III. FAIRE CONNAÎTRE LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Convaincue du bénéfice réciproque qui peut résulter de la recherche en partenariat avec le Sud, votre mission souhaite que la France diffuse cette démarche partenariale hors de ses frontières.

A cet égard, le premier impératif consiste à améliorer la visibilité et la lisibilité de cette offre partenariale française au Sud.

A. PRÉSENTER UNE OFFRE SCIENTIFIQUE PARTENARIALE PLUS LISIBLE POUR LE SUD

La lisibilité de l'offre partenariale de recherche de la France est menacée par la dispersion des acteurs français et par la concurrence d'autres acteurs. Votre mission propose d'y remédier par un rapprochement des acteurs de la recherche française au Sud et par une visibilité en ligne améliorée.

1. Constituer une sixième alliance de recherche transversale en direction du Sud

Les cinq alliances nationales de recherche s'organisent de plus en plus pour mieux se projeter au Sud , même si elles ne sont pas toutes parvenues au même degré de maturité en ce domaine ni au même type d'organisation. L'alliance la plus structurée à l'international est la plus ancienne, Aviesan, qui a constitué un groupe Aviesan Sud, en plus des groupes Aviesan Europe et Aviesan International; au sein de ces groupes, se noue un dialogue sur la cartographie des activités de chacun et s'échangent des informations sur les activités institutionnelles de chaque organisme de recherche. La deuxième alliance qui s'organise progressivement pour la coopération internationale est Allenvi. Enfin, dans le domaine des sciences humaines et sociales, Athena a entrepris de rassembler toutes les activités internationales de ses membres.

Ces activités au Sud de chaque alliance gagneraient à être mises en réseau , sur un mode très souple. C'est précisément le mode de fonctionnement des alliances, qui sont dépourvues de tout statut juridique et de tout budget : c'est pourquoi votre mission invite à la création d'une sixième alliance de recherche, non pas thématique, mais transversale, en direction du Sud . Cette plateforme d'échanges réunirait les partenaires publics (les établissements publics à caractère scientifique et technologique comme l'IRD, l'INSERM ou le CNRS, les établissements publics à caractère industriel et commercial comme le Cirad, l'institut Pasteur, les universités...) et privés concernés par le Sud. Une telle alliance, qui constituerait une forme de vitrine commune, pourrait jouer un rôle important pour articuler les contributions de chacun aux défis scientifiques du développement et pour harmoniser la démarche de recherche en partenariat avec le Sud. L'existence d'une alliance Sud faciliterait les échanges thématiques en amont entre ses différents membres et contribuerait à faire émerger des priorités appelées à devenir des objectifs communs. Les partenaires Sud pourraient participer aux différents comités thématiques de cette nouvelle alliance. Comme les autres alliances, cette alliance aurait pour mission de travailler en étroite synergie avec les grands financeurs nationaux (ANR, ANRS, AFD), européens et internationaux pour orienter les choix de programmation et les appels à projets. Elle devra enfin se coordonner avec le CNDSI afin d'éviter des distorsions entre priorités thématiques et géographiques.

Sur le terrain, l'alliance Sud pourrait utiliser comme têtes de pont les opérateurs dédiés à la recherche pour le développement qui sont bien connus des partenaires du Sud et sont les mieux placés pour nouer des partenariats . Lors de son audition par votre mission, Mme Minh-Hà Pham-Delègue, Directrice Europe de la recherche et coopération internationale du CNRS, est convenue qu'il n'était pas possible d'imposer à nos partenaires de traiter avec les cinq alliances thématiques de recherche et qu'il importait donc de travailler avec les « champions » connus sur le terrain. Le dialogue en amont au sein de cette sixième alliance pourrait précisément permettre d'identifier un chef de file local parmi les opérateurs présents sur place. Une alliance de recherche « Sud » contribuerait ainsi à la nécessaire rationalisation de la présence au Sud des opérateurs français de la recherche pour le développement.

2. Rationaliser le réseau Sud des établissements français de recherche

Effectivement, le déploiement international de nos acteurs de la recherche pour le développement est difficilement lisible pour nos partenaires du Sud.

Conformément à la mission qui lui avait été assignée, l'AIRD a entrepris de rationaliser le réseau des représentations à l'étranger de ses membres fondateurs. Cette rationalisation, effectuée sur une base volontaire, n'a visiblement pas été poussée assez loin : seules deux implantations de l'IRD et du CNRS 148 ( * ) sont mutualisées. M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université (CPU), a également indiqué à votre mission que des rapprochements étaient à l'oeuvre et, notamment, que l'implantation de l'IRD à Hanoï inclurait la représentation de la CPU dans ce pays.

La mission d'inspection sur l'IRD a elle-même suggéré une mutualisation des fonctions support 149 ( * ) entre les représentations dans un même pays des opérateurs du développement . Les coûts de fonctionnement en seraient réduits, puisque les frais d'immobilier ou de recrutement local seraient partagés. Cette mutualisation renforcée pourrait s'envisager aussi bien entre instituts de recherche qu'avec les postes diplomatiques et même avec les agences de l'AFD , ce qui permettrait d'avoir une plus grande cohérence dans l'action française au service du développement, d'améliorer sa visibilité sur le terrain et finalement son efficacité auprès des interlocuteurs locaux comme des partenaires internationaux.

Une deuxième piste pour rationaliser le réseau consiste à le penser en termes d'action régionale plutôt que strictement nationale . L'AERES, dans son rapport d'évaluation de l'IRD daté de 2010, relevait que l'expérience des représentations les plus efficaces montrait la pertinence d'une action au niveau régional plutôt que national : la régionalisation permettrait d'agréger les demandes émanant de la part de plusieurs pays partenaires. Au plan institutionnel, elle encouragerait aussi un décloisonnement entre les opérateurs français de recherche pour s'entendre avec les pays d'une région donnée sur des projets communs. Même si elle n'ignore pas la difficulté que peut représenter la fermeture d'une représentation dans un pays, que ce soit pour l'organisme concerné, pour le pays hôte ou même pour la diplomatie française, votre mission préconise de resserrer le réseau des opérateurs de recherche pour le développement autour de représentants régionaux, responsables d'une agence .

Votre mission encourage donc un dialogue approfondi entre opérateurs de recherche, au sein de la sixième alliance, pour identifier les moyens de rendre plus lisible l'offre française en matière de partenariats de recherche au Sud. Outre la mutualisation du réseau à l'étranger, les opérateurs de la recherche pour le développement pourraient aussi s'entendre, par voie d'accords bilatéraux, pour se répartir des prestations de service comme la gestion de bourses de thèse, mettre en commun des moyens dédiés à l'information et à la culture scientifique ou développer ensemble des activités de transfert et de valorisation.

3. Encourager la constitution d'organes paritaires du type du CEFIPRA indien, dans les pays partenaires de taille déjà critique

Il est souvent difficile pour un pays du Sud d'avoir une vision d'ensemble des diverses dynamiques de recherche qui émergent en son sein, aussi bien dans la sphère publique que privée, et qui sont susceptibles de déboucher sur des partenariats avec la France.

A l'occasion du déplacement en Inde de trois de ses membres, votre mission a pu apprécier le rôle catalyseur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA), qui améliore la lisibilité du partenariat de recherche établi entre la France et l'Inde.

Le modèle du CEFIPRA est unique. Financé à parité par le ministère indien de la Recherche (DST) et le ministère français des Affaires étrangères et européennes (MAEE), le CEFIPRA repose aussi sur une gouvernance partagée entre la France et l'Inde : son conseil d'administration est co-présidé par un représentant du DST et un représentant du MAEE. Il représente donc à ce jour le mode le plus institutionnalisé de coopération bilatérale en matière de recherche.

Dans les autres pays du Sud, la promotion des partenariats de recherche avec la France s'appuie sur un éventail d'instruments financés sur fonds publics, allant de l'incitatif au plus structuré : programmes de mobilité croisée de chercheurs gérés par le MAEE, fonds de financement de projets scientifiques conjoints via l'ANR, laboratoires internationaux (mis en place par les organismes de recherche CNRS, IRD, Inserm, etc.), centres de recherche établis à l'étranger (Réseau des Instituts Pasteur, Instituts français de recherche à l'étranger, EFEO etc.), partenariats Hubert Curien, etc. Ces diverses formes de partenariat s'appuient sur des conventions de coopération. A ces dispositifs d'ajoutent des coopérations de recherche impliquant des acteurs privés. Cette mosaïque de partenariats, qui existe aussi en Inde 150 ( * ) , trouve avec un organisme paritaire du type du CEFIPRA un support visible, reconnu par les deux partenaires et susceptible d'héberger des projets publics et privés.

Or, d'après les informations recueillies par votre rapporteure auprès du MAEE, un tel organisme n'existe qu'en Inde. Bien que n'étant pas équivalent au CEFIPRA, on peut néanmoins citer un autre modèle de recherche partenariale qui concerne l'Afrique du Sud : le F'SATI ( French South African Institute of Technology ) est un institut universitaire formant les jeunes ingénieurs et finançant des programmes doctoraux dans le domaine spatial (ingénierie satellitaire). Il dispose d'un board où siègent Français et Sud-Africains et ses financements sont à 20 % français et 80 % sud-africains. La France soutient le F'SATI depuis sa création, avec les financements du MAEE, de la CCIP et de l'Université Paris-Est Créteil (qui a apporté son soutien suite au retrait du MESR en 2010). Des entreprises françaises 151 ( * ) financent 5 à 8 % du budget et siègent aussi au conseil d'administration du F'SATI.

Cet organe se distingue du CEFIPRA en ce qu'il n'est pas absolument paritaire et qu'il ne couvre pas tous les secteurs de la recherche : en effet, le modèle du F'SATI est en cours de duplication en Afrique du Sud où un « F'SAGRI » devrait voir le jour prochainement dans le domaine de l'agriculture et de l'agronomie.

Votre mission soutient donc l'intérêt de créer des organismes de coopération scientifique paritaires, sur le modèle du CEFIPRA, avec les pays du Sud dont la taille critique rend possible une implication d'égal à égal dans un tel organisme . Dans de tels pays, par exemple le Brésil ou le Nigéria, un organisme de ce type accroîtrait la lisibilité du partenariat de recherche avec la France et servirait de porte d'entrée à la collaboration scientifique avec la France.

4. Recenser et valoriser les projets de recherche partenariale sur les sites internet du ministère des affaires étrangères et des ambassades

Une manière de rendre plus visible la démarche française en matière de partenariats de recherche avec les pays du Sud consiste à mieux la valoriser en ligne.

Aujourd'hui, le ministère des affaires étrangères consacre une page de son site internet à la recherche pour le développement, dans sa rubrique dédiée à la diplomatie scientifique de la France 152 ( * ) . Mais cette page ne répertorie pas, pays par pays, les projets de recherche partenariale menés avec la France.

Pour qu'une telle information soit accessible, il conviendrait que le service de coopération et d'action culturelle de chacune de nos ambassades au Sud collecte les informations relatives aux divers projets de recherche menés avec la France dans ce pays ; l'agrégation de ces informations à l'échelle d'un pays et sa publication sur le site internet de chaque ambassade serait particulièrement intéressante, en ce qu'elle révèlerait les possibles doublons ou au contraire les éventuelles lacunes des partenariats de recherche impliquant la France et ce pays. Elle mettrait aussi au jour la présence de chercheurs français isolés dans certains pays.

Sur le fondement de la base de données ainsi constituée, un accès centralisé depuis le site du ministère des affaires étrangères ( www.diplomatie.gouv.fr ) à ces informations par pays offrirait en outre une vision d'ensemble et un panorama complet des recherches menées par la France en partenariat avec les pays du Sud.

5. Développer l'offre française de cours en ligne

De toute évidence, le numérique est aujourd'hui un outil essentiel du développement. Il devient également un support indispensable à la recherche. Il révolutionne à présent l'enseignement supérieur, et la présence de notre pays en ligne en ce domaine est un enjeu important pour la lisibilité et le développement de nos partenariats scientifiques avec les pays du Sud.

Les cours en ligne se multiplient; ces cours ouverts et massifs, désignés sous l'acronyme MOOCs ( massive open online courses ) , sont nés il y a quelques années aux États-Unis. Ces cours en ligne sont non seulement gratuits et accessibles à distance, mais ils peuvent déboucher sur une certification . Ces cours, auquel sont associés un accompagnement pédagogique et la possibilité d'interagir avec les enseignants et les autres participants, permettent de former des étudiants de tous les continents.

Ainsi, dix-huit mois après son lancement à l'initiative de Stanford University, Coursera regroupe près de 60 établissements d'enseignement supérieur et propose plus de 300 cours auxquels se sont connectés près de 3 millions de personnes. En France, seule l'école Polytechnique a récemment rejoint Coursera.

D'autres initiatives de MOOCs se multiplient et gagnent la France: deux écoles d'ingénieurs, Centrale Nantes et Télécom Bretagne, ont ainsi lancé, à la rentrée 2012, le premier MOOC exclusivement francophone. Centrale Lille a emboîté le pas début 2013. Quelques universités développent aussi des cours en ligne.

L'enjeu des MOOC est considérable pour les établissements d'enseignement supérieur français, qui peuvent ainsi acquérir une visibilité internationale et attirer les meilleurs étudiants étrangers . Les expériences américaines montrent en effet que participer à un MOOC peut inciter un étudiant à demander une bourse pour venir aux États-Unis l'année suivante. Inversement, une université peut repérer un jeune à haut potentiel grâce à son investissement lors d'un MOOC.

Lors de son audition par votre mission, M. Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), a souligné le rôle clef que peut jouer le numérique pour rendre accessible au Sud l'enseignement supérieur et promouvoir en même temps la francophonie. Association d'universités fondée en 1961 à Montréal, l'AUF elle-même a très tôt contribué à la création de campus numériques, dont elle estime aujourd'hui le nombre autour de 45. M. Cerquiglini a évoqué le premier campus numérique fondé dès 1961 à Dakar et à Madagascar, avec l'installation de Minitels, puis l'installation d'Internet dès 1991. L'AUF dispose aujourd'hui d'une soixantaine de lieux sécurisés et équipés pour la formation à distance. M. Cerquiglini a fait part de l'attente importante exprimée à cet égard par les 610 présidents ou recteurs d'université réunis à la dernière assemblée générale de l'AUF. Il a jugé que le monde des cours à distance était très ouvert et devait être exploré, notamment pour la préparation de masters internationaux.

Votre mission considère en effet essentiel qu'une offre abondante de cours en ligne en français vienne contrebalancer l'offre anglo-saxonne, d'autant que le suivi des cours peut déboucher sur une mobilité physique de l'étudiant pour l'obtention du doctorat . Ceci présenterait aussi l'avantage d'associer la langue française à des valeurs de solidarité.

Dans cette perspective, votre mission estime nécessaire d'inviter les établissements français à produire leurs propres ressources en ligne , afin de prendre leur place et de défendre la francophonie dans le mouvement de globalisation de l'enseignement supérieur qu'accélère la révolution numérique. La loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'ESR , dont l'article 29 153 ( * ) rend obligatoire la mise à disposition de certains enseignements supérieurs sous forme numérique , devrait amorcer cette mobilisation des chercheurs de langue française au profit du développement de tous. Le lancement, le 2 octobre 2013, de la plateforme France Université Numérique (FUN), avec le support de l'INRIA, facilitera le déploiement de ces nouveaux services, dont les étudiants du Sud pourront bénéficier.

En complément de ces actions destinées à rendre plus lisible pour le Sud l'offre partenariale française en matière de recherche et d'enseignement supérieur, votre mission considère que la France devrait formaliser cette démarche partenariale pour mieux la diffuser auprès des autres bailleurs de fonds de l'aide publique au développement.


* 148 Cf. supra.

* 149 Recouvrant les compétences qui fournissent des services aux fonctions métier sans être en lien direct avec le coeur de métier.

* 150 Cf. supra.

* 151 Schneider Electric, ESKOM, ALCATEL et TELCOM.

* 152 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique/recherche-pour-le-developpement/

* 153 Qui insère à cet effet un nouvel article L. 611-8 dans le code de l'éducation, ainsi rédigé : « Les établissements d'enseignement supérieur rendent disponibles, pour les formations dont les méthodes pédagogiques le permettent, leurs enseignements sous forme numérique, dans des conditions déterminées par leur conseil académique ou par l'organe en tenant lieu et conformes aux dispositions du code de la propriété intellectuelle. Cette mise à disposition ne peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants sans justification pédagogique (...). »

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