qu'il doit pouvoir former son personnel, innover et investir. Les difficultés de certaines entreprises résultent en effet du fait qu'elles n'ont plus les moyens d'investir depuis plusieurs années. C'est pourquoi il est absolument indispensable de retrouver de l'équilibre dans les relations commerciales.

Les acteurs économiques ont aussi leur rôle à jouer dans cette évolution. L'observatoire des prix et des marges (OPM) décrit les négociations des acteurs de la filière comme ubuesques par rapport à ce qui se pratique à l'étranger. C'est en effet un milieu très dur ; mais chacun doit aujourd'hui se rendre à la raison. Le gouvernement ne peut pas négocier les prix à la place des acteurs, mais il a le devoir de fournir les conditions d'une négociation équilibrée, ce qu'il a fait en revenant sur la LME. Par ailleurs, les médiations sur le prix du lait ou du porc jouent aussi un rôle certain.

Au terme d'un an de travail avec les industries agroalimentaires, avec la mise en place des contrats de filière, je crois que nous sommes parvenus à donner un élan nouveau qui se faisait attendre depuis plusieurs années.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Pouvez-vous nous dire quelques mots du plan d'investissements d'avenir ?

M. Stéphane Perron - M. Stéphane Le Foll a expliqué qu'il fallait créer une dynamique d'investissement territorial soutenue par les pouvoirs publics à tous les niveaux de l'administration. Nous devons être très offensifs sur ce point, parce qu'il n'y aura pas de redressement de l'appareil productif français sans redressement de l'agroalimentaire. Le pacte pour l'investissement productif, qui est un plan de financement pour le secteur agroalimentaire, vise à répondre à cet enjeu. A l'heure actuelle, il existe trois dispositifs principaux de soutien à la filière : le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ; les aides apportées aux projets de recherche, d'innovation et de développement dans le domaine agroalimentaire ; l'instrument nouveau que représente la banque publique d'investissement (BPI). En 2010, les industries agroalimentaires avaient investi plus de 5 milliards d'euros, dont 3 milliards pour les PME. Dans l'optique du soutien aux investissements du secteur, nous avons fait remonter 750 projets d'investissement pour un montant de 2,7 milliards d'euros à travers les services de l'État et les conseils régionaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Envisagez-vous de valoriser les productions de proximité ?

M. Stéphane Perron - L'industrie agroalimentaire doit marcher sur ses deux jambes : les productions de masse, qui répondent à une demande et aux exigences du pouvoir d'achat, et les circuits de proximité, avec une relocalisation des productions et une production territorialisée. A ce titre, nous continuons de promouvoir les labels, qui constituent une source de richesse considérable pour notre agroalimentaire.

Audition de MM. Jean-Guillaume Bretenoux et Bruno Ferreira, conseillers techniques du ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt (mercredi 26 juin 2013)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Notre dernière audition nous permettra d'entendre les conseillers du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Notre mission, mise en place à la suite du scandale de la viande de cheval ayant remplacé la viande de boeuf dans diverses préparations alimentaires, avait été demandée par le groupe UDI-UC du Sénat. Nous nous intéressons à l'élevage, à la question des industries de transformation et enfin, à la commercialisation. Nous avons effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements, qui nous ont permis de rencontrer des acteurs économiques, en particulier aux Pays-Bas.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le 31 mai dernier, lors de l'Assemblée générale du syndicat national de l'industrie de la nutrition animale, vous représentiez le ministre et souligniez les difficultés et l'avenir de l'élevage. A cette occasion, chacun a pu constater le contraste entre la vision de l'élevage des représentants de l'agroalimentaire et du gouvernement. Un intervenant a souligné que l'intensification, non seulement inéluctable mais aussi souhaitable, continuera dans les décennies à venir dans les productions animales. L'intensification serait la condition sine qua non pour concilier performance économique et exigences de durabilité imposées par la société civile. Ce sont d'ailleurs là les conclusions de la commission Van Doorn aux Pays-Bas, composée des représentants de l'ensemble de la filière agroalimentaire, qui avait pour mission de définir un projet, notamment pour la province du Nord-Brabant, qui a la densité de porcs et de volailles la plus importante d'Europe. Cette commission a estimé que la taille optimale d'un élevage est celle qui permet d'employer 4 personnes en équivalent temps plein. Cette taille permet de réaliser les investissements nécessaires pour le bien-être et la santé des animaux et le respect de l'environnement. Le nombre d'animaux n'a rien à voir avec celui de la France. Pour M. Christian Renault, consultant pour le groupe AND International, l'intensification de l'élevage en France est une nécessité. Les opérateurs dominants imposeront leurs normes pour tout le monde. L'avantage prix des poulets de Hollande est de 10 %, avec de plus gros volumes, des lots plus homogènes ... Le modèle français avec de petites entreprises est-il toujours viable et a-t-il un avenir dans ces conditions ? Peut-on encore avoir plusieurs modèles d'exploitation en France ? Il existe sur notre territoire des modèles très différents, des modèles innovants. J'ai ainsi rencontré les boucheries André de Lyon, qui proposent des nouveaux modèles d'organisation de la filière, maîtrisant toute la chaîne du pré à l'assiette, avec l'objectif de distribuer une viande d'excellence. A l'heure où certains prônent un modèle plus industriel et plus intensif, qu'est-ce que le Gouvernement a prévu pour soutenir les modèles innovants et pour faire en sorte que le poulet ne soit pas du « blé sur pattes ».

M. Jean-Guillaume Bretenoux, conseiller technique chargé des filières animales et agroalimentaires au cabinet de M. Stéphane Le Foll. - Le ministre Stéphane Le Foll ne croit pas qu'un seul modèle soit valable pour l'élevage, et d'ailleurs pour l'agriculture en général. Il est évident qu'il existe une vision de l'agriculture considérant que seule la course à la taille permet de rester compétitifs en Europe et dans le monde, pour compenser les différences avec nos concurrents en matière de coûts de main d'oeuvre ou encore de normes environnementales. Ce n'est pas la vision du ministre, qui considère que l'agriculture et l'élevage ne peuvent pas être complétement déconnectés du territoire. L'élevage est une activité de production et non de transformation. Il faut donc ce lien.

L'approche considérant qu'on est plus compétitifs avec une grosse exploitation qu'avec une exploitation de taille familiale est d'ailleurs discutable, ne serait-ce que parce qu'en élevage, il y a aussi des problématiques de maladies des troupeaux, qui peuvent toucher davantage les élevages très concentrés.

Le Gouvernement considère aussi qu'il y a un enjeu territorial fort pour l'élevage et la transformation industrielle de la viande. Concentrer la production dans quelques grandes exploitations spécialisées par région poserait un problème d'aménagement du territoire et d'occupation de l'espace. Si le Gouvernement défend aujourd'hui l'élevage, notamment dans le cadre des négociations de la PAC, c'est aussi parce qu'il considère qu'il est un facteur de croissance et de développement économique sur l'ensemble du territoire français.

Il n'y a donc pas de modèle unique à privilégier. Il existe des projets de grande taille qui se développent, comme par exemple la ferme des mille vaches - qui a d'ailleurs été réduite à cinq-cents vaches. Ce projet est suivi attentivement. Des projets de ce type ne sont pas interdits. Il existe des conditions réglementaires très strictes à respecter. Ce type de projet n'est pas à rejeter non plus car il peut être facteur d'innovations.

Clairement, le Gouvernement ne promeut pas ce type de projet, mais ne peut pas l'écarter. Afin de favoriser le maintien du modèle des exploitations familiales, plusieurs outils pourront être mobilisés comme la surdotation des 50 premiers hectares dans le cadre de la réforme de la PAC, acceptée lors de la discussion à Bruxelles. La deuxième piste est celle de l'agroécologie. On peut améliorer la performance économique et environnementale des exploitations, ce qui leur permettra d'être davantage viables. En améliorant la conduite de l'exploitation, en tirant partie des ressources de l'agronomie, en sécurisant les revenus sur la durée, on va dans le bon sens.

M. Bruno Ferreira, conseiller technique chargé des questions de sécurité sanitaire et de l'alimentation au cabinet de M. Stéphane Le Foll. - Les produits de l'élevage ont une destination : celle d'être des aliments. Des exploitations de petite taille peuvent être portées par la dynamique des signes de qualité. Cela existe pour la volaille, mais aussi pour les porcs, les ovins, les bovins en général, les veaux ... Toutes les démarches qui visent à une segmentation du marché permettent une valorisation plus importante des productions et donc une agriculture de proximité qui, se basant sur des exploitations de petite taille, permettent de dégager des facteurs de compétitivité.

M. René Beaumont - Je souscris à la vision que vous décrivez de l'agriculture et qui est défendue par Stéphane Le Foll. Toutefois, dans certains secteurs comme la production laitière, il y a une pression importante. La ferme des 500 vaches y est probablement l'avenir. Dans mon département, les vaches laitières sont remplacées par des vaches charolaises qui présentent un gros avantage : on n'a pas à les traire. La nécessité de traire les vaches laitières deux fois par jour, toute l'année, est un repoussoir pour les jeunes. La seule solution est d'avoir un robot de traite, mais il faut au moins 150 vaches laitières pour amortir un robot. Certains robots sont si sophistiqués que les vaches vont à la traite toutes seules. L'éleveur est gagnant en quantité - les vaches donnent plus de lait - mais aussi en qualité. L'éleveur n'a plus qu'à effectuer une surveillance. Cela va révolutionner la production laitière, mais il faudra aider les investissements. L'enjeu est de taille car nous risquons de manquer de lait bientôt en France.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - La question de la pénibilité du travail est centrale. La démarche « produisons autrement » du ministère cherche à y répondre, notamment en encourageant des solutions collectives. Cela peut aussi passer par des robots. Il existe une demande sociale en France de disposer de garanties en matière de modes de production. On ne peut donc pas défendre une vision de l'élevage qui repose sur une production standard. Il nous semble nécessaire que le marché soit segmenté. Ne gâchons pas la segmentation en mettant tout le monde sur le même segment.

Toute la difficulté réside dans la recherche de l'équilibre entre le maintien de produits de qualité et celui des productions standardisées. Sur ce dernier segment, il ne faudrait pas que chaque enseigne ait des exigences différentes en termes de tailles de barquettes, de couleurs. Ces contraintes de calibrage compliquent inutilement la production. Tout ne repose donc pas sur la taille de l'exploitation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les éleveurs aiment fondamentalement leur métier. Le problème n'est pas tant la pénibilité mais la faiblesse du revenu, au regard des investissements énormes qu'il faut faire. Nos éleveurs ne gagnent pas assez par rapport à leur investissement en temps et en argent. Nous avons rencontré durant nos déplacements un jeune qui a repris une exploitation avicole et qui nous expliquait fièrement dégager un SMIC de son activité. Cela n'est pas possible. Il faut revaloriser les revenus des éleveurs et le statut de l'éleveur, qui ne peut pas être la variable d'ajustement du système.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - D'où la nécessité de revoir la répartition des aides agricoles entre céréaliers et éleveurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous devrons aussi parler des normes. Les dossiers d'agrandissement ou d'installation doivent être traités dans des délais définis et il faut que les demandes de pièces complémentaires ne retardent pas les dossiers.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Nous sommes parfaitement d'accord sur le fait qu'il existe une double voire une triple peine pour les éleveurs, entre la pénibilité du travail, la faiblesse des revenus par rapport aux céréaliers et les contraintes réglementaires probablement plus pesantes pour les éleveurs que pour les cultivateurs. Certains ont le choix et peuvent vouloir changer de production, dans les zones intermédiaires. Dans les zones où l'on ne peut pas basculer en grandes cultures, l'éleveur n'a cependant pas le choix.

Concernant la simplification, nous estimons que quand la procédure devient dissuasive, même lorsque l'on respecte les contraintes environnementales, il y a un problème. Pour l'élevage porcin, le ministre a donc la volonté de créer un régime d'enregistrement pour réduire le délai d'instruction des dossiers de 12 à 6 mois environ, en n'ayant plus à passer par l'enquête publique et l'étude d'impact. Il n'y aura pas de remise en cause des exigences environnementales. On pourra basculer sur un régime d'autorisation dans des cas précis, s'il y a des interrogations sur l'impact des projets. La société nous demande un encadrement très strict de ces productions, et notamment des productions de grande taille. Il est nécessaire d'en tenir compte.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les seuils d'installations classées sont plus bas en France que chez nos voisins européens.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Notre idée est précisément de créer une procédure d'enregistrement pour les installations porcines entre 450 et 2 000 porcs, qui accélère la procédure pour les exploitations de petite taille. Le régime restera très encadré, avec une décision du préfet. Remonter le seuil des installations classées au niveau européen n'était pas possible. Le Gouvernement précédent l'avait envisagé mais l'amendement Le Fur, en ce sens, avait été rejeté.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il faut peut-être le présenter différemment.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Les producteurs estiment que la création d'un régime d'enregistrement est déjà un bon signal. Les projets qui pourront être portés sont d'ailleurs innovants. Moderniser son exploitation, cela peut aboutir aussi à limiter son impact environnemental.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Concernant les normes, on entend que la France « lave plus blanc que blanc » ce qui nous rend moins compétitifs. Par ailleurs, la lecture des normes n'est pas la même d'un département à l'autre. Quelles réponses apporter. C'est vécu comme une injustice par les agriculteurs.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Une action est menée par le Gouvernement dans le cadre de la simplification, mais aussi de la modernisation de l'action publique (MAP) ou encore des états généraux du droit de l'environnement. Une meilleure harmonisation des règles constitue un objectif partagé.

Tous les pays ont l'impression en Europe qu'ils sont plus vertueux que leurs voisins. Mais si, vingt ans après l'adoption de la directive nitrate, la France est encore le seul pays à être en contentieux en Europe, c'est parce que nous avons traîné des pieds pour l'appliquer. La Commission est dure avec la France car d'autres pays le demandent en estimant qu'on fait du dumping environnemental. Nous sommes peut-être plus stricts que d'autres sur certains sujets, mais sur certaines réglementations, ne croyons pas que nous soyons les premiers de la classe, comme par exemple sur la mise aux normes de bien-être animal concernant les truies gestantes, où nous n'étions pas à 100 % conformes à la date prévue.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - La transposition des directives est pourtant souvent plus stricte en France qu'ailleurs. Nous devrons simplifier.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Nous avons conscience qu'il faudra simplifier. Mais ne croyons pas que l'on est toujours les plus vertueux. Pointer les italiens qui ne sont pas encore aux normes sur les poules pondeuses alors que nous ne le sommes pas encore totalement sur les truies gestantes est délicat.

M. Bruno Ferreira. - La direction générale de l'alimentation (DGAl) et le ministre ont le souci permanent d'homogénéiser les approches des services d'inspection dans les différents départements. Les services vétérinaires sont ainsi accrédités à travers une norme reconnue par le Comité français d'accréditation (COFRAC). Les services d'inspection suivent des méthodes unifiées. Notre souci d'homogénéité s'inscrit dans une préoccupation économique : pouvoir délivrer les certificats permettant l'exportation. Bien sûr, les inspections sont réalisées par des personnes et non des machines, donc il existe une subjectivité, la plus limitée possible.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - En Bretagne, on nous a expliqué que les responsables des services d'inspection étant responsables de leurs décisions, ils avaient tendance à ouvrir le parapluie en adoptant une lecture restrictive des textes.

M. Bruno Ferreira. - Lorsqu'un opérateur se voit notifier une non-conformité, et plus encore quand des actions sont engagées au pénal, cela ne lui plaît pas. Les agents chargés de l'inspection doivent intervenir car le droit pénal les sanctionne en cas de négligences qui peuvent entraîner des problèmes de santé publique. Certains agents qui n'ont pas voulu voir des non-conformités ont d'ailleurs été condamnés. Pour autant, il existe une gradation dans l'approche des agents d'inspection. Lorsqu'on arrive au procès-verbal, solution la plus lourde, il faut que cela soit grave. On a un taux d'infractions et de procès-verbaux sur la base de problèmes sanitaires qui est relativement faible dans le secteur agroalimentaire. En revanche, on a beaucoup de demandes d'actions correctives. Cela prouve que les services vétérinaires travaillent d'abord à faire cesser les infractions aux règles sanitaires. Bien sûr, s'il y a refus d'obtempérer, on passe ensuite à un autre registre : celui de la sanction.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le renforcement de l'étiquetage sur les produits transformés à base de viande est-il possible, autrement que par le volontariat ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions d'agrément des acteurs de la filière viande, les contrôles effectués ? Disposez-vous de données chiffrées sur les tonnages abattus rituellement depuis les six derniers mois, depuis la mise en application du décret de la fin 2011 ?

M. Bruno Ferreira. - S'agissant de l'étiquetage de l'origine, elle n'est obligatoire que pour la viande bovine fraîche. Le règlement sur l'information du consommateur encadre les conditions de l'étiquetage. Le Parlement et le Conseil ont renvoyé l'extension du dispositif d'étiquetage obligatoire à deux rapports que la Commission devait rendre. La décision a été prise d'étiqueter les autres viandes fraîches. On attend le rapport sur les viandes transformées pour la fin de l'année. Dès le début de la crise de la viande de cheval, le 8 février dernier, la France a porté au niveau européen une demande d'accélérer le processus sur l'étiquetage obligatoire de l'origine. Il y a consensus sur la nécessité d'améliorer l'étiquetage mais débat sur la manière de faire. Nous avons eu des assurances, par écrit, que les rapports seraient rendus au début et non à la fin de l'automne. Il se pourrait que les rapports interviennent plus tôt. La Commission européenne s'est engagée à accompagner les rapports de propositions de modifications de la réglementation européenne. Suite à l'impulsion donnée par Stéphane Le Foll, la Commission européenne a donc pris la dimension du sujet, avec le plan annoncé dans la lettre du 20 mars, accompagné d'actions concrètes. Il n'y a pas consensus total en Europe mais plusieurs États membres considèrent que le renforcement de l'étiquetage est une condition clef du rétablissement de la confiance du consommateur européen dans la sécurité de l'alimentation en viande.

S'agissant de l'agrément des négociants, il faut apporter quelques précisions. L'agrément imposé par le paquet hygiène s'impose à des entreprises qui stockent ou manipulent des denrées, en particulier des denrées d'origine animale. Les négociants qui ne manipulent de la viande sont concernés par l'agrément, mais pas ceux qui ne font que du commerce sans rien manipuler. Lors de la réunion du 13 février, Stéphane Le Foll, à Bruxelles, a demandé que l'on puisse connaître ces établissements commerciaux. Il faudrait qu'il y ait une obligation d'enregistrement et des garanties en termes de traçabilité des informations en termes de flux de viande. Dans l'affaire de la viande de cheval, le négociant est installé à Chypre. La Commission européenne n'a aucun moyen de contraindre les autorités chypriotes à quoi que ce soit, car elle n'a pas de motif sanitaire à agir, pour saisir des factures ou des bons de livraison. Or, cela manque. Nous devons travailler sur ce sujet car l'exigence de traçabilité est importante. Ces opérateurs devraient mettre toutes les informations à disposition immédiatement. On doit réfléchir sur le format des données, sur les durées de conservation des documents etc...

S'agissant enfin des inspections d'établissements, il faut distinguer deux types d'établissements : les établissements de transformation de type plats cuisinés et les abattoirs. Dans les abattoirs d'animaux de boucherie, il existe une obligation de présence permanente des vétérinaires sanitaires. Pour les autres établissements, il existe une inspection périodique, selon une analyse de risque nationale déclinée au niveau local. On regarde lors de l'inspection si le professionnel a bien pris toutes les précautions nécessaires au regard des exigences sanitaires, pour garantir que le produit qu'il va mettre sur le marché est sûr et sain. Si ce n'est pas le cas, en fonction des manquements constatés, il y a demande d'actions correctives ou éventuellement des saisies de marchandise voire des demandes de destruction. Il peut y avoir des sanctions pénales en cas de fraude caractérisée. Les inspections s'appuient sur la procédure d'agrément. L'agrément est en deux phases : il existe un agrément conditionnel, d'une durée de trois mois, qui permet de mettre sous surveillance l'établissement au démarrage afin de s'assurer que son plan de maîtrise sanitaire assure la prévention de tous les risques identifiés, l'existence d'actions correctives, la traçabilité, puis un agrément définitif, si tout s'avère conforme. Ensuite, les services de contrôle surveillent périodiquement, avec une fréquence qui dépend des risques : on surveille davantage les établissements qui produisent des steaks hachés, qui ont une plus grande sensibilité sanitaire.

Dans les abattoirs, il y a un contrôle permanent des vétérinaires qui peuvent écarter les animaux qui ne seraient pas conformes. Tant que la carcasse n'est pas estampillée par le vétérinaire, elle ne peut pas être mise sur le marché.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Y a-t-il suffisamment de moyens de contrôle, et notamment suffisamment de personnel pour les contrôles ?

M. Bruno Ferreira. - Le ministre a donné les priorités. Les abattoirs en font partie. On a pour ces établissements une obligation réglementaire de contrôle systématique et le vétérinaire a une responsabilité directe dans la mise sur le marché des carcasses. Pour les autres types d'établissement, ce n'est pas le cas. La responsabilité est d'abord celle de l'opérateur. En cas de problème c'est lui qui est responsable. Bien évidemment, plus le système de contrôle est performant, plus on peut mettre la pression sur les établissements pour que ceux-ci fonctionnent correctement. Mais il y a bien deux niveaux de priorité différents à considérer pour les abattoirs, qui sont au coeur de la chaîne, et pour les autres établissements. Pour autant, peut-on considérer que l'on a suffisamment d'inspecteurs ? Durant les cinq dernières années, il y eu une baisse importante des effectifs. Les syndicats soulignent qu'il y a même eu plus de départs que de départs en retraite, ce qui pose une vraie question. Stéphane Le Foll se bat pour arrêter l'hémorragie des inspecteurs. Il s'agit, avec la priorité aux abattoirs, de sécuriser le dispositif et d'optimiser nos moyens.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Peut-on évaluer la manière dont chaque opérateur fait son autocontrôle ?

M. Bruno Ferreira. - Cette question est au coeur de l'inspection sanitaire des établissements. L'autocontrôle n'est qu'un des éléments. On ne peut résumer la maîtrise du risque par les opérateurs à l'autocontrôle, qui s'inscrit plus largement dans le cadre du plan de maîtrise sanitaire qui comprend un ensemble de mesures. L'autocontrôle est obligatoire pour l'opérateur. Il en définit lui-même le contenu, sous le contrôle de l'inspecteur lors de la délivrance de l'agrément et lors des inspections périodiques. Il n'est pas le seul élément de la sécurité. La traçabilité et la capacité à mettre en oeuvre des rappels de produits sont des éléments déterminants pour prévenir les risques. Par exemple, en cas de production de fromages au lait cru, on a un système de contrôle mais, pour autant, on ne contrôle pas chacun des fromages produits. Il ne s'agit que de surveillance. Ce qui est important ensuite, c'est de tout tracer pur pouvoir réagir en cas de problème. Lorsqu'il y a défaillance, on peut formuler des demandes d'action corrective, voire suspendre l'agrément, comme cela a été le cas dans l'affaire Spanghero.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Quels sont les premiers résultats de l'application du décret du 28 décembre 2011 sur l'abattage rituel ?

M. Bruno Ferreira. - Le décret et l'arrêté du même jour sont entrés en vigueur le 1 er juillet 2012. Ils imposent aux abattoirs qui décident d'abattre sans étourdissement, de disposer, en plus de l'agrément sanitaire, d'une autorisation administrative. L'encadrement réglementaire vise à vérifier que l'on dispose bien des équipements nécessaires à la maîtrise des opérations d'abattage sans étourdissement, qu'il y a bien formation des personnels, et que l'entreprise garantisse qu'il y ait abattage sans étourdissement qu'en cas de commande en ce sens. Le dispositif du 28 décembre 2011 n'a pas demandé de tenir une comptabilité des tonnages abattus sans étourdissement. Nous n'avons pas de données sur les volumes. D'ailleurs, je ne suis pas sûr que le décret suffise pour créer une obligation de remontées de données. C'est localement que l'opérateur doit justifier qu'il ait bien reçu une commande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il n'y a donc pas de contrôle possible !

M. Bruno Ferreira. - Le contrôle se fait établissement par établissement. Il n'y a pas de remontées statistiques.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le ministère pourrait le faire.

M. Bruno Ferreira. - Ce n'est pas aussi simple.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Alors à quoi cela sert si l'on ne peut rien contrôler ?

M. Bruno Ferreira. - L'objectif du décret n'était pas de créer une statistique mais de s'assurer que les établissements qui procèdent à l'abattage sans étourdissement apportent toutes les garanties en termes de bien-être animal et en termes de sécurité sanitaire.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le décret est à revoir.

M. Bruno Ferreira. - Certaines dispositions, qui avaient été anticipées dans le décret, répondent à la nouvelle réglementation sanitaire européenne, par exemple sur l'obligation d'avoir des personnels formés et des référents en protection animale.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le décret oblige donc à suivre des formations faites par des professionnels de l'abattage et non des religieux ?

M. Bruno Ferreira. - Tout à fait. Ce sont des formations qui s'imposent à tous les opérateurs. Les organismes de formation doivent être agréés. Les cultes israélite et musulman se sont rapprochés des professionnels de l'abattage pour organiser ces formations et s'assurer que tous les intervenants les suivront. Cela ne concerne d'ailleurs pas que les opérateurs chargés de la mise à mort.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ne pourrait-on pas envisager une formation officielle des abatteurs ? On nous parle d'incidents d'étourdissement. Du reste, les formations valoriseraient les employés. Et il n'y a pas que l'abattage. On nous dit qu'on ne trouve plus de bouchers aujourd'hui. Tout est lié, de la production animale à l'assiette. Il y a pénurie de formation tout le long.

M. Bruno Ferreira. - La formation à la protection animale ne concerne pas que les abattoirs procédant à des abattages sans étourdissement mais tous les abattoirs. Il faut un référent protection animale qui ait une formation spécifique et une formation de tous les autres opérateurs travaillant dans l'abattoir.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Il y a un lien entre l'amélioration de la formation des personnels et l'attractivité de l'emploi. La formation permet aussi d'accélérer les réorientations dans la filière agroalimentaire. C'est un volet du contrat de filière qui vient d'être présenté. Le volet emploi est dédié au développement de l'alternance, avec un objectif de 150 000 jeunes formés en alternance à horizon de 5 ans en agroalimentaire et métiers de bouche.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Envisagez-vous la création de nouvelles formations pour les métiers de la transformation de viande ?

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Ce travail sur la formation professionnelle est fait avec les régions. Le contrat de filière associe les régions. Paradoxalement, on a beaucoup d'emplois non pourvus en agroalimentaire et dans les métiers de bouche. Il y a un problème d'adéquation entre formations et offre d'emplois. Un travail transversal sur l'agroalimentaire est à effectuer. Un effort particulier doit porter sur les abattoirs, secteur fragile, où l'on constate que les salariés sont les moins formés. L'agroalimentaire pourrait aussi entrer dans le dispositif des contrats de génération pour les métiers industriels mais aussi les métiers de bouche.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Peut-on envisager d'encourager la contractualisation et le regroupement des producteurs.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Un arrêt du Conseil d'État de 2011 a indiqué que l'on ne pouvait pas moduler les aides à l'investissement en fonction du degré d'organisation économique. On envisage des modulations dans le cadre de la loi d'avenir. Reste à savoir si cela est pertinent. Encourager l'organisation économique doit avoir un sens. On a connu des organisations de producteurs fictives, montées parce qu'elles étaient nécessaires pour toucher des aides. Le fait qu'on ait conditionné une fraction de la prime ovine à une organisation économique des éleveurs a permis de renforcer les organisations de producteurs. Les 3 € supplémentaires par bête sont peut-être marginaux, mais le dispositif a aidé la filière à chercher une meilleure adéquation entre offre et demande.

Un accord a été passé fin mai 2013 dans le secteur de la viande bovine sur la contractualisation. L'idée est de favoriser l'engraissement. Si nous devions créer une aide à l'engraissement, il faudrait la lier à un critère de contractualisation. On n'engraisserait pas sans avoir un débouché. Et le transformateur pourrait aussi poser ses exigences en matière de planification de la production.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Quelles sont les perspectives du ministère sur le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) et le plan de performance énergétique (PPE).

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Ce sont deux vecteurs de modernisation très utiles. Le PMBE est assez ancien. C'est un instrument qui a bien fonctionné et que l'on souhaite poursuivre dans le cadre de la future PAC. Le PPE relevait du Grenelle de l'environnement. Il pouvait concerner aussi des non-éleveurs. En 2013, le ministère a mis en place une fongibilité des deux enveloppes pour faciliter la gestion des projets et des crédits, forcément limités. Ces plans doivent être utilisés dans un double objectif de performance économique et environnementale. Ils restent très attendus par les éleveurs et jouent un rôle non négligeable dans la modernisation de notre agriculture.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Pouvez-vous nous parler des distorsions de concurrence avec les autres pays européens ? Et pouvez-vous nous indiquer comment alléger les dispositifs relatifs aux matériels à risques spécifiés (MRS) et en particulier à la question de la démédullation des carcasses ?

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Concernant les distorsions de concurrence, il existe des études assez précises. Le sujet le plus important au niveau des exploitations est celui du coût de la main d'oeuvre. Le gouvernement a porté ce sujet dans le cadre du conseil des ministres franco-allemand de janvier dernier. Il faut travailler sur les conditions de mise en oeuvre de la directive sur le détachement des travailleurs au niveau européen. Ce sujet est porté par Michel Sapin au sein du gouvernement. La France a une position ferme et une volonté d'avancer. Il y a une plainte belge. Il y avait aussi une plainte française. L'Allemagne pourrait donc être poussée à réagir. Mais les pays d'origine des ressortissants concernés par l'application de la directive sur le détachement voient d'un bon oeil cette possibilité et il pourrait y avoir des discussions difficiles avec la Pologne ou la Roumanie sur la persistance de ce système. Il faut une harmonisation. On pourrait aussi valoriser notre modèle social à travers l'origine France, en mettant cela en avant.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - D'où l'intérêt de l'étiquetage.

M. Bruno Ferreira. - Suite à un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Commission européenne a autorisé les États membres à mettre fin aux tests ESB en abattoir. Cette mesure n'est pas une mesure de protection du consommateur en tant que telle mais il s'agit d'une mesure de surveillance épidémiologique. Les mesures de retrait des MRS, en revanche, sont des mesures de protection du consommateur et n'ont pas été allégées au niveau européen. Il existe deux cas de figure : sur les bovins, la France est alignée sur la réglementation européenne, et sur les ovins, la France a une différence d'approche avec la Commission européenne et nous sommes en attente d'un avis de l'ANSES. Le retrait de moelle épinière est obligatoire, car on ne peut la consommer, mais la modalité de ce retrait doit faire l'objet d'un agrément préalable. Certaines techniques ne sont pas agréées lorsqu'elles n'apportent pas de garanties suffisantes, notamment parce qu'il peut y avoir des résidus de moelle sur les muscles. Des travaux continuent d'être menés sur des techniques alternatives qui prennent le moins de temps possible sur les bovins et petits ruminants. On peut sortir des carcasses des abattoirs avec moelle, mais à condition qu'elles aillent chez des bouchers agréés, qui disposent d'un contrat garantissant que la moelle ne revienne pas dans la chaîne alimentaire. Des travaux se poursuivent pour trouver les meilleures solutions techniques.

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