4. Un manque global de suivi médical
a) Un accès aux soins freiné par les conditions de vie précaires

Tout comme l'exposition aux risques sanitaires, le recours aux soins médicaux varie selon les situations individuelles et les formes d'exercice de la prostitution. La revue de littérature étrangère, annexée au rapport de l'Igas, indique que la prostitution de rue se traduit par des difficultés d'accès aux soins et de suivi médical plus marquées que la prostitution en salon de massage : les personnes travaillant dans la rue sont moins nombreuses à être inscrites auprès d'un médecin généraliste, moins souvent dépistées pour les IST et enregistrent plus de retards dans leurs contrôles du col de l'utérus.

D'une manière générale, le recours aux soins s'avère d'autant plus problématique que la situation de la personne prostituée est précaire . Comme pour d'autres publics vulnérables, le cumul de difficultés économiques et sociales (problèmes de papiers, de logement, d'argent, isolement familial et social, etc.) agit comme un frein à l'accès aux soins. Les personnes qui se prostituent ont tendance à attendre le dernier moment pour consulter, la santé n'étant pas la première de leurs priorités. Certaines associations comme le Mouvement du Nid évoquent également un phénomène de « dissociation » entre le corps et l'esprit qui expliquerait la moindre attention portée aux besoins de santé.

Selon l'enquête du Lotus bus Médecins du Monde 39 ( * ) , 63 % des femmes d'origine chinoise qui se prostituent à Paris n'ont pas recours aux soins suite à des violences physiques ou un viol. La majorité de ces femmes (54 %) n'a pas non plus recours au traitement prophylactique 40 ( * ) suite à un rapport à risque imposé par la violence.

Par ailleurs, les conditions de vie liées à l'activité prostitutionnelle (hébergement à l'hôtel, rythme de vie décalé, alimentation déséquilibrée) ne sont pas propices au bon déroulement d'un traitement médical.

b) Un recours au dépistage du VIH contrasté

Dans son rapport de 2010 41 ( * ) , le Conseil national du sida jugeait le recours au dépistage du VIH/sida et des hépatites à destination des personnes prostituées insuffisant : « les propositions de dépistage du VIH/sida, la réalisation de tests de dépistage du VIH/sida et des hépatites demeurent trop rares » .

Pour sa part, l'Igas estime qu' « il est difficile d'évaluer de façon générale le niveau d'accès des publics prostitués au dépistage et à la prévention dans ce domaine » ; celui-ci dépend en effet du profil des personnes prostituées et du mode d'exercice. L'association Grisélidis fait ainsi état, dans son rapport d'activité 2011, d'un taux d'accès au dépistage élevé pour les personnes qui fréquentent les associations de santé communautaire, mais d'un taux beaucoup plus faible pour les personnes se prostituant sur internet. De même, les personnes prostituées étrangères ont moins de chance d'être testées que celles de nationalité française : en cause, l'insuffisance de culture préventive et la méconnaissance des lieux de dépistage et de diagnostic gratuit (CDAG-CIDDIST).

Afin d'améliorer l'accès au dépistage des personnes qui se prostituent, des sessions « hors les murs » ont été mises en place grâce à des dispositifs mobiles allant au-devant des personnes prostituées 42 ( * ) en utilisant des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) 43 ( * ) . Le recours à ce nouvel outil est encouragé par la direction générale de la santé (DGS) dans le cadre du plan national de lutte contre le VIH et les IST 2010-2014.

Les TROD constituent en effet une opportunité intéressante car ils permettent d'accéder à des populations particulièrement exposées au VIH, mais qui ne fréquentent pas ou peu les CDAG-CIDDIST . Ils présentent toutefois certaines limites (résultats parfois difficiles à exploiter, incertitudes sur une prise en charge ultérieure, focalisation sur le seul VIH au détriment des autres IST...), qui en font un outil complémentaire aux dispositifs de dépistage « classique » et non un substitut.

c) Un suivi gynécologique insuffisant

Alors que l'activité prostitutionnelle renforce les risques gynécologiques, le suivi médical en la matière se révèle largement insuffisant . Une étude mentionnée par l'Igas 44 ( * ) montre en effet que le suivi gynécologique des femmes prostituées en contact avec une association varie entre 54 % et 74 %, taux inférieur à celui de la population générale (85 %).

Hormis le préservatif (cf. supra ), les moyens de contraception (contraceptifs oraux, implants, stérilet) sont peu utilisés par les femmes qui se prostituent, les exposant de fait au risque de grossesse non désirée. Pour les personnes prostituées d'origine étrangère, les associations évoquent comme facteurs d'explication le poids des tabous et des représentations culturelles.

Concernant le dépistage du cancer du col de l'utérus, l'étude ProSanté témoigne d'une différence importante entre la population prostituée et la population générale : 29 % des femmes de vingt-cinq ans et plus interrogées n'ont jamais réalisé de frottis cervico-vaginal au cours de leur vie, par rapport à 4 % chez les femmes de 25-65 ans dans la population générale d'après le Baromètre santé 2010.


* 39 Rapport précité.

* 40 Le traitement prophylactique post-exposition (TPE) permet de réduire le risque de contamination au VIH en cas d'accident exposant au risque de transmission virale.

* 41 Rapport précité.

* 42 C'est notamment le cas à Paris entre le Lotus Bus et le CDAG/CIDDIST de l'hôpital F. Vidal, et à Boulogne-Billancourt entre le PASTT et le CDAG/CIDDIST de l'hôpital A. Paré.

* 43 Les TROD doivent permettre d'avoir un résultat en de moins de trente minutes à partir du prélèvement d'une goutte de sang. En cas de positivité, ils doivent être confirmés par une analyse de sang. Il peut être facilement utilisé au cours d'action de dépistage « hors les murs » menées par des associations et les CDAG/CIDDIST.

* 44 « Etat des lieux des actions de prévention VIH auprès des personnes en situation de prostitution : étude préliminaire sur Toulouse, Lyon, Paris, Rennes », sous la direction de Françoise Guillemaut, décembre 2008.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page