III. L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION SANITAIRE ET SOCIALE DES PERSONNES PROSTITUÉES NÉCESSITE UN ENGAGEMENT PLUS FORT ET MIEUX STRUCTURÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE AUX CÔTÉS DES ASSOCIATIONS

A. A L'ABSENCE DE PILOTAGE CLAIR DE LA PART DU NIVEAU NATIONAL S'AJOUTE L'INSÉCURITÉ DES FINANCEMENTS ALLOUÉS AUX ASSOCIATIONS

1. Une coordination entre les actions de suivi sanitaire et d'insertion sociale qui n'est pas assurée
a) Les actions engagées par la direction générale de la cohésion sociale et la direction générale de la santé

En adoptant un régime abolitionniste, la France a renoncé à toute forme d'action directe de la part des pouvoirs publics auprès des personnes prostituées . Leur fichage ainsi que la visite médicale systématique n'ont plus lieu d'être dans un système qui n'exerce plus de réglementation de la prostitution.

En revanche, l'article 16 de la convention de 1949 enjoint les Etats parties à « prendre ou [d']encourager, par l'intermédiaire de leurs services sociaux, économiques, d'enseignement, d'hygiène et autres services connexes, qu'ils soient publics ou privés, les mesures propres à prévenir la prostitution et à assurer la rééducation et le reclassement des victimes de la prostitution et des infractions visées par la présente Convention ».

Comme cela a été indiqué dans la première partie, l'une des ordonnances du 25 novembre 1960 créait des services de prévention et de réinsertion sociale (SPRS) destinés à accueillir les personnes prostituées. En pratique, très peu de structures ont vu le jour et leurs financements étaient peu sécurisés. L'hébergement des personnes prostituées s'effectue à présent majoritairement dans les dispositifs de droit commun que sont les CHRS.

Le soutien financier aux associations intervenant directement auprès des personnes prostituées constitue donc aujourd'hui le principal levier d'action de l'Etat en la matière.

Le pilotage de ces mesures est effectué, au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), par le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE).

Ainsi que l'expose le SDFE dans sa contribution écrite aux rapporteurs, deux principes essentiels guident son action auprès des personnes prostituées : la dignité de la personne humaine et l'égalité entre les femmes et les hommes. Les personnes prostituées étant dans leur grande majorité des femmes et les clients quasi-exclusivement des hommes, la prostitution est traitée par le SDFE comme une violence de genre.

Les actions menées s'inscrivent notamment dans le cadre des plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes . Ainsi, le troisième plan 2011-2013 consacre pour la première fois un volet spécifique à la prostitution.

Les mesures relatives à la prostitution prévues dans le plan de lutte
contre les violences faites aux femmes 2011-2013

Axe I : Promouvoir des actions de sensibilisation en direction de l'ensemble de la société

Organiser une campagne nationale de sensibilisation du grand public dénonçant et affirmant que l'achat d'un acte sexuel constitue une violence ;

Mener en milieu scolaire des actions de prévention du risque prostitutionnel à l'attention de jeunes.

Axe II : Renforcer la lutte contre le proxénétisme

Adapter la réponse pénale et les dispositifs de lutte contre le proxénétisme à ses nouvelles formes.

Axe III : Faciliter l'accueil et la prise en charge des personnes prostituées

Evaluer l'opportunité de la création d'un numéro vert unique destiné à l'accueil et l'orientation des femmes victimes de violences (action transversale) ;

Réaliser un état des lieux des associations en contact avec les personnes prostituées et de leurs pratiques ;

Développer et systématiser l'accompagnement global (sanitaire, social, médico-social) nécessaire aux personnes prostituées ;

Recenser les besoins spécifiques des femmes victimes de violences et les réponses qui y sont apportées dans le cadre législatif rénové (action transversale) ;

Axe IV : Faire évoluer le cadre juridique

Engager une réflexion sur l'évolution du régime pénal de la prostitution.

Les interventions de la DGS sont quant à elles essentiellement axées sur la lutte contre les IST. Regrettée par l'Igas, cette approche peut en effet apparaître aujourd'hui décalée dans la mesure où les personnes prostituées ne peuvent être uniquement considérées comme une des populations touchées par le VIH et les autres IST mais sont confrontées à des pathologies et des difficultés d'accès aux soins beaucoup plus larges.

Le plan national de lutte contre le VIH-SIDA et les autres IST 2010-2014 comprend un programme en direction des personnes prostituées. Est notamment prévu le développement des Trod qui, ainsi que cela a été indiqué précédemment, constituent des outils de dépistage rapides du VIH. Un appel à projets de la DGS a permis de sélectionner 19 associations en 2011 et 13 en 2012 pour mettre en oeuvre des actions de dépistage à destination des personnes prostituées.

Proposition

Développer l'utilisation des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) en direction des personnes prostituées afin d'améliorer leur taux d'accès au dépistage du VIH.

La DGS a par ailleurs lancé en juin 2011 un appel à projets portant sur le thème de la prévention des risques liés à la sexualité et aux addictions chez les femmes. Deux associations ont été retenues : Cabiria doit travailler au développement d'un site recensant les outils de prévention ; Griélidis doit réaliser une recherche-action sur le fonctionnement et les pratiques de la sexualité tarifée sur internet dont les résultats devraient être connus à l'automne 2013. Ces deux projets sont également soutenus par l'Inpes dans le cadre de ses conventions pluriannuelles « santé sexuelle, prévention du VIH et des IST » pour les années 2011 à 2013.

Les mesures relatives aux personnes prostituées
dans le plan national de lutte contre le VIH/Sida et les IST 2010-2014

Axe I : Prévention, information, éducation pour la santé

Réduire les obstacles à l'accès à la prévention du VIH et des IST pour les personnes qui se prostituent : organiser et coordonner l'offre de prévention des différents acteurs au niveau régional ; sensibiliser les acteurs associatifs, sanitaires, sociaux et judiciaires en contact avec les personnes prostituées aux enjeux de la prévention du VIH et des IST ; mener une réflexion avec les services du ministère chargé de l'intérieur pour les sensibiliser aux enjeux de santé publique liés à la prévention du VIH et des IST.

Adapter les actions de prévention aux nouvelles formes de prostitution : recenser et mettre à disposition des associations et des personnes prostituées les documents et outils de prévention du VIH et des IST ;

Prévenir la transmission du VIH et des IST auprès des clients des personnes prostituées : communiquer et agir auprès des clients.

Axe II : Dépistage

Mettre en place des stratégies de dépistages (VIH, IST, hépatites) adaptées aux besoins et aux réalités du terrain : élargir et consolider l'offre de dépistage (particulièrement le dépistage hors les murs) et son accessibilité en formalisant des partenariats avec les structures de dépistage anonyme et gratuit du VIH et des IST.

Axes III et IV : Prise en charge médicale, prise en charge sociale et lutte contre les discriminations : (les mesures proposées ne se distinguent pas des axes généraux fixés pour l'ensemble des populations visées par le plan)

Axe V : Recherche et observation

Recherche : améliorer les connaissances sur les diverses formes de prostitution : réaliser une recherche-action sur les modalités de prostitution sur internet pour élaborer des approches préventives adaptées à ce média ; réaliser des enquêtes quantitatives et qualitatives sur les personnes qui se prostituent et les personnes qui pratiquent des échanges économico-sexuels en Martinique, à la Réunion et à Mayotte et examiner leur situation au regard du VIH et des IST.

b) Le manque de complémentarité entre sanitaire et social

Ces actions ne font pas l'objet d'une coordination formalisée. La DGS a ainsi indiqué que si la DGCS est membre du comité de pilotage sur le VIH, il n'existe pas de procédure organisée du travail entre les départements ministériels au niveau national.

Pour l'Igas, cette situation est d'autant plus problématique que, dans une certaine mesure, les actions engagées par chacune des deux administrations tendent à traduire la poursuite de deux objectifs différents : la résorption de l'activité prostitutionnelle d'un côté, la réduction des risques liés à l'exercice de la prostitution de l'autre. Cette dichotomie se retrouve dans la structuration des financements alloués aux associations, la DGCS privilégiant les associations de réinsertion sociale tandis que la DGS travaille en premier lieu avec des associations communautaires. Ainsi, « elle reproduit et accentue un clivage de nature idéologique entre les intervenants, chaque service ayant ses « clients » et ses logiques d'intervention qui tendent à s'ignorer, voire à se combattre » 60 ( * ) .

Le SDFE a cependant indiqué à vos rapporteurs que, si l'allocation des crédits s'effectue en priorité auprès des associations de réinsertion sociale, il existe une relative souplesse qui doit permettre de répondre aux problématiques rencontrées sur les territoires et de soutenir des actions en matière de santé, de prévention des risques et d'accès aux droits. A la suite du rapport de l'Igas, le SDFE dit avoir engagé un travail interministériel en vue d'assurer une meilleure complémentarité des financements destinés aux actions associatives menées sur le volet sanitaire et social de la prostitution.

Proposition

Structurer le pilotage interministériel des actions menées auprès des personnes prostituées afin de garantir la complémentarité des champs sanitaire et social. Travailler en particulier à la définition d'une politique de subventionnement des associations partagée.


* 60 Rapport précité.

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