B. FORMALISER LA DÉMARCHE PARTENARIALE EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR MIEUX LA DIFFUSER

Le projet de loi d'orientation et de programmation sur le développement, que le Gouvernement devrait adopter avant la fin de l'année, offrira l'occasion de formaliser la démarche partenariale, pour mieux la faire valoir ensuite aux plans européen et international.

1. Consacrer cette démarche dans le projet de loi annoncé et la « labelliser » par une charte

En opérant leur « tournant stratégique » pour la recherche en partenariat, l'IRD et le Cirad ont identifié les critères du partenariat, ses contours et son contenu, ainsi que les pistes de son évaluation 154 ( * ) . Reste que ces éléments de méthode sont confinés aux contrats d'objectifs entre l'État et les organismes dédiés : ils n'ont pas été repris à un niveau suffisamment élevé de nos politiques publiques. Le temps est donc venu, dans le prolongement du dernier CICID, d'appliquer les méthodes de recherche en partenariat à l'ensemble des activités de recherche impliquant des pays que nous avons identifiés comme « du Sud » (et qu'on pourrait, par commodité administrative, faire coïncider avec ceux de la zone de solidarité prioritaire).

La prochaine loi d'orientation et de programmation pourrait utilement consacrer les grands éléments de cette méthode et aussi prévoir une charte , portée par les ministères de la recherche et des affaires étrangères, qui serait à prendre en compte dans toute recherche au Sud. Elle orienterait aussi l'action des conseillers scientifiques des ambassades de France dans les pays du Sud qui ont la responsabilité de coordonner la présence scientifique française dans ces pays.

La loi de programmation pourrait ainsi énoncer les grands objectifs suivants de la RpD :

- le fait que la production de connaissances scientifiques est un facteur essentiel de développement, de même que l'accès aux résultats de la recherche ;

- l'inscription de la RpD au sein de l'aide publique au développement (conformément au Cicid de 2009) ;

- une définition de la RpD comme étant une recherche conçue et conduite en partenariat qui, chaque fois que nécessaire, conforte les capacités institutionnelles des partenaires.

Dans le prolongement de ces principes, la loi de programmation pourrait donc prévoir la négociation et la signature d'une charte de la RpD entre les grands organismes de recherche engagés au Sud, qui énoncerait une série d'objectifs et d'engagements pour les recherches impliquant un pays du Sud (ou de la zone de solidarité prioritaire).

Cette charte pourrait en particulier rappeler les principes, objectifs et engagements suivants :

- que les programmes de recherche de la RpD doivent être coproduits avec les pays du Sud, dès leur conception, que la validation de ces programmes soit effective et qu'ils s'articulent avec les institutions de recherche et de formation des pays du Sud. L'objectif est ici d'éviter que les programmes ne soient conçus qu'au Nord, avec une validation formelle du Sud ;

- que ces programmes doivent être conduits par des équipes mixtes qui recrutent des chercheurs du Sud au plus haut niveau possible, intégrer systématiquement un volet de formation et de renforcement des capacités, et qu'ils doivent prévoir dès leur lancement une procédure d'évaluation conjointe, selon des critères énoncés en début puis en cours de recherche ;

- que les organismes de recherche signataires de la charte s'engagent à rapprocher leur « action Sud » et à mutualiser leurs moyens autant que possible, en particulier pour accompagner les pays du Sud dans l'expression de leurs besoins scientifiques et dans le renforcement de leurs capacités ;

- que la recherche en partenariat est ouverte à toute contribution et demande de participation émanant de la société civile et des collectivités locales, ce qui passe par une publicité tout au long de la recherche.

Votre mission se félicite que le Gouvernement ait déjà annoncé lors du CICID du 31 juillet 2013 l'élaboration d'une telle charte et propose de consacrer son existence dans la prochaine loi d'orientation et de programmation .

2. Porter la démarche au niveau européen comme un atout de la politique française de développement, susceptible de donner du sens aux financements européens

Si la démarche française de recherche partenariale est mieux identifiée, elle peut rencontrer un écho plus grand auprès des institutions européennes. Et ce, d'autant que l'UE souhaite améliorer l'impact de son aide publique au développement pour mieux contribuer à la réalisation, originellement fixée à 2015, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés en 2000 155 ( * ) . Dans cette perspective, le Conseil de l'UE a adopté en mai 2012 le Programme pour le changement que lui a soumis la Commission européenne ; ce programme insiste sur la nécessité de différencier les partenariats en fonction des pays et de progresser vers une meilleure coordination des stratégies européennes. La programmation conjointe UE-Etats membres constitue donc un chantier pour les années à venir. Elle répond à une double nécessité : politique d'abord, pour rendre plus cohérentes les actions des États membres et de l'UE et améliorer ainsi la visibilité de l'aide de l'UE ; financière ensuite, afin d'optimiser les ressources européennes en évitant la fragmentation ou la redondance de l'aide.

Parallèlement, l'Europe de la recherche se structure progressivement. En 2009, sous présidence française, un Forum stratégique pour la coopération internationale en matière de recherche , le SFIC 156 ( * ) , a été créé pour aligner les moyens des États membres et de l'UE et tenter d'avoir une parole européenne à l'égard des pays tiers . Au sein de ce forum qui ne s'intéresse pas encore aux pays en développement, la France gagnerait à faire évoluer le paradigme en amenant l'UE à considérer les pays du Sud comme de véritables partenaires . Dans sa communication 157 ( * ) de septembre 2012 sur la coopération UE/ pays tiers en matière de recherche, la Commission européenne ouvre déjà la voie vers cette évolution : « le financement de la recherche (...) contribuera aux objectifs des politiques de développement de l'Union, par exemple par les activités suivantes: prospective et recherche socioéconomique visant à recenser des défis spécifiques; recherche et innovation de pointe visant à mettre au point des solutions applicables localement (...) ».

Dans ces changements en cours, la recherche en partenariat avec le Sud a toute sa place : elle peut en effet contribuer non seulement à renforcer les capacités scientifiques du Sud et à les intégrer dans les réseaux de recherche mondiale, mais aussi à renforcer la visibilité et l'efficacité de l'aide européenne au développement, qui sont précisément les objectifs du Programme européen pour le changement. Dès lors qu'il s'oblige à une relation équilibrée avec nos partenaires du Sud, l'outil diplomatique que constituent nos instituts de recherche pour le développement est en capacité de favoriser l'adaptation de l'aide européenne au contexte national du pays récipiendaire et donc son efficacité.

En effet, seule l'approche bilatérale permet d'adapter l'aide au développement à l'articulation entre économie et société qui est propre à chaque pays partenaire. Il est intéressant à cet égard de relever qu'en complément de sa contribution au fonds multilatéral pour l'environnement mondial, la France a créé un instrument bilatéral pour sa mise en oeuvre, le fonds français pour l'environnement (FFEM), afin de mieux répondre aux besoins exprimés par les pays du Sud qui sont prioritairement destinataires de la coopération française.

Son outil dédié à la recherche au service du développement est une spécificité française que d'autres États nous envient , comme l'a dit à votre mission M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université qu'il représente à Bruxelles : l'UE peut tirer bénéfice d'une meilleure synergie entre sa politique de la recherche et sa politique de développement si elle consent à s'appuyer sur cet outil français et, réciproquement, nos instituts de recherche peuvent conforter leur mission en misant sur l'Europe pour étendre leur envergure et leur visibilité .

Pour que ce jeu doublement bénéfique s'opère, il convient d'entrer dans une démarche plus active auprès des institutions européennes : d'abord, pour tenter de sortir de la logique en silos qui prévaut souvent au sein de la Commission européenne, la France pourrait inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions ; ensuite, pour permettre un dialogue entre le monde de la recherche et celui du développement au sein du Conseil, notre pays pourrait proposer que se tiennent des réunions communes du Conseil « Compétitivité », réunissant les ministres européens de la recherche, et du Conseil « Affaires étrangères » réunissant les ministres européens en charge du développement, réunions qui permettraient de valoriser le savoir-faire français en matière de recherche partenariale et la nécessité pour les organismes européens de travailler ensemble dans cette perspective ; enfin, les instituts français de recherche pour le développement doivent se mobiliser pour faire du CLORA non seulement un outil de veille mais un lieu d'expression de la sixième alliance « Sud » à créer . Lors de son audition par votre mission, M. François Houllier, président de l'INRA et d'Allenvi, a précisément appelé de ses voeux une évolution du CLORA, afin qu'il alimente un flux aller-retour entre Bruxelles et ses membres ; il a observé notamment la puissance de feu que représentait le représentant du CNRS à Bruxelles puisqu'il est membre des cinq alliances de recherche. Le CLORA deviendrait alors un véritable instrument de lobbying, en évitant de se trouver dilué parmi les multiples acteurs non étatiques qui gravitent autour des institutions européennes. La France, parce qu'elle porte la recherche pour le développement, est en capacité de prendre une position de leader en ce domaine à l'échelon européen.

Ce leadership français sur la recherche au service du développement est déjà en voie de se constituer sur les questions agricoles . Comme l'a souligné devant votre mission Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, la voix française porte de plus en plus sur ces sujets au niveau européen et international. Ainsi, dans les travaux du G8 et du G20, Mme Guillou représente la France dans les réunions d'Agricultural Chief Scientists . Et, à l'échelon européen, elle préside une initiative qui rassemble 21 pays sur les thèmes de l'agriculture, de la sécurité alimentaire et du changement climatique 158 ( * ) , sujets qu'il n'est pas possible de traiter à l'échelle nationale pour être entendus. La France héberge aussi à Montpellier le siège du CGIAR 159 ( * ) , consortium international de recherche en agronomie avec lequel les établissements français de recherche et d'enseignement supérieur agricoles ont signé en mars 2013 des accords de partenariat.

Il est vrai que les instituts français de recherche se distinguent particulièrement dans les agrosciences au niveau mondial : Mme Guillou a indiqué que, dans les classements internationaux, l'INRA se situait en deuxième position (derrière son homologue américain) en publications scientifiques, donc en production de découvertes dans le monde. L'enseignement supérieur français en ce domaine est de bon niveau, avec un réseau d'écoles d'agronomie, d'écoles vétérinaires et d'universités présentant des compétences en biologie, écologie... Malgré tout, la présence française s'est affaiblie au niveau international ces vingt dernières années, par rapport aux États-Unis, à la Chine, au Brésil et aux Pays-Bas, qui possèdent un grand centre de formation dans le domaine des agrosciences ; c'est pour enrayer cet affaiblissement qu'a été créé Agreenium, opérateur qui n'est pas chargé d'effectuer de la recherche, mais qui est disponible pour réaliser des prestations composites. Lorsque l'on s'adresse à Agreenium, on s'adresse désormais à l'ensemble du dispositif français en agrosciences puisque 80 % du dispositif d'enseignement d'agrosciences français a rejoint Agreenium. Mme Guillou indique qu'Agreenium est en contact avec le Forum for Agricultural Research in Africa (FARA) qui possède des besoins importants de reconstitution de capacités et que les demandes d'aide d'accompagnement ou de coopération qui lui sont adressées se multiplient.

Votre mission estime donc nécessaire de promouvoir un mouvement analogue dans tous les domaines de la recherche pour le développement, en adoptant auprès des institutions et de nos partenaires européens une démarche unie, appuyée à la fois sur l'opérateur de développement qu'est l'AFD et sur les capacités associées en recherche, formation et enseignement qu'offrent nos instituts de recherche dédiés . Porter la démarche partenariale au niveau européen permettrait de donner plus de sens aux financements européens.

3. Miser sur la coopération triangulaire en capitalisant sur notre compétence partenariale avec le Sud

La diffusion de la démarche partenariale « à la française » doit aussi d'envisager auprès des bailleurs non européens de l'aide publique au développement, et plus spécialement auprès des nouveaux donateurs que sont les pays émergents.

Malgré la grande diversité de leur situation, les pays du Sud peuvent présenter des similarités, que ce soit en termes climatiques, géographiques, sanitaires, scientifiques ou techniques... Certaines questions de recherche peuvent donc intéresser plusieurs d'entre eux.

Plusieurs exemples de cette coopération Sud-Sud en matière de recherche ont été rapportés à votre mission.

Ainsi, Mme Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation Total, a évoqué un programme de recherche que finance cette fondation au Cambodge, concernant le suivi thérapeutique des enfants et des jeunes qui sont porteurs du VIH et de la tuberculose : une expertise africaine a été utilisée sur ce sujet, car la thématique de l'observance des médicaments chez les adolescents est mieux connue en Afrique qu'en Asie.

De même, en Inde, la délégation a appris que certains chercheurs de de l'IRD, affectés en Inde à la CEFIRSE, s'étaient rapprochés de collègues chercheurs en Afrique, notamment au Bénin, pour adapter les modèles développés à la CEFIRSE à la mousson africaine.

Le Cirad est aussi impliqué dans des projets de coopération triangulaire : ainsi, il coopère avec les Brésiliens sur les questions génétiques pour le bénéfice des pays africains. Alors que les Brésiliens envisageaient un transfert technologique vers l'Afrique par l'entremise du réseau du Cirad, ce dernier a préféré se faire courtier d'une ingénierie institutionnelle pour un partenariat scientifique fondé sur une coopération équilibrée. Le poids des pays émergents dans l'économie mondiale, dans les stocks alimentaires et dans la diffusion des pandémies planétaires, va croissant. Leurs communautés scientifiques sont celles de demain et il importe donc de lier aussi des partenariats avec ces pays, qui investissent massivement en Afrique, dans notre zone d'action prioritaire.

Votre mission considère en effet que le savoir-faire français en matière de partenariat de recherche devrait être ainsi mis au service des coopérations Sud-Sud, au service du bien commun .


* 154 Voir chapitre 1.

* 155 A l'occasion de la 55 ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

* 156 Composé de deux représentants par Etat membre et de la Commission.

* 157 Communication de la Commission européenne : « Renforcement et ciblage de la coopération internationale de l'Union européenne dans la recherche et l'innovation: une approche stratégique », COM 2012(497).

* 158 L'Initiative de programmation conjointe sur l'agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique (FACCE-JPI) a été lancée par le Conseil européen en octobre 2010. Menée par l'INRA et BBSRC, institut de recherche britannique en biosciences, elle vise à augmenter les capacités de la recherche européenne face aux enjeux de production alimentaire, mais également de fourrage et d'engrais, de fibres et de biocarburants pour une population croissante et dans le contexte du changement climatique. En rapprochant les programmes de recherche nationaux, FACCE-JPI tend à éliminer les doublons, pallier les manques, et créer des synergies et une masse critique à l'échelle européenne dans ces domaines afin d'améliorer l'efficacité des financements.

* 159 Consultative Group on International Agricultural Research . Le consortium du CGIAR organise le programme commun de quinze centres de recherche essentiellement situés dans les pays du Sud et financés par la Banque Mondiale, l'Union Européenne et d'autres organisations à hauteur d'environ 900 millions de dollars.

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